Prisons camerounaises: des univers surréalistes

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Multiplication des gardes à vue abusives: Les suspects obligés de payer pour être libérés
Menacé, torturé, gardé à vue en compagnie des accusés pendant cinq jours à la brigade de gendarmerie de Pk 14 à Douala, Benjamin Ndongo dit avoir versé une somme d’argent pour recouvrer la liberté. Ce qu’interdit le code de procédure pénale.
"Mon grand frère qui vit en Europe m’avait envoyé de l’argent pour acheter une maison d’une valeur de douze millions de Fcfa. J’ai contacté des démarcheurs qui m’ont trouvé une maison. La vente devait se passer devant notaire. Mais, on a constaté que les démarcheurs étaient des bandits parce que le notaire a dit que cette maison n’était pas en vente. Alertés, les éléments de la brigade de Pk 14 interpellent les gars. A ma grande surprise, le commandant me fait aussi arrêter sous le prétexte que j’ai beaucoup d’argent. Ils m’ont gardé dans la cellule des gars, me giflaient et menaçaient de m’envoyer en prison", raconte Benjamin Ndongo.

"Suspects, vaches à lait"
Au cinquième jour de détention, pendant que les accusés sont transférés en prison en ce matin du mois d’août 2011, Benjamin, affaibli, se résout à se plier aux exigences des forces de maintien de l’ordre. "Le commandant disait qu’on lui donne sa part d’argent, que j’ai un frère qui joue au ballon. C’était du harcèlement. Je leur ai donné 150.000 Fcfa pour qu’ils me laissent", précise-t-il.


L’argent, c’est ce qui a manqué à Nloutsiri Arnaud. Après avoir heurté par mégarde un véhicule personnel, ce chauffeur de taxi a été interpellé puis gardé à vue pendant six jours au commissariat de la gare ferroviaire de Douala. "Le propriétaire du véhicule mettait la pression sur les policiers pour que j’accepte de réparer à mes frais la partie détruite de la Mercedes. J’ai dit qu’il n’était pas question que l’argent sorte de mes poches alors que j’ai souscrit une assurance. Mon oncle a accepté de donner de l’argent pour la tôlerie, voilà comment j’ai finalement été relaxé après six jours", explique le chauffeur.
Sous la pression de certains puissants personnages ou pour arrondir leur fin de mois, certains membres des forces de l’ordre gardent des suspects en cellule au-delà de la période légale. Une pratique récurrente dans les unités de police et de gendarmerie de Douala qui ne surprend pas dans ce corps de métier. "On ne peut nier que certains collègues ont transformé des suspects en vaches à lait. C’est dommage. Mais, il faut qu’ils sachent qu’ils s’exposent ainsi à des sanctions lourdes si les faits sont avérés", prévient, sous anonymat, un commissaire de police.

 

"Visites inopinées"
Des agents véreux sont en effet régulièrement suspendus ou révoqués de leurs fonctions à cause des manquements à la déontologie. Malgré cela, les abus foisonnent. Les victimes aussi. En Novembre 2011, Clément Madjong, un paysan, a été brutalement interpellé par des éléments de la brigade de gendarmerie d’Ebone pour avoir réclamé son reliquat dans un bar. Après avoir passé cinq jours menotté en cellule, il a été présenté au procureur qui l’a déclaré non coupable plus tard. En décembre de la même année, un autre suspect menotté a rendu l’âme dans une cellule de la brigade de Ngangue après dix jours de garde à vue. De pareils abus pouvaient être évités si ces agents n’avaient pas expressément ignoré la loi.
En effet, le code de procédure pénale dispose dans son article 119 alinéas 2 que "le délai de garde à vue ne peut excéder quarante huit heures renouvelables une fois". Toutefois, "sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois. Chaque prorogation doit être motivée". Benjamin a été victime d’une garde à vue abusive à l’insu du procureur de la République. Son sort dépendait du commandant de la brigade qui a cessé de le torturer moyennant de l’argent.
Les gardes à vue abusives inquiètent les défenseurs des droits humains qui avancent des idées pour en réduire la pratique. "C’est au quotidien que les gens dénoncent cette pratique, mais rien n’est vraiment fait du côté des autorités. Pour décourager les auteurs de ces abus, il faut que les procureurs ou leurs substituts effectuent régulièrement des visites inopinées dans les cellules et que les coupables soient punis ", suggère Jean Tchouaffi, président de l’Association des droits des jeunes.
Christian Locka (Jade)


Surpopulation, enchaînement et torture
Les tares des prisons du Cameroun dénoncées
Les descentes dans les prisons de Douala, N’Gaoundéré et Bamenda, sous l’égide du projet “Dignité en détention”, ont mis en lumière les tares du système carcéral camerounais : surpopulation, recours à l’enchaînement, pratique de la torture… Plus de 1 200 détenus “vulnérables” ont été recensés par Avocats sans frontières (ASF) France au Cameroun.
Faute d’avoir pu s’acquitter d’une amende de 33700 Fcfa fixée par le juge du Tribunal de grande instance du Wouri, Valentin Bilaï, un détenu de 27 ans, a écopé d’une contrainte par corps. Autrement dit, condamné à 24 mois d’emprisonnement en juin 2011 pour viol, il a finalement purgé 6 mois de détention en plus.  “Mon père n’est plus venu me rendre visite depuis mars 2011. Où aurais-je pu trouver cet argent ?”, s’interroge-t-il. Vêtu d’une chemise qui laisse entrevoir une peau recouverte de gale, le jeune homme n’a même pas de quoi acheter une pommade pour se soigner.
Comme Valentin, plus de 1 200 détenus dits “vulnérables”, ont été identifiés par Avocats sans frontières (ASF)  France au Cameroun, au cours de visites effectuées dans des prisons camerounaises. Ce sont des femmes, des enfants, des indigents, des personnes du troisième âge ou des malades. Ces descentes en milieu carcéral s’inscrivent dans le cadre du projet “Dignité en détention”, mis en œuvre en collaboration avec ASF France et le barreau du Cameroun, grâce à l’appui financier de l’Union européenne. Il a été lancé en novembre 2011 lors d’une visite à la prison centrale de Douala. Les prisons de Ngaoundéré et Bamenda ont également été visitées. “Dignité en détention”, qui met l’accent sur  la formation des acteurs du système judiciaire et l’assistance judiciaire, a pour objectif principal de faire respecter les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

 

Trop de prévenus en prison
Le but de ces visites est de toucher du doigt les conditions de détention pour ensuite faire des recommandations au gouvernement. Cela a permis de relever les abus de la contrainte par corps : plus de 450 détenus restent en prison à Douala, Ngaoundéré et Bamenda. “C’est inadmissible qu’on demande aux gens qui purgent leur peine en détention de payer 20.000 à 30.000 Fcfa d’amende alors qu’ils n’ont pas d’argent, faute de pratiquer une activité génératrice de revenus”, dénonce Prosper Olomo, coordonnateur du projet au Cameroun. “C’est l’Etat qui est perdant parce qu’il doit continuer à loger, nourrir et soigner des personnes qui auraient dû être libérées”, poursuit-il, recommandant au gouvernement camerounais d’instituer les travaux d’intérêt général pour permettre aux détenus de travailler hors de la prison afin de régler leurs amendes.
Autres problèmes mis en avant par Asf France : le nombre très élevé des prévenus en prison. Ils sont deux à trois fois plus nombreux que les condamnés dans les prisons camerounaises. A Douala, 2 200 des 3.000 détenus sont en détention préventive. Ils sont 300 sur 450 à Bamenda et 500 sur 800 à Ngaoundéré. Asf met en cause le recours systématique à l’emprisonnement. “Les gens sont envoyés en prison quand bien même ils présentent des garanties comme par exemple, un emploi ou un domicile”, dénonce Prosper Olomo.
Le droit minimum au logement n’est pas respecté. A Douala, près de 500 détenus dorment dans la cour. Ceux qui couchent dans les cellules ne sont pas mieux lotis, le taux de surpeuplement dans certains dortoirs étant de 300 %. Conséquence, “ des gens dorment entassés comme des moutons, parce qu’une cellule, prévue pour 50 personnes, en abrite 150”, affirme le coordonnateur du projet.

Des prisonniers enchaînés
La situation est bien plus grave à la prison centrale de Bamenda où un détenu sur neuf est enchaîné pour cause d’indiscipline supposée. Certains prisonniers doivent mettre des chaussettes et des chiffons pour atténuer la douleur provoquée par les menottes et les fers. Une violation au droit des prisonniers que dénonce Prosper Olomo. “L’enchaînement est proscrit”, rappelle-t-il, suggérant d’utiliser, en guise de punition, l’enfermement dans les cellules d’isolement ou la suspension des visites pendant un temps déterminé. Une démente, qui cohabite avec les détenus, subit le même sort, alors qu’elle aurait dû être internée dans un centre hospitalier approprié.
Autre anomalie grave : des centaines de détenus restent enfermés plusieurs mois après leur libération parce que la décision de justice ne leur est pas parvenue. “Nous avons transmis les listes des détenus concernés aux présidents des tribunaux afin qu’ils délivrent ces documents ”, expliquent le coordonnateur du projet.
Enfin, les dispositions de la loi sur les avocats commis d’office ne sont pas respectées, donnant lieu à de nombreux abus au cours de l’enquête préliminaire. “Faute de conseil pour veiller sur leurs droits, les gens signent le procès verbal alors qu’ils ne savent ni lire, ni écrire. Pourtant, l’officier de police judiciaire (Opj) y rédige parfois des déclarations autres que celles tenues par le gardé à vue. Des notes qui lui seront par la suite préjudiciables pendant les audiences de jugement”, dénonce Prosper Olomo. Plus grave encore, les Opj n’hésitent pas à pratiquer la torture pour arracher des aveux. “ Soupçonnée de vol de téléphone portable, une détenue de la prison de New Bell a été bastonnée. Les coups de machettes sur la plante des pieds est aussi une pratique courante dans les prisons des grandes villes”, conclut le coordonnateur du projet.
Anne Matho (Jade)


Arrêté et torturé par des gendarmes
Clément a vécu un enfer avant d’être libéré
Il est devenu un héros malgré lui. Clément Madjong, 35 ans, suscite encore des commentaires dans le petit village de Ndoungué, à 13 kilomètres de la ville de Nkongsamba. Le souvenir de ce qu’il a vécu le 16 novembre 2011 est encore vivace à l’esprit.
"Cette date est restée gravée dans ma mémoire, tout comme les détails des traitements inhumains infligés par les gendarmes de la brigade d’Eboné", fait-il remarquer. Ce jour-là, à en croire des témoignages concordants, il s’est rendu dans un débit de boissons pour récupérer le reliquat de la somme de 10 000 F qu’il avait laissé au vendeur. S’ensuivent alors des éclats de voix avec ce dernier qui l’informe qu’une de ses connaissances est passée prendre une bière à son compte. Clément refuse de reconnaître cette dette. Un gendarme qui sirotait sa bière lui demande de se taire. Face à son peu d’empressement d’obtempérer, il est empoigné par ce dernier qui tient à le mettre hors de la boutique. Le gendarme est alors rejoint par un militaire. Les deux fonctionnaires tiennent à lui imposer la dictature de l’autorité.

 

Une volée de coups
La situation va très vite dégénérer sous les yeux de nombreux curieux apeurés. Les hommes en tenue lui déchirent les vêtements. Seul son short échappe en partie au  ravage. Clément est jeté à terre, le corps écrasé par les chaussures militaires. Un taximan de passage rappelle à l’ordre les bidasses qui lâchent prise et font appel au commandant de la brigade d’Ebone, leur chef. Arrivé sur les lieux, le commandant pointe son arme sur la victime, menaçant de l’éliminer avant de le menotter et  de le jeter dans son véhicule pour l’emmener à la brigade.
Arrivé sur les lieux, toujours menotté, il est jeté en cellule malgré ses efforts pour expliquer les faits. Il n’est entendu que le lendemain. "Après avoir lu le procès verbal, j’ai refusé de signer, car c’était tout le contraire de ma version des faits. Il y était écrit que j’avais agressé un gendarme après avoir soutiré de l’argent dans la poche d’un certain Touré. J’ai été remis en cellule. J’y ai passé les trois premiers jours de détention sans le moindre repas, interdit de visite et devais me débrouiller pour utiliser les toilettes", explique Clément Madjong qui va y demeurer en tout cinq jours, toujours menotté, avant son transfert devant le procureur. En violation des règles minima de détention des Nations unies et du code de procédure pénale (CPP) qui interdisent l’utilisation de la violence, les traitements inhumains et dégradants. Le code limite par ailleurs la durée de garde à vue à au plus 48 heures renouvelables une fois.

Déclaré non coupable huit mois après
Présenté devant le procureur, Clément Madjong va répéter sa version des faits. Un témoin de la scène du 16 novembre fera aussi sa déposition dans ce sens. Après quelques tergiversations, le procureur va l’inculper avec l’opportunité de comparaître libre. Les contradicteurs de Clément ne se présenteront jamais au tribunal pour justifier les charges de vol, ivresse manifeste, et outrage à fonctionnaire mentionnées dans le procès verbal pendant toute la durée du procès. Après de multiples renvois, il est déclaré non coupable le 17 juin 2012.
Le commandant Eboué, concerné, soutient avoir fait son travail et maintient les charges de vol, ivresse manifeste, et outrage à fonctionnaire retenues pendant l’enquête préliminaire dans ses services. Il réfute par ailleurs les accusations de tortures, de traitements inhumains et dégradants infligés à la victime. Informés de ce que Clément Madjong a été déclaré non coupable, il déclare : " A notre niveau, nous avons fait notre devoir, la justice a fait le sien. "
Clément a eu de la chance, combien de victimes de " fonctionnaires zélés " s’en tirent ainsi à bon compte ?
Charles Nforgang (Jade)


Situation navrante à la prison de New-Bell
Des adultes logés au quartier des mineurs
Depuis le 3 septembre, le quartier des mineurs de la prison de New-Bell à Douala accueille 66 prisonniers adultes. Une situation provisoire, selon la direction, mais qui perturbe la vie des jeunes détenus.
L’incendie de la cellule 20 et de la cellule spéciale 18 a pris de court les autorités pénitentiaires de New-Bell. Les prisonniers qui y logeaient, parmi lesquels d’anciens dirigeants d’entreprises publiques et parapubliques, un magistrat municipal et deux avocats – pour ne citer que ces personnalités - ont été transférés dans le quartier des mineurs, le 3 septembre dernier.
Une mesure d’urgence, précise la direction de la prison qui promet la reconstruction des cellules dévastées, et, dans la foulée, reparle de la construction d’une grande prison d’environ 5 000 places, afin d’en finir avec une situation bien connue à Douala : initialement construite pour accueillir 850 détenus, l’actuelle prison en loge plus de 3 500. Bien que provisoire, ce relogement d’adultes dans un quartier réservé aux mineurs contrevient aux règles minima de détention des Nations Unies qui recommandent une parfaite séparation entre les différentes catégories de détenus, notamment entre les jeunes et les adultes.
Il remet en cause également tout un programme mis en place en faveur des mineurs prisonniers. Les 14 prisonniers, âgés de 15 à 18 ans, de cette cellule affirmaient avant l’arrivée des adultes, se sentir à l’aise dans leur quartier, ayant accès à la télévision qui diffuse des programmes des chaines locales et étrangères ; bénéficiant de l’eau courante et de l’électricité. Ils respectaient par ailleurs un programme de nettoyage de leurs cellules, affiché sur le mur derrière l’écran de télévision.

 

" C’est la catastrophe "
Mais ce cadre, malgré tout exigu, pourra-t-il supporter l’afflux d’un effectif supplémentaire de 66 détenus? Le " salon ", par exemple, qui mesure environ 3,5 m de long et 3 m de large, sert à la fois de lieu de réception, de classe d’étude et d’atelier de tissage pour les mineurs qui fabriquent des chapeaux et des sacs, sous la coordination d’un détenu adulte et maître mineur.
Me Emmanuel Abessolo, avocat au barreau du Cameroun, condamné dans l’affaire Etat du Cameroun et Port autonome de Douala contre les anciens responsables de cette société parapublique, n’apprécie pas cette promiscuité. "C’est la catastrophe. Certes nous occupons un côté de la cellule, mais pendant que vous y êtes, des enfants y font des études ", a-t-il regretté, lors de notre brève entrevue le 4 septembre.
Dans les dortoirs, des seaux, le couvert sont posés en-dessous du lit. Faute d’espace, les mineurs occupant l’étage supérieur disposent ces ustensiles sur le lit. Ainsi le quartier des mineurs de New-Bell, réputé pour être bien tenu, est devenu, en l’espace de quelques semaines, une geôle inconfortable. " Leurs conditions de détention sont des plus inhumaines ", a même commenté Me Charles Tchakounté Patié, lors de la visite rendu par le barreau des avocats aux détenus le 4 septembre.
Théodore Tchopa (Jade)


Téléphoner à la prison de New Bell
Assistance et argent au bout du coup de fil des détenus
Malgré son interdiction au sein de la prison, des détenus utilisent le téléphone portable pour demander un soutien familial, judiciaire ou développer leur activité commerciale, à leurs risques et périls.
Assis dans un coin de la prison, Ibrahim cache avec soin son téléphone portable qu’il détient par devers lui. De temps à autre, des détenus s’approchent de lui et après quelques secondes de causerie, les deux hommes se retirent dans un endroit calme de la prison où le premier donne au second, son téléphone portable afin qu’il puisse passer un appel. Le prix de la minute d’appel est connu : 100Fcfa. La communication dure près de trois minutes et Ibrahim perçoit 300Fcfa. Cinq minutes plus tard, les deux hommes sont de retour. La scène se répète plusieurs fois dans la journée avec d’autres détenus.
Bien qu’interdit au sein de la prison centrale de Douala, nombreux sont les bagnards qui ont en leur possession des téléphones portables. Certains ont choisi de commercialiser les appels. Alors que les détenteurs des téléphones portables sont attirés par l’argent, les autres détenus sont motivés par le désir de communiquer avec leurs proches ou avocats. « J’appelle souvent mes parents pour leur demander soit un médicament si je suis malade ; ou encore de l’argent quand je n’en n’ai plus», informe Pascal qui vient de passer un appel. D’autres détenus soutiennent appeler leur avocat afin que ce dernier viennent à la prison pour qu’ils travaillent sur leur dossier et sur la stratégie à adopter le jour du procès. Pour d’autres encore, « il faut appeler l’extérieur pour qu’on m’aide à payer mes dépens afin que je sois libéré », informe Bruno.

 

Cellule disciplinaire comme sanction
Cependant, les détenus s’accordent à dire que le téléphone portable est beaucoup plus utilisé pour ceux des détenus qui ne bénéficient pas des sorties. Cependant, à en croire Me Madeleine Nsali Mbebi, défenseur des droits de l’homme, « la communication des détenus est permise et les détenus utilisent souvent le téléphone pour communiquer avec leurs avocats ou leur familles et connaissances », informe-t-elle. Pourtant, l’activité est risquée ; car, « l’usage du téléphone portable par les prisonniers est interdit au sein de la prison centrale de Douala », informe un  gardien de prison. A en croire ce dernier, « tout détenu saisi en possession d’un téléphone portable est interpellé et conduit en cellule disciplinaire (Cd). Son téléphone est également confisqué ». La cellule disciplinaire est une cellule très obscure. Elle possède juste un tout petit trou d’aération que les détenus se disputent pour voir la lumière du jour. C’est dans cette cellule que le détenu est gardé trois ou cinq jours en guise de sanction.
Un risque qui ne décourage pas pour autant les prisonniers. Car, « lorsqu’un garde prisonnier nous saisi, si on peut négocier, on n’hésite pas à le faire. Lorsque ce n’est pas possible, nous sommes sanctionné et envoyé en Cd (cellule disciplinaire) », explique Pascal. Mais, après leur sortie de la Cd, les prisonniers ne s’arrêtent pas là. Ils recommencent de plus belle. Car, pour les détenus, « si nous devons arrêter de le faire, cela veut dire que nous signons notre arrêt de mort. Et si on le fait, comment ferons-nous pour survivre pendant notre incarcération ? », s’accordent-ils à dire.

Pour assurer sa survie
D’autres détenus sont plutôt attirés par l’argent. «Je vends la minute à 100Fcfa quel que soit l’opérateur ; que ce soit Mtn ou Orange. La minute à Mtn me revient à 60Fcfa et celle d’Orange, à 69Fcfa. Donc, je gagne 40Fcfa ou 31Fcfa par minute d’appel en fonction de l’opérateur choisi », informe Honoré, un autre détenu qui fait du « call box ». Ce dernier affirme réaliser un bénéfice journalier qui peut aller jusqu’à 2000Fcfa. Pascal qui, lui, n’a qu’un seul opérateur affirme réaliser un bénéfice journalier qui varie entre 800Fcfa et 1000Fcfa.
Pourtant, il n’y a pas que les appels téléphoniques qui soient payant. Les réceptions d’appels également ne sont pas gratuites. « Si tu n’a pas assez d’argent pour appeler tu peux biper un numéro. Et, si la personne que tu bipes appelle, après la causerie, tu paies le propriétaire du téléphone », explique un détenu. Dans ce cas, le propriétaire du téléphone perçoit la somme de 100Fcfa. Toute chose qui accroit les gains journaliers des propriétaires des « call box » et leur permet d’améliorer leurs conditions de détention. «Cela nous permet de nous offrir des repas copieux, de nous vêtir décemment », se réjouit Ibrahim.
Blaise Djouokep (Jade)


Obligé d’assumer soins et nourriture
Un détenu veut porter plainte contre l’Etat
Au Cameroun, les détenus n’ont droit qu’à un maigre repas quotidien, et qu’aux premiers soins en cas de maladie. Il ne faut pas être pauvres pour bien manger et être bien soignés. Daniel Bissong, un condamné à mort victime de cette situation, veut poursuivre l’Etat en justice pour obtenir réparation.
Condamné à mort pour coaction de vol aggravé avec port d’arme, Daniel Bissong entame sa quinzième année de détention. Il traîne, depuis 2008, des douleurs à la colonne vertébrale, consécutives à une chute. Son pied droit présente au niveau de la cheville une deuxième fracture qui montre, à l’œil nu, une délimitation d’os mal relié. Un cliché de radio, qu’il exhibe, laisse entrevoir la présence de huit balles de fusils logés au niveau de la cuisse. Son carnet médical confirme la présence de ces trois anomalies qui nécessitent des consultations chez des spécialistes et des traitements onéreux.

 

Pas de dotations
Faute d’argent, ce détenu de la prison de Nkongsamba reste sans soins. "Je dois moi-même les supporter. Je le faisais par le passé, mais, depuis que je n’ai plus de ressources, je suis là et me contente de calmants", explique-t-il.
En effet, la prison de Nkongsamba où il est interné - comme d’ailleurs toutes les prisons du Cameroun - ne reçoit pas de dotations pour supporter les consultations de détenus auprès de spécialistes  et encore moins pour payer les examens médicaux. "Notre infirmerie, qui compte un médecin, reçoit de l’Etat des dotations en médicaments qui nous permettent de prendre en charge le malade pendant une à deux semaines… Si, au bout de cette période, il ne retrouve pas guérison, nous faisons appel à sa famille", explique sous anonymat un infirmier de cette prison. Plus explicite, Ngomba Arnold, le régisseur, soutient que les examens à faire et qui se font en dehors de l’infirmerie de la prison sont à la charge du détenu, tout comme les médicaments que l’infirmerie n’a pas.  Consultations chez des spécialistes et hospitalisations sont supportées par le détenu; quelques fois, la prison sollicite l’aide de bonnes volontés, dont des religieux pour assumer ces soins.
Pauvres, abandonnés par leurs familles, de nombreux détenus ne sont généralement conduits à l’hôpital qu’à l’article de la mort. Bien plus, le transfert à l’hôpital est conditionné par le visa du régisseur pour les condamnés ou du procureur pour les prévenus. Souvent ces autorisations d’extraction de la prison arrivent trop tard.

Traitements inhumains
Daniel Bissong, qui suivait normalement des soins à Douala où il était interné avant son transfert à Nkongsamba déplore aussi le manque de spécialistes dans cette ville. "A chaque consultation, (Ndlr : montrant son carnet), le médecin me réfère chez des spécialistes qui n’exercent pas à Nkongsamba, mais à Yaoundé et Douala où je suivais déjà des soins. J’ai multiplié des requêtes pour y être transféré. En vain", explique-t-il en présentant les copies de ses requêtes. A la différence d’autres détenus qui connaissent la même situation, ce condamné à mort se réserve le droit de porter plainte contre ses geôliers et l’Etat du Cameroun.
A raison ! Car les règles minima pour le traitement des détenus édictées par les Nations unies recommandent la prise en charge totale des détenus. "Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils", précise une disposition relative à la santé.
Les soins au rabais vont généralement de pair avec une ration alimentaire, unique et déséquilibrée. Les plus nantis la complètent par de la nourriture ramenée par leurs parents, ou achetée. Une situation dénoncée par Olivier de Shutter, rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, qui a visité le Cameroun en juillet dernier. "Lorsqu'un Etat décide de priver une personne de sa liberté, il s'engage à la traiter avec humanité et à lui garantir des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine et n'aboutissant pas à des traitements inhumains ou dégradants", précisait-il dans une note préliminaire à sa visite. "Ceci implique notamment qu'il doit lui fournir une nourriture suffisante et adéquate, sans que la possibilité pour le détenu de s'alimenter correctement dépende de ce que la famille lui apporte. L'argument d'une insuffisance des ressources budgétaires disponibles ne saurait être retenu", dénonçait-il.
Quelques détenus victimes de traitements inhumains et dégradants ont souvent poursuivi l’Etat en justice et obtenu gain de cause. Albert Mukong, homme politique et militant des droits de l’Homme, plusieurs fois incarcéré, avait ainsi gagné en 2001 un procès contre l'Etat du Cameroun devant la commission des droits de l’homme de l’Onu à Genève. Il avait été dédommagé à hauteur de plusieurs dizaines de millions de Fcfa.
Charles Nforgang, (Jade)


Pratique encore trop courante à Douala
Des policiers torturent pour faire avouer des suspects
A Douala, certaines forces du maintien de l’ordre s’adonnent à des actes de torture et autres traitements dégradants pour arracher des aveux aux suspects. En violation du code de procédure pénale.
«Tu me prends pour un menteur ? Ne m’as-tu pas avoué, hier, que tu avais son numéro de téléphone ? Tu ne sais pas à qui tu as affaire ; je vais te montrer qui je suis », menace, noir de colère, l’officier de police qui assène gifles et coups de pied à Florent P. qui continue de nier les faits. Dépassé, le bonhomme à la barbe dure fond en larmes devant des usagers médusés, ce vendredi du mois d’août 2012 au commissariat central No 2 de Douala.
Accusé d’avoir planifié le vol du véhicule de son patron, il s’est présenté à la première convocation de la police au cours de  laquelle il lui a été demandé de donner le numéro de téléphone de son complice. «Je n’ai jamais reconnu avoir organisé le vol de cette voiture ou avoir le numéro de téléphone d’un des voleurs», clame-t-il sans cesse. A cette réponse,  le fonctionnaire de police, contrarié, riposte violemment et laisse des dégâts. «La tempe gauche du gars est enflée», fait prudemment remarquer un usager.
Même s’il n’a pas reçu de pareils coups, Serges Nonga garde un mauvais souvenir du commissariat du 7eme arrondissement de Douala. «En 2011, j’avais du mal à rembourser une dette. Mécontent, le monsieur qui m’a prêté de l’argent s’est plaint à la police. A ma grande surprise, l’enquêteur menaçait de m’envoyer en prison si je n’admettais pas avoir promis un lopin de terre en contrepartie au prêteur. C’était un complot fomenté pour me nuire», raconte le quinquagénaire, qui fut jeté en cellule puis extrait avant d’être contraint de verser une importante somme d’argent au plaignant afin de reconsidérer la version des faits.

 

Cupidité des brebis galeuses
Dans la plupart des unités de police de la capitale économique, la pratique est courante. Certains agents de police, à la quête des aveux, ne se cachent plus pour torturer des suspects. Selon un officier de police judiciaire qui a requis l’anonymat, cela fait partie d’un jeu. «Certains hommes en tenue habitués à auditionner des délinquants de grand chemin usent de ces méthodes pour dénouer des situations rendues difficiles par l’arrogance ou le silence complice de ces délinquants», explique-t-il, avant de regretter que «ces pratiques d’une autre époque persistent à cause de la cupidité des brebis galeuses».
La violence policière est imprévisible et peut avoir des conséquences graves. «Mon petit frère a été sauvagement molesté dans un commissariat pour une accusation qu’on voulait lui coller. Il traîne, depuis, un mal de tête malgré les multiples consultations médicales», explique une dame. Redoutant leur brutalité, des personnes qui ont affaire aux forces de police, pratiquent la corruption pour espérer sortir du pétrin. Mais, cette approche ne garantit pas toujours le salut. En 2011, Souleymane, un jeune homme de 20 ans, est mort après avoir passé dix jours menotté dans une cellule de la brigade de gendarmerie de l’aéroport. Sa famille avait proposé de verser 500.000 Fcfa pour faire cesser la torture dont il était victime. La brigade avait jugé la somme insuffisante . Et le pire est arrivé…

Disposition légale sacrifiée
Pour Me Sterling Minou, avocat au barreau du Cameroun, la torture et tous les autres traitements dégradants dans les unités de police sont inacceptables. « Ces méthodes barbares sont à condamner avec la dernière énergie . D’ailleurs, il faut que les policiers, qui les pratiquent, sachent que leur tenue ne peut servir d’immunité en cas d’atteinte à l’intégrité physique de la victime », indique le défenseur des droits humains. Il indique cependant que ces pratiques sont en net recul, du fait des dénonciations.   
Qu’elle soit une conséquence de la corruption ou du zèle, la torture des suspects est interdite par la loi. En effet, l’article 122 alinéa 2 du code de procédure pénale stipule que «le suspect ne sera point soumis à la contrainte physique ou mentale, à la torture, à la violence, à la menace ou à tout autre moyen de pression, à la tromperie, à des manœuvres insidieuses, à des suggestions fallacieuses, à des interrogatoires prolongés, à l’hypnose, à l’administration de drogues ou à tout autre procédé de nature à compromettre ou à réduire sa liberté d’action ou de décision, à altérer sa mémoire ou son discernement». Une disposition légale sacrifiée par des hommes en tenue.
Christian Locka (Jade)


A la prison principale de Foumban
Un condamné à mort soigne ses codétenus
Il s’est formé et a gagné la confiance des gardiens : Amza Ndam, un condamné à mort, aide les services médicaux du pénitencier à soigner les malades.
A l’entendre parler de médecine, difficile d’imaginer qu’Amza Ndam, est un détenu. Condamné à mort pour vol aggravé et assassinat, il est pensionnaire de la prison principale de Foumban depuis 1992. Son respect de la discipline lui a valu de bénéficier d’une formation de quatre mois à l’hôpital de district de Foumban. La Giz, (coopération allemande) viendra par la suite compléter ce cursus, en le formant comme "pair éducateur" pour la détection du sida et de la tuberculose. Grâce à cet enseignement, Amza aide l’infirmier de la prison dans l’accomplissement de ses tâches.

 

Un assistant efficace
Il fait des diagnostics. "On nous a montré comment reconnaître les symptômes de plusieurs maladies comme le sida,  la tuberculose, etc. J’approche le malade pour qu’il me décrive son mal. Ensuite, je lui indique la conduite à suivre", explique l’aide-soignant.
Blessures, toux, maux de ventre…sont autant de petites infections qu’Amza soigne lui-même. Quand la maladie est grave, il dirige le patient vers l’infirmier de la prison. Et, en cas d’urgence, téléphone au personnel médical, qui lui indique la conduite à suivre. "Je dis à l’infirmier qu’il y a un cas qui me dépasse. Il m’explique ce qu’il faut faire".  Amza prescrit alors au malade les médicaments à prendre et leur dose, et, si besoin, fait des injections et place des perfusions. La nuit, le condamné à mort veille parfois sur les malades.
Des livres et documents offerts par la Giz et une congrégation religieuse américaine, l’aident dans sa tâche. "Je les lis très souvent et j’applique les consignes pour ne pas faire d’erreur médicale", précise-t-il.
Amza prodigue également les premiers soins aux détenus en cas d’absence du médecin, qu’il assiste parfois dans ses consultations. Et pour mettre en valeur ce travail collectif, il emploie souvent le "nous" : "Si tu es tuberculeux nous te mettons sous traitement" ou encore "Ensemble, nous pratiquons les tests de dépistage du VIH sida". Ce " pair éducateur " chevronné a, par ailleurs, tenu six causeries éducatives, entre janvier et juin 2010, sur le VIH sida, le choléra et la tuberculose.

" Les détenus sont mesquins "
Ce métier d’assistant à l’infirmerie n’est pas de tout repos. "Les détenus sont des gens mesquins. Croyant que j’ai en ma possession un paquet de médicaments, ils me prennent souvent à partie. Car ils pensent que je refuse de leur en donner", regrette Amza. En dépit de ces altercations, le condamné à mort trouve toujours la force de pardonner. "Celui qui a reçu une formation en médecine ne doit pas être rancunier. Sinon, tu vas donner un faux traitement au patient. Il en souffrira", affirme-t-il.
Sa condamnation à mort ne l’empêche pas d’avoir l’ambition d’exercer comme aide soignant dans une officine de Foumban. Ce rêve ne pourra se réaliser que s’il bénéficie d’une peine d’emprisonnement à durée limitée, qui lui permettrait de faire appliquer les règles minima des Nations Unies concernant la réinsertion des détenus à leur libération (1). Mais le pourvoi en cassation qu’il a introduit dès 2003 a échoué. Et les différentes grâces présidentielles, qui auraient permis de réduire sa peine, n’ont rien changé au statut de Amza, qui n’a pu obtenir un extrait de la décision de la cour suprême.
Et pourtant,  l’administration pénitentiaire apprécie le travail de ce condamné à mort hors du commun. "Il est la courroie de transmission entre les détenus et le personnel de la prison. Quand un cas de maladie se présente, il est le premier à le savoir. Il nous alerte et, par ricochet, saisit l’équipe médicale", souligne Zacharie Sangou, le régisseur par intérim de la prison principale de Foumban.
Anne Matho (Jade)
(1) Ces règles minima stipulent que les prisonniers ont le droit d’exercer un travail. "Cette occupation, prescrivent les Nations Unies, doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération».


Arrestations et gardes à vue illégales.
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Alors qu’ils s’apprêtaient à manifester publiquement, des étudiants ont été violentés, arrêtés et gardés à vue sans aucune plainte et présenté au procureur qui les a condamnés. Or la loi ne punit que les faits, pas les intentions.
Hervé Zouabet n’a pas perdu le moral. "C’est vrai que maintenant, je peux être considéré comme un prisonnier en liberté, car je risque un an de prison au moindre faux pas qui me conduiraient de nouveau devant les tribunaux, mais le combat continue", soutient-il. Président de l’association de défense des droits des étudiants (Addec), il a été condamné, le 31 juillet dernier, avec trois autres étudiants par le tribunal de première instance de Mfou à un an d’emprisonnement avec sursis pendant trois ans. Il leur était alors  reproché d’avoir, un mois auparavant, organisé une manifestation non-autorisée au nom du collectif "Sauvons l’université de Yaoundé II". Ces étudiants ont été appréhendés avant même de commencer à manifester pour réclamer le départ du recteur de cette université reconnu coupable de faute de gestion par le conseil supérieur de l’Etat.

 

Pas de faits
Pour les défenseurs des droits humains, c’est moins le verdict du tribunal que les conditions de l’arrestation, de la garde à vue et de la qualification des faits qui fâchent. "Avant que la manifestation projetée ait eu lieu, ils ont été kidnappés pour l’un et arrêtés pour les trois autres par le commissaire qui avait été saisi par une lettre du recteur qui lui demandait  de venir assurer la sécurité autour et au sein du campus. Ayant refusé de faire des déclarations, ce commissaire a maintenu leur garde à vue, qui s’est prolongée jusqu’à dimanche sans que le procureur de la République en soit informé ", dénonce Me Hyppolite Meli, avocat au barreau du Cameroun qui a suivi l’affaire de près.
L’homme de droit soutient que le commissaire est un officier de police judiciaire qui agit sous le contrôle et sous l’autorité du procureur de la République. Ce dernier doit être informé. "Ces arrestations sont sans fondements car il n’y avait ni plainte, ni manifestation en cours. Le commissaire s’est comporté comme si la loi pénale réprimait les intentions : dans son procès verbal, il avait qualifié ces faits d’incitation à la révolte et atteinte à la sûreté de l’Etat pour qu’au parquet on les requalifie en manifestation et réunion non déclarée. La loi pénale ne réprime pas les intentions, elle réprime les faits concrets, des faits qui peuvent être rapportés par une preuve.  Or dans ce cas là, il n’y en avait pas", se récrie Me Meli.

Violences physiques
Par ailleurs, l’arrestation des étudiants ne s’est pas opérée sans heurts. Trois d’entre eux seront contraints de monter dans le car de police à coups de matraques. Zouankou, l’un d’eux, sera grièvement blessé au coude. "On n’a tapé, ni violenté personne. On a demandé aux étudiants de nous suivre, deux sont entrés sans problème dans la voiture, c’est le troisième qui a opposé une résistance, et puis l’article 30 du code de procédure pénale dans son alinéa 2 stipule : "L’officier de police judiciaire ou l’agent de la force de l’ordre qui procède à l’arrestation enjoint à la personne à arrêter de la suivre, en cas de refus, fait usage de tout moyen de coercition à la résistance de l’intéressé ". Cet article me donne l’autorisation de les arrêter par la force", justifie l’officier de police Akono qui pilotait les arrestations. Le même code de procédure pénale condamne pourtant la violence au cours des arrestations. " Aucune atteinte ne doit être portée à l’intégrité physique ou morale de la personne appréhendée ", recommande l’alinéa 4 de l’article 30 du code. " Rien ne peut justifier la violence, rien du tout. Ils ont été molestés. Il s’agit d’une violence gratuite qui ne peut se justifier par quoi que ce soit ", précise Me Meli.
Ramenés au commissariat, les étudiants seront enfermés dans une cellule obscure et puante, couchant à même le sol et devant compter sur leurs proches pour être nourris. Ils seront présentés au procureur trois jours plus tard et autorisés à comparaître libres. Des conditions de détention en contradiction avec les règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies et la convention des Nations Unies contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants ratifiées par le Cameroun. Ce qui fait dire à Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, "qu’il existe un réel problème d’application des textes que le Cameroun a lui-même ratifiés". Des sanctions sont régulièrement infligées aux agents de la police, de la gendarmerie et de l’administration pénitentiaire responsables de tortures, de violations des droits humains et de traitements dégradants sur des citoyens. Ces sanctions (blâmes ou révocations) sont loin de dissuader les forces de l’ordre qui sont de plus en plus "zélées".
Béatrice Kaze (Jade)
Maître Eric Nachou Tchoumi, avocat : " Garantir l’intégrité physique du suspect"  
Qu’est ce qu’une arrestation au sens juridique du terme ?
L’arrestation telle que définit par les articles 30 du code de procédure pénal consiste à appréhender une personne en vue de la présenter devant l’autorité qui a décerné un mandat contre elle ou alors devant une autorité chargée d’ouvrir une enquête. L’arrestation s’effectue sur une personne suspectée d’avoir commis une infraction ou déjà condamnée.

Qui est habileté à effectuer une arrestation ?
Il s'agit en premier chef des agents et officiers de Police judiciaire qui sont généralement des policiers et des gendarmes. C’est à eux que la loi donne prioritairement compétence pour effectuer des arrestations. Mais seulement, le code va plus loin et précise que s’agissant d’un crime ou d’un délit flagrant, toute personne peut arrêter une personne suspectée d’avoir commis une infraction. C'est-à-dire, lorsque vous vous retrouvez dans un endroit où quelqu’un est en train de commettre  une infraction, la loi vous donne le pouvoir d’arrêter cette personne et de la conduire auprès de l’autorité chargé d’ouvrir une enquête. Tout magistrat témoin d’une infraction a également ce pouvoir à savoir, appréhender une personne suspectée d’avoir commis une infraction en vue de la présenter devant une autorité qui devra enclencher véritablement une procédure.

Y a-t-il des règles à respecter pendant une arrestation?
L’arrestation doit s’effectuer de manière à garantir l’intégrité physique du suspect. Il peut arriver que le suspect oppose une résistance. La loi donne dans ce cas le pouvoir aux officiers de police judiciaire (OPJ) d'appliquer à ce suspect une riposte en rapport avec sa résistance. C'est-à-dire lorsqu’un OPJ vient vous arrêter, si vous opposez une résistance, par exemple si vous sortez une arme blanche, les OPJ doivent utiliser des moyens proportionnels pour parvenir à votre arrestation.

En cas de non respect de ces dispositions, que peut faire le suspect ?
En cas d’abus, donc, de violation des droits inhérents à cette personne suspectée. Dans un premier temps, ces abus peuvent entraîner plus tard la nullité de la procédure. Je prends le cas d’une personne qui a commis une infraction depuis 2 ans, qu’on vienne arrêter comme s’il s’agissait d’un flagrant délit. C’est un vice dans  la procédure pénale qui peut entraîner plus tard la nullité de toute la procédure contre cette personne. Et si la procédure se termine par un non lieu, la victime peut se retourner contre les auteurs de cette arrestation dans la mesure où cela  peut être assimilé à une séquestration. Je prends le cas des arrestations sans titre, sans qu’il y ait une véritable suspicion, ça peut donner lieu à une action récursoire de cette personne contre ces agents de police judiciaire coupable de cette arrestation illégale.
L’arrestation se fait au vu d’un mandat de justice c'est-à-dire, un mandat d’amener, un mandat d’incarcération, d’arrêt, bref, des mandats délivrés par des autorités judiciaires ou juridictionnelles. Elle peut être effectuée sans ces mandats notamment en cas de flagrant délit. L’arrestation ne débouche pas forcement sur une garde à vue. On peut vous arrêter et vous présenter devant une autorité qui seul décidera selon les circonstances et au regard de la loi de votre garde à vue s’il s’agit d’un OPJ ou de votre détention s’il s’agit d’un magistrat. Donc, il ya lieu de faire un distinguo entre la garde à vue qui est une mesure de privation réel de liberté dans un local aménagé à cet effet dans une unité de police judiciaire à l’arrestation qui est un acte qui consiste à vous appréhender pour vous conduire devant cette autorité. Elle peut aboutir à une relaxe ou à une garde à vue, une détention provisoire, ou une incarcération si votre condamnation a été prononcée etc.
Entretien réalisé par Anne Matho (Jade)


A la prison principale de Foumban
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Faute de véhicules, des détenus de la prison principale de Foumban doivent payer eux-mêmes les frais de transport pour leur transfèrement au tribunal.  D’autres sont menottés et exposés à la vue du public, en violation des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers.
Menottés deux à deux, huit détenus répartis en deux rangs, se frayent un chemin entre les herbes envahissant la petite piste qui conduit à la prison principale de Foumban. Ce soir, ils sont encadrés par deux gardiens armés. "Nous rentrons juste du tribunal", indique l’un d’eux. Le pénitencier ne possède pas de véhicule pour le transfèrement des détenus. Conséquence, "ils se rendent aux différentes audiences à pied et escortés", explique Zacharie Sangou, le régisseur par intérim de la prison principale. Il affirme ne pas savoir pourquoi ces huit prisonniers sont menottés. "Hier, j’étais à Yaoundé. Je n’ai pas pris connaissance de cette information. Je vais m’enquérir de la situation auprès de mes collaborateurs", affirme-t-il. Prenant leur défense, le régisseur justifie par ailleurs l’utilisation des menottes. "En cours de route, un détenu a dû créer un problème, comme par exemple : donner des coups de poings à un geôlier ou à un camarade", estime-t-il. Selon Zacharie Sangou, l’emploi des menottes est une précaution qui permet aux gardiens de prison de se protéger : "En cas d’évasion, le geôlier peut être accusé de complicité. Il s’expose ainsi à des sanctions pénales et administratives". Dans tous les cas, poursuit-il, les détenus comparaissent sans menottes.

 

Exposés à la vue du public
Mais comment justifier que les prisonniers soient exposés à la vue de tous ? "Les gens nous insultent, se moquent de nous, nous traitent de voleurs… ", déplore Sandrine B. Au Cameroun les détenus ne sont pas transférés dans la discrétion, en violation des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers. "Lorsque les prisonniers sont amenés à l'établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de la curiosité du public et de toute espèce de publicité", précisent les Nations Unies. Pour certains d’entre eux, cette situation est plus une contrainte qu’un affront. "On est obligé de se déplacer à pied sur plus d’un kilomètre et demi. Quand la journée est ensoleillée, on est assuré d’avoir des maux de tête au retour", affirme Ayi Agny Augustin, un détenu qui se plaint de s'être rendu plus de trente deux fois au tribunal en trois ans, sans être jugé.
La situation est plus difficile pour ceux qui ont fait appel d’une décision de justice. Ils doivent emprunter à leurs frais des moyens de transport pour se rendre à la cour d’appel de Bafoussam. Du coup, ils doivent débourser jusqu’à 4000 FCfa pour supporter les coûts de leur transport et ceux des geôliers qui les escortent. N’ayant pas d’argent pour effectuer des allers-retours, les détenus démunis sont obligés d’adresser une demande au délégué régional de l’administration pénitentiaire afin d’obtenir un transfèrement à la prison de Bafoussam. "Ils trouvent préférable d’aller purger leur peine dans cette ville pour ne plus payer les frais de taxi et honorer facilement leur convocation au tribunal", explique le régisseur.
La situation a heureusement évolué, depuis dix ans, avec la création par le tribunal militaire de Bafoussam d’un bureau à Foumban. Cela permet aux détenus accusés de crime à mains armés de ne plus débourser de l’argent pour répondre à la convocation des juges. "Le tribunal militaire accorde une audience aux détenus, chaque semaine, dans ce bureau", assure Zacharie Sangou.

Des geôliers en danger
L’absence de véhicules roulants pourrait aussi s’avérer dangereuse pour les gardiens de prison, même si, jusqu’à présent, aucune évasion n’a été enregistrée pendant les transfèrements à pied. "Les détenus reviennent souvent des escortes à des heures tardives. Dans l’obscurité, nous, les geôliers, ne sommes pas à l’abri des agressions. C’est d’autant plus dangereux qu’en ce moment le taux de criminalité a augmenté", indique Sam Moukolo, un major-chef de la prison.
Chargé de programmes à l’Action des chrétiens contre l'abolition de la torture (Acat Cameroun), Armand Matna dénonce l’absence de moyens de transport pour les détenus de la prison principale de Foumban. " Il revient au gouvernement de doter les prisons de véhicules pour le transfert des détenus", affirme-t-il. Cette position est  celle défendue par les Nations Unies. "Le transport des détenus doit se faire aux frais de l'administration et sur un pied d'égalité pour tous", recommande l’organisation internationale dans ses règles minima pour le traitement des détenus.
Anne Matho (Jade)


Réinsertion des détenus mineurs
Sortis de New-Bell, ils se forment et travaillent
Ils font dans les arts plastiques, la mécanique auto, la menuiserie ou la soudure pour gagner honnêtement leur vie et trouver leur place dans la société. Un modèle de réinsertion avec l’ONG "Charité sociale humanitaire " (Chasoh), qui affirme avoir casé 150 jeunes sortis de la prison de New-Bell à Douala.
Bernard Ajarb, cheveux courts, promène sa grande taille dans une salle de cinq mètres carrés encombrée par des toiles. Il est à la recherche d’un pinceau. Ce matin de juillet 2012, son agenda prévoit le portrait d’une dame. Un exercice qui peut durer des heures, voire des jours. "Il faut prendre son temps pour ressortir tous les aspects. Je fais rarement des portraits. Jusqu’ici, la plupart de mes toiles sont des paysages", lâche t-il avec un sourire.

 

50.000 F par tableau
L’histoire d’amour entre Bernard et les arts plastiques remonte au lendemain de son incarcération pour vol à la prison centrale de Douala en 2003. Approvisionné en matériaux par des âmes de bonne volonté, l’ex-mineur détenu faisait déjà de petits tableaux qu’il vendait aux visiteurs. A sa sortie de prison trois ans plus tard, il est approché par l’Ong "Charité Sociale Humanitaire "(Chasoh), qui se propose de soutenir son art. "Je n’ai plus de problème de matériaux. Le Chasoh s’occupe de ce volet et moi, je fais le travail. Quand nous vendons un tableau à 100.000 Fcfa par exemple, je peux gagner 40 à 50.000 Fcfa. Le reste est retenu par Chasoh pour l’achat du matériel", indique le jeune homme qui rêve déjà d’une carrière internationale.
Alain, lui, garde encore les pieds sur terre. Depuis que cet ex-détenu mineur a recouvré sa liberté après deux ans d’emprisonnement ferme pour complicité de vol à la prison de New Bell, il a bénéficié du même soutien que Bernard et se forme actuellement à la mécanique automobile dans un collège privé de la capitale économique.

150 ex-détenus réinsérés
Comme Bernard et Alain, de nombreux ex-détenus mineurs de la prison centrale de Douala ont été financièrement soutenus pour se former dans l’électricité, les arts plastiques, la mécanique auto, la soudure ou même le football. Selon madame Tagne Tapia, présidente du Chasoh, la continuité de la réinsertion socioprofessionnelle et familiale des ex-détenus mineurs se fait à plusieurs niveaux. "Nous laissons l’enfant choisir ce qu’il veut faire après sa sortie de prison. Certains préfèrent qu’on paie leur formation dans les établissements partenaires ; d’autres sont inscrits dans des lycées et collèges pour poursuivre leurs études ou dans des ateliers de formation pour apprendre à lire et à écrire. Il y en a aussi qui se forment en arts plastiques au centre", explique-t-elle.
En douze ans, l’organisation affirme avoir réinséré plus de cent cinquante ex-détenus mineurs de cette prison, parfois même en dehors du cadre de la formation. "Il arrive qu’après une seule causerie éducative et une prise en charge psychosociale, un jeune reprenne confiance en lui, revoie ses erreurs  et refasse sa vie sans plus passer par vous", indique Dame Magne. Elle ajoute cependant que les difficultés financières pourraient ralentir la passion qui anime le Chasoh.

Autonomie financière
En attendant, l’Ong peut encore compter sur le soutien de certains de ses anciens pensionnaires installés à leur compte ou qui travaillent dans des entreprises locales et internationales. Cette réussite socio-professionnelle crée de l’émulation dans la génération actuelle des ex-détenus mineurs en formation, à l’instar de Bernard. "Grâce aux toiles que je vends, j’ai de quoi manger et me payer le transport jusqu’à l’atelier. L’art n’est pas facile quand on n’a pas encore un nom. On peut passer six à huit mois sans vendre un tableau. Mais, quand je vois comment les grands frères ont réussi, ça me motive. Jusqu’ici, j’ai évolué avec d’autres artistes. En fin d’année, je compte organiser une exposition individuelle pour avoir plus d’autonomie financière", espère-t-il.
C’est également le souhait des Nations Unies qui, dans ses règles minima de traitement des détenus, recommandent qu’il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus et particulièrement aux jeunes. Avant de conclure que "ce travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération".  
Christian Locka (Jade)


A la prison centrale de Yaoundé
Des nourrissons font ''leurs premiers pas''
Des enfants naissent et vivent dans les prisons du Cameroun. Ils sont cinq de moins d’un an à la prison centrale Kondengui de Yaoundé. Une situation pointée du doigt par la Commission des droits de l’Homme et des libertés.
Odilon, un nourrisson d’un an fait ses premiers pas maladroits dans le local 16 de la prison centrale de Yaoundé. "Il essaie aussi de parler", nous dit Médard Koalang Bomotoliga, le régisseur. Il est né en prison, comme la fillette de dix mois du local 3 et les autres nourrissons de trois à quatre semaines qui tètent encore leurs mères.

 

"Détenus de fait "
Une délégation de la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (CNDHL), emmenée par son président Divine Chemuta Banda, a pu constater, le 16 juillet dernier, que cinq nouveaux nés sont "détenus de fait" à la maison d’arrêt de Kondengui. Elle s’est étonnée que ces enfants ne soient pas extraits de "ce milieu carcéral peu propice à leur éducation et à leur épanouissement". "Les mères refusent de se séparer de leur progéniture venue au monde en prison", a expliqué le régisseur, Médard Koalang Bomotoliga. Conscient de cette anomalie, le service social de l’établissement affirme envisager de les en faire sortir. D’autant plus que quatre femmes enceintes viennent tout juste de rejoindre le pénitencier où elles accoucheront. La CNDHL a demandé que les nouveaux nés soient retirés des lieux réservés aux malades indigents, afin de leur éviter toute contamination.

Pas de crèche
Si les lois du Cameroun sont muettes sur cette question des bambins nés en prison, les défenseurs des droits de l’Homme ont établi des règles précises les concernant. Exemple : "Lorsqu’il est permis aux mères détenues de conserver leurs nourrissons, des dispositions doivent être prises pour organiser une crèche, dotée d’un personnel qualifié, où les nourrissons seront placés durant les moments où ils ne sont pas laissés aux soins de leurs mères" Or, pas de crèche ni de personnel qualifié à Kondengui.
Autres règles minimales : "Dans les établissements pour femmes, il doit y avoir les installations spéciales nécessaires pour le traitement des femmes enceintes, relevant de couches et convalescentes. Dans toute la mesure du possible, des dispositions doivent être prises pour que l’accouchement ait lieu dans un hôpital civil. Si l’enfant est né en prison, il importe que l’acte de naissance n’en fasse pas mention." Là encore, la prison centrale est bien loin d’appliquer ces recommandations de simple humanité.

Victimes de la surpopulation
Il faut dire que la promiscuité y est la chose la mieux partagée. Les chiffres parlent : prévu pour 800 détenus, le pénitencier en détient aujourd’hui 3 992, dont 114 femmes et 211 mineurs (cinq filles), auxquels il faut ajouter les 2 658 prévenus (93 femmes) victimes des lenteurs judiciaires.
Au quartier 5, qui abrite les femmes, les conditions de vie sont certes plus favorables. Elles subissent moins surpopulation et étouffement, bénéficient même d’un climatiseur. Les plus aisées peuvent avoir des employées en échange d’une ration alimentaire quotidienne. On est loin des quartiers 8 et 9, les plus pourris, baptisés Kosovo 1 et 2, réservés aux prévenus et condamnés les plus pauvres, sans se rapprocher tout à fait des conditions confortables des pensionnaires les mieux nantis.
En dépit des difficultés administratives à gérer cette surpopulation,  ne serait-il pas possible de construire des nids un peu plus douillets pour cinq nourrissons innocents et les quatre qui vont naître bientôt ?
Léger Ntiga (Jade)


En conflit foncier avec une ministre
Un paysan croupit dans une cellule pendant plus  de trente jours
La gendarmerie de Mfou a retenu Atangana Ndoubena dans ses cellules, pendant plus de trente jours. Une violation flagrante de la loi, tolérée suite à un conflit de terre entre le prévenu et la ministre déléguée au ministère de l’Agriculture, indiquent des sources concordantes.
Atangana Ndoubena, un paysan est assis à même le sol dans la cour de la compagnie de gendarmerie de Mfou, à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé. Ce mercredi 18 juillet, il était à son trentième jour de garde à vue dans cette unité de la gendarmerie nationale. Il y était alors retenu depuis le 18 juin 2012.
On lui a permis d’en sortir pour discuter avec quelques membres de sa famille, visiblement préoccupés. Parmi eux, son épouse, qui a les traits tirés par la fatigue, due aux multiples va et vient qu’elle fait entre Yaoundé et Mfou, pour lui apporter sa ration alimentaire ainsi que ses médicaments qu’il garde toujours sur lui, du fait de sa santé fragile. Atangana Ndoubena ne profitera pas très longtemps de ce moment de communion avec sa famille, c’est déjà l’heure de retourner dans sa cellule.

 

Plainte ou pas ?
Le nouveau commandant de la compagnie de Mfou, qui nous reçoit, vient de prendre le service, à la faveur des dernières nominations au ministère de la Défense. Ce jeune capitaine est en poste depuis le début de la semaine, et avoue son incapacité à nous fournir des informations. Tout juste, nous indique-t-il, qu’il s’agit d’une garde à vue administrative. C’est son prédécesseur, muté dans la région de l’Est, qui a ouvert ce  dossier. " On  a dit à mon père qu’une plainte avait été déposée contre lui. Il a insisté pour qu’on la lui montre. Cela n’a jamais été fait", regrette Lucien Okala, le fils de M. Atangana.
Mais, selon plusieurs sources concordantes, cette arrestation aurait été exécutée à la demande de la ministre déléguée au ministère de l’Agriculture, Mme Clémentine Ananga Messina, avec qui Atangana Ndoubena a une brouille dans une transaction de vente de terrain. Ce cas a ému le président du Mouvement sans frontières de défense des droits de l’Homme dont le bureau est à Mfou. Jean Didier Mbida Ndounda, ancien sous-préfet, raconte qu’il en a été informé par un huissier de justice. "Approchez-vous du préfet qui a signé la garde-à-vue", lâche-t-il dans un premier temps. Avant de se résoudre à  en dire plus.
ll raconte alors sa mésaventure à la compagnie de gendarmerie de Mfou. "Informés de l’incarcération d’Atangana Ndoubena, le directeur du personnel, la trésorière adjointe du Mouvement et moi-même sommes allés à la compagnie de gendarmerie de Mfou le 16 juillet. Nous avons obtenu l’extraction du gardé à vue. Pendant que nous discutions, l’ex-commandant de la compagnie a surgi, en colère, s’offusquant de ce qu’un gardé à vue soit extrait de sa cellule. Il nous a ordonné de sortir de la compagnie. La trésorière adjointe, qui m’accompagnait, a rappelé que la compagnie de gendarmerie était un service public. Aussitôt, des gendarmes, qui voulaient récupérer les notes de notre entretien avec Atangana Ndoubena, l’ont brutalisée. Ça a provoqué un attroupement".
Furieux, Jean Didier Mbida Ndounda promet de donner une suite à cet acte de violence contre sa collaboratrice. Il a adressé au préfet de la Mefou et Afamba un rapport sur cet incident qu’il juge grave et prépare une correspondance similaire pour le commandant de la légion de gendarmerie du Centre.  

La garde à vue en question
Comment savoir si "l’escroquerie foncière et la double vente de terrain", motifs qui seraient contenus dans la plainte contre Atangana, peuvent justifier une garde à vue administrative ? A la préfecture de la Mefou et Afamba, les services nous indiquent que le préfet, susceptible de répondre à notre question, est en mission à Akonolinga, pour une réunion régionale.
La  garde à vue administrative fait justement débat. Les autorités s’appuient sur la loi du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre, qui permet à un gouverneur ou à un préfet d’ordonner la détention administrative, pour quinze jours renouvelables, de personnes dans le but de maintenir ou restaurer l’ordre public, et dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. Me Sterling Minou, dans un article de JADE (Journalistes en Afrique pour le Développement)  en novembre 2011, faisait une analyse différente : "(…) L’article 746 (1) du code de procédure pénale a tout tranché en stipulant que sont abrogées toutes dispositions antérieures [la loi du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre, ndlr] contraires à la présente loi. L’article 2 précisant que le dit code est d'application générale sous réserve de certaines dispositions prévues par le Code de Justice Militaire ou des textes particuliers".
Jeudi 19 juillet, Atangana Ndoubena a passé une nouvelle nuit dans les cellules de la compagnie de gendarmerie de Mfou. Il n'a été libéré que le vendredi 20, après 32 jours de détention.
Claude Tadjon (Jade)


Dans les prisons camerounaises
Les abandonnés galèrent pour survivre
Le budget alloué par l'Etat à la prise en charge des détenus est si maigre que ces derniers comptent sur leurs familles pour manger, dormir et se soigner. Si celles-ci les abandonnent, ils vivotent, ou meurent…
Le visiteur qui passe le portail entre la zone de fouille et le terrain de sport de la prison de New-Bell à Douala se croirait dans une foire. De nombreux jeunes détenus font l’aumône, criant à vous rompre les tympans. Le vacarme est encore plus assourdissant, un peu plus loin, sur le terrain qui mène aux cellules.  
"Grand ! J’ai été abandonné ici par ma famille et n'ai rien à manger." "Moi, je suis malade et je n'ai pas de l'argent pour me soigner, ma famille vit très loin au Nord du pays." "Regardez-moi ! S'il vous plaît. Je n'ai personne", s’égosillent les malheureux, maigres, les dents jaunies, couverts de gale, les cheveux ébouriffés, qui accompagnent nos pas.    
"Ce sont pour la plupart des détenus abandonnés par leurs familles qui en ont marre de leur mauvais comportement. Ils ne reçoivent généralement aucune visite et doivent quémander ou travailler pour les autres détenus pour survivre", explique un intendant de prison, et guide de circonstance. Le fonctionnaire ajoute que l'administration de la prison ne peut pas tout faire pour les pensionnaires de cette prison, toujours plus nombreux.

 

Une portion congrue
A quelques détails près, le même spectacle se reproduit dans les prisons de  Mbanga, Edéa, Ngambe où les détenus abandonnés racolent pour vivre. La ration pénale, constitué la plupart de temps de maïs mélangé à du haricot ou du riz est loin d'assurer l'équilibre alimentaire des détenus. Ceux qui reçoivent régulièrement des visites le comblent grâce aux repas ramenés par leur famille ou à la nourriture achetée dans les restaurants tenus par d'autres détenus. Sogmack Rosevelt,  condamné à 17 ans  de prison ferme à la prison de Ngambe, a toute l'attention de sa famille et mange à sa faim au point de se permettre quelques folies. "La famille m’a même envoyé l’argent de l’amende que j'ai dilapidé dans la mesure où j'ai encore du temps à passer ici… Quand je serai à moins d'un an de ma libération, elle me portera sûrement de l'argent pour la cause", se vante-t-il.  
Des prisonniers réussissent à compléter leur ration grâce aux revenus dégagés par une activité. Ils n’ont plus besoin de la parentèle. "Ça fait cinq ans que je suis ici ; beaucoup de membres de la famille qui m’aidaient sont morts. Je fabrique des chaînes, des gourmettes, des boucles, des bracelets. Le produit de la vente me permet alors de m'acheter du savon et de quoi manger pour compléter la minable ration pénale", explique Nyobe Billong Eric, en prison à Edéa.
L'assistance de la famille est tout aussi primordiale en cas de maladie. Les différentes infirmeries de la prison ne disposant de médicaments que pour des cas bénins. Tout traitement nécessitant des transferts dans des hôpitaux spécialisés ou la prescription de remèdes manquant à la pharmacie de la prison sont supportés par le détenu ou sa famille. Les abandonnés meurent alors faute de soins. Certains sont parfois aidés par les missionnaires et autres visiteurs des prisons. Une situation qui ne laisse pas indifférents les administrateurs de prison. "Cela serait une bonne chose d’améliorer les conditions de vie des détenus. Nous avons besoin de moulins à écraser le maïs, qui nous permettraient de varier et donc d’améliorer la ration pénale", explique  Mofa Godwin, le régisseur de la prison secondaire de Ngambe.

L’Etat n’assure pas
La galère des détenus abandonnés est la conséquence du budget minable qu'alloue  l'Etat pour la prise en charge des détenus. L'avocat Ngue Bong Simon Pierre accuse l’Etat de ne pas respecter la convention de Genève. "Celle-ci recommande que tout détenu doit recevoir de l'administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces".  Même accusation concernant les règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies qui stipulent : "Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils" aux frais de l'Etat.
Des manquements que l’homme de loi explique. "Dans le contexte général d’un pays pauvre, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un secteur comme la prison, qui n’est pas prioritaire, soit au niveau des standards internationaux lorsque que les secteurs  prioritaires comme l’éducation, la santé, les routes, l’agriculture ne sont déjà pas pourvus. Il faut compter aussi avec la corruption qui détourne les crédits de leur objectif de bonne gestion des prisons et nous empêche de nous rapprocher des minima internationaux", conclut Me Ngue Bong.
Christian Locka (Jade)


Pour une vie moins dure à New Bell
Des détenus cisèlent, sculptent, cousent…
Bijoux, œuvres d’art, sacs, restauration : les prisonniers de New Bell à Douala travaillent pour tenter de vivre mieux. Des "petits" métiers encouragés par les Nations Unies, comme on l’a déjà vu à la prison d’Edéa.
Marteau à la main, Hervé Ngansop s’attelle à donner une forme humaine à ce qui n’était encore, il y a quelque temps, qu’un vulgaire morceau de bois. Visiblement très occupé par son travail, il ne se préoccupe pas des visiteurs. Il n’a qu’un souci en tête : "Fabriquer le maximum d’objets d’art afin de les vendre au plus vite et gagner un peu d’argent".
Nous sommes jeudi, jour de visite à la prison centrale de Douala à New Bell. Comme Hervé Gansop, de nombreux détenus y vont du marteau, de la scie à métaux, de l’aiguille, pour modeler bijoux, objets d’art et sacs que d’autres détenus proposent aux visiteurs dans la cour du pénitencier.

 

Prix accessibles
Les prix varient. Pour un ensemble de bijoux composé d’une chaîne, d’une gourmette, de deux boucles d’oreilles et d’une bague, le client doit débourser 1.500 Fcfa et 500 Fcfa s’il veut s’offrir un seul de ces bijoux. Pour les objets d’art, les prix peuvent aller jusqu’à 5000 Fcfa, voire 10000 en fonction de la qualité de la sculpture choisie. Un sac coûte environ 1000Fcfa. Et il faut débourser 2000 Fcfa pour entrer en possession d’un tableau.
Le métier nourrit son homme, confient les détenus. "Les gens viennent s’approvisionner ici en prison parce que les prix sont relativement bas", explique Marcel. Ces marchandises sont aussi vendues hors de la prison par les détenus qui sortent pour faire la corvée. Contre rémunération, bien sûr. "Ils peuvent recevoir 500Fcfa ou 1000Fcfa en fonction de la quantité. Ils vendent aussi la marchandise à un prix plus élevé, prennent le surplus et nous apportent le montant sur lequel nous nous sommes mis d’accord", explique Guy Tchathou, fabricant de bijoux.
Le travail de ces corvéables ne s’arrête pas là. Car après avoir vendu les créations de leurs collègues, ils achètent la "matière première" et l’introduisent en prison avec l’accord des gardiens qui exigent une taxe d’entrée, aux alentours de 20% de la valeur du produit.

500Fcfa de salaire quotidien
Autre façon de gagner de l’argent en prison : se lancer dans la restauration. Christopher, par exemple, est propriétaire d’un restaurant qui emploie certains de ses codétenus. Ils reçoivent un salaire journalier de 500 Fcfa en plus du repas auquel ils ont droit. Le salaire quotidien est le même pour tout détenu employé, quelle que soit l’activité.  
"Cela nous permet de nous nourrir décemment, de ne pas manger les mauvais repas que nous offre la prison", reconnaît un prisonnier. Des détenus confient que cela leur donne aussi de quoi payer les droits de cellule au "chef" et de ne pas dormir à la belle étoile. La prison de New Bell étant désormais connue pour sa surpopulation carcérale et son manque d’infrastructures (environ 3000 prisonniers pour une structure d’accueil de moins de 800).
Blaise Djouokep, Jade


Distribution des tracts: des opposants emprisonnés dix jours
Les deux fondateurs de la Nouvelle dynamique nationaliste africaine (Nodyna) ont subi dix jours de garde à vue… Pour avoir distribué des tracts en faveur des mototaxis, interdits de circulation dans certains quartiers !
17h52, ce 21 juin 2012. Chemise et culotte rouges, bonnet tricolore et brassard noir sur le bras gauche, Camille Mboua Massock sort souriant de la cellule du Tribunal de Première Instance de Bonanjo-Douala. Il est accompagné de Daniel Yon. Les deux camarades sont libérés après avoir passé dix jours de garde à vue à la brigade de gendarmerie territoriale de Bonanjo, dans des conditions inhumaines. "On nous a demandé d’entrer en slip dans la cellule. Plus tard, nous avons été autorisés à nous habiller. Pendant tous ces jours, nous dormions sur un sol dénudé", raconte, la voix grave, Mboua Massok qui venait de recevoir le soutien de l’artiste musicien Lapiro de Mbanga, un défenseur des droits de l’Homme.

 

Pas d'argent pour se défendre
Accusés "d’avoir empêché le respect des lois de la République", le président de la Nouvelle dynamique nationaliste africaine (Nodyna), un parti de l’opposition camerounaise, et son camarade vont comparaître libres pour se défendre devant le tribunal. Mais, cet autre combat judiciaire pourrait être de courte durée à cause des difficultés financières du parti. "Nous n’avons pas assez d’argent pour nous attacher les services d’un avocat", regrette Aicha Eheg, responsable de la communication. "Nous avons même contacté des avocats qui défendent les Droits de l’Homme mais aucun n'a encore manifesté son intérêt pour notre dossier", ajoute-t-elle.
Malgré ce handicap, Camille Mboua Massok qui est coutumier des interpellations, se montre toujours aussi pugnace. "Vous voyez ma peau, elle est dure à cuire. Je ne baisserai pas les bras devant ce régime", lance-t-il en caressant sa moustache blanchâtre. En février 2011, cet opposant au régime avait appelé à manifester contre les "carences notoires" dans le fonctionnement des institutions. Arrêté par les Forces de l'ordre avec un de ses partisans, il avait été relaxé après dix heures de garde à vue.
Cette fois encore, toujours en compagnie de ses camarades, il distribuait, le 11 juin dernier sur les artères de la capitale économique, des tracts de soutien aux conducteurs de mototaxis interdits de circulation dans certains quartiers de la ville à compter du 12 juin. Une mesure présentée par les autorités administratives comme un début d’application du décret du Premier ministre portant réglementation de l’activité de motocycles à titre onéreux.
Sur ces tracts, on pouvait lire : "Aux bendskineurs (conducteurs de moto taxi, Ndlr), mon total soutien. Résistance jusqu’au but. Ainsi est justifié mon combat sociopolitique. Pour en faire un camp fort, toujours je me place à côté des faibles et des affaiblis. Voilà pourquoi est total mon soutien pour les plus exposés et, en ce moment, en faveur des bendskineurs, désormais présentés comme étant des handicaps à la mise en œuvre "des grandes ambitions" par ces voleurs de la fortune publique, arrogants fossoyeurs de la justice sociale et de la paix des cœurs au Cameroun ".
Il n’en fallait pas plus pour que Mboua Massok et Daniel Yon, cofondateur du parti, soient interpellés à la salle des fêtes d'Akwa par des policiers. Conduits dans un premier temps à la brigade territoriale d'Akwa sud, les deux militants seront ensuite transférés puis gardés à vue dans les cellules à la brigade territoriale de Bonanjo pendant dix jours. Ce qui est contraire à la loi.

Garde à vue abusive
Le code de procédure pénale dispose en effet que "le délai de garde à vue ne peut excéder quarante huit heures renouvelable une fois." Toutefois, "sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois", précise le texte. Cette garde à vue abusive n'est pas un cas exceptionnel. En 2011, Souleymane, un jeune menuisier, accusé de vol de mototaxis, avait connu le même sort à la brigade de gendarmerie de l’aéroport de Douala. Menotté dans sa cellule, il était mort, le dixième jour de détention, après avoir été torturé.
Christian Locka (Jade)


Prison de Mantoum: La réinsertion par le travail aux champs
Les pensionnaires de la prison de Mantoum travaillent dans les champs, mangent à leur faim et bénéficient de programmes de réinsertion. Une exception dans l'environnement carcéral du Cameroun.
Un vent léger agite le feuillage verdoyant des manguiers aux alentours de la prison de Mantoum. Les 80 détenus de ce pénitencier, le moins peuplé du Cameroun, restent indifférents aux fruits mûrs tombés des arbres. "Ici, nous ne connaissons pas de problème de famine", explique Mathieu Koudjou, un prisonnier.
En compagnie de Jean Kouam, l’un des doyens des détenus, il nettoie à la houe les mauvaises herbes qui ont envahi les billons de maïs semés dans une plantation qui jouxte le mur arrière de la prison. Les deux prisonniers ne sont surveillés par aucun gardien. "Tous les pensionnaires vont en corvée, y compris les condamnés à mort. Nous travaillons principalement dans les plantations. Ce qui fait que chacun de nous dispose de vivres pour se nourrir", explique Mathieu. Il ajoute : "Comme dans toutes les prisons du Cameroun, nous avons droit à une ration alimentaire qui est d’un repas par jour. Elle est principalement constituée de couscous de maïs, de sauce faite à base du soja et de patates".

 

500 Fcfa la journée
Un groupe de cinq prisonniers corvéables est payé 3500 Fcfa, versés par l’employeur au régisseur de la prison. Ce dernier reverse 500 Fcfa à chaque membre du groupe. Le reste est injecté dans les caisses de la prison pour la prise en charge des détenus. M. Njoya, le régisseur adjoint de la prison de Mantoum se réjouit des bonnes relations entre prisonniers et geôliers. "Nous faisons tout pour ne pas frustrer les pensionnaires placés sous notre responsabilité et les traitons en amis. Nos rapports sont cordiaux. Nous évitons de les frustrer en ne parlant pas de leurs crimes. Nous communiquons avec eux, comme avec n’importe qui. Ce qui contribue à les rassurer", affirme-t-il.
Il rappelle par ailleurs que la triste réputation de Mantoum,  autrefois prison politique et lieu de torture,  est à oublier. "Il n’y a pas plus d’assignés politiques ici depuis 1976 date de la mutation de l’ex centre de rééducation civique et politique en prison principale. Les conditions de détention des 80 condamnés qui séjournent actuellement ici après avoir été transférés des prisons centrales de Douala,  Bafoussam, Nkongsamba, Mbanga ou Yaoundé, sont normales. Ils bénéficient d’un programme de réinsertion sociale financé par l’Union Européenne. Des spécialistes en agronomie forment les gardiens et les condamnés à diverses techniques culturales. Nous exploitons de vastes étendues de terre pour la culture du soja ou du maïs. Plusieurs de nos pensionnaires sont des spécialistes des cultures maraîchères", se vante M Njoya. Une réalité très appréciée à la délégation régionale de l’administration pénitentiaire de l’Ouest à Bafoussam, "Les exploitations agricoles constituent un gisement de richesses pour les prisonniers. Car y travaillant, ils trouvent des moyens de survie et s’initient à un métier pour préparer leur réinsertion sociale", apprécie Dieudonné Kouamen, le délégué régional de cette administration.

Des travailleurs honnêtes
Spécialisés dans l’agriculture, les prisonniers de Mantoum sont souvent sollicités par des particuliers. "C’est une main d’œuvre bon marché. Ce sont des travailleurs infatigables, doués et dévoués. Il faut seulement savoir les motiver. En plus, Ils ne volent pas dans nos plantations", affirme Ibrahim Toumansié, président du comité de développement du quartier Njinga où est située la prison. Cette franche collaboration est saluée par M. Mama, militant de Ridev, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Bafoussam. " La corvée permet aux prisonniers de s’occuper et de préparer leur réinsertion sociale. Elle ne doit pas être obligatoire ou se faire dans des conditions extrêmement pénibles", fait-il remarquer. Mantoum respecte jusqu' à présent les règles minima de détention des Nations Unies. Un bel exemple à suivre.  
Guy Modeste Dzudie (Jade)


Interpellation et détention arbitraires
Torturé et détenu sans motif pendant trois ans
Georges Endene Endene, un pêcheur, a été interpellé et placé en détention à la Prison de New Bell pendant près de 3 ans. Sans preuves de culpabilité ! Plus d’un mois après son acquittement par la justice, il y est resté. Une situation qui illustre les nombreux abus commis par les forces de l’ordre.
Une garde à vue à la Brigade territoriale de Bonanjo et une détention préventive de près de 3 ans à la prison de New Bell n’ont pas réussi à ôter la bonne humeur de Georges Endene Endene, pêcheur de 64 ans. Cependant, de temps en temps, des mauvais souvenirs viennent assombrir son visage à la barbe poivre et sel. "Je ne suis qu’un vieux pêcheur. Je vis entouré de pêcheurs. Comment peut-on m’accuser d’être le complice d’un délinquant?", clame-t-il, en ôtant son vieux chapeau, de ses mains calleuses.

 

La torture pour arracher des aveux
Ses doigts dépourvus d’ongles, témoignent du supplice qui lui a été infligé depuis le 04 mars 2009, date à laquelle sa mésaventure a commencé. "Pendant mon audition à la Brigade territoriale de Bonanjo, les gendarmes m’ont arraché entièrement les ongles des doigts avec des pinces parce que je refusais de faire des aveux. Ils voulaient m’entendre dire que je connaissais Essomba. Pourtant je ne l’ai jamais rencontré", se plaint le vieil homme. Cet acte de torture s’est déroulé deux mois après l’arrestation du pêcheur.
D’après lui, sa garde à vue dans les cellules de la Brigade territoriale de Bonanjo a duré près de trois mois, en violation de l’article 119 du code de procédure pénal qui stipule : "Le délai de la garde à vue ne peut excéder 48 heures renouvelable une fois. Sur autorisation écrite du Procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel; être renouvelé deux fois".
Les gendarmes interpellent Georges sans lui présenter un mandat d’arrêt, comme l’exige la loi. "Après la pêche, je rangeais mes outils lorsque deux gendarmes en civil se sont présentés et m’ont ordonné de les suivre sans explications. Ils ont dit que leur commandant voulait me voir", se souvient le pêcheur. Conduit à la Brigade territoriale de Bonanjo, il a été jeté dans une cellule sans avoir été entendu. Georges  apprendra plus tard qu'il est poursuivi pour coaction de vol avec port d'arme et détention illégale d'arme à feu et destruction.
Au tribunal militaire de Douala, la juge l’a confronté à ses co-accusés, puis a ordonné sa relaxe… Mais a changé ensuite d’avis. "La juge a dit qu’elle va nous acquitter pour faits non établis. L’un des gendarmes qui nous escortait au tribunal l’a suivie dans son bureau. Quand elle est revenue, la sentence est tombée: je devais aller en prison pour leur montrer Essomba", explique Georges.
Ecroué à la prison de New Bell, il sera jugé trois ans plus tard, après de nombreux renvois. Le 16 mars dernier, son co-accusé et lui sont acquittés par le tribunal militaire de Douala pour "faits non établis". Georges a pourtant été maintenu en détention, en dépit des protestations de son avocate, Cécile Mireille Ngo Biga. "Toutes les démarches entreprises auprès du tribunal pour obtenir l’ordre de mise en liberté qui auraient permis à l’administration pénitentiaire de relaxer Georges et son compagnon, sont demeurées vaines, de même d’ailleurs que celles tendant à l’obtention d’un simple extrait du plumitif", explique l’avocate de l’ex-détenu dans une correspondance adressée au tribunal de grande instance du Wouri.

Le juge s’est trompé
De son côté, le ministère public au tribunal militaire estime que le maintien en détention de Georges est légal. " Le ministère public avait fait appel de la décision du tribunal. Par conséquent, la mise en liberté ne pouvait pas être exécutée", explique le lieutenant colonel Anatole Djouwee, commissaire du gouvernement, près le Tribunal militaire de Douala. Faux, s’insurge Me Cécile Mireille Ngo Biga. "Aucun texte ne permet de dire que l’appel du Ministère public suspend la décision de remise en liberté. Au contraire, l’esprit du code de procédure pénal fait de la liberté le principe", clame l’avocate.
Fort de cet argument, le conseil a saisi le tribunal de grande instance, le 04 avril dernier, pour bénéficier de la procédure d’Habeas Corpus, et a obtenu la libération immédiate de son client. Mais le régisseur de la prison de New Bell a refusé de libérer le détenu. "Il nous a dit que le lieutenant colonel Anatole Djouwee a demandé qu’on ne libère Georges sous aucun prétexte", affirme Cécile Mireille Ngo Biga. Le commissaire du gouvernement confirme ces propos. "Le juge de l’habeas corpus s’était trompé et avait mal apprécié l’affaire. C’est pourquoi j’avais demandé au régisseur de ne pas libérer Endene Endene Georges", justifie-t-il.
Le beau-frère de la victime va alors solliciter et obtenir une audience au ministère de la défense, qui va demander à l’avocate de produire les éléments prouvant l'acquittement de son client. Ces pièces ont permis la libération de Georges, le 04 mai dernier.

"J’ai tout perdu "
Pour Fréderic Mbappe Ngambi du Mouvement de lutte contre la corruption, l’impunité et pour la bonne gouvernance, "Il y a eu trafic d’influence pour maintenir Georges en détention". A l’en croire, ce type d’abus est fréquent. "Ceux qui n’ont pas de proches qui puissent intervenir en leur faveur ne peuvent que subir", s’insurge-t-il. Le militant recommande que Georges saisisse la justice pour obtenir réparation du préjudice subi en raison d’une détention arbitraire.
Le préjudice subi par Georges est énorme. "J’ai tout perdu. Mes nasses et ma pirogue ont été volées durant mon absence", raconte-t-il. "Si je n’avais pas été en prison, j’aurais empêché la vente du terrain d’habitation que j’avais acheté", enchaîne-t-il. Père de 10 enfants, le pêcheur regrette la souffrance endurée par sa famille durant sa période de détention : "Ma femme a été obligée de quémander pour nourrir nos enfants. Mon fils a dû abandonner les études à 17 ans, faute d’argent pour régler ses frais de scolarité".
Anne Matho (Jade)


Prison à Douala
Guy crée des bijoux et revit
Condamné en 2005 à 7 ans de prison, Guy Tchatho a retrouvé le goût de la vie grâce à la vente des bijoux qu’il fabrique depuis 2008.
L’allure svelte, la trentaine entamée, Guy Tchatho, détenu à la prison centrale de Douala, peut être fier. Après sept années passées dans cette geôle pour vol à main armée et détention illégale d’arme à feu, ce détenu s’est refait une santé physique et morale. Un souci tout de même : bien qu’il ait fini de purger sa peine depuis quatre mois, Guy reste en prison pour non paiement de l’amende qui, dit-il, s’élève à 233 000Fcfa.
En ce jeudi, 07 juin 2012, à l’occasion de la journée du détenu célébrée à la prison de New Bell, Guy joue des percussions à l’occasion du culte dédié à cet évènement. Loin des détenus qui, dans la cour de la prison, s’attèlent, par dizaines, à fabriquer des bijoux, des sacs, des sculptures, il est plutôt détendu. "Je possède un atelier de fabrication de bijoux et j’emploie quatre personnes. Ce qui me permet actuellement de vivre sans trop de pression, sans stress ", se réjouit-il.

 

Trois repas par jour
Il poursuit : "En une journée, nous pouvons fabriquer cinq ensembles de bijoux. Un ensemble étant composé d’une gourmette, d’une chaîne, d’une boucle d’oreille et d’une bague. L’ensemble coûte 1.500Fcfa et au détail, le bijou revient à 500Fcfa. Nos grandes ventes sont réalisées les jours de visite. De même, les détenus qui sortent pour la corvée les vendent hors de la prison". Une activité qui lui donne une certaine aisance financière. Car, depuis qu’il l’exerce, il y a de cela quatre ans, il ne s’aligne plus pour avoir les deux repas de la ration journalière qu’offre la prison. Guy dépense en moyenne 1.200Fcfa pour sa ration quotidienne en s’offrant trois repas par jour ; sans compter le salaire de 500Fcfa qu’il donne à chacun de ses employés.
"Les repas que je mange maintenant sont plus riches en vitamine. Contrairement à ceux qu’offre la prison qui sont mal cuisinés", confie-t-il. Son plus grand souci, aujourd’hui, est de pouvoir emmagasiner assez d’argent pour payer les 233 000Fcfa d’amende et retrouver sa liberté.

"Ma vie a changé"
Les débuts de Guy Tchatho n’ont pas été faciles. Lorsqu’il arrive à la prison, en 2005, il est abandonné par les siens : aucune visite d’un proche. Il va alors se battre comme il peut pour survivre dans cette prison surpeuplée. Ses journées, il les passait dans le temple de la prison pour prier Dieu à qui il confiait ses problèmes et sa situation. Sans aucun soutien, Guy Tchatho devait s’aligner pour avoir les deux rations journalières de la prison. Des repas composés de "Corn Tchaf", un mélange de maïs et de haricots, à midi, et de riz, le soir.
"Je me suis senti délaissé. Je n’avais pas d’assistance. J’ai pensé à faire quelque chose qui pouvait me faire vivre et ma prière a été exaucée", se souvient-il. Ses conditions de détention vont s’améliorer à partir du jour où il fera la rencontre d’une bienfaitrice, une journaliste. "J’ai posé mon problème à cette journaliste. Au moment de partir elle m’a laissé son contact. Deux jours plus tard, je l’ai appelée. Le lendemain, elle est revenue à la prison et m’a remis 85 000Fcfa… Et ma vie a changé".
Blaise Djouokep (Jade)


La liste des fugitifs tués s’allonge
Un jeune abattu à la prison de Bafoussam
Des gardiens de prison ont abattu un jeune qui tentait de s'évader de la prison de Bafoussam. Les militants des droits de l'Homme dénoncent cette bavure, courante au Cameroun, et qui reste toujours impunie.
Condamné en 2011 à 7 ans d’emprisonnement ferme au Tribunal militaire de Bafoussam, Carlese Tchemi Towo, a été abattu, le 26 avril dernier par ses geôliers. Il tentait de s’évader par la toiture du quartier féminin, dont le mur est un peu plus bas. Alertés par des bruits, les geôliers ont organisé une chasse à l’homme. Le fugitif n’a eu aucune chance. "Il a été criblé de balles au niveau de l’abdomen et du thorax", décrit M. Kengné, pensionnaire du pénitencier, hanté par la vision de la dépouille de son codétenu.  

 

"Une jungle"
Le régisseur de la prison centrale de Bafoussam, Soné Ngolé, dresse un portrait négatif du prisonnier abattu. "Des coups de feu sont partis dans un premier temps pour le prévenir… Mais il en est mort. C’est un braqueur du tribunal militaire qui a été condamné à 7 ans. Il avait déjà passé 3 à 4 ans, ici, à la prison. Il marchait souvent avec des lames pour blesser et provoquer les autres (codétenus, Ndlr)", dénonce-t-il. Et de poursuivre : "On avait même écrit pour son transfèrement à Mantoum où on se disait qu’avec la hauteur des murs d’enceinte c’était un peu plus sécurisant. Mais avec son comportement il n’a pas voulu rester en vie et voilà comment il est mort, finalement. C’est vraiment malheureux".
Un prisonnier ayant requis l’anonymat estime, lui, que les évasions sont causées par les conditions inhumaines de détention. "Le régisseur fait des efforts pour nous mettre à l’aise. Mais jusque-là, nous souffrons assez. La ration journalière n’est ni consistante ni équilibrée. Nous consommons des aliments faits à base de farine à 95%. La sécurité à l’intérieur n’est pas garantie. C’est une jungle. Les plus forts dominent et briment les autres. Chaque fois, nous sommes témoins de bagarres et d’atrocités diverses. C’est invivable", déclare-t-il.    

"Pas d’outils performants"
Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la Ligue des droits et libertés (Ldl) , active dans la région de l'Ouest, dénonce le surpeuplement des prisons pour justifier ces tentatives d'évasion. Construite en 1952 pour 300 détenus, celle de Bafoussam en accueille, aujourd'hui, 950.
Avocat au barreau du Cameroun, Me Che Fabien déplore les conditions de travail dans l’environnement carcéral de la place. "Il faut reconnaître que les responsables et les agents en service dans les prisons du Cameroun font beaucoup d’efforts. Cependant, s’il était soucieux de la préservation des vies humaines des personnes, quel que soit leur statut de condamnés, l’Etat devrait envisager la construction de prisons vraiment modernes et doter les geôliers camerounais d’outils performants comme des armes électroniques qui permettent d’immobiliser un détenu fugitif sans mettre fin à ses jours", explique-t-il.

L’Etat responsable
Informé par Dieudonné Kouamen, délégué régional de l’administration pénitentiaire à l’Ouest, le gouverneur de la région de l’Ouest, Bakari  Midjiyawa a ordonné l’examen de la dépouille du fugitif par un médecin légiste, afin de déterminer les causes de la mort. Selon Me Fabien Che, le document délivré par le médecin pourrait servir à la famille du fugitif abattu au cas où elle envisagerait de poursuivre l’Etat du Cameroun dont la responsabilité civile peut être retenue devant les instances judicaires spécialisées, aussi bien nationales qu’internationales.
Selon les règles minima de traitement des détenus des Nations unies, "les fonctionnaires des établissements ne doivent, dans leurs rapports avec les détenus, utiliser la force qu'en cas de légitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la force ou par l'inertie physique à un ordre fondé sur la loi ou les règlements. Sauf circonstances spéciales, les agents qui assurent un service les mettant en contact direct avec les détenus ne doivent pas être armés". Tout le contraire de ce qui se passe au Cameroun où les gardiens de prison portent des armes et n'hésitent pas à tirer à balles réelles.  
Carlese Tchemi Towo, jeune homme de 25 ans, né à Banka dans le département du Haut-Nkam, fait partie de la longue liste des fuyards abattus dans les pénitenciers du Cameroun.
Guy Modeste Dzudie (Jade)


A la prison de New-bell
Les ''pingouins'' dorment  à la belle étoile
On les appelle "pingouins". Faute d’argent pour payer leur place, ces prisonniers  dorment à la belle étoile. En violation flagrante des conditions de détention. Exposés aux intempéries, ils tombent souvent malades.
Assis près de la porte de l’infirmerie de la prison centrale de Douala, dos contre le mur et genoux ramenés vers le buste, un jeune détenu s’efforce en vain de se protéger des rayons du soleil qui progresse rapidement vers le zénith. Il est vêtu d’un tricot et d’une culotte défraîchis et en lambeaux. "C’est un pingouin. Il n’a pas bien dormi dans la nuit et c’est maintenant qu’il tente de récupérer son sommeil", explique Yombi, un autre détenu.
Dans le jargon pénitencier camerounais, le mot "pingouin" (1) désigne un détenu  incapable de s’offrir le minimum pour sa survie quotidienne. A la prison de New-Bell, les "pingouins" sont nombreux. Certains sont contraints de passer la nuit à la belle étoile, dans un endroit de la cour intérieure de la prison baptisé "Billes de bois" où les détenus font du commerce pendant la journée. Le soir, ces démunis y étalent leurs couchettes à même le sol et dorment jusqu’au lever du jour. D’autres se couchent dans les toilettes, sur des étoffes déployées sur le pot du Wc.

 

Les bandits rôdent
Il y a aussi la "corvée lézard" qui désigne ceux qui dorment, le dos appuyé contre le mur. Selon un gardien, la plupart des détenus soumis à cette corvée ont les pieds enflés à cause des longues heures passées debout. En saison pluvieuse, les eaux de ruissellement érodent leurs plantes de pieds.
"Lors d’une fouille à la prison, on a retrouvé un "pingouin" emballé dans une couchette de fortune fait de plastique. Il ronflait en plein jour près de la poubelle", témoigne un autre gardien. Les pingouins sont également exposés aux maladies de la peau. La gale, notamment, fait des ravages. La peau d’Elvis est couverte de croûtes. Ce détenu séropositif de 24 ans garde un douloureux souvenir des nuits à la belle étoile. "En août 2011 lors de sa dernière visite, ma mère m’avait donné 10.000 FCfa. J’avais acheté des bâtons de manioc et des arachides grillées que je vendais pour survivre. Trois mois après, des bandits sont venus me fouiller dans la nuit pendant que je dormais et m’ont volé ma recette et ma marchandise", se souvient-il, amer.

Services payants dans les cellules
Dans la plupart des cellules, l’accès aux toilettes et à la douche est payant. "Tous les lundis, chaque détenu paye 100 F pour la caisse télévision, 50 F pour la caisse maladie et 50 F pour la caisse câble. On paie 100 F pour l’entretien des toilettes et 50 F pour l’entretien de la douche. Le chef de cellule, lui aussi détenu, nous explique que cet argent sert à assurer l’hygiène", dénonce Elvis. Ces frais sont perçus par les ‘‘autorités’’ des cellules (le chef de cellule, dénommé le ‘‘Premier ministre’’ ou le chef de cellule adjoint, le ‘‘Commandant’’, et le chef du service d’hygiène le ‘Commissaire’’).
Les détenus n’ayant pas payé ces frais sont expulsés par ces ‘‘autorités’’. Depuis huit mois, Elvis a été chassé de la cellule n°5. "A un moment je ne parvenais plus à payer les frais. Les chefs n’ont pas compris mon problème et m’ont mis dehors", affirme-t-il. En saison des pluies, les cellules sont saturées, beaucoup de détenus cherchant à y retourner. Face à la forte demande, les ‘‘autorités’’ se montrent alors encore plus exigeantes, selon Yombi. Les prisonniers, qui ne sont pas en règle,  sont priés d’aller se faire voir ailleurs.  

Pas assez d’espace
Pour la présidente de l’Action pour l’épanouissement des femmes, des démunis et des jeunes détenus (Afjd), Eliane Meubeukui, les détenus dorment en plein air, "pas forcément parce qu’ils n’ont pas d’argent, mais parce que l’espace manque". Conçue pour abriter 850 détenus, la prison de New-Bell en accueille aujourd’hui environ 3500. Les règles minima de traitement des détenus des Nations unies recommandent pourtant des cellules ou des chambres individuelles pour au plus deux personnes. Le régisseur de la prison de New-Bell, Dieudonné Engonga Mintsang, reconnaît que certains détenus sont obligés de dormir en plein air.
Théodore Tchopa (Jade)
(1) Le régisseur de la prison précise que le mot "pingouin" n’est pas reconnu dans le langage officiel de la prison. Ce sont les démunis eux-mêmes qui se font appeler ainsi.

Prison de Ngambé
Trop délabrée pour accueillir de nouveaux détenus
L’administration de la prison secondaire de Ngambe hésite à accueillir de nouveaux pensionnaires. Les mauvaises conditions de détention y sont contraires aux textes des Nations Unies.
"Ici, il y a de l’espace et de la tranquillité. Nous ne sommes pas étouffés comme à la prison principale d’Edéa mais les conditions de vie restent très difficiles. On dort sur des planches non couvertes. Il faut se trouver un morceau de matelas ou de natte pour y mettre dessus avant de dormir. Ce n’est pas facile si tu n’as pas de soutien". La vingtaine sonnée, Mahira Florent, visage clair, est déçu. Condamné à quatre ans d’emprisonnement ferme à la prison principale d’Edéa pour "vol de voitures", le jeune homme a obtenu son transfert à la prison secondaire de Ngambe dans l’espoir d’y retrouver de meilleures conditions de détention. Hélas, il a trouvé une cellule au toit fissuré, sans lit ni de lumière suffisante. Une situation qui explique que la prison de Ngambe n’abrite que vingt trois pensionnaires alors que sa capacité d’accueil est de cent cinquante.

Toits troués
Comme ses codétenus, Ngando Sébastien doit aussi supporter l’humidité dans sa cellule. Le soleil, comme celui qui brille en cette matinée de mai 2012, limite les dégâts. "Les tôles du toit sont vieilles et toutes trouées. Quand il pleut, l’eau rentre dans la cellule. Nous profitons du peu de soleil qui passe par la petite fenêtre pour chasser la moisissure qui s’attaque à nos vêtements", raconte ce détenu qui aime cuisiner pour ses compagnons.
Construite dans les années cinquante, la prison secondaire de Ngambe accueille les détenus adultes condamnés à de courtes peines, en provenance des prisons d’Edéa et de Douala. Outre le souci de décongestionner ces grands pénitenciers, ce statut de prison secondaire permet de pallier le manque de juridiction dans cette localité rurale. "Ngambe ne dispose pas d’un tribunal. S’il faut fonctionner comme une prison normale, les transfèrements des prévenus vers la juridiction la plus proche à Edéa vont coûter extrêmement cher à l’Etat", explique l’intendant principal des prisons Mofa Godwin, régisseur de la prison de Ngambe.

L’Etat interpellé
Le mauvais état des cellules ne l’incite donc pas à accueillir plus de pensionnaires. "Il faut réfectionner les bâtiments vétustes. Quand il pleut, ça coule partout. Nous avons plusieurs fois tenté de boucher les trous des tôles mais la situation ne change pas. Nous ne pouvons pas accueillir plus de détenus dans ces conditions", prévient le régisseur. D’autant plus que l’administration de la prison a de la peine à assurer la prise en charge médicale et alimentaire de ses pensionnaires.
Ces mauvaises conditions nuisent aussi à la capacité des prisonniers à travailler. "Tous les jours, on dort sur les planches. Le matin, certains détenus ne peuvent pas aller en corvée parce que le corps fait mal. On est obligé de supporter, c’est la prison", explique un prisonnier. Pour résoudre ces problèmes, les détenus qui, pour la plupart, ne reçoivent pas de visites de leurs proches, se tournent vers l’administration qui, à son tour, lance sans cesse des appels en direction de l’Etat.

Textes non respectés
Qu’elles soient centrales, principales ou secondaires, les prisons du Cameroun sont toutes dans un état lamentable. Une situation qui courrouce les défenseurs des droits de l’Homme. "Le préambule de la constitution stipule que la dignité de toute personne, y compris le détenu, doit être respectée en toute circonstance. Il existe également des conventions internationales ratifiées qui s’imposent à l’ordonnancement juridique camerounais. Ces textes ne sont pas respectés. Dans le cas spécifique de la prison de Ngambe, on peut se rendre compte que ces minima ne sont pas respectés parce que les détenus n’ont pas un logement décent", indique Me Ngue Bong Simon Pierre, avocat au barreau du Cameroun. Il conclut : "Il faut une volonté politique réelle pour assainir la gestion de la chose publique c'est-à-dire s’assurer que les crédits alloués à ces prisons pour leur fonctionnement leur parviennent effectivement et qu’on tienne compte des difficultés propres aux prisons. Il ne s’agit pas de faire des prisons une priorité mais de leur accorder un peu plus d’attention".
Ne serait-ce que pour respecter les recommandations des Nations Unies qui précisent : "Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, la surface minimum, l'éclairage, le chauffage et la ventilation ".
Christian Locka (Jade)


A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
10 000 Fcfa, ce serait le tarif exigé par l’adjudant-chef, patron du poste de gendarmerie de Bantoum, pour libérer une personne arrêtée. L’homme en tenue est dénoncé par les populations qui attendent l’intervention de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés.
La quarantaine passée, René Feutba vit avec la peur au ventre depuis des semaines. Assis en compagnie de proches sur la véranda d’une case en briques de terre battue à Bantoum, faubourg situé près de la ville de Bangangté, ce dimanche 27 mai 2012, l’agriculteur poursuivi pénalement pour «trouble de jouissance» se méfie de tout inconnu. René n’a pas oublié les menaces proférées par l’adjudant-chef, Flaubert Mbiam-Batomé, chef de poste de la brigade de gendarmerie de Bantoum, lors de ses internements, les 14 avril et  17 mai derniers. Il reproche à l’homme en tenue de lui avoir extorqué  à deux reprises, la somme de 10 000 Fcfa, avant de le libérer. Il n’est pas le seul dans ce cas. Les nommés Paho, Benjamin Ngantcha (chef du quartier Bitchoua), Clément Yimché, Pauline Nana, Suzane Mawoko s’alignent sur le registre des victimes de la rapacité du gendarme.

 

Le chef de village intervient
Ces faits ont fait perdre de sa sérénité à la bourgade agricole de Bantoum, peuplée de plus de 15.000 âmes. Une situation qui préoccupe le chef du village, Sa Majesté Jocelyn Marius Sabet. La trentaine entamée, sa mine empreinte de l’autorité traditionnelle manifeste une énergie intacte, après une partie de football, en cette matinée du dimanche 27 mai 2012. Bien assis dans un grand fauteuil surélevé, sculpté de losanges et de triangles, symboles de puissance et de sagesse dans la cosmogonie Bamiléké, le chef affiche un visage plissé lorsqu’on évoque ses relations avec l’adjudant-chef, Flaubert Mbiami-Batomé. D’autant plus que René Feutba, le planteur, vient tout juste de lui remettre la copie d’une correspondance adressée au sous-préfet de l’arrondissement de Bangangté. Une lettre dénonçant les abus du patron local de la gendarmerie.
"Après m’avoir entendu, Monsieur le sous-préfet, j’ai été mis en cellule et libéré grâce à [la somme] de 10.000 Fcfa que le commandant me demandait et qui constituait les frais de mon audition et de papier", se plaint le planteur. Il poursuit sa dénonciation en informant l’autorité administrative que quelques semaines après, la manœuvre s’est reproduite : "J’ai reçu la même convocation de la même brigade et pour les mêmes causes. J’ai été encore séquestré et enfermé en cellule. Il m’a encore demandé 10.000 Fcfa pour ma libération. J’étais défaillant, et j’ai fait recours au chef supérieur des Bantoum pour être libéré." Cette autorité confirme son intervention : " Chaque fois, je reçois des plaintes des habitants du village qui se plaignent de ce que le chef de poste de gendarmerie a érigé, ici à Bantoum, une loi non écrite selon laquelle toute personne contre qui une plainte a été formulée au niveau de la brigade placée sous sa responsabilité doit débourser la somme de 10.000 Fcfa pour payer sa liberté. Plusieurs fois, j’ai été saisi par les populations abusées. Mais, j’ai toujours pris ces diverses dénonciations avec des pincettes. S’agissant du cas de M. Feutba, le chef de poste n’a pas, une fois de plus, suivi mon appel à l’exigence de probité et d’impartialité qui devrait le gouverner dans son travail. Il a impérativement exigé 10.000 Fcfa avant de libérer l’infortuné", explique sa Majesté Jocelyn Marius Sabet.

"Victime d’une cabale"
Le chef de poste de gendarmerie de Bantoum, l’adjudant chef Mbiami Batomé, nie en bloc toutes les accusations portées contre lui. "Depuis mon arrivée ici, la criminalité a considérablement diminué. J’ai mis fin à de nombreux gangs. J’ai mis hors d’état de nuire des coupeurs de route. Je suis victime d’une cabale orchestrée d’une part par ces délinquants qui ne veulent point se conformer au respect de la loi et d’autre part par le chef du village qui a voulu me manipuler pour intimider un vieux du village. De même, cette autorité traditionnelle m’en veut parce qu’elle a été entendue par moi au sujet d’une plainte pour outrage formulée contre lui par le chef supérieur Bangangté et d’une autre par l’agent du protocole préfectoral pour une affaire de séquestration", se défend-il. Ces arguments ne convainquent pas Franklin Mowha, président de "Frontline Fighters for Citizens Interests", (FFCI), une organisation de défense des droits de l’homme basée à Bangangté, qui a demandé l’intervention de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (Cndhl) le 18 mai dernier. "J’en appelle ici à votre haute attention pour intervention urgente d’autant plus que les pratiques de corruption du Commandant de la Brigade Ter de Bantoum se sont érigées, selon le témoignage du Chef Supérieur Bantoum en personne, Sa Majesté Sabet Jocelyn Marius, en abus aggravé dont est victime au quotidien son peuple", dénonce le défenseur des droits de l’homme. "L’officier de cette unité militaire est si négativement réputé dans le coin qu’il a depuis hérité du sobriquet de "Commandant Dix Mille" tant il "coupe" dix mille CFA à gauche et à droite c'est-à-dire au niveau du plaignant et de la victime", conclut-il. Reste qu’en attendant la réaction de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, les juristes conseillent à la lumière des dispositions du code pénal camerounais, une plainte pour "corruption active" ou "abus de fonction" chez le procureur général près la Cour d’appel de l’Ouest.
Guy Modeste Dzudié (Jade)
Me Jules Nguemdjo
"Jusqu’à 10 ans de prison pour un abus de pouvoir"
Nous avons demandé à Me Jules Nguemdjo, avocat au barreau du Cameroun, de nous expliquer à quelles peines s’exposent les fonctionnaires accusés de corruption ou d’abus de pouvoir. Si les faits sont avérés, les condamnations peuvent aller de trois mois à dix ans de prison.

Comment appréciez- vous le fait que les populations de Bantoum se plaignent que le chef de poste de gendarmerie de la localité exige la somme de 10 000 Fcfa avant la libération de tout suspect gardé à vue ?
Au cas où les déclarations desdites populations sont fondées, il s’agit d’un cas d’abus de pouvoir réprimé par l’article 140 et suivants du code pénal. Le fonctionnaire contrevenant à cette disposition pourrait encourir des peines pécuniaires ou subir une condamnation pénale. Ce qui signifie qu’il pourrait encourir une privation de liberté allant de 3 mois à 10 ans d’emprisonnement ferme. On pourrait aussi accuser le chef de poste de la brigade de Bantoum de "concussion" ou de "corruption". Toutes ces infractions sont réprimées  par le code pénal camerounais.

Quels sont les recours conseillés aux personnes victimes d’un abus de pouvoir de la part d’un officier de police judiciaire ?
Sa qualité d’officier de police judiciaire lui confère le privilège de juridiction. Ce qui signifie qu’il ne peut pas être poursuivi dans une juridiction du département du Ndé. La personne qui s’estime avoir été victime d’abus ou de corruption doit se plaindre directement chez le Procureur général auprès de la Cour d’appel de l’Ouest.

Comment pourront-ils prouver ces "infractions" qui, pour l’instant, ne reposent que sur des déclarations verbales?
Dans la mesure où il n’existe aucune trace de décharge ni aucun reçu délivré par l’autorité accusée d’abus, il sera difficile pour eux de se prévaloir  de leur droit. Reste que l’article 1543 du code civil exige que la preuve soit écrite lorsque la somme dépasse 500 Fcfa. Pour le cas d’espèce, il s’agit bien de 10.000 Fcfa. Et les populations victimes ne disposent pas d’un moyen de preuve solide. Ils ne pourront que recourir à des témoignages. Ce qui pourrait bien limiter leurs chances d’emporter la conviction du juge au moment du procès ou même permettre que cette affaire prospère au niveau du parquet.
Propos recueillis par Gmd