Deux poids deux mesures

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Le traitement médiatique des marées noires n’est pas le même dans le golfe de Guinée qu’en occident. Les conséquences du drame sont partout les mêmes. L’urgence est à l’action. Fin mars 1989, le naufrage de l'Exxon Valdez au sud de l'île Busby suscite un vif émoi. Non seulement 40 000 tonnes de brut avaient gravement abimé les côtes de l'Alaska, mais pour la première fois le risque écologique était quantifié. Les coûts engendrés pour nettoyer ce déversement, quelque 4 milliards de dollars, effrayent l'industrie pétrolière. Qui devait être tenu pour responsable? Qui devait payer? Les assureurs comprennent ce jour-là que la responsabilité environnementale était un risque et avait un coût. Récemment, un pas important pour l'environnement est fait. Le  parquet de Paris condamne Total à verser près de 13 millions d'euros au titre du préjudice écologique dans l’affaire de l’Erika. Nul doute que le principe du pollueur-payeur inscrit, en France, dans la charte de l'environnement est passé par là...

Le 20 avril 2010, les États-Unis subissent la pire marée noire de son histoire, provoquée par l’explosion puis le naufrage, le 22 avril, de la plateforme Deepwater Horizon au large des côtes de la Louisiane. La plateforme de forage semi-submersible, Deepwater Horizon, a été construite en Corée du Sud, mais est la possession de Transocean qui en assurait également le fonctionnement. Transocean est la plus grande compagnie de forage offshore du monde; elle est enregistrée en Suisse. Transocean travaillait avec une compagnie de service pétrolier, Haliburton, louée par une compagnie britannique et qui arborait le pavillon des îles Marshall dans l’océan Pacifique. C’est l’un des aspects du business pétrole international, en particulier des forages en eaux profondes. Au Nord, si les marées noires rencontrent et alimentent une prise de conscience environnementale, ce n’est pas toujours le cas au Sud et surtout dans le Golfe du Guinée où les crises environnementales passent pratiquement inaperçues.

Qui a entendu parler de l'explosion du tanker Abt Summer au large de l'Angola en 1991, avec à son bord 260 000 tonnes d'or noir ? Qui parle du scandale des 1 500 000 millions de tonnes de brut qui se déversent dans le Delta du Niger depuis plus de 50 ans ? Selon un rapport publié en 2006 par le World Wide Fund (Wwf) Royaume-Uni, l’Union internationale pour la conservation de la nature et la Nigerian Conservation Foundation, jusqu’à 1,5 million de tonnes de brut -soit cinquante fois la marée noire provoquée par le pétrolier Exxon Valdez en Alaska- se sont déversées dans le Delta durant le demi-siècle écoulé. En 2009, Amnesty International a calculé que ces fuites ont représenté l’équivalent d’au moins 9 millions de barils. L’organisation accuse les géants de l’industrie de violer les droits de l’homme. Les autorités nigérianes ont recensé officiellement plus de 7 000 marées noires entre 1970 et 2000, et 2 000 grands sites de pollution, la plupart touchés depuis plusieurs décennies. Le 9 juin 2000, un cargo battant pavillon maltais, le "Peter", échoue sur un banc de sable à une vingtaine de kilomètres des côtes gabonaises. Les 420 000 tonnes de fuel renfermées par les soutes du " Peter " ont donc commencé leur lente évacuation, constatée par un rapport commandé par le représentant de la Communauté européenne, l’ambassadeur Carlo de Filippi. Le 22 avril dernier, alors que toute l’Amérique s’intéresse au naufrage d’une plate forme en Louisiane, le même jour, vers 2 heures du matin, le chargement d’un tanker se déverse, à 12 km au large de Kribi, au Cameroun. Une partie du pétrole se répand dans la mer dans la plus grande discrétion. En cause, ‘’les mauvaises conditions climatiques’’, selon un communiqué de la Cameroon Oil Transportation Company (Cotco). Déjà, lundi 15 janvier 2007, une fuite avait été déclarée sur le terminal off-shore de l’oléoduc Tchad/Cameroun, situé aux larges de la ville camerounaise de Kribi, sur la côte sud atlantique. Ces installations sont exploitées par la Cameroon Oil Transportation Company (Cotco), qui est la filiale du consortium américano-malaisien ExxonMobile. Les populations avaient assisté hagards et impuissantes à la dispersion sur plusieurs kilomètres, de plus de sept tonnes d’hydrocarbures équivalant à plus de 225 barils de pétrole brut. Toute la ceinture du golfe de Guinée peut subir un accident semblable, or les États n’ont pas les moyens pour faire face à ce genre de catastrophe.

Agissements
Les mêmes normes internationales s’appliquent à toutes les plates-formes, qu’elles se trouvent en Afrique ou ailleurs dans le monde. Toutefois, on connaît mal le nombre de plates-formes dans le golfe de Guinée. Le sujet est ultrasensible. Plus d’une vingtaine de plates-formes flottantes en offshore profond, comme celle de BP, en Louisiane, sont installées depuis la Côte d’Ivoire jusqu’à l’Angola. À la différence des États-Unis, les pays africains n’imposent pas de normes contraignantes, et les entreprises en profitent pour réduire leurs coûts au détriment de la sécurité. Ainsi, les eaux du golfe de Guinée sont parsemées de plates-formes de stockage flottantes, les Floating Production Storage and Offloading (Fpso). C’est une technique plus simple et moins coûteuse que la construction d’un terminal côtier relié par un pipeline au gisement en mer. Pour les pays instables, le procédé est plus sûr qu’un stockage à terre et  plus pratique, puisque les pays pétroliers africains exportent presque toute leur production : les tankers viennent directement remplir leurs cuves à ces terminaux marins. Ces plates-formes sont souvent d’anciens tankers monocoques reconvertis, comme Komé-Kribi 1, aux larges du Cameroun. Elles n’ont pas été conçues pour supporter une telle fréquence de chargement et de déchargement. Les pétroliers monocoques qui sont interdits de navigation depuis cette année au profit des navires à double coque, plus sûrs, sont recyclés en Afrique. Dans le golfe du Mexique, il est interdit d’utiliser ces navires monocoques pour le stockage. Ces installations s’avèrent être de véritables bombes à retardement dans un environnement sensible.
L'Océan est d'une importance capitale dans la survie des Hommes. Il fournit non seulement la moitié de l'oxygène aux humains, mais également un travail à 140 millions de personnes. Les zones côtières couvrent 20 % de la surface de la Terre et accueillent cependant plus de 50 % de la population humaine totale (75 % d'ici 2025). Les zones côtières sont parmi les écosystèmes les plus productifs et les plus riches de la planète à un niveau biologique (80 % des espèces connues de poissons marins -13 200 espèces). Des lieux tels que les marais, les mangroves, les estuaires et les récifs coralliens ne font pas qu'abriter une grande variété de formes de vie, elles sont aussi le point de départ de la plupart des chaînes alimentaires et servent de lieu de reproduction à de nombreuses espèces. Les réserves connues en énergie fossile s'épuisent, on ne peut continuer à puiser dans ces réserves finies. L'exploitation pétrolière offshore assure aujourd'hui près du quart de la production mondiale, avec plus de 20 000 plates-formes. Le Golfe de Guinée disposerait d’un des plus grands gisements sous-marins de pétrole connus au monde, selon de nombreux spécialistes. Avec 24 milliards de barils de pétrole de réserves prouvées, cette partie du continent africain, qui est une synthèse de l’Afrique occidentale et de l’Afrique centrale, est de loin la première région pétrolière africaine, avec des pays comme le Nigeria, l’Angola et la Guinée équatoriale, qui figurent au peloton de tête des producteurs de pétrole du continent. Rien d’étonnant que sur les 9 millions de barils de pétrole produits quotidiennement en Afrique, cinq millions de barils, donc plus de la moitié, proviennent du golfe de Guinée. Il est nécessaire de protéger la poule aux yeux d’or.
Le droit de l'environnement a souvent progressé par bonds consécutifs des catastrophes : la convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (1969), après le naufrage du Torrey Canyon (1967), a renforcé la responsabilité des propriétaires de navires; la directive européenne Seveso (1982), après le nuage chimique de Seveso (1976), a renforcé la sécurité et le contrôle des installations industrielles les plus dangereuses; l'Oil Pollution Act américain (1990), après le naufrage de l'Exxon Valdez (1989), a imposé le recours aux doubles fonds sous peine d'inassurabilité du navire; les "paquets" législatifs européens Erika 1, 2 et 3 (2001-2009), après le naufrage de l'Erika (1999), ont renforcé la sécurité et le contrôle des navires ainsi que les sanctions, notamment pénales, en cas de pollution ; la loi "risques" (2003), après l'explosion de l'usine Azf (2001), a institué les plans de prévention des risques technologiques (Pprt)... La réglementation camerounaise semble figée dans le temps. On constate le net décalage entre les agissements des compagnies pétrolières et le contenu des deux (02) principaux textes législatifs consacrés à l’environnement et auxquels est soumise l’industrie extractive au Cameroun, y compris l’industrie pétrolière : la loi nº 99/013 du 22 décembre 1999 portant Code pétrolier et la loi nº 96/12 du 05 août 1996 portant Loi-cadre relative à la gestion de l’environnement. Ces deux textes de loi prévoient bien des aspects contraignants pour les opérateurs du secteur pétrolier. Le Chapitre 2 du Code pétrolier consacré à la protection de l’environnement stipule en ses articles 82 et 83 que : ‘’Le Titulaire (c’est-à-dire toute société pétrolière ou consortium de sociétés liée à l’État par un Contrat pétrolier) doit réaliser les opérations pétrolières de telle manière que soit assurée, en toute circonstance, la conservation des ressources naturelles, notamment celles des gisements d’hydrocarbures et que soient dûment protégées les caractéristiques essentielles de l’environnement. A ce titre, il doit prendre des mesures destinées à préserver la sécurité des personnes et des biens et à protéger l’environnement, les milieux et les écosystèmes naturels’’, ‘’Le Titulaire dont les opérations pétrolières sont susceptibles de porter atteinte à l’environnement en raison de leur dimension, de leur nature ou de leur incidence sur le milieu naturel, est tenu de réaliser, à ses frais, une étude d’impact environnemental. Cette étude permet d’évaluer les incidences directes ou indirectes des opérations pétrolières sur les équilibres écologiques, le cadre et la qualité de vie des populations et des incidences sur l’environnement en général.’’ L’article 63 de la Loi-cadre relative à la gestion de l’environnement va plus loin : ‘’Les ressources naturelles doivent être gérées rationnellement de façon à satisfaire les besoins des générations actuelles sans compromettre la satisfaction de ceux des générations futures. Cependant, chaque catastrophe industrielle, chaque marée noire, vient cruellement rappeler les limites du droit. Car, à l'origine de ces catastrophes, il y a des fautes, des erreurs, des manquements aux règles, des violations du droit. Les logiques strictement économiques de réduction des coûts en sont la cause de la plupart des accidents : réduction des équipes, charge de travail inadaptée, formation insuffisante, non-remplacement ou non-réparation des équipements vétustes, manque d'investissement dans la sécurité... c’est pour cela que des initiatives comme celle annoncée par l'Équateur qui souhaite renoncer à l'exploitation de 850 millions de barils de pétrole brut (350 millions de dollars par an pendant 10 ans) en échange d'une contribution internationale en vue de prévenir de la pollution et du réchauffement climatique. Alors que le Brésil annonce avoir découvert un gisement en mer qui lui permettra de devenir l'un des premiers exportateurs de gaz et de pétrole, que deviendra l'Atlantique Sud s'il est un jour touché par une marée noire ? Imaginons le coût réel de la tragédie sur l'écosystème aquatique d'une catastrophe sur une plate-forme offshore au large des Malouines...
Duke Atangana Etotogo