Université des Montagnes et formations médicales au Cameroun : Quand l’État découvre la société civile

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L’Université des Montagnes (UdM) a moins de quinze ans d’âge. Mais pour qui l’écrirait, son histoire serait encyclopédique. Au moment où l’UdM ouvre ses portes en 2000, le paysage universitaire du Cameroun est constitué de six institutions publiques et d’une Université Catholique qui est en réalité une création de droit international puisqu’il s’agit d’une institution vaticane. Dans le sillage de l’Université des Montagnes, on assiste à une floraison d’autres institutions privées appartenant en général à des particuliers ou à des familles spécifiques. Initialement, elles offrent essentiellement des formations de type Bacc + 2 alors que l’UdM s’inscrit d’emblée dans le système Licence/Master/Doctorat (LMD).
Dès le départ, l’UdM repose sur un concept pratiquement inédit au Cameroun puisqu’elle est créée par l’Association pour l’éducation et le Développement (AED), association apolitique et à but non lucratif de la société civile. Après avoir exploré les possibilités que pouvaient lui offrir Yaoundé, Douala, Bafoussam et autres villes, l’UdM ouvre ses portes à Bangangté pour une seule raison : le Chef Supérieur des Bangangté lui octroie un terrain de plus de 200ha à Banekane. Avec ses quelques 200 employés à plein temps et l’effervescence qu’elle engendre, l’UdM est devenue le moteur économique de la ville de Bangangté et l’un des plus importants contribuables de la région.

L’objectif de l’AED/UdM est d’offrir aux Camerounais(es) des formations qui à l’époque sont soit limitées (médecine), soit disponibles exclusivement à l’étranger (pharmacie, chirurgie dentaire, médecine vétérinaire, génie biomédical, kinésithérapie, etc.) à des coûts inabordables pour les familles camerounaises moyennes. Avec l’aide de la diaspora camerounaise et de son réseau de relations, l’AED/UdM a réussi à créer à Bangangté un espace universitaire d’envergure. Elle est désormais reconnue, sur le territoire national et même international comme une université de formations médicales de haut niveau ainsi que le reconnaît la commission mixte d’inspection commise par le Ministère camerounais de l’enseignement supérieur dans un rapport rendu public en mai 2013, encore appelé Commission Sosso.  
Pourtant, depuis sa création, l’UdM n’a pas véritablement connu de moment de répit avec les pouvoirs publics qui semblent l’avoir soupçonnée de tout et ont presque toujours refusé de lui reconnaître une identité propre, à savoir qu’il s’agit d’une initiative de la société civile au service de la nation camerounaise. On pensait qu’avec la publication du fameux Rapport Sosso qui montre que l’UdM se situe au peloton de tête des institutions publiques et privées offrant des formations de même type, l’institution pouvait sinon légitimement prétendre à l’homologation, du moins connaître une certaine accalmie au niveau des tracasseries règlementaires. Ses filières médicales s’étaient stabilisées depuis qu’elles fonctionnaient dans un partenariat serein avec l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France). Avec de nombreuses conventions de partenariat signées avec plusieurs universités françaises (Besançon, Lyon, Paris Créteil, Grenoble, etc.) sans oublier des institutions en Italie (Ferrara), Suisse (HEIG-Vaud, Lausanne), Allemagne (Münich, Lübeck, etc.), ainsi que des partenaires aux USA et en Afrique (Tunisie, Congo Kinshasa, Bénin, Togo, Sénégal, etc.), l’AED/UdM caressait le rêve de simplement s’atteler à la construction de ses infrastructures avec le prêt concessionnel de CFA 5 Milliards que venait de lui concéder l’Agence Française de Développement (AFD) et de mobiliser les énergies pour trouver la contrepartie exigée sous forme d’équipements. Et si l’institution a réussi à décoller en si peu de temps, c’est justement parce que l’initiative citoyenne qu’est l’UdM ne distribue pas des dividendes mais réinvestit tous ses revenus dans l’investissement et le fonctionnement. Oui, l’institution n’a pas été créée pour enrichir des actionnaires mais plutôt pour réaliser des bénéfices sociaux : offrir une éducation de qualité à la jeunesse, dans un domaine essentiel pour le développement du pays. Pourquoi ne pas le dire ? Au Cameroun, l’UdM est l’une des rares sinon la seule institution entièrement gérée par des professionnels de l’enseignement supérieur, tous soucieux de la qualité de la formation, de l’innovation et du partenariat avec des pairs de haut niveau à l’international. Le Rapport Sosso le reconnaît sans ambages !
Paradoxalement, le déluge de textes qui règlementent les formations médicales au Cameroun à la suite du rapport Sosso est en train de sonner presque le glas de cette initiative citoyenne quasi révolutionnaire en Afrique noire Francophone. L’UdM qui a toujours milité pour l’évaluation des institutions a salué publiquement le travail de la Commission Sosso ainsi que l’effort entrepris par le Minesup pour règlementer les formations médicales au Cameroun. Mais alors qu’on aurait pu raisonnablement attendre que les meilleurs soient sinon récompensés du moins encouragés, comment expliquer qu’on assiste plutôt à une stratégie de mise à sac de l’institution qui réunit pratiquement toutes les conditions d’un développement harmonieux et dont on a pu dire qu’elle avait le vent en poupe ?

L’UdM avait des réserves quant à l’idée d’organiser un concours national d’admission dans les filières médicales, pharmaceutiques et odontostomatologiques. Cependant, elle était restée confiante du moment que le Minesup avait mis sur pied dans un arrêté du 28 juin 2013 une Commission nationale de Formation Médicale, pharmaceutique et odontosmatologique censée gérer toutes les questions relatives à la réforme. Evidemment, le fait que d’entrée de jeu un numerus clausus de formation a été édicté sans qu’on sache sur quelles bases, augurait déjà des turbulences dans la démarche. Limiter l’admission en première année à 500 étudiants en médecine, 150 en pharmacie et 150 en chirurgie dentaire dans un pays de plus de 20 millions d’habitants sans expliquer quels étaient les objectifs en termes du nombre de médecins/pharmaciens ou chirurgiens-dentistes par habitants était hautement problématique, sinon arbitraire. Comme dans toutes les filières de formation, les déperditions dans les études médicales peuvent être significatives entre la première et les 6e/7e années, que ce soit par abandon, par échec ou du fait de l’exil des diplômés. En a-t-on tenu compte ? À Bangangté où la majorité des étudiants dans le secteur sont des femmes, on a l’expérience des jeunes filles qui ont pour ainsi dire leur billet d’avion dans le sac en salle de soutenance.
L’arbitraire observé au niveau du quota de formation s’est confirmé lors de l’unique réunion de la fameuse Commission Nationale de Formation Médicale… Cette instance s’est révélée n’être qu’une chambre d’enregistrement puisque le rôle des membres a simplement consisté à prendre acte de la répartition du nombre d’étudiants par établissement et même – fait inédit – de la décision unilatérale et irrationnelle de fixer au hasard un taux-plafond des frais de scolarité à pratiquer dans le secteur privé, décision dictée par le Minesup !

L’examen national s’est déroulé comme un secret d’État et l ‘UdM n’a été associée qu’au niveau de la contribution à la banque des sujets. Première concernée, elle a appris au soir du 1er novembre 2013 que les résultats du concours étaient publiés sans jamais savoir qui a participé aux délibérations ni quels ont été les critères de sélection des candidats. Dans un pays où la pratique des quotas ethniques et régionaux est une question des plus sensibles, n’aurait–il pas été raisonnable de réunir un jury et de lui expliquer les préoccupations nationales à ce niveau ? Les discriminations positives ne sont ni une honte ni encore moins un secret d’État puisqu’il s’agit pratiquement d’un impératif catégorique de construction nationale et de l’organisation du vivre ensemble aujourd’hui et demain. Les récentes élections municipales et législatives ont confirmé dans une certaine mesure la pratique d’une certaine discrimination positive sans qu’on trouve à redire. L’organisation du concours dans des conditions des plus rocambolesques, la manipulation des résultats par des groupes occultes et la confection des listes plus étranges les unes que les autres ne sont nullement de nature à rassurer les partenaires institutionnels et l’opinion publique. Elles trahissent aussi la confiance des étudiants, des parents, et des populations camerounaises qui, dans quelques années, se feront soigner par des diplômés aux standards académiques et professionnels incertains.
Bien plus ; après la série des réformes de juin 2013, la fiche des résultats énonce en ses pages 16 et 17 un ensemble de prescriptions totalement inattendues et de nature à mettre fondamentalement en question le modèle d’établissement qu’est l’UdM. Les formations médicales entend-on dire, relèvent du devoir/pouvoir régalien de l’État. Encore nous faut-il définir notre modèle étatique. Sommes-nous en train de construire un État socialiste totalitaire à la Nord-Coréenne où une poignée de mystérieux décideurs dictent les modes de gestion de toutes les institutions privées et citoyennes ? Allons-nous vers un État-Providence, à la Norvégienne, à la Suédoise ou même à la Française, autant de pays qui ont les moyens de socialiser les services ou un État libéral à la Nord-Américaine (USA, Canada) qui repose essentiellement sur les initiatives des individus ou des collectivités locales, modèles qui inspirent aujourd’hui la presque totalité des pays dits émergents ? L’UdM s’est créée parce que ses promoteurs en étaient arrivés au constat que notre Etat ne pouvait tout seul assumer tous les devoirs de sa charge. Rappelons-le encore, l’UdM a crée la 2e école de médecine au Cameroun et a été la première à former des pharmaciens et des diplômés en génie biomédical. L’UdM a mis sur pied un management fiable qui lui a permis d’offrir des formations crédibles. Et le modèle économique de l’UdM n’intègre pas le genre de subventions ou d’allocations nimbées d’incertitudes auxquelles le Minesup veut la soumettre au profit du quota d’étudiants qui lui est attribué. Pourquoi, au terme du concours unique, l’Etat qui lui envoie des étudiants ayant librement choisi de s’y inscrire ne peut-il pas, puisque cela lui plaît, verser des bourses à ces étudiants pour faire face, totalement ou en partie à leurs frais de scolarité ? Jusqu’à présent, l’UdM a vécu sans aucune subvention de la part du gouvernement. Lui demander de signer une convention pour bénéficier d’un paiement au profit des étudiant(e)s qui ont librement choisi de s’y inscrire est une démarche totalement incompréhensible. Aux Etats-Unis, pays dont les institutions d’enseignement supérieur se classent en tête du hit-parade mondial, l’étudiant qui choisit de se former en médecine à Harvard sait qu’il paiera une scolarité différente par rapport à quiconque choisit de s’inscrire par exemple à l’Université d’État de New York pour le même type de formation. Initiative citoyenne, l’UdM ambitionne également d’habituer nos compatriotes à investir dans des formations professionnalisantes. C’est aussi une question de responsabilité.

Plafonner les frais de scolarité de manière autoritaire dans une institution privée, une institution dont le plan de développement est écrit et scellé, revient essentiellement à demander aux partenaires de se désengager, puisque la faillite est ainsi programmée délibérément. En imaginant même que la faillite soit évitée et que l’État verse ses contributions d’entrée, comment faire cohabiter sur un même campus des étudiants qui paient des frais de scolarité différents dans la même filière soit, CFA1295000 pour les uns et CFA1 000 000 pour les autres ? Du fait de son crédit, l’UdM a réussi à attirer non seulement des collaborateurs à la réputation établie, mais aussi des étudiants de bon niveau. L’octroi des bourses et l’élaboration des techniques de discrimination positive devraient permettre à tout citoyen de bénéficier des formations qui y sont données. C’est la seule manière, comme le rappelle constamment et pertinemment le Professeur Jacques Fame Ndongo, Ministre de l’Enseignement supérieur, de privilégier la qualité et de tirer l’ensemble du pays vers le haut. Force est de constater que les conditions de fonctionnement et de financement proposées dans le communiqué du 1er novembre 2013 sont plutôt de nature à plonger l’institution UdM dans une indescriptible tourmente et à la conduire vers une faillite savamment programmée.
Si l’État a le droit et le devoir de réguler, il nous semble qu’en cette ère de globalisation, il devrait tenir le plus grand compte de l’évolution du monde, c’est-à-dire qu’il a aussi le devoir d’écouter la voix des citoyens qui ont le souci d’offrir des alternatives crédibles et de contribuer de par leur génie propre à la construction nationale. N’est-ce pas aussi cela le chemin de l’émergence ?
Ambroise Kom
Université des Montagnes
Paru dans le quotidien La Nouvelle Expression du 07/11/2013, p. 10-11