L’unité de l’UPC, ou le devoir de répétition: l’UPC du pouvoir et l’UPC de l’opposition

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 « L’UPC m’a déçu jusqu’à fatiguer… », « A quand l’unité de l’UPC ? », « L’UPC c’est fini ! », « Les upécistes en sont toujours à se bouffer le nez !», « L’UPC est la championne des querelles des chefs ! ». Et d’autres sentences encore, plus ou moins définitives. Cela donne à nos compatriotes ce petit air ou supérieur ou de pitié quand on parle de l’UPC.
À la vérité nous avions aussi contribué à cette confusion qui fait état de plusieurs UPC irréconciliables. C’est qui « nous » ? Je parle – concession faite aux vocables des médias – de la « famille » d’upécistes qui a fait le travail de fourmis depuis en gros la mort d’Ernest Ouandié jusqu’à l’adoption de la loi de 1991 sur le pluralisme démocratique. C’est cette « famille » upéciste que des médias désignent tour à tour comme l’UPC des Fidèles, l’UPC légitime, l’UPC canal historique…
Je résume : la descente aux enfers des maquis de la Sanaga Maritime depuis l’assassinat de Ruben Um Nyobé en 1958, précédant (et en parallèle avec) une dizaine d’années des maquis de l’Ouest et du Mungo sous le haut commandement d’Ernest Ouandié, l’arrestation de celui-ci en août 1970, son procès et son exécution à Bafoussam le 15 janvier 1971, ferment le ban d’une longue suite de défaites militaires de l’UPC, d’assassinats de ses membres, de réclusions de nombreux autres dans les geôles du régime et d’abandons bien plus nombreux. L’électrocardiogramme de l’UPC au début des années 1970 était pratiquement plat(1).
C’est alors que Woungly Massaga, Michel Ndoh, Samuel Mack-kit, Moukoko Priso et une poignée d’autres prennent en charge d’organiser autour d’eux une nouvelle génération de jeunes gens. C’est la troisième génération d’upécistes après celle des fondateurs et celle des étudiants des années 50-60 associés à la direction de l’UPC. Cette génération de nouveaux upécistes fait le serment (c’était ainsi : on prêtait serment en prenant sa carte) que cette affaire ne se passera pas comme ça et que le régime néocolonial n’enterrera pas le parti de Ruben Um Nyobé. D’anciens combattants retrouvés dans divers pays du continent (Congo, Algérie, Angola, Nigéria …) se connectent à ces jeunes qui tirent un surcroît de ressources morales de l’exemple d’aînés qui en ces rudes années n’ont pas abandonné et auxquels ils vouent une admiration intense.
La nouvelle génération tient parole, mais, c’est fatal, rencontre sur son chemin le précepte qui gouverne les dictatures : « Il faut bien frapper quand on ne peut réfuter (2)». Sont donc frappés Gaspard Mouen, Martin Ebellè Tobbo, Ekambi Dibonguè, Rithé Ndongo Ngallè, et d’autres qui constituent en 1976 le premier cortège des jeunes qui ont empêché que l’UPC ne disparaisse au moment où cela aurait pu arriver. À l’avènement de M. Biya en 1982, certaines de ces victimes étaient encore sous les verrous et le nouveau Président prit tout son temps pour les en extraire. M. Biya formaté comme M. Ahidjo donne sa préférence à un pouvoir excluant toute opposition et qui aime montrer ses muscles. Songez qu’il aura fallu près de dix ans de mouvements dans les rues pour que soit publiée en 1991 la loi sur le multipartisme ! C’est donc bien sous le « Renouveau » qu’une deuxième et une troisième vagues d’arrestations de cette génération d’upécistes a lieu : en 1983 et en 1985-1986 : Abanda Kpama, Mendomo Elisabeth, Ndema Samè Alexis, Boum Jean-Pierre, Mouind Jacques, Mbanga Paul, etc. Mais à cette heure ces jeunes qui depuis une décennie s’étaient hissés au rang de cadres de l’UPC chantaient déjà sur l’air du poète « Qu’importe à présent qu’on nous tue … »(3). Car avec des centaines de leurs camarades, sillonnant les secteurs qu’il pleuve ou qu’il vente, pratiquement sans vie de famille, certains sacrifiant pour le Parti jusqu’à la moitié de leur salaire, ils avaient réussi à couvrir toutes les régions du pays et la diaspora d’Europe de nombreuses structures clandestines de l’UPC. Au bout de deux décennies de cette activité soutenue, c’est une UPC d’une vitalité insoupçonnée, avec des jeunes, des intellectuels, des cadres des sociétés, etc., qui sort de la clandestinité au moment où les instances dirigeantes du Parti dans le pays en décident ainsi(4). Pendant toutes ces années dont je parle depuis la mort de Ouandié, la poignée d’hommes en vue qui se découvriront des vocations d’upécisme en 1991 avec l’intention bien visible d’en faire le tremplin pour leur carrière dans l’appareil du « Renouveau », avaient de longue date oublié l’UPC qu’ils avaient bel et bien enterrée en allant prendre leurs cartes à l’UNC puis au RDPC(5).
Nous avions participé à la confusion, disais-je, parce qu’en vertu de ce travail de reconstruction de l’UPC que nous fumes les seuls à faire pendant la clandestinité, nous rejetions d’un revers de la main toute allusion à d’autres groupes se réclamant de l’UPC ; nous répliquions qu’il n’y avait pas plusieurs UPC, mais une seule : la nôtre. Cela procédait du réflexe bien naturel chez ceux qui ont porté tout le fardeau pendant les années difficiles alors que beaucoup se terraient comme des rats ou s’occupaient de leur carrière. Cela dit, cette réponse était plutôt courte. D’abord parce que le propre de l’imposture étant de parler crânement, les upécistes de la vingt-cinquième heure qui s’étaient mis à nous disputer l’UPC rétorquaient aussi bien qu’il n’y avait qu’une seule UPC : la leur. Et, face aux populations ignorant les dessous d’une organisation restée clandestine pratiquement depuis les massacres de mai 1955, ça devenait notre parole contre celle des imposteurs. Le régime RDPC ayant vu le parti à tirer d’une telle dissonance, déroutante pour les populations, favorisa la multiplication des ténors qui pouvaient revendiquer leur UPC tout en la présentant comme la seule et la vraie. À un moment donné, le MINATD laissa prospérer l’UPC-N (Ntumazah), l’UPC-K (Koddock), l’UPC-H (Hogbe), tout en s’obstinant à refuser l’agrément à notre « famille » en dépit de deux ordonnances de la chambre administrative de la Cour suprême(6). Vous avez encore une parfaite illustration de l’instrumentalisation des multiples proclamations upécistes dans la façon dont le régime a utilisé les sieurs Koddock et Hogbe, en les faisant ministres à tour de rôle, en accordant la députation au premier, sans être gêné qu’ils ne fussent préalablement réconciliés dans une seule UPC, l’essentiel pour le pouvoir étant qu’aucun des deux ne cessât de se croire le seul vrai chef du Parti capable en cela de gêner l’autre dans ses prétentions. Tout particulièrement depuis la mort de M. Koddock, des vocations de leaders supposés de l’UPC ont poussé comme de la mauvaise herbe, chacun s’active à devenir l’interlocuteur privilégié du MINATD. Au milieu de tout cela, le Kamerunais moyen a le sentiment d’être en présence de messieurs et dames qu’apparemment rien n’oppose, si ce n’est la course au leadership d’une organisation que tous pourraient également prétendre à diriger. Un enjeu si dérisoire au regard des problèmes des populations semble relever de caprices des chefs et ruine sensiblement le crédit upéciste, à un point tel que bien malgré nous et à tort plus qu’à raison même notre « famille » en subit le contrecoup.
Au MINATD siège actuellement un éminent membre du RDPC qui s’est soudain découvert des vertus de rassembleur d’upécistes ! Monsieur Sadi, je vous souhaite bien du plaisir ! Mariez-les. Quand vous pensez les noces consommées, surgira un nouveau « dirigeant » de l’UPC à qui l’on aura rapporté la douceur de l’air conditionné de vos locaux et qui, en paraphrasant François 1er, demandera à voir la clause du testament d’Adam qui l’exclurait du partage de l’UPC(7). Peut-être comprendrez-vous alors que vous aviez outrepassé votre rôle. Car vous récoltez les fruits des montages politiques de l’un de vos prédécesseurs au MINATD dans les années 1990, consistant à faire proliférer des « UPC ». Cette pitoyable opération gouvernementale poursuivant l’objectif de faire barrage à l’UPC qui sortait alors de la clandestinité est à présent un problème pour votre gouvernement : dans votre entreprise d’éclipser l’UPC légitime en aménageant toute la place à la « famille » de l’UPC alliée au RDPC, c’est au sein de vos obligés mêmes que naît un désordre de prétentions au leadership que vous, M. Sadi, tentez à présent de discipliner en exigeant d’eux un congrès unitaire. Est-ce bien là le rôle du MINATD...?
Toujours est-il que malgré l’upécisme tardif de ces leaders autoproclamés et leur démagogie tortueuse, il y a des Kamerunais qui les écoutent, qui les suivent, qui votent pour eux soit par chauvinisme ethnique soit par opportunisme en se disant qu’il y aura peut-être des retombées pour eux-mêmes. Fort heureusement il y a aussi mieux : il y a en effet des Kamerunais désireux d’appartenir à une force qui fera échec au RDPC, et pour eux cette force ne peut être que l’UPC, même s’il arrive que leur bonne foi et leur volonté tournent au profit des leaders ethniques. Singulièrement, dans la Sanaga et le Nyong et Kellé, dans l’Ouest et le Mungo, il y a des vieux upécistes « sanguinaires » selon une plaisanterie courante dans le Parti et d’après laquelle ces hommes et femmes pensent avoir l’UPC dans le sang ; il y a aussi leurs enfants qui ayant vécu les sacrifices des parents en déduisent qu’ils sont naturellement de l’UPC, malgré le fait que les persécutions d’Ahidjo avaient confiné la plus grande partie dans l’attente … du miracle. Par bonheur le miracle vint, figuré par la troisième génération dont je viens de parler qui s’attela à la reconstruction de l’UPC. Pendant l’effervescence de la revendication démocratique qui se situe à la charnière des années 80-90, ces anciens ont la bonne surprise de découvrir leur Parti toujours debout et actif, et certains opèrent alors la jonction avec leurs jeunes camarades gardiens de la flamme pendant les deux dernières décennies de la clandestinité, tandis que d’autres cèdent aux sirènes ethniques et s’alignent derrière un leader « UPC » de leur ethnie ou de leur région.
Le cas de ces populations se réclamant de l’UPC et enthousiastes, mais captives des chefs qui ne s’occupent que de leur carrière a conduit notre « famille » à une position qui prend mieux en compte les nuances de la situation globale, à reconnaître l’existence de plusieurs groupes upécistes que l’on peut facilement ranger dans deux grandes « familles » : d’une part la « famille » qui, dans la filiation de M. Mayi Matip depuis 1958 jusqu’à MM. Dicka, Koddock et leurs émules, est à la remorque des chefs disposés aux accommodements avec le pouvoir en place, désireux de s’unir à ce pouvoir à l’exemple de l’alliance RDPC et l’UPC de Koddock en 1992, postulant d’entrer dans le gouvernement du RDPC (ou au Sénat, ce que semble-t-il l’on promettait à M. Ntumazah) ; d’autre part, il y a notre « famille » constituée d’upécistes qui, en examinant l’état du pays, affirment que le programme de Ruben Um Nyobe (réunification, indépendance et amélioration des conditions de vie des Kamerunais) reste largement à réaliser ; qu’en outre par son histoire et la nature de ses hommes trop portés sur le pouvoir et l’argent, le RDPC est inapte à se charger dudit programme ; que, par conséquent, notre « famille » doit se ranger résolument dans le camp de l’opposition pour préparer le changement. Deux UPC donc : une UPC alliée du pouvoir et une UPC de l’opposition.
Albert Moutoudou, Homme politique.
(À suivre : Convergences pour la refondation de l’UPC)
Le 11 mars 2014
(1) Cette longue période est cependant traversée de luttes héroïques et pleine de sacrifices qui forcent l’admiration. Lire à ce sujet le livre intitulé « L’avenir nous donnera raison », témoignages de deux vétérans de l’UPC, Mathieu Njassep et Flaubert Ngagnya.
(2) Albert Camus, Caligula.
(3) Louis Aragon : « Qu’importe à présent qu’on nous tue / Les nuits tomberont une à une/ La Chine s’est mise en Commune / Nous avons fait des clairs de lune » En 1990 encore une vague d’arrestation d’upécistes : Ekwè Henriette, Anicet Ekanè (arrêtés en même temps que le Bâtonnier Yondo Black pour un motif ridicule à l’ère du « Renouveau ») ; 1991 : arrestation à Douala de nombreux jeunes et femmes upécistes de la nouvelle génération, à l’occasion d’une manifestation près de l’ancien Stamatiades puis à l’occasion du sitting des femmes upécistes au carrefour Nkongmondo.
(4) Dans Kamerun, l’indépendance piégée ; éditions L’Harmattan, un ouvrage coécrit avec mon ami journaliste Jean Chatain et ma camarade Augusta Epanya, nous avons témoigné de cette période de clandestinité, notamment en produisant des documents comme le barème des cotisations auxquelles les militants s’astreignaient scrupuleusement.
(5) Un ouvrage publié en 2011 par nos camarades, L’unité de l’UPC est un combat, fait le tour de ces figures d’imposteurs.
(6) Par deux fois, par les ordonnances 02/0/PCA/CS du 16 décembre 1992 et 08/0/PCA/CS/93-94 du 13 décembre 1993, la Chambre administrative de la Cour Suprême avait déclaré que notre « famille » avait le droit d’exister sous le nom de UPC-MANIDEM, nom que nous avions pris à l’époque pour nous démarquer des revendications abusives du seul sigle UPC. Songez que M. Koddock était allé jusqu’à déposer à l’Organisation Africaine de la Protection Intellectuelle le sigle, les emblèmes du Parti et les photos des leaders comme de vulgaires attributs commerciaux. De quoi faire retourner Um dans sa tombe ! Malgré les deux ordonnances de la plus haute Cour du pays, le MINATD nous a refusé la légalisation…
(7) J’emprunte ce mot à François 1er roi de France. Par le Traité de Tordesillas en 1494, le Pape avait confié une partie du monde au Portugal et l’autre à l’Espagne. En vertu de quoi le Portugal se lança à la conquête de l’Afrique et des Indes, et l’Espagne à celle de l’Amérique qui sera dite latine. En colère contre le partage du Pape, François 1er  eut ces mots que je rapporte ici de mémoire : « Je voudrais connaître la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde. Le soleil brille aussi pour moi. »