Mouangue Kobila réplique, Roger Kaffo Fokou fait une mise au point

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J'appelle l'attention des uns et des autres sur ce que Monsieur Roger Kaffo Fokou n'a pas produit la moindre tribune sur l’affaire du plagiat dont je suis victime de la part de Maurice Kamto, ni même sur le triste sort qui a été le mien auprès de ce Professeur de droit public, lorsqu’il a pris connaissance de mon témoignage. Un triste sort dont il fait semblant de s’émouvoir aujourd’hui, parce qu’il croit saisir l’occasion de contester la teneur de mon communiqué sur les événements de Deido.
Il faut surtout préciser que l'expression "certains habitants de Doualas" qui semble focaliser l’attention de quelques-uns ne saurait viser une communauté précise que si la ville de Douala n’était habitée que par une seule communauté.
Dans le contexte de la diversité sociologique qui caractérise la population de la ville de Douala, l'expression "certains habitants de Douala" ne peut viser que des individus, pris indépendamment de leur origine ethno-culturelle et de leur appartenance confessionnelle ou linguistique.
En l'occurrence, l'expression "certains habitants de la ville de Douala [...] animés par une volonté hégémonique vise précisément" Messieurs Albert Dzongang et Jean Michel Nintcheu.
Le premier, qui s'auto-présente comme le parrain des conducteurs de motos-taxis, a intentionnellement jeté de l'huile sur le feu de l'émotion qui s'est emparée des habitants de Deido en déclarant, sur Équinoxe télévision, qu' "on dit: Bamiléké allez chez vous"; "ce sont les allogènes qui investissent à Douala, c'est un allogène de mon village Babouantou, le propriétaire de Sorepco, qui est le plus grand contributeur fiscal du Cameroun"; "les gens de Deido ne peuvent pas empêcher les moto-taxis d'y circuler", encourageant de ce fait les motos taximen dans leur volonté d'en découdre, dès lors qu'il leur assurait la victoire. Je rappelle que c'est au lendemain de cette déclaration que l'indignation de départ des habitants de Deido s'est littéralement transformée en affrontement entre deux quartiers de la ville de Douala.
Quant à Jean-Michel Nintcheu, il a diffusé un communiqué incendiaire dans lequel il a écrit que "Douala est la propriété de tous ses habitants", des propos qui, inscrits dans leur contexte, signifient que "les autochtones de Deido n'ont plus de village", ce qui est manifestement une provocation de la part de celui qui se rend dans son propre village tous les week-ends, sans s’entendre dire qu’il n’a plus de village parce qu’on serait en République. Il a ensuite insulté la douleur des habitants de Deido qui ont tragiquement perdu un des leurs en déclarant que leur indignation éruptive est fondée sur « des motifs injustifiables ». Il a également accusé les autochtones de Deido, en commençant par leurs chefs, de vouloir "créer un État de non-droit dans un quartier" qu'ils veulent ériger en "Banthousthan", de n'être que des représentants d'une "baronnie sectaire en mal de positionnement", alors même que la réaction des habitants de Deido, loin de viser un groupe ethno-culturel quelconque, ne concerne que les conducteurs de motos-taxis. La preuve en étant qu’aucun piéton, aucun taximan, aucun automobiliste et aucun commerçant de Deido ou passant par Deido n’a été inquiété jusqu’ici par les habitants de Deido.
Ces propos reflètent fidèlement et malheureusement la "volonté hégémonique" de ces "habitants de la ville de Douala". Ces propos trahissent surtout un mépris abyssal de ces personnes pour tous ceux qui ne sont pas comme eux et traduisent un déni d'autochtonie qui, j'ose l'espérer, ne présage pas d'un projet de génocide anti-minoritaire et anti-autochtone.
Pour ce qui est de la notion de « République », mon contradicteur ne doit pas se faire plus royaliste que le roi, dans la mesure où la notion de République que l’on évoque est héritée de la France. Or, j’ai été agrégé en 2009 par un jury où siégeaient trois professeurs français, sur une troisième épreuve qui avait pour sujet théorique « la République ». J’y ai démontré que la notion française d’une République unitaire et homogène est en recul dans le monde entier en ce compris en France. Après mon admission au Concours, alors que l’un des français me disait combien il avait aimé cette leçon, un Professeur de l’Université de Paris 2 titulaire de deux agrégations, Gilles Guglielmi, m’a déclaré que « cette leçon entrera dans les annales du concours d’agrégation ».
Professeur James Mouangue Kobila

La mise au point de Roger Kaffo Fokou

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la réaction du Pr Mouangue Kobila à la tribune que j’ai rédigée en rapport avec son communiqué sur les incidents de Deido. Je note qu’il n’essaie pas de jeter de l’huile sur le feu, et cela contribue à rassurer. Il a pu se laisser aller un instant dans le feu de l’émotion et toutes les explications qu’il donne a posteriori permettent de comprendre ses propos précédents mais ceux-ci demeurent, à mon sens, non justifiés.
Le professeur peut être rassuré, sa tribune sur l’affaire du plagiat l’opposant au Pr Maurice Kamto était bien passée et avait trouvé une énorme sympathie de la part de tous ceux qui connaissent un tant soit peu notre système universitaire. Mais il s’agissait d’une affaire déjà pendante devant les autorités judiciaires et, présomption d’innocence oblige, il a semblé à beaucoup – et j’en suis -  plus décent d’attendre le verdict pour dire au fautif chacun sa manière de voir. Le fait qu’on l’ait trouvée, - c’était mon cas et je n’étais pas sur la question sur la même longueur d’ondes que nombre de mes amis - lui la présumée victime sympathique ne constituait en aucun cas un argument de droit en sa faveur, de même que ses révélations fort documentées et qui ont contribué à dessiner un début de portrait peu sympathique au présumé bourreau ne suffisaient pas non plus à condamner a priori  ce dernier. Le Pr Mouangue Kobila peut être certain que l’issue des joutes prétoriennes consécutives à ce dossier est attendue impatiemment des intellectuels de ce pays et l’on peut parier que le fautif (ou perdant) quel qu’il soit ne sera pas protégé par sa tribalité.
Quand je relis l’exercice d’explication de texte auquel le Pr Kobila vient de se livrer, un peu tard il faut le dire, je me dis qu’il s’est lui-même rendu compte de ce que son propos, jeté tel quel dans une situation en ébullition, n’aurait pu se comprendre sans l’aide d’un arrière-plan que lui seul pouvait fournir à son lecteur, et qu’il n’avait pas fourni jusqu’ici. En 24 h le dommage éventuel résultant d’une mauvaise interprétation de celui-ci - mauvaise interprétation favorisée par le caractère lacunaire de son texte - aurait pu être élevé. Le Pr Kobila est une éminente élite, ne lésinons pas sur les mots, un intellectuel je pense, et il doit pouvoir chaque fois mesurer la responsabilité sociale et intellectuelle qu’implique ce statut. Qu’il se soit laissé entrainer sur la mauvaise pente par des politiciens, lui l’homme de science, donne tout de même à réfléchir. La gangrène de l’ethnisme a fait et continue à faire de tels ravages dans notre pays que le devoir de tout intellectuel me semble être de faire comprendre, de manière claire et sans équivoque, que toute réponse tribaliste même bien intentionnée, même pour défendre une minorité menacée, ne peut à terme que desservir l’avenir de notre pays.
Les propos inqualifiables qui ont été tenus par M. Nzongang et compagnie et que rapporte le professeur heurtent profondément le citoyen camerounais que je suis, et ne me surprennent pas de la part de quelqu’un qui a longtemps montré qu’il n’était pas une lumière de la culture. En 2002 dans un opuscule que j’avais intitulé La Ronde des gladiateurs, je disais déjà de M. Nzongang, et pour moi cela est encore vrai : « J’ai fait l’effort de suivre les boniments de M. Nzongang pendant la dernière campagne pour l’élection présidentielle. Il m’est apparu qu’il est quelquefois facile de confondre la politique et les affaires. En tout cas, il est possible d’allier les deux. Jacques Attali disait que pour lui un homme d’affaires est celui qui vend ce qu’il n’a pas à quelqu’un qui n’en a pas besoin. N’est-ce pas là tout craché le portrait du candidat Nzongang à cette élection ? Car que pouvait-il bien vouloir vendre aux Camerounais ? Et de toutes les façons, ceux-ci avaient-ils besoin de la marchandise de celui-là ? ». C’est dire à quel point en modelant sa réaction sur l’action de M. Nzongang et compagnie le Pr Mouangue s’est mis en mauvaise compagnie… En ce qui me concerne, je suis convaincu que si d’aventure quelqu’un veut organiser un génocide dans notre pays aujourd’hui, à moins d’agir comme ce pape, le très saint Innocent III qui avait dit parlant des pauvres habitants de Béziers  « Tuez-les tous, Dieu choisira les siens », il lui faudra commencer par organiser des tests Adn pour éviter de massacrer ses propres « frères » de tribu.

Pour ce qui est du concept de « république », ce n’est pas parce que ce modèle est en train de ficher le camp en France que le rêve républicain hérité de la Rome antique a définitivement perdu de sa saveur. Il faut d’ailleurs rappeler que la France qui l’a remis au goût du jour en 1789 a commencé à le trahir dès le premier jour de la refondation, d’abord en France même dans le cadre d’une république bourgeoise hypocritement censitaire donc marchande, ensuite à l’étranger par la mise en œuvre d’une politique impériale en tous points contraire aux idéaux de liberté – égalité – fraternité. La France n’a pas servi la république, elle s’en est servie.  N’oublions pas que le problème auquel fait face cette France-là aujourd’hui est une résultante normale de la mondialisation à laquelle elle a puissamment contribué par l’impérialisme, et qui a ouvert ce pays comme bien d’autres aux grands courants du nomadisme qui labourent le monde actuel. Ce sont les difficultés économiques et leurs conséquences sociales qui exacerbent le mal vivre ensemble des Français aujourd’hui et cela devrait nous donner à réfléchir : une république de la pénurie où cent personnes doivent s’affronter pour un seul bout de pain ne peut que développer des réflexes communautaires puis infra-communautaires. Face à ces dérives, les élites intellectuelles doivent faire encore plus attention que par le passé aux diagnostics qu’ils proposent à une opinion travaillée par des tensions identitaires et irrationnelles.

Roger Kaffo Fokou, essayiste et poète


Ultimes précisions à Roger Kaffo Fokou

Je salue la qualité de la contribution de Monsieur Roger Kaffo Fokou dans ce débat. Par sa courtoisie et la profondeur de son argumentation par ailleurs bien intentionnée, il force le respect.

Je demeure cependant en désaccord total avec lui, lorsqu'il persiste à penser que je me serais laissé entraîné dans une posture politicienne et que j'aurais tenu des propos regrettables en quelque façon. Il reconnaît d'ailleurs que la lecture de ma réplique le rassure, en déplorant qu'elle ne soit pas arrivée plus tôt. Sur ce point, je répète qu'il n'était point besoin de cette réplique pour comprendre que ni les autochtones de Deido en général (l'écrasante majorité d'entre eux, à commencer par Sa Majesté le King Ekwalla Essaka Ekwalla), ni moi-même, quoique victime directe d'un incendie criminel, n'avons proféré de propos tribalistes ou visant quelque communauté que ce soit, ni posé des actes tribalistes. C’est à tort, et par ignorance que certains Camerounais assimilent toute allusion à la protection internationale, régionale et constitutionnelle des minorités et des peuples autochtones au tribalisme.

Il faut en effet faire preuve d'une mauvaise foi au-delà de toute imagination pour distordre les termes de mon communiqué en ce sens.
Enfin, j'aimerais que les uns et les autres comprennent qu'en ma qualité de Professeur, je n'ai pas le temps de prendre connaissance de toutes les réactions suscitées par mes déclarations et que mes charges d'enseignement et de recherche me laissent peu de temps pour répondre à chacun au plus vite. Vous remarquerez du reste que j'ai mis le week-end à profit pour revenir sur certains commentaires suscités par mon communiqué, aussi bien par la réplique récemment diffusée que par une interview sur la radio Cameroon Voice et un débat avec l'Honorable Jean-Michel Nintcheu sur LTM télé.
Une dernière précision : la République de l'antiquité romaine, qui renvoie assez vaguement à l'intérêt général, au gouvernement, à la politique et à l'Etat, pas plus que la démocratie athénienne du siècle de Périclès ne sont des références pour les démocraties contemporaines, dans la mesure où la Grèce antique était certes une démocraties pour les 400 000 citoyens ; mais non pour les millions d'esclaves ou pour les métèques de la Cité grecque. Il en résulte que c'est en référence au modèle Républicain français, théorisé pour la première fois par Jean Bodin dans les Six livres de la République, que cette notion a commencé à prendre son sens contemporain. Il est incontestable que c'est en référence à ce modèle de l'Hexagone, où nombre de nos universitaires ont fait leurs études ou s'abreuvent de quelque manière, que cette notion est évoquée dans le débat public camerounais.
Gardons-nous par conséquent de références inquiétantes - à l'antiquité et à des modèles obsolètes et totalement inadaptés en Afrique - qui pourraient être mal interprétées dans le contexte camerounais que nous connaissons tous.
En revanche, il convient de garder à l’esprit les écrits de Jean Bodin qui a gravé ces propos éclairants  dans l’histoire : il n’y a de politique que si elle se fonde sur les réalités. Il faut par conséquent, explique-t-il, respecter la nature des choses et des hommes qui est leur diversité ;
« [p]our former un Etat, il se faut accommoder au naturel des sujets […] accommoder la forme de la chose publique à la nature des lieux […] Le bon architecte accommode son bâtiment à la matière qu’il trouve sur les lieux. [Ce] qui fait aussi qu’on doit diversifier l’état de la République à la diversité des lieux. […] ainsi doit faire le sage politique qui n’a pas à choisir le peuple tel qu’il voudrait »*.
(*) Les six livres de la République, un abrégé du texte de l’édition de Paris de 1583, Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 1993, Le Cinquième livre, ch. I, pp. 407, 409 et 411. En version intégrale, cf. J. Bodin, Les six livres de la République, livre V, Fayard, 1986, pp. 7, 9 et 11. L’édition originale de cet ouvrage est parue en 1576, aux éditions Jacques Du Puys à Paris.
Professeur James Mouangue Kobila

Ultimes précisions de Roger Kaffo Fokou au Pr James Mouangue Kobila

Je resalue la qualité de la réaction du Pr Kobila dans cet échange spontanée dans lequel la force des choses nous a poussés. Je ne souhaite plus revenir sur la pomme de discorde initiale que je considère comme vidée. Les tribus seront encore des réalités dans notre pays pour longtemps encore, l’important est que la nécessaire cohabitation favorise le dialogue, la convivialité, une saine compétition, et une volonté commune de se bâtir un pays qui appartienne à tous et  soit ouvert sur l’extérieur et l’avenir. Et sur ce sujet-là, le professeur Kobila a été plusieurs fois affirmatif et il n’y a aucune raison de ne pas croire en sa parole.
Sur la question de la démocratie, je pense qu’il exagère la différence que l’on peut faire entre celle de la Grèce des cités et la démocratie de la France révolutionnaire. L’on a l’habitude de parler de la démocratie directe grecque par opposition à la démocratie représentative moderne que préparent soigneusement les théories successives des philosophes des droits naturels, de Hobbes à Rousseau et Montesquieu en passant par Locke. La France pré-révolutionnaire fonctionnait déjà sur le modèle représentatif à travers l’institution des Etats-généraux et il me semble que le caractère représentatif, lui-même dû aux contraintes matérielles de la démographie, ne suffit pas à distinguer profondément les deux modèles alors que ce qui les unit est encore plus profond.
La démocratie grecque fut mise en œuvre par les marchands grecs (Solon lui-même, bien qu’étant de l’aristocratie, s’était enrichi dans le commerce préalablement à son accession au pouvoir) et elle permit surtout d’arracher le monopole du pouvoir politique des mains des aristocrates au profit des marchands enrichis. La démocratie de la France révolutionnaire visait et put atteindre les mêmes objectifs, aussi est-elle plus connue sous l’appellation de révolution bourgeoise. Sur les près de 340.000 à 400.000 habitants d’Athènes il n’y avait que 35.000 à 40.000 citoyens, les autres – esclaves, femmes, enfants et métèques, neuf fois plus nombreux – n’avaient pas le droit de participer à la démocratie. En France sous la révolution, le schéma est identique : ainsi, le discours de Sieyès du 20-21 juillet 1789 distingue entre citoyens actifs et passifs et exclut donc les femmes (qui pourtant votaient depuis longtemps), les enfants ainsi que les étrangers (synonyme de « métèques » utilisé dans la Grèce antique). S’y ajoutaient les esclaves puis plus tard les colonisés de l’empire. Les françaises n’obtiendront le droit de vote qu’au début du XXè siècle.
Au fond, la seule démocratie qui tenta d’aller aussi loin que possible dans la voie de l’idéal fut celle de Clisthène et l’on n’en parle presque jamais, parce qu’elle ne fut pas bourgeoise c’est-à-dire libérale comme celles qui sont à la mode aujourd’hui. Et le Pr Mouangue a raison dans le cas d’espèce de parler « références inquiétantes - à l'antiquité et à des modèles obsolètes » parce que nous sommes à une époque où la démocratie libérale, bien que confrontée à ses limites, s’obstine à se présenter comme la « fin de l’histoire » et refuse de regarder autour d’elle, de peur de découvrir des alternatives plus crédibles. Quant à l’impératif de contextualisation, il me semble secondaire, chronologiquement parlant cela s’entend.  
Roger Kaffo Fokou, essayiste et poète