Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé

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La démocratie n’est pas un borborygme, par Fabien Eboussi Boulaga
Il nous faut revenir ou accéder enfin aux fondamentaux, à un catéchisme politique et démocratique. Il pourrait commencer par des rappels d’évidences si naturelles qu’elles en sont méconnues et ignorées. L’indigence d’esprit impose en frontispice, l’étrange avertissement suivant : « La démocratie n’est pas un borborygme ». 
La démocratie n’est pas une éructation ni même un cri, serait-il un cri du cœur. La parole sur la démocratie n’est pas un tissu d’oracles inintelligibles dont la compréhension et l’interprétation doivent être abandonnées aux seuls êtres de transe, de délire et de nuit, voyants, gourous, devins, partisans et fanatiques, à ceux qui « parlent en langues » voient l’invisible et connaissent l’inconnaissable. Le mot de démocratie ne se prête pas à tous les usages et à n’importe quelles significations. Il répugne à certaines associations d’idées et de pratiques.

La démocratie s’exprime dans un langage articulé.

Elle a ou elle est un discours muni de ses notions et ses propositions de base, de règles qui les enchaînent pour développer une argumentation, un projet, un programme de façon cohérente.

C’est-à-dire ? De manière à fournir au citoyen auditeur ou au lecteur les moyens de justifier ou de récuser le bien-fondé et l’acceptabilité  du propos.
a) Il y a donc des mots de la démocratie. On en comprend la signification comme une prétention à avoir des traits remarquables et démarcatifs qui en font quelque chose de caractéristique que l’on distingue parmi toutes les autres,du même genre, y compris ses contraires et ses opposés (monarchie, oligarchie, autocratie, despotisme). Le non sens, c’est bien évidemment une utilisation qui transgresse la barrière du genre, mais aussi celle de ces écarts internes au genre auquel il appartient, celui de l’action commune sensée, juste et efficace. Le non-sens produit de monstrueux accouplements de choses et des contradictions dans les termes. On ne gagne rien sinon la confusion à parler de démocratie des chefs, autocratique, monarchique, despotique et tribale.
b) La démocratie possède des énoncés de base ou axiomes, qu’on n’a pas à discuter ni à tirer d’autre chose parce qu’ils fondent toute discussion et toute dérivation ou déduction. Ils affirment les propriétés universelles qu’ont les objets quelconques de ce domaine pour en être. Ces énoncés sont premiers au sens où on ne peut satisfaire un autre qu’après l’avoir satisfait ou pour le satisfaire indirectement comme sa conséquence ou sa condition. Ainsi, la liberté égale pour tous est-elle la catégorie première de la démocratie. Une démocratie sans liberté égale ou sans égalité libre est comme une omelette sans œufs. Poser qu’il faut le développement d’abord, c’est évidemment se situer hors du champ de la démocratie, ajourner indéfiniment le moment de la liberté comme si elle pouvait être produite par autre chose qu’elle-même. Il n’est pas interdit de penser que ce soit le rêve, le goût et les exigences de la liberté de penser, de chercher et d’agir qui sont au cœur du développement économique, scientifique et industriel. Il en va de même quand on édicte qu’il faut la sécurité d’abord, comme si la liberté ne pouvait être le plus grand rempart des cités libres.
c) La logique de la démocratie a un argumentaire  qui répond à son impératif de convaincre les esprits et non de les contraindre par des démonstrations de force, des intimidations et la violence. La fraternité ou l’amitié civique est un des axiomes de la démocratie. Il y a entre eux un lien de civilité qui tient de ce qu’ils sont « frères » par et dans le « même sens qu’ils donnent à la vie » (eodem sensu ad vitam), et non pas parce qu’ils sont « nés de même sang » (eodem sanguine geniti). J’ose citer en latin ces distinctions que l’on trouve chez le vieux Cicéron, pour nous rappeler que la démocratie se comprend comme une invention de la culture, polarisée par une quête commune d’une vie sensée, le régime politique qui se pense comme idée régulatrice. Elle se veut une communauté de sens liant d’amitié ses membres, au-delà des consanguinités réelles ou imaginaires. La démocratie est une conquête de la raison raisonnante et non une spontanéité primitive. Elle est incompatible avec un état d’ignorance entretenue, un état d’ensauvagement qui se nourrit d’une régression sociale et historique. On pare ce recul du paravent transparent d’un exceptionnalisme de foire, qui exempte de l’effort, du travail sur soi et des comparaisons qui nous remettent à notre vraie place.

La démocratie est action institutionnalisée ou institution agissante.

On a rappelé qu’elle se considérait (selon son concept) comme une création de «l’action consciente», sous-entendue, «de ses fins, de ses moyens et de ses conditionnements ». Elle procède de l’action et par l’action
La démocratie est une institution. L’action est organisée en vue d’être coordonnée, efficace et durable. Elle est, sous la pression des groupes divers, voire hétérogènes qui la constituent matériellement et des types de défis à relever en commun, construction de structures opérationnelles qui déterminent et coordonnent les devoirs et les tâches, les charges et les avantages relatifs à la coopération sociale. Cette construction se fait dans la dimension de l’espace public. Dans celui-ci, il n’y a que ce qu’on y a mis de façon expresse et qu’on a institué et fixé au moyen de procédures formelles (non équivoques). Dans l’espace public, une personne qui est membre d’une institution sait ce que les règles exigent d’elle et des autres. Elle sait aussi que les autres le savent et qu’ils savent ce qu’elle sait. Surtout, la publicité garantit la mutualité des charges, des avantages et des sanctions. Mon pouvoir de sanctionner  les autres doit se voir attaché le pouvoir des autres de me sanctionner le cas échéant. La publicité «garantit que les membres connaissent les limitations réciproques auxquelles ils doivent s’attendre dans la conduite et dans les formes d’action permises ».
La démocratie est action. Elle consiste dans des choix à opérer, des moyens appropriés à prendre en vue de la fin, après délibération sur le souhaitable, le possible, le permis et l’efficace, dans l’exécution et la gestion des conséquences. Il faut insister: dans l’action, les antécédents, les traditions et les histoires diverses, les obstacles ou les adjuvants spécifiques, ne sont que des données, la matière de l’action avec quoi ou contre quoi  elle s’exerce, sans quoi elle n’existerait pas comme cette démocratie-ci. L’action par définition ne se détermine pas sur le passé. Elle travaille sur le présent en marche vers le futur. La démocratie n’a pas sa garantie dans un passé glorieux ni sa disqualification dans un passé d’ignominie. Dans la conjoncture actuelle par une économie politique de la connaissance et la dynamique de la technologie et de ses effets, la démocratie est prévision et prospective de longue haleine, qui essouffle et jette dans le désarroi les sagesses qui allèguent les longévités stationnaires.
Institution en acte, la démocratie l’est dans un sens actif et contractuel qu’il convient de restituer à ses concepts, à ses organisations et à ses instruments, en commençant par la Constitution. Faute de cette opération permanente, on ne pourra guère intégrer les idées et les pratiques d’invention. On méconnaîtra le travail des forces créatrices internes de déstructuration et de restructuration au profit exclusif des «explications» par les causes externes et mystiques : la caractérologie ethnique, la manipulation étrangère, la malédiction surnaturelle.

La démocratie est la production de « vrais humains ».

Le catéchisme démocratique pourrait commencer et finir avec cette proposition  selon laquelle la démocratie a pour projet la production des humains véritables. Historiquement, elle est ce mouvement parti d’en bas pour exiger irrésistiblement, de plus en plus finement et exhaustivement, l’extension à des couches qui en étaient privés les privilèges par lesquels les hommes véritables se définissaient : le Pharaon, les castes sacerdotales ou aristocratiques, les rois, les bourgeois, le mâle patriarcal. La croissance des droits (ou mieux les devoirs d’être véritablement) humains reproduit ce mouvement. Elle induit à décrire la démocratie comme un fait de civilisation humaine, caractérisé comme le processus d’expansion des libertés substantielles que les humains ont, peuvent  et doivent avoir. Elle s’attache à réaliser l’avènement plus ou moins grand d’un état de choses à la portée de nos savoirs, de nos technologies et de notre vouloir, « où l’ensemble des hommes serait délivré des formes les plus inacceptables du manque, pourrait jouir d’une alimentation convenable, se loger décemment, s’armer contre la maladie, bénéficier d’un niveau suffisant d’instruction et de culture(1) ». La démocratie est la perspective selon laquelle la liberté est utilisée pour l’évaluation des progrès ou des changements et en même temps dans l’analyse considérant la liberté ou mieux les libertés et « capabilités » individuelles comme les facteurs causalement décisifs pour générer efficacement des transformations rapides et des bons en avant qualitatifs dans le développement. La qualité et l’intégrité physiques, intellectuelles et morales ne sont  ni un luxe ni une naïveté. Elles assurent la conjonction du juste, de l’efficace et du « civilisé ». On peut juger la prétention ou l’intention démocratique de formations étatiques à la qualité des hommes qu’elle produit, ceux d’en-haut comme ceux d’en-bas. Les libertés sont certes des idéaux, mais en démocratie, elles ne sont telles que si elles sont les moyens les plus efficaces aux conséquences vérifiables en termes de santé, de savoir, d’inventivité et du mieux-vivre. De le démontrer sur pièces a valu à Amartya Sen son prix Nobel d’économie. Où, dans le monde peut voir un président mourir de choléra ou tolérer que ses enfants soient sous-alimentés, ne pas pouvoir être soignés et vaccinés, faute de pharmacies et de médicaments essentiels ?  « Their lives are cheap », dit-on, parlant de leurs populations miséreuses.
La démocratie est une gouvernance de la manière et des manières. Elles sont au fondement de sa légitimité : « Si on apporte une solution efficace aux difficultés, mais si celle-ci est autocratique, il lui manquera la légitimité » (Goran Hyden). En démocratie, une décision ou une mesure est bonne et efficace en vertu du processus grâce auquel elle a été prise, marquée par le respect des règles, et les conditions d’interaction et de confiance d’une communauté de sens.
Conclusion : la démocratie n’est donc pas un borborygme.
1- J. Ladrière, Vie sociale et destinée, Gembloux, p.218)
Fabien Eboussi Boulaga

Les articles publiés dans ce dossier sont déjà parus dans Les Dossiers et Doccuments de Germinal n°007, Novembre-Décembre 2010. Le plupart ont fait l'objet d'une actualisation, et leur titre a souvent été modifié.

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Trois décennies blanches et sèches, par Souley Onohiolo

La culture est le parent pauvre du Renouveau. Pendant les 30 années de règne du président Paul Biya, les réalisations dans le domaine de la culture sont maigres et c’est à juste titre que celle-ci ploie dans les regrets et la désolation. A l’exemple du gâchis permanent observé dans le ministère des Sports où, toute l’attention est focalisée au football (et davantage aux Lions Indomptables), au ministère de la culture, tous les chefs de département qui s’y sont succédé, n’en font que pour le Droit d’auteur.

L’an 1975. Alors que Paul Biya est premier ministre, René Ze Nguele ministre de l’information et la culture, le chef de l’État et président de la République unie du Cameroun Ahmadou Ahidjo, assigne aux deux hautes personnalités la mise en place de l’ensemble national des danses du Cameroun, qui deviendra plus tard, « Ensemble National ». Il se trouve que dans ses envolées glorieuses, son rêve fou, sa vision et son ambition de créer les unités nationales pour fédérer toutes les strates de la société, le président Ahmadou Ahidjo, voulait concentrer toute la crème artistique des régions du Cameroun dans un seul panier. C’est ainsi qu’il avait réussi à regrouper dans un même espace, tous ceux qui avaient du génie et du talent. Du coup, ce qui au début ne devait être qu’un ensemble national des danses est devenu un grand carrefour où, on pouvait trouver les meilleurs de trois des grands corps de métier du monde de la culture : le ballet national, le théâtre national et l’orchestre nationale. Mais le 04 novembre 1982, le président Ahidjo s’est allé, sans acter toutes les reformes envisagées dans le sens de l’épanouissement total et le dynamisme culturel qu’il entendait concéder à l’ensemble national.
Son successeur constitutionnel, en l’occurrence Paul Biya à qui ce vaste chantier avait été confié, n’a pas su en faire sa religion. Bien au contraire, l’homme du Renouveau a sinon abandonné le projet, pire encore, il l’a enterré dans les tiroirs de l’oubli. Depuis l’accession de Paul Biya à la Magistrature suprême, plusieurs pans de la culture pour lesquels les artistes croyaient à un avenir radieux, se sont effondrés comme des châteaux des cartes. De jeunes orfèvres artistes qui avaient été enrôlés pour poursuivre l’aventure ont accompli le sacrifice suprême… Mais en vain. Leur sort n’est guère reluisant. Depuis lors, les artistes qui sont entrés dans l’ensemble national ont bu la tasse jusqu’à la lie. Rasant les murs dans ce qu’on peut appeler (toute honte bue) centre culturel camerounais. Certains se sont vus surprendre par la mort. C’est le cas de : Keki Manyo, Jean Minguele, Edvige Ntongono à Zock, Jerôme Bolo, Ali Baba… Les plus courageux comme Joseph Bedjibe, Philemon Black Ondoa, mama Hélène (fidèle partenaire de Jean Miché Kankan), qui ont tenté l’aventure hors du pays, ont connu des fortunes diverses. Désabusés, usés et essorés jusqu’à la dernière goutte de sang, d’autres artistes de haut vol, à l’expertise avérée, continuent de déambuler dans ce cimetière des génies dans l’incertitude, sans assurance de ce qu’il en est de leur carrière artistique, ni même de ce qu’il en sera de leur retraite, : le doyen Francis Kingué, Ama Pierrot, Louisette Nséké, Joseph Kédé, Bernard Nzomo… D’ici peu, nombre d’entre eux, qui auront passé trente années de service rendu à la nation, vont rentrer dans l’anonymat, comme des mouches en errance. A titre d’illustration, la mémé Anne Marie Ndzié (malgré le saupoudrage qu’on a organisé après ses soixante années d’exploits musical) a quitté la scène sans tambour, ni trompette, ni pension retraite. Et pourtant, beaucoup de profils de carrière pour ces artistes ont été proposés dans le sens de la reconversion de ces artistes. On les voyait au soir de leur carrière, être redéployés dans les 361 arrondissements du Cameroun, où, on pouvait les utiliser comme des conseillers d’animation culturel, ou encore des moniteurs, chargés de perpétuer la culture camerounaise auprès des jeunes qui n’attendent que de s’abreuver dans cette source de jouvence. Hélas.

La peau de chagrin des archives nationales, la bibliothèque nationale et le musée national
Il n’y a pas que dans le chantier de la reconnaissance des œuvres d’artistes que le régime du Renouveau a tiré la mauvaise carte. L’une des malheureuses curiosités engendrées par l’incroyable conscience des dirigeants camerounais procède de cette négligence inexpliquée que l’on affiche envers les archives nationales. A voir comment sont traités les Archives et la Bibliothèque nationales, le musée national, on serait tenté de conclure comme le philosophe camerounais Obama que « l’histoire ne sert à rien dans ce pays ». Situé à proximité de l’ancien Palais présidentiel (rebaptisé Musée national), le vieux bâtiment colonial abritant les archives nationales du Cameroun, croule sur le poids de l’âge. De par son allure quelconque, l’ex-imprimerie nationale qui tient lieu de maison des archives nationales du Cameroun, n’affiche pas fière allure. Et pourtant c’est dans ce bâtiment qu’on est supposé s’informer sur tous les actes concernant le Cameroun ; mais également, sur un ensemble des travaux divers. L’observateur qui accède dans cet espace se rend compte de ce que, ce qui tient de la réserve de l’histoire du Cameroun, est en ruines. Il n’existe pas grand-chose ayant quelques référence à la mémoire du pays ; on cherche en vain des reliques, ou des informations sur l’histoire des années de l’Indépendance, sur le Fédéralisme, l’unification, l’histoire des héros nationaux, les conquérants ou ceux là qui sont morts en martyrs, après avoir sacrifié sang et sueur pour que le Cameroun soit debout et fier de l’être. Le vestige est davantage dans un état de délabrement lorsqu’on rentre dans la salle de classement et de conservation des documents. Mal tenu, ce qui existe est enfoui dans un amas de poussière. Difficile de trouver des bribes d’informations même sur la date d’arrivée à la magistrature suprême du chef de l’Etat Paul Biya, pourtant encore en fonction.
A l’ère où, sous d’autres cieux, on s’active à l’informatisation des données, le Cameroun n’est pas du tout prêt. Bien au contraire, le pays qui a l’art de déconstruire les légendes et d’écrire l’histoire de son histoire avec la gomme, fait du surplace. Il n’existe nulle part, un fichier complet de quelques documents dans cet espace devant jouer le rôle de repère central à partir duquel, toutes les informations sont supposées être fournies. Il n’y a pas que les archives nationales qui sont dans un état de désagrégation affligeant. A un jet de pierre de cette bâtisse qui déraille et broie du noir, le Musée national est dans une sorte de mélancolie qui doit fâcher le président Ahmadou Ahidjo outre tombe. On y trouve juste quelques œuvres (en majorité des tableaux de peinture), disposées pêle-mêle et sans légende. Rien à voir avec le Musée royal du sultanat bamoun qui pourtant affiche fière allure. Inutile d’ouvrir la page pour ce qui est de la bibliothèque nationale, encore moins celle de l’industrie du cinéma. Le Cameroun cherche en vain son cinéma. Sur toute l’étendue du territoire national, il n’existe pas de Palais de culture, ni de lieux d’expression par excellence de la Culture. Ce qui tenait lieu de salle de cinéma a été transformé en des supermarchés, des lieux de prière ou de simples magasins. Pour quelques rendez-vous culturel, le Cameroun est obligé de squatter le Palais des Sports construit sur le tard par l’Empire du Milieu (Chine).
Embargo sur l’histoire
Juillet 1995, Samuel Minkyo Bamba, auteur compositeur de la musique de l’hymne national du Cameroun meurt dans une pauvreté choquante et révoltante. La musique dont il avait composée les notes à partir des textes de René Jam Afane, ne lui a pas permis de mener une existence heureuse. Et pourtant, cette musique qui rythme le chant patriotique, continue de cristalliser la conscience de toute une Nation. Dans la conscience collective, rien n’a été fait pour que la jeunesse se souvienne de la force du génie de ce compatriote ; au contraire, les apparatchiks et les ferrailleurs de la mangeoire qui nous gouvernent l’ont définitivement enterré dans les abysses de l’oubli et de l’ingratitude. Malgré sa présence quotidienne dans les ondes et autres places publiques. Si la mort de Samuel Minkyo Bamba avait bénéficié d’un peu de compassion médiatique, celle de René Jam Afane, décédé plus tôt, est restée dans anonyme. Que dire de Gédéon Mpando. Combien de jeunes camerounais, collégiens, lycéens, et étudiants en ont entendu parlé ? Très peu assurément. Et pourtant, Gédéon Mpando est l’architecte du monument de la Réunification (même si cet édifice, est dans la broussaille et la mélancolie alors même que le Cameroun est en pleine célébration des cinquantenaires). Le monument de la Réunification représente pour le Cameroun, ce que la Tour Eiffel est pour la France. Mais entre Gédéon Mpando et Gustave Eiffel, quel fossé ; que décalage, quel contraste en terme de représentation sociale, historique et culturelle. Combien de camerounais ayant été de l’autre coté de l’Océan, s’auto glorifient et sont fiers de se montrer en photo, sur le pied de la Tour Eiffel, et qui ne connaissent même pas où se trouvent le monument de la Réunification ?
Pendant qu’ailleurs, on parle de préservation et de protection du patrimoine culturel, alors que sous d’autres cieux, l’on célèbre les héros pour qui on crée des fondations, pour pérenniser leurs œuvres, au Cameroun de Paul Biya, on s’en fout. Un sondage dans la rue nous a permis de constater que très peu de jeunes, et même des adultes se souviennent encore que c’est au mois de novembre 1989 que le premier président de la République du Cameroun Indépendant est mort en exil au Sénégal. Père de l’unité nationale, pionnier de la construction nationale d’un pays qu’il a dirigé pendant 22 ans durant, Ahmadou Ahidjo a été inhumé à Dakar, loin de la ville de Garoua sa terre nationale, loin d’un pays qu’il a bâti et chéri. Il y a juste le temps de quelques émotions et depuis, plus rien ; même pas un chrysanthème en guise de reconnaissance. Aujourd’hui, la sépulture du président Ahmadou Ahidjo repose au Sénégal. Le régime de Paul Biya n’a toujours pas tranché sur la vive polémique du rapatriement des restes du père de l’Indépendance du Cameroun. En plus de tuer les symboles, le Renouveau de Paul Biya excelle dans une sorte d’embargo sur la mémoire collective, qui de fil en aiguille est devenu un sport favori. On dirait que les affidés du régime ont vendu leur âme au diable.
Devoir de conscience
Quel plaisir, de quel bilan peut se prévaloir le président Paul Biya, si le pays qu’il dirige depuis 1982, se plait à effacer facilement les traces de hauts dignitaires, ambassadeurs de sa culture comme : Mongo Beti, René Philombe, Eboa Lotin, Francis Bebey, Chèr ami, Oncle Medjo Messom, Jean Bikoko Aladin, Jean Miché Kankan, Massa Batrie,…Ferdinand Léopold Oyono? Comme on est jamais mieux servi que par soi-même, connaissant sans doute son ami personnel, « le vieux nègre » a construit un monument dans son village natal Ngoazip de son vivant pour s’immortaliser. Combien de temps faut-il attendre pour que la mémoire des hommes de culture qui ont tout donné pour la gloire de la République soient officiellement reconnus non pas par des feux d’artifices, mais à travers des symboles et des représentations qui les éternisent indéfiniment dans la mémoire collective ? Qu’il soit : le tableau sombre des archives nationales, la mauvaise haleine du musée national, l’inexistence de la bibliothèque nationale, la grippe qui enrhume le cinéma camerounais, l’atteinte à la mémoire collective…, l’état de déchéance de la culture camerounaise, traduit le défaut de conscience historique d’un peuple sans repères. Le désenchantement est profond, l’écoeurement affligeant.

Ruée vers l’Eldorado du Droit d’auteur
Dix ans après la loi 011/2000 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et au droit voisin du droit d’auteur, la navigation à vue s’enlise. Au fur et à mesure que le temps passe, on va du chaos à la tragédie. L’heure est grave. L’artiste camerounais est en dessous de la suivie. L’éveille de la conscience collective des artistes par une mobilisation de tous qu’on croyait être un impératif pressant, tarde à se mettre en branle. En grattant le vernis de ce qu’on peut considérer comme l’impasse actuelle, on se rend bien compte que la crise née entre le ministère de la culture, la Cmc et la Socam a pris les allures d’une gangrène qui a fini par détruire à petit feu, les trois autres organismes de gestion collective (la Socadap, la Scaap et la Sociladra). Du coup, on assiste à la clochardisation de l’ensemble des créateurs des œuvres de l’Esprit. Les spécialistes du piratage des œuvres artistiques, tels de véritables sangsues, opèrent en toute tranquillité sans que personne ne lève le petit doigt. On s’interroge sur le mutisme du ministre de Un tour d’horizon révèle que ces malheurs sont ceux de tous les artistes et les producteurs qui tentent encore « le diable » en mettant un produit artistique sur le marché. Artiste plasticien, écrivain, dramaturge, cinéaste, créateur de logiciel…, les créateurs des œuvres de l’esprit sont sans défenses.
L’envers et l’endroit, ou le chantage permanent
A l’époque de la Socadra, le droit d’auteur faisait les frais d’une gestion étatique. Après un sit-in des artistes au ministère de l’information et de la culture en 1991, le professeur Augustin Kontchou, alors chef de ce département met un terme à la Socadra et ouvre la porte à la gestion par les artistes de leurs propres droits. Et puis il y a eu la Socinada qui malheureusement, sera gangrenée par des querelles internes, elles mêmes animées par de hauts responsables du ministère de la culture. Les contestations tournent principalement autour de la dénonciation du monopole des musiciens qui s’attribuent la « part du lion », de la redevance collectée. La réforme entreprise par le Ministre d’Etat Ferdinand L. Oyono à l’aurore des années 1990 est dans l’optique de la résolution de ces problèmes pertinents. L’autre problème à cette époque est celui des résistances qui se manifestaient pour empêcher la réforme. Voyant que la réforme est irréversible, les agitateurs de ces batailles vont se déployer dans les luttes de positionnement dans les nouvelles organisations issues de la loi du 19 décembre 2000. L’intention du législateur était de créer les conditions permettant aux artistes et éditeurs membres, de mener leur activité de façon sereine en vue de l’amélioration de leurs conditions de vie. Sous Ferdinand Oyono, les répartitions étaient trimestrielles, régulières et conséquentes ; les artistes malades étaient pris en charge ; les artistes décédés étaient dignement inhumés ; la création artistique était encouragée par des aides issues du compte d’Affectation Spéciale et de la Cpmc ; le sourire et l’espoir étaient revenus dans les milieux des artistes ; il n’y avait pas deux sociétés de musiciens, mais une seule. Tout n’était pas parfait certes mais les conditions de vie des artistes s’étaient sensiblement améliorées. Aujourd’hui, elles se sont effroyablement dégradées jusqu’à susciter l’indignation des héritiers du « vieux nègre », le Professeur Magloire Ondoua, Sam Mbendé, Cécile Oyono, etc.. Et pour cause ; après le départ du ministre Ferdinand L. Oyono le 07 septembre 2007, l’arrivée de Mme Ama Tutu Muna a empiré les choses. La stabilité qui commençait à poindre, s’est effritée.
En l’espace de quelques mois, le ministère de la culture est revenu en force, prenant ainsi le contrôle et la possession des quatre sociétés civiles du droit d’auteur, au grand dam de l’esprit et la force de la loi. Certains problèmes que l’on croyait déjà résolus ont repris droit de cité, alors qu’il ne restait plus simplement qu’à travailler et attendre la pleine expression des solutions mises en place. Les plus grandes souffrances que vivent les artistes aujourd’hui, découlent de l’arrivée de la nouvelle équipe qui a tout remis en cause, faisant ainsi reculer le droit d’auteur d’une quinzaine d’années. La volonté manifeste d’abuser l’opinion, a poussé le ministre à mettre sous le boisseau, les soixante textes et conventions signés sous le ministre Oyono. Les travers de la loi 011/2000 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et au droit voisin du droit d’auteur, soumettent les organismes de gestion collective dans un chantage permanent. L’exemple du coup de force de la ministre Ama Tutu Muna sur la Cmc en est une parfaite illustration. Les enjeux sont incompris par les différentes parties. Le rôle que joue la ministre de la culture est trouble. Sa maladresse est à l’origine d’une inadéquation entre la loi et la situation de paupérisation généralisée des artistes ; La ministre est à l’origine du flou artistique, la navigation à vue et l’incapacité pour les quatre sociétés à accroître les perceptions.

Les attentes brisées des artistes
La responsabilité de la crise actuelle du droit d’auteur incombe entièrement à la ministre Ama Tutu Muna. Elle résulte d’une conjonction de facteurs dont l’un des plus importants est lié au fait que la Ministre de la Culture a manqué de prudence. Les acquis générés par ce qu’il convient d’appeler « la loi Léopold F. Oyono », la lueur d’espoir qui pointait à l’horizon ; tout cela aurait favorisé une véritable transhumance des conditions de vie de l’artiste. Cette métamorphose si elle était allée jusqu’au bout, aurait fait oublié certaines inepties et incongruités du régime de Paul Biya. Mais les dernières lueurs d’espoir ont été croquées par l’actuelle ministre de la culture. Tel Sisyphe sur le Rocher, l’incapacité des hommes de Paul Biya à manager la culture camerounaise a refait surface. Les sociétés civiles de gestion collective sont également au creux de la vague, à cause de la présence au sein des équipes dirigeantes, des affairistes, des personnes incompétentes... Alors que les conflits internes en sont à paralyser la gestion desdites sociétés, la piraterie et le piratage ambiants des œuvres de l’esprit (quoique le ministère de la culture se soit arrogé la lutte contre la piraterie sans résultats probants), se font sans grande crainte. On vend les produits artistiques piratés même dans les bureaux au ministère de la culture. En conséquence, on assiste à la mort de l’industrie du disque ; l’impossible payement des droits de reproduction mécanique et les droits d’exécution publique. Beaucoup d’artistes affirment que si la situation du droit d’auteur est devenue alarmante, c’est parce que la ministre de la culture s’est laissée embrigader et manipuler par un petit groupe d’artistes, de fonctionnaires du Ministère de la Culture et de personnalités, qui n’avaient du droit d’auteur et du milieu artistique qu’une connaissance approximative.
Elle a commis une erreur de diagnostic qui a eu des conséquences désastreuses. De hauts cadres du ministère (à la touche), une poignée d’artistes insatisfaits ou noyés dans l’aigreur, ont transposé dans le milieu du droit d’auteur des problèmes personnels. D’autres, pour régler des comptes personnels ou assouvir leur soif de pouvoir, ont propagé et diffusé des contrevérités pour se remettre en scelles et pour entrer dans les bonnes grâces d’Ama Tutu Muna. La ministre a enfoncé le clou et creusé la mort du droit d’auteur en s’obstinant à défier la justice. « Nous sommes devant un cas typique de rébellion qui ouvre à une avalanche d’actions judiciaires : certaines contre les personnes concernées (rébellion, faute personnelle) et les responsables de la Socam (escroquerie) ; d’autres contre l’Etat (responsabilité pour inexécution d’une décision de justice, devant le juge judiciaire, avec substitution de responsabilité et action récursoire) » explique un juriste. Tout le monde s’accorde à dire que si cette situation n’est pas réglée, les usagers et utilisateurs des produits artistiques continueront à traîner les pattes et ne payeront pas la redevance du Droit d’auteur et des droits voisins du Droit d’auteur.
Souley Onohiolo
*Journaliste
Le Messager


Visage de la pauvreté : une vie-misère, par Jean-Bosco Talla
Trois décennies de Renouveau ont réduit certains Camerounais à la misère la plus abjecte. Une journée dans la famille d’un instituteur à Yaoundé.

Il culmine à environ 1,85m. Il est maigre, très maigre même. Ses élèves lui ont trouvé un sobriquet : Émacié. Nul ne peut dire si cette cachexie est le résultat d'un ascétisme intransigeant pratiqué par un homme qui veut se métamorphoser ou si c'est l'effet de l'âge. Sa tête est recouverte de cheveux coupés courts où alternent les plages noires et blanches. Au milieu de sa face, creusées de profondes rides, juste au-dessus d'une large bouche édentée se pointe un gros et long nez. Un front fuyant surplombe les yeux ternes. Sipewo’o Josué dit Émacié est d'une propreté exemplaire malgré ses vêtements qui se sont suffisamment éliminés au fil des lavages successifs. Le savetier connaît par cœur chaque millimètre carré de ses chaussures pour les avoir très souvent entre les mains. Quel âge a Émacié ? Cinquante quatre, Cinquante cinq ou Cinquante six ans ? Personne ne peut le dire. Lui seul peut-être ou ses patrons. Peut-être même ses parents, si certains sont encore en vie. Toujours est-il qu'il approche la retraite, après 35 ans de loyaux services rendus à la nation camerounaise.
C'est tout jeune qu'il s’engage dans l'enseignement après avoir obtenu son certificat d'études primaires et élémentaires (Cepe) à l’École Cebec de Jeunang à Bafoussam. Il a alors, 19, 20 ou 21 ans. Au début de sa carrière, il est maître des parents dans une école primaire de Tougang de la même ville. Il perçoit 16500 FCfa (165 FF, aujourd’hui 25,16 euros) de salaire mensuel et quelques gratifications en nature (savon, habits, nourriture) des parents d’élèves. En même temps qu’il enseigne, il étudie en autodidacte et obtient cinq années plus tard, son Brevet d’études du premier cycle du second degré (Bepc). Il entre, deux ans après et après une tentative sans succès au concours d’entrée à l’École normale des instituteurs de l’enseignement général (Enieg) de Bafoussam où il en sort, trois ans plus tard, instituteur. L’obtention de son Certificat d’aptitude à la profession d’instituteur (Capi) lui ouvre les portes de la fonction publique camerounaise. Tour à tour, il est affecté à Galim (Ouest), Fongo Tongo (Ouest), Tcholliré (Nord), Meiganga (Adamaoua), Ngoumou (Centre), Gari Kombo (Est) et Yaoundé (Centre). Depuis que ses frères Noirs ont pris la place des Blancs, la misère est entrée à l'école. Il aimerait bien tirer sa révérence après plus de trois décennies de sacerdoce pour un salaire culminant à 157 230 FCfa (239,7 euros). Il serait même déjà devenu instituteur principal. Mais, depuis presque 7 ans ses avancements sont bloqués au ministère de l’Éducation de base. Il ne sait pas pourquoi. Ses multiples tentatives pour faire avancer son dossier sont restées vaines. Même la « bière » qu’il a très souvent offerte à ses interlocuteurs n’a rien changé à sa situation. Et rien ne changera tant qu’il ne consentira pas à un sacrifice financier important pour débloquer la situation. Il ne veut tout de même pas quitter la salle de classe pour le cimetière. Hélas, depuis la baisse drastique des salaires des fonctionnaires et agents de l’État, la dévaluation du franc Cfa survenue en janvier 1994, son salaire de catéchiste lui permet de tenir dix ou douze jours au cours d'un mois. Pour le reste, les maladies et autres, Alanmibou, le tradi-praticien est non loin de la maison, s'il ne s'abandonne pas entre les mains de Dieu au cas où…

Mokolo Elobi
Depuis qu'il a été muté à Yaoundé, il loge avec son garnement dans sa "maison" construite au quartier Mokolo Elobi alors qu'il était en service à l'école publique de Gari Kombo, extrême Est du Cameroun.
Émacié est dans sa chambre depuis quelque temps. Soudain, il pense qu'un malheur est arrivé. C'est la conviction qu’il a, ce 21 novembre 2010, dans sa masure située en plein cœur de Mokolo Elobi, quartier malfamé de Yaoundé, quand un brusque tintamarre le réveille. Couché sur le dos, il dort depuis il ne sait combien de temps, mais assez longtemps pour être trempé d'un flot de sueur dans lequel il baigne littéralement.

Allongé sur un lit en bois dont le matelas en herbes est, avec le temps, devenu aussi dur qu'un mur de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé, il ouvre les yeux. Naturellement, il voit en premier le plafond. Ce dernier, fait de matière cartonnée, n'a pu résister aux assauts répétés des intempéries et autres attaques de charançons. Décollés, des larges morceaux pendent piteusement tels des lambeaux de suaire d'un revenant, dévoilant la face intérieure du toit sur laquelle les araignées et autres bestioles ont établi leur royaume. Il se met sur son séant. La sueur, avec la même furie qu'un torrent s'infiltrant dans une terre longtemps aride, s'engouffre dans ses yeux et, simultanément, véritables guirlandes de perles liquides, elle suinte sur la natte qui lui sert de literie. Cependant que, sortant peu à peu de l'épaisseur brumeuse où l'assoupissement l'a plongé, son cerveau identifie lentement les bruits assourdissants qui ont interrompu son sommeil sans rêve. Il s'agit d'un mélange de cris stridents d'enfants et de tôles frottées. Ces derniers, en s'éloignant se trouvent déjà dans son dos. Y étant déjà habitué, il ne tarde pas à les reconnaître.
C'est qu'en réalité, la maison est faite de solides tôles, probablement allemandes, clouées verticalement. Il est courant que les enfants empruntent la piste qui sinuant dans le quartier, passe devant la façade principale, marchent sur la véranda. Après avoir zigzagué entre les flaques noires et nauséabondes d'eaux usées qui tapissent leur chemin, ils sont alors trop heureux de se retrouver sur la langue de ciment qui constitue cette véranda.
Comme pour célébrer cette commodité pratique, ceux munis d'un bâton et autres bouts de fer en appuient un des bouts sur le mur. Le contact de la tige avec les ondulations des tôles, au fur et à mesure que les garnements avancent, produit un terrible vacarme. Rien ne les arrête. Aujourd'hui, leur passage coïncide simplement avec le déclenchement d'un concert de pleurs que Josué situe maintenant dans la maison même.

Distinction honorifique
Il se frotte les yeux et balaie le salon de son regard dans le flou duquel il voit, suspendus aux murs, des photos familiales jaunies, une pendule à jamais arrêtée dont les aiguilles indiquent 10 h 32 mn 18 secondes et une distinction honorifique décernée le 20 mai 2010 . Sur les fauteuils anciens faits de bois massif, personne. Il est seul dans ce salon jadis réservé aux collègues et aux invités de marque. Il se lève et traverse la salle à manger où trônent une vieille machine à coudre à jamais arrêtée sur laquelle sont déposés vieux habits et paniers de la ménagère communément appelés Bandjock ou Bancco, une table avec une armoire à gauche et une autre à droite. On dirait, à voir la traînée de sueur à son passage sur le ciment, qu'il sort de la baignoire. Debout au seuil de la porte arrière de la maison, il voit les pleureurs. Ce sont ses enfants, neveux et nièces. Assise au milieu de cette marmaille, Cathérina, sa sœur aînée, porte le plus petit dans ses bras tandis que les autres trépignent autour d'elle. Il demande des nouvelles. Cathérina, d'une voix lasse, à peine audible murmure : "Ils ont faim. Ils reviennent de l'école et il n'y a rien à manger".
Frôlant les objets hétéroclites qui constituent le mur de la cabane arrière où gîtent sa sœur et ses dix enfants, le regard de Sipewo’o s'arrête à la cuisine. Comme ayant lu dans sa pensée, Cathérina lui dit : "La mère n'a rien laissé".
L'instituteur reste muet. Ne sachant trop pourquoi, peut-être pour cacher sa gêne, il se dirige tout de même, de son pas d'athlète, vers la cuisine. A son arrivée, des souris assez grasses pour donner des complexes au plus téméraire des chats cessent de fureter et de bousculer les marmites. Elles reprennent leurs activités quand, après un moment, il entre plutôt dans le W.C. Il a senti un besoin pressant. La fosse - lui même ne s'en explique pas la raison - est pleine mais maintient curieusement son niveau à quelques centimètres de la dalle de ciment. Ceci dure depuis des années. Le suprême désagrément - malgré la bonne volonté du W.C. à ne pas se remplir complètement pour créer d'autres soucis comme l'espace pour en faire un nouveau et surtout les moyens d'une telle entreprise - est que l'usager reçoit sur son postérieur les éclats de cette infecte mélasse que sa déjection provoque en plongeant. Il a alors le choix d'endurer ce sordide bain, ou alors, curieuse gymnastique, de se relever chaque fois que part son projectile.
Attenant au W.C., la cuisine est constamment envahie par les relents qu'aucun fumet, même pas ceux des rares grands jours comme celui du 20 mai 2010, jour où il a reçu sa médaille d’honneur du travail, n'a jamais pu dissiper.

Electricité: approvisionnement coupé
Après s'être soulagé, il sort un seau d'eau du puits qu'il transporte au lavabo. C'est un espace en plein air entouré par les tôles des murs du W.C, de la bicoque d'en face, de celle de sa sœur où logent quelques locataires nigérians, tchadiens, sénégalais, centrafricains et rwandais. Un semblant de barrière les sépare de la piste de la maison du voisin. Un vieux fut aplati y tient lieu de porte. Il suffit de le mettre en place pour se soustraire du regard des gens à la cuisine. Lorsqu'il a fini, il se garde bien de s'essuyer, le reste d'eau lui conserve alors un peu de fraîcheur pendant que, dans la fournaise de sa chambre, il met des vêtements suffisamment usés. Il y a bien là un ventilateur, mais il est interdit dans la journée. En fait, depuis belle lurette, personne ne se soucie plus de la note d'électricité dont l'approvisionnement en a été coupé. Mais le soir venu, il peut utiliser son ventilateur qui présente un double avantage de rafraîchir l'air et de briser les ailes de moustiques, particulièrement nombreux et virulents par ici, mettre la radio etc. Tout s'arrête tôt le matin.
A sa sortie de la chambre, ses neveux et nièces pleurent toujours, mais avec moins d'énergie, car il en faut pour pleurer longtemps. Or, pour en avoir, il faut manger. Peu à peu, les enfants par manque de forces se taisent. Josué n'a pas le choix. Reste seulement à espérer que la "mère" revienne le soir avec quelque chose. C'est en effet l’une des deux femmes de son père, ancien combattant dont on n'a jamais pu toucher la pension, qui laisse quotidiennement la ration. Lorsque ce n'est pas la première (qui n'a pas d'enfants), c'est sa mère qui le fait. Or, celle-ci, squelettique, grabataire, gît sur son lit depuis quelques jours. Elle s'était subitement mise à tousser. À l’hôpital central de Yaoundé, on parle des poumons qui sont en piteux état. Ainsi le froid matinal et la poussière des pistaches qu'elle se levait très tôt chaque matin pour aller vendre au marché de Mokolo ou à celui de Madagascar (quelquefois), étaient venus à bout de sa pauvre mère. Va-t-elle comme son fils aîné, il y a quelques mois, mourir là sans secours ? Dieu seul sait.
Cette dernière avait, avec sa coépouse, fait bouillir la marmite. Tout allait pour le mieux jusqu'au jour où Cathérina débarqua avec son bataillon. Compressé, son mari ne pouvait plus payer le loyer. Puis ce fut l'arrivée de Théo, neveu de la coépouse, licencié lui aussi de son entreprise.
Du jour au lendemain, c'est une bonne quinzaine de bouches qu'il fallait nourrir désormais. Alors les repas se sont espacés. D'un par jour au début, à un tous les deux jours. Sa misère s’était empirée lorsque, espérant trouver une solution à ses problèmes, il s’était lancé dans le jeu de hasard, notamment le Pari mutuel urbain du Cameroun (Pmuc). Même le recours aux tontines ne lui avait pas été d’un grand secours. Aujourd'hui, il n'y a rien à manger alors qu’il ploie sous le poids des dettes. Sauf à vouloir se ruiner et à condamner certainement la famille, son "autre mère" comme on dit ici, ne peut, avec la maigre recette de son débit de vin de maïs, se permettre de rationner tous les jours. Encore qu'il lui revient de s'occuper des ordonnances de sa coépouse, si possible.
"Si j'avais été militaire", s'écrie l'instituteur. Il est là, à la force de l'âge, impuissant, sans ressources malgré le travail qu'il abat jour et nuit pour former les jeunes camerounais. "Ah, si j'étais jeune, je pourrais me faire établir un permis de conduire", déclare-t-il.
Il sort de la concession, se faufile dans les dédales servant de pistes entre les maisons. Il est impossible d'y circuler les deux bras écartés du corps, tant les baraques sont serrées. C'est ce qui explique la moite et intenable chaleur qui règne dans les maisons.
Tel un automate, les bras pendants, inutiles le long du corps, il avance, ne répondant, à leur grand étonnement, ni aux salutations ni aux taquineries des voisins. Les entend-il seulement ? Au loin, il aperçoit un de ses nombreux créanciers. Il l’évite en se faufilant de nouveau dans le labyrinthe du quartier.
Soudain, il se met à soliloquer : "Regardez là où le renouveau nous a placés. Je ne sais pas ce que je ferai pour nourrir mes enfants. Ce n'est pas possible. Il faudra un jour faire quelque chose pour changer la situation. Oui, cette situation doit changer. Il faut que cela change. D'ailleurs, désormais je respecterais le mot d'ordre des syndicats », martèle-t-il rageusement, sous les regards des bambins surpris.
J.-B. Talla
* Afin de protéger les personnes citées dans cet article, nous n'avons pas donné leurs vrais noms et prénoms


Santé : le coma avancé, par Simon Patrice Djomo
Plus d’un quart de siècle de la gestion du secteur de la santé sous le Renouveau permet de faire un constat paradoxal : l’évolution des besoins et, par conséquent, celle des infrastructures sanitaires est inversement proportionnelle à la qualité des prestations.

«Dans un pays où les médecins sont de véritables vampires, les hôpitaux essentiellement des morgues, n'essayez surtout pas de savoir quelle est la politique du gouvernement en matière de santé : elle n'existe simplement pas ». Ces propos de Joël Didier Engo, universitaire camerounais et responsable associatif, n’est sans pas totalement dénués de charge émotive, puisqu’il s’offusquait ainsi face aux 559 morts de choléra qu’a enregistré, depuis avril 2010, date du déclenchement de cette épidémie, ce qu’il appelle ce "grand cadavre à la renverse" qu’est le Cameroun. Cependant, à travers cet avis, ce compatriote fixe les balises d’une évaluation aussi bien quantitative que qualitative du secteur de la santé sous le Renouveau de Paul Biya.
Sur le plan quantitatif, le régime de M. Biya a doté le Cameroun d’une nouvelle organisation du territoire en centres et districts de santé. Ainsi, en 2009, d’après les statistiques de l'Observatoire national des ressources humaines pour la santé (ONRHSC) du ministère de la Santé publique, l’on dénombrait 3039 centres de santé intégrés fonctionnels inégalement répartis dans les 180 districts de santé. Quand on sait que le Cameroun compte, d’après les résultats du dernier recensement général de la population, près de 20 millions d’habitants, cette offre infrastructurelle s’avère très insuffisante, puisque mathématiquement, cela donne un rapport de près de 6580 personnes par centre de santé. Même en prenant en compte les quatre hôpitaux de première catégorie qualifiés de référence (l'Hôpital général de Yaoundé, l'Hôpital général de Douala, l'Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé et le Centre hospitalier universitaire de Yaoundé), les quatre hôpitaux de deuxième catégorie tous construits à Yaoundé et Douala et les onze hôpitaux de troisième catégorie dits régionaux, sans oublier les hôpitaux ou dispensaires confessionnels, ce rapport reste bien loin des standards internationaux.

Insuffisance infrastructurelles
Cette insuffisance en infrastructures sanitaires a ouvert au secteur privé, un nouvel espace pour les "affaires" où fleurit une marchandisation des offres en soins sanitaires. C’est ainsi qu’on voit fleurir un peu partout sur le territoire national des "mouroirs" qui se cachent derrière la dénomination de "Gic santé". Le fait aberrant de cette dérive n’est pas seulement l’autorité chargée de délivrer les autorisations d’ouverture, en l’occurrence le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), mais davantage l’opacité sur la trajectoire académique et professionnelle de beaucoup de promoteurs.
Du point de vue des ressources humaines, le Cameroun compte environ 1431 médecins dont plus de 754 officient dans la région du Centre contre 171 dans le Littoral ou 55 dans l’Extrême-Nord, ce qui ne fait même pas un médecin par centre de santé intégré. Tout comme avec ce nombre, le pays de "l’homme du 6 novembre" est en dessous des normes de l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) qui recommande un médecin pour 10 000 habitants. Et quand il est de notoriété publique que beaucoup de ces médecins travaillent en zones urbaines et officient dans deux ou trois hôpitaux à la fois, à défaut d’être eux-mêmes des propriétaires dans leurs cliniques privées, sans compter ceux qui s’expatrient du fait des conditions de travail, il y lieu de conclure à un échec du système sanitaire camerounais sous un régime du Renouveau qui démontre que 28 ans ne suffisent pas pour répondre aux défis de ce secteur ; défis qui se résumaient dans ce slogan aux allures d’objectifs fixés par l’Oms, à savoir: "santé pour tous en l’an 2000". Dans ces conditions, il faudrait encore fixer un autre "an 2000". Du côté des infirmiers, ils sont naturellement plus nombreux que les médecins mais toujours insuffisants. Ils sont aujourd’hui près de 10 000, ce qui, sur la base d’un simple calcul, fait un rapport d’un infirmier pour 2000 habitants. Ces scores auraient pu être améliorés aujourd’hui si l’Etat n’avait pas gelé les recrutements à la fonction publique, du fait de la crise économique et de la politique d’ajustement qui s’en était suivie. Conséquence, face à la rareté et la cherté des soins médicaux dans notre pays, les populations ne se sont pas faites priées pour se rabattre vers les guérisseurs traditionnels ou les pharmacies de rue.
A propos des infrastructures de formation, le gouvernement est resté, avec le Cuss, longtemps enfermé dans une sorte de "pensée unique" qui mythifiait la profession de médecin. Il a fallu attendre la concurrence des écoles prestigieuses privées comme l’Université des montagnes (Udm) pour le voir créer d’autres écoles supérieures de formation, notamment à l’Université de Douala et à l’Université de Buéa.
Ces données brutes peuvent ne pas traduire pleinement la réalité, mais ce qui est vrai c’est que le secteur de la santé sous le Renouveau est plongé dans un état presque comateux du fait du peu d’intérêt qui lui est accordé et qui se manifeste par le niveau de la dépense globale de la santé qui atteint à peine 5 % du budget national du pays, ce qui est très inférieur au 10 % préconisé par l’Oms. C’est pour traduire ce déficit à sa manière, que lors d'une visite en juin, en marge d'une tournée de sensibilisation en Afrique, Ban Ki- Moon, secrétaire général des Nations Unies, avait formellement cité ce pays d'Afrique centrale comme l'un de ceux qui sont à la traîne de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en matière de santé, notamment pour ce qui est de la réduction de la mortalité maternelle et infantile. Ainsi se manifeste un manque d’intérêt politique pour le secteur de la santé que les discours creux et pompeux présentent comme une préoccupation voire une priorité, pourtant, les faits démontrent le contraire.
A titre d’illustration, le Cameroun connaît depuis avril dernier, une grave épidémie de choléra. D’après un bilan officiel fourni par le ministère de la Santé publique (Minsanté), cette épidémie a déjà fait 559 morts sur les 8528 cas enregistrés. Le mal a touché plusieurs parties du pays. La région de l’Extrême Nord est celle qui aura payé le plus lourd tribut avec 8227 cas pour 542 décès, suivie de celle du Nord qui aurait enregistré 261 cas et 10 décès. Mais l’épidémie ne s’est pas limitée aux régions du septentrion.

Sermon d’hypocrite
Dans le Littoral, le Minsanté a enregistré 173 cas et 5 décès, tandis que le Centre, il a connu 27 cas pour 2 décès. Aucun chiffre n’a été donné pour les autres régions. L’ampleur de cette épidémie n’a pas suffit pour interpeller l’autorité gouvernante de l’Etat puisqu’il n’avait pas cru bon devoir en dire un mot, pourtant, il avait eu l’occasion de prendre plusieurs fois la parole, notamment son interview au magazine suisse Les Afriques, le sommet de la Francophonie, entre autres. Sous d’autres cieux, le leader aurait interrompu son séjour à l’étranger pour revenir au pays pour prendre le taureau par les cornes.
Ce tableau peu reluisant du secteur de la santé devient plus sombre lorsqu’on mesure bilan du Renouveau d’un point de vue qualitatif. A ce niveau, les jugements sont encore plus durs. Dans le livre blanc intitulé "Changer le Cameroun. Pourquoi pas ?", écrit par un groupe d’intellectuels camerounais, en 1990, l’on note cette appréciation sur l’état d’esprit qui règne dans les hôpitaux au Cameroun : « Quand un médecin, un pharmacien ou un chirurgien-dentiste fait preuve d’une admirable conscience professionnelle et de compétence, il n’est pas regardé comme exemple à imiter. Au contraire, il devient celui contre lequel tous les autres se liguent et mettent en toutes sortes de relations pour le faire "tomber" […] Il en tire les leçons négatives : la compétence et la conscience professionnelle dans les services médicaux sont des délits».
En fait de leçons, il s’agit d’un comportement mercantiliste qui se situe aux antipodes de la morale publique et du respect de la personne humaine. C’est qu’en fait, la corruption qui gangrène le corps social n’a pas épargné le secteur médical. Ce "cancer social", qui a des conséquences fâcheuses, se manifeste de différentes manières et presque tous les niveaux. D’ abord à l’entrée de l’école de formation, surtout du temps où il en existait une seule, certaines places étaient réservées soit aux enfants des pontes du régime, soit aux mieux- disant. A cet effet, on a encore en mémoire cette grève des candidats à l’entrée de la Faculté des sciences biomédicales et de Médecine (Fsbm), ex Cuss, il y a quelques années, du fait de l’admission dans cette grande école du fils d’un président de l’Assemblée nationale qui n’avait pourtant pas réussi le concours. Ces comportements déviants sont d’autant plus inquiétants qu’il s’agit-là d’un secteur très sensible qui touche aux questions de vie ou de mort. Doit-on y admettre des gens qui ne méritent pas, fussent-ils fils de baron ? Sous le Renouveau, ce type d’errements est de plus en plus dénoncé, à l’Enam, à l’Iric, à l’Esstic, à l’Ens, etc. Que le secteur de la santé soit touché, il faut avouer que le vers de la corruption est déjà dans le fruit.
Ensuite, après leur formation, ces déviances ont d’autres oripeaux. Des médecins qui conditionnent les actes médicaux dans les structures hospitalières publiques au paiement d’une somme dont le montant, devenu officieux, tend à être identique. Certains dévient les patients vers leurs cliniques privées où ils promettent de mieux s’occuper d’eux. Enfin, notons sans la prétention d’être exhaustif, que tout cela crée dans beaucoup d’établissements hospitaliers, un climat d’animosité rebutant pour le patient et qui est bien décrit dans le Livre blanc en ces termes : « le mercantilisme, le carriérisme, la vénalité, les frustrations de diverses sources des uns et des autres s’ajoutent ici à la pénurie ou à la vétusté de l’infrastructures, au sous-équipement des unités médicales, à la non-maintenance érigée en système, pour achever sinon de paralyser l’ensemble des services, du moins de réduire dangereusement leur efficacité et, partant, leur utilité pour la population dans le besoin ».
En somme, le Cameroun entre au 21ème siècle avec un système sanitaire encore fragile, non seulement sur le plan quantitatif où des très légers efforts ont été faits, mais reste insuffisants par rapport à la demande en offre sanitaire que sur le plan qualitatif avec des comportements aux antipodes de la déontologie médicale, connue sous le nom de sermon d’Hippocrate devenu hypocrite sous le Renouveau.
En 2010, selon des sources officielles, pour 20 millions d’habitants, le Cameroun dispose de de quatre hôpitaux généraux, quatre hôpitaux centraux, 11 hôpitaux régionaux et assimilés, 156 hôpitaux de district, 203 centre de santé intégrés, 3149 formations sanitaires privés à but non lucratif, 825 formations sanitaires à but lucratif dont 209 cliniques et polycliniques, 536 cabinets de soins.
Simon Patrice Djomo


Le Renouveau en rupture d’eau, d’électricité et de logements, par Olivier Ndenkop
En 1985, Hubert Mono Ndjana publie un ouvrage dans lequel il décèle dans le programme politique de Paul Biya une certaine « idée sociale ». 28 après son accession à la magistrature suprême, la crise de l’éducation, les pénuries d’eau et d’électricité, la crise du logement, bref les multiples crises sociales contredisent toute « idée sociale » chez Paul Biya.
L’Abbé Pierre, né Henri Grouès n’est plus de ce bas monde. Il l’a définitivement quitté le 22 janvier 2007. Ce jour fatidique, c’est toute la « France d’en-bas » qui portait le deuil. Elle venait de perdre un homme qui, quoiqu’issu d’une grande bourgeoisie lyonnaise en 1912, s’était montré horrifié par la passivité des pouvoirs publics et de l’opinion devant la mort des clochards et autres banlieusards. L’abbé Pierre était devenu le chantre des misérables après la deuxième guerre mondiale.

C’est que, au sortir de cette terrible guerre, la France avait perdu 20% de ses bâtisses. Le nombre des sans-abris avait donc considérablement accru. Mais, au lieu de reconstruire un pays en lambeaux, les autorités ont privilégié la guerre d’Indochine abandonnant leurs compatriotes à leur misère. En février 1954, l’Abbé des mal-logés lance un appel à la reconstruction qui est fortement relayé par les médias et qui va bénéficier de la croissance des « Trente Glorieuses ». Les Habitats à Loyers Modérés (Hlm) seront construits pour héberger plusieurs millions de français à la bourse fragile. Conjugués, l’interpellation de l’Abbé Pierre et la volonté des autorités vont donner la possibilité à nombre de démunis français d’intégrer des appartements avec eau et électricité. Le tout à un coût supportable.

Retour au Sud
Le Cameroun n’a pas eu la chance d’engendrer son Abbé Pierre. Il pouvait néanmoins se gargariser d’une volonté des pouvoirs publics qui ont, à un moment de l’histoire, bien voulu investir dans la construction des logements sociaux qu’ils mettaient à la disposition des citoyens. Hélas ! Finie cette époque où des bulldozers, les Caterpillars et autres engins de bâtiments et travaux publics vrombissaient dans les coins urbains du Cameroun pour faire pousser de terre des habitations. Fini aussi la synergie fructueuse entre le Crédit foncier du Cameroun (Cfc), la Mission d’aménagement de terrains urbains et ruraux(Maetur) et la Société immobilière du Cameroun(Sic). Les « Camps Sic » du nom de ces habitations construites par la Société immobilière du Cameroun pour la location et le leasing ont cessé d’être construits. Les dernières constructions remontent à l’année 1986. Même si la Sic est devenue l’ombre d’elle-même, on retient qu’elle avait réussi à construire 6081 logements dont 746 en location vente et le reste en location simple. Les villes bénéficiaires sont Yaoundé, Douala, Edéa, Limbe, Buéa, Garoua, Maroua, Ebolowa et Bertoua. Mais, cette page est désormais tournée. Les projets de construction d’autres logements sociaux comme ceux d’Olembé dans la périphérie de la capitale Yaoundé sont devenus des mort-nés. Le pays croule donc sous le faix d’une crise de logement qui s’accroit avec l’exode rural. Arrivés dans les centres urbains par l’exode rural et non appelés par l’emploi, des millions de Camerounais font quotidiennement face à cette crise qui n’est pas encore une préoccupation véritable du gouvernement. Au ministère du Développement urbain et de l’Habitat, les projets de logements à construire sont de 4500 d’ici 2013 alors que le déficit est de l’ordre de 80000 logements pour la seule ville de Yaoundé. A la Sic, les projets ne manquent pas. Presque toutes les Régions du pays sont concernées. Mais, aucun de ses projets ne sort des tiroirs parfois poussiéreux de cette Société immobilière du Cameroun dont l’ancien Dg, Gilles Roger Belinga est cloué en prison pour détournement de deniers publics. Fidèles à sa logique de clochardisation des Camerounais à faible revenu et d’accaparement des biens, les grosses légumes du pays, hauts fonctionnaires, Directeurs généraux et ministres de la République se retrouvent dans ces camps Sic qui étaient en principe réservés au moins nantis.
Parallèlement, une bourgeoisie parfois affairiste creuse son sillon et semble avoir vu en l’immobilier, le business de demain. Plusieurs sociétés privées de construction de logements dits sociaux ont investi le secteur. A grand renfort de publicité, ils disent réussir là où l’Etat a échoué. Ils construisent et vendent des immeubles. Mais, le camerounais d’en-bas est mis hors course par le coût. Eux qui sont obligés de se retrouver dans les « Elobi » en attendant l’arrivée des engins destructeurs des Communautés urbaines qui les déguerpissent tels des malpropres encombrants. Des hommes se sont d’ailleurs rendus tristement célèbres par la brutalité avec laquelle ils ont déguerpi des milliers de Camerounais occupants des logements précaires : Basile Emah, Amougou Nomah Nicolas et aujourd’hui Tsimi Evouna alias Jack Bauer. Floué par le nébuleux cabinet Timbal Immobiliare dans le projet de construction de la Residence Ongola à Yaoundé, ce dernier a dû se rendre compte que construire une maison au Cameroun ne relève pas de la sinécure, même quand on est délégué du gouvernement.
Pire, les malheurs des Camerounais ne s’arrêtent pas avec la construction. Encore faut-il les approvisionner en eau potable. Un autre casse tête.
Les compatriotes de Paul Biya se sont crus dans un pays en guerre. Au mois de février de l’année en cours, des citernes des Sapeurs-Pompiers distribuaient de l’eau aux populations de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Aussi bien au lieu dit Chapelle Nsimeyong qu’à l’entrée de l’université de Yaoundé I. Hommes, femmes et enfants faisaient la queue pour recueillir dans des récipients quelques gouttelettes de ce précieux liquide. Une triste réalité qui contredit la rhétorique gouvernementale sur la question.
Le cas de Yaoundé n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’eau reste encore un luxe pour la grande majorité des Camerounais. Et la situation s’aggrave au fil des ans. Pour prétendre pallier le déficit en eau que connait le Cameroun depuis des années, les pouvoirs publics ont préféré brader la Société nationale des Eaux du Cameroun-(Snec). Une curieuse solution a donc été adoptée. La Snec a été charcutée en deux. Et on a vu l’arrivée de la Camerounaise Des Eaux (Cde) d’un côté et la Camwater de l’autre. Sauf que la loi du nombre ne se vérifie pas. Les deux nouvelles sociétés ne font pas mieux ce que faisait la Snec dirigée par des Camerounais. Du moins, le problème du déficit en eau reste intact. Selon le Rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales, et financières de la nation pour l’exercice 2009, il ressort que la production camerounaise en eau est en chute libre. En 2008, par exemple, la production a à peine atteint 107,6 millions de m3. Soit une baisse de 1,1% par rapport à 2007. Or, déjà en 2007, le manque d’eau était criard. Ce qui revient à dire que lorsque la demande camerounaise en eau potable augmente, la production baisse. Pour se justifier et rassurer l’opinion, le gouvernement à très vite pris le parti de la Camwater et sa sœur siamoise, la Cde. Le ministre de tutelle, les trompettes embouchées a annoncé de nouvelles unités de production à Batcham, Soa, Pouma, Ngambe et Dizangue. La mise en exploitation de ces dernières unités, a-t-il annoncé allait permettre de juguler les pénuries. Bluff, mauvaise foi ou mauvais calculs ? La réalité est là, implacable. L’eau demeure un bien de luxe pour la très large majorité des Camerounais. Alors que la production pour l’année 2009 était estimée par le gouvernement à 1,9% par rapport à 2009, on se retrouve encore plus au fond du gouffre déficitaire. Au point où de nombreuses familles passent des semaines voire des années sans eau ou sont obligées de faire la queue à différents carrefours pour recevoir de l’eau servie par les sapeurs pompiers, quand elles se contentent pas des eaux des pluies, des sources insalubres. Un service irrégulier et au compte-goutte. Face au problème qui se pose avec accuité, la Banque mondiale a fait un geste de générosité en finançant le branchement de 40 000 familles camerounaises installées en zones urbaines et périurbaines. Des gestes similaires sont faits par des chinois et des japonais qui construisent des forages dans certaines campagnes. Mais cette philanthropie internationale est loin de régler le problème.

Le Cameroun broie du noir
Depuis quelques années, la «nouvelle » société en charge de la production et de la commercialisation de l’énergie électrique au Cameroun est présentée comme un exemple de privatisation réussie. De grands projets sont annoncés par celle-ci. C’est toujours elle qui engage de vastes campagnes de communications médiatiques chères payées pour donner une bonne impression ou pour impression. En langage mathématique, Aes-Sonel a produit 4503 milliers de Kwh en 2008. Soit une augmentation de 5,8% par rapport à 2007. Pour les responsables de cette structure, «cette hausse est imputable à la levée de fonds que notre entreprise à bien vouloir faire pour satisfaire les millions de camerounais». Les mêmes voies avancent un investissement de 33 milliards de francs Cfa consenti au premier trimestre de l’an dernier. Ce qui aurait porté la production à 4720 milliers de Kwh pour l’an dernier. Même si les statistiques pour l’année en cours ne sont pas encore officiellement disponibles, certaines sources internes à Aes-Sonel avancent, torse bombée, une hausse de 4,8% par rapport à 2008. Il serait tout de même dangereux de succomber à ces chiffres et statistiques que les autorités scandent comme pour avoir bonne conscience.
La société en charge de la production et de la commercialisation de l’énergie électrique au Cameroun dit avoir accru sa production 2008 à hauteur de 5,8% par rapport à 2007. Une progression qui est loin d’être constante car celle de 2009 n’aurait été que de 4 ,8% par rapport à 2008. Une régression qui aggrave l’écart avec la production nationale qui, elle, va sans discontinuer. Les pouvoirs publics eux-mêmes évaluent l’augmentation de la demande nationale à 6% par an. Très loin de la production en dents de scie qui caractérise Aes-Sonel. En août 2009, le premier bloc de 43 Mw de la centrale thermique de Yassa-Dibamba a été mis en service et le deuxième bloc est prévu pour être fonctionnel d’ici la fin de l’année. Mais plusieurs millions de Camerounais ne sont pas encore à l’abri des caprices d’un courant qu’on a tôt fait d’appeler « clignotant », en raison de son sous-voltage et de son intermittence. Pourtant, faut-il le rappeler, la Cameroun détient le deuxième potentiel hydro-électrique derrière la République démocratique du Congo.
Olivier Ndenkop
Journaliste


Infrastructures de communication: Des desseins aux actes manqués, par Joseph Keutcheu
La construction de la proximité entre les lieux de pouvoir et les espaces qui leur sont dévolus se pose comme une catégorie de l’action politique de construction de l’État en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Concrètement, l’appropriation matérielle et symbolique du territoire camerounais par le pouvoir politique se pose comme la condition sine qua non de la viabilité et de la viabilisation de l’État postcolonial.
Un principe : le cercle vertueux entre maillage du territoire et diffusion de l’« esprit d’État »
Un principe : le cercle vertueux entre maillage du territoire et diffusion de l’« esprit d’État » 

La construction de la proximité entre les lieux de pouvoir et les espaces qui leur sont dévolus se pose comme une catégorie de l’action politique de construction de l’État en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Concrètement, l’appropriation matérielle et symbolique du territoire camerounais par le pouvoir politique se pose comme la condition sine qua non de la viabilité et de la viabilisation de l’État postcolonial.
L’émergence d’un pouvoir central transcendant et maîtrisant son environnement est en grande partie conditionnée par la construction des infrastructures de communication. Celles-ci facilitent la mise en place du couple centre/périphérie, couple qui apparaît comme consubstantiel à la configuration géopolitique de l’État au Cameroun, au « système organisé » camerounais, selon la formule de Crozier et Friedberg (1977 : 399-400). La construction des infrastructures telles que les routes, les aéroports, le chemin de fer s’inscrit dans le cadre de l’accumulation par l’État d’un capital spatial qui lui permet de subjuguer les autres formes d’organisations politico-territoriales qui existent en son sein. En effet, l’accession à l’indépendance, l’acquisition formelle de la souveraineté internationale ne font pas automatiquement de l’État camerounais un « déjà-là », un « prêt-à-gouverner ». Qu’est-ce en effet que le territoire étatique sans la dissémination spatiale du logo de l’État ? Qu’est-ce que l’État si le centre a de la peine à être présent de manière effective dans sa périphérie ? C’est en observant l’investissement concret et silencieux de l’espace social par les détenteurs des fonctions de gestion politique qu’on peut comprendre la transformation de l’espace en territoire et comprendre la construction de l’État au Cameroun. L’intégration optimale du territoire, le contrôle total de la population qui s’y trouve restent des Graals que les États poursuivent de manière perpétuelle.
En favorisant la mise en place de ces infrastructures, l’État postcolonial camerounais cherche à construire et à préserver un ordre politique spécifique contre le désordre qui l’environne (Chevallier, 1985 : 50), contre les flux moléculaires qui, en permanence, travaillent à sa corrosion, à son effritement. On citera notamment l’irrépressible manifestation de l’ethnicité, l’ébullition de particularismes locaux. Le maillage du territoire par les voies de communication est donc envisagé comme le déploiement d’un mode de pouvoir, le pouvoir de l’État qui entend se diffuser sur l’espace de compétence qui lui est reconnu par le droit international. Le rôle des transports devient primordial dans cette dynamique en ce sens qu’ils constituent le support, voire le vecteur des flux de produits, de personnes ou de biens immatériels comme les transactions financières ou l’information administrative. L’intégration au « système État » se réalise par cette innervation du territoire. Sa densité et son efficacité accroissent l’importance relative de l’espace considéré au sein d’un ensemble plus important, de même qu’elles permettent au centre de gagner en puissance par rapport à la périphérie intégrée. Pour les détenteurs de la compétence dirigeante légitime, l’articulation centre/périphérie n’est possible que par la mise en échec de la distance qui sépare les deux lieux, mieux, par leur rapprochement.
Les travaux publics sont engagés dans le sens de la « gouvernementalisation » du territoire. C’est là que réside en grande partie la construction de l’État au Cameroun, dans les techniques de gouvernement, les actions et les pratiques qui constituent sa matérialité tangible (Foucault 1984). Au-delà de toute conception anthropomorphiste ou mécaniste de l’État camerounais, il est intéressant de l’envisager sous l’angle de ses actions, des travaux publics visant à le rendre effectif, à le rendre présent dans l’espace géographique du Cameroun. Comment en effet « diffuser le pouvoir » dans un espace astructuré du fait des impedimenta géoculturels qui s’y manifestent avec acuité ? A ce niveau, on doit noter que l’entité géographique et politique Cameroun résulte de l’intégration de noyaux de peuplement excentrés et très souvent divergents compte tenu de la riche histoire des migrations en Afrique centrale. La figure du « puzzle de terroirs » permet de rendre compte de la situation, une situation qui fait raisonnablement penser à un Cameroun éclaté entre plusieurs tendances culturelles. Le désir d'en finir avec ce « chaos », ou du moins d’en réduire la portée, anime un grand nombre de politiques publiques relatives aux voies de communication. Les interrelations entre ces groupes sont supposées réduire la différence et renforcer le sens de l’État.
La lecture de la proximité induite par les réseaux de communication peut donc être faite dans une logique interactionniste. Il s’agit cependant d’une logique qui est contrariée par l’inégal maillage du territoire en voies de communication.
La réalité : des carences criardes des infrastructures de communication et la mise en évidence de la logique incantatoire du discours politique
L’observation empirique permet de dire que le discours politique lénifiant sur les « réalisations du renouveau » a fini par être rattrapé par une réalité moins belle : l’offre est largement insuffisante pour répondre à une demande de mobilité sans cesse grandissante.

1. Demande de routes, irrépressible demande de commutation territoriale
Plusieurs indicateurs permettent de mesurer la demande en infrastructures de communication au Cameroun. Au titre de variable de premier ordre de la demande de routes au Cameroun, on retrouve l’explosion de la mobilité des populations. L’agriculteur est fortement concerné par l’écoulement de ses produits de sa localité de résidence vers les villes voisines, les envies de déplacement sont le lot quotidien des entreprises à la recherche de matières premières ou de débouchés commerciaux dans l’hinterland, des individus en quête d’emploi,… La Banque de données routières (BDR) de la Cellule de la programmation (CdP) au Mintp contient des résultats édifiants des campagnes de comptage routier effectuées entre 1999 et 2003 . L’unité de mesure du trafic est le Trafic moyen journalier par an (Tmja) ou le nombre de véhicules par kilomètre de route (véh-km). En comparant les volumes (véh-km) pour les campagnes de 1999 à 2003, on se rend à l’évidence de ce que la demande de routes au Cameroun va crescendo. Le taux de croissance annuel du trafic est toujours positif et tourne autour de 7 % en moyenne.
L’évolution du parc automobile au Cameroun constitue un autre site pertinent d’observation de la croissance ou non de la mobilité. Les données de la Direction des transports terrestres (DTT) du Ministère des transports révèlent une augmentation de 4% du parc automobile camerounais entre 1999 et 2000. Le fort taux de véhicules de particuliers est une indication de ce que le nombre de ménages possédant un véhicule est en augmentation, de même que le besoin individuel de déplacement (Mint/Dtt, 2002).

Graphique 1: Volume de arc automobile camerounais de 1993à 2000
Il convient de mentionner que l’évolution du parc automobile est corrélée à la croissance démographique que ce soit au niveau national en général ou au niveau urbain en particulier. De fait, la croissance démographique ressortit des variables de deuxième catégorie de la demande des routes, c’est-à-dire celles qui sont directement corrélées au phénomène des transports. La population camerounaise s’accroît à un rythme rapide ; le taux d’accroissement annuel moyen estimé à 1,9 % en 1950 a été évalué à 2,9 % en 1987. A ce rythme de croissance, estime-t-on, la population doublerait en moins de 24 ans. La demande de transport n’est pas insensible à cette dynamique démographique. L’accélération de l’augmentation de la population impose des besoins nouveaux dont les moindres ne sont pas un ensemble de déplacements pour des raisons économiques et sociales. La croissance de la population induit donc un accroissement du flux de trafic du fait de l’augmentation du besoin de se déplacer.
La croissance de la demande de routes au Cameroun se présente ainsi comme la manifestation d’un potentiel en termes de mise en contact des composantes spatiales et humaines de l’Etat. Il y a simplement là appel objectif à construction ou à renforcement de la visée panoramique dudit État sur son espace de mouvance. Le tout est de savoir si cet appel rencontre l’écho qu’il faut pour parler d’optimum de l’État territorial au Cameroun.

2.L’offre insuffisance des infrastructures de circulation et la crise de l’Etat territorial au Cameroun
a)Insuffisance criarde de l’offre de routes et fragilité de la cohésion du système territorial camerounais
L’offre des routes exprime la volonté et la consistance de la construction physique et symbolique de l’État, elle met en avant la fructification par celui-ci de son capital spatial. Les observations sur le terrain, complétées par les données administratives ne laissent pas d’inquiéter quant à la possibilité de transformer le potentiel ci-dessus mentionné en réalité palpable sur l’ensemble de la république. Deux sites d’observations permettent de rendre compte de ce décalage entre le potentiel et la réalité de la construction de l’État territorial au Cameroun : la construction et l’entretien des routes. Des études révèlent que le réseau routier est fortement dégradé. Les chiffres officiels suivants sont plus explicites sur l’état du linéaire routier camerounais (Mintp, 2005a : 2) :
‒ 26 % des routes bitumées sont en bon état, soit 1 300 km sur 5000 disponibles,
‒ 21 % de routes en terre sont en bon état, ce qui représente 3 900 km sur les 19 000 disponibles,
‒ 14 % de routes rurales sont en bon état, soit 3 600 km sur les 26 000 disponibles.
Au constat de la dégradation des routes construites, s’ajoute celui, non moins inquiétant pour l’entreprise de territorialisation de l’Etat, de la faible étendue géographique du réseau routier. On relève ainsi un déficit de 11 500 km de routes de dessertes dans les zones enclavées ! Au titre de la littérature sur le déficit ou sur l’insuffisance, on peut convier AAA AAA la mesure de ladensité routière par habitant (km/1000 hab) qui permet d’estimer la demande en infrastructures routières dans le territoire considéré. A ce propos, une comparaison entre le Cameroun et d’autres pays en développement, notamment ceux de la sous-région d’Afrique centrale et la Côte-d’Ivoire qui se situe à un niveau de développement comparable à celui du Cameroun du point de vue du PIB par habitant (environ 700 $US en 2001), contribue à renforcer l’idée de retard ou de déficit. Selon la Banque mondiale, les densités routières se présentent comme suit dans ces pays :

Tableau 1; Comparaison des densités routières en Afrique centrale

          Pays Densité routière (en Km/1000 hab)
Cameroun 2,6
Congo 4,8
Gabon 6,9
Guinée équatoriale 7,0
RCA 7,0
Tchad 4,8
Moyenne Afrique centrale 5,5
Côte-d’Ivoire 3,5

Source: World Bank, African Development Indicators, 2003
Le tableau révèle que le Cameroun reste encore assez éloigné de tous les pays de la sous-région. Le gap entre le standard minimum sous-régional et le niveau actuel du Cameroun est aussi grand révélant des contraintes pour l’opération de totalisation étatique de l’espace. En d’autres termes l’appel à construction des routes reste important. L’analyse indique clairement que presque ¾ du réseau bitumé et encore plus du réseau en terre nécessitent un entretien urgent, car les entretiens faits jusque-là n’arrivent pas à maintenir la qualité du réseau qui continue à se dégrader. Grosso modo, 8 890 km de routes sont en bon état sur un linéaire total de 50 000 km. L’entretien du réseau routier est si mauvais qu’il est susceptible d’influencer négativement le processus d’intégration physique du territoire.

Le graphique ci-dessous restitue mieux cet écart entre l’offre et la demande des routes.
 Graphique n°2 : Ecart entre l’offre et la demande des routes ou écart entre l’offre et la demande de commutation territoriale

Source : Mintp, 2005b

b)Le train qui passe difficilement
La demande de chemin de fer est forte sur les plans politique et économique. Sur le plan politique, le principe d’unité qui est au fondement de la consistance de l’Etat nécessite la circulation de flux de biens et surtout des hommes entre le nord et le sud. La vitalité de la liaison nord-sud, érigée en démiurge du développement politique au Cameroun, est en effet tributaire de ces flux. On n’a point besoin ici de s’étendre outre mesure sur le rôle économique du rail, qui permet de créer dans une certaine mesure l’entité « marché camerounais », cadre d’échange de produits typiques du nord vers le sud et vice versa, acheminements des produits agroindustriels du Nord, de l’Est, du Moungo et du Sud-ouest vers le port d’exportation de Douala. Pourtant, le chemin de fer colonial et celui hérité de l’indépendance n’a guère été amélioré. Pire, la question du prix du ticket de voyage constitue aujourd’hui l’une des grosses pierres d’achoppement dans la mise en concession du chemin de fer du Cameroun. Si l’on peut comprendre la nécessité d’un ajustement périodique des tarifs, l’on ne saurait justifier des hausses de plus de 50%. Ainsi le tarif Yaoundé-Ngaoundéré est passé de 6000 francs cfa à 10 000 Francs soit une augmentation de 66% pour la 2e classe, la classe la plus prisée par les voyageurs. Sur la ligne Douala-Yaoundé, du fait de leur influence négative sur la propension des populations à voyager, les prix ont tendance à renforcer l’enclavement ou à inverser le désenclavement de certaines localités riveraines du chemin de fer . Sur les tronçons Yaoundé-Eséka, Yaoundé-Bidjoka, Eséka-Bidjoka (Hikoa-Malép), Yaoundé-Edéa les griefs des usagers du rail sont similaires : le surenchérissement démesuré des prix des places dans le train par rapport à la période pré-concession.
Par ailleurs, on ne peut s’abstenir de relever que le chemin de fer camerounais génère son chiffre d’affaires majoritairement à partir du trafic de marchandises : depuis le début des années 1980, le fret représente chaque année entre 75 % et 85 % du chiffre d’affaires total. Le bois, les hydrocarbures, les conteneurs, les céréales/farines, et le coton constituent les principales marchandises transportées. En 2006, leurs proportions respectives dans le chiffre d’affaires de la Camrail se présentent sommairement comme suit : hydrocarbures (21,1 %), bois en grumes (14,5 %), conteneurs (12 %), coton (8 %), céréales et farines (11,7 %),… La Camrail a donc tendance à privilégier le transport de marchandises plus rentable que celui des voyageurs qui, très souvent, se sentent abandonnés, en particulier ceux de la ligne Ngaoundéré qui n’ont pas, comme ailleurs, le deuxième choix que constitue le voyage par route.

c) Le transport aérien domestique entre éveil de la demande et offre chloroformée
Le projet colonial de structuration du territoire prenait en considération l’importance des échanges aériens. Le projet territorial de l’Etat postcolonial ne dérogeait pas à cette tendance. C’est que l’avion apporte une dimension et une souplesse dans ces relations entre lieux. Il joue un rôle complémentaire des transports terrestres, il pallie leurs carences en termes de rapidité et participe à l’élaboration de l’organisation spatiale de l’Etat. L’héritage colonial de la production du territoire à partir du transport aérien est assez riche au lendemain de l’indépendance. Le Cameroun compte alors une quinzaine d’aérodromes dont les plus en vue sont : Douala, Yaoundé, Bafoussam, Bamenda, Garoua, Maroua, Bertoua, Ngaoundéré, Koutaba et Tiko, autant de structures d’encadrement du territoire que le nouvel Etat entend capitaliser. Si théoriquement de nos jours le pays est desservi par huit aéroports dont trois aéroports internationaux (Douala, Yaoundé-Nsimalen et Garoua) et 5 aéroports secondaires (Maroua-Salak, Ngaoundéré, Bertoua, Bafoussam et Bamenda) (Mint, 2009), la réalité fonctionnelle est toute autre et laisse voir cinq aéroports fonctionnels : deux aéroports permanents (Yaoundé, Douala) et trois « aéroports intermittents » (Garoua, Ngaoundéré et Maroua) ; Bafoussam, Bamenda et Bertoua étant tout simplement tombés dans l’abandon du fait des difficultés financières auxquelles l’État est confronté. Que les aires d’atterrissage de l’aéroport de Bafoussam aient été transformées en séchoir d’aliments et de vêtements par les populations riveraines en dit long sur l’état d’abandon.
L’entreprise Adc ne gère effectivement que les cinq aéroports évoqués avec peu ou prou de succès dans l’entretien des installations nécessaires au bon fonctionnement d’un aérodrome. Yaoundé et Douala bénéficient sans doute de la qualité d’entretien liée à la permanence de leurs services tandis que Garoua, Maroua et Ngaoundéré sont conservés à l’aune de l’intermittence de leurs services. Les bâtiments en décrépitude, les aires d’atterrissage rafistolées ça et là sautent à l’œil du premier observateur et lui rappellent le gap entre la demande et l’offre de service, le gap entre les déclarations officielles sur la priorité à accorder au transport aérien et la réalité dudit transport.
Le bât de l’intégration territoriale blesse davantage au niveau de l’existence et de la consistance des compagnies aériennes utilisatrices de ces infrastructures. Créée le 1er novembre 1971, la Cameroon Airlines (Camair) jouit du monopole du marché intérieur de transport aérien et constitue un puissant instrument dans la politique d’intégration nationale. Progressivement, la compagnie est entrée dans le quotidien de certains voyageurs du nord mais surtout dans les représentations de la nation camerounaise tant et si bien qu’on parle affectueusement de la Camair en termes de « onzième province ». Toutefois, la tourmente économique dans laquelle le Cameroun entre à la fin des années 1980, combinée à une gestion catastrophique ont raison de la Camair qui rend finalement l’âme le 29 juin 2006 après moult tentatives de sauvetage plus mues par des considérations affectives et politiques que des par raisons de rentabilité économique. De fait, c’est depuis le milieu des années 1990 que la compagnie ne répondait plus que péniblement à la demande du marché intérieur, notamment à la demande venue du nord. Le service se caractérisait alors par les annulations et les suspensions fréquentes de vols, des retards à répétition, des avions en surcharge,…
Plusieurs compagnies privées de transport aérien ont pris le relais de la Camair en ce qui concerne la desserte du territoire national, mais toujours avec des offres en deçà des attentes des voyageurs : National Airways Cameroon (Nacam) voit le jour en 1999, Air Service Cameroun qui dessert le nord à partir de 2006, Elysian Airlines et Toumaï Air Tchad qui se lancent dans l’aventure camerounaise respectivement en août 2007 et juillet 2008. On a ainsi assisté à une libéralisation de plus en plus grande de l’espace aérien camerounais qui entraîne bon an mal an une privatisation relative de la politique d’intégration du territoire national par la voie aérienne.

Un constat : l’inégalité face aux infrastructures de circulation
Le réseau d’infrastructures de communication actuel est révélateur des logiques politiques et sociales productrices d'espace au Cameroun. Le territoire camerounais est en effet remarquablement organisé selon un schéma qui laisse transparaître, au gré de son maillage par les réseaux de circulation, les lignes de force de la gouvernementalisation de l’Etat (Lascoumes et Laborier, 2004). Le verdict de l’irrigation du territoire par les routes, le chemin de fer et les aéroports permet de dire que la respiration du système politique camerounais dans sa périphérie, loin d’être uniforme, est saccadée et spatialement asymétrique. Par ces temps de mémorandum, de récrimination et de contre-récrimination des politiques publiques où les « portes paroles » de régions « lésées » prennent la parole pour évoquer leur mal être dans la République et où les « défenseurs » de ladite République montent au créneau contre ces fauteurs de division , l’objectivation statistique, pour peu qu’elle soit faite dans les règles de l’art, permet de dépasser les contingences individuelles et conjoncturelles pour construire un discours général sur les infrastructures au Cameroun . Cette perspective objectiviste ouvre la possibilité de donner forme au chaos que présente la multitude de sorties singulières que l’on a relevées ces derniers temps sur la place publique .
Le tableau suivant nous permet de faire une comparaison de l’offre de création de routes sur l’ensemble du territoire national et de mettre en évidence de manière irréfragable l’existence d’espaces marginalisés du fait d’une offre particulièrement insuffisante de routes. Ce faisant, on voit naître une opposition de fait entre des espaces dynamiques, marqués par l’énergie des échanges multiformes qui y ont lieu ; et des espaces déprimés, en proie à l’enclavement et à l’isolement. La densité routière au kilomètre carré exprime l’offre en infrastructures routières dans une partie donnée du territoire national. Précisément, le tableau donne de manière particulière les différentes densités routières au kilomètre carré (km/100 km2) par province, suivant les différents types de routes.

Tableau n°2 : Densité routière au km2 pour l’année 2005

Province Superficie Routes bitumées Routes en terre prioritaires Routes rurales prioritaires Total
Linéaire Densité Linéaire Densité Linéaire Densité Linéaire Densité
Adamaoua 64000 441 0,69 1350 2,11 605 0,95 4255 6,65
Centre 69000 921 1,33 1555 2,25 3725 5,40 11036 15,99
Est 110000 346 0,31 1590 1,45 868 0,79 4974 4,52
Extrême-Nord 34000 589 1,73 1011 2,97 1195 3,51 5384 15,84
Littoral 20000 478 2,39 773 3,87 708 3,54 2979 14,90
Nord 66000 645 0,98 1044 1,58 867 1,31 4787 7,25
Nord-ouest 16000 205 1,28 841 5,26 1231 7,69 4504 28,15
Ouest 13000 459 3,53 983 7,56 1473 11,33 4391 33,78
Sud 47000 574 1,22 1512 3,22 698 1,49 4501 9,56
Sud-Ouest 25000 260 1,04 942 3,77 740 2,96 2991 11,96
TOTAL 464000 4918 1,06 11601 2,50 12110 2,61 49802 10,73

Source : Compilation d’après les données tirées de Mintp, 2005a, annexe A ; Mintp, 2005b : 46.

Du tableau, il ressort que la densité routière moyenne nationale est de 10,73 km/100 km2, ce qui laisse entrevoir les efforts à réaliser dans le sens de la construction physique de l’Etat. Les régions de l’Adamaoua, de l’Est, du Nord et du Sud ont des densités en dessous de la moyenne nationale, ce qui ne laisse pas d’inquiéter quant à leur véritable intégration dans le territoire camerounais. Toutefois, cette vision, pour globale qu’elle reste, a tendance à masquer les vrais tendances de la dynamique territoriale au Cameroun ; une analyse moins marquée par les découpages administratifs permet de rendre davantage justice à la situation sur le terrain.
Ces difficultés permettent de mettre en lumière deux logiques opposées ou une intégration physique à multiple vitesse dans laquelle se distinguent une tendance à la « territorialisation dure » et une tendance à la « territorialisation molle » de l’espace dévolu par le droit international. On peut aussi l’analyser comme la consécration de l’inégalité des camerounais face à la possibilité de circuler. Dans le triangle Yaoundé-Douala-Bafoussam (Yadobaf), l’existence d’une arborescence relativement dense de voies de communication témoigne de l’élargissement des possibilités de déplacement. Le trafic journalier moyen (Tjm) ici renforce cette idée. Le tableau suivant permet d’en témoigner.

Tableau 3Trafic sur quelques routes du pôle de Douala en 2003

Routes Tronçon TJM (en véh./jour)
Nationale n° 1  Yaoundé-Obala 4400
Nationale n° 3  Yaoundé-Nomayos (vers Mbankomo) 3500
Boumnyebel-Ndoupe 2700

Nationale n° 3

Pouma-Edéa 2700
Edéa-Douala 3800
Douala-Bekoko 8800
Bekoko-Pont sur le Moungo 3500
Pont sur le Moungo-Mutengéné 3000
Mutenguné-Limbé 5600
Limbé-Idenau 1500
Nationale n° 4 Obala-Pont d’Ebebda 2200
Pont du Ndé-Bagangté 1500
Bagangté-Bandjoun 1700
Bandjoun-Bafoussam 7000
Nationale n° 5 Bekoko-Loum 4700
Loum-Nkongsamba 3000
Nkongsamba-Melong 2600
Melong-Bafang 2600
Bafang-Bandja 2500
Bandja-Bandjoun 2500
Nationale n° 6 Bamenda-Santa 1800
Bafoussam-Limite NW 2000
Bafoussam- Pont du Noun 1500
Nationale n° 10 Yaoundé-Awaé 1200


Dans la partie septentrionale du pays, le couple Garoua-Maroua peut aussi, dans une certaine mesure, être considéré comme un pôle de communication même si l’effet de la distance kilométrique par rapport au centre yaoundéen et la qualité approximative des infrastructures de communication ont tendance à affaiblir le tropisme yaoundéen des échanges locaux. Il s’agit donc en tout point d’un pôlede communication tronqué, d’où la persistance et le renforcement des géotypes « nordistes » et « sudistes » qui renforcent la distance entre les Camerounais.
Quid précisément des espaces extérieurs aux pôles de communication ? Ce sont des espaces marqués par l’enclavement, donc par une certaine neurasthénie de leur système de communication avec le centre politique. On peut citer principalement:
• l’ensemble Djoum-Batouri, cet espace forestier qui couvre la partie sud-est de la région administrative du Sud et s’étend en diagonale jusqu’à Batouri, prenant en échales localités de Ngoila, Moloundou, Yokadouma et Mbang ;
• le triangle Ngoro-Ngambé Tikar-Yoko,
• le grand vide de l’Adamaoua sud,
• le département du Nkam ;
• le triangle Bipindi-Lolodorf-Akom II dans le département de l’océan.
Pour la plupart, ces espaces sont depuis très longtemps entré dans l’imaginaire des camerounais comme des territoires de pygmées avec tout ce que cela comporte comme stéréotypes liés au caractère atypique de ce groupe et surtout à son éloignement par rapport aux Camerounais « normaux ». Ces espaces sont déjà enclavés dans cet imaginaire avant de l’être dans la réalité. Cependant l’écart entre l’imaginaire et le réel est ténu si l’on s’en tient aux données liées à sa connectivité sur le système territorial national : l’état de décrépitude des routes locales. Le trafic journalier moyen dans ces espaces n’atteint que péniblement 15 véhicules par jour. Toute réflexion sur les logiques de l’enclavement est indissociable d’une réflexion sur la mise en difficulté de l’ensemble des processus par lesquels le centre politique, administratif et judiciaire de l’État camerounais établit une présence effective de son autorité dans ces périphéries. On ne peut manquer de s’intéresser à la mise à mal de la capacité d’extraction et de mobilisation des ressources que l’État déploie dans ces lieux pour mettre en œuvre ses politiques. Il y a aussi lieu de mentionner l’échec de l’intégration de ces espaces dans le marché économique national. La panne de circulation implique en effet le développement des logiques économiques d’hinterland que nous définissons comme l’amplification de comportements économiques marginaux propres aux territoires isolés à l’intérieur du pays. Ces comportements vont du retour de la pratique du troc, au renforcement de l’autoconsommation ; l’approvisionnement ou la vente vers d’autres espaces étant relativement fermé par le mauvais état des routes.
Au total, l’observation des voies de communication à l’heure actuelle au Cameroun permet de constater la dilapidation des énormes potentialités économiques et politiques que présentaient ces infrastructures au lendemain de l’indépendance.
Joseph Keutcheu
* Ce texte est tiré de la thèse de doctorat de l’auteur
Notes:
1- La Cellule de programmation (CdP) du MINTP est chargée de la programmation de l’entretien routier sur le réseau prioritaire, de la mise à jour des données nécessaires à la programmation, du classement et de la nomenclature des routes ainsi que de la gestion de la BDR. C’est donc la cheville ouvrière de la politique des routes au Cameroun.
2- Il faut dire que la CAMRAIL semble ainsi s’engager dans la compensation du manque à gagner dû à la concurrence que les bus livrent au train dans le transport interurbain.
3- Depuis quelques années, le Cameroun est marqué par l’accentuation d’un phénomène encore résiduel il y a quelques temps, celui des mémorandums portés par des « élites » ressortissant de régions qui s’estiment être des oubliées de la république. Au rang des revendications, on retrouve en grande place la question des infrastructures de communication, notamment des routes. Face à ces mémorandums, une autre catégorie de récriminations a vu le jour, les récriminations contre les mémorandums qu’on estime truffées d’inexactitudes et contraires aux principes d’unité et d’intégration nationale chères à la république. Pour des informations développées à ce propos, on pourrait lire, La Nouvelle Expression, 10 juin 2009 ; Le Messager, 28 mai 2003 ; Cameroon Tribune, 02 juin 2003.
4- Le lecteur attentif pourrait cependant nous opposer le fait que les statistiques officielles portent la « marque idéologique » des gouvernants qui les « arrangeraient » de temps en temps au gré de leurs intérêts. A cette objection, on répondrait que les données exploitées ici proviennent de la base de données brute conçue par le cabinet AIC Progetti S.A., données utilisées pour la conception du Plan directeur routier. On ajouterait en plus que ces statistiques ne sont pas une fin en soi dans l’étude et que pour donner une plus grande assise empirique à l’étude, on devrait confronter à d’autres sources, notamment aux données qualitatives.
5- C’est le linéaire de routes sur la superficie d’une région donnée.
6- Nombre de véhicules circulant sur un axe par jour.


Les billevesées du Renouveaupar Jean Paul Sipadjo

En presque 30 ans de règne, le Renouveau, telle une calebasse qui, au fil du temps, remplit et même déborde en recueillant des gouttes d’eau, a déjà collectionné une kyrielle de fadaises qui ont, dès son avènement, le 6 novembre 1982, lézardé cet édifice sur lequel beaucoup d’espoir avaient pourtant été fondés, compte tenu du bolchevisme du précédent régime. Ces billevesées qui portent l’estampille du citoyen, du plus ordinaire aux plus hautes personnalités de la République, en passant par les éléments de forces de Défense, sont vécues au quotidien sans pour autant que cela fouette la fibre citoyenne de qui que ce soit. Tout au contraire, le silence coupable passe pour être la règle d’or face à ces facéties. Sinon, comment comprendre en effet, que dans un pays où les responsables prétendent en avoir fait un Etat de droit, des "hommes en tenue" roulent, à longueur de journée, dans des véhicules civils sans plaque d‘immatriculation ni assurance, au vu et au su de tous ? Imagine-t-on seulement les conséquences d’une telle situation en cas d’accident ? Non seulement, aucun dommage ne peut être réparé dans ces conditions, mais en plus l’homme en tenue vocifère, menace et pousse le courage jusqu’à l’impétuosité en réclamant curieusement réparation. Mais lorsqu’ils ne se comportent pas ainsi, ils usent du trafic d’influence soit pour ne pas passer inaperçu, soit pour s’imposer dans la société. Par exemple, il n’est pas rare de voir étalés sur la banquette arrière d’un véhicule appartenant ou non à un homme du corps de l’armée, les galons d’un officier supérieur. A défaut des galons, les moins gradés se servent plutôt de leurs bérets qu’ils placent sur le dessus du tableau de bord, comme un laissez-passer. La méthode réussit si bien que, comme dans le cas de la gestion du carburant, on n’oublie pas les civils ; ceux-ci en effet, du moins certains, empruntent ou louent ces bérets qui leur servent de passe-droit aux contrôles de police ou de gendarmerie. Quad ce ne sont pas des bérets ou des galons, ce sont eux-mêmes qui se constituent en passeports pour certains opérateurs économiques qui doivent traverser les postes de contrôle avec leurs marchandises frauduleusement importées des pays voisins.
Les sottises du genre, on ne les retrouve pas seulement du côté des forces de défense, mais aussi chez les civils. Figurez-vous que, plus de six mois après une cérémonie de réception à la Présidence de la République, par exemple, des invités, parfois de second ordre, ne daignent pas décoller de la pare-brise de leur véhicule le laissez-passer qui leur a permis d’avoir accès au parking du palais de l’Unité. Soit. Mais là où le bât blesse, c’est que ces autocollants valent dossier du véhicule dans les postes de contrôle et, par conséquent, donnent lieu à une libre circulation.
Autres sottises, autres curiosités sous le Renouveau : ce sont ces "coupeurs de routes" dans les principales villes du Cameroun. En effet, pour des cérémonies privées, des autorités administratives signent l’autorisation aux familles d’occuper la voix publique, ce qui a pour conséquence, la déviation de la circulation, créant ainsi des désagréments aux usagers. Tout comme des citoyens qui se trouvent emberlificotés par des tapages et autres troubles sonores des églises réveillées et même des discothèques. La liste de ces foutaises est loin d’être exhaustive. Ce pendant, elle nous donne à comprendre que le Cameroun est un pays qui marche les pieds en l’air ; un pays où ce sont ceux qui sont chargés de servir d’exemple qui déconnent, où ceux qui sont supposés assurer notre sécurité constituent de véritables sources d’insécurité et surtout une République où les discours creux semblent satisfaire plus que les actions.
Tous ces abus aisément visibles depuis près de deux décennies, ont fini par basculer dans la banalité puisque beaucoup de citoyens semblent l’admettre sans rechigner. Reste que ces actes miasmatiques soulèvent quelques interrogations : le Cameroun ne serait-il pas gouverné par un régime militaire de fait ? Y a-t-il dans notre pays des citoyens au dessus de la loi ? La notion de bien public a-t-elle encore un sens dans notre pays ?
Dans tous les cas, le constat est clair, le régime semble se plaire et même se nourrir de ces petites "camerounaiseries", puisque ces comportements ne sont pas du tout inscrits dans le registre des préoccupations du Renouveau. A l’heure du bilan, il convient de mettre ces billevesées à l’actif du Renouveau.
Jean Paul Sipadjo


Plus de 50 ans de politique macabre et d’assassinats, par Olivier Ndenkop
Le champ de l’histoire du Cameroun est couvert de sang des Compatriotes lâchement abattus par les toubabs et leurs satrapes au pouvoir depuis l’accession à l’indépendance formelle.

L’année 2010 a été retenue au Cameroun comme celle des grandes célébrations des Cinquantenaires des indépendances formelles. On en a tellement célébré qu’il devient ennuyeux de chercher par où ces grandes fêtes ont commencé. Dans tous les cas, l’Ecole nationale d’Administration et de la Magistrature (Enam) n’a pas fait dans la dentelle. Pendant une semaine, c’était youyous et fora! Comme il n’en a pas l’habitude, le trop réservé président de la République, Monsieur Paul Biya s’est déplacé pour cette « cérémonie inoubliable », selon les mots de Benoît Ndong Soumhet, le Directeur de l’Enam.
Mais le mois de mai est sans doute celui qui, en cette année 2010, a brillé de cinquante « bougies nationales ». C’était le début du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun oriental. La fête devrait se poursuivre en octobre de l’année prochaine parce qu’il faudra commémorer, aussi, le cinquantenaire de la Réunification. Mais avant, le pays tout entier doit se tourner vers Bamenda pour les cinquante ans de l’armée nationale. Une autre fête de plus qui participe de la volonté du régime en place de présenter une histoire policée du Cameroun. Un pays qui serait « né » sans douleur, qui a évolué dans la concorde et doit marquer un temps d’arrêt, sabler du champagne pour tout ce long parcours sans « incidents majeurs » d’après la formule consacrée ?
Un peu à rebours, est-il futile de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, question de présenter d’autres faits - des massacres - qui ont eux aussi caractérisé notre pays pendant ce demi-siècle ? L’histoire, si elle n’est pas linéaire, elle ne saurait non plus être sélective. Et celle du Cameroun n’échappe pas à cette règle, surtout qu’elle est d’ailleurs écrite en lettres de sang.
Le contact des colons avec les Camerounais, la pénétration dans le territoire national n’était pas une partie de plaisir. De Martin Paul Samba à Rudolph Douala Manga Bell, Adolph Ngosso Ndin aux martyrs des années 90, morts « piétinés par balles » en passant par l’assassinat de Um Nyobè et compagnie, la liberté et les autres acquis célébrés lors de ces différents « cinquantenaires » sont le fruit d’une haute lutte.

Les signes avant-coureurs
Parmi les massacres (régis par l’omerta) des Camerounais, figure en bonne place ceux de septembre 1945. Une véritable boucherie humaine qui commence un certain 24 septembre de la même année. C’est que, les « indigènes » ont très tôt cru aux résolutions de la conférence franco-africaine de Brazzaville tenue en 1944 dans ce qui était encore le siège de l’Afrique équatoriale française. En effet, lors de cette grande « kermesse » présidée par le président de la France, le Général Charles de Gaulle déclare : « En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun autre progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire à ce qu’il en soit ainsi. ». L’étau allait donc se « desserrer » autour du colonisé, pensait-on à la suite de ce discours qui n’avait pas entièrement rompu avec la logique paternaliste. Il y avait quelques raisons d’y croire. Car, le 07 août 1944, le droit syndical est reconnu par un décret du ministre français des colonies de la France-Libre, René Pleven. Le Cameroun saisit la balle ainsi lancée et les premiers syndicats ne tardent pas à voir le jour. Il est question pour les travailleurs camerounais, mal payés de revendiquer les « meilleurs » conditions de travail. Mais les actions de ces nouveaux syndicats pour la plupart balbutiants ne sont pas significatives. Au mois de juin 1945, une grande Union syndicale est créée à Douala et dénommée Union des Syndicats Confédérés du Cameroun Uscc. L’aspiration à la liberté est pressante. La première grande rencontre de cette union syndicale se tint au mois d’août 1945 dans la salle des fêtes d’Akwa à Douala qui est le siège du syndicat et concentre l’essentiel des membres. La Cgt française est représentée à ce concert de syndicalistes par Lalaurie et Soulier. Côté camerounais, on retrouve Moumié Etia, Jacques Ngom et Um Nyobe selon certains documents historiques. Au centre des débats ? La situation des travailleurs indigènes. Il est retenu la limitation des heures de travail et le redressement salarial de ces derniers. Mais rien n’est encore acquis dans la mesure où tout ce qui est ici arrêté sera soumis à l’appréciation et à l’éventuelle approbation des patrons qui ne prennent pas part à la rencontre. Pendant que les syndicalistes débattent, une information va faire le tour de la salle des fêtes, rapportant que les colons se réunissent eux aussi à la chambre de commerce pour préparer la réplique. Deux camps sont donc isolément formés. Avec d’un côté les travailleurs qui aspirent à un mieux être et de l’autre, des employeurs, colons blancs qui n’entendent pas céder une part de leurs profits pour satisfaire les « sauvages ». Le climat devient délétère. De concertations en concertations, les cheminots prennent les devants de la scène contestataire et déclenchent une grève le vendredi 21 septembre 1945. Le pays est paralysé, car le transport ferroviaire est au poids mort. Ce culot des nègres est difficilement digéré par des colons qui ne sont guère habitué à un tel affront. Surtout que celui-ci leur vaut la fermeture de leur entreprise ; ce qui entraine la perte des profits si cher au capitalistes bon teint qu’ils sont. Le week-end, les Blancs concoctent des stratégies pour ramener les nègres à la raison. Le lundi 24, les grévistes se retrouvent pour peaufiner la nouvelle stratégie à adopter. Le camp d’en face, bien préparés au pire, lance l’assaut. C’est la débandade. Les travailleurs, secondés par les populations de Douala seront réprimés à sang. Surtout que ces derniers affrontent aux gourdins, la minorité de blancs qui sont cependant équipés d’armes à feu. A la fin des affrontements, les corps des Noirs jonchent les rues. Le cinquantenaire de ces massacres n’a pas été « célébré ».

Une si longue liste
Le mois de mai dans la mémoire des camerounais retient difficilement une autre date que celle du 20. Cette dernière étant considérée comme jour de la fête nationale du pays. Passé le 20 mai, plus rien. La suite relève du train-train. Et pourtant, cinq ans avant la fameuse indépendance concédée en 1960, ceux qui voulaient la « Réunification et l’indépendance immédiat et sans condition » du Cameroun furent mâter comme des bêtes sauvages.
Il faut dire qu’en cette année 1955, tous les éléments étaient réunis pour que la bombe explose. Il y avait d’abord la fin des grands projets initiés par les colons aussi bien pour diversifier les zones d’exploitation de ressources que pour donner l’impression aux citoyens qu’ils œuvrent pour le développement. C’est ainsi que fut crée le Fonds d’Investissement et de Développement économique et Social-Fides- Mais nombre de camerounais nationalistes avaient très vite compris que c’était de la poudre aux yeux. C’est ainsi qu’ils se sont toujours préparer pour obtenir un changement total. Tâche que les Upécistes se soient assignés. Au mois de mai, l’événement qui provoque ce que l’histoire retient comme le «Émeutes de Mai 55 » n’est autre qu’une réunion de l’Upc sabotée par les autorités de Mbanga, lieu retenue pour la concertation.
En effet, une rencontre des Upécistes organisée par les « camarades » du Moungo, précisément ceux de Mbanga tourne court. Les organisateurs et sympathisants qui ne supportent pas ce qu’ils considèrent comme une nouvelle « provocation » des colons et leurs suppôts réagissent. La riposte est organisée et les deux camps se rejettent les responsabilités sans pourtant mettre un terme aux accrochages. Comme par effet domino, les villes de Nkongsamba prennent le relais des hostilités. Mais c’est à Douala que le paroxysme est atteint. A partir du 22 mai, Douala commence déjà à sentir le roussi. Les militants de l’Upc sont dans le viseur des colons qui commencent la destruction de leurs avoirs dans la ville. Une attaque de plus qui n’est pas pour arranger les choses. L’arsenal militaire colonial est déployé devant les locaux du parti des crabes-Upc. Ce qui est loin de dissuader les nationalistes qui seront liquidés en série par les balles de mitrailleuses et autres armes sophistiquées du colonisateur Pire, le quartier NKongo, zone à forte concentration humaine de la ville portuaire du Cameroun sera volontairement incendié sur instruction de Roland Pré, représentant de la France au pays. Des milliers d’indigènes y perdent leur vie. Des martyrs qui n’ont pas eu droit à un cinquantenaire !
Cette même année 1955, l’Union des Populations du Cameroun qui exige la Réunification et l’Indépendance du Cameroun est dissoute. Une chasse aux sorcières est engagée contre ses militants qui n’entendent pas se plier à une décision qu’ils jugent illégale et non conforme au protocole de Tutelle qui stipule justement que la France et la Grande Bretagne doivent conduire le pays (divisée en deux zones anglophone et francophone) à son indépendance. C’est pour protester contre cette injustice que l’UPC entre en clandestinité. S’attirant davantage les foudres d’un régime colonial qui n’est pas prêt à quitter le Cameroun. La répression est immédiate et totale. Résultats, Ruben Georges François Um Nyobe est assassiné le 11 septembre 1958. Sa mort ouvre le rideau des assassinats en série qui jalonnent le parcours des régimes qui se sont succédé à la tête pays. Parmi les nationalistes les plus téméraires Félix Roland Moumié est empoisonné à Genève par un certain William Bechtel, agent des renseignements français. Nous sommes le 03 novembre 1960. Soit exactement dix mois après l’indépendance. La liste noire s’allonge avec la mort de Castor Ossende Afana. Ce dernier premier docteur en économie pour l’Afrique noire francophone avait fait de brillantes études en France et plus précisément à l’université de Toulouse. Ses affinités avec l’Upc lui valent d’abord la suppression de la bourse universitaire. Mais l’économiste qui n’a que 27 ans n’entend abandonner son engagement militant pour de « la nourriture ». Il quitte la France pour l’Egypte où il coordonne « La voix du Kamerun», le journal de liaison des Upécistes. Il rentre au Cameroun en 1963 pour libérer son pays du joug du colonialisme. Il engage le « Front de L’Est ». Il s’agit d’une offensive révolutionnaire qui entend mobiliser les populations des régions de l’Est du Sud et du Centre pour se débarrasser du colon et ses affidés. Il sera décapité le 15 mars 1963. Mais, la trappe continue. « Le rouleau compresseur » se lance aux trousses D’Ernest Ouandié. Cette fois-ci, c’est le Président Ahidjo en personne qui veille au grain. Surtout que selon certaines informations parvenues à la présidence de la République, Ouandié Ernest et Monseigneur Ndogmo préparent un coup d’Etat. C’est le début d’une « Affaire » qui porte ces deux noms. En 1971, après un procès marathon, Ernest Ouandié, le dernier résistant de l’Union des Populations du Cameroun est extrait des geôles la Brigade Mobile Mixte de Yaoundé et acheminé à Bafoussam où il est exécuté le 15 janvier 1971 avec ses compagnons Gabriel Tabeu et Raphaël Fotsing. Ainsi se tourne la page de l’Upc révolutionnaire.
À côté des assassinats « publics » et spectaculaires, se dressent une autre liste tout aussi longue et macabre. On retient dans la foulée, l’assassinat de l’Abée Joseph Mbassi, ancien Rédacteur en chef du journal catholique l’effort camerounais qu’on a retrouvé mort dans la matinée du 26 octobre 1988. Deux ans après, c’est le père Anthony Fontegh qui est expédié aux royaumes des dieux par des inconnus à Bamenda. Il sera suivi un an seulement par le Père Yves Plumey, Archevêque émérite de Garoua assassiné en 1991 par des hommes restés non identifiés jusqu’aujourd’hui. A l’image de la disparition mystérieuse du religieux, historien et poète Engelberg Mveng survenue le 24 avril 1995 à Nkolfané, une banlieue de Yaoundé. Comment ne pas avoir une pensée pieuse pour Mgr Jean Kounou , l'Abbé Materne Bikoa, au Père Anthony Fontegh (Kumbo/ Nord -Ouest), aux Soeurs Germaine Marie Husband et Marie Léonne Bordy (Djoum-2 août 1992), l’Abbé Materne Bikoa, l’Abbé Apollinaire Claude Ndi, l’Abbé Joseph Yamb, l’Abbé Barnabé Zambo, au Frère Yves Marie-Dominique Lescanne (+29 au 30 juin ), au Frère Anton Probst ? Vraisemblablement, ces hommes de Dieu en savaient un peu trop sur la politique macabre des dirigeants d’un accrochés au pouvoir comme unpendu à une corde.
On se saurait omettre les morts d’avril 1984 ( 1500); les Camerounais tués pendant les villes mortes (400), les morts du Commandement opérationnel que le sociologue suisse Jean Ziegler dans son livre Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui les résistent évalue aussi à plusieurs centaines (800), les 9 de Bépanda, les morts de février 2008 (plus de 150 morts); les morts de Bakassi (plus de 30); des hommes de Dieu, étudiants, intellectuels, humbles citoyens assassinés ou portés disparus; des milliers de Camerounais tués sur nos routes....
C’est dire que l’onde de la mort sillonne le Cameroun et fait des ravages parmi « les apprentis sorciers » qui ne font pas comme les autres, ne voient pas les choses comme eux et ont le malheur de le faire voir ou savoir.
Olivier Ndenkop
Indications bibliographiques
1- Mongo Beti, Main Basse sur le Cameroun, Paris, François Maspéro, 1972,
2- Richard Joseph, Le nationalisme camerounais,
3- Jean Ziegler, les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent.
4- Pour lever le voile sur l’histoire contemporaine du Cameroun, l’historien Jacob Tatsitsa et les journalistes Manuel Domergue et Thomas Deltombe publieront en janvier 2011, aux éditions La Découverte, un livre intitulé: Kamerun! La guerre cachée aux origines de la françafrique.


Le Cameroun, malade de sa justice, par Junior Etienne Lantier
Le 25 octobre 2010, nous avons introduit une demande d’informations auprès du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux pour lui demander de mettre à notre disposition des données sur la carte judiciaire du Cameroun. Nous voulions avoir une idée sur le nombre de prisons, la population carcérale, le nombre de magistrats, de cours d’appels, de tribunaux de grande et première instances, d’huissiers de justice, d’avocats et de notaires. Notre demande, enregistrée sous le numéro 14 108, a été côtée, le 29 octobre 2010 à la Direction des affaires pénitentiaires, sise à Essos. Après de multiples va-et-et vient à la Dapen, un mois durant, le secrétaire du Dapen nous a demandé d’aller attendre la réponse du Vice premier ministre. De deux choses l’une : si quelqu’un refuse de mettre la lumière dans son domicile, c’est soit  parce que l’intérieur est sale, soit parce qu’à l’intérieur il y a des objets volés. La justice camerounaise est malade.

Après presque 20 ans du renouveau, la justice camerounaise n’a véritablement pas de lauriers à faire valoir. Plus grave, certains acquis du système judiciaire camerounais sont largement remis en cause de nos jours. Ses problèmes les plus récurrents sont sa pauvreté en infrastructures, l’affairisme des ses acteurs, l’ingérence de l’Etat dans la fonction de juger, le coût quasi prohibitif de la justice qui en fait un outils de domination au service d’une certaine classe sociale, l’absence de solennité, le refus de mettre en place les juridictions créées par la constitution 1996. Une illustration de ces différents problèmes prouve à suffire que le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire n’a jamais été une préoccupation véritable pour le renouveau.

Une justice matériellement pauvre
Cinquante ans après l’indépendance du Cameroun, la justice camerounaise fonctionne encore pour l’essentiel dans des structures léguées par les colonisateurs.
La plupart des palais de justice sont des bâtisses vieilles, mal entretenues, étroites et inadaptées datant parfois de la colonisation allemande. Dans certaines villes comme Nanga-Eboko , le tribunal n’est rien d’autre qu’un hangar qui menace ruine. À Kaele comme dans bien d’autres villes la justice siège dans des bâtisses conçues pour être des maisons d’habitation. Les tribunaux crées dans les départements crées siègent pour la plus part dans des locaux provisoires. Les magistrats sont parfois parqués à deux voire trois dans un bureau. Il reste encore présent à l’esprit le souvenir d’un greffier tué, il y a environ deux ans par la chute des archives mal rangée. La pauvreté matérielle s’étend jusqu’au petit matériel (formulaires, photocopieurs, chemises cartonnées, feuilles, machines à écrire, ordinateurs…). Le budget affecté chaque année à la justice tout au long du règne du renouveau est extrêmement faible. Il atteint rarement 1% du budget national. La part affectée aux investissements est quasi nulle. La part affectée annuellement au fonctionnement des différentes juridictions est parfois ridicule, environ 300.000 FCfa dans certains cas. Quelle crédibilité pour des juridictions qui siègent dans des poubelles ou dans des cellules ? L’inconfort des magistrats ne justifie-t-il pas leur désinvolture et leur incurie ?
A côté de la galère des juridictions gérées par le Minjustice (Tribunaux d’instance et cours d’appels), on a l’opulence de la Cour suprême dont le train de vie n’a rien à envier avec celui des roitelets. Elle aurait son budget autonome qui n’a cessé de s’accroître depuis 2000. Grâce à ce budget sans cesse croissant, les bâtiments de la Cour suprême ont été entièrement refaits et affichent une apparence digne d’une Cour suprême. Un point d’honneur a également été mis sur le confort personnel de ses membres et de son personnel. Le parc automobile est particulièrement luxueux et rutilant. Malgré, cette attention suspecte, les délais d’attente à la Cour suprême ne se sont guère améliorés et elle n’a cessé d’être perçue dans les milieux judiciaires comme « le cimetière des dossiers ».
Les Camerounais attendent toujours que les tribunaux de première et de grande instance soient opérationnels, que tous les tribunaux de grandes instances (58 en principe) soient opérationnels de manière autonome, que l’implantation des tribunaux de première instance dans tous les 280 (environs) arrondissements que compte le Cameroun soit effective ; ils attendent l’arrivée de la chambre administrative de la Cour dans les régions. Comment ne pas signaler l’insuffisance en magistrats, des greffiers, des avocats (le Cameroun compte environ 1400 avocats, soit sensiblement un avocat pour 15000 habitats ; près de 400 avocats attendent l’examen de sortie depuis mai 2010), des huissiers (400 huissiers ont été nommés et 400 sont attentes de charges), des notaires (une cinquantaine tous dans les grandes villes)
Le tournant manqué de 1996
Sur le plan formel, la révision constitutionnelle de 1996 a marqué un tournant décisif pour la justice camerounaise. D’abord, elle a érigé la justice au rang de pouvoir d’Etat, au même titre que l’exécutif et le législatif, ensuite, elle a créé des institutions qui en principe auraient pu accroître la garantie de la protection de la démocratie, des libertés individuelles et de la bonne gouvernance au Cameroun. Il s’agit en l’occurrence du Conseil constitutionnel, des tribunaux administratifs et de la Chambre des comptes. Quatorze ans après, on constate aisément qu’il s’est agit d’un leurre, pour ne pas dire, d’une tromperie politique. Hormis la chambre des comptes qui a été mise en place et fonctionne, les autres institutions ne sont toujours pas mise en place. Seul le manque de volonté politique peut raisonnablement justifier ce « déni de justice ».
De même, malgré le passage « d’autorité judiciaire » au « pouvoir judiciaire », aucun changement réel n’a été observé dans le fonctionnement de la justice camerounaise notamment en termes de renforcement de son indépendance. Il s’est agi d’un changement purement formel. La justice n’est guère plus indépendante qu’avant 1996 et le statut des magistrats n’a nullement évolué. Les juges demeurent gérés par un conseil de la magistrature présidé par l’exécutif (Président de la république et Ministre de la justice). Conseil peut les muter à volonté et même les révoquer sans procédure particulière, si ce n’est le passage devant le conseil. Le sentiment de vulnérabilité demeure très fort chez les juges camerounais. L’arme de « l’affectation disciplinaire » les oblige à demeurer loyaux et serviables vis-à-vis de l’exécutif. Le trafic d’influence et autres interférences du pouvoir politico-administratif dans la fonction judiciaire est quasi-quotidien. Autant voire plus que par le passé, la justice camerounaise est sous les ordres du pouvoir politique notamment dans le cadre des affaires politiquement suivies telles que les procès relatifs aux délits de presse dont les victimes sont les hautes autorités de l’Etat , le contentieux électoral et aujourd’hui les affaires liées à l’opération épervier. Ces types d’affaires offrent très souvent l’image des parodies dans lesquelles les sentences des juges sont connues d’avance. Dans ce type d’affaire les n’ont aucune conviction propre. Même en l’absence d’ordres formels ils se comportent comme obligés de respecter la règle non écrite suivant laquelle il ne faut nuire aux intérêts du régime en place.

Une justice de classe
Le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi n’a aucun sens de nos jours au Cameroun.
Le coût de la justice s’est constamment accru au point de limiter son accès uniquement à quelques privilégiés. Les autres camerounais ne pouvant approcher que lorsqu’ils sont poursuivis. Pour engager un procès civil ou commercial au Cameroun il faut payer la consignation dont le coût n’a cessé de grimper ainsi que d’autres frais fort assimilable à de l’extorsion. Le nouveau code de procédure pénale et la loi de 2006 sur l’organisation judiciaire a rendu la justice pénale camerounaise encore plus onéreuse, outre les consignations à payer dans le cas des plaintes avec constitution de partie civile, les justiciables doivent en cas d’appel débourser des sommes importantes pour la photocopie des dossiers.
Une fois les frais officiels payés les justiciables doivent faire face aux exigences financières indues et illicites provenant du personnel judiciaire. La corruption généralisée n’ayant pas épargné les milieux judiciaires camerounais où le meilleur avocat demeure l’argent.
Junior Etienne Lantier

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Tribunal de première instance de Mendong (Yaoundé) déclaré fonctionnel, mais encore en construction (Photo: Germinal)


Une justice aux ordres,par Jean-Bosco Talla
Dans les discours, la justice camerounaise est indépendante. Dans la pratique, elle est sous la botte de l'exécutif.

Paul Biya et ses ministres nous ont rabâché les mêmes propos selon lesquels la justice camerounaise est indépendante. À force de les répéter, ils invitaient les justiciables camerounais, les opérateurs économiques nationaux et étrangers à faire confiance en la justice camerounaise. Peut-être ont-ils cru un seul instant que les justiciables camerounais avaient été convaincus de la justesse de leurs propos.. Erreur !, la correspondance du ministre d'État, secrétaire générale de la présidence de la République, Laurent Esso, adressée au ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Amadou Ali, dans laquelle l'ordre est donné au parquet du Tribunal de Grande Instance du Mfoundi, d'ouvrir une information judiciaire contre Maitres Eyoum Yen Lydienne, Baleng Maah Célestin et, les nommés Abah Abah Polycarpe, Engoulou Henri et Ngwem Honoré, avec mandat de détention provisoire, du chef d'accusation de détournement de deniers publics et complicité est venue démontrer qu'au Cameroun la justice est sous la botte de l'exécutif.
Répétons avec force, quitte à choquer : dans le cadre de l'Opération Épervier et vraisemblablement dans beaucoup d'autres affaires, c'est l'exécutif qui ordonne la mise en détention provisoire des mis en causes dont certains bénéficient encore de la présomption d'innocence. C'est encore lui qui détermine le chef d'accusation. Dans ces conditions peut-on être fondé de parler d'une justice indépendante et d'une volonté des pouvoirs publics de combattre la corruption et les détournements des deniers publics? Autrement dit, dans le cadre de l'Opération Épervier, c'est l'homme politique qui, en fonction de ses intérêts ponctuels, livre ses proies à la justice. Les magistrats attendent toujours l'aval du politique pour engager des actions contre la corruption et les infractions connexes. De là à penser que l'Opération Épervier est une opération à tête chercheuse, doublée d'une volonté d'épuration politique, il y a un pas que des observateurs avertis n'hésitent pas à franchir.

Bras armé
Comment pouvait-on imaginer une justice indépendante au Cameroun à partir du moment où la constitution fait du chef de l'État, c'est-à-dire du chef de l'exécutif, le garant de l'indépendance de la justice et le président de droit du conseil supérieur de la magistrature ? À partir du moment où la constitution lui confère un rôle majeur dans l'organisation du système judiciaire camerounais et la nomination des magistrats et lui accorde une immunité pénale et civile pendant toute la durée de ses fonctions?
Il suffit d'ailleurs, pour se convaincre de la dépendance de la justice, d'assister aux déroulements des procès dans les cours et tribunaux pour tirer la conclusion selon laquelle, les procureurs ne font aucun effort pour dissimuler leur dépendance vis-à-vis de l'exécutif. C'est pourquoi en 2008, la cour européenne des droits de l'homme avait refusé d'admettre que le parquet était une autorité judiciaire. Coincé entre l'intérêt politique, le carriérisme de certains procureurs et les contraintes juridiques, il lui manque l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour être ainsi qualifier.
Cette dépendance de l'institution judiciaire vis-à-vis de l'exécutif est renforcée par le décret n°095/048 du 08 mars 1995 portant statut de la magistrature en ses chapitres VII et VIII. De plus, les substituts sont sous les ordres de leur procureur, qui prend les consignes ou les instructions de son procureur général, nommé par le président de la République et hiérarchiquement soumis au ministre de la justice, chacun notant ses subordonnés et ayant un réel pouvoir sur leur carrière. C'est dire si les parquets sont à la fois l'œil de l'exécutif, donc du pouvoir et son bras armé.
L'intervention de l'exécutif dans les affaires ouvre un débat sur la conception que Paul Biya a de sa fonction présidentielle et de son rapport avec la justice. Le président de la République n'ignore pourtant pas : (1) que les éléments qui fondent l'indépendance de la magistrature sont : l'inamovibilité, la sécurité matérielle et financière, l'indépendance administrative et, (2) que l'indépendance individuelle d'un juge et l'indépendance institutionnelle ou collective de la cour à laquelle le juge appartient constituent les deux composantes de l'indépendance judiciaire.
Aussi, souligne Robert Badinter, socialiste et ancien ministre français de la justice, " Au-delà des compétences et de l'intégrité, la qualité première de la magistrature dans une démocratie, c'est son indépendance au regard du pouvoir politique "
J.-B.Talla.
Source: Germinal n°057


L’humanité emprisonnée, par Hipolyte Sando
Dans leurs propos, les responsables de la Justice déclarent avoir fait de l’amélioration des conditions de détention et du respect du droit des détenus dans les prisons un axe majeur de leur politique. Hélas, nos prisons demeurent des mouroirs.

Dix-huit- ans après le décret du 27 mars 1992 portant organisation du régime pénitentiaire, peut-on aujourd’hui dire que la prison joue véritablement son rôle dans notre société ? Quelles évolutions infrastructurelles et autres progrès dans le parcours de l’histoire des prisons a-t-on pu noter; la surpopulation carcérale, les faibles budgets affectés aux prisons sont autant d’éléments qui jalonnent les balbutiements du chemin sinueux conduisant vers des prisons modèles.
La prison reste le reflet de la société de par l’origine de ses pensionnaires, son organisation et son mode de vie. Tout le monde peut se retrouver en prison. La vétusté des équipements pénitentiaires, le surpeuplement et le manque d’espace à l’intérieur des prisons constituent autant de facteurs de multiplications des maladies et des risques de contagion des détenus. À défaut d’être reconstruites, toutes nécessitent des réaménagements afin de pouvoir contenir des structures de bien être minimales (infirmeries, complexes multisports, dortoirs équipés). Héritées pour la plupart de la colonisation, nos prisons présentent aujourd’hui un visage n’inspirant qu’une certaine pitié. La presque totalité des 73 prisons disposent à ce jour des infrastructures largement dépassées. Le délabrement avancé des murs, des structures sanitaires, des toitures peuvent expliquer tous les problèmes à la fois vécus par les pensionnaires et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. La prison accueille trois catégories de personnes, il s’agit de celles qui sont en détention provisoire, des personnes faisant l’objet d’une condamnation et celles retenues à l’issue d’une mesure de garde à vue. Nos prisons reposent sur une commune et double réalité. La première est éthique, c’est à dire l’indifférence de la société pour ceux qui ont transgressé les lois. La seconde est technique. C’est le dysfonctionnement entre la police et la gendarmerie qui arrêtent, et la justice qui ne peut malheureusement au même rythme juger ceux qui sont arrêtés et faire le tri entre coupables et innocents. C’est cette triste réalité qui explique le surpeuplement des établissements pénitentiaires.
On avait logiquement pensé que, l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénal viendrait soulager les effectifs des pensionnaires dans les prisons. Bien au contraire, en dépit des efforts déployés et surtout de l’assistance judiciaire apportée par l’union européenne à plus de 5000 détenus des prisons centrales, jamais la courbe des chiffres n’a baissé. Chacun est conscient de cette situation. La persistance de tous ces maux, est au demeurant bien connue par les pouvoirs publics. Mieux, elle doit nourrir une réflexion sur l’urgence de dépoussierer le système et de conduire le Cameroun vers une situation de respect plus rigoureux des droits de l’homme par l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire et carcéral et la réduction des dysfonctionnements et des abus liés à la détention et en particulier la détention préventive.

Des conditions de détention
“ Il est des situations face auxquelles une créature humaine disposant encore malgré tout d’un minimum d’énergie vivante ne saurait rester sans réaction parce que démunie de moyen que seul le mort, en pareille condition, est nanti. Il se trouve justement......que la situation qui nous est imposée ici est de la catégorie de ces situations-là” par ces propos, les détenus de New Bell exprimaient leur ras le bol dans une lettre adressée au Gouverneur de la région de l’époque, (Le Messager n°1046 du 27 mars 2000) l’invitant du coup, à visiter cette prison“ aux heures où elle est à son état réel de foctionnement. C’est à dire entre 22 heures et 5 heures du matin” La situation de promiscuité imposée à la majorité des personnes incarcérées dans les prisons représente l'un des aspects les plus dégradants des conditions de détention. Il est clair, en effet, que la situation sanitaire des personnes placées sous main de justice est globalement dégradée. Les personnes détenues vivent dans une misère indescriptible. L’indigence vécue par les pensionnaires se lit à travers les visages émaciés et autres squellettes ambulants. La présence de drogues en prison génératice de peur, dans un contexte d’absence de valorisation du travail du personnel d’encadrement. Dormir ainsi au sol, se nourrir des épluchures de bananes, et d’autres rebuts est une habitude de ce milieu. L’effectif pléthorique oblige certains à se coucher en plein air, pire des endroits prévus pour la douche et des lieux de culte et même de la grande cour servent en nocture de lits de fortune, grâce aux lambeaux de carton etc.
En janvier 2010, près de 12.710 personnes étaient détenues dans les dix prisons centrales dont la capacité totale d’accueil est de 4250 places. En septembre 2009, le nombre de personnes détenues s’élevait à 12.030 personnes. On constate une augmentation de 5,5% en 4 mois. On peut dès lors observer le phénomène de la surpopulation carcérale. Une exception à ces chiffres astronomiques c’est la prison centrale de Bamenda, dont le taux d’occupation en fin 2009 était inférieur à la capacité d’accueil. Quelques mois plus tard, les chiffres ont été revus à la hausse de plus de 400 à près de 530 pensionnaires. Ceci s’explique par une augmentation du nombre d’hommes prévenus et probablement par le transfert des justiciables relevant des juridictions militaires. Parmi la totalité des personnes détenues, le nombre de détention provisoire représente 67% de la population carcérale des 10 prisons centrales ; soit une légère diminution par rapport à septembre 2009 (70%) notamment parmi les hommes et les femmes prévenus. En revanche, le pourcentage de mineurs en détention provisoire a augmenté par rapport à septembre 2009. La population carcérale camerounaise est essentiellement masculine. L’effectif des mineurs tout comme celui des femmes bien que marginal, évolue progressivement. Ce n’est qu’un truisme d’admettre que rabaisser et démoraliser un détenu est le pire moyen de le préparer au monde extérieur. Parce que le prisonnier qui a subi un traitement injuste, au cours de sa peine n’est pas un bon candidat à la réinsertion sociale.

Améliorer les conditions de détention...Toujours améliorer
La première est de construire et d’aménager des locaux selon des normes internationales. La seconde est d’assurer les soins de santé. La situation des patients détenus s'est légèrement améliorée grâce au Pacdet II. Il convient d’appuyer comme l’a fait le programme d’Amélioration des conditions de détention, fruit de la coopération Cameroun-Union Européenne, l’amélioration des infrastructures en portant une attention particulière à la résolution des problèmes d’accès et d’évacuation de l’eau ainsi que de l’aération des espaces de détention. Il s’agit d’un progrès considérable par rapport à la situation antérieure. Les observateurs avertis ont pu noter que chaque prison centrale dispose désormais des moyens de transport, des forages, et bientôt du biogaz. Les lenteurs naguère observées au niveau du service des greffes des prisons ont diminué grâce à l’informatisation de ce service. Beaucoup d’années se sont écoulées depuis le lancement du Pacdet I en 2002 et le Pacdet II, qui en ce moment est en train d’achever sa mission. De nombreuses activités menées par ce programme ont mis en évidence les progrès apportés. Ces avancées ne doivent cependant pas occulter les difficultés persistantes dans la mise en œuvre au quotidien des soins et d’autres activités dans un milieu réputé difficile. Il convient d’appuyer les infrastructures en portant une attention particulière à la résolution des problèmes d’accès et d’évacuation de l’eau ainsi que de l’aération des espaces de détention.

Quelques Interrogations
Pourquoi faut-il la prison avant le jugement ? À vrai dire c’est bien avant qu’est inauguré une généralisation du phénomène d’enfermement et de l’encerclement. Ceci revient concrètement à poser l’utilité de la détention provisoire, laquelle reste légale lorsqu’elle est bien administrée. Ce qui est à récuser, c’est la banalisation de cette pratique. Les récriminations faites à la détention provisoire ne le sont pas sur l’existence de l’institution, mais davantage sur la façon dont cette mesure est administrée. La peine de prison, c’est la privation de la liberté de mouvement. La privation de ce droit absolu est une peine judiciaire immense, mais ce n’est que cela. Ce n’est en principe rien d’autre, et ce ne peut pas être la négation de la dignité. Or, dans les prisons camerounaises, la dignité des personnes incarcérées est-elle respectée, préservée, sanctuarisée ? La dignité des personnes incarcérées est-elle l’objet d’attentions identiques pour chaque personne détenue ?
Les détenus constituent une catégorie particulière de patients. La population carcérale présente globalement plus de pathologies que la population libre, ceci s'expliquant partiellement par le fait que beaucoup de catégories socialement défavorisées la composent, par le vieillissement de la population carcérale et par l'environnement carcéral pathogène (en raison de la promiscuité, des problèmes d'hygiène et d'insalubrité des locaux, mais aussi de pathologies spécifiques liées à la détention). Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus : là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu pour nous de distinguer. Les droits reconnus à tout patient le sont également à ceux qui sont détenus. Préparer la réinsertion d'une personne détenue, c'est assurément lui dispenser les soins auxquels elle peut prétendre en tant que patient et tenir compte des exigences médicales dans l'exécution de sa peine. Il est ainsi possible de prononcer une mesure de libération conditionnelle si le détenu doit suivre un traitement, d'accorder une permission de sortie pour que le détenu consulte un médecin de son choix. Pour conclure, la prison n’est pas et ne doit surtout pas devenir un monde d'exclusion: elle est intimement liée à notre quotidien. Lorsque la société souffre, la prison agonise. Soigner une personne détenue n’efface pas les motifs de sa présence en prison.
C’est ainsi qu’il paraît possible et nécessaire que chaque prison soit dotée des infrastructures adéquats, d’un personnel bien formé, capable de susciter la réinsertion sociale. La simple perception de la prison comme un moyen de bannissement total d’un individu dans la société évolue progressivement et épouse les exigences de la modernité où l’on recherche davantage le redressement moral du détenu. Car coupables ou victimes de l’injustice, les détenus demeurent des enfants de Dieu. Il est peut être bienvenu d’inscrire sur le fronton de toutes les prisons, comme on le faisait du temps du pape Clément XI cette réflexion; ” il est inutile d’infliger une peine aux méchants si la discipline qui leur est imposée ne doit pas les améliorer”. La prison Saint Michel en avait déjà fait sienne en l’an 1703.
Hipolyte Sando


Le conservatisme politique du Renouveau: Entre instinct, intérêt, censure et expression, par Mathias Eric Owona Nguini

Le régime du Renouveau National dont le Président Paul Biya est le chef central n’est pas né ex nihilo. En effet, cette formation gouvernante qui s’est structurée avec le passage des regalia étatique entre le Président Ahidjo (magistrat suprême sortant et démissionnaire) et le Président Biya (magistrat suprême entrant et intérimaire), est coulée dans le moule politico-historique de l’Etat présidentiel de parti unique d’orientation ultra-conservatrice mis en place des années 1960 aux années 1980 au Cameroun. C’est d’ailleurs sous le sceau de la continuité gouvernante que le Président-successeur (M. Paul Biya) inscrit sa prestation de serment du 6 novembre 1982, exprimant sa volonté d’assumer et de s’approprier l’héritage institutionnel et politique de l’Ahidjoïsme gouvernant.
Le régime du renouveau National dirigé par Paul Biya tient d’ailleurs son nom de baptême, d’un mot d’ordre initié par la machinerie politico-gouvernante monopoliste et conservatrice mise en place dans le cadre du double contrôle Etat-Parti Unique par le Président Ahmadou Ahidjo. L’esquisse idéologique fondatrice de la nouvelle Grande Direction Présidentialiste de l’Hégémonie politico-Etatique Camerounaise est donc formulée à partir d’un mot d’ordre émis dans le cadre du Parti Unique ou Parti Officiel Unc (Union Nationale Camerounaise) en 1981. La rhétorique légitimante de la nouvelle Présidence empruntera aussi les références de « rigueur » et de « moralisation » usitées comme slogans par le, en février 1980. Où l’on voit que le Renouveau National en tant que régime, est une formation dirigeante qui procède du système gouvernant ultra-monopoliste et ultra-conservateur mis en place par le Président Ahmadou Ahidjo.
A l’occasion de son accession à la magistrature suprême qu’est la Présidence de la République Unie du Cameroun le 6 novembre 1982, M. Paul Biya entend reformuler et réarticuler le projet gouvernant du « bloc hégémonique » néo-colonial et endo-colonial constitué par M. Ahmadou Ahidjo à partir d’une ossature conservatrice. Pour ce faire, le Président Biya et ses alliés vont habilement, agilement et utilement user le capital politique d’espérance appelé par la relève présidentielle à forme dauphinale constitutionnelle du 4 novembre 1982. Dans cette optique, le nouveau maître central de l’Etat va mobiliser les avantages à lui procurés par sa Suprême Position Présidentielle pour donner une reformulation libérale et modérée au discours gouvernant de l’orthodoxie politico-conservatrice et politico-monopoliste de l’Unc. président Ahmadou Ahidjo lors du 4ème Congrès Ordinaire de l’Union nationale camerounaise à Bafoussam
Le positionnement idéologique de relaxation autoritaro-libérale affiché par le Président Biya entre janvier et juillet 1983, va irriter son Mentor-Prédécesseur, en la personne du Président AHIDJO. C’est qu’en effet, les tenants du monopolisme ancien et rigide associés à la longue tenance étatique et partisane du Président Ahidjo vont rapidement se crisper face aux premières formulations de libéralisation autoritaire exprimées par le Président Biya et les suivants du monopolisme ravalé et flexible. La lutte s’effectuera alors au sein de l’appareil hégémonico-étatique et hégémonico-partisan du Cameroun autour des deux factions élitaires centrales regroupées respectivement derrière les Présidents Ahidjo et Biya. Cette compétition rude et sévère pour le contrôle politico-institutionnel et politico-gouvernant des commandes de l’Etat présidentiel de parti unique n’est pas seulement une lutte politico-stratégique d’intérêts de pouvoir autour des places d’Etat, mais est également une lutte politico-idéologique que révèlent les divergences de vue sur l’orientation managériale et légale de l’Etat autoritariste et monopoliste.

Conservatisme Autoritaire
Bien entendu, le Président Biya et ses associés qui entreprennent de reconstituer le double monopole gouvernant suprême basé sur la Présidence d’Etat et la Présidence du Parti, combattent les Suivants du Conservatisme Autoritaire Intangible fidèles à la ligne dont le Président Ahidjo était le principal dépositaire historique pour conquérir la présidence de l’Unc toujours contrôlée par le Président-Fondateur au détriment du Président-Successeur. Pour autant, l’on ne saurait perdre de vue que ces batailles hégémoniques se déroulent bien entre des élites de pouvoir instruites, formées, aguerries et expérimentées dans le cadre d’un formatage gouvernant autoritaire castrateur et conservateur. C’est surtout l’aiguillage de ce système autoritaire qui fait l’objet entre conservateurs anciens et rigides conservateurs nouveaux et libéraux.
Malgré un discours gouvernant basé sur une rhétorique libérale, l’entreprise hégémonique de prise de contrôle stato-monopolistique initiée par les groupes de pouvoir liés au Président Biya entre janvier 1983 et janvier 1984, ne va pas mettre en question la prévalence des structures gouvernantes conservatrices au Cameroun. En clair, cela signifie que le positionnement dominant du régime du Renouveau, lorsque le double monopole sera reconstitué à partir de septembre 1983, demeurera fondé sur un socle idéologique de droite dure et ultra conservatrice. Même les réformes calculées et auto-limitées de démocratisation interne du parti gouvernant entre 1986 et 1988, après la mue de l’Unc en Rdpc en mars 1985, ne remettront pas fondamentalement en question l’orientation conservatrice du système gouvernant camerounais considéré en pratique. Ceci signifie que l’habillage politico-discursif orienté formellement vers un libéralisme centriste, n’a pas fondamentalement mis en question la structuration conservatrice dominante et prépondérante du régime du Renouveau National dirigé par M. Biya.
L’effort de recentrage libéral et centriste de l’idéologie gouvernante du Renouveau National amorcé entre 1985 et 1990, va se dégrader avec la nécessité croissante pour les tenants du régime dirigé par le Président Biya d’assurer la défense d’un groupe gouvernant de plus en plus en butte aux critiques de son action gouvernementale et du sérieux de son « intention démocratique ». Alors que le Président Biya avait positionné le parti officiel et unique relooké, le Rdpc, comme une force de recentrage pouvant mobiliser la rhétorique modérée de la libéralisation et de la démocratisation internes du Parti, la contestation croissante va à nouveau attirer sur l’ancrage historiquement et structurellement conservateur de la formation dirigeante qu’est le Renouveau National. Le « National-libéralisme » dont le Rdpc voulait se parer, se présentera de plus en plus après 1988 comme une orientation conservatrice et autoritaire en termes de « National Conservatisme Libéral ».
La mutation politico-idéologique qu’était censée apporter l’ouvrage Pour le Libéralisme Communautaire posé en bréviaire gouvernant du Renouveau National publié en 1987, allait avorter du fait de l’action concrètement et délibérément conservatrice du Président Biya et de ses stratèges. Cette mutation allait aussi échouer en raison de l’émergence d’une crise systémique qui a substantiellement liquidé l’acquis politico-économique positif et réel de la gouvernance ultra-conservatrice camerounaise entre 1975 et 1986. Le Renouveau et ses défenseurs ou promoteurs n’ont pas pu ni définir une perspective idéologico-politique cohérente et consistante qui aurait pu s’appuyer sur une révision opportune voire une refonte décisive des orientations esquisses par pour le Libéralisme Communautaire, publié par Paul Biya comme auteur. Dès lors, s’étant montrés incapables de reformuler et de reconsolider une doctrine-vision et une doctrine-programme basées sur un solide socle théorico-philosophique, politico-idéologique, technico-scientifique et scientifico-politique, les élites du Renouveau se sont lancées dans l’errance idéologique.
Les meneurs et défenseurs du Renouveau National affrontent les luttes politico-idéologiques et politico-pratiques de la transition pluraliste (1990-1992) en étant fort dépourvues au niveau doctrinal compte tenu de l’avortement du projet réformateur exprimé sur le mode d’un autoritarisme libéral lié à Pour le Libéralisme Communautaire. En effet, la crise politico-économique qui a frappé le Cameroun à partir de 1986-1987, a empêché les promoteurs et défenseurs du Renouveau National de pouvoir expérimenter leur projet réformateur qui est précocement mort sous les coups de boutoir de la récession et de l’ajustement structurel. Dans ces conditions, la formation dirigeante et gouvernante qu’est le Renouveau National va dériver vers un conservatisme essentiellement instinctif et instinctuel.

L’ombre de l’Etat présidentiel
Lorsque les élites de l’appareil biyaïste de pouvoir et de gouvernement affronteront leurs rivaux de l’opposition montante, elles le feront sur une base monopoliste de défense des privilèges politiques et économiques accumulés à l’ombre de l’Etat présidentiel de parti unique dirigé par les leaders étatiques Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. C’est dans cette posture qu’ils vont se crisper face aux assauts revendicatifs et contestataires des groupes émergents d’opposition faisant ouvertement pression pour la réhabilitation légale, administrative et concrète du multipartisme pourtant constitutionnellement consacré entre décembre 1989 et décembre 1990. En se mettant dans une telle position, les meneurs et supporteurs du régime du Renouveau National vont défendre de manière spectaculaire et ultra-conservatrice leur monopole en stigmatisant en avril 1990 le « multipartisme précipité ». Ce raidissement manifestant et processionnel attesté dans les marches contre le multipartisme, viendra exprimer concrètement le fait que la légalisation réitérée du multipartisme n’était pas une implication logique et automatique dans la programmation gouvernante des réformes politiques du Président Biya.
Ne disposant pas ou ne disposant plus d’une véritable boussole politico-gouvernante capable de leur donner une orientation idéologique fiable et sûre, les élites du Renouveau National vont essentiellement opérer sur la base d’un conservatisme viscéral plutôt que cérébral, d’un conservatisme fonctionnant à l’instinct plutôt que sur la base de la raison. Les luttes au couteau des années de braise (1990-1992) ne vont pas contribuer à une relance sérieuse de l’élaboration et de la discussion idéologiques dans les rangs du régime du Renouveau malgré les manœuvres partisanes initiées autour d’une littérature de simple vulgarisation politique sans grande capacité d’élaboration doctrinale et programmatique. C’est dans ce cadre que les ouvriers idéologiques du discours gouvernant ont produit le bricolage politico-conceptuel de la « démocratie avancée » entre 1991 et 1996 sans que soit clarifié le rapport de ce sous-produit idéologique avec les orientations esquissées par Pour le Libéralisme Communautaire.
Privées d’un cadre idéologique sérieux et élaboré du fait de l’avortement historico-politique du projet réformateur gouvernant d’autoritarisme libéral présenté de manière trompeuse (dolosive et abusive) comme projet de démocratisation, les élites du Renouveau National vont revenir aux fondations autoritaires et conservatrices de leur héritage politique monopoliste. Dans le même temps, une grande partie de ces formations élitaires mêle conservatisme foncier et néo-libéralisme débridé. Evidemment, le conservatisme viscéral prend alors le pas et imprègne fondamentalement le positionnement politico-économique et socio-économique ultralibéral de nombre d’élites du régime du Renouveau, élites principalement préoccupées d’amasser de manière éhontée de multiples privilèges AAA AAA statutaires et matériels. On peut alors comprendre pourquoi le Renouveau va dériver vers la kleptocratie systémique et la kleptomanie systématique en rapport avec un conservatisme castrateur monstrueusement couplé à un ultralibéralisme prédateur !
Démuni au plan politico-idéologique parce que le chef central du régime et ses principaux propagandistes se préoccupent surtout de consolider leur emprise autoritaire sur les commandes de l’Etat et du parti dominant, l’élite du pouvoir sera effectivement stérilisée en raison de la vacuité et de l’inanité de la discussion politique au sein des milieux gouvernants du Renouveau. Ce faisant, les idéologues et les stratèges du régime se montreront incapables de donner une forme rationnelle et élaborée à leurs postures expressives d’instincts ultra-conservateurs ou néo-conservateurs. Dès lors, le régime du Renouveau se trouve concrètement condamné à pratiquer de manière dominante une forme tropicalisée d’extrême droite, un conservatisme macoute. C’est dans un tel contexte de relâchement politico-idéologique et politico-moral de l’ambition libérale que de nombreux pans du régime vont dériver vers un conservatisme foncièrement destructeur.

Le conservatisme d’instinct
Le conservatisme d’instinct sera alors posé en humeur dominante et structurante dans les milieux gouvernants mêlé à l’autre forme de cynisme radical qu’est l’ultralibéralisme prédateur et déprédateur pratiqué par des élites réactionnaires versant désormais dans l’intégrisme suicidaire d’une droite hyper-immorale. En effet, par l’orientation dominante de leurs conduites, les élites principales et centrales au Rdpc vont tourner le dos à un choix de conservatisme éclairé et ordonné dans une perspective (auto-légitimée) de droite morale.
C’est ce qui explique la dérive politico-idéologique et politico-morale des élites conservatrices de pouvoir et de puissance associées au régime du Renouveau, dérive illustrée par l’explosion de la licence et du libertinage qui se révèle à travers la corruption radicale et fondamentale de ces formations élitaires mêlant cynisme et hypocrisie.
L’absence de cadrage politico-idéologique va fortement peser sur la gouvernance du Renouveau National entre 1990 et 1997, empêchant que la direction et les cadres du régime élaborant une stratégie politique cohérente de gestion systémique et économique capable d’éponger les problèmes créés par les périodes d’ajustement structurel (1988-1996). L’opportunisme et l’hédonisme qu’encouragent ce conservatisme alimentaire et viscéral posé en attitude dominante des baronnies du Renouveau, va accentuer la dérive politico-managériale et politico-gestionnaire du régime dont les seigneuries paresseuses, jouisseuses et oiseuses engluées dans le culte des plaisirs et la célébration des désirs vont verser radicalement dans l’impudence kleptocratique, la licence libidocratique et la malveillance mystocratique. On peut comprendre pourquoi le régime ne pouvait trouver de solution à la crise économico -politique endurante.
Désormais essentiellement plongée – avec l’assentiment complice du capitaine gouvernant – dans la danse du ventre qu’appelle la culture du présidentialisme de cour, l’élite du Renouveau va s’abîmer dans l’idolâtrie sectaire et principataire et la monolâtrie autoritaire et sécuritaire. Le Renouveau devenu incapable de toute tentative sérieuse d’imagination doctrinale du fait de l’embourgeoisement hédoniste et de l’encrassement mental de ses élites, se contentera de formules éculées de clientélisme hypo-idéologique qu’il va expérimenter avec des gadgets politiquement insignifiants comme la démocratie apaisée. Ce concept vaseux - si on daigne y voir un concept – qu’est la démocratie apaisée n’est que le misérable habillage de manœuvres politico-clientéliste d’un régime marqué par l'incohérence doctrinale.
Malgré la pratique récurrente de la politique gouvernementale de coalition dans le cadre du multipartisme néo-clientéliste et infra-démocratique instauré depuis 1990, le Renouveau s’en est tenu à une démarche de régulation politique conformiste et favoritiste . Même en se parant de nouveaux hochets rhétoriques et gadgets propagandistes destinés à faire office d’amulettes doctrinales comme le slogan politico-communicationnel de « Grandes Ambitions » - lancé lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2004 et posé par la suite en formule rituelle de justification gouvernante -, le régime du Renouveau n’est pas parvenu à opérer une véritable (re)mise en cohérence idéologique. Dans ces conditions, le leader central et les principaux lieutenants politiques et institutionnels ne sont pas parvenus entre 2004 et 2010, à rendre crédible l’évocation d’une démarche visant à revivifier la rhétorique réformatrice du Renouveau. Cela a fait que les élites stratégiques du régime n’ont pas pu dompter la puissante libido conservatrice réactionnaire et mercenaire qui domine désormais le régime du Renouveau.
Incapable de domestiquer les puissances de domination brute qui envoûtent et obsèdent nombre de ces élites de pouvoir, le régime du Renouveau a discrédité par ses actes exprimés, posés, manqués ou censurés, son lexique réformateur initial réduit à n’être alors qu’une logorrhée de diversion. Ce faisant, les appareils de pouvoir et d’influence du régime du Renouveau sont pilotés dans le sens d’une stratégie politique ultraconservatrice et hyper réactionnaire de fait qui indique la défaite des partisans de la droite éclairée tempérée et modérée ou inhibée, raisonnée et centrée.
Le système Renouveau national – Rdpc – Biya a contré les velléités de recentrage social- libéral du courant des modernistes entre 2003 et 2004, se laissant subjuguer par un mélange détonant d’opportunisme idéologique, de laxisme doctrinal, de cynisme brutal et de méphistophélisme vénal qui a liquidé ses scrupules libéraux et libéré un hyperconservatisme crypto-autocratique et pseudo-démocratique décomplexé et décoincé aussi bien que débauché et déluré où l’ultra-néolibéralisme masque mal un esprit macoute et réactionnaire d’extrême-droite.
Le régime du Renouveau installé dans le bricolage doctrinal et idéologique, demeurera rivé au conservatisme de l’instinct qui a contribué à vider de tout sens les virtualités solidaires et communautaristes et les possibilités social-libérales de fondation du libéralisme communautaire dès lors dégradé en ultralibéralisme parasitaire et censitaire. Pour faire bonne mesure, les clercs du Renouveau figurés en légistes obséquieux du pouvoir recourront alors à de nouvelles manœuvres en forme d’actes de prestidigitation politico-communicationnelle, en mettant sur le marché de la rhétorique politique,une nouvelle trouvaille sur la démocratie apaisée à partir de 1997. Il s’agit toujours d’essayer de combler le vide sidéral laissé par la déconfiture discursive et expressive occasionnée du fait de la liquéfaction idéologique prématurée de Pour le Libéralisme Communautaire (livre-programme du leadership politique et institutionnel).

Le conservatisme obscur
Le conservatisme obscur peut alors déployer ses dispositions et propensions réactionnaires au sein des milieux dirigeants et gouvernants du Renouveau National dont l’errance doctrinale et les errements gestionnaires vont complètement discréditer l’affichage idéologique réformateur dont le régime conduit par le Président Biya voulait encore se parer. Cet état de choses qui s’est mis en place au milieu des années 1990 va favoriser le glissement de la société camerounaise comme formation englobante vers la pente escarpée de l’incivilité débridée et de la vénalité décomplexée. Dans ce contexte de désarroi politique et économique, la crise systémique sera aggravée à partir de 1994 par la tolérance fort compréhensive des sommets de l’Etat pour la débrouillardise corruptrice. On ne s’étonnera pas que cette évolution soit contemporaine de la déliquescence et de la dégénérescence idéologiques aggravées au sein des appareils de pouvoir et d’influence du régime du Renouveau National.
Le projet politico-hégémonique à visage réformateur affiché à l’aube de la gouvernance Biya – Renouveau National entre 1983 et 1988, celui d’un « National-libéralisme modernisateur » aux accents sociaux a historiquement et manifestement avorté. Aujourd’hui en 2010, il apparaît que le système gouvernant camerounais est dominé par le « conservatisme illibéral » plutôt que par le « conservatisme libéral » ; que ce système a échoué à positionner sérieusement son axe idéologique autour d’une démarche de libéralisme régulé et rééquilibré seule à même de donner un sens cohérent aux visées affichées de « libéralisme communautaire ». Le système du Renouveau a clairement opéré une dérive vers l’hyper-droite, voire même l’extrême droite, s’éloignant du centre-droit et plus encore du centre-gauche ! systématique. Même le discours terne et fade des « grandes ambitions » n’a pas pu permettre de remotiver, remobiliser et remoraliser idéologiquement cet appareil hégémonique désaxé et dérouté par l’inanité et l’insanité programmatiques et stratégiques de ses circuits de direction complètement happés par le conservatisme gaillard,pantouflard ,flemmard et paillard.
Débarrassé de toute régulation doctrinale et idéologique sérieuse, le système gouvernant s’est installé dans le confort rentier d’un hégémonisme et d’un hédonisme réactionnaires. On ne saurait alors s’étonner de ce que la navigation à vue en soit devenue la démarche emblématique et peut-être même systématique. De manière aujourd’hui nette, il apparaît que le système gouvernant du Renouveau a été conquis par les puissances et tendances immoralistes et illégalistes du conservatisme dévoyé et désaxé autant qu’encanaillé et ensauvagé. Ainsi, les penchants déguisés ou décomplexés d’une droite réactionnaire orientée vers le para-fascisme et le néo-macoutisme ont pris le pas sur l’esprit de la réforme revendiqué par le libéralisme communautaire. Le « printemps camerounais » des années 1980 porteur d’une espérance libérale ou d’une attente démocratique ou d’une attente républicaine a vécu, cédant la place au « soleil de plomb » néo-conservateur et/ou hyper-conservateur du « Cameroun c’est le Cameroun ». Décidément, il est loin le temps où l’initiateur en chef du régime du Renouveau – en 1983-84 -, pouvait se revendiquer « social-démocrate ». Poussé par sa gestion gaspilleuse vers l’ajustement structurel néo-libéral que son management gouvernant a depuis lors hypocritement cautionné, le régime du Renouveau a laissé proliférer une économie politique de la mort et de la misère où seules prospèrent des élites de pouvoir posées en croque-morts oligarchiques. Dès lors, le système ne peut plus revendiquer sérieusement sa référence à la « justice sociale » et au communautarisme même libéral. Cet appareil gouvernant qui n’a pas su échapper à l’encanaillement et à l’encrassement compradores se montre toujours incapable d’inventer un post-ajustement réorganisateur et remodernisateur.

Rrojet social
Le régime du Renouveau et son élite hégémonique se sont laissés subjuguer par les avantages et privilèges d’un enrichissement illicite et outrancier de hiérarques et d’oligarques (néo) conservateurs séduits par la morale illégaliste et hédoniste du néolibéralisme échevelé. Dès lors, une telle démarche rendait impossible une mise en pratique cohérente et consistante de véritables références doctrinales et morales de justice sociale et de libéralisme communautaire. Décidément, il est loin le temps où – en 1983-1984 – le leader central du système étatique et hégémonique du Renouveau pouvait se revendiquer « social démocrate ». La formation dirigeante camerounaise ne peut plus en 2010, de manière sérieuse, se revendiquer d’être mené par un projet social – démocrate ou même social-libéral, cet ordre hégémonique se présentant plutôt comme un système tourné vers la tropical-ploutocratie, la vénal-kleptocratie et l’asocial-autocratie plutôt que la social-démocratie. Désormais, les mauvais génies de l’hyper-droite et de l’extrême-droite ont envoûtés le Renouveau National, sans même que sa corruption systémique et sa perversion organique, rendent ce régime peu capable de construire un projet sérieux de conservatisme ordonné, discipliné, réglé et raisonné. Il sera difficile d’exorciser les acteurs du régime du Renouveau sans les libérer des démons de la divagation morale et doctrinale d’un conservatisme idéologiquement déboussolé et dévoyé, divagation porteuse des germes de corruption dans l’ensemble des sphères étatiques et sociétales.

Mathias Eric Owona Nguini

* Socio-politiste, Université de Yaoundé II-Fondation Paul Ango Ela
Les Intertitres sont de la rédaction


Le management politique à dispense, à suspens et à distance de Paul Biya: Gagner du temps, faire le vide, jouer au mort et laisser pourrir

Le style gouvernant de Paul Biya est celui d’une régulation politico-étatique et politico-partisane distante basée sur la surveillance téléguidée, le pilotage automatique et l’omniprésence absente. Cela signifie que la gouvernance se construit mentalement et pratiquement à travers la cultivation mystificatrice du Chef central posé dans la figure de la souveraineté incarnée mais intangible. Un tel art de gouvernement pose l’Empereur Présidentiel en véritable Sphinx institutionnel qui use abondamment du silence, du non-dit et de la rareté pour orienter sa conduite des appareils étatiques et gouvernants conformément à une démarche prisant les secrets du pouvoir et misant sur les pouvoirs du secret. Le leadership présidentialiste, centraliste et providentialiste déployé par le Président Biya s’énonce alors comme un immobilisme mystérieux, numineux et ombrageux.
La gouverne de Paul Biya en tant que maître central présidentiel est conduite conformément à un art éprouvé et attesté de la manœuvre monarchiste et immobiliste dans laquelle ce leader étatique conduit la machinerie souveraine avec la visée de laisser couler lentement et lourdement le temps. Il s’agit d’une gouvernance qui met l’Empereur présidentiel en position de Grand maître enchanteur et ensorceleur qui multiplie par la magie politique et institutionnelle des tours et trucs, avec la visée de faire passer le temps dans un cadre prévalent d’inertie gestionnaire. Dans cette optique, le Président exerce jalousement son emprise tutélaire et disciplinaire sur les modes officiels et gouvernants de développement et de déploiement du temps, de manière à retenir le souverain et césarien privilège de gouverner le temps étatique en recourant à des postures auto-déificatrices et auto-divinisatrices de Maître (Absolutiste) du Temps.
Dans sa stratégie politique de « gouvernement perpétuel », le leader central présidentiel déterminé effectivement à jouir de sa présidence comme un office viager, use du temps avec économie et parcimonie. Il s’agit alors de gouverner dans une optique immobiliste en prenant son temps pour décider et en pilotant les commandes étatiques camerounaises grâce à un art gouvernant qui fait abondamment recours à la non-décision et au suspens décisionnel. Une telle conduite de l’Etat est essentiellement vouée à « gagner du temps » dans une perspective éternitaire et immunitaire de pouvoir peu attachée à faire un usage calculable, lisible et prévisible du temps de gouvernement et du gouvernement du temps. Bien entendu, cette manière de faire est commandée par un monarchisme gouvernant mêlant absolutisme, monopolisme, mysticisme et immobilisme dans l’exercice temporel et temporisateur du pouvoir.
En gérant le temps dans une telle visée mystificatrice et mythificatrice, le leader central présidentiel en use de manière immunitaire , éternitaire, censitaire et autoritaire, afin que son exercice du pouvoir ne puisse pas être appréciée de façon comptable, redevable et responsable. Le management politico-gouvernant de Paul Biya est essentiellement conçu comme un Anti-Management Mystocratique qui montre un Prince Central Néopatrimonial et Néo-colonial soucieux de se libérer de tout contrôle mathématique, métrique et statistique sérieux et scrupuleux de l’inscription symbolique et stratégique de sa Présidentialiste Tenance dans le temps institutionnel et gouvernant qui règle la machinerie étatique camerounaise. Bien entendu, cette démarche mystificatrice est fondamentalement liée à une orientation absolutiste et immobiliste à travers laquelle le Président Perpétuel refuse que sa gouvernance puisse être temporellement repérée et répertoriée. Au contraire, en cultivant le recours systémique et systématique à un timing conservateur et dissimulateur, Paul Biya en imprègne son appareil gouvernant institutionnel et politique au point d’en faire un dispositif affûté de production de l’Inertie gouvernante.
Le leader présidentiel-princier qui « prend son temps », « gagne du temps » et « mastique le temps », travaille essentiellement en usant de son Souverain Avantage Centraliste et Présidentialiste, à freiner la mise en place et la mise en œuvre d’une programmation horlogère et processionnaire du temps, programmation qui traduirait la mécanisation et l’automatisation modernes du temps étatique camerounais. C’est en observance de cette Loi d’airain de l’Inertie Monopoliste que l’Empereur présidentiel camerounais passe son temps à privilégier une gouvernance rentière, fermière ou vacancière au détriment d’une gouvernance motorisée, compétitive et propulsive.
En procédant de la sorte, il s’agit toujours pour le Grand Patriarche Présidentialiste de domestiquer et d’apprivoiser le temps étatique de manière patrimoniale, patriarcale et privilégiale.
C’est seulement en clarifiant la stylistique mystificatrice et enchanteresse qui est aussi exprimée par l’art gouvernant de Paul Biya passionné par le goût immodéré pour le mystère et le secret dans la conduite du pouvoir, qu’on peut comprendre l’économie profonde de la gouvernance du leader présidentiel camerounais. En effet, l’art gouvernant du Président Biya est dominé dans sa constitution psychique, technique et stratégique par une conception jouissive, oisive et improductive du temps gouvernant et gestionnaire. C’est cela qui permet de rendre compte du primat d’une démarche infra-temporelle et para-temporelle basée sur l’arbitraire et le discrétionnaire non-comptables et non-imputables. Cela explique par exemple que la gouvernance Biya ne fasse que très peu de place à une programmation cohérente et transparente de l’action gouvernante, programmation rythmée par une tenue régulière et sérieuse des Conseils de ministres comme moments et lieux de réflexion, de discussion et d’évaluations gouvernantes.
La disposition politico-magique et politico-mystique de la gouvernance présidentialiste camerounaise qui s’exprime principalement par la priorité stratégique donnée au conatus du pouvoir perpétuel à travers lequel le maître présidentiel persévère dans son être d’Auguste César étatique, ne favorise pas la mise en place de gouvernements bureaucratiquement et technocratiquement agiles et perspicaces. En effet, préoccupé de s’éterniser au pouvoir et de mériter à vie de sa tenure présidentielle, le leader central étatique bureaucratico-patrimonial et néo-patrimonial fabrique ses gouvernements à coups de cooptations pléthoriques, cela, juste pour grossir le rang de ses obligés et de ses affidés. Ce faisant, il en ajoute à l’Inertie prévalente parce que de tels gouvernements sont difficiles à coordonner.
Soucieux d’assurer sa longévité gouvernante suprême, le Président perpétuel versé dans l’art de la manipulation et de l’instrumentalisation byzantines de son personnel gouvernemental, se trouve souvent fort aisé face aux luttes récurrentes de pouvoir et d’influence entre ses favoris-Ministres dont il dispose comme Ministres-clients. C’est ce qui facilite l’installation durable d’équipes de ministres faiblement pourvues en ressources de solidarité et de cohésion gouvernementales. La rareté des Conseils de ministres n’est pas pour favoriser l’instauration de convergences sérieuses entre les membres du Gouvernement. Où l’on voit que le savoir-faire clientéliste déployé par le Saint Patron Présidentialiste pour choisir ses Obligés et Protégés Ministériels, est déployé de manière à ce que ceux-ci soient dépourvus de toute représentativité démocratique ou de toute popularité médiatico-politique. En procédant de la sorte, il s’agit de freiner ou d’annuler la constitution de coalitions alternatives capables de susciter des Vizirs qui veulent être Calife à la place du Calife.
En travaillant à retarder et à freiner le temps politique, ce leader central présidentiel entretient les bases et sources de l’inertie gouvernante. Il s’agit pour lui de durer au pouvoir dans une optique éternitaire, immunitaire et autoritaire de Président Perpétuel. A cette fin, le maître central présidentialiste se comporte en Capitaine Monopoliste et Absolutiste toujours prêt à livrer ses Lieutenants Présidentialistes à la Roue Sacrificatrice du Pouvoir Perpétuel. C’est pourquoi, dans une visée immolatrice et sacrificatrice, l’Empereur Présidentiel prend de manière régulière un bain de jouvence en livrant nombre de ses grands barons gouvernementaux, ministériels et administratifs à la vindicte politico-judiciaire ou politico-médiatico-populaire ou à l’immolation politique par le limogeage et la disgrâce. Il est ici question de véritables rituels de vampirisation princière des élites présidentialistes et rites de cannibalisation souveraine des baronnies gouvernantes.
Pour durer au pouvoir, le Maître Central Présidentialiste doit toujours veiller à maintenir sa Suprématie Absolue sur les chances étatique , co-étatiques et para-étatiques de puissance ( ressources politico-décisionnelles, administratives, managériales, politico-financières et politico-sécuritaires). C’est pour cela que de manière cynique, ce César-Président se réjouit toujours ou tès souvent des infortunes de tous les Barons présidentialistes susceptibles de se poser en successeurs présidentiels. Il profite directement ou indirectement de tous les coups qui sont infligés à ces seigneurs-vassaux qui rêvent de prendre possession du château-fort présidentiel et de s’attribuer les privilèges impériaux-présidentiels de Grand Maître du Palais. Sur ce terrain aussi, le Prince-Président travaille à manger le temps et à faire durer l’attente des Lieutenants-Présidentiables à l’affût du Capitanat Présidentiel de l’Etat, quitte à faire pourrir la gouvernance de l’Etat.

Mathias Eric Owona Nguini
* Socio-politiste, Université de Yaoundé II-Fondation Paul Ango Ela


Une diplomatie au service du pouvoir personnel, par Georges Noula Nangué
II y a bel et bien une diplomatie du Renouveau à défaut d’une diplomatie camerounaise mise au service du gouvernement perpétuel.

II y a bel et bien une diplomatie du Renouveau à défaut d’une diplomatie camerounaise mise au service du gouvernement perpétuel.
S’interroger sur la diplomatie camerounaise à l’ère du Renouveau revient à questionner la politique et l’action internationales de Monsieur Paul Biya, actuel président de la République, éventuellement, mais non nécessairement, en comparaison de celles de son unique prédécesseur, Monsieur Ahmadou Ahidjo.
De prime abord, on pourrait s’étonner de cette identification entre la diplomatie camerounaise et la politique étrangère d’un seul homme, fût-il le chef de l’État du Cameroun. Mais, cela tient à la nature particulière de l’organisation et du fonctionnement politique de ce pays, notamment du rôle constitutionnel majeur qui est dévolue à l’institution et à la fonction présidentielle camerounaise.
En effet, cette prépondérance institutionnelle se manifeste avec le plus d’éclat lorsqu’il est question de la définition de la politique étrangère et de sa mise en œuvre. Il n’y a qu’à considérer, pour s’en convaincre, les dispositions des articles 5 et 8 de la loi n° 96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, modifiée par la loi n° 2008-001 du 14 avril 2008. L’alinéa 2 de l’article 5 dispose qu’ : « […] Il définit la politique de la nation […]. Il est le garant […] du respect des traités et accords internationaux. » Les alinéas 1,3 et 4 de la même loi constitutionnelle ajoutent respectivement que : « (1) Le Président de la République représente l’État dans tous les actes de la vie publique. […] (3) Il veille à la sécurité […] extérieure de la République. (4) Il accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. »
Primauté de l’institution
Si ces dispositions ne devaient pas suffire à consacrer définitivement la primauté de l’institution et de la fonction présidentielle sur la diplomatie camerounaise, l’article 43 de la loi constitutionnelle vient lever toute équivoque à ce sujet. Il ressort effectivement à la lecture de cet article que : « le Président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux. Les traités et accords internationaux qui concernent le domaine de la loi […] sont soumis, avant ratification, à l’approbation en forme législative par le Parlement. » (Article 43) Un tel pouvoir entre les mains d’un seul homme est somme toute inquiétant d’autant plus que : « Les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre parti. » (Article 45 de la loi constitutionnelle). En cas de dérive grave, seul le Conseil constitutionnel serait théoriquement en mesure de faire barrage en déclarant qu’un tel traité ou accord international comporte une clause contraire à la Constitution du Cameroun, ce qui aurait pour effet d’imposer une révision préalable de ladite Constitution avant toute approbation législative ou ratification présidentielle (Article 44 de la loi constitutionnelle). Ce qui suppose l’existence d’une procédure préalable de contrôle de ces traités ou accords par le Conseil constitutionnel. Cela mérite réflexion plus approfondie dans un autre cadre.
Manifestement au Cameroun, en matière de politique étrangère en général et de diplomatie en particulier, le Président de la République du Cameroun est le souverain. Voilà qui justifie l’identification faite plus haut, si besoin s’en faisait sentir.
Il s’en suit logiquement que les succès aussi bien que les échecs de la politique étrangère du Cameroun, et par conséquent de sa diplomatie, sont automatiquement les succès et les échecs du président de la République du Cameroun, notamment de la personne qui incarne et anime cette institution constitutionnelle.
Or, sous le Renouveau, c’est Paul Biya qui a le suprême privilège d’incarner et d’animer cette institution. C’est pourquoi, après plus de 28 ans d’exercice du pouvoir présidentiel par Monsieur Paul Biya, un bilan est envisageable et quelques questions peuvent être posées relativement aux succès et aux échecs qui lui sont personnellement imputables ? C'est-à-dire, les acquis et les préjudices résultant de la façon dont il a incarné et animé l’institution présidentielle dans l’arène internationale ?

Succès et échec
Mais tout d’abord, comment appréhender les notions de succès et d’échec sous le Renouveau ? Comment considérer le concept de préjudice sous ce système de gouvernement ? Quel contenu donner au mot absence ? Car, n’oublions pas que le raisonnement politique n’est pas assujetti aux lois qui régissent le raisonnement empirique classique, ainsi que l’ont largement démontré les théoriciens de la realpolitik. Or, le Président Paul Biya peut, à juste titre, être rangé dans cette catégorie d’homme politique, dans la mesure où, même s’il n’a pas eu à le conquérir, il a largement démontré son aptitude à conserver le pouvoir, y compris dans les situations les plus inextricables.
Vu sous cet angle, les donnés du problème apparaissent autrement différentes. La loi fondamentale de ce système de pensée politique est la suivante : la fin justifie les moyens. Par ailleurs, la théorie réaliste des phénomènes politiques définie l’homme politique par son ambition permanente de conquête et de conservation du pouvoir politique. C’est par référence à ces postulats qu’il convient d’appréhender le Renouveau et de définir les concepts que l’on souhaite lui appliquer. Autrement, on bascule irrémédiablement dans l’erreur d’analyse.
Il convient donc de s’interroger sur la caractéristique la plus saillante (ou le fait politique le plus constant) du Renouveau. Non pas ce qu’il dit mais ce qu’il fait car, le fait est la signature de l’être.
Qu’a fait donc essentiellement le Renouveau depuis environ 28 ans de pouvoir politique ? Développe-t-il le Cameroun ? Non, puisque le Cameroun est à ce jour sous développé, pauvre et très endetté. Démocratise-t-il le Cameroun ? Non, puisque celle-ci est advenue au Cameroun contre son gré en 1990 et que depuis lors, le nombre de camerounais qui participe effectivement au processus électoral est de fait très largement inférieur à celui des camerounais qui n’y participent pas. Il s’en suit donc que c’est paradoxalement une minorité qui choisit les dirigeants du pays tandis que la majorité est silencieuse. Mais, si le Renouveau ne développe ni ne démocratise le Cameroun, que fait-t-il donc depuis si longtemps ? Il demeure au pouvoir et travaille quotidiennement à le conserver(1) pour disposer des richesses nationales à sa guise(2). Il faut donc déduire que son objectif principal, voir unique, consiste à garder le pouvoir politique. Telle est donc sa raison d’être. Et c’est celle-ci qui détermine toutes ses actions, y compris ses discours, politiques et diplomatiques. C’est donc par rapport à cela qu’il faut appréhender les concepts de préjudice et absence qu’on veut appliquer à sa diplomatie.
Observer la diplomatie camerounaise en 28 ans de Renouveau, sous le prisme de la volonté de conservation du pouvoir politique interne, permet de donner un sens à nombre de faits apparemment absurdes et contradictoires. De ce point de vue, on ne peut plus affirmer sans se tromper que la diplomatie camerounaise est absente. En effet, les réseaux relationnels internationaux de M. Paul Biya existent bel et bien avec comme mission essentielle de lui assurer la sécurité interne de son pouvoir. Dans cette optique, il faut bien reconnaître l’efficacité de ces réseaux. Pour s’en convaincre, il faut observer et analyser l’apport déterminant de ces réseaux à la stabilisation du pouvoir de M. Paul Biya durant les périodes de contestation sociale et de crise politique interne que le Cameroun a traversées.

Diplomatie parallèle
L’existence de ces réseaux traduit l’option du pouvoir exécutif pour une diplomatie parallèle et très souvent informelle, au détriment de la diplomatie formelle et institutionnelle qui se retrouve dès lors reléguée à l’accomplissement de tâches secondaires, voir obsolètes. C’est ce qui explique la décadence actuelle de l’essentiel du réseau diplomatique officiel et institutionnalisé du Cameroun (chancelleries mal entretenues ; personnel diplomatique et consulaire clochardisé et sous exploité ; diaspora camerounaise abandonnée à elle-même ; intérêts du peuple et de la nation camerounaise ignorés).
Face à cette analyse, les cas de l'admission du Cameroun au sein du Commonwealth (1995), de l'organisation du 32ème Sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine (1996), de l'organisation du Sommet Afrique-France à Yaoundé (2001), du redéploiement de la carte diplomatique et consulaire en 2008, et de la double cérémonie de transfert d'autorité au Cameroun de Bakassi avec le retrait de l'administration civile et des forces de police nigérianes de la presqu'île (14 août 2008), ne constituent absolument pas des exceptions car l’objectif final est et demeure toujours la consolidation du pouvoir personnel de Monsieur Paul Biya, sans incidence réelle sur le sort peu enviable de la majorité de la population camerounaise qui vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Même la visite très médiatisée du Président Paul Biya en République Fédérative du Brésil, à l’image de celle effectuée jadis en République Populaire de Chine, ne saurait encore être qualifiée de succès diplomatique au regard des intérêts du peuple camerounais en général et de la jeunesse camerounaise au chômage en particulier. Car, les importations du Brésil au Cameroun au cours du premier semestre de cette année 2010 ont atteint 50 milliards de FCfa et sont constituées à 97,6% des produits pétroliers, soit 48,8 milliards de FCfa. Or, il est connu que la rente pétrolière au Cameroun ne bénéficie pas à la population, mais plutôt aux caciques du régime en place. De plus, en 2009, les exportations du Cameroun au Brésil étaient constituées à 72,2% de caoutchouc et 20,4% de bois non transformé. Ces deux produits à faible valeur ajouté sont sans réel impact sur la problématique du chômage au Cameroun. Une fois de plus, seul le trésor de guerre du Renouveau s’en trouve consolidé en l’absence d’une véritable politique de redistribution de la richesse nationale, caractérisée par la surliquidité de banques qui rechignent à faire crédit au citoyen ordinaire. Peut-être les conventions signées avec le Gouvernement brésilien produiront-elles de substantiels effets bénéfiques pour ce dernier ? On attend de voir.
G7, G8, G20
En attendant, il y a bel et bien une diplomatie du Renouveau à défaut d’une diplomatie camerounaise. Et s’il faut considérer l’existence d’un préjudice, le Renouveau n’est en rien concerné puisque ses objectifs réels sont pour l’instant atteints, à savoir la conservation du pouvoir en vue de disposer des richesses nationales à sa guise. Le préjudice en question concernerait davantage les populations qui en sont les principales victimes et non les gouvernants qui sont insensibles, attitudes somme toute justifiée puisque ceux-ci semblent être incapables de construire une politique diplomatique cohérente et en phase avec les enjeux globaux. Par ignorance et dans une hystérie généralisée, ils font l’apologie d’une diplomatie qu’ils qualifient de « diplomatie de respect de principes fondateurs de l’Onu » quand bien même nous évoluons de plus en plus vers ce que Bertrand Bardie appelle l’ « l’oligargie des pôles » (G7, G8, G20, etc.) Sous un angle, on peut dire qu’il est inutile de s’attarder sur les absences du président Paul Biya aux différents sommets internationaux ou encore sur l’absence d’une politique du Renouveau en matière de placement des Camerounais dans les institutions internationales. Car, non seulement ses objectifs sont ailleurs et ne sont pas du tout affectés par ces carences apparentes, mais en plus ces sommets aussi bien que le placement des nationaux dans la fonction publique internationale ne changerait rien à la situation de pauvreté généralisée de la population camerounaise. D’ailleurs, le Cameroun n’est pas si mal représenté que l’on veut le croire au sein de ces organisations intergouvernementales. En réalité, seule la puissance interne motive l’essentiel de l’action diplomatique du Renouveau ; la puissance internationale ne lui étant pas absolument nécessaire. L’issue de la crise de Bakassi n’a-t-elle pas démontré que dans la configuration actuelle des relations internationales, il est possible à un État moins puissant d’avoir raison sur un État plus puissant. Le véritable problème du Cameroun se situe, non pas dans l’absence de démocratie, mais bien dans la redistribution des richesses nationales en vue d’un réinvestissement endogène systématique et généralisé qui boostera enfin le développement tant clamé et recherché sur tout le territoire national.
Malheureusement, l’appauvrissement constitue aussi dans une certaine mesure une technique de consolidation à moyen terme de la puissance interne !! Pour faire court, le Cameroun se lèvera enfin si le Pouvoir s’occupe de la politique monétaire et des banques, afin que celles-ci s’occupent des populations, sinon les populations finiront par reprendre le Pouvoir. C’est la fatalité historique. Mais pour en faire quoi ? Là est le danger et l’espoir. /-
Noula Nangué Georges


La tyrannie de la corruption, par Fabien Eboussi Boulaga

Interrogé sur la corruption, je suis tenté de répondre : « le mieux est que nous n’en parlions plus ». Au-delà d’un mouvement d’humeur, d’agacement ou de lassitude que pourrait trahir cette réaction, il est permis d’en attendre davantage, de la prendre plus au sérieux, plus qu’une boutade, à titre d’hypothèse, d’exercice ou de jeu de la pensée.

1) C’est Spinoza qui nous avertit que les affaires humaines iraient bien mieux si nous avions une capacité égale de parler et de nous taire. Nous sommes diserts et intarissables sur la corruption. Imaginons un instant que la rumeur, les papotages de cabarets ou de salons, les journaux et les médias (sauf ceux de l’Etat) fassent silence sur les méfaits que l’on attribue à la « corruption », sur ceux .qu’on soupçonne ou accuse de s’y adonner. Supposons que nous en fassions un mot tabou, dont on s’excuse lorsqu’il nous échappe (en se purifiant les lèvres). Et si, nous étions parallèlement comme atteints de surdité sélective à son endroit, à ses équivalents, à ses désignations métaphoriques, argotiques, cryptées, périphrastiques ? Ce qui se passerait, je le laisse à votre sagacité ou à votre fantaisie. Quant à moi, je ne doute pas un seul instant des vertus de cette cure de silence. Bien des conversations déjà fort rabougries portant sur notre société seraient criblées de trous et de vides et subiraient un amaigrissement drastique. Nous découvririons que nous n’avons rien à dire sur nos hommes politiques si nous soustrayons ce par quoi ils se distinguent dans l’opinion courante. Nous découvririons parallèlement et simultanément que nous n’avons pas de remède à cette endémie que l’impuissante et dérisoire inanité de la morale individuelle et de la fin de l’impunité L’angoisse ne manquerait pas de gagner dans certaines face à ce que ces solutions révèlent de la toute puissance du règne de la pensée magique parmi nous. Heureusement le football, les autres sports sont là pour meubler nos conversations ainsi que les potins du village hexagonal. Pour combattre votre prurit de parler, de gloser, de faire l’important en étant celui qui est au courant des dessous de tables et de toute chose, vous pouvez vous livrer à l’exercice suivant qui vous amusera tout en accroissant le malaise de bavards sur des clichés prudhommesques du genre : il n’y a pas de corrupteurs sans corrompus, nous sommes tous également coupables de la corruption. Je l’emprunte à Roger-Pol-Droit. Pendant qu’ils dissertent, pérorent, déploient ses projets et programmes d’éradication de la corruption, injuriez-les copieusement sans arrêt, mais en silence et in petto. Certains se sentiront mieux, des êtres de courage incognito, sans péril et sans gloire. Beaucoup se sentiront soulagés et découvriront que leur forteresse intérieure est imprenable et comporte de nombreuses cachettes. Mais le bienfait le plus précieux serait la réflexion émergeant dans le reflux des paroles et des mots. Nous nous rendrions compte que les flots de discours et de textes sur la corruption nous emportent et nous ballottent en tous sens, nous confirmant dans notre impuissance et dans notre désarroi, nous empêchant de poser la question aux réponses multiples et d’orientation stratégique à savoir : « De quoi s’agit-il ? » Sommes-nous condamnés au dilemme entre le bavardage et le silence, si stérile pour la plupart d’entre nous ? D’autres approximations sont suggérées par cet impératif d’évitement. Elles nous entraînent dans la traversée du vide sonore du mot « corruption », nous libérant des réflexes purement verbaux et des simulacres d’actions stéréotypées qu’il déclenche. Ce sont : la traduction, des conséquences, le système.

2)Traduction/Transposition
Quant on évite un mot tabou, l’esprit de sérieux ou l’absence d’humour peut conduire à s’empêtrer dans des circonlocutions emberlificotées et ridicules. L’instituteur anticlérical ou athée du XIXe siècle français censure chez La Fontaine l’expression toute faite « Si Dieu lui prête » et enseigne aux enfants à réciter « Si on lui prête vie ». Heinrich Bölle, si ne me trahissent mes souvenirs déjà très lointains d’apprenti de la langue allemande, raconte l’histoire du politicien qui veut se ménager des soutiens des Maçons, des libres penseurs qui ne reconnaissent que le « Grand Horloger » ou l’« Etre Suprême » sans s’aliéner les croyants en usant sans failles dans ses discours de cette tournure encombrante, riche d’inextricables embarras syntaxiques : « Celui que tout être vénère ». Je ne vous invite pas à appliquer une procédure similaire à notre mot tabou. Sinon pour rire de ceux qui y recourent par opportunisme, terrorisés par l’idée d’être confondus avec ceux qui estiment que nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes actuels ou que la corruption chez nous atteint des « hauteurs béantes ». Je convie à une démarche plus enrichissante, parce qu’elle nous impose de nous « dépayser dans le langage », en rompant avec des habitus et des façons de parler qui vont sans dire, avec des révérences à des valeurs convenues, dont nous n’avons ni l’expérience, ni le concept. Que répondez-vous à ceux qui vous défient de trouver le mot de « corruption » dans une des langues maternelles quelconque du Gabon ? Ne répondez pas avec légèreté en recourant à un emprunt ou un décalque mécanique d’une langue accidentelle. Vous risquez de passer à côté du sujet, d’être naïf, victime d’une forme d’inculture très répandue. Elle s’exprime dans la croyance selon laquelle les langues « officielles » disent les choses comme elles sont et doivent être dans le monde moderne auquel nous aspirons ou accédons avec difficulté. Vous pensez qu’il ne nous reste qu’à nous ajuster à ce qui est, qu’à nous soumettre à une longue inculcation.
Or la notion de corruption est d’abord une métaphore empruntée au monde physique pour dénoter un comportement d’ordre moral. Si vous gardez cet ancrage culturel dans un phénomène physique pour caractériser une conduite éthique, vous ne vous ferez pas entendre, vous perdrez les harmoniques répulsives et stigmatisantes véhiculées par le registre de la « pourriture ». Vous aurez à prendre d’autres détours, d’autres images. Il vous faudra faire une autre description phénoménologique de ce « fléau » qui nous afflige. Adressez-vous donc à un auditoire réel et pour de bon dans votre village. Pour dire la même chose que l’Anglais et le Français, vous prendrez impérativement d’autres détours faisant appel à d’autres références sensorielles et mentales. Mais surtout, vous vous situerez au sein d’autres formations historiques et sociales où des phénomènes semblables ont des positions, et des valences différentes. Ils ne font pas appel aux mythes et aux figures qui sont au plus profond de la sphère de nos principes derniers de motivations. Essayez donc de prêcher l’évangile de l’anti-corruption, vous verrez. Plusieurs issues sont possibles :
a) Vous pouvez tomber dans l’aphasie ou le bégaiement maladroit ;
b) Vous pouvez vous faire une langue artificielle qui ne sera comprise que de vous-mêmes et de ceux qui parlent français. Ils vous écouteront avec gêne, dans une gêne qui dévoile leur déracinement, leur psittacisme, le sentiment qu’ils n’ont pas rebrasser et remodeler une réalité passivement subie;
c) Vous pouvez vous libérer de la langue de bois et parler à l’africaine de voleurs, de sorciers anthropophages qui se repaissent de la substance vitale des autres. Ce sera à vos risques et périls, les plus grands étant l’incompréhension et un littéralisme indigné de bonne guerre, quoique désuet et anachronique (« Il nous prend pour des sauvages et fait le jeu de ceux qui nous marqués au fer rouge de ces qualifications infamantes »).
En positif, vous pourrez poser autrement nos problèmes, les recadrer de manière à les dissoudre, à les prendre par des bouts inattendus et plus créatifs. Comment ne pas tenter d’autres approches, quand la problématique officielle et internationale semble cultiver un moralisme impuissant qui nous renvoie à une conversion impossible, à l’idéal tronqué qu’elle nous présente. La situation actuelle favorise un attentisme ou un adventisme qui nous reporte à grand bruit aux eschatologies messianiques, sans cesse différées, de la fin des temps, quand elle ne fait pas de la lutte contre la corruption une diversion et une délectation morose. La contextualisation culturelle peut rendre la « corruption » plus compréhensible et plus inacceptable eu égard à ses implications anthropologiques et à ses conséquences sociales.

3) Conséquences
Sans doute ne comprend-on pas la réalité que désigne le mot de corruption. Ce dernier est comme le doigt sage qui nous montre la lune, mais sur lequel se focalise et s’arrête le fou pour le contempler et en disserter. Ce vers quoi le mot de corruption voudrait tourner notre regard et notre attention, c’est notre condition humaine avec ses maux, ses aspects peu enviables qui ne cessent d’étonner le monde et de cultiver chez certains d’entre nous, le dégoût, le mépris et la honte de nous-mêmes.
La corruption, définie à partir de ses conséquences, se définit comme ce qui nous empêche d’éduquer la jeunesse, de soigner les malades pleinement, d’avoir des services publics adéquats, des infrastructures correctes à hauteur des ressources actuellement disponibles. Formulé plus brutalement, c’est ce qui condamne à l’ensauvagement des générations, qui envoie des milliers à la mort insensée faute de soins pourtant actuellement à notre portée, c’est ce qui frappe de décrépitude nos maisons, nos villes et villages, nos équipements et nos institutions.
Il faut aller plus loin et ajouter le dernier volet de cette définition qui remonte des bases du vécu collectif vers les formulations conceptuelles. On peut la caractériser comme ce qui nous enlève le respect et l’estime de nous-mêmes. Elle nous ôte notre dignité et nous condamne à la servitude. Des illustrations ?
« La sortie illicite de capitaux détournés et exportés en billets de banque par des Camerounais entre 1981 et 1998 se situerait autour de 1196 milliards de F Cfa. Pour une moyenne triennale de prêts Fmi-Bm de l’ordre de 200 milliards de F Cfa au titre de financement, le Cameroun aurait pu financer par lui-même grâce à cette fraction des capitaux détournés, 6 programmes triennaux d’un montant cumulé de 1196 milliards de F Cfa étalés sur 18 ans, pour assurer la transformation systémique de son économie et de ses institutions conformément à un projet de société endogène et pertinent sans avoir à recourir forcément à l’aide extérieure. » (Babissakana & Abissama Onana, Cahiers des Notes d’Analyse Technique N°1, Prescriptor, 2003, pp. 325-326)
Si l’on prend l’exercice 1999/2000, on pourrait dire que la perte totale pour le Trésor public due aux pratiques de corruption concernant seulement la ponction sur les dépenses hors salaires et intérêts sur dette est de 538,21 milliards. (Babissakana & Abissama Onana, Cahiers des Notes d’Analyse Technique N°2, Prescriptor, 2005, pp. 480-481).
On pourrait multiplier de telles coupes. Au lieu donc de parler rhétoriquement de la corruption, je vous conseille de faire, au fil des jours, des calculs de ce type, devant des dépenses somptuaires, des gaspillages de tous genres, des voyages aux délégations pléthoriques, des chiffres avérés relatifs aux détournements des fonds publics. Face aux sommes ainsi obtenues, voyez ce qu’il en coûte de gâchis humain, des maladies, de malheurs, d’ignorance, d’abrutissement et d’esclavage. C’est l’approche par les conséquences qui nous conduit, sans fard, au cœur du système de la corruption.

4) Le système de la corruption
Si nous voulons nous complaire dans une impuissante et bavarde agitation devant le phénomène qu’on appelle la corruption, continuons donc d’en faire un slogan et un mot d’ordre soufflé par les bailleurs de fonds et les normalisateurs du monde, et de nous épuiser dans des campagnes de sensibilisation, avec panneaux publicitaires, émissions radios, conférences, colloques et tables-rondes, voire avec des commissions anti-corruption dûment patentées.. Pour éradiquer ce mal, il faut le replacer dans le sol dans lequel il s’enracine profondément, dans ce avec quoi il fait corps et ce dont il est à la fois ou tour à tour l’effet et la cause. Il faut en cerner la nature spécifique et la nocivité radicale. Au terme d’un ouvrage érudit de plus de 700 pages intitulé Bribes (Berkeley, University Press of California, 1987, p.700), retraçant l’évolution de la corruption, dans différentes sociétés et cultures, de l’Antiquité à nos jours, l’historien américain J.T. Noonan conclut en disant qu’ « après la tyrannie, c’est la corruption qui est le grand mal des Etats » (cité par Robert Klitgaard, Combattre la corruption, NH, 1997, p. XIII).
Ma thèse est que tyrannie et corruption sont deux facettes ou modalités d’un même phénomène. Elles s’appellent et se soutiennent mutuellement, l’une étant le moyen ou l’aboutissement de l’autre, et vice-versa. Elles forment le mal absolu de l’Etat, parce qu’elles sont la négation ou la destruction de son principe, tout en produisant un anti-Etat avec les apparences et les instruments de l’Etat.
Posons que l’Etat est l’organe institutionnel qui, par ses décisions et ses actions, exprime, active et régule le vouloir vivre et bien vivre ensemble d’une communauté historique donnée et sa structuration pour agir efficacement dans ce sens et à cet effet de façon durable, voire dans un horizon de perpétuité. Par définition, l’Etat n’est pas une entité indépendante. Elle est une fonction d’un tout dont elle est partie intégrante (« partie totale », devrais-je ajouter). Son action est une action collective en vertu de la constitution générale de l’organisme dont elle est une pièce, mais et surtout en ceci qu’elle a pour base et substance l’actualisation de cette structure de base-comme puissance et effet de la réciprocité qui fait des individus des membres d’une communauté de destin. Sont donc politiques les actions et les activités qui sont accomplies conformément à une ensemble de règles élaborées en vue d’instaurer et de faciliter des comportements de réciprocité générateurs de pouvoir collectif spécifique dans les domaines et les sujets d’intérêt commun et d’opportunités communes. La vertu de l’Etat constitutionnel comme institution est la justice dans la mutualité des devoirs et des droits, des bénéfices et des charges de la coopération sociale, comme et par la mise en œuvre de la force propre du groupe émanant de la réciprocité et de la cohésion de ses membres et qui est précisément le pouvoir politique : « Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle; il appartient a un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé » (Hannah Arendt).
A présent, il est clair que corruption et tyrannie s’approprient le pouvoir que détient un peuple de se faire et de s’accomplir au moyen d’une action concertée. Cette dépossession s’opère par la destruction du lien social, en brisant les nœuds de la réciprocité de base, selon des mécanismes similaires et une logique qui fait passer de l’une à l’autre sans solution de continuité. Une funeste passion d’argent et de biens, dévorante et destructrice jusqu’au crime et au sacrilège, possède les dirigeants cupides tout comme les tyrans : « Ils prennent des gains considérables, ceux qu’il ne faut pas, là où il ne faut pas, comme les tyrans quand ils pillent des villes ou qu’ils dépouillent les temples.. » et méritent les noms « de scélérats, d’impies, d’injustes ». Dépossédant les autres de leurs biens et de leur pouvoir pour les concentrer en leurs seules mains, ils divisent le corps politique, en ouvrant entre eux et le reste le gouffre de l’inégalité fatale à la réciprocité et à la justice politique : « Le juste politique, c’est celui qui règne entre des hommes dont la communauté de vie a pour but une existence indépendante, hommes libres et égaux, soit d’une égalité proportionnelle, soit d’une égalité arithmétique. En sorte que, pour ceux chez qui ces conditions ne sont pas réalisées, il n’existe pas de justice politique réglant leurs rapports mutuels ». Ce n’est plus l’autorité de la loi qui règne mais l’arbitraire égotique et par là tyrannique des individus : « Voilà pourquoi nous ne souffrons pas que ce soit un homme qui commande, mais nous voulons que ce soit la loi ; parce qu’un homme ne commande que dans son propre intérêt, et devient tyran ». Le dirigeant qui prend pour soi une part excessive des biens, des avantages de la coopération sociale, le fait au détriment des autres, laissant le poids des maux les écraser est injuste, accapareur du bien d’autrui. Il n’est plus le gardien de l’égalité, en ne se contentant pas du salaire, de la considération et de l’honneur qui lui sont alloués du fait de sa charge: « Quant à ceux à qui cela ne suffit pas, ce sont ceux qui deviennent des tyrans » (Aristote, Ethique à Nicomaque, liv.5, chap.10, 1134a 25-b 7. Le qualificatif d’impie leur sied parce qu’ils brisent le lien sacré qui tient ensemble et fonde la communauté politique, à savoir la réciprocité ou la solidarité des égaux.
Pour assurer leur impunité, il leur faut accéder à une sorte d’invulnérabilité, par un double mécanisme : d’un côté, rendre les dominés incapables de sentiments nobles et généreux, de révolte et d’une réaction efficace et de l’autre, se protéger sans cesse, de plus en plus, coûte que coûte. Le premier mécanisme comprend la culture de la médiocrité et de la bassesse, de la délation, et la méfiance généralisée. A quoi il faut ajouter l’entretien d’un climat d’insécurité, d’une sorte de guerre larvée permanente (subversion, contre-révolution, terrorisme), « afin que les sujets n’aient pas de loisirs et sentent toute leur vie le besoin d’un chef. Enfin et surtout, il y a « l’appauvrissement et l’abrutissement des gens obligés à trimer et à gagner leur vie au jour le jour », au point qu’ils ne songent plus qu’à s’étourdir pour oublier leurs peines et leur fatigue et non à rêver de changer la vie. Ceci tend à leur inculquer la résignation et le renoncement, « l’impuissance à agir; car nul n’entreprend l’impossible; et, par conséquent, on n’entreprend pas non plus de renverser la tyrannie quand on n’en a pas le pouvoir ». En bref, les buts visés par la tyrannie sont effectués pratiquement par une corruption prédatrice, sous-tendues qu’elles sont l’une et l’autre, par les mêmes principes : « Car on peut ramener aux trois principes suivants les procédés de la tyrannie : pas de confiance entre les citoyens, pas de pouvoir, et l’âme basse » (Aristote, Politique, liv. V, chap. 9, 1314 a 15-29).
On devrait s’appesantir sur ces trois principes et les mécanismes de leur pratique. On ne peut que les évoquer sous de redite insistante 1) la délation organisée et généralisée rend impossible la confiance et l’amitié politique susceptible de desseins et de dévouements nobles et désintéressés.2) la société devient une communauté d’impuissance où les individus atomisés ahanent à survivre, laminés par la misère et l’incoordination des actions, là où toute concertation devient suspecte de nourrir tout à la fois des ambitions d’efficacité et un projet d’émancipation ; 3) la conséquence est l’enfermement de l’esprit dans des préoccupations qui sont celles des esclaves, sans perspective ni hauteur.
Reste le prix de la protection. Il est très élevé. Il s’achète en livrant le pays à la convoitise des étrangers (ressources et territoire stratégiques), à des réseaux en tous genres,en bradant ses richesses, sa sécurité et sa souveraineté. Le pillage, pour le tyran, a pour but de « s’assurer sa garde et ses plaisirs ». Sa « garde est faite d’étrangers », d’origine et d’adoption, de ceux n’attendent ou n’espèrent rien de la loi et de quelque bien commun. Les principaux ennemis du tyran cupide sont ses propres concitoyens contre l’intérêt desquels il s’enrichit et fait son bon plaisir. Il est plus impitoyable à leur égard que le plus cruel des étrangers, pour qui il agit par procuration et par anticipation Le second cercle de sa protection, c’est la police et l’armée. Elles jouissent de l’impunité et ne doivent jamais être désavouées ; elles peuvent piller et se conduire comme en territoire conquis. Et tous les partisans, qui reçoivent récompense «chacun selon son mérite », c’est-à-dire, selon sa contribution plus ou moins directe à maintenir le régime, à le défendre. Ils ont leur part de passe-droits, de fiefs et de prébendes, qu’ils soient des fonctionnaires, des magistrats, des professeurs, des hommes d’affaires, des pseudo-membres de l’opposition. On a ainsi une pyramide hiérarchique de rentes de situation et d’impunité, avec ses étages, chacun ayant ses parrains, ses réseaux, ses hommes de main, ses clients, ses monopoles, ses fiefs et ses prébendes. Tel est le système de la corruption. Comment demander à son chef de l’assainir, sans le condamner à se retrouver sans bases, à tomber dans le vide et le néant. Il argue donc en ces termes « Si iniquitates sectatorum meorum observaverim, qui me sustinebit , Si je m mets à tenir rigueur à mes partisans de leurs iniquités, qui m’accordera encore son soutien » ?
En résumé, pour signifier l’unité, voire l’identité de la tyrannie et de la corruption prédatrice dans leur puissance de destruction et de confusion chaotique, sa perversion de toutes les valeurs, il n’y a rien de mieux que l’expression de « tyrannie de l’argent ». Ecoutons Shakespeare nous le dire avec force, dans ces paroles mises dans la bouche du noble Timon ruiné par ses extravagances et accédant enfin à la lucidité concernant la nuisance ou la puissance négative de l’or : « Voici de quoi rendre blanc le noir, beau le laid, juste le faux, Noble le vil, jeune le vieux, vaillant le lâche .Il peut détourner de vous vos serviteurs, vos prêtres, et priver de secours celui qui, bien portant, suffoque. Cet esclave au teint jaune noue et dénoue les sectes, fait bénir les maudits, aimer la lèpre blanche, promouvoir les voleurs, en leur accordant titres, déférence et crédit. » (Timon d’Athènes, IV, 3, in Tragédies, tr. fr., Paris, Bouquins, 1995). Quand l’Etat est l’hypostase de l’argent, comme le nôtre, il est, littéralement, « la perversion généralisée des individualités [et des institutions], qu’il change en leur contraires, en leur attribuant des qualités qui ne sont pas le moins du monde les leurs. Il apparaît alors comme la puissance corruptrice de l’individu, des liens sociaux qui passent pour être essentiels ». Il exige et obtient, par ses pratiques et sa doctrine, qu’on « transforme la fidélité en infidélité, l’amour en haine, la haine en amour, la vertu en vice, le valet en maître, le maître en valet, la bêtise en intelligence, l’intelligence en bêtise ». Je paraphrase cette fois un texte célèbre de Marx (Manuscrits de 1644, in Œuvres, t. II Economie 2, trad. fr. , Paris Gallimard, p.117-118). L’Etat argent devient alors une des grandes figures, la plus redoutable et la plus criminelle, « de l’imposture, et cela à plusieurs niveaux : 1) imposture sur la valeur ( il peut rendre précieux ce qui ne l’est pas..) ; 2) imposture sur la relation ( il peut donner de l’importance ou du respect a qui n’en mérite pas en procurant une position) ; 3) imposture sur le temps (en acquérant en un instant ce qui exige autrement de très longs efforts). – Ce qui permet une telle imposture, c’est le pouvoir de l’argent d’être un substitut. Il peut tout remplacer et donc prendre toutes les places. Il est l’usurpateur par excellence, l’usurpateur ubiquitaire. Aussi est-il toujours lié au drame de la trahison. » (Marcel Hénaff, Le prix de la vérité, Seuil, Paris, 2002, p.25).
Que faire, devant la toute-puissance de cette incarnation de l’Agent de l’universelle trahison, face à la Tyrannie de l’argent, la seule possible aujourd’hui, sous des formes multiples plus ou moins grossières, mieux, sous des espèces aseptisées et rationalisées dans le capitalisme, avec ses moyens, ses collusions et ses propension à la maximisation du profit par tous les moyens efficaces. A quoi il faut ajouter son irrésistible penchant pour des rentes de situation, la production des inégalités et de la rareté, leur exploitation pour induire la différence de potentiel et le désordre qui permettent une croissance indéfinie ?
Il suffit d’ouvrir cette question sur trois faits élémentaires de notre condition : «les humains attachent une valeur très grande à certains des buts qu’ils poursuivent ; ils sont capables de calcul stratégique, c’est-à-dire de choisir les moyens qui leur semblent les plus efficaces pour atteindre leurs buts et pour déjouer les manœuvres de leurs adversaires ; et ils sont capables d’anticiper l’avenir afin de se prémunir contre toutes les menaces imaginables » (J.-P. Derriennic, Les Guerres Civiles, Presses de Sciences Po, Paris, 2001, p.14-15). A quoi s’impose un quatrième fait à créer : il faut réserver ses énergies à discuter, à proposer de construire à ceux qui acceptent le principe de la discussion, la possibilité d’apprendre et de changer dans le sens du plus rationnel, à la fois plus juste et plus efficace, sans la croyance mégalomaniaque qu’on a les moyens et la charge de convertir ceux dont la première et l’ultime raison est la force ou la violence. Il admettre l’éventualité banale que nous pouvons vivre dans un espace commun, sans constituer un corps politique, sans être tenus ensemble par un lien social, de contrat ou d’alliance.
Il ne reste qu’à croire que parmi ceux, très nombreux, qui sont encore des humains, des Camerounais ont la liberté coriace, qu’elle n’a pas été annihilée par « l’habitude du malheur » et de l’impuissance à agir, qu’ils sont prêts à affronter le démon tyrannique de la corruption, dont le nom est Légion ou Système. Ils savent désormais exactement à quoi ils ont affaire et à quoi s’attendre. Ils ont à déplacer les champs de bataille, à recadrer autrement toutes les questions, tous les problèmes. En restant dans le même cadrage, plus ils prétendront changer, plus ils feront la même chose, toujours moins bien que ceux qui ont blanchi sous le harnois du système de la corruption tyrannique ou de la tyrannie de la corruption.

Fabien Eboussi Boulaga

*Philosophe
Ce texte, publié dans les Cahiers de Mutations, a été amélioré par l’auteur


Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu

Selon Esquerre (2002), la manipulation désigne un rapport de pouvoir se rapportant au contrôle psychique d’une personne. Cette notion est dérivée du « lavage de cerveau ». Laurens (2003) parle de « l'existence d'une force quasiment irrésistible et qui pourrait nous pousser à faire ou à penser des choses que nous ne voudrions pas, une force qui pourrait même nous conduire à notre perte. Il y a, avec l'influence, l'idée d'une intrusion, d'un véritable viol de la conscience, de la volonté… qui semble pouvoir passer sous le contrôle ou la volonté d'un autre. Ce n'est plus moi qui veut ou qui agit, c'est la volonté d'un autre qui est entrée en moi et c'est un autre qui agit à travers moi (sentiment de possession) (1)» . Vu sous cet angle, l’étude de la propagande perçue comme communication politique relève beaucoup de faits manipulatoires au sens de l’analyse du discours. L’approche que nous privilégions dans cet article est celle de la pragmatique qui, de façon simple, étudie le sens caché, l’implicite, les non-dits ou les croyances (Ducrot, 1973, 1980, 1998). De façon plus scientifique, la pragmatique au sens de Moeschler et Reboul (1998a et b) étudie les intentions et les inférences issues d’une communication. Notre préoccupation est donc de retrouver dans la propagande au Cameroun, les non-dits qui déterminent le comportement des différents acteurs. En d’autres termes, notre matériau est l’imaginaire populaire des Camerounais face aux élections. Le postulat de base est que, d’une part, les réalités sous-jacentes sont la base des décisions apparentes et d’autre part, les faits consignés dans le langage sont des preuves historiques qui renseignent convenablement sur l’effectivité d’un acte dans la société ou d‘une pensée dans la représentation mentale. Pour dégager cette vérité sous-jacente afin de faire ressortir la manipulation, nous nous attelons à faire trois types de comparaison : transversale (entre ce qui est dit et ce qui n’est pas dit), normative (entre ce qu’on dit et ce qu’on devrait dire ou entre la réalité telle qu’elle est et telle qu’on croit qu’elle est) et longitudinale (entre ce qui se disait et ce qui se dit). Cela nous permet de structurer le travail en deux parties à savoir : les jeux de manipulation au niveau des acteurs de la propagande électoraliste et les enjeux sous-jacents de la manipulation au niveau rhétorique. Dans la conclusion, nous ferons la pondération des faits à l’aide des considérations scientifiques sur le sujet.

1. Les jeux de manipulation au niveau des acteurs de la propagande électoraliste
On peut représenter le triangle des acteurs (Knoepfel et al., 2006) de la propagande électoraliste au Cameroun de la façon suivante :
Le problème de départ est l’existence au sein de l’élite d’un sursaut pouvoiriste poussant les uns et les autres à vouloir devenir Président de la République. Ils sont à ce jour environ 500 Camerounais dans cette posture. Notre préoccupation est de montrer la manipulation qui ressort de la coaction entre les différents acteurs à savoir : les autorités politico-administravitives, l’élite socioéconomique et les électeurs. Les autorités politiques sont les leaders de l’opposition ou du pouvoir qui ont une emprise ou une responsabilité auprès du peuple. Les « élites » sont ceux des citoyens qui « présentent les signes apparentes du bien-être » et qui assurent la liaison entre les autorités politiques et les électeurs affamés. Et les électeurs sont ceux qui votent. L’hypothèse d’intervention est que si les autorités politiques veulent gagner les élections, alors elles s’approprient les « élites » et les électeurs pour leur faire un « lavage de cerveau ». Cette coaction crée des lésés au rang desquels la société civile qui défend la cause des défavorisés et les populations nécessiteuses, non-électeurs, qui sont victimes de la politique du Njangui selon laquelle « on n’est rien tant qu’on n’a pas quelqu’un situé quelque part (élite) ». La pratique de la propagande consiste pour les autorités politiques à utiliser la promesse sensationnelle comme principal outil de communication auprès de l’élite et des électeurs. Cette propagande est essentiellement électoraliste parce que dans l’exercice du pouvoir et dans la mise en œuvre des actions publiques, le constat est que les politiques sont tout le temps dans des calculs électoraux.
Du côté de l’opposition, le discours public se cristallise autour de la transparence du processus électoral et en même temps, les projets alternatifs se font rares. Par exemple, il est difficile, en 20 ans d’opposition, de relever avec exactitude le programme économique du Social Democratic Front, le principal parti d’opposition au Cameroun. Du côté du pouvoir, on constate à travers les prises de parole du Président Biya qu’il ne s’adresse pas au peuple : il s’adresse à l’élite qui est le prescripteur du choix électoral des villageois. Cela se voit par exemple dans son registre de langue très soutenu qui ne peut être accessible qu’à cette catégorie de la population. D’ailleurs, au cœur des « émeutes de la faim » en février 2008, il les a qualifiés d’« apprentis sorciers » lorsqu’elles ont mis à mal son pouvoir par opposition aux « bons sorciers » lorsqu’elles sont ses facilitateurs. En effet, dans les villages, on ne vote pas Biya puisqu’on ne le connaît pas avec ses déplacements quasi inexistants à l’intérieur du pays : la masse affamée vote l’élite qui vient lui donner « le mangement et le boivement ». La manipulation à ce niveau consiste à activer le levier de la realpolitik camerounaise (« politics na njangui ») présenté par le promoteur Simon Achidi Achu comme le fait pour l’élite de prescrire Paul Biya, le seul en mesure de compenser ou de rétribuer en retour « le seul bon choix » du peuple (Kakdeu, 2010a). Ainsi, à travers les promesses sensationnelles, on fait miroiter à l’élite une rétribution financière, un poste de nomination ou tout autre « avantage de toute nature prévu par la réglementation en vigueur ». Et cette dernière, à son tour, s’en va faire miroiter aux villageois en addition à la « politique du ventre », les projets des « Grandes ambitions » : route bitumée, électrification, adduction d’eau, etc. Ceci signifie qu’il y a deux types de citoyens au Cameroun : ceux qui « joue le jeu du Njangui » afin de bénéficier des actions publiques ordinaires et ceux qui refusent ce jeu du pouvoir et sont des laissé-pour-compte. D’ailleurs, dans l’imaginaire populaire, on dit que les politiques publiques ont « l’œil [pour discerner] ».
Le tiers-gagnant (profiteur) de la manipulation électoraliste est la communauté internationale. Selon le sort réservé à ses intérêts économiques, cette dernière intervient en tant qu’humanitaire ou en tant qu’impérialiste. Dans tous les cas, elle actionne sur le levier du « droit d’ingérence » ou sur celui des « crimes contre l’humanité » pour positionner le « candidat pro-occidental » encore appelé « candidat de la démocratie » ou mieux « candidat civilisé ». En effet, il s’agit de ceux qui sont appelés dans l’imaginaire populaire « candidat de l’étranger ». Dans ce sens, la communauté internationale ou « forces extérieures » apporte ce que l’imaginaire se représente comme étant des « soutiens extérieurs ». Ces assertions sont difficilement vérifiables puisque la réalité des faits appartient aux réseaux diplomatiques très connus sous le label de « coopération ». Toutefois, il en résulte que le candidat qui remporte les élections est celui qui dispose du soutien de l’étranger. La manipulation à ce niveau consiste à faire croire aux Africains qu’ils sont la cause de leurs propres malheurs. En 2007 à Dakar, ce sentiment a été nourri par le discours du Président Sarkozy dont le pays est accusé d’être le propriétaire des « néo-colonies en Afrique», de faire « le gendarme d’Afrique » et de perpétuer la « Françafrique [Afrique-France] » (Verschave, 1999). Dans un contexte où certains historiens constituaient des preuves pour demander l’indemnisation de l’Afrique victime des « crimes contre l’humanité » commises pendant la colonisation et où certains hommes politiques, y compris Jacques Chirac, demandaient la « libération » de l’Afrique, il répliquait que le problème de l’Afrique résidait plutôt dans le fait que les Africains eux-mêmes n’étaient pas encore « entrés dans l’histoire ». Il s’agissait de cette stratégie de la communication de l’aire d’actualisation de la « langue de bois » (Boyomo Assala, 2001) et de la « promesse intelligente» (Kakdeu, 2010a) qui consiste entre autres à accuser en premier.
Dans les faits, les activistes qui se constituent « partie civile » auprès des Nations Unies ou des tribunaux français contre les « biens mal acquis » ou « les crimes contre l’humanité » jouent le jeu en ce sens que toutes ces « massacres » profitent plutôt aux « Forces extérieures ». Sinon, d’où vient-il que l’Occident soit la plateforme des blanchiments d’argent ? La vérité est qu’un étranger ne peut pas investir dans un pays occidental s’il n’est pas en possession d’un passeport valide de ce pays ou tout au moins d’un titre d’établissement. Cela veut dire que les gouvernements occidentaux ne peuvent ne pas être complices des faits reprochés aux « dignitaires » africains. La manipulation consiste à toujours faire parler des « voleurs » sans jamais faire parler « des receleurs ». Il est clair que si les « Forces extérieures » cessaient l’activité de recèle, le vol baisserait substantiellement en interne. Le coup de bluff consiste à vouloir faire juger les « voleurs » par les « receleurs ». Dans ce genre de procès, ces derniers ne peuvent que surfer dans le sens de leurs intérêts qui sont souvent drastiquement opposés à ceux des Africains. Ce fait consolide l’opinion de ceux qui pensent que « l’Occident donne l’aide au développement avec la main droite et récupère avec la main gauche ». Dans ce sens, les chefs d’Etat de l’Afrique Noire Francophone par exemple seraient simplement des agents chargés « d’endetter leurs pays » d’une part et de « rapatrier »l’aide au développement vers la France d’autre part. Ce faisant, ces derniers se « servent » aussi. On relève dans l’imaginaire populaire au Cameroun, la représentation de cette pratique selon laquelle lorsque « le Chef demande de prendre un million, on en prend deux et on coupe sa part sur ça en cours de route ».
Une autre manipulation au niveau de la communauté internationale consiste à condamner les « putschistes » sans faire la lumière sur le financement des putschs. De même, on classe l’Afrique dans le registre des « calebasses cassées » avec ses guerres fratricides sans insister sur l’origine des armements lourds utilisés et surtout sur leur mode d’acheminement jusqu’aux fronts. L’Afrique est surtout perçue comme le continent des misères et de la famine pourtant, paradoxalement, l’essentiel des économies africaines sont agricoles. Personne n’insiste sur le sort des devises africaines en Occident avec les 50% utilisés pour garantir ce que certains appellent « une monnaie forte [franc Cfa] ». Personne ne trouve anormal que les agriculteurs meurent de faim. Pour qui cultivent-ils ? On sait par exemple que Thomas Sankara a payé de sa vie ses revendications au rang desquelles celle selon laquelle les « hommes intègres » devaient d’abord cultiver ce qu’ils consomment (Kakdeu, 2010b). La question qu’on évite sous prétexte qu’elle est une « aberration » est celle de savoir à quoi sert la culture du café et du cacao aux Africains puisque le produit des ventes ne permet pas de satisfaire les populations. Ces dernières feraient mieux de cultiver prioritairement ce qui entre dans leurs habitudes de consommation afin de supprimer une partie de « l’aberration » ou de « l’assujettissement » contenus dans « l’aide au développement ». L’imaginaire issu de la domination occidentale fait aussi état de ce que l’Afrique est un continent sous-développé. Les Camerounais pour leur part ne comprennent pas entre autres pourquoi le régime Biya ne dote pas le pays des infrastructures modernes. L’opposition au régime consiste à dire que « Biya n’a rien fait depuis 28 ans ». Toutefois, dans les faits, on ne peut ne pas reconnaître qu’il n’y a pas de banque centrale au Cameroun et que par conséquent, un chef d’Etat n’a pas de planche à billets à sa disposition comme en Occident. On constate qu’en deux ans de règne seulement, le Président Américain, Barack Obama, qui a obtenu le « Prix Nobel de la paix par le simple fait d’avoir été élu », a déjà par deux fois fait recours à la planche à billets pour relancer son économie. Un Président de la zone du franc CFA peut-il faire pareil ? La manipulation dans la propagande électoraliste consiste pour le pouvoir d’éviter les questions de la monnaie (Tchundjang Pouemi, 1979) tout en parlant des « Grandes ambitions » et pour l’opposition, de faire la promesse sensationnelle d’un monde idéal sans proposer une solution à l’équation du financement. Le remède « passepartout » à toute question de financement est la lutte contre la corruption : «On paie les impôts ! Si on prend tout l’argent qu’on vole, ça suffira pour construire notre pays ». Il ressort de toutes les exagérations de chiffres que la corruption et le détournement des deniers publics causent au Cameroun une perte annuelle d’environ 1000 milliards de Francs Cfa. Mais, dans les faits, cela suffit-il pour résoudre tous les problèmes du pays ? L’arrivée de l’opposition au pouvoir changera-t-elle les 150 000 fonctionnaires corrompus d’un bâton magique ? Que fera-t-elle si les gens continuent de voler dans leurs bureaux respectifs ? En effet, cette situation est plus complexe et personne ne s’y penche. Le Président ivoirien Laurent Gbagbo qui pensait du temps de l’opposition que l’Etat avait toujours l’argent dit que c’est en tant que Président qu’il comprend beaucoup de choses2 .

2. Les enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste
Au Cameroun, deux hypothèses se présentent pour une alternance éventuelle. Soit le graphique du calcul électoral suivant :
Tout d’abord, il faut rappeler que nous traitons du volet sous-jacent des institutions démocratiques en place. Ainsi, nous voyons comme première hypothèse liée au fonctionnement normal de la démocratie camerounaise celle selon laquelle la victoire électorale appartient à celui qui capitalise le plus grand nombre d’élites. C’est la courbe verte de notre graphique qui retrace la part « confortable » du pouvoir en place. En effet, pendant les présidentielles de 2004, on avait observé l’élite politico-administrative et socioéconomique acquise à la cause du Pouvoir s’activer sur le terrain, par des moyens légalement discutables, pour faire inscrire les leurs sur les listes électorales. Cela signifie que, par ses capacités de prescription, l’élite est une pièce maîtresse dans le jeu électoral basé sur le fichier actuel. A cet effet, si l’opposition veut gagner, alors elle s’approprie les « élites » ou elle s’active pour inscrire à son tour ses partisans sur la liste électorale. Malheureusement, on constate que le principal parti d’opposition camerounais, le Social Démocratic Front, n’est pas engagé sur cette voie au vu de ses vagues de démission depuis 1994 et de sa « politique de la chaise vide » ou du boycott.
Dans cette démocratie électoraliste, le groupe des bénéficiaires des politiques publiques est divisé en deux : les électeurs (importants) et les non-électeurs (inutiles). Le premier mensonge de ceux qui brandissent la démocratie comme une institution parfaite et une solution « miracle » à tous les problèmes du peuple se trouve dans ce fait que seuls les électeurs (minorité) comptent aux yeux des autorités politiques et le reste de la population (majorité) est « hors jeu ». Il faut dire clairement qu’au Cameroun, tous ceux qui ne sont pas inscrits sur une liste électorale (près de 13 millions de personnes) sont inutiles dans le jeu politique actuel. Ils peuvent marcher voire même « courir » sans que cela ne soit déterminant dans le décompte final pour l’alternance ou pour le changement social. A ce titre, tous ceux qui soutiennent le boycott des élections à travers leurs propagandes sont largement critiquables. De même, les activistes qui agitent l’opinion à partir de la diaspora sont inutiles parce qu’ils sont souvent en possession des passeports étrangers et à ce titre, ils ne peuvent pas participer au processus électoral avec l’état actuel de la loi sur la nationalité. De façon très astucieuse, le Pouvoir les tient dans le refus de la double nationalité.
C’est pourquoi, dans une seconde hypothèse, tout porte à croire que l’opposition mise sur l’activation du levier du sensationnel pour obtenir l’alternance tant souhaité. Comme le présente Kakdeu (2010a), la stratégie semble être d’enflammer la population pour exploiter ou provoquer une situation humanitaire susceptible d’être brandie au niveau de la communauté internationale comme acte de violation des droits humains. En effet, l’on observe à travers les actions de certains activistes à Washington, Bruxelles, Paris ou Londres qu’une certaine opposition cherche en vain à attaquer le Président Biya sur le terrain des « crimes contre l’humanité » et des « biens mal acquis ». La question n’est pas celle des conditions de vérité des faits mais, celle de l’exploitation qu’on en fait. En effet, si l’on arrive à créer 150 morts au Cameroun comme en Guinée par exemple, il est clair que la communauté internationale se saisira du dossier et le résultat sera l’isolation des autorités camerounaises ou la menace de poursuites devant la Cour Pénale Internationale. C’est la courbe rouge du graphique ci-dessus qui est une situation à laquelle le pouvoir est mal préparé et dont on doit s’en préoccuper.
Quand on considère la gestion catastrophique d’un « petit » dossier comme celui de « Bibi Ngota »3 , on constate que le pouvoir est précaire et qu’il ne prend pas suffisamment la mesure de la menace que constitue l’opinion. Le Cameroun s’avance vers une situation dans laquelle il y aura de plus en plus de provocations et de plus en plus de répressions. La manipulation consiste pour l’opposition à choisir délibérément, dans un contexte de démocratie électoraliste, la provocation sensationnelle et mortelle comme principale arme de conquête de l’alternance. Dans un monde où être « mouillé c’est mouillé, il n’y a pas de mouillé-sec4» et avec une administration où « tout le monde est mouillé », il n’est pas logique pour le Pouvoir en place de résister à la rupture dans la conduite des affaires de la Nation et de vouloir en même temps faire face aux tentatives de provocation ambiante. Ainsi, si Paul Biya veut éviter au Cameroun un éventuel drame, alors il change de veste lors de sa propagande électorale et se met dans la posture de la « Rigueur et de la Moralisation » qui est plus que jamais d’actualité. Malheureusement, en l’état, tel ne semble pas sa préoccupation car, les inférences qui émanent de sa propagande font état de ce qu’il travaille plutôt sur la dissimulation de son dauphin ou de la carte de sa succession.
En effet, il a réussi avec tact à dévier le débat sur la modification de la Constitution autour de sa personne alors qu’actuellement, un boulevard a été construit pour porter le successeur constitutionnel au pouvoir. Quand on regarde les événements ayant marqué la fin du régime du Président Ahidjo, on se rend compte que le même scénario est en train de se dérouler et personne n’en fait cas. La force de la propagande du Président Biya réside dans le fait qu’il réussit à détourner l’attention de tout le monde vers sa pérennité au pouvoir malgré son âge avancé. Au rang des actions qui marquent la fin des régimes politiques au Cameroun depuis Ahidjo, on peut citer : l’intensification injustifiée de la diffusion des motions de soutien et des appels à candidature, la simulation des menaces d’insécurité permanente justifiant la modification de la Constitution et l’attribution de la « carte joker » de la succession au chef de l’Etat, la vague de nomination des ambassadeurs permettant de récompenser les fidèles du régime, le positionnement politique du dauphin à l’intérieur du parti, etc. C’est ce cacique qui a porté le Président Biya au pouvoir et qui, vraisemblablement, va régir sa succession. La propagande du Président, maître du jeu au sens de la révision constitutionnelle, s’active à dissimuler les cartes. La succession au Gabon a permis de constater l’importance du ministre de la défense qui avait fermé les frontières jusqu’à sa désignation, forcée ou non, comme candidat du Parti. Les farces de la propagande consistent à reverser toutes les attentions sur les gens comme « Atango5» sans qu’il ne soit possible de montrer comment ce dernier était sur la voie d’une éventuelle alternance démocratique car, tout se joue au parlement, au bureau politique du Rdpc ou au ministère de la défense avec la pression des armes. Ce serait original dans un contexte de l’Afrique noire Francophone de vivre un cas où « l’argent » conduit au pouvoir. Dans un cas comme dans l’autre, le danger de la démocratie électoraliste est que le peuple, qui devrait être bénéficiaire des actions publiques, se retrouve en train de discuter une place parmi les tiers-perdants. Et plus on la met en œuvre en Afrique, on observe plus de « paupérisation anthropologique » (Mveng, 1992) alors que les Dragons de l’Asie6 s’envolent vers l’atteinte des Objectifs du Millénaire.

Conclusion
Nous pensons, en ce qui nous concerne qu’il faut pondérer les faits. Selon Duradin (1982), la propagande est un mensonge parce qu’il s’agit d’une forme de communication qui implique l’utilisation des procédés d’ajout, de retrait ou de modification de l’information. En d’autres termes, la communication politique conçue comme propagande est un enchaînement de mensonges constants qui permet aux acteurs de défendre leurs idéologies : ils minimisent, ils maximisent ou ils déforment les faits. Le problème qui se pose est que la propagande camerounaise se concentre, de part et d’autre, sur la promotion des hommes et non sur la promotion des modèles de société identifiables. La préoccupation des acteurs est de faire gagner les élections et non de provoquer le changement social. La manipulation à ce niveau consiste à faire croire au peuple qu’il existe une connexion évidente entre l’alternance et le développement. Sur la base de ce qui s’observe en Afrique Noire Francophone jusqu’à nos jours, l’imaginaire populaire a coutume de dire que cela « ne profite qu’à ceux qui sont en haut et à leurs familles ». Cette posture expliquerait aussi l’importance des taux d’abstention observée lors des élections.
Nous avons constaté que le débat politique sur l’opérationnalité des programmes politiques n’était pas intéressant au Cameroun. Dans la promesse du « sofa don finish » par exemple, on ne dit pas comment le « sofa go finish ». De nos jours, les hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, se pressent de dire l’idéal qui fait élire sans se préoccuper de la résolution du réel qui est impopulaire. C’est une démarche typiquement populiste (Rieux, 2007) qui devrait amener les Africains en général à s’interroger sur ce qui est nécessaire pour eux entre : l’alternance ou le développement. Dans la pratique, la propagande électoraliste qui promeut un homme s’est avérée très néfaste pour le changement social. En Afrique Noire Francophone, on remarque que cette pratique profite plus aux clans politiques et aux forces extérieures qu’aux populations nécessiteuses. Pour l’épanouissement des peuples à long terme, la propagande devrait changer de camp et se concentrer sur les modèles de société bâtis sur le réel.
A ce sujet, on peut déplorer que depuis la publication de son livre sur le libéralisme communautaire en 1987, Paul Biya n’en ait plus reparlé explicitement. En 2004, il a parlé des « Grandes ambitions pour le Cameroun » lors de sa campagne pour les présidentielles sans dire en quoi les ambitions en elles-mêmes constituaient une réelle idéologie politique ; on constate que ce slogan de campagne est arrivé au même moment que le Président Camerounais inaugurait une nouvelle façon de communiquer à savoir : « la promesse intelligente à connotation électoraliste » (Kakdeu, 2010a). Ainsi, il s’est offert un grand panier lui permettant de ramasser tout ce qui était de l’ordre du possible au Cameroun sans se préoccuper de la cohésion de leur opérationnalité. A travers ce projet, la fuite en avant consiste à énumérer les états d’une société idéale (ambitions) sans avoir à convaincre sur les processus et les procédures à mettre en œuvre pour y arriver. Du moins, depuis son accession au pouvoir, il règne par les procédés de politesse (Kerbrat-Orecchioni, 1996, 2005). Comme tous ses pairs de l’Afrique Noire Francophone, il ménage avec succès la face des différents acteurs (Kakdeu, 2010b). L’opposition n’a pas une grosse marge de manœuvre dans ce jeu. Du coup, il joue sur le levier du sensationnel pour conquérir le pouvoir. Cette bataille égoïste ne va pas aider le Cameroun dans les années à venir.

Louis-Marie Kakdeu

* Spécialiste en Analyse du discours et en évaluation des politiques publiques
Consultant, Afrikcom Sarl
Notes
1- http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1342
2 http://www.france24.com/fr/20080605-entretien-laurent-gbagbo-president-cote-ivoire-exclusif
3 Il s'agit de la tourmente créée par la mort tragique du journaliste camerounais à la Prison Centrale de Kodengui à Yaoundé en 2010 des suites du Sida d’après le régime en place.
4 Imaginaire repris par l’Artiste-Musicien Aïe-Jo Mamadou
5 Il s’agit de Jean-Marie Atangana Mebara, ex-ministre d’Etat secrétaire général de la Présidence de la République du Cameroun, actuellement en Prison et accusé dans l’imaginaire populaire d’être à la tête d’un « G11 » qui amasserait de l’argent pour prendre le pouvoir.
6 Ces pays prospèrent sont accusés par l’Occident de ne pas respecter la démocratie.
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50 ans après : quel avenir pour nos forces de défense?, par Adrien Macaire Lemdja
Le cinquantenaire des forces de défense et de sécurité a été commémoré le 08 décembre 2010 à Bamenda . Ainsi en ont décidé nos autorités. 50 ans dans la vie d’un Etat et de ses institutions est certes une durée relativement courte pour dresser un bilan complet et définitif mais il n’en demeure pas moins qu’elle est assez longue pour s’y appuyer afin d’entrevoir les améliorations que nous pouvons leur apporter.

Si nos forces de défense ont été bâties depuis 50 ans autour de l’honneur et de la fidélité, l’évolution du Monde, de l’Afrique et de notre sous-région impose qu’elles dépassent cette devise originelle.
En effet, le Cameroun :
- occupe une position stratégique en Afrique centrale et est la porte d’entrée du golfe de guinée riche en ressources halieutiques et pétrolières.
- contribue à lui tout seul à la moitié du Pib de la Cemac et fait contre poids au géant nigérian.
- offre une stabilité apparente qui contraste avec les soubresauts que connaissent les pays qui l’entourent.
Pour consolider ces paramètres stratégiques, nos forces de défense doivent donc faire face aujourd’hui à un triple défi :
- Assurer l’intégrité des frontières terrestres poreuses du pays en répondant aux menaces dites de « basse intensité » qu’engendrent les différents conflits de la région, protéger l’espace aérien contre l’intrusion d’aéronefs hostiles ou transportant des produits prohibés, maintenir la sécurité maritime indispensable au commerce international.
- Devenir plus que jamais une armée républicaine, un creuset de la nation, respectueuse non seulement des institutions mais aussi des droits de l’homme.
- Participer au développement du pays (constructions d’ouvrages), intervenir en cas de catastrophes (inondations, épidémie, évacuations, sauvetage etc ….)
Faire désormais face, de manière simultanée, à des situations multiformes.
Ce triple défi qui appelle à une nouvelle définition des missions de nos forces de défense dans le cadre d’une doctrine militaire profondément remaniée s’impose à nous en raison de nos rapports modifiés avec notre principal partenaire en matière de défense, la France (nouveaux accords de défense et intégration progressive de ce pays dans l’Otan) et de la dimension désormais multilatérale de la sécurité dans le monde
Pour atteindre un tel objectif, un nouveau concept stratégique doublé d’un concept géopolitique doit être défini dans le cadre d’un livre blanc sur la réforme de nos forces de défense.
L’analyse des risques, des menaces, potentiels et/ou avérés nous aidera ensuite à élaborer notre politique de défense, à adapter notre diplomatie dans le cadre de ce concept stratégique.
Pour l’heure, les foyers de tension sont nombreux.
Après la rétrocession de Bakassi, les actes récurrents de piraterie maritime de la part d’une nébuleuse de mouvements tantôt du Nigéria tantôt du Cameroun créent une instabilité dans une zone dont l’exploitation des richesses pourrait permettre à notre pays d’accélérer son émergence. Le conflit tchadien a engendré depuis des années la prolifération d’armes légères qui alimentent elle-même le phénomène des coupeurs de route dans le septentrion. Les éléments démobilisés du mouvement du rebelle congolais Mbemba, errent à la frontière centrafricaine semant parfois terreurs et désarrois derrière elles. L’enlèvement d’un opposant équato-guinéen sur notre territoire par les services de notre voisin, son évasion puis son retour dans notre pays, ces derniers jours, soulève le problème de la gestion des flux migratoires entre nos deux pays et les tensions qui peuvent en découler. Nos forces de défense peuvent-elles entreprendre l’évacuation de nos concitoyens en cas d’urgence ?
Nos territoires limitrophes des frontières sont progressivement grignotés par nos voisins, en l’absence de démarcation claire et surtout faute de politique de développement de ces contrées oubliées. L’organisme chargé de gérer ses problèmes ne donne que très peu de lisibilité à ses actions.
Le plan de développement des territoires frontaliers d’un montant de 240 milliards de FCfa, imaginé par le gouvernement avec le concours de nos partenaires bilatéraux, tarde à produire ses fruits, tant la mobilisation des ressources est difficile mais lorsqu’elles existent, leur gestion ne résiste pas aux maux que connaît notre pays : lenteur bureaucratique, corruption, inertie, gabegie etc …
Il n’est donc pas rare de voir souvent les populations voisines et les autorités des pays voisins hisser leurs drapeaux sur notre territoire, faire la police, collecter les impôts tout en brutalisant nos compatriotes.
L’assèchement du lac Tchad a accentué ce phénomène de transhumance entre le Tchad, le Niger, le Nigéria et le Cameroun et dont la persistance, sans régulation, constitue une source de conflagration future.
Le Cameroun a été victime ces derniers mois de catastrophes auxquelles nos forces de défense auraient pu faire face en apportant leurs précieux concours. Qu’ils s’agissent des inondations dans la région de Pouss, de l’épidémie de choléra dans l’Extrême Nord où l’assainissement, la construction des forages, des latrines publiques auraient pu s’effectuer par le génie militaire. Le soutien des services de santé de nos forces de défense aux côtés de leurs collègues civils n’aurait pas été de trop. De la construction du pont sur le Nkam à Yabassi dans les années 70 à celle de la route menant à Isanguelé, en passant par les casernes et la réfection de la tribune du 20 Mai à Yaoundé, notre génie militaire a toujours fait preuve d’expertise et peut mieux faire encore pour peu qu’on lui en donne les moyens. Si celui-ci disposait de ponts flottants pour le franchissement, l’incident du Bac de Natchigal aurait trouvé une solution provisoire avant la fin de la réhabilitation du pont d’Ebebda. Le comice agro pastoral d’Ebolowa tout comme certains travaux liés à la commémoration de ce cinquantenaire aurait dû être des terrains d’expression de leur savoir faire mais hélas.
En fait, l’organisation, le déploiement et l’équipement actuels de nos forces de défense répondent plus au besoin d’assurer l’ordre constitutionnel.
Autrement dit de faire face à une menace de déstabilisation du pouvoir qu’elle soit interne et/ou externe. L’utilisation des forces de troisième catégorie pour lutter contre la montée de la criminalité dans les grandes villes (commandement opérationnel) ou stopper les émeutes de Février 2008 a implicitement validé cette option.
Un livre blanc qui intègre les éléments sus évoqués, pour réorienter notre politique de défense, s’avère aujourd’hui indispensable.

Quelle organisation proposer?
L’esprit, le fonctionnement, l’organisation et les règles d’engagement de nos forces de défense ont été hérités du contexte dans lequel elles firent leur baptême de feu.
Un commandement par gouvernorat militaire devrait être mis en place. Au gouverneur civil de la région, on aurait un gouverneur militaire comme interlocuteur pour les questions de sécurité et d’ordre.
Chaque gouvernorat disposerait d’une ou plusieurs unités d’intervention rapide BIR pour les questions de sécurité militaire et Big (bataillon d’intervention du génie) pour des opérations de sécurité civile avec les moyens de projection adéquats (avions, - - de récréer un lien distendu entre notre armée et la nation,
- de permettre à nos concitoyens d’apprendre la discipline, la rigueur, la morale tant galvaudés ces dernières années,
- d’apprendre à servir qu’à se servir,
- de se former à de nouveaux métiers pour ceux qui ont perdu l’espoir d’en avoir un etc
Avec quels moyens?
La mise en œuvre d’un tel chantier nécessite non seulement des moyens conséquents mais aussi de la durée.
A l’instar des plans quinquennaux qu’il est nécessaire de réhabiliter et revisiter en économie, il est important de définir une loi de programmation militaire après une évaluation concrète des ressources humaines, matériels, casernes dont nos forces armées ont besoin.
Les membres de ce corps doivent bénéficier des conditions de vie adéquates pour accomplir efficacement leurs missions, dans la discipline et le respect des droits des citoyens.
A l’observation du nombre de soldats circulant dans nos grandes villes, parfois sans ordre de missions, l’on pourrait se poser les questions suivantes :
- Nos dirigeants connaissent-ils vraiment en temps réel le nombre d’hommes en tenue à leur disposition ?
- En cas de mobilisation surprise pour évènement imprévu, comment s’attèleront-ils à alerter et rassembler ses hommes en tenue dispersés dans la nature ?
Une solution passerait par le lancement par exemple d’un vaste programme de construction de casernements afin :
- d’offrir aux éléments de nos forces armées, de réelles conditions de vie et de travail,
- de rapprocher les hommes de rang de leurs chefs (tous habiteront la caserne sauf exception),
- de renforcer la discipline, la rigueur et la morale un peu malmenées ces dernières années,
- d’accroitre l’efficacité de leur intervention en cas de mobilisation.
Il faudrait améliorer et multiplier les structures de type coopérative dans les domaines de la couverture médicale, l’éducation, l’approvisionnement et la finance afin d’arrimer nos vaillants soldats et leurs familles à la vie moderne, de réduire les risques de paupérisation de la troupe et les tentations d’affairisme et de corruption.
La gestion des carrières dans nos forces de défense doit retenir également l’attention de nos responsables.
En effet des passerelles entre les carrières militaires et celles de la société civile doivent se multiplier. La professionnalisation implique une formation soutenue dans les domaines variés. Les militaires après la fin de leur contrat pourraient mettre à profit leur compétence cumulée au service du développement du pays.
En développant des centres de recherches au sein de l’institution militaire, on pourrait booster la recherche scientifique nationale et inversement.
Notre pays a atteint l’âge de la maturité pour lancer sa propre industrie militaire afin de réduire les importations dans le domaine (tenues, bottes, munitions, etc…)
Nous devons par ailleurs renforcer la souveraineté de notre Etat dans certains secteurs clés de notre sécurité tels que les télécommunications.
- Organiser régulièrement des manœuvres militaires nationales dont nous n’avons plus eu d’échos depuis fort longtemps puis multi nationales avec nos partenaires régionaux et d’ailleurs (France, Etats-Unis) afin d’accroître nos capacités opérationnelles et l’interopérabilité de nos forces de défense.
- Accroître de façon significative notre participation aux opérations de maintien de la paix dans le cadre de la Cemac, l’Ua et de l’Onu afin :
- D’aguerrir nos soldats au respect des droits de l’homme,
- De promouvoir l’interopérabilité de notre armée avec celle des pays amis dans un contexte où la sécurité et la défense ne s’appréhendent plus simplement au niveau national.
Tout cela implique des hommes et femmes de bonne moralité recrutés selon des critères rigoureux, bien formés, bien équipés et surtout bien entrainés. Nous y arriverons par :
- La formation multilatérale dans les écoles nationales à vocation régionale (Envr) telles que le Cours Supérieur Interarmées de Défense (Csid) de Simbock, le Pôle Aéronautique National à Vocation Régionale (Panvr) de Garoua, le Centre de Perfectionnement aux Techniques de Maintien de l’Ordre (Cptmo) d’Awae, l’école internationale des forces de sécurité (Eiforces) et d’autres encore.
- La création de lycées militaires préparatoires ayant pour vocation d’inculquer l’esprit de discipline, forger une moralité exemplaire aux jeunes camerounais désireux d’entrer éventuellement dans nos forces de défense. Si tel était le cas aujourd’hui, ces établissements auraient servi de véritables viviers pour le recrutement des 1900 commandos, annoncé récemment par le Mindef.
- Le passage de l’école nationale polytechnique sous la tutelle du ministère de la défense sans pour autant modifier son fonctionnement actuel.
Il s’agit d’un vaste chantier auquel n’échappera aucun gouvernant dans les prochaines années si nous souhaitons « sanctuariser » notre territoire face aux diverses menaces puis jouer le rôle de leader que confère la position géostratégique et le potentiel de notre pays sur l’échiquier sous régional et africain.
Adrien Macaire Lemdja
* Consultant international en Finance


La crise des valeurs au miroir de l’école camerounaise, par Hilaire Sikounmo
Dans son ouvrage Pour le libéralisme communautaire, Paul Biya affirme que l’institution scolaire devrait être largement accessible à toutes les couches de la population et que l’effort de démocratisation de l’enseignement devrait faire en sorte que les villes et l’arrière-pays soient dotés de meilleures écoles afin de garantir l’égalité de chances entre les fils du Cameroun. Aussi soutenait-il que l’école devrait être le creuset des valeurs. Plus de 25 ans après, la réalité est autre. Et pour cause !

- Le premier stigmate du régime Biya dans le domaine de l’enseignement se signale par une volonté sourde de démembrement émiettement ; d’un seul ministère de l’éducation on en a fabriqué trois : Éducation de Base, Enseignements Secondaires et Enseignement Supérieur. L’Institut de la Recherche universitaire est passé ministère plein.
- 1992-94, cyniques baisses assassines des salaires, beaucoup plus ressentie dans l’enseignement que partout ailleurs, métier sans à-côtés ni considérations sociales compensatrices pour la grande majorité de ses pratiquants, les pédagogues « craie en main ». Émergence quasi spontanée des syndicats de lutte active, pour la plupart bidon ou à la longue dynamités par de massives infiltrations si ce n’est du fait de l’extrême vanité, du souci morbide de gloriole personnelle chez le petit nombre des cadres restants. Résultat prévisible, inévitable : plus de mouvement possible de grève dans l’enseignement secondaire depuis 2002, alors qu’au départ c’était le point focal de la contestation musclée.
Autres effets pervers sur l’école de la sévère crise salariale aggravée : montée en flèche des déperditions scolaires, dislocation des foyers en ruines, multiplicité des familles monoparentales, des enfants de rue, intensification croissante du grand banditisme, ...
- 1994, les premiers effets déprimants sur l’école de la journée continue : échecs records aux différents examens à partir de 1995 ; par la suite, l’embellie observée n’est que de façade, elle est surtout affaire de tripatouillages devenus par trop réguliers, officiels bien que exclus des discours publics des Responsables de l’Éducation. Puis, début des transes collectives dans les Établissements, phénomène devenu endémique et particulièrement voyageur à travers le territoire national. Jusqu’ici aucune enquête sociologique n’a été publiée ou tout simplement engagée sur cette autre pandémie de la Conjoncture. Ce qui fait le lit de meurtrières superstitions que parfois l’État cautionne maladroitement par des sanctions administratives à la va-vite.
- Recul rampant de l’État dans le financement de l’école : les Frais Exigibles gagnent progressivement en substance ; cotisations à la gestion opaque, aux taux galopants, devenues illégalement obligatoires des Ape . A quand une redevance scolaire pour booster l’éducation nationale, à l’exemple de la Redevance Audiovisuelle qui ne sert - et médiocrement – que la propagande officielle, au lieu de favoriser l’avènement institué de l’information équilibrée au Cameroun.
- Démission éhontée de l’État qui a liquidé l’ancienne politique du livre scolaire : abandon à la ruine du Ceper pourtant conçu dans les premières années difficiles de l’Indépendance pour pourvoir tout notre système éducatif, de la maternelle à l’Université, en matériel pédagogique à moindre coût, tout en créant des emplois locaux, en faisant prospérer une maison d’édition ayant vocation à la promotion de la culture nationale. Les multinationales du livre ont réoccupé tout le terrain de l’édition, sans coup férir, profitant d’une politique de l’éducation sans visage, gangrenée de lâche corruption.
Marie-Claire Nnana, de Cameroon Tribune, s’est une fois penchée sur l’épineux problème pour constater que « dès le départ, la triple mission du Ceper était clairement définie : éditer les manuels scolaires et universitaires ; imprimer et distribuer ces ouvrages ; produire et diffuser le matériel pédagogique destiné aux réformes des enseignements, de même que les documents d’information scientifique et technique » ; dans l’espoir de pouvoir, à court terme, « réduire le nombre de manuels importés – pour lesquels l’État dépense des sommes colossales – et contribuer, par le livre, au rayonnement de l’authenticité de la culture camerounaise. »
Le défi était et demeure grand, le Cameroun étant le pays de l’Afrique noire le plus dépendant de la France dans le domaine du livre scolaire, ne rougissant guère de sa place de « 1er consommateur – et le 5e au monde – de livres français. Et 5% seulement des livres dont nous avons besoin sont édités chez nous. »
Vers la fin des années 90 le Ministre Charles Etoundi va tenter de prendre le taureau par les cornes, d’affronter « les Seigneurs du crime » , le dragon à mille insaisissables têtes, l’hydre tentaculaire des transnationales de l’édition intéressées par le marché camerounais. On connaît la suite ; nous sommes retombés plus bas que terre, sans même de quoi sauver les deux cents emplois du CEPER des années 80.
- Le degré zéro de l’offre de lecture publique : l’enseignement secondaire est de plus en plus dégarni quant aux œuvres inscrites au programme de littérature : les exemples de la classe de Première où l’on est passé de quatorze œuvres à trois, et de six à deux en Terminale. Certains livres y traînent des décennies durant, au point de faciliter la survenue de la sclérose mentale, et chez les nombreux pédagogues démotivés, et chez les apprenants poussés à des redoublements successifs par le contexte décapant de la Crise. Les bibliothèques scolaires sont vides de lectures attrayantes pour les enfants ou n’existent pas du tout pour la majorité des cas. Pourtant chaque élève verse au moins 400f par an pour l’équipement de la bibliothèque de son Établissement. Les municipalités qui offrent une alternative aux élèves en quête de culture générale sont plutôt rarissimes. S’il existe une bibliothèque nationale, on n’en parle pas beaucoup. Les quelques ambassades qui offrent à lire ont, pour la plupart, fait leur petit calcul, pour servir d’abord les intérêts de leurs pays.
- Bourgeonnement irresponsable, cancérogène de la carte scolaire ; inflation politicienne dans la création d’établissements non viables du tout, manquant jusqu’au tout premier bâtiment, aux premières salles de classe, même jusqu’aux élèves à scolariser. Sinon on recrute en sixième avec 02/20 de moyenne. On y envoie quand même du personnel dont manquent cruellement aussi des Établissements cinquantenaires. Cf. le cas du Ces de Waza en 1997, avec 77 élèves de la sixième en troisième, n’ayant pour tout personnel que le Directeur et un maître d’Eps. De nombreux indices font penser que la situation est allée en s’empirant comme en se généralisant depuis lors.
- Des diplômes de plus en plus au rabais, avec une foule d’admis tirés par les cheveux, au repêchage masqué depuis 1987 (une initiative du Professeur Georges Ngango qui a tellement prospéré par la suite!), en remontant à dix de moyenne toutes le sous moyennes repêchées, en général de 8 à 8,99, la moyenne « normale », habituelle, ayant été rabaissée à 9 depuis des décennies. Ainsi le relevé de notes aux examens du second cycle n’a plus rien de pédagogique, ne donnant plus d’information crédible sur le travail des candidats qui n’ont pas pu s’élever au-dessus de dix, c’est-à-dire la grande majorité.
C’est la même année 1987 que le Ministre agrégé d’économie prit sur lui de supprimer la fonction de Chargé de Mission aux examens du secondaire. Alors de nombreux chefs de centres d’examens, nommés essentiellement sur la base de la corruption, ne se firent par prier pour organiser la fraude à vaste échelle, ayant invité au festin de la falsification scolaire protégée même de nombreux candidats non préparés des centres très éloignés des leurs. Cf. à cet effet Le Messager n°s 142 et 144 de septembre 1988, de quoi vous faire une idée satisfaisante sur les « Irrégularités dans un centre d’examens scolaires 1988 ».
- Plus tard, suppression des épreuves orales dans les examens du secondaire, prétendument pour enrayer la corruption à ciel ouvert des examinateurs ; comme si la preuve avait été faite que tous les enseignants étaient corrompus. Néanmoins on devait s’apercevoir pas la suite qu’il devenait plus facile, par la méthode de substitution des copies dès les secrétariats d’examens, de faire passer une foule de candidats boiteux, aux poches pleines. Ainsi, la fin de l’oral venait de faire sauter le second filtre (après l’écrit) pour retenir la marrée haute des inaptes, surtout en langues où un bachelier camerounais d’aujourd’hui peut ne pas savoir soutenir la moindre conversation dans la langue d’enseignement d’abord, puis dans les « langues vivantes » étudiées au moins depuis cinq ans. Or la communication orale est vitale, notamment partout hors des salles de classe, toute la vie durant. C’est pour elle d’abord que l’on enseigne les langues, et il existe des langues non écrites qui restent bien vivantes, à l’exemple de la majorité des langues africaines en Francophonie.
- Un autre fléau survenu récemment c’est la suradministration de l’enseignement secondaire. On estime présentement à la moitié des effectifs globaux, le nombre d’enseignants formés et précipitamment installés dans les bureaux, parfois à un âge où ils ne savent encore rien des meilleures ficelles du métier. Il leur faut alors se battre continuellement, cors et âme, pour ne jamais avoir à retourner à « la galère » d’une salle de classe : le premier Établissement qui me vient à l’esprit avait été ouvert en 1969 avec un seul Censeur, ayant un rayon d’action provincial, et même national pour ceux qui savaient jouer des coudes pour faire admettre leur progéniture à l’internat ; il avait fonctionné ainsi jusqu’au début des années 90. Il est en ce moment pourvu, entre autres ruineuses superfluités, de six censeurs pour faire à peu près le même travail qu’il y a vingt ans. On vide de la sorte les classes, pour pouvoir surtout monnayer plus grassement les nominations.
J’aperçois cet autre Lycée dont le seul professeur d’allemand vient d’être nommé ailleurs Surveillant général. Il arrive que des salles de classe soient vidées pour servir de bureaux à des gens qui, pour la plupart, passent la grande partie de leur temps à se tourner le pouce, en attendant de réunir assez de ressources financières pour pouvoir acheter le prochain poste convoité.
Autres formes de prédominance malheureuse de l’administration scolaire : les notes d’inspection pédagogique – quand elles existent et sont bonnes – ne contribuent aucunement à l’avancement en échelon, à gagner donc un peu plus d’argent, après chaque deux ans. Les notes administratives suffisent. Les chefs attendent subséquemment plus d’obséquiosité que de compétences techniques.
Par ailleurs, le professeur de Ceg n’est plus obligé de rentrer faire le second cycle de l’École normale supérieure (deux années d’études) avant de passer professeur de Lycée. Le temps le lui apporte ; il y a donc incitation à la routine, à l’encrassement pédagogique, supposés apporter plus de savoir scientifique, de capacités professionnelles.
Nos examens du second cycle s’administrent plus qu’ils ne se corrigent, se délibèrent dans toute la rigueur nécessaire à la clôture de sept années d’études, en vue de pourvoir l’Université en étudiants aptes aux études supérieures et la société en de nouvelles générations successives de citoyens autrement mieux préparés à surmonter les handicapes de plus en plus variés et complexes de la vie commune : c’est au Ministère que des bureaucrates de l’Éducation et des Présidents de Jurys venus de l’Université, et ignorant presque tout du niveau réel des élèves de Terminale, décident – à la lumière surtout du contexte sociopolitique - des critères de délibération à appliquer désormais à la lettre par des pédagogues du terrain.
Hilaire Sikounmo
Notes
1- Association des Parents d’Élèves
2- Marie-Claire Nnana, « Ceper, des ambitions réalistes dans un contexte de crise », Cameroon Tribune no4022 des dimanche 7 et lundi 8 février 1988, p.15.
3-Jean Ziegler, Les Seigneurs du crime, Paris, Seuil, 1998
* Enseignant et auteur de
1- Débris de rêves, Paris, L’Harmattan, 2010, essai
2- Afrique aux épines, Paris, L’Harmattan, 2010, nouvelles
3- Au Poteau, Éditions Paris, 2010, roman
4- Ousmane Sembène, écrivain populaire, Paris, L’Harmattan, 2010, essai
5- Jeunesse et éducation en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1995, essai
6- L’École du sous-développement. Gros plan sur l’enseignement secondaire en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1992, essai.


Financement: Une politique obstinée de la pénurie, par Roger Kaffo Fokou

Peut-on dire, trois décennies passées sous le règne de M. Biya, que l’éducation au Cameroun a tourné la sombre page de l’époque coloniale ?
Le 10 février 2010, s’adressant à la jeunesse camerounaise, le président Biya n’a pas raté l’opportunité à lui offerte de faire le bilan de sa contribution aux cinquante dernières années : « Au cours de ce demi-siècle d’exercice de notre souveraineté, a-t-il tenu à affirmer, beaucoup de choses ont changé, quoi qu’en pensent certains ». Comme il fallait s’y attendre, l’une des illustrations qu’il a choisies a été le secteur de l’éducation : « dans l’immédiat, a-t-il lancé aux jeunes, vous devrez tirer le meilleur parti de l’effort exceptionnel fait par la Nation pour perfectionner notre système scolaire et universitaire. Conformément au contrat moral que j’ai passé avec vous, des moyens importants ont été mobilisés pour améliorer l’offre et la qualité de la formation ». Il est vrai, à l’aube des « indépendances », le pays manquait de tout, et comme le Président semble se plaire à le faire remarquer, « nos villes n’étaient que de gros villages, nos routes des pistes poussiéreuses. La majorité de notre peuple n’avait pas accès à l’école et encore moins à l’université, puisqu’il n’y en avait pas ». 50 ans plus tard dont presque trois décennies passées sous le règne de M. Biya, peut-on dire que l’éducation au Cameroun a tourné la sombre page de l’époque coloniale ? Et lorsque M. Biya dit aux jeunes : « Retenez de ceci que les promesses qui vous ont été faites ont été tenues », jusqu’à quel point peut-on le lui accorder ? Observons « l’offre et la qualité de formation » au Cameroun ces dernières années, analysons « l’effort exceptionnel» dont parle le Président de la république, le tout à la lumière des objectifs fixés s’il en existe, et peut-être que la conclusion se dégagera d’elle-même.

1. Des objectifs publics d’éducation vagues et non contraignants
Dans la loi n° 98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'éducation au Cameroun, il est dit à l’article 6 que « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'éducation ». L’article 7 précise que l’Etat garantit à tous l’égalité de chances d’accès à l’éducation. 8 ans après les engagements de la conférence mondiale sur l’éducation tenue à Jomtien, la loi camerounaise d’orientation de l’éducation préférait donc s’en tenir aux promesses vagues et se référer aux formulations minimalistes des objectifs du millénaire pour le développement dont le deuxième parle d’assurer l'éducation primaire pour tous. 38 ans après les « indépendances » et 16 ans après l’accession de M. Biya à la magistrature suprême, était-il normal que notre pays n’eût pas alors mis sur pied un plan endogène de développement et en fût encore à aller tantôt à Jomtien ou à Dakar, tantôt à l’Onu importer des plans passe-partout pour guider son action ? N’y avait-il pas là l’indice d’une absence réelle de planification et par ricochet de volonté politique de prendre à bras-le-corps les défis de notre développement ? Examinons quelques indicateurs de l’époque, des indicateurs à la fois de quantité et de qualité. M. Paul Biya venait alors de franchir le cap d’une décennie et demie au pouvoir et les politiques qu’il avait mis en œuvre, le cas échéant, pouvaient déjà commencer à produire leurs effets. Et que voit-on ?
Et d’abord le taux brut de scolarisation et le taux d’achèvement. Ces deux indicateurs seront d’ailleurs formulés par les Omd ainsi qu’il suit : « tous les enfants en âge d’être scolarisés doivent avoir la possibilité d'accéder à un enseignement primaire gratuit de qualité et de le suivre jusqu'à son terme ». En 1999-2000, le taux brut de scolarisation (Tbs) au Cameroun est de 79,8% à la Sil et seulement de 51,4% au Cm2. Ces chiffres cachent cependant la réalité d’une grave sous-scolarisation globale comme le montrent les chiffres du « Rapport d’Etat du Système Educatif National Camerounais, Eléments de diagnostic pour la politique éducative dans le contexte de l’Ept et du Dsrp », rapport réalisé par une équipe comprenant des experts nationaux, des experts de la Coopération Française et des experts de la Banque Mondiale, le 19 Décembre 2003 (Tableau 1 ci-dessous)

  Pourcentage de scolarisation effective 
Année Préscolaire Primaire Secondaire
2002 13,32% 98,28% 26,51%
2003 16,57% 100,15% 29,62%

Si au niveau du secondaire général, le Tbs moyen est de 35,3% dans le 1er cycle et de 19,8% dans le Second, les profils d’éducation indiquent des taux d’achèvement de 27% dans les classes de 3è , de 19% dans les Form v , de 7% dans les Tles et de 10% dans les Upper sixth. Les taux de redoublement, qui varient de 56,01% à 59,84% dans le primaire, de 18,82% à 27,39% dans le secondaire 1er cycle, de 7,35% à 10,80% dans le 2nd cycle du secondaire permettent de calculer le coefficient d’efficacité du système qui évidemment ne peut qu’être négatif, compte tenu du taux particulièrement élevé de déperdition qui caractérise le système. Dix ans plus tard, en 2007, 2009 et en 2010, les choses se sont-elles améliorées ? Les taux d’échecs aux examens officiels, généralement au-dessus de 50%, traduisent toujours un coefficient d’efficacité anormalement faible du système. (Tableau 2 ci-dessous)

session Pourcentage d’échecs aux examens  
2007 2009 2010
DECC 59,9% 56,29% 56,09%
OBC 57,38% 62,08% 56,35%
GCE Board 57,57% 42,74% 40,45%
Sources : Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, Harmattan 2009, et Rapport général des examens 2010 au Minesec

Qu’est-ce qui peut justifier de si piètres performances ? L’effort fourni par les pouvoirs publics camerounais permet-il de dédouaner les détenteurs de ces derniers de la responsabilité de l’inefficacité du système éducatif ?

2. Le financement de l’éducation au Cameroun : absence de volonté ou manque d’ambition ?
N’en déplaise à M. Biya, non seulement les pouvoirs publics camerounais n’ont jamais promis rien de concret aux jeunes, mais ils n’ont jamais fait un effort de financement de l’éducation digne d’une véritable politique de grandes ambitions pour le Cameroun. L’on sait qu’il existe un lien direct entre les performances du système éducatif et la croissance économique à moyen et long terme des pays. Dans « Le financement de l’éducation – Investissements et rendements : analyse des indicateurs de l’éducation dans le monde », 2002, Ocde/Unesco, nous lisons : « En général, les résultats des pays Iem indiquent qu’une augmentation d’un an de la durée des études moyennes de la population adulte entraîne une augmentation de 3,7% du taux de croissance économique à long terme ». Au Cameroun, la brièveté de la durée moyenne des études (5,6 ans alors qu’elle est de 8,1 en Ouganda et de 9,6 au Zimbabwe) s’explique en partie par le manque d’attractivité de l’espace scolaire. La réalité de l’éducation camerounaise au niveau des commodités trahit une indigence incroyable, que révèle le tableau ci-dessous extrait de l’annuaire du Mineduc 2003-2004 : (Tableau 3 ci-dessous).

Commodités Electricité Toilettes Clôture Biblio Salles réunions infirmerie Armoires pharmacie cantines
Nbre Ets 14539 14539 14539 14539 14539 14539 14539 14539
Nbre Ets avec 1448 6195 1810 2459 877 3936 3317 4134

Ets sans Commodités

13090 8344 12729 12080 13662 10603 11222 10405
%tage 90,03% 57,39% 87,55% 83,08% 93,96% 72,92% 77,18% 71,56%

L’on a ainsi 90,03% d’établissements sans électricité, 57,39% sans toilettes, 87,55% sans clôture, 83,08% sans bibliothèque, 93,96% sans salle de réunion, 72,92% sans infirmerie, 77,18% sans armoires à pharmacie donc sans le moindre comprimé en cas d’urgence, et 71,56% sans cantine scolaire. Quant à ceux qui disposent d’un embryon de bibliothèque, l’on n’y trouve en moyenne que 156 livres, alors que la moyenne pour une bibliothèque publique est de 10 à 12.000 livres. En outre, pour 2.906.732 élèves inscrits dans le primaire, il n’y a que 1.807.706 places assises. De façon détaillée, les 10 913 établissements scolaires primaires recensés au niveau national, fournissent 1 807 706 places assises pour 2 906 732 élèves, soit un déficit de 1 099 026 places assises, avec 27725 bancs à 5 places. Cette indigence en matière d’infrastructures et d’équipement se reflète parfaitement dans la politique budgétaire nationale. 

En effet, contrairement à ce qui se passe dans les pays de niveau comparable, le financement public de l’éducation au Cameroun est très faible, comme le montre ce tableau ci-après (rapport 19 déc. 2003 sus-cité) : (Tableau 4 ci-dessous)

Pays Ratio
Cameroun (2001) 2,4 (2,7)

Côte-d’Ivoire

Sénégal

Togo

Nigeria

Kenya

3,9

3,2

4,4

4,6

6,3

Pays IDA d’Afrique subsaharienne* 3,4

*Pays ayant un Pib par tête inférieur à 885 US$

Toujours dans le même sens, les dépenses d’éducation en pourcentage du PIB, en 1999 en Tunisie sont de 6,8% , au Zimbabwe de 6,9% et de 9,6% au Lesotho. Ils sont même de 9,9% en Jamaïque. Le Cameroun apparaît ainsi comme le mauvais élève de sa classe. Pire encore, lorsque l’on analyse les performances de notre pays sur la durée, il apparaît que, loin de faire des efforts pour relever le niveau du financement accordé à l’éducation, il stagne et plonge. Au cours de l’année 2001, en comparaison du budget de l’Etat, ces dépenses sont en pourcentage des recettes de l’Etat de 15,6% et en pourcentage des dépenses de l’Etat de 17,3%. D’après le rapport de décembre 2003, Si on compare ces dépenses aux recettes de l‘Etat, « elles connaissent cependant une forte restriction puisque, si elles représentaient environ 22 % au début des années 90, elles sont aujourd’hui tout juste au niveau de 16 %. En proportion des dépenses de l’Etat, on observe entre 1990 et 2001 une légère amélioration sur la base des dépenses totales (de 15,2 % en 1990 à 17,4 % en 2001) et une quasi stabilité sur la base des dépenses courantes (de 18,8 % en 1990 et 19,1 % en 2001). Cette impression de stabilité globale de l‘effort du pays pour son système éducatif est d’une certaine façon corroborée par le fait que les dépenses publiques exprimées en pourcentage du Pib du pays sont passées d’un chiffre compris entre 3,3 et 3,4 sur les années 1990 à 1993 au chiffre de 3,2 % du Pib en 2001 ». Ainsi, nous apprend-on, en 2001, les dépenses courantes totales du secteur rapportées au nombre des enfants de la classe d’âge (6-15 ans) s’élevaient à 44 800 cfa de 2002, alors que ce même indicateur valait 52 500 cfa (de 2002) en 1989.
Devant une telle réalité, chacun peut tirer ses propres conclusions : le président Biya a-t-il de grandes ambitions pour le Cameroun ? Des ambitions qui alors excluent les jeunes ? Dans la perspective de 2035, comment entend-il hisser le Cameroun au rang de pays émergent quand l’éducation des jeunes tout au long de ces années 2000 a même été plus négligée que dans les années 90 ?
Roger Kaffo Fokou
*Enseignant – Syndicaliste – Ecrivain


Coût de l’éducation et déscolarisation massive, par Roger Kaffo Fokou 
Le Cameroun a la particularité à défaut du monopole de pouvoir à tout moment se prévaloir de disposer d’une pléthore de textes d’une qualité remarquable. C’est pourtant un truisme de dire que ceux qui nous dirigent n’en appliquent que les aspects qui les arrangent ou ne les dérangent pas. A titre d’exemple, lorsque l’on parle du droit à l’éducation au Cameroun, l’on peut indifféremment s’appuyer sur les préambules des diverses Constitutions en vigueur qui garantissent celui-ci, ou sur la loi de 1998 d’orientation de l’éducation. Le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996, qui fait partie intégrante de ce texte comme l’affirme son article 65 dispose en effet que « L’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction. L’enseignement primaire est obligatoire ». L’article 6 de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 rappelle que « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'éducation » et son article 9 précise que: « L'enseignement primaire est obligatoire ». Les petits Camerounais à bénéficier de ce droit apparemment sans exclusive ne sont pourtant qu’une étroite minorité. Bien sûr, ils accèdent presque tous au premier niveau de l’éducation de base comme l’attestent les taux bruts de scolarisation supérieurs à 80% ; c’est toutefois pour en repartir rapidement, et au niveau de la classe de Cm2, plus de 40% n’y sont plus. Un tel taux de déperdition, insolemment élevé, atteint le pic de 75% dès la classe de 4è du secondaire. Au-delà du fait que les enfants camerounais apprennent à détester l’école en raison de son inconfort (cf. « Financement de l’éducation au Cameroun : une politique obstinée de la pénurie »), d’autres facteurs entrent en jeu qui contribuent puissamment à écarter cette jeunesse des campus scolaires et des salles de cours. L’un de ces facteurs est le coût de l’éducation, tant dans le public que dans le privé qui gagne chaque jour en importance. A lui tout seul, il est responsable d’une déscolarisation massive depuis près de deux décennies. 

1. L’importance de l’éducation privée et son coût exorbitant pour le parent camerounais
L’école coûte cher, très cher même au Cameroun. Le premier indicateur du coût de l’éducation est ici la part de plus en plus importante qu’y prend le secteur privé. Dans une enquête que nous avions réalisée il y a de cela quelques années et que nous avons publié en 2009 (« Accès à l’éducation : une éducation de plus en plus réservée à une riche minorité », in Misère de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, L’Harmattan 2009), nous attirions déjà l’attention sur la volonté de désengagement de l’Etat de l’éducation et sur la conséquence de ce désengagement en terme de montée de la privation du secteur éducatif national.
L’insuffisance de l’investissement public de l’éducation a en effet pour conséquence le rétrécissement de l’offre publique d’éducation et concomitamment l’élargissement de l’offre privée aux coûts généralement plus élevés si ce n’est prohibitifs. Déjà au début des années 2000, le recul du financement public de l’éducation et conséquemment la dégradation de la qualité de l’offre publique d’éducation avait permis à l’offre privée de s’amplifier dans des proportions proprement inquiétantes. Le tableau ci-après permet de se faire une idée de l’importance du secteur privé dans l’éducation camerounaise au début des années 2000 : 

Niveau d'éducation Ens.Public Ens. privé Total Part. ens. Privé
Maternelle 62773 113197 175970 64,32% 
Primaire 2222051 684681 2906732 23,55%
Secondaire général 519259 242794 762053 31,86%
Normal 4955 113 5068 02,28% 
Total 2809038 1040785 3849823 27,03% 
Nombre d'établissements 9623 4916 14539 33,81%

Comme on peut le voir, l’enseignement privé représente alors déjà plus du tiers de l’offre globale d’éducation, avec des pics qui se situent dans le préscolaire (64,32%), et au niveau de l’enseignement supérieur où l’on dénombre dès 2006 pas moins de dix-huit établissements privés (« La dynamique de l’enseignement supérieur privé au Cameroun », Roger Tsafack Nanfosso, 2006). Les raisons relevés par Roger Tsafack dans l’étude ci-dessus citée à ce boom de l’enseignement supérieur privé sont significatives : déséquilibre de l’offre par rapport à la demande, perspectives alléchantes de retour sur investissement, préoccupation pédagogiques reléguées à l’arrière-plan : « Au Cameroun, face à la rentabilité croissante du secteur, à la déliquescence du système mis en place par le secteur public, à l’existence d’une épargne nationale oisive à la recherche de projets qualitatifs d’investissement, et face à l’inefficience de l’enseignement supérieur public (Khan et Tafah 2000), l’enseignement supérieur privé a pris une place centrale dans le dispositif de formation existant après le Baccalauréat ou le General Certificate of Education, Gce « A» level ». 

L’importance du secteur privé de l’éducation est d’autant significative pour notre analyse que dans le cas de l’éducation de base elle est l’une des sources de la violation de la Constitution en son préambule et de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 en son article 9 qui dispose que l’enseignement primaire est obligatoire. Comment concilier l’obligation de fréquentation, la pénurie de l’offre publique et les coûts exorbitants de l’enseignement privé ? Selon une enquête menée par le quotidien Le Messager du 25 août 2010, les frais annuels de scolarité dans le primaire privé varient de 100.000FCFA pour les établissements « bas de gamme » jusqu’à 175.000 FCFA pour les établissements huppés. Comment obliger un parent pauvre qui n’a pas pu trouver une place dans l’un des rares établissements publics de sa localité à l’insérer dans une école privée à un coût qui dépasse son revenu semestriel si ce n’est annuel ? Dans le secondaire privé, comme il n’existe aucune règle – libéralisation oblige – les promoteurs s’en donnent à cœur joie. C’est ainsi que d’une année sur les l’autre, l’on voit des établissements faire passer les frais de scolarité de 75.000fcfa à 98.000fcfa, 125.000fcfa sans explication.

2.La privatisation déguisée de l’enseignement public
A priori, l’éducation publique est supposée être abordable et permettre la mise en œuvre de l’article 7 de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 selon lequel « L'Etat garantit à tous l'égalité de chances d'accès à l'éducation sans discrimination de sexe, d'opinions politique, philosophique et religieuse, d'origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique ». Sans discrimination d’origine sociale ! En proclamant à la suite des engagements de Jomtien de 1990 et du cadre d’action de Dakar de 2000 la gratuité de l’école primaire, l’Etat a introduit au même moment dans le système les contributions Apee. Ainsi, au lieu des modiques 1500Fcfa de frais exigibles de la veille, des associations dites de parents d’élèves ont installé leurs comptoirs sur les préaux et avec la complicité active des autorités de l’éducation, ils étranglent les véritables parents d’élèves, chassant des campus tous ceux qui n’ont pas le pouvoir d’achat suffisant pour négocier avec eux une place pour leur progéniture.
Au cœur de nos villes, certaines de ces Apee collectent jusqu’à 25.000Fcfa, 30.000Fcfa par élève. Que l’on y ajoute pour l’enseignement secondaire les multiples autres frais dont l’assiette s’élargit au fil des années – frais exigibles, contributions pour l’enseignement de l’informatique… - et l’on commencera à voir s’effilocher le mince tissu qui aujourd’hui sépare l’enseignement public du privé. C’est que de plus en plus le rôle de l’Etat se limite à créer et ouvrir les établissements scolaires, et à nommer dans chacun de ceux-ci un chef d’établissement et un agent financier. Aux parents d’élèves incombe le reste : mise en place des infrastructures et équipements de toutes natures, recrutement et rémunération des enseignants, fourniture du budget de fonctionnement… L’on comprend pourquoi ces dernières années, en violation de la loi n°90/053 sur la liberté d’association, les autorités de l’éducation tentent, au moyen maladroit de textes réglementaires, de faire des Apee des associations à régime spécial, comme si un arrêté pouvait déroger à une loi. Il y a une volonté non déguisée de privatiser l’éducation publique pour sortir définitivement des circuits scolaires et universitaires les pauvres, qui constituent, de l’avis de l’Etat même – selon le rapport réalisé en décembre 2002 par des experts nationaux, de la coopération française et de la Banque Mondiale, plus de 40% des Camerounais vivent en-dessous du seuil de pauvreté – la quasi moitié de la population camerounaise. Déjà en instituant des frais universitaires au début des années 90 – 50.000 FCFA/an – l’on avait réussi à décongestionner l’enseignement supérieur de manière, on le voit, radicale. Le boom de l’enseignement supérieur privé consécutif à la libéralisation de ce sous-secteur n’a pas contribué à remonter les taux d’accès qui sont résolument collés au plancher, étant pour l’instant inférieurs à 7% pour chaque génération. Comme le dit si bien Roger Tsafack Nanfosso (2006), « Le coût de la formation est très élevé par rapport au coût normal de la formation supérieure au Cameroun. A titre d’illustration, les frais de scolarité annuels dans le cursus universitaire public s’élèvent à 50000FCFA. Mais l’inscription dans les formations professionnelles n’est valide que si le candidat débourse des frais de scolarité compris entre 650 000 FCFA et 1 300 000FCFA en fonction de la filière choisie. La conséquence logique est la réduction drastique du nombre d’étudiants inscrits (qui sont en général moins de 25 par filière) ; ce qui était déjà l’une des solutions proposées par Khan et Tafah (2000) dans leur étude économétrique sur l’efficience de l’enseignement supérieur public au Cameroun ».
L’on a l’habitude, en s’appuyant sur le cas de l’éducation en zone anglophone, de dire que les parents peuvent mieux financer l’éducation de leurs enfants mais qu’ils manquent de bonne volonté. Les taux exorbitants de scolarisation en zone anglophone et l’attachement des parents de ces régions à l’éducation confessionnelle a longtemps fait desdites régions des zones sous-scolarisées. Ce n’est donc nullement un exemple à brandir. D’un autre côté, au regard de leurs niveaux de revenues, les parents camerounais financent l’éducation pratiquement au-dessus de leurs moyens.
3.Pouvoir d’achat des citoyens et financement de l’éducation par les ménages
En 2001 d’après Ecam II (enquête sur la consommation des ménages), les ménages financent l’éducation au Cameroun à hauteur de 239 milliards de francs cfa. Ce résultat est calculé sur la base d’un échantillon de 15.000 ménages, soit à l’époque 0,5% de la population. L’enquête distingue 19 postes de dépenses. 239 milliards, cela représente selon les niveaux d’éducation, au Primaire : 41,82% ; au secondaire général : 45,19% ; au secondaire technique : 34,21% et au supérieur : 33,92% des dépenses publiques, et 5% des dépenses totales des ménages. Dans une version aux calculs plus affinés, les dépenses des ménages pour assurer une éducation aux enfants dans le cadre de l’enseignement privé sont évaluées par élève à 44.000Fcfa dans le primaire, 134.000Fcfa dans le secondaire général, 200.000fcfa dans le secondaire technique et à 408.000fcfa dans le supérieur.
Cinq ans plus tard, nous avons conduit une enquête sur le même sujet dont le but était d’arriver, à partir des facteurs de coût de l’éducation, à déterminer ce qu’il en coûte à un parent d’envoyer un enfant à l’école chaque jour. Notre enquête s’est elle aussi, comme par hasard, appuyée sur une liste de 19 postes de dépenses. Il apparaît à ce moment-là que, pour scolariser un enfant selon les niveaux, un parent doit débourser annuellement entre 134.000fcfa et 224.000fcfa à la maternelle ; entre 192.000fcfa et 284.000fcfa au primaire ; entre 227.000fcfa et 327.000fcfa au secondaire premier cycle, et entre 251.000fcfa et 356.000fcfa au second cycle du secondaire. Cela représente quotidiennement une somme qui varie entre 745fcfa et 1985fcfa, dans un pays où 40,5% de la population sont « pauvres », c’est-à-dire ont un revenu annuel inférieur à 234.500fcfa, ou vivent avec moins de 1 dollar par jour. Voilà donc au moins 40% d’individus incapables de scolariser leurs enfants. En analysant la contribution des ménages au financement de l’éducation, il apparaît que deux ou trois postes – frais exigibles, contributions Apee et livres représentent près de 50% de ces dépenses. Le marché du livre scolaire qui représentait au début des années 90 un pactole de 42 milliards de fcfa et qui n’est pas loin de 80 milliards aujourd’hui est ainsi une importante source d’appauvrissement des Camerounais au profit de l’industrie étrangère du livre scolaire. L’on comprend pourquoi la jeunesse camerounaise sous M. Biya peut se diviser en trois catégories. La première et la plus nombreuse faite de ceux qui, faute de moyens, désertent les bancs au plus tard après la classe de Cm2 : il est significatif qu’elle représente à peu près 40%, soit l’exacte proportion de ces Camerounais qui sont considérés comme vivant sous le seuil de pauvreté. La deuxième catégorie est faite de ceux qui peuvent s’autoriser l’essentiel – frais exigibles, contributions Apee – mais va à l’école sans livres ni casse-croûte et s’habillent et se chaussent à peine : c’est la deuxième tranche la plus importante ; elle nourrit rapidement les échecs scolaires et s’élimine avant l’enseignement supérieur. Le reste, une poignée de privilégiés, est là pour donner l’illusion, dans un contexte de pénurie organisée d’infrastructures, que la jeunesse camerounaise se bouscule sur les bancs de l’école.
Roger Kaffo Fokou


Le calvaire des enseignants depuis 1993, par Roger Kaffo Fokou
Les ministères chargés des questions éducatives constituent des secteurs prioritaires dans la confection du budget de l’Etat, aime-ton à faire croire. Et pour convaincre le public naïf, qui a ses propres problèmes à gérer et qui de toute façon est peu enclin à scruter derrière le vernis chatoyant dont on recouvre une réalité finalement assez hideuse, l’on débite une avalanche de chiffres du budget. Il suffit pourtant de gratter un tantinet : et que découvre-ton ? Une grosse plaie qui n’a cessé de pourrir, qui suppure abondamment, et dont l’odeur incommode et pousse chacun à se boucher le nez.

La télévision nationale a depuis longtemps supprimé le débat du 05 octobre à peine amorcé au début des années 2000, et qui permettait aux enseignants, à l’occasion de la Journée Mondiale consacrée à ce corps, de poser quelques-unes des questions qui dérangent sur l’éducation dans notre pays. De toutes les chaînes qui existent en ce moment, radio, télévision, aucune n’a pour l’instant mis au point une émission consacrée à l’éducation. C’est que poser les problèmes de l’éducation a fini par se ramener à poser les problèmes des enseignants, que personne ne veut soulever, parce que au fond personne n’a la volonté de les résoudre, tant pis pour les enseignants. Il faut pourtant inverser la perspective, et insister sur le fait que poser les problèmes des enseignants, c’est poser le problème de l’éducation. Depuis 1993, lorsque sans la moindre consultation et sans aucun texte l’on a montré aux enseignants à quel point l’on avait du mépris dans notre pays pour l’intelligence, un long calvaire a commencé pour les professionnels de la craie, et malheureusement aussi pour l’éducation dans son ensemble.

Derrière l’illusion, l’hideuse réalité
Observons d’abord la plus récente couche de vernis. Dans le budget 2009, le Minesec occupe le premier rang en volume de dotation avec 204,5 Milliards et le Minedub le 4è rang avec 153,1 Milliards. Cumulés les deux ministères se taillent 357,6 Milliards, soit 15,53% du budget. En y adjoignant l’enseignement supérieur (1,71%), l’on serait à 17,24% du budget. On constate en plus que malgré la baisse des prévisions budgétaires, la dotation de ce secteur a augmenté. N’est-ce pas tout simplement formidable ? Serait-on tenté de dire. Mais il ne s’agit là que d’un vernis, la réalité est autre.
Premièrement, le taux d’exécution du budget du secteur de l’éducation est parmi les plus bas, de l’ordre de 71,93% : cela correspond en fait à une baisse réelle de cette dotation de 28,07%. Pourquoi ? Au niveau du pourcentage de chaque dotation réservé à l’investissement, hors Ppte, C2d et Iadm, le Minedub et le Minesec sont bons derniers avec un volume décroissant qui passe de 9,62% en 2008 à 6,84% en 2009. L’Etat n’investit pas grand-chose au niveau de ses ressources propres dans le secteur de l’éducation et, lorsque l’on flatte l’opinion en lui faisant croire que les retombées Ppte, C2d et Iadm servent à mettre du beurre sur le pain du secteur de l’éducation, il ne s’agit que d’une pure démagogie parce que ces secteurs figurant parmi les plus sinistrés, il était question de les remonter grâce aux fonds sus énumérés. Le cas du secteur de la santé, où la dotation est passée entre 2008 et 2009 de 83,7 à 113,3 Milliards soit une augmentation de 35% alors que celle du Minedub n’a progressé que de 3% est très significatif à ce sujet. En plus, ces ressources qui auraient dû être additionnelles se sont tout simplement substituées à l’effort de l’Etat, ce qui correspond à une autre duperie.
Le secteur de l’éducation est celui où l’Etat a fait l’essentiel de ses économies budgétaires ces quinze dernières années. Prenons l’enseignement secondaire pour commencer. Un professeur des collèges ou des lycées commence sa carrière au moins à l’indice 430 et termine entre 900 et 1140 points. Or à partir du point d’indice 301, dans le secteur de l’éducation, chaque indice passe de 434,7fcfa à 178,25fcfa, soit une baisse en valeur relative de 59%. Chaque enseignant du secondaire n’a donc au trop qu’un tiers de ses indices ayant une pleine valeur ; les deux autres tiers ou plus, c’est-à-dire tout ce qu’il passe sa carrière à accumuler, - à la sortie de l’école, une partie de ses indices, près de 130 à 230 points selon le grade de sortie, est déjà dévaluée - ne valant que des bricoles, il a le sentiment d’être un géant perché sur des jambes minuscules qui ne lui permettent pas d’avancer. C’est aussi le segment où l’on fait 2 mois de mission payés un forfait de 10 jours pendant les examens, où l’on cumule pendant l’année des jours de déplacements pour séminaires payés au prix du billet de transport public, où la règle du forfait non inscrite dans les textes de notre charmant Etat de droit s’applique rigoureusement. Pendant les examens, l’office du baccalauréat met en effet en mission dans les centres d’examens des enseignants appelés justement « chargés de mission » qui, pour une durée pouvant aller de 40 jusqu’à 60 jours touchent un forfait ne dépassant pas 500.000Fcfa, soit un forfait de 8000fcfa à 12500fca par jour, alors que la réglementation prévoit une fourchette de 25000fcfa à 40000fcfa. Pour un fonctionnaire d’une certaine ancienneté, cela équivaut à payer 12 jours de mission à quelqu’un qui en a effectué en réalité de 40 à 60. Pendant l’année scolaire, les enseignants déplacés pour les séminaires régionaux ne bénéficient d’aucune feuille de mission et doivent bagarrer avec leurs chefs d’établissements pour se faire rembourser le prix du billet de transport public qu’ils ont dû payer. L’enseignement secondaire au Cameroun aujourd’hui est de ce fait ce qu’il y a de pire dans la fonction publique : elle est frappée des sept plaies d’Egypte et s’il faut lui trouver un frère jumeau, il suffit de se tourner vers l’éducation de base.
Là-bas, on leur a fait nourrir l’illusion qu’ils avaient d’une certaine façon presque retrouvé le niveau de leurs salaires de 1993. Et de fait, nombreux parmi eux, s’ils sont des fonctionnaires, n’ont presque rien à envier à un enseignant du secondaire. Ô suprême illusion ! Car, combien existe-t-il encore de fonctionnaires au Minedub ? Une petite poignée. Depuis 10 ans, des politiques de « vacatariasation » puis de contractualisation sont passées par là et y ont décimé l’essentiel des fonctionnaires. Aujourd’hui, le Minedub est constitué autour de deux tiers de « contractualisés », statut qui ne figure plus dans le statut particulier des enseignants depuis bientôt 10 ans ! L’avantage pour l’Etat de la contractualisation est double : elle remplace des enseignants déjà médiocrement payés par des enseignants franchement mal payés ; elle remplace un statut sécurisé par un statut précaire : le « contractualisé » n’existe ni dans le statut particulier des enseignants, ni dans le statut général de la fonction publique de l’Etat. Il ne peut donc rien revendiquer en vertu de ces textes et tous les avantages dont il bénéficie sur la base desdits textes sont des faveurs qui peuvent lui être retirées à tout moment. Dans un contexte où le chômage est la règle et le travail l’exception, c’est un tour de passe-passe aussi facile qu’un jeu d’enfant. On comprend pourquoi la dotation budgétaire du Minedub d’année en année stagne alors que l’on recrute vague sur vague de contractualisés n’est-ce pas ? Ils permettent à l’Etat de résoudre le problème de la pénurie des personnels dans l’enseignement sans bourse délier. Et puis un beau jour, quelqu’un d’intelligent trouvera que ces messieurs et dames les « contractualisés » - quel barbarisme ! – ne sont pas à leur place, qu’ils n’ont même jamais eu de place, et on les évacuera en leur présentant les sincères regrets de l’administration.
Comme on le voit, depuis plus d’une décennie, les travailleurs du secteur public de l’éducation sont tellement cocus qu’ils portent aujourd’hui des cornes plus hautes que le mont Fako. Et lorsque vous avez observé ce désastre, ce n’est plus la peine de vous tourner du côté du secteur privé de l’éducation. De ce côté-là en effet, le concept de « convention collective » est un pur ovni : on en entend parler, mais personne n’en a jamais vu, et nul ne sait donc à quoi cela peut ressembler. Ici, les enseignants les plus diplômés ont à peine une misère de salaire, et les chefs d’établissements prestigieux gagnent à peine 80.000fcfa de salaire par mois. Nous avons trouvé une exception remarquable au collège Mazenot de Ngaoundéré, une exception qui montre bien que la règle de l’emploi dans le secteur privé de l’éducation est d’employer des gens sans les payer ou en les payant le moins possible. Sans que cela émeuve le moins du monde les pouvoirs publics pour qui le concept de justice sociale ne doit être qu’un dangereux slogan hérité du communisme international heureusement sur le déclin. Quand l’on a dégringolé jusqu’au fond du désastre, que reste-t-il à découvrir en-deçà ? Entre nous, dîtes-moi : pourquoi et comment pensez-vous que l’on puisse supporter cela indéfiniment ? Et justement depuis 1993 les enseignants ont bien montré qu’ils n’entendent pas se résigner à ce sort de parias.

Les luttes des enseignants depuis 1994 : histoire d’un statut particulier insaisissable
Au début des années 90, les salaires des agents de la fonction publique subissent une violente amputation, de l’ordre des trois quarts. Concomitamment, une dévaluation de 50% de la monnaie intervient. Le pouvoir d’achat général s’affaisse. Contrairement aux autres corps de la fonction publique qui se tiennent sur la réserve, ceux de l’éducation basculent dans la contestation, sous l’action du Snaes récemment alors créé (18 mai 1991). Pourquoi les enseignants ? Premièrement parce qu’ils disposent d’un instrument de mobilisation qui tardait à servir et qui trouve subitement l’occasion d’un emploi. Deuxièmement parce que contrairement aux agents de nombreux autres corps, les enseignants n’ont pas, hormis la poignée d’entre eux qui gère les crédits, la possibilité de développer des réseaux de corruption pour en vivre. Troisièmement parce que la logique de la nouvelle grille semble exprès dirigée contre eux. Lorsque sur 1140 points d’indices que représente la carrière, seuls 300 sont payés à taux plein (434,7 FCFA/indice), et donc que 840 sont payés à tarif dévalué (178,25 FCFA soit 41% de la valeur de l’indice plein), cela veut dire que l’on vous vole 495 (59% de 840) points d’indices, et qu’en réalité, au lieu de plafonner à 1140 comme on vous le fait croire, on vous fait plafonner à l’indice 645. Alors, que l’on essaie de calculer le manque à gagner que représentent 495 points d’indices avec incidence sur la prime de non-logement et autres chaque mois pendant 10, 15 ans !
Entre fin 1993 et 2009, date de la dernière grève lancée par leurs syndicats, les enseignants ont organisé et suivi, tantôt avec un enthousiasme débordant, tantôt avec parcimonie ; une infinité de grèves. La plus importante et sans doute celle qui reste jusqu’aujourd’hui la plus suivie reste celle de 1994, qui fut véritablement à deux doigts de faire basculer les choses. Le pouvoir en prit de la graine, fabriqua ses syndicats, corrompit ceux des leaders qu’il pouvait, appliqua au syndicalisme et à ses leaders les plus intègres l’arsenal de la lutte anti-terroriste, bref, réussit à casser le mouvement syndical, à le déconsidérer, à en déformer l’image au point d’en faire un monstre aux yeux non seulement du grand public mais des enseignants eux-mêmes.
Dans un Etat qui se veut démocratique ou en plein processus de démocratisation, en 15 ans de lutte, les syndicats n’ont jamais pour ainsi obtenu la tenue de véritables négociations. C’est dire à quel point notre précieuse démocratie est attachée au dialogue, à la négociation. Fatigués d’espérer, usés par la répression, les enseignants ont fini par choisir un mode de grève qui leur permet d’encourir le risque zéro : ils font semblant de faire leur travail. « A salaire malin, travail malin », disent-ils. Et les apparences sont sauves, ce qui a pendant un temps semblé arranger tout le monde. Mais une situation de guérilla permanente, dont les victimes collatérales sont la jeunesse camerounaise et à terme l’ensemble du tissu social ne peut se supporter indéfiniment. Pour essayer de contourner la grève pernicieuse qui a cours dans l’enseignement depuis plus d’une décennie, l’on a lancé sur les rails un train de réformes dont la conséquence a été jusqu’ici d’introduire dans l’enseignement des pratiques tracassières, administratives et de type policier : taux de couverture des enseignements et des programmes, évaluations séquentielles, remplissage d’une infinité de documents pédagogiques par mois, sans pour autant augmenter réellement l’indice de conscience professionnelle des enseignants ou d’efficacité du système.
Qui tient d’ailleurs à ce que ces deux indices-là s’améliorent ? L’opinion ? Elle ne semble pas exister. Les parents et leur progéniture ? Ils ne veulent que des diplômes, peut en importe la qualité. Ceux qui nous gouvernent ? Ils veulent seulement durer au pouvoir et ces indices-là ne font pas partie des conditionnalités auprès de ceux à qui ils doivent le pouvoir. Il ne reste donc plus que les enseignants. A condition qu’un long passé de luttes infructueuses ou presque ne les décourage pas.
Roger Kaffo Fokou
Enseignant – Syndicaliste – Ecrivain


Du plomb dans l’aile de la réforme, par Roger Kaffo Fokou
La déconstruction de nos sociétés sur les plans moral, économique et même politique traduit l’échec de 50 années de socialisation dont le processus principal est l’école.

Au sortir de l’école coloniale, nous sommes tombés au sens propre du mot dans le puits de l’école néocoloniale, comme dans un gouffre sans fonds. Mais il faut en sortir, par le biais d’une autre école. Une école plus libre, une école de l’indépendance pour faire court. Pour cela, des réformes radicales s’imposent. Qui doit les élaborer, les mettre en œuvre ? Depuis 1995, sous la pression des événements, le pouvoir en place fait semblant de s’activer, et le temps passe…

1. Le contexte : réformer pour sortir de l’école néocoloniale.
L’école doit s’intégrer dans son époque pour être à même d’envisager l’avenir à partir d’une perspective adéquate. Et cette perspective, pour être rentable, doit être stratégique : où sommes-nous ? Pourquoi ? Où voulons-nous être demain ? Comment ? L’école coloniale était porteuse d’une ambition impérialiste élaborée dans une perspective adoptée depuis les centres métropolitains. Dans le cas de l’empire français, le discours de Gaulle en 1944 à Brazzaville en dessine le cadre : « Les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire ; la constitution éventuelle, même lointaine, de self-government dans les colonies est à écarter ». Comme le dit clairement cet extrait, il s’agissait d’éduquer pour assimiler, non à la France qui est une république (liberté – Egalité – Fraternité), mais à l’empire français qui distingue l’aristocratie des citoyens métropolitains du tiers-état des indigènes des colonies. Cette école-là devait nous inculquer le sentiment que nous avions bien de la chance de servir la France, pour que nous soyons colonisés et contents de l’être. Et ce projet était largement réussi dans les années 50 si l’on en croit ces propos tenus par deux membres éminents de l’élite camerounaise de l’époque : « Le Cameroun tout entier, disait alors Paul Soppo Priso, qui jouit depuis une vingt ans déjà de la liberté de conscience, de l’égalité, des droits humains et des relations fraternelles sous les doux et gracieux plis du drapeau tricolore, élève la voix et fixe son choix pour demander au monde entier qu’il devienne une province de la grande France » ; de même, « Non, affirme crânement André-Marie Mbida en 1956, pour de nombreuses années encore… il faut que le Cameroun poursuive sa route actuelle, apprenant son rôle de nation, grâce au régime d’autonomie interne qui sera bientôt son statut ». L’école néocoloniale nous a-t-elle jusqu’ici proposé mieux ? Elle nous a transformés en sous-développés presque incurablement dépendants de l’aide au développement, les yeux en permanence et pathétiquement fixés sur la mère patrie.
Avec les années 90, le monde qui sort de la guerre froide se reconfigure inexorablement et voit l’émergence de nouveaux pôles de développement en Asie et en Amérique latine. Même en Afrique, une nouvelle conscience peu à peu se fait jour sur la nécessité de sortir de la logique néocoloniale pour une indépendance véritable. Pour ce faire, il est évident qu’il faut décoloniser les mentalités en élaborant et en mettant en œuvre des réformes appropriées au niveau des systèmes éducatifs. Parce que ces réformes doivent être stratégiques, leur ampleur, les moyens y alloués et le calendrier de leur mise en œuvre sont d’office des indicateurs fiables des ambitions qu’elles portent et expriment. Dans de nombreux pays d’Afrique, des politiques véritablement ambitieuses sont alors mise en place. Elles organisent un financement substantiel de l’école (cf. Financement de l’éducation au Cameroun : une politique obstinée de la pénurie).
Au Cameroun dès le début des années 90 et au plan intérieur, la pression syndicale (en 94, l’un des mots d’ordre du Snaes est « L’école nouvelle ») place peu à peu les pouvoirs publics devant la nécessité de réformer le système éducatif. Cette pression se conjugue à celles dues, au plan international, aux engagements pris à Jomtien en Thaïlande en mars 1990, aux principes fondamentaux adoptés à la conférence internationale de l’éducation à Genève en septembre 1990, ainsi qu’à la déclaration de politique générale d’éducation de base pour tous adoptée à la table ronde de Yaoundé du 21 au 25 janvier 1991 sous l’égide de l’Unesco, de la Banque Mondiale, du Pnud et de l’Unicefu. Un premier pas est fait avec la convocation des assises des Etats Généraux de l’éducation de 1995.

2. Des États Généraux de 1995 à la loi d’orientation de l’éducation de 1998
Les États généraux de l’éducation de 1995 se tiennent dans un contexte de crise aiguë de l’éducation. 5 ans après les engagements clairs et sans équivoque de Jomtien et des autres fora, le bilan pour le Cameroun est catastrophique : « entre 1989/90 et 1996/97, le taux brut de scolarisation des garçons a connu une baisse de 11 points et celui des filles une chute de 9 points pour la même période » , reconnaît l’État camerounais lui-même. Malgré le format adopté par les États généraux qui accorde une position de simples faire-valoir aux organisations syndicales et de la société civile afin de permettre aux pouvoirs publics de passer sans encombre leur projet, ces assises permettent de fixer un certain nombre d’objectifs de valeur dont certaines des plus pertinentes visent à :
a.- Former à l’amour de la patrie des citoyens cultivés, enracinés dans leur culture, mais ouverts au monde, respectueux de l’intérêt général et du bien commun.
b.- Initier l’élève à la culture et à la pratique de la démocratie, au respect des droits de l’homme et des libertés, de la justice et de la tolérance, au combat contre toutes les formes de discrimination, à l’amour de la paix et du dialogue, à la responsabilité civique et à la promotion de l’intégration sous-régionale.
c. Former les enfants camerounais de manière à leur permettre de devenir, à terme, capables de créativité, d’auto-emploi, et à même de s’adapter à tout moment à l’évolution de la science, de la technologie et de la technique.
L’on chemine, croit-on, dans la bonne direction. D’autant que trois ans seulement plus tard, en 1998, l’Assemblée nationale adopte la loi n° 98 /004 du 14 avril dite d’orientation de l’éducation au Cameroun. Les principaux axes de réforme qui ressortent du texte de la loi portent sur :
• La promotion du bilinguisme pour une plus grande intégration nationale ;
• La promotion des langues nationales ;
• La professionnalisation de l’éducation ;
• L’adaptation permanente du système éducatif aux réalités économiques et socioculturelles nationales ainsi qu’à l’environnement international.
En outre, la loi d’orientation adopte une importante mesure de réforme portant sur la structure des deux sous-systèmes d’éducation en présence. En effet, malgré le maintien des spécificités dans les méthodes d’évaluation et les certifications (Article 15 alinéa 2), les deux sous-systèmes voient leurs structures harmonisées. L’école primaire anglophone passe de 7 à 6 années, le secondaire francophone réajuste son premier cycle de 4 à 5 années, et son second de 3 années à 2, ce qui ne laisse plus aucune place au diplôme probatoire. Ce dernier conséquemment disparaît du paysage légal de la certification nationale.
Vu d’ensemble, il s’agit donc d’un beau projet, d’autant qu’il affirme clairement la place éminente des enseignants dans le processus de sa mise en œuvre. L’article 37 de la loi en son premier alinéa affirme que « L’enseignant est le principal garant de la qualité de l’éducation. A ce titre, il a droit, dans la limite des moyens disponibles, à des conditions de vie convenables, ainsi qu’à une formation initiale et continue appropriée ». Dans les « limites des moyens disponibles » ? Cette précaution ne sentait-elle pas déjà le maquignon ? L’on sait ce qu’il en est de la mise en œuvre de ce volet de la loi d’orientation (cf. Education dans la tourmente : le calvaire des enseignants depuis 1993). Qu’en a-t-il été du reste du projet ?

3.En attendant les calendes grecques
15 ans après les États Généraux de l’éducation et 12 ans après la loi d’orientation de l’éducation, les réformes promises et légalement instituées sont toujours attendues sur le terrain. Ce n’est d’ailleurs pas une particularité de l’éducation et sans doute faut-il comprendre que cet report sine die traduit la situation globale d’un pays où depuis presque deux décennies tout est suspendu dans l’attente d’un événement que l’on ignore mais dont la survenue chaque jour imminente puis différée paralyse toute forme d’action.
La Constitution du 18 janvier 1996 dans ses dispositions transitoires disaient en son article 67 : « Les nouvelles institutions de la République prévues par la présente Constitution seront progressivement mises en place » (Alinéa 1) et « Pendant leur mise en place et jusqu'à cette mise en place, les institutions de la République actuelles demeurent et continuent de fonctionner » (Alinéa 2). 14 ans plus tard, la mise en place des institutions alors annoncées comme une révolution est toujours attendue. Et au fur et à mesure que cette attente se prolonge, le Cameroun se dépolitise. L’apathie actuelle des citoyens par rapport à la chose politique que traduit le développement d’une abstention massive à l’inscription sur les listes électorales est l’une des mesures de cette dépolitisation. Les campagnes médiatiques d’incitation à l’inscription du corps électoral engagées ces derniers temps par les pouvoirs publics sont un indice intéressant de perception et de gravité de ce phénomène. Mutatis mutandis, l’on peut mettre en parallèle à la situation politique celle du secteur de l’éducation.
D’abord au niveau des textes. Les articles 40 et 41 de la loi d’orientation de l’éducation reprennent les subterfuges de l’article 67 de la Constitution de 1996. L’article 40 dispose en effet que « Le système éducatif régi par la présente loi sera progressivement mis en place par des textes d'application ». l’article 41 précise que « Le système éducatif en vigueur demeure et continue de fonctionner jusqu'à l'intervention des textes d'application prévus à l'article 40 ci-dessus ». L’on peut être difficilement surpris de ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il suffit d’évaluer, même sommairement, les objectifs généraux de 1998.
Malgré la création d’un nombre appréciable d’établissements bilingues, les Camerounais ne sont pas beaucoup plus bilingues qu’en 1998 : l’on continue à juxtaposer sur les campus des établissements bilingues des sections anglophone et francophone strictement cloisonnées. Ces deux dernières années une poignée d’établissements pilotes a été sélectionnée pour lancer une opération expérimentale mais celle-ci manque malheureusement d’envergure et d’ambition. En plus, elle cherche à réinventer la roue, d’autant que cette expérience fut réalisée dans les années 70 avec un remarquable succès au lycée bilingue de Buéa.
Concernant les langues nationales, la volonté d’expérimenter les langues nationales dans des programmes pilotes est tout aussi jeune et sans envergure. Elle contraste avec une absence de politique publique de développement des langues nationales. Les comités de langues nationales se battent aujourd’hui sous des bannières communautaires, là où une élite éclairée existe et dispose des moyens humains et matériels d’engager un quelconque travail. Comment expliquer que ces initiatives qui visent pourtant à réaliser des objectifs qui conditionnent en amont des politiques publiques ne bénéficient pas du moindre appui technique et financier de la puissance publique ? Aussi l’inscription de la promotion des langues nationales dans la loi d’orientation de l’éducation reste-t-elle pour l’instant un vœu pieux.
Un des volets importants des réformes attendues portait sur la professionnalisation de l’éducation. Le texte prévoit à côté des traditionnels établissements d’enseignement général et technique la création des collèges et lycées professionnels. Dans l’enseignement supérieur, l’on a aussi introduit des filières dites professionnalisantes. A quand les collèges et lycées professionnels ? De tels établissements pourraient récupérer les 40% d’enfants qui quittent le système formel dès le CM2 ou la class 6, ou les 74% qui débarquent dès la fin du cycle d’observation de l’enseignement secondaire. Sur un tout autre plan et en ce qui concerne la structure de l’enseignement secondaire, la permanence du statu quo ante a pour conséquence d’isoler le Cameroun dans la sous-région Afrique centrale avec le maintien de l’examen probatoire. Cette situation a développé le phénomène dit du « baccalauréat tchadien, centrafricain, gabonais » et j’en passe, avec comme corollaire celui des classes de terminales spéciales, toutes choses dont les conséquences néfastes sont connues. Outre celles-ci, l’on pourrait évaluer le coût du maintien de cet examen sur le portefeuille de l’État mais aussi des ménages en termes de coûts d’opportunité, parce qu’il y a là des moyens rares gérés mal à propos en situation de pénurie.
Quid de l’adaptation permanente du système éducatif aux réalités économiques et socioculturelles nationales ainsi qu’à l’environnement international ? L’on dit que la science n’a que l’âge de ses instruments : quel est l’âge des équipements de nos établissements d’enseignement technique là où il en existe ? Des laboratoires de nos universités et grandes écoles ? La science que l’on y enseigne est-elle restée celle du XIXè siècle ou a-t-elle déjà accédé au XXè siècle ? L’absence de nos universités dans les classements des meilleures universités africaines, qui elles-mêmes ne figurent pas sur la liste des meilleures universités mondiales, en dit long sur la question. S’adapter aux réalités internationales, c’est prendre en compte les évolutions de la planète. Au moment où le cœur de la planète bascule vers l’Asie, nous continuons à axer les contenus de nos programmes d’enseignement sur les XIXè et XXè siècles européens. A titre d’illustration, l’accent mis aujourd’hui dans nos collèges et lycées sur l’apprentissage exclusif de l’Allemand et de l’Espagnol à côté du Français et de l’Anglais se justifie-t-il ? La trouvaille la plus récente et probablement la plus mystificatrice a consisté à créer un département d’Italien, d’abord dans nos universités, puis déjà dans nos écoles normales supérieures, prélude certainement à l’introduction de l’enseignement de cette vénérable langue dans nos collèges et lycées. A l’heure où l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie se mettent à l’apprentissage du Chinois ! Sait-on seulement que la langue étrangère la plus sollicitée en France aujourd’hui est le Chinois ? Qu’entre 2005 et 2010, le nombre de Français apprenant le Chinois a doublé, passant de 15000 à 30000 et qu’il va littéralement s’envoler dans les années à venir? Il est temps que ceux qui décident pour notre pays ouvrent grand les yeux et les oreilles et utilisent la bonne perspective pour orienter notre futur.

4. Limiter l’influence néfaste bilatérale et multilatérale sur les politiques de réforme
L’une des difficultés que doit surmonter notre politique de réforme réside dans notre incapacité mais surtout notre manque de volonté à la financer de manière autonome. Parce que la réforme dans quelque domaine que ce soit mais principalement dans celui de l’éducation est un processus de nature stratégique, il est impensable qu’un Etat souverain dépende, dans un monde férocement compétitif, de l’extérieur pour la conception et la mise en place des bases de son futur. Comment comprendre que la réforme de notre système éducatif se borne à l’atteinte des objectifs au rabais de Jomtien 90, de Dakar 2000 et du millénaire pour le développement qui prêchent le catéchisme minimal de l’éducation de base pour tous en 2015 ? En omettant de cette thématique le concept de qualité, l’on aboutit à des réformes du type de celle mise en œuvre par l’arrêté N°315/B1/1464/Minedub du 21 février 2006 fixant les modalités de promotion des élèves du cycle de l’enseignement primaire et instituant la promotion collective.
Celle-ci, inspirée directement par la volonté de réussir coûte que coûte l’évaluation des Omd et autres engagements internationaux en ce qui concerne les taux d’achèvement en fin de cycle, va déboucher sur la mise à la disposition de la société de cohortes de plus en plus nombreuses de pseudo-lettrés. De même, nos collèges et lycées techniques manquent cruellement d’enseignants depuis plus d’une décennie parce qu’il faut l’aval des bâilleurs de fonds internationaux pour recruter des enseignants, et lesdits bâilleurs pour l’instant ne financent que l’éducation de base. Dernièrement, pour recruter une vague d’environ 5000 instituteurs sortis des Eniet qui traînaient dans la rue depuis plus de cinq ans, il a fallu organiser des marches, des sit-in, affronter les forces de police, alors qu’au même moment les établissements faisaient face à une cruelle pénurie d’enseignants. Comment réformer et développer un enseignement technique compétitif sans enseignants tout court ou sans enseignants de qualité ? Il faut savoir que dans nos CET et lycées techniques, la majorité des enseignants sont des instituteurs sortis des Eniet, alors qu’en toute logique, pour enseigner au secondaire il faut être passé par une école normale supérieure. Comment peut-on se fonder sur les recherches aux résultats biaisés des spécialistes aux ordres de la Banque mondiale, de la Confemen ou de quelque autre structure du même type comme le pôle dit de Dakar pour décider du destin d’un État dit souverain ? Tant qu’il ne sera pas développé une expertise interne indépendante des pouvoirs publics, engagée personnellement par les résultats et les retombées des réformes, le chemin de nos pays vers l’avenir sera hypothéqué.
Roger Kaffo Fokou
Enseignant/Syndicaliste/Ecrivain


Une Urgence : sauver le système universitaire camerounais, par Fogue Tedom
Le système universitaire camerounais est malade, très malade. Il souffre de plusieurs maux qui, au fil des ans se sont devenus chroniques. Comme tout domaine de la vie publique, la déliquescence du  système universitaire camerounais a pour principale cause l’absence de politique publique pensée de façon concerté, cohérente et assumée collectivement.

Les politiques publiques nationales en matière de formation universitaire sont imperceptibles. Même si on peut paraître angélique sur la place accordée à l’université par les premiers dirigeants camerounais dès les années 1960, force est de reconnaître que, comme peuvent le témoigner les vestiges des infrastructures de l’ancienne université de Yaoundé, le rayonnement que les diplômes délivrés par cette institution ainsi que les grandes écoles du pays ont eut à l’étrange jusqu’à la fin des années 1980, ceux –ci avaient une certaine vision pour l’enseignement supérieur au Cameroun. Depuis bientôt trente ans, l’université camerounaise n’a cessé de se dégrader. Alors que les diplômes camerounais étaient jusqu’au début des années 1990 admis en équivalence dans pratiquement toutes les universités et grandes écoles du monde, y compris en Occident, à cause de cette dégradation, désormais, indépendamment de l’auto congratulation que l’on peut observer ici et là, ils sont frappés de suspicion académique.
Le délitement du système universitaire camerounais s’est opéré presque sous l’indifférence des politiques. En effet, le dernier Conseil de l’enseignement supérieur s’est en août 1982. Depuis bientôt trente ans, cette instance où devraient être débattues puis arrêtées les grandes orientations de l’université et du monde de la recherche ne s’est pas réunie sans pour autant que les politiques s’en inquiètent. La conséquence logique de cette léthargie c’est l’existence d’un système universitaire qui ressemble à un orchestre africain, un orchestre dans lequel les notes et partitions ne sont écrites et où les musiciens rivalisent de talent dans l’improvisation.
La décentralisation purement politicienne de l’université de Yaoundé intervenue en 1993 n’avait pas été pensée dans la perspective d’une réforme réelle du système universitaire nationale. Pris dans l’étau d’une contestation sociale et politique dont les étudiants de l’université de Yaoundé étaient les principaux animateurs, le pouvoir n’avait éclaté cette université que pour endiguer le flot des manifestations. A cause de cette impréparation, la décentralisation universitaire a été un véritable échec. En effet, les nouvelles universités n’ont pas été à mesure de relever ni le défi des infrastructures ni celui de la qualité de la formation. Dès leur création, elles ont hérité des maux de l’université mère, surpopulation estudiantine, manque d’infrastructures, insuffisance de moyen financier, mauvaise gouvernance et qualité quelconque des programmes d’enseignement et de recherche etc. C’est aussi l’analyse faite par le Comité d’expert commis par le ministère de l’Enseignement Supérieur dont les conclusions ont été rendues en 2004. Le comité crée le 03 mars 2004 par le Mniesup et composé de Valentin Nga Ndongo et Fabien Nkot (rapporteurs), Ajaga Nji, Henri Eyebe Ayissi, Rose Leke, Simo, Maurice Aurélien Sosso, et présidé par Ambroise Kom, avait, entre autres missions, celle de " mener des réflexions approfondies sur les problèmes dominants actuels de l’enseignement supérieur et préconiser des orientations stratégiques ou toutes autres mesures susceptibles de concourir à l’amélioration du système national de l’enseignement supérieur pour la période 2005-2015."
Au terme de son travail, ce comité a conclu, comme d’ailleurs d’autres précédents rapports, que le système universitaire camerounais est gravement malade et qu’il lui faut d’urgence un traitement de choc. A moins de quatre ans de l’échéance fixée par les termes de la réflexion soumise au dit comité, on peut constater que les recommandations de celui – ci sur les programmes d’enseignement et de recherche, le manque d’infrastructures, la modicité des moyens financiers et sur la gouvernance demeurent sans solutions véritables.
Problème
Le problème de fond de l’université camerounaise c’est moins la méconnaissance des problèmes qui la minent que celui de l’application des solutions idoines. A partir de ce constat, la responsabilité des politiques devient importante dans la dégradation du système nationale universitaire et de recherche. L’indolence du pouvoir face à la décrépitude de l’enseignement supérieur est patente. Le pays foisonne de pseudo institutions universitaires dans divers domaines. Les commerçants se sont emparés de la formation avec des compétences pas toujours avérées. Le nombre « d’instituts supérieurs » logés dans d’obscures coins et cases qui, à longueur de journée, occupent les ondes pour vendre des formations à faire rêver tout parent qui recherche le meilleur pour sa progéniture mais qui en réalité ne sont que de simples comptoirs, attestent de la complaisance coupable du pouvoir.
Même dans les domaines les plus pointus comme la médecine on peut observer qu’avec l’accord de l’Etat des « facultés de médecines » sont ouvertes dans des endroits plutôt insolites, avec un personnel dont les aptitudes ne rassurent pas toujours. Il y a eu un libéralisme non contrôlé dans l’enseignement supérieur au Cameroun, à la suite d’un conservatisme anachronique. Le télescopage de ces deux réalités trahi l’incapacité du pouvoir à prévoir, à anticiper. Confronté à une forte poussée démographique sur les campus, et faute d’avoir planifier, le pouvoir a, sans véritable contrôle, déchargé sur des commerçants la formation de son élite avec toutes les dérives que l’on peut observer aujourd’hui. En effet, il n’est pas impossible de retrouver dans les nombreux prospectus qui inondent l’espace public en cette période de rentrée universitaire, certains qui annoncent des formations en études spatiales dans un coin lugubre d’une de nos villes.
Sur les campus des universités d’Etat, la situation est désolante. Alors que l’on sait qu’une université repose avant tout sur la qualité de ses bibliothèques, on est dépité de constater que les universités d’Etat n’en ont franchement pas. On devrait avoir dans une université, une grande bibliothèque, les bibliothèques des facultés et celles des départements, toutes adossées sur une bibliothèque nationale. Une visite dans la « chambre » qui tient lieu de bibliothèque à l’université de Yaoundé II – Soa par exemple permet d’observer qu’il y a quelques maigres livres qui se battent en duel dans les rayons alors que le campus accueil plusieurs milliers d’étudiants et des centaines d’enseignants.
Programmes de formation
A Yaoundé I, les locaux qui dans les années 1960 étaient certainement un exemple de confort sont aujourd’hui délabrés alors qu’on y retrouve encore en 2011 des ouvrages sur le communisme.
Si l’université est malade au Cameroun, la recherche y est agonisante. Sans moyens matériels, financiers et sans compétences humaines elle ne peut se construire une crédible. Les laboratoires camerounais sont dans un état de délabrement avancé alors les faibles moyens financiers disponibles sont mobilisés pour organiser des mondanités ou des marches « spontanées » d’étudiants pour le soutien au pouvoir. C’est à travers les échanges et les voyages que la recherche s’améliore ; malheureusement dans nos universités, les voyages de recherche sont cantonnées au seul niveau des responsables et quant ils sont ouvert aux enseignants, ils font l’objet d’un marchandage qui finalement lui confère plutôt un caractère de gratification pour ceux qui ce sont montrés politiquement correct.
Les programmes de formation sont en déphasage avec les défis du développement. Il y a urgence à établir un lien étroit entre le monde du travail et l’université. Ceci suppose que ceux qui sont en charge de la gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche dépassent rapidement le seuil des incantations qui accompagnent depuis quelques années déjà leur discours mal assimilé sur le système LMD. En effet, l’objectif premier de ce système est la mobilité académique des étudiants.
Nos campus sont probablement les seuls où au 21ème siècle la future élite du pays se met à l’aise dans l’herbe. Il n’y a pas de toilettes sur nos campus pourtant on y compte de nombreuses grosses cylindrées rutilantes de fonction.
L’échec des politiques en matière de consolidation d’un système universitaire et de recherche national ne doit pas faire oublier la responsabilité des universitaires et chercheurs camerounais eux – mêmes. Pour beaucoup parmi eux, l’amphithéâtre ou le laboratoire n’est rien d’autre qu’un gagne pain. La désinvolture de certains universitaires et chercheurs laisse quelque fois songeur. Certes il peut être évoqué leurs conditions misérables pour tenter d’expliquer certaines dérives de nature déontologiques ou simplement professionnelles. Cependant, rien ne saurait justifier ou excuser qu’un éducateur bafoue sa noble mission. Il est important que la corporation fasse le ménage dans ses rangs afin de retrouver une certaine crédibilité sans laquelle ses revendications ne peuvent trouver de la considération auprès des politiques et de l’opinion.
Derrière ce tableau, il ne faut pas croire que tout est perdu. Il faudrait simplement que les dirigeants politiques donnent l’université et à la recherche leur place dans le défi du développement qui interpelle la nation. Pour cela, il est urgent qu’un forum démocratique sur l’enseignement supérieur se tienne, une instance au cours de laquelle, dans un esprit constructif, tous les acteurs concernés peuvent analyser puis prescrire des solutions que cette fois les dirigeants s’engageront fermement à mettre en application. Il ya certes quelques problème déontologique qu’il punir sévèrement, mais il convient de souligner que la masse des enseignants et chercheurs camerounais sont prêts à servir avec dévouement, à condition que l’on donne les moyens et qu’on les considère et les respecte dans ce qu’ils font.
Alain Fogue Tedom
Universitaire


Universités : Méformes comme résultantes des réformes, par Léger Ntiga
En 30 ans de Renouveau, l’Enseignement supérieur s’est essayée à deux révolutions inopérantes. 

Yaoundé, la capitale camerounaise a abrité du 14 au 16 juillet 2010, «les premières assises nationales des programmes universitaires». Ce concept qui sonne bien à l’oreille vise à permettre à la gouvernance universitaire de franchir un nouveau palier au Cameroun. Il s’agit, a dit le ministre de l’Enseignement supérieur (Minesup), Jacques Fame Ndongo de passer à celui de «la refondation curriculaire». Cette projection contenue dans la déclaration finale des travaux et baptisée: «Le serment de Yaoundé», donne l’impression d’être comme tous les autres slogans qui accompagnent les politiques des autorités camerounaises dans divers autres secteurs. 

Si les chefs des institutions universitaires, les représentants des administrations publiques et du secteur privé se sont engagés, au terme des assises de la capitale camerounaise, «à renforcer entre autres, leur collaboration en vue premièrement d'une reforme fondamentale des programmes et cursus universitaires, deuxièmement de formuler leurs offres de formation universitaires en termes de savoirs et de compétences acquis sur la base d'une nomenclature simplifiée et commune à toutes les institutions nationales et troisièmement de mettre en œuvre les formations continues en alternance et tout au long de la vie», l’ajustement des programmes universitaires aux défis socioéconomiques reste asymptotique.
D’où l’appel des participants à la définition et à la mise en place urgente, en relation avec les milieux socioprofessionnels, d'un cadre national des qualifications d'enseignement supérieur et à la normalisation des annexes descriptives des diplômes sur la base des principes convenus. De même, ils ont souligné l'urgence d'un programme spécial pluriannuel et conséquent, de renforcement des capacités institutionnelles et infrastructurelles du système camerounais d'enseignement supérieur, afin de relever les défis de la professionnalisation, de l'arrimage aux standards internationaux imposés par la réforme licence-master-doctorat (Lmd) et du développement économique et social.

Appropriation
A propos du Lmd justement, plus d’un observateur estime que le système dont les avantages sont évidents n’a pas été bien implémenté au Cameroun. D’où d’ailleurs la mission d’évaluation de l’Unesco et de la Francophonie en cours dans les universités d’Etat. Selon les premières indications, les auditeurs sont réservés sur la manière dont l’appropriation de cette approche de la réforme universitaire est conduite. Ils déplorent notamment le non respect en la matière des directives de la Communauté des Etats de l'Afrique centrale (Cemac) sur le Lmd par tous les acteurs du système d'enseignement supérieur, en vue de la mise en cohérence et de l'harmonisation effective de l'organisation pédagogique générale de l'espace national.
Il s’agit, pour les experts, d’orienter les enseignements vers la professionnalisation. Une exigence qui s'impose comme critérium de valorisation des institutions et établissements d'enseignement supérieur, eu égard au défi de l'employabilité et de l'insertion professionnelle des diplômés du supérieur. En un mot, l'université camerounaise doit mettre fin à l'inadéquation entre la formation et l'emploi. La formule «un étudiant, un emploi» devra dès lors passer du stade de slogan à celui de la réalité. Depuis des années en effet, ainsi que l'observe le secrétaire exécutif du Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), Martin Abéga, «les universités camerounaises sont des usines à chômeurs». Ne s'étant pas ajustées aux réalités socioéconomiques et aux mutations de l'environnement national et international, elles continuent de former à la pelle des diplômés au «savoir savant».
Pouvait-il en être autrement dès lors que la réforme du 18 janvier 1993, qualifiée par certains observateurs, de précipitée, avait été initiée et imposée sans préparation aucune des différents acteurs de la communauté universitaire. Raison pour laquelle, esquissant le bilan cinq ans après, de cette réforme qui créait cinq nouvelles universités (Yaoundé II, Douala, Dschang, Ngaoundéré et Buéa), sans cadre véritable ni équipements adaptés, l’hebdomadaire Génération se fit cinglant avec son dossier de quatre pages paru en le 18 janvier 1997: «Ils ont tué l’université». Le journal notait que croyant résoudre un problème, le pouvoir s’était précipité à suspendre la bourse aux étudiants, non sans les jeter en pâture à un système des unités de valeur dont les enseignants surtout avaient du mal à comprendre les ressorts. A lors l’Université de Yaoundé à l’époque remplissait péniblement certaines exigences académiques (laboratoires, cités universitaires, bibliothèques, salles de cours, etc., l’on envoya des dizaines de milliers d’étudiants de manière cavalière dans des centres universitaires conçus pour accueillir à peine un millier.

Parachutages
Les résultats ne se firent pas attendre: Bekoué et une vingtaine de ses camarades de la faculté de droit et sciences politiques payèrent le prix de l’improvisation au cours d’un accident de circulation sur la route étroite qui reliait alors, Soa à Yaoundé. Autre prix de cette volonté unilatérale d’imposer une réforme sans partage, de 1997 à 2000 au moins, l’Université camerounaise a passé plus de temps à vouloir trouver un cadre à ses locataires, qu’à s’adapter à la donne internationale. Alors que le président de la République quand cela lui profite, a coutume de prôner «l’école au écoliers et la politique aux politiciens», l’Université est devenue le champ par excellence des parachutages politiques.
Ainsi est né le système des listes d’admission dans les grandes écoles. Selon qu’elles proviennent de la présidence de la République, des ministères, des directions générales ou des organes centraux ou de base du parti au pouvoir le Rdpc, les listes donnent accès à ces institutions et plus tard à l’emploi. Il en sera ainsi jusqu’à la création puis, l’admission de tous les étudiants ayant présenté le concours d’entrée à l’Ecole normale de Maroua dont les résultats furent précédés par des revendications à caractère régionales et politiques. Une délibération finalement soumise au jury que sera le président de la République.
De la réforme de 1993 à celle en cours, l'université de Yaoundé I est restée un cas particulier. Un cadre pensé à l’époque mais dont les infrastructures sont vieilles de 30 ans ou d'une vingtaine d'années pour certaines. Si l’on peut reconnaître que la réforme était nécessaire, l’étroitesse de l’Université de Yaoundé justifie-t-elle tout? «L'université de Yaoundé était pratiquement en période d'implosion. 45000 étudiants pour une université prévue pour 15000. C'est un pari qui a été pris de moderniser l'institution universitaire au Cameroun. Je crois qu'il faut toujours relever le courage du chef de l'État et des autorités qui avaient en charge l'Enseignement supérieur pour que ces mesures soient prises à ce moment où le Cameroun passait par l'une des phases les plus dures. Aujourd'hui, si on n'avait pas entrepris cette réforme, je ne sais pas ce que l'université serait devenue», répondait Jean Marie Atangana Mebara.
Pourtant la situation de sa jeune sœur de Douala n’est guère plus enviable. En dépit du campus préconisé de Ndogbong, les problèmes de promiscuité restent préoccupants. Même si, les ministres de l’Enseignement supérieur successifs (Agbor Tabi, Atangana Mebara, Tchuente, Fame Ndongo), ont eu le même argumentaire pour apaiser les appréhensions des étudiants et enseignants: «Il se passe beaucoup de choses, il faut simplement essayer de s'y rendre pour constater qu'il y a des choses qui s'y font. Je disais tout à l'heure qu'il y a un bâtiment de trois niveaux en cours de construction. Le recteur de cette université a dû publier un communiqué informant l'opinion de ce qu'il y avait eu une réunion de la commission de planification», faisait observer en 1998, Jean Marie Atangana Mebara dans une interview à Cameroon Tribune.
Toujours est-il que plus de dix ans après, les 312 ha alloués à cette université, tardent à porter l’infrastructure annoncée à cet effet. «Il y a eu des problèmes et des malentendus, devais-je dire pudiquement, au moment où on devait lancer les travaux entre les anciens propriétaires et les autorités de l'université. Je crois savoir qu'au stade actuel, ces malentendus sont en cours d'être dissipés et qu'il serait possible de commencer les travaux sur le nouveau campus. Ceci n'a pas empêché que sur l'ancien campus, on essaye de répondre aux besoins des étudiants», expliquait à son tour Jacques Fame Ndongo pour justifier certains retards des aménagements prévus.
Quoiqu’il en soit l’Université camerounaise, d’une vie à l’autre, tarde à prendre le visage des institutions de son niveau. Du moins, celui que les autorités du pays croient vouloir lui donner. Si théoriquement des outils ont été conçus pour la réorganisation de l’Enseignement supérieur au Cameroun, au plan pratique, des efforts importants restent à faire. La politisation du secteur, le défaut des infrastructures, l’absence des équipements de didactiques et autres outils académiques, minent les universités d’Etat dont les missions sont heureusement de plus en plus suppléées par les initiatives privées.
Léger Ntiga
*Journaliste,
Quoditien Mutations

 


Professionnalisation de l’enseignement supérieur, par Luc Ngwe
L’éducation constitue un des lieux privilégiés d’observation d’une société. De tout temps et en tout lieu, son importance dans le devenir des sociétés la situe au cœur des dynamiques sociales et sociétales. Par voie de conséquence, elle permet non seulement de mesurer l’état de santé d’une société, mais aussi et surtout d’entrevoir ses perspectives d’avenir. En la matière, l’éducation dans son ensemble rend bien compte de l’état de déliquescence du Cameroun. L’enseignement supérieur, particulièrement sa tendance actuelle nous fournit l’exemple de l’état du Cameroun et des dangers futurs

 

Professionnalisation : un serpent de mer de l’éducation
La professionnalisation de la formation est une problématique récurrente du système éducatif camerounais. Chaque décennie apporte son lot d’exigences de professionnalisation. Dans les années 1970, elle est vue sous l’angle d’accroissement du développement. Il faut professionnaliser pour mieux répondre aux besoins de développement. Cela débouche sur la formation du personnel étatique de développement après celui de souveraineté des années de l’indépendance. Dans les années 1980, la montée progressive du chômage de masse des produits du système éducatif redonne une certaine vigueur à la professionnalisation. Ce questionnement sur la pertinence de la formation traverse les différents niveaux du système éducatif et notamment le secondaire. Pour ce dernier niveau d’éducation, l’interrogation coïncide avec l’impossibilité de l’Etat à assurer tout seul la formation. Cela se traduit par une certaine libéralisation du marché avec comme conséquence une floraison des institutions secondaires (surnommées écuries) dites techniques et à visée professionnelle. Cette situation entame déjà la politique de désengagement de l’Etat en matière d’éducation. Non pas que la libéralisation constitue un problème en soi, mais elle intervient comme un pis aller et surtout sans préparation, ni orientation et sans objectifs globaux pour un pays en matière d’éducation.

La problématique de la professionnalisation refait surface dans les années 1990. Le modèle universitaire et plus globalement éducatif de développement à forte tendance étatiste et fonctionnaire mis en place depuis les indépendances et géré au coup par coup est en crise. Il connaît surtout un discrédit en termes de pertinence de la formation et d’absorption de ses produits. La nouvelle tendance à la professionnalisation qui émerge à ce moment est assortie d’une clause importante : l’auto-emploi des produits. Pis aller face au problème d’absorption des produits, cette clause parachève le désengagement de l’Etat en matière d’éducation et par voie de conséquence conduit celui-ci à se dessaisir de sa première fonction régalienne sous le couvert d’une réforme.

Le business éducatif décomplexé
Depuis la réforme de 1993, on assiste à un développement exponentiel des formations à visée professionnelle aussi bien dans les institutions publiques que privées. Le Cameroun compte plus de soixante dix institutions privées. La quasi-totalité de ces institutions qui se sont spécialisées dans ces produits en ont d’ailleurs fait leur carte de visite. Quant aux institutions publiques, elles comptent plus d’une centaine de formations à visée professionnelle à différents niveaux. Seulement, la professionnalisation ainsi engagée fonctionne en roue libre. En plus d’une réglementation tatillonne, aucune orientation globale n’est donnée faute d’objectifs globaux sur l’éducation. Par delà les appréciations techniques sur la pertinence de ces formations (modalités de création, fonctionnement, personnel, usages, etc), on assiste davantage à des phénomènes de modes éducatives sans perspective, en termes de dispositifs, d’infrastructures, d’orientation politique, d’utilités sociales et sociétales, etc. C’est ainsi par exemple que les formations aux nouvelles technologies de l’information se font au moment où le Cameroun entre par effraction dans ce secteur. Cela débouche sur des call box de AAA page 30 AAA fortune (tabouret et parapluie au bord de la route) ou du secrétariat de rue pour papiers administratifs : seule option disponible d’auto-emploi et surtout formidable gâchis de la ressource humaine, pourtant matière première durable et du futur. Ainsi, la professionnalisation engagée dans la réforme de 1993 constitue davantage un business éducatif qu’un réel besoin (encore mal défini) du Cameroun. Il s’agit d’une réponse de circonstance face à la crise du système qu’une réelle politique éducative. Cette situation est accentuée et pervertie en même temps par les besoins éducatifs liés au poids démographique (plus de 60% de la population a moins de 20 ans) lequel en fait un marché. Du coup, l’éducation tend ainsi à remplacer le cacao et le café d’hier en tant qu’activité marchande. Faute de pouvoir engager une politique éducative digne, permettant de relever les défis du savoir comme principale valeur ajoutée dans la concurrence internationale le Cameroun est réduit à la destruction de son système éducatif. Car à l’instar des débits de boisson, cette libéralisation s’apparente davantage à une marchandisation à la petite semaine pour des profits individuels des promoteurs. Normal dès lors que celle-ci n’est autre chose qu’une forme de captation des ressources collectives érigée en politique nationale. Seulement, cette tendance à la marchandisation à outrance annonce bien des problèmes sociétaux à venir.

Business tout azimut et risques à venir : le cas de la médecine
On assiste depuis la réforme à la prolifération des filières médicales dans les universités publiques et les institutions privées. Excellente idée peut-on penser au regard de la situation de pénurie de médecins que connaît le Cameroun. En revanche, les conditions de la formation posent question, compte tenu du niveau d’investissement continu de l’infrastructure indispensable et la qualité de la formation. C’est aussi dire qu’il s’agit des secteurs sensibles de la formation pour une société parce que touchant directement la vie. Or, pendant plus de 40 ans, l’Etat n’a pas réussi à maintenir à niveau la seule institution de formation des médecins dont elle disposait encore moins l’ensemble de la formation du secteur médical. Curieusement, les facultés de médecine tendent à s’ouvrir dans ces institutions d’enseignement supérieur, à l’instar de l’Université de Douala alors que celle-ci n’a même pas de bibliothèque pour les formations classiques à faible investissement infrastructurel.
Par ailleurs, la formation en médecine est davantage pratique au double sens de possession d’infrastructures (laboratoires dignes) et d’un réseau hospitaliers à niveau permettant les apprentissages. Dans quels hôpitaux ou centres de santé ces futurs médecins feront-ils leur apprentissage ? Dans ce cadre, les conditions de la formation des médecins posent des questions de santé publique. D’autant que ces futurs médecins ouvriront leur propre cabinet (auto emploi oblige) sans matériel, ni compétence réelle, mais en se fondant seulement sur leur titre de médecin. Après tout, n’est-on pas dans un pays où le titre vaut compétence ?
Que dire alors des conséquences ? Qu’on se souvienne quelques décennies auparavant de la professionnalisation effrénée dans le secondaire qui a vu germer des formations en électricité, plomberie, maçonnerie, etc. Evaluons aujourd’hui le résultat en observant les installations électriques et de plomberie dans les maisons et les rues. Certes, ces formations ont procuré de la débrouille à plusieurs Camerounais. Mais, il reste à évaluer les risques d’incendie à grande échelle. Ces formations en médecine tout azimut sont porteuses de risques sociétaux majeurs. En effet, on risque d’assister à un déplacement de la problématique de santé publique. C’est-à-dire que le problème de la santé publique ne sera plus la pénurie de médecins ou celui des maladies, mais davantage les médecins eux-mêmes en ce sens qu’on passera plus de temps à soigner les dégâts causés par des diagnostics et traitements approximatifs que les maladies elles-mêmes
Une question me brûle l’esprit, celle de savoir où ce beau monde qui aura initié, porté et utilisé ce projet pour le profit d’un jour ira se faire soigner si les menaces d’interdiction de séjour de l’Administration Obama étaient mises à exécution et si elles devaient être étendues à d’autres catégories d’individus et aussi se généraliser en Europe ou lorsque ce monde ne pourra plus pour des raisons d’âge avancé ou d’urgence médicale se déplacer (emprunter l’avion par exemple). Je n’ose pas imaginer que ce soit chez ces médecins. Qui sait ! Qui vivra verra, la vie est terrible, vivons seulement disait de façon anecdotique un chanteur camerounais
Luc Ngwe
Citoyen


Réforme Lmd dans les Universités camerounaises: virage manqué?, par Ambroise Kom

Le système LMD répond-il aux besoins réels de la société camerounaise actuelle ? Est-il en adéquation avec les exigences du marché de l’emploi ? Quelles perspectives?
Il est encore trop tôt pour véritablement évaluer l’état de la réforme Lmd dans les universités camerounaises. Toujours est-il que la manière dont elle a été engagée ne permet pas de lui augurer un avenir radieux, à moins évidemment d’une révision déchirante du cours des événements.
Mais, qu’est-ce donc que le Lmd (Licence, Master, Doctorat) ? Qu’y a–t-il là de nouveau ? L’Université, il faut le reconnaître, fonctionne depuis des décennies en trois cycles, Licence, Maîtrise, Doctorat. Pourquoi aujourd’hui, au lieu de parler des 1er, 2e et 3e cycles comme on l’a fait jusqu’ici, on préfère le sigle Lmd aux contours diffus et même franchement confus, diraient certains ?
Comme d’habitude en ce domaine, tout part d’une réforme survenue ailleurs. Dans le cadre de l’harmonisation des formations et des qualifications dans les universités de l’Union européenne, on y décide de s’arrimer au système Lmd pratiqué avec quelques variantes dans les pays anglo-saxons, mais adopté de manière universelle dans les universités nord-américaines.
Le système Lmd est plus complexe qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas simplement de réduire à trois (Licence, Master, Doctorat) le nombre de diplômes qu’offrent les universités. Il faut aussi passer du système de notation en chiffres (0 à 20) à un système de notation en lettres (A, B, C, D, etc.). Il est aussi question d’adopter un système semestriel d’enseignement avec pour conséquence éventuelle la suppression des examens de rattrapage. Mais le plus complexe demeure le découpage des programmes d’enseignement en crédits, unité de valeur ou unité d’enseignement. En clair, cela signifie que le passage d’une année d’études à l’autre se fera sur des bases passablement différentes de ce qu’on avait connu jusqu’ici. Une fois que l’étudiant(e) a validé un certain nombre de cours fondamentaux dans un programme donné, il pourra suivre les cours de niveau supérieur même s’il n’a pas nécessairement réussi tous les cours de l’année à laquelle il/elle était inscrit(e). Qu’un apprenant déclare qu’il est en 2e ou 3è année ne pourra donc plus signifier qu’il a réussi tous les cours de l’année précédente, mais simplement qu’il a pris sa 2e ou sa 3e inscription dans le programme. Toujours est-il que le passage d’un niveau à l’autre demeure soumis à la validation de tous les cours du niveau précédent et à l’obtention du diplôme en jeu. On ne saurait donc s’inscrire en M sans satisfaire totalement aux exigences du niveau L. La professionnalisation fait d’autant plus partie du système Lmd que l’Université est pensée pour réfléchir aux réponses à apporter aux problèmes qui se posent au sein de la société. Comment l’oublier ? L’Université américaine dont s’inspire le Lmd aujourd’hui – globalisation oblige - est la mère des études appliquées et des technologies innovantes destinées à transformer nos modes de vie.
Depuis que les six chefs d’État de la Cemac ont, le 11 février 2005, signé une déclaration commune recommandant l’adoption du système Lmd dans toutes les universités de leurs pays respectifs, on a pas mal glosé sur le système Lmd au Cameroun. Au-delà des textes ministériels, des colloques, séminaires, conférences et articles parus dans la revue du Minesup, des enseignants chevronnés (Minyono Nkodo, Paul-Gérard Pougoué) ont pris la peine d’expliquer, chacun à sa manière les enjeux de l’avènement du Lmd dans l’enseignement supérieur au Cameroun. Le Minesup a même commandité une Étude pour la mise en place du système Lmd au Cameroun (avril 2010) auprès de la Société française d'Exportation des Ressources éducatives (Sfere). L’économie de la présente intervention ne permet pas de commenter les analyses et les prises de position des uns et des autres. Je vais plutôt me pencher brièvement sur les questions à la fois pertinentes et légitimes que se pose Germinal: le système Lmd répond-il aux besoins réels de la société camerounaise actuelle ? Est-il en adéquation avec les exigences du marché de l’emploi ? Quelles perspectives?
Qu’il réponde ou non aux besoins de la société camerounaise, le système Lmd fait partie du monde global auquel nous ne pouvons pas/plus nous soustraire. Nombre de nos jeunes étant appelés à passer d’un pays à l’autre pour des besoins de formation ou de spécialisation, on est bien obligé de prendre acte de ce que le système Lmd est en train de s’imposer aux universités du monde entier comme incontournable. Il est simplement incompréhensible que nous ayons attendu que l’Europe et surtout les pays latins de ce continent s’y engagent pour que nous en comprenions la portée. Le Cameroun qui se targue d’appartenir à la fois aux cultures anglaise et française aurait pu être déjà familier de quelques notions du Lmd en empruntant au système scolaire anglophone les quelques rudiments dudit système dont il a hérité de la colonisation britannique ou en allant puiser directement à la source nord-américaine qui inspire tout le Lmd contemporain.
Eu égard à la relative complexité du système Lmd, des précautions minimales auraient dû être prises pour son adoption. Les études qui ont surgi après l’adoption dudit système auraient dû se faire en amont, de manière à bien cerner les enjeux de la réforme dans le contexte camerounais. Étant donné l’appartenance de la majorité des enseignants au système latin de l’enseignement supérieur, peu familier du Lmd, des études suivies de séminaires en direction des enseignants auraient dû se tenir pour véritablement évaluer le niveau d’applicabilité du Lmd. Outre les nouvelles dispositions d’esprit qui sont requises, nous aurions aussi compris que le Lmd qui se caractérise aussi par sa souplesse exige d’énormes moyens en personnel enseignant et en espaces pédagogiques. Il ne s’agissait pas simplement de traduire les notes chiffrées en notes lettrées comme certains le pensent, mais aussi de redéfinir les programmes en conséquence. Dans l’esprit du système Lmd, la professionnalisation qui est devenue le maître mot du discours de l’heure revient moins à donner une formation dite professionnalisante qu’à changer de pédagogie pour rendre plus opérationnelles les formations proposées. De ce point de vue, l’interdisciplinarité et la multidisciplinarité sont de rigueur dans le système Lmd. Ce que les Anglo-saxons appellent “Liberal Arts Education” permet à l’étudiant de toucher à tout de manière à sortir du premier cycle de formation avec un bagage lui permettant d’aborder le monde du travail avec un potentiel à large spectre. Paradoxal? Sans doute, mais efficace, assurément! Un(e) étudiant(e) qui se spécialise en littérature française par exemple est ainsi amené à suivre des cours de sciences sociales, des sciences de la vie, de philosophie, des arts, au moins un autre cours de langue, etc. L’objectif est qu’au sortir du programme de Licence, il/elle puisse s’intégrer dans n’importe quel milieu professionnel avec un temps d’adaptation relativement limité. Une professionnalisation plus pointue n’intervient véritablement qu’au niveau Master et Doctorat. Voilà qui explique qu’aux Usa par exemple, les études de médecine, de pharmacie, de droit, etc. ne commencent qu’après l’obtention de la licence. Bien que le médecin soit un scientifique de haut niveau, il lui est exigé d’acquérir au préalable un bagage intellectuel suffisamment vaste et divers pour comprendre les enjeux sociaux de la profession qu’il est appelé à exercer.
À ce stade, on peut donc répondre que le système Lmd correspond effectivement aux besoins de la société camerounaise. Mais delà à dire qu’on a les moyens matériels et qu’on a pris les précautions intellectuelles pour le pratiquer, il y a un fossé qu’on aurait du mal à franchir. Le bouleversement intellectuel, structurel et même logistique qu’aurait entraîné la mise en place d’un système Lmd bien compris est tel que le visage de notre enseignement supérieur aurait été totalement transformé. Au préalable, il aurait fallu former ou recruter de nombreux enseignants qualifiés, il aurait fallu se pourvoir en infrastructures pédagogiques adaptées, mais aussi revoir de fond en comble la structure des diplômes en innovant dans la manière d’appréhender certaines formations. Comment expliquer par exemple la survivance des diplômes du type Bacc+2 à l’ère du système Lmd? Les formations des professionnels de la santé auraient pu obéir immédiatement au système Lmd. De la sorte, les écoles de médecine, de pharmacie, de chirurgie dentaire, etc. auraient pu/dû ne recruter que des candidat(e)s titulaires de certaines Licences pour une formation complémentaire, justement plus professionnalisante. Il aurait pu en aller de même dans les écoles d’ingénieurs où on aurait pu/dû n’accepter que des titulaires d’un diplôme de niveau L. De la sorte, nombre de facultés de nos universités auraient connu une amélioration sensible de leur niveau de formation tandis que nombre de nos prétendues grandes écoles se seraient raffermies.
Pareille restructuration aurait pu accélérer dans certains secteurs la qualité et la quantité de professionnels dont le pays a un urgent besoin pour assurer son développement. Le système passablement bancal dans lequel on navigue actuellement ghettoïse notre système éducatif au lieu de le mettre en compétition avec les systèmes concurrents. Le Lmd qui était censé nous arrimer sur le monde global nous contraint sinon à l’enfermement, du moins au bégaiement.
Tout n’est pourtant pas perdu. Si l’on admet que l’enseignement supérieur se caractérise essentiellement par sa capacité à se remettre en cause, il faut également reconnaître que l’une des vertus cardinales du système Lmd, comme on l’a dit, est sa souplesse. Si les réformes actuelles sont perçues, non point comme un parcours achevé, mais plutôt comme un processus à réviser sans cesse, il y a lieu de soumettre le système actuel à une réelle métamorphose. Y parvenir suppose évidemment qu’on adopte une véritable démarche scientifique consistant à poser le problème et à se donner le temps et les moyens de réfléchir aux solutions en fonction des objectifs à atteindre.
Ambroise Kom


Eglises et création d’universités privées au Cameroun:Enjeux stratégiques de l'investissement dans la formation supérieure, par Marcelin Vounda Etoa

Le ministre de l’Enseignement supérieur a fait publier dans Cameroon Tribune du mercredi 20 octobre 2010 la liste des 97 institutions privées d’enseignement supérieur autorisées à fonctionner au Cameroun au titre de l’année académique 2010-2011. Quinze seulement de ces quatre vingt dix sept institutions sont la propriété des églises, une douzaine est de création très récente et neuf appartiennent à l’Eglise catholique. Ce tableau statistique souligne un faible investissement dans le supérieur des églises pourtant omniprésentes dans le système de l’enseignement secondaire. Alors qu’on leur doit l’implantation de l’institution scolaire et la création des premières écoles dans notre pays, les Eglises (Catholique et Protestantes) furent, de façon générale, curieusement incapables, jusqu’à un passé récent, de créer des institutions de formation supérieure. Toutefois depuis la réforme de l’Enseignement Supérieur survenue en 1993, suivant la dynamique de l’Etat qui a créé six nouvelles universités en dix sept ans, les Eglises semblent avoir enfin compris que la création d’institutions de formation supérieure leur échoit de façon légitime et se situe au cœur d’enjeux stratégiques pour l’avenir de notre pays. Il y a donc lieu de justifier, a priori ou a posteriori la nécessité pour les Eglises d’investir de façon structurelle et non plus seulement ponctuelle dans la formation et dans l’enseignement supérieur par la création d’universités. Un tel investissement aura l’avantage de soustraire les Eglises à une image d’Epinal qui en fait un simple lieu d’enchantement, coupé des nécessités et des besoins concrets des sociétés africaines. Trois raisons au moins pourraient justifier la nécessité pour les Eglises de s’engager résolument dans la formation supérieure dans notre pays. En créant des universités, les Eglises pousseraient à son point d’aboutissement ultime leur projet éducatif commencé il y a une centaine d’années par la création des écoles et de collèges d’enseignement secondaire, général et technique. L’investissement dans l’enseignement et la formation supérieurs permettrait également aux Eglises d’inscrire leur présence dans la vie universitaire, non plus à la périphérie comme c’est le cas actuellement avec les aumôneries, mais au cœur de ce milieu névralgique de la vie de la nation, l’université étant, de nos jours comme depuis toujours, le vecteur principal du développement, la jauge du niveau de l’évolution d’un pays, puisqu’ en effet, il n’y a pas, dans le monde entier, un seul pays qui soit plus avancé que son université.

I – Reprendre l’initiative historique
C’est à l’Eglise qu’on doit l’implantation des premières écoles au Cameroun, bien longtemps avant l’indépendance de notre pays. Dans la partie septentrionale où l’école arriva assez tardivement et qui demeure l’une des moins scolarisées, la première école fut implantée à Tibati dès 1929. C’est aussi à l’Eglise qu’on doit la création des premiers collèges d’enseignement secondaire dont plusieurs ont su préserver, jusqu’à ce jour, une tradition de rigueur dans la formation, à la fois sur le plan académique et sur le plan éthique et moral. Depuis qu’un palmarès des meilleurs établissements d’enseignement secondaire est publié par le Ministère des Enseignements secondaires, c’est officiel que la palme d’or est détenue, dans toutes les régions, par des collèges appartenant aux Eglises catholique et protestantes : Vogt et la Retraite dans le Centre, Liberman dans le Littoral, Mazenod et Colpro dans l’Adamaoua, Collège de la Salle à l’Est, etc.
Il est cependant curieux de constater que l’Eglise s’en soit tenue là, de façon générale : accompagner ses fils jusqu’au seuil de l’université. Pourtant la formation humaine, l’acquisition des savoirs à travers l’école, est structurée en trois cycles complémentaires. Autant il aurait été aberrant pour les Eglises d’abandonner les élèves formés dans leurs écoles au seuil du cycle secondaire, après l’obtention du Cep, autant il est absurde que ces Eglises aient cru leur mission achevée après qu’elles avaient conduit leurs ouailles et leurs pupilles à la fin du cycle secondaire, au seuil du Baccalauréat, franchi brillamment par la plupart de ces élèves. Le Baccalauréat est en effet le premier diplôme de l’enseignement supérieur dans tous les systèmes éducatifs. Les jurys des délibérations au terme desquelles les élèves du secondaire sont admis au Baccalauréat sont tous présidés par des enseignants d’université ; le diplôme qui leur est délivré est co-signé par le Ministre des Enseignements secondaires et par la plus haute autorité universitaire.
Au demeurant, en limitant la sphère de son influence au cycle secondaire, l’Eglise a volontairement limité l’impact de son action, la portée de son influence au seuil des grands enjeux vitaux de notre société. En effet, si le cycle de formation maternel et primaire est celui de l’initiation, du décryptage des modes de circulation du savoir, le cycle secondaire est celui de la reproduction du savoir déjà constitué. Seul le cycle supérieur est le lieu de la production du savoir; l’université étant aussi le lieu de sa conservation et de sa transmission.
Construire des écoles, ouvrir des collèges qui comptent parmi les meilleurs du pays et ne s’en tenir qu’à ces deux cycles de formation, c’est laisser son œuvre inachevée, au seuil stratégique où sont en jeu des intérêts vitaux à la fois pour notre pays et pour ses Eglises.
Une étude de Philippe Aghion et Elie Cohen intitulée « Education et croissance économique » précise l’un de ces enjeux vitaux liés à l’investissement structurel dans la formation universitaire. Ce type d’investissement, selon ces chercheurs est la jauge de l’ambition technologique (au sens le plus large de ce terme, c’est-à-dire à la fois du point de vue matériel et immatériel) d’un pays, d’une association, d’une Eglise, bref de celui qui l’initie.
D’après la théorie de la ‘’frontière-technologique’’ de Aghion et Cohen, selon qu’un pays est loin ou proche de la frontière technologique, c’est-à-dire du niveau technologique le plus élevé - qui serait celui des Usa-, les exigences de son système éducatif varient. Les pays les plus éloignés du standard technologique américain sont des pays dits en phase de ‘’rattrapage technologique’’; ce qui compte pour ces pays, c’est l’enseignement secondaire. Les autres pays, selon leur proximité avec le standard technologique nord américain, développent un système d’enseignement supérieur organisé et structuré avec rigueur et efficience.
La première catégorie de pays, ceux qui sont loin de la frontière technologique, sont encore au stade de l’imitation technologique. Si, selon Aghion et Cohen, la France d’après la deuxième guerre mondiale était située dans la catégorie des pays éloignés de la frontière technologique, on peut imaginer la place des pays africains et conséquemment celle du Cameroun sur l’échelle du standard technologique international.
En réalité, la majorité des pays africains n’en sont même pas à la phase de l’imitation, encore moins à celle du « rattrapage technologique ». Ils sont simplement invisibles sur la carte technologique du monde. Tout y est à faire ou presque, en matière d’offre d’enseignement supérieur de qualité. C’est un défi qui est loin d’être exclusivement celui de l’Etat et qui interpelle autant les Eglises que toutes les associations et institutions organisées avec rigueur et jouissant de certaines ressources.
Au demeurant, la création d’universités par les Eglises correspondrait à une ambition légitime. Au Cameroun, cinquante ans après l’indépendance, il est plus que temps pour l’Eglise dont on a rappelé qu’elle est à l’origine de la création de l’institution scolaire, de créer des universités, sinon s’accomplira à son plus grand déshonneur une prophétie biblique que tous les chefs d’Eglise connaissent bien : « les premiers seront les derniers ». A ce jour, sur près de 175 universités et institutions privées de formation supérieure qu’offre notre pays, moins d’une vingtaine appartiennent aux Eglises catholique et protestantes. Les initiatives de l’Upac, de l’Ucac, de Cosandai, de l’Ipsom, d’Elat de la Cameroon Christian University (Bali/Kumba), etc., sont donc heureuses mais largement insuffisantes, disproportionnées aux capacités réelles de nos Eglises. Au Ghana par exemple, l’Eglise est statistiquement plus avancée : la plus grande université privée appartient à une Eglise ; les Eglises, même pentecôtistes, disposent d’universités et les musulmans ne sont pas en reste, dans ce pays constitué en majorité de chrétiens.

II – L’inscription périphérique de l’Eglise dans le système de l’Enseignement supérieur.
Jusqu’ici, l’Eglise au Cameroun s’est contentée de s’inscrire de façon ponctuelle et périphérique dans le système de l’enseignement supérieur. Elle s’est contentée d’octroyer des bourses à ses fils et pupilles pour faciliter la prise en charge des problèmes matériels liés à la conquête du savoir, à la maîtrise de la technique qu’offre la formation universitaire. L’Eglise a ainsi limité son action à de la simple diaconie. Dans le meilleur des cas, l’Eglise s’est souciée aussi de l’accompagnement spirituel de ses fils, en greffant des aumôneries catholiques et protestantes dans la vie associative des universités existantes. Mais la pastorale universitaire à travers l’aumônerie et les mouvements évangélique comme le Groupe Biblique des Elèves et Etudiants du Cameroun, Campus pour Christ, Jeunesse en Mission, etc., du fait de leur position périphérique – ils n’interviennent sur les campus universitaires qu’au titre d’associations fonctionnant sur le mode de l’autorisation ; ces associations sont de ce fait dépendantes de l’humeur des responsables des universités où elles mènent leurs activités, lesquelles peuvent être interdites à tout le monde.
Par ailleurs l’action de l’aumônerie et des mouvements évangéliques sur les campus universitaires relève du témoignage subjectif. Le souci de l’Eglise, agissant sur les campus universitaires à travers l’aumônerie et les mouvements évangéliques est celui de l’inculturation de la foi des ses fils et de ses ouailles, confrontés, au seuil de la vie universitaire à une nouvelle culture. Cette nouvelle culture qui défie leur foi chrétienne est caractérisée par l’esprit critique et la place centrale accordée au rationalisme et à la force de l’argumentation. L’aumônerie et les mouvements évangéliques ont donc vocation à aider les chrétiens étudiants à faire la synthèse entre foi et raison, entre science et conscience. Plusieurs fils de l’Eglise, accédant à l’université et incapables de réaliser cette synthèse, ont perdu la foi et se sont éloignés des sentiers de l’Eglise.
Découvrant Karl Marx, Darwin, Auguste Comte, ces étudiants ont oublié qu’à ces intellectuels athées on pouvait opposer des intellectuels chrétiens comme le paléontologue Teilhard de Chardin, le physicien Louis de Broglie, le généticien Albert Jacquard et, plus près de nous, les philosophes Meinrad Hebga, Fabien Eboussi Boulaga, le sociologue Jean Marc Ela et le savant Engelbert Mveng.
Ce problème de déperdition spirituelle ne se pose guère dans les institutions scolaires et académiques de l’Eglise ou l’encadrement spirituel des élèves et des étudiants est naturel et structurellement construit.
Tous les fils de l’Eglise, ceux qu’elle a formés et qui se sont perdus, l’ont presque tous été quand ils sont sortis des structures de formation et d’encadrement de l’Eglise, quand l’encadrement de l’Eglise leur a fait défaut. Le nombre de séminaristes et petits séminaristes qui, ne se sentant pas une vocation pour le sacerdoce, ont pris des chemins de traverse et se sont complètement éloignées des valeurs de ces milieux de formation humaine est éloquent dans notre pays. Ils ont pour la plupart inaptes à articuler la foi qu’ils ont reçue avec les nouveaux défis auxquels ils ont eu à faire face.

III - L’investissement structurel de l’Eglise dans la formation universitaire
En posant la question « qu’y-a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem? Entre l’académique et le religieux ? » le carthaginois Tertullien opposait de façon radicale foi et raison, laissant entendre que les deux paradigmes étaient incompatibles par nature. Tertullien, par cette question, jurait avec l’histoire puisque l’Eglise fut historiquement, à l’origine des premières universités. Comme le relève Olusegun Olawoyin:
In fact, the modern university system is Christian in origin as remnant relics of the church in the academy. Bologna, Paris, Oxford and Cambridge, were originally Christian Catechical schools. Similarly, the best universities in the world today (Institute of Higher Education, Shangai Jiao Tong University, 2005), which are mainly in the United States such as Harvard, Yale, Princeton, Columbia and Brown, were Christian in origin. Without doubt, the ethos contributed by Christianity and the European Enlightenment contributed to making these universities the best. ( in A Christian Critique of University Education in Nigeria in Medwell Journals, The Social Sciences Year: 2010, Volume:5, Issue:1, p.:25-29)
L’Université en tant que lieu privilégié de la production du savoir est donc un lieu stratégique important où l’Eglise ne peut plus se contenter d’occuper une position périphérique, marginale. Parce que l’université est le laboratoire où s’observent les mutations sociales et à partir duquel sont construites et élaborées les réponses aux questions culturelles qui engagent la vie de la communauté nationale, l’Eglise qui a depuis longtemps perçu la dimension holistique de sa mission ne peut plus se contenter d’en être un acteur périphérique. Elle doit, elle aussi adresser ‘’les questions sociales, économiques et culturelles selon la perspective qui est la sienne.
A défaut d’être capable de productions technologiques, l’université camerounaise offre au moins à ceux qui la fréquentent, une technologie mentale pour discerner, dans la somme disparate et hétéroclite des productions technologiques matérielles et immatérielles, celles qui sont nocives à l’épanouissement du corps social.
C’est donc au cœur de ces enjeux vitaux que l’Eglise devrait inscrire son action : une action structurelle et non plus ponctuelle et périphérique.

La création d’universités par les Eglises devrait donc viser au moins trois objectifs :
1)- Faire passer la pastorale en milieu universitaire de la périphérie au Centre ; du témoignage subjectif à un témoignage structurel qui assure un encadrement à la fois diaconal et surtout spirituel à ses fils.
2)- Faire des Eglises des interlocuteurs institutionnels du monde académique, culturel et scientifique en établissant un dialogue entre la foi et les disciplines du savoir.
3)- Faire participer l’Eglise à travers les institutions universitaires qu’elle aura créées aux défis du développement et des mutations sociales de notre pays.
Mais, comme le note à juste titre Olusegun Olawoyin, les universités ne sont pas des collèges d’enseignement secondaire encore moins des séminaires ou des instituts de formation théologique.
The administrators must have known that universities are very costly to run. They must not because of this admit candidates more than what the university facilities can cope with; this will automatically defeat the purpose for which the university is established. Similarly, the qualities of teachers employed have to be carefully watched. The qualification of teachers expected to teach must not just be a born-again Christian with a higher degree. As Dockery (2004) advises, we need to encourage excellence in producing quality art, outstanding literature, great music, serious scholarship and first-rate research, while developing Christian scholars and students who can be salt and light in the academy (Dockery, 2004). It also means that such apparent non-issue as architectural design have to be carefully considered. (voir l’article cité ci-dessus)
Mais le champ du savoir, la multiplicité et la variété des domaines de la connaissance que prend en charge le système de l’enseignement supérieur imposé aux Eglises du Cameroun, dans le processus de création d’universités, des choix stratégiques prenant en compte leur propres défis historiques et les enjeux liés à leur encrage géographique et humain. Seule la prise en compte de ces spécificités devrait donner une identité propre à ces universités afin qu’on n’assiste pas à une duplication d’un modèle unique qui reproduirait les tares du système de l’enseignement existant : multiplication de filières dispensant des formations théoriques sans grande emprise sur la réalité et les enjeux pratiques et concrets de notre société. Comme le suggère la devise de la plus grande université du Ghana, la Central University College les universités chrétiennes privées devraient avoir pour but de développer un système d’enseignement supérieur fondé sur les valeurs éthiques et particulièrement orienté vers les besoins du continent africain ; l’un des plus important de ces besoins étant la formation du caractère des étudiants et la culture de leur âme.
Marcelin Vounda Etoa
Université de Yaoundé I/ Editions Cle


Privatisations: Un véritable marché de dupes, par Jean-Marc Bikoko

L’actualité économique en ce début du mois de Novembre 2010 au Cameroun a été marquée par l’annonce de l’imminence de la privatisation de la Camtel. Une des dernières entreprises encore à privatiser avec Camtainer et Sodecoton, suivant le processus engagé depuis 1993 avec la cession directe de l’Office Camerounais de la Banane (o.c.b) sur injonctions de la Banque Mondiale (bird). C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de revisiter le processus de privatisation au Cameroun en nous interrogeant sur ce qu’il en est de toutes les privatisations qui ont déjà eu lieu, particulièrement sur leur impact économique et social.
La crise économique des années 80 qui a particulièrement frappé les pays Africains a servi de prétexte aux différents bailleurs de fonds et principalement aux institutions de Breton Wood (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International) d’entrer en force dans la gestion économique de ces pays, en raison de leurs difficultés grandissantes à honorer leurs engagements envers leurs créanciers respectifs. En effet, dans le cadre des négociations en vue de la mise en place des mécanismes de rééchelonnement des dettes, les clubs de créanciers publics (club de Paris) et de créanciers privés (club de Londres), à travers des clauses restées secrètes, se sont « désengagés » du processus, au profit de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (fmi) devenus depuis lors les principaux, sinon les seuls bailleurs de fonds des pays sous-développés.
Il nous souvient que pour poursuivre les financements aux différents pays tout en leur permettant de continuer à assurer le service de la dette comme tout établissement financier, les Ifis avaient aux pays débiteurs toute une batterie de mesures supposées les aider à améliorer à terme leurs capacités de remboursement, quel que soit la contrepartie sociale à subir par les populations. Parmi les mesures préconisées, les privatisations comptent parmi les plus cyniques et les plus catastrophiques. Elles qui, à l’origine, devaient permettre automatiquement à l’état de baisser ses dépenses (en minimisant les subventions aux entreprises publiques) et d’améliorer ses recettes (produits des cessions et d’origine fiscale) tout en dopant la compétitivité des entreprises à travers la chute des monopoles et la transmission de la gouvernance d’entreprises aux privés nationaux ou non, supposés plus compétents et plus dynamiques, et donc à même de relever les défis. Qu’en est-il de cette vision idyllique au cours des deux dernières décennies ? Quel en est le bilan ?
Pour mieux comprendre le processus de privatisations au Cameroun, un rappel de la philosophie qui les a suscités s’impose. Celle-ci repose entre autres sur :
- l’assainissement des finances publiques ;
- la stimulation des initiatives privées et le développement des investissements ;
- la restauration des mécanismes de marché ;
- la mobilisation et l’orientation de l’épargne nationale vers les investissements productifs ; (initiative louable quoique les mastodontes de l’économie nationale aient malheureusement accordé la préférence et tout cédé aux expatriés, le plus souvent aux moins disant financiers ou sociaux).
- le développement de la compétitivité de l’économie nationale.
De cette philosophie ont découlé trois (3) grands principes qui sont :

1.La préservation de l’intérêt général.

La privatisation ne se limite pas, en effet, à un simple transfert de propriété du secteur public au secteur privé. A travers son souci de pérenniser les entreprises admises au processus de privatisation, l’Etat du Cameroun accorde une importance particulière d’une part à la préservation du plus grand nombre d’emplois qui soit compatible avec les critères d’efficacité et de rentabilité de l’entreprise, et d’autre part à la situation du marché dans lequel évolue l’entreprise afin d’assurer le bon fonctionnement des mécanismes de marché et d’éviter les situations de monopole ;

2. La transparence du processus de privatisation.
Celle-ci se caractérise par le respect strict de la réglementation en vigueur en matière de privatisation, laquelle consacre les principes suivants :
• L’appel à la concurrence (appels d’offres publics) ;
• La transparence et l’équité (modalités et règles de jeu clairement précisées dans un cahier de charges mis à la disposition de tous les candidats) ;

3.L’évaluation préalable. Avant de s’engager dans le processus de privatisations à lui imposé suite à la récession qui a frappé le Cameroun de 1986 à 1994, l’Etat a mis en place un programme dé réhabilitation qui a permis de procéder à l’évaluation de 171entreprises. En 1990, un premier groupe de 75 entreprises a été recensé. Parmi ces entreprises, 10 ont été admises à la privatisation, 43 à la liquidation et 22 à la réhabilitation. Puis en 1994, 15 autres entreprises ont été admises à la privatisation par décret présidentiel.
En procédant à une radioscopie des privatisations menées à leur termes aujourd’hui, il apparaît clairement que :
- globalement, ces principes n’ont pas été respectés ;
- les intérêts du Cameroun n’ont en rien été préservés, ni en terne de valorisation à la cession, ni en termes de recettes et de coût, l’Etat ayant repris à sa charge les principaux engagements financiers des entreprises privatisées qu’elle s’est d’ailleurs engagée à payer à travers le mécanisme de la titrisation des recettes fiscales du système b- l’impact de ces privatisations tant sur l’emploi que sur la croissance nationale est totalement négatif.
En nous basant enfin sur les conséquences du transfert de propriété et donc d’objectifs du management des entreprises privatisées, surtout celles en charge des services éminemment publics, nous émettons de sérieuses réserves quant à la poursuite de ce processus et son extension aux entreprises qui restent à privatiser parmi lesquelles la camtel. Même comme dans ce cas précis, les turpitudes des dirigeants actuels de cette entreprise stratégique battent en brèche notre position.

Tableau : Quelques entreprises privatisées

Ocb

Php-Spnp

Français

Agricole

Salaires trop faibles et mauvaises conditions de travail
Camsuco Sosucam Nationaux Agricole Faible niveau de production
Cocam Ecam Placages Italiens Bois Bonnes
Sofibel
Sepbc Sepbc Nationaux Bois export Bonnes
Ceper Ceper Nationaux Imprimerie Nulles
Socapalm Groupe Monkam Nationaux Agricole Non satisfaisant

Cte

Sud Africains

Agricole

Baisse des effectifs et mauvais traitements du personnel
Hevecam Gmg Intl Indonésie Agro-industrie Forte baisse des prestations

Regifercam

Bollore

Français

Transport Ferroviaire Offre sociale faible et maintenance nulle
Camai Camair-Co National Transport aérien En projet et toujours non opérationnel

Camtel Mobiles

Mtn

Sud Africains

Télécoms

Coût des communications trop élevée par rapport au pouvoir d’achat des populations
Licence de télécom France Télécom Français Télécoms Coût trop élevé par rapport à l’Afrique

Sonel

Aes Sirocco

Américains

Energie

Production insuffisante et de mauvaise qualité du service
Snec Cde - Camwater Marocains/National Eau Production insuffisante et de mauvaise qualité
Camship Camship Nationaux Transport Maritime Baisse des effectifs et des actions sociales
Camtainer
Socar Assurances
Ceper Mupec Nationaux Imprimerie Mauvaise Gouvernance – En restructuration
Socamac Sapa - Sté Groupe Ccei Nationaux
Sté Camerounaise de minoterie

Socoba

Nationaux

Industrie alimentaire

Sgbc Société Générale Français Banque

Baisse des effectifs et limitation de l’accès au crédit par les locaux

Bicec Groupe Bp Français Banque
Scb Crédit Lyonnais Français Banque

Comme le montre le tableau ci-contre, les effets des privatisations ont connu des fortunes diverses en raison des orientations qu’ont bien voulu leur donner les membres des commissions en charge des divers dossiers. En effet, quoique la clarté des lois régissant les privatisations au Cameroun ne fasse l’ombre d’aucun doute, les opérations menées dans les différents cas brillent par leur disparité et leur absence de transparence. Ainsi les modes de cession varient-ils suivant les entreprises, y compris de même nature, sans accent particulier sur les intérêts réellement privilégiés.
Cas particuliers de privatisations (Le financement des riches par les pauvres)
Pour être plus concret, nous allons revisiter quelques cas particuliers de privatisation qui peuvent permettre de mieux cerner les contours du processus au Cameroun

La privatisation de la regifercam
C’est en 1999 que cette entreprise d’Etat a été privatisée, concédée au groupe Bolloré, sous la dénomination de camrail, pratiquement au franc symbolique, au-delà de quelques charges qui ne seront jamais respectées. Cette concession à l’origine était prévue pour une durée de 30 ans, avec comme principaux objectifs de développer le transport des personnes et des marchandises, de renforcer la sécurité, d’équiper les gares de voyageurs. En effet, à l’époque de sa reprise du chemin de fer camerounais, camrail devait réhabiliter le matériel roulant et renouveler la voie. Le parc du matériel roulant se composait à ce moment là de 32 locomotives de ligne, de locomotives de manœuvre, de voitures voyageurs et de wagons marchandises.
De même, la convention de concession mettait l’accent également sur le transport des passagers dont on a l’impression aujourd’hui qu’il est pratiquement délaissé. Dans la même logique, les coûts de transport des colis ont subi une forte augmentation. Cf. tableau ci-après relatif à la tarification des produits Camrail sur la ligne Yaoundé - N’Gaoundéré

Tableau Tarification des produits camrail - Ligne Yaoundé - N’Gaoundéré
Ligne Niveau

Prix

Regifercam

Prix Camrail Taux de variation
Classique 2 7.000 10.000 42%
Classique 1 12.000 17.000 41%
Wagon-Lit 2 16.500 25.000 51%
Wagon-Lit 2 18.000 28.500 33%

L’on remarque en outre qu’aucun investissement n’a été fait dans les zones traversées par le chemin de fer. Les voyageurs se plaignent aussi des conditions peu humaines de voyage par train où l’hygiène est approximative.
Tous les dix ans, une négociation devait être opérée à l’effet de vérifier de manière contradictoire le respect des engagements réciproques. En 2009, suite aux divers accidents de trains survenus sur les lignes de la société, des débats ont eu cours entre le groupe Bolloré CAmrail et le Ministère des transports à l’effet de la mise en place d’un nouvel avenant à la convention ferroviaire, étant donné que nous étions déjà au terme de la première décennie de la susdite convention. Dans le cadre de cet avenant, les investissements évalués à hauteur de 240 milliards sont, au-delà des chiffres (soit 110 milliards pour l’Etat du Cameroun et le reste pour le Groupe Bolloré), inégalement répartis entre les deux intervenants au profit de Bolloré, alors que la répartition des recettes n’a rien à voir avec cette répartition des charges et des engagements. Cf. tableau ci-après.

Tableau. Répartition des recettes et des charges

En effet, la société Camrail, dans la prochaine configuration, ne prend pratiquement aucun risque. Ses risques et charges sont minimisés, car transférés à l’Etat, qui opère comme son assureur et financier. Les engagements que l’Etat du Cameroun prend envers le groupe Bolloré sont supérieurs aux charges que générait l’exploitation de la Regifercam au moment de sa mise en concession. «L’amortissement, la maintenance et le renouvellement de l’outil de production de la compagnie sont assurées par l’Etat en faveur de Camrail qui, curieusement, est également maître d’ouvrage dans cette opération » selon certains responsables au Ministère des Transports qui ont requis l’anonymat.

L’avenant N°2 prévoit notamment que les voies ferrées seront renouvelées avec des traverses métalliques. Ce qui semble arranger le concessionnaire Camrail au détriment de l’Etat du Cameroun. Car le choix des traverses métalliques est plus coûteux que celui des traverses bi blocs, utilisées actuellement. A en croire un spécialiste dans le domaine, «Il est important de noter que la technologie des traverses bi blocs est aujourd’hui avérée. Elles sont techniquement bonnes, très stables, très durables (autant sinon plus que les traverses métalliques) ; moins coûteuses (même si l’on intègre le coût de pose), et elles sont dorénavant réparables. Par dessus tout, elles ont l’avantage qu’elles pourraient être faites sur place, et ainsi offriront des emplois aux Camerounais, en plus d’intégrer dans leur fabrication une bonne part d’intrants de l’économie nationale, notamment le ciment, le concassé, … tout en réduisant d’autant les matériaux importés comme le fer qui a connu une inflation importante ces dernières années, et de ce fait participe à la fuite de nos capitaux».
Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de se poser ici la question de l’opportunité de cet avenant en l’absence d’un bilan convaincant de la première décennie de la convention. Et pourquoi cette frilosité de l’Etat qui se matérialise par l’absence de transparence et de concurrence ? Est-ce parce qu’il s’agit de Bolloré ?

La privatisation de la sonel
En octobre 1999, la décision est prise par le Gouvernement camerounais de céder plus de la moitié du capital de l'entreprise à une structure privée. La manifestation d'intérêt est sollicitée et un lancement du processus s'opère en septembre de la même année par la Commission Technique de Privatisation et de Liquidation des Entreprises Publiques et Parapubliques. Dans le courant de l'année suivante, le cabinet privé Arthur Andersen prépare un audit des comptes de la sonel. L'adjudication provisoire est annoncée pour la fin de l'année 2000 avec en prime aes Sirocco et le Groupe edf Saur. On procède alors au lancement de l'appel d'offres le 30 novembre 2000 sous la pression des mêmes Institutions de Breton Wood dans le cadre d’un Programme d'Ajustement Structurel triennal. Au courant de la même année, il est demandé aux deux derniers candidats restés en lice à savoir aes et edf de verser avant le 30 novembre une offre suffisante selon les termes d'acquisition de l'entreprise. Seule AES a réussi à remplir toutes les exigences et le 19 juillet 2001, la Sonel a été privatisée au profit de Aes Sirocco limited, une entreprise américaines qui contrôlera 56 % du capital de l'entreprise, sur une période de 20 ans. Le coût de la Privatisation de cette entreprise au capital de 72 milliards, disposant de surcroît d’un potentiel de croissance de 400% (clientèle privée et clientèle commerciale comprise) est de 23 milliards de francs cfa. A chacun de juger !
Il convient rapidement de relever que la Sonel dont le capital était évalué au moment de la privatisation à 72 milliards de Francs cfa a été facilement servie sur un plateau d'argent aux américains. Une concession synonyme de clin d’œil dont l’objectif était d’amener les Américains à convaincre les bailleurs de fonds multilatéraux que sont la Banque Mondiale et le Fmi à fermer les yeux sur certaines insuffisances et débloquer l'argent au titre de la deuxième phase de décaissement du Programme annuel.
Aes sirocco s’engageait alors à réaliser un investissement de 1.000 milliards en termes d'équipements les dix premières années, pour atteindre les quatre objectifs suivants ont été énoncés par l’équipe à Bassoro au moment de la cession de la Sonel. Il s’agissait en fait de :
- L’amélioration à bref délai de l’efficacité des systèmes et de la qualité des services.
La promotion de la prise de participation par le secteur privé national y compris les salariés de l’entreprise ;
- L’accroissement rapide des taux de desserte de la population sur l’ensemble du territoire national en matière de services publics de base (télécommunications, électricité, eau, transport….) avec un accent sur le milieu rural. L’Etat a mis l’accent sur la réalisation de cet objectif lors de la cession de la Sonel. Il est question pour la société de passer d’un taux de desserte de la population, de 31% en 1999 à 49% en 2019 et 55% en 2026 ;
- La réalisation des gains de productivité significatifs qui permettent d’assurer une structure tarifaire optimale pour les services publics concédés. Cet objectif montre l’importance de la tarification dans les services publics de base.
Malheureusement pour l’Etat du Cameroun, nous sommes très loin du compte aujourd’hui. La volatilité du haut management (Pca et Dg) en sont une parfaite illustration. Les problèmes sont si souvent évoqués par les différents intervenants au point qu’il serait fastidieux de les énumérer ici. Les opérateurs économiques et les ménages ne sont certainement au bout de leur calvaire. Elles qui se mordent encore les doigts du fait de cette privatisation qui a causé et cause encore tant de douleurs et désagréments sur la et survie des citoyens et surtout des entreprises.
Certains spécialistes affirment sans sourciller que les faibles performances en offre d’énergie ont couté au Cameroun sur les huit dernières années environ 2.5 point de croissance bon an mal an, d’autant plus que l’autorité en charge de la régulation n’a toujours pas compris quel est son véritable rôle et son pouvoir.
La fin du monopole nous fera certainement vivre une ère nouvelles. Nous espérons en effet que les désagréments en fourniture et facturation arbitraire de l’énergie ne seront plus qu’un lointain souvenir.

La privatisation de la Snec
La grande épidémie de choléra qui secoue actuellement notre pays a ramené à la une le problème de l’eau au Cameroun. En effet, les médecins nous ont permis de savoir que l’hygiène ou plutôt son absence est une des causes principales de la propagation de la maladie. L’on a fini ainsi par se souvenir de l’absence d’eau potable dans nos grandes villes et dans nos villages. Les pénuries, le rationnement et la mauvaise qualité de l’eau étant le lot quotidien du citoyen alors que la privatisation était supposée faire oublier ces problèmes. Que s’est-il passé réellement lors de la privatisation ?
En effet, le processus de privatisation de la Snec a été conduit en étroite concertation avec les partenaires au développement tels la Banque Mondiale, Chef de file, l'Afd et la Bei qui ont accompagné la partie camerounaise dans toutes les étapes de la procédure, ce qui du reste a suscité beaucoup d'intérêt auprès des grands opérateurs à l'expérience mondiale avérée dans le secteur de l'eau potable.
L’appel d’offres international lancé par le gouvernement camerounais le 25 juillet 2006 et relatif à la mise en "affermage" du volet production, transport, traitement, stockage, distribution et commercialisation de l’eau au Cameroun, a enfin livré son résultat. Le Groupement Office National de l’Eau Potable du Maroc (Onep-Delta Holding-Ingema) qui a présenté la meilleure offre technique et financière a été désigné adjudicataire provisoire de la Société Nationale des Eaux du Cameroun (Snec). Suite à la non-objection de la Banque Mondiale, financier de l'ensemble de la procédure, sur l'ensemble des opérations, du lancement de l'appel d'offres, à la proposition d'attribution après les résultats des analyses technico financières des offres d’une part, et l’accord du Président de la République du Cameroun d’autre part. Les différents documents de transaction entre l'État du Cameroun, Camwater et Cde, Filiale de l'Onep ont étéAAA AAA signés le 18 décembre 2007, consacrant alors l'aboutissement du processus de privatisation de la Snec.
Divers opérateurs économiques saluent la privatisation de la Snec, considérée comme exemplaire et ayant le mieux répondu aux attentes des pouvoirs publics et des différents bailleurs de fonds qui continuent à apporter leur précieux concours à la réussite de la réforme du secteur de l'hydraulique urbaine et périurbaine. Selon des sources proches du dossier, l’exécution du programme d'investissement de 300 milliards de FCfa prévu pour les dix prochaines années se déroule comme prévu, tant sur le plan de la mobilisation des financements que de celui des réalisations. Cf. tableau sur le consortium des bailleurs.

Tableau: Consortium des bailleurs

Partenaires

Montants du financement

En Milliards

Banque Mondiale 40
Don Gpoba 2
Exim Bank China 11
Banque africaine de développement 30
Agence française de développement 39
Banque européenne d’investissement 26
Commerz Bank Belgium 39
Badea Banque Arabe 15
Banque Islamique de Développement 15
Total 217

Il convient toutefois de se demander pourquoi à ce jour, à l’issue d’un processus aussi clair et avec un tel niveau de financement conforme aux besoins exprimés depuis une décennie par les responsables encore en poste aujourd’hui, les mêmes problèmes subsistent. Pourquoi avec une enveloppe de plus de 300 milliards de FCfa, la société de patrimoine ne parvient ni à étendre le réseau, encore moins à fournir aux citoyens de l’eau potable de manière satisfaisante. S’agit-il encore d’un problème de compétences ou alors de probité ?

Autres cas de privatisations
D’autres cas de privatisations de moindre envergure constituent également de bonnes illustrations. Il s’agit entre autres de :
- La cession d’Hevecam qui a consisté en la mise en place d’un bail emphytéotique de 40.000 hectares d’Hevea pour une période de 25 ans, tout en sachant que la durée de vie d’exploitation d’un hévéa est de 25 ans. A la fin de cette concession, que restera-t-il aux Camerounais ? Ce d’autant plus que l’extension des plantations existantes n’a jamais été à l’ordre du jour.
- La braderie de l’Ocb qui a consisté en une cession simple et définitive, sans que les procédures de publicité (appels d’offres) n’aient été vraiment observées. Les employés de cette entreprise dont les conditions de vie sont dignes de Germinal de Emile Zola en payent jusqu’aujourd’hui le prix fort.

Marches de dupe
L’une des curiosités de ces privatisations repose sur la reprise par l’Etat du Cameroun de tout le passif des entreprises privatisées. En effet, la plupart de ces entreprises étaient débitrices de sommes faramineuses auprès des banques de la place, toutes française curieusement. Ces créances énormes ont tout simplement été reprises par l’Etat, laissant ainsi aux différents acquéreurs les actifs, une véritable manne. Une dette que l’Etat s’est naturellement trouvée, tout au moins à ce moment-là, dans l’impossibilité de payer.
C’est alors que, à l’instigation des mêmes créanciers en consortium, l’Etat du Cameroun a mis en place un mécanisme de gestion de la dette appelé « la titrisation ». Il s’agit ici de la création d’un fonds de pension off shore qui devait gérer les ressources issues des versements fiscaux des différentes banques, et de les placer dans un paradis fiscal, afin que les sommes ainsi générées en capital et en intérêts, puissent assurer le remboursement de ces dettes. C’est donc ainsi que l’Etat du Cameroun a volontairement renoncé, sur de longues années, aux recettes fiscales de toutes natures que devaient lui reverser ces entreprises, qui comptent parmi les plus dynamiques et les plus rentables. A titre d’illustration, la SGBC fait bon an mal an (situations mensuelles publiables) un bénéfice de 6 milliards pour un chiffre d’affaires à douze chiffres. Vous pouvez imaginer le manque à gagner.
Pour ce qui est de la gestion de ce fonds off shore, sur ce que le Cameroun nous a montré jusqu’à présent, et connaissant le niveau de compétence et d’intégrité requis pour son contrôle et les incidents survenus sur ces marchés (crashs boursiers, Enron, Madoff et autres Kerviel) nous réitérons nos doutes sur la pertinence de ce mécanisme ainsi que sur sa parfaite maitrise par les financiers Camerounais.

Faible impact sur la croissance et l’emploi
L’autre aspect à relever sur les privatisations déjà effectuées est leur faible impact, aussi bien sur la croissance que sur l’emploi.
S’agissant de la croissance, Le modèle de fonctionnement que la plupart des repreneurs ont adopté leur a permis de gérer efficacement les petites barrières techniques que l’on a essayé de mettre en place contre le rapatriement des fonds. Les uns et les autres ont en effet mis en place des unités commerciales off-shore (bureaux de ventes et des bureaux d’achat) qui procèdent aux opérations commerciales qu’elles valorisent elles-mêmes, toutes choses qui leur permettent de procéder à des prélèvements induits et à la perception de toutes sortes de commissions de management à la base. C’est ainsi qu’ils minimiser subtilement mais avec la complicité de certains fonctionnaires, leurs marges bénéficiaires et donc le volume des versements à faire au niveau du fisc. On comprend donc pourquoi la plupart de ces entreprises peut continuer de déclarer des pertes cumulées, alors qu’elles sont situation de monopole. Ainsi donc, l’essentiel des bénéfices étant rapatrié dans les pays d’origine, ces entreprises ne contribuent en rien à la relance de l’économie nationale.
En ce qui concerne l’emploi, non seulement aucune disposition n’a été prise pour préserver les emplois et protéger les travailleurs, mais aussi et surtout, les privatisations au Cameroun ont suivi bêtement le Code du Travail de 1992, lui mal négocié par des leaders syndicaux non vigilants et mal préparés. Les travailleurs furent ainsi livrés pieds et poings liés à la toute puissance des nouveaux repreneurs, qui ont tous procédé à la baisse des effectifs, lorsque les liquidateurs ne l’avaient déjà pas fait avant la cession. Les conséquences évidemment ont été dramatiques sur l’emploi (baisse des effectifs, baisse des rémunérations et plus grande précarité en raison de la permissivité de la loi et de la forte concurrence générée par les personnels licenciés en quête de réinsertion).
Se fondant en outre sur le Smig (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) d’alors qui était évalué à 23 000 FCfa contre 28 216 FCfa aujourd’hui, les entreprises privatisées ont presque toutes aligné leurs rémunérations sur les salaires des personnels de l’Etat, qui eux-mêmes venaient de subir une baisse drastique de plus de 70%.

Bilan social
D’une manière générale, il presque partout catastrophique. L’Etat ayant repris à son compte et dans la plupart des cas, les droits des employés des entreprises privatisées, ceux-ci n’ont jamais été payés aux rares survivants qui continuent d’attendre à coup de promesses non respectées, en raison nous dit-on, des difficultés de trésorerie de l’Etat, pendant que les repreneurs affichent des marges bénéficiaires réelles énormes.
Le seul cas qui constitue l’exception qui confirme la règle est la privatisation de la Snec. En effet, il est important de rappeler que dans le cadre de la réforme du secteur de l'eau potable, tous les emplois ont été maintenus. Ce qui est rare dans le monde entier au moment de la restructuration d'une entreprise publique. Avant la mise sous Administration provisoire de cette entreprise en 2002, la situation sociale du personnel était particulièrement précaire. Avec une dette sociale vieille de près de 23 ans, ces agents n'avaient pas de couverture sociale, les indemnités et avancements divers étaient gelés. C'est curieusement dans le cadre de la privatisation que leurs droits ont été payés à concurrence de 6 milliards représentant entre autres, le remboursement intégral en mars 2003 de l'épargne-prêt d'un montant de 908 millions de FCfa. A mettre également dans ce registre la restauration en janvier 2005 de la prime de productivité, suspendue depuis plus de 20 ans ; le rétablissement des reclassements et avancements des employés restés suspendus pendant 18 ans ; la reprise après 15 ans des cotisations sociales du personnel à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (Cnps), suivie des paiements des prestations sociales en faveur des employés et agents retraités ; la remise des médailles d'honneur du travail à plus de 2000 employés méritants…
En guise de conclusion, nous pouvons affirmer avec conviction que les privatisations imposées par les IFIs (version Pas) constituent une véritable escroquerie. Il est inacceptable que des institutions du système des Nations Unies qui de surcroît ont imposé ces privatisations restent muette devant une telle spoliation d’un état qu’ils prétendent pourtant aider à sortir de la pauvreté et à se développer.
Nous rejoignons à cet effet la réflexion de certains observateurs et experts à savoir que le gouvernement camerounais n'avait pas compris qu'il aurait pu améliorer les conditions de gestion de certaines de ses entreprises en termes d'équipement et surtout en termes de distribution et de production, si une analyse en profondeur des offres de spécialisation de certaines sociétés en lice avait été faite. Malheureusement, il a investi à coups d'emprunt plus d'une centaine de milliards depuis les années 80 jusqu' au début des années d'avant la dévaluation de 1994 pour des résultats catastrophiques, aussi bien pour l’économie camerounaise que pour le bien-être des populations.
Nous pensons donc qu’il est urgent que de nouvelles négociations sur différents dossiers sont nécessaires, afin que des clauses de retour à meilleure fortune soient intégrées aux différents mécanismes. En y associant cette fois, et de façon systématique, d’autres énergies morales et intellectuelles dans l’élaboration des stratégies de croissance et de lutte contre la pauvreté. Ce qui permettra aux représentants des organisations de citoyens de bien veiller à leurs propres intérêts, «Les intérêts de l’Etat étant parfois différents des intérêts des citoyens».
Jean-Marc Bikoko 
Coordonateur de la Plateforme d’Information et d’Action sur la Dette
Président de la Centrale Syndicale du Secteur Public


Le règne des idoles et l’athéisme camerounais, par Ludovic Lado sj

Comment l’homme façonne le religieux, au sens du rapport à l’absolu, et comment le religieux façonne l’homme dans un cadre spatio-temporel donné ? Cette question est au cœur de l’approche anthropologique du religieux. Les socio-anthropologues ont suffisamment démontré qu’entre le sacré et le politique il n’y a pas que des rapports d’extériorité au sens où le religieux peut légitimer le politique. Mais le sacré est inhérent au politique, par exemple, par la vénération due aux emblèmes et institutions républicains, tout comme le politique est inhérent au sacré entre autres par la réalité du pouvoir. 

Notre cadre spatio-temporel ici est le Cameroun à l’ère du Renouveau. Il s’agit d’esquisser le décryptage des modes de rapport des gouvernants et des gouvernés au sacré sous le régime politique qui préside aux destinées du Cameroun depuis près de trois dernières décennies et que ses géniteurs avaient convenu de baptiser « Renouveau », ce qui n’est pas sans évoquer le vocable de « réveil » chéri par certains nouveaux mouvements religieux d’obédience chrétienne qui poussent une peu partout dans nos villes. Comment le religieux se positionne-t-il dans l’espace sociopolitique camerounais aujourd’hui après cinquante ans d’indépendance dont vingt huit de Renouveau ? Le social étant par essence complexe, nous nous limiterons dans le cadre de cet article à deux modes de rapport au religieux, notamment l’athéisme pratique et l’idolâtrie que tendent à voiler l’effervescence religieuse au Cameroun aujourd’hui. 

Notons d’abord que ces trois dernières décennies au Cameroun ont été marquées non seulement par le retour du multipartisme encore à la recherche d’une forme démocratique, mais aussi par une sorte de libéralisation religieuse qui a favorisé la diversification de l’offre religieuse. Désormais un certain libéralisme politique cohabite avec une libéralisation religieuse. Mais au commencement étaient les religions locales ; puis avec les conquêtes et la colonisation sont arrivés l’Islam, le Christianisme et les mouvements ésotériques tels que la Rose-Croix et la Franc-maçonnerie. Au-delà de la résistance des religions locales à l’assaut de l’Islam et du Christianisme missionnaires et ethnocentriques se sont opéré bien de syncrétismes et d’innovations qui se poursuivent aujourd’hui sous la forme de l’émergence des mouvements de réveil importés ou autochtones. Ces mutations religieuses dans un contexte de libéralisation complexifient au fil des décennies l’univers religieux camerounais. Mais le moins que l’on puisse dire est que l’espace social camerounais bouillonne encore du religieux, de quoi donner raison à John Mbiti, intellectuel kényan, qui affirmait à l’aube des indépendances que  les Africains sont incurablement religieux. Où situer donc l’athéisme ou l’idolâtrie dans une telle configuration ?

Le Cameroun, comme la plupart des pays occidentaux, se définit aujourd’hui comme un Etat laïc signifiant par là qu’il ne parraine et n’est parrainé par aucune religion particulière, qu’il protège la liberté de culte de chaque citoyen tant que l’ordre public et la dignité de l’homme ne sont pas en jeu. En d’autres termes, la citoyenneté commune est compatible avec le pluralisme religieux. Effectivement, au Cameroun, cohabitent des chrétiens de diverses dénominations, les musulmans de diverses confréries, les adeptes de religions locales,  des Rosicruciens, des Francs-maçons, quelques adeptes de religions orientales, une poignée athées, etc. En général les hommes politiques, comme les autres citoyens, se réclament de l’une ou l’autre appartenance religieuse.

Mais même dans les plus grandes démocraties du monde, la pratique de la laïcité s’est révélée plus difficile que l’on ne le pensait à cause de la complexité des réalités sociales et des défis du multiculturalisme. Comment vivre ensemble en respectant nos différences, y compris la différence religieuse. Il n’est pas toujours facile de trouver le juste milieu entre les deux extrêmes de l’intégrisme athée et de l’intégrisme religieux. La réalité est que l’on a beau chasser le religieux, il trouve toujours le moyen de réinvestir l’espace public par le biais des convictions personnelles et des pressions de groupes, surtout des minorités dont la religion constitue le principal référent identitaire. Revenons au Cameroun où la séparation du pouvoir religieux du pouvoir politique participe aussi de cette ambigüité.

S’il y a un domaine dans lequel le religieux a valablement secondé l’Etat camerounais, c’est bien celui du social, surtout dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Par exemple, l’église Catholique s’impose au Cameroun aujourd’hui non seulement par ses églises et chapelles, mais aussi par ses écoles, collèges, universités et hôpitaux. D’ailleurs la première génération d’évolués camerounais est passée, pour la plupart, par des écoles et collèges confessionnels. Beaucoup de nos gérontocrates sont d’anciens élèves de missionnaires, voire d’anciens séminaristes. On se serait attendu à ce qu’ils brillent dans la gestion de la cité par la mise en pratique du commandement de l’amour du prochain, mais c’est plutôt l’égoïsme politique qui a pris le dessus. 

Pour des besoins d’illustration je prendrais le cas du christianisme que je connais le mieux. La foi chrétienne dans le vécu doit se décliner en termes d’amour de Dieu qui conduit à l’amour du prochain. L’amour du prochain se décline à son tour en termes de service et compassion, sollicitude fraternelle sans aucune discrimination. Dans l’espace public l’amour du prochain prend la forme du souci pour le bien commun et du sens de la concitoyenneté. Ce souci de l’autre est donc la substance éthique, voire mystique, de la foi chrétienne, et j’ose penser, de bien d’autres religions. Comment donc comprendre que ce pays croule sous le poids des injustices politiques, économiques et sociales (détournements, fraudes de toutes sortes, corruption généralisée, etc.) alors que la plupart de ceux qui président à sa destinée se déclarent chrétiens ou musulmans ?  Ne vivons-nous pas dans un pays où les détournements de fonds publics au sommet se chiffrent en milliards par individu ?  Ne s’agit-il pas souvent de l’argent destiné aux pauvres ? Entre Dieu et l’argent, ils ont  choisi l’argent comme absolu. C’est le règne de l’athéisme pratique qui se manifeste par le hiatus entretenu entre le croire et l’agir, entre ce qu’on confesse des lèvres et ce qu’on fait au quotidien. Tout cela s’enracine dans une double absolutisation qui institutionnalise l’idolâtrie : l’absolutisation du pouvoir et l’absolutisation de l’argent. 

L’absolutisation du pouvoir se manifeste par la multiplication des manœuvres antidémocratiques. Le pouvoir qui n’est qu’un moyen pour une fin devient une fin en soi dont la conservation conditionne tout le reste. La politique dans sa forme la plus abjecte devient omniprésente et omnipotente : les relations dans ces milieux sont susceptibles de vous ouvrir bien de portes, surtout quand les mouvements ésotériques s’en mêlent. La Rose-Croix et la Franc-maçonnerie aux multiples loges recrutent facilement dans ces couloirs surtout parmi les jeunes cadres assoiffés d’ascension professionnelle. Bref, le Renouveau a tout fait et reste prêt à tout pour conserver le pouvoir, car pour beaucoup c’est une question de vie ou de mort. 

L’absolutisation du pouvoir va de paire avec l’absolutisation de l’argent, ceci étant un moyen d’accès facile à cela. Or l’expérience a montré que quand on n’a pas gagné de l’argent à la sueur de son front, on en use de manière irresponsable. D’où le luxe insolent et le gaspillage dans lesquels se meuvent nos dirigeants avec de l’argent qui n’est pas le fruit de leur labeur. Sinon comment peut-on organiser la célébration d’un cinquantenaire de plusieurs milliards dans un pays où les hôpitaux sont pour la plupart des mouroirs, où les médecins et les enseignants sont moins bien payés que les administrateurs civils, où les universités sont mal équipées. Quel avenir peut escompter un pays qui ne soigne pas ses ressources humaines. 

L’amour de l’argent nous a fait perdre le sens du divin et de l’humain et c’est ça l’idolâtrie. L’idolâtrie est l’absolutisation du relatif, de l’argent, du pouvoir, des richesses, des honneurs, etc. Les idoles sont par nature tyranniques et insatiables : elles se nourrissent principalement de victimes humaines. Chez nous ces victimes sont ces pauvres qui n’ont pas de quoi se soigner, s’éduquer, se nourrir, se loger ou s’habiller convenablement. L’égoïsme idolâtrique des gouvernants les prive de ce qui leur revient de droit. Finalement la politique qui devrait être un instrument d’humanisation devient un processus de déshumanisation des gouvernants comme des gouvernés. 

Par rapport à cette misère morale du politique dans laquelle baigne aujourd’hui le Renouveau, les dignitaires religieux ont souvent du mal à se positionner. A quelques exceptions près, ils préfèrent le silence à la parole. Certains par peur de prendre le risque d’une parole prophétique, d’autres parce qu’ils bénéficient des largesses du régime. Dans ce commerce entre les dignitaires politiques et les dignitaires religieux, c’est encore l’argent qui constitue souvent l’arme fatale. Très peu résistent à cet appât en ces temps de vaches maigres. Les quelques rares qui optent pour la dissidence le font souvent à leurs risques et périls. 

Dans certains pays africains l’influence religieuse à grande échelle des grands pasteurs néo-pentecôtistes se double aussi d’une influence politique. Le parrainage religieux des hommes politiques n’est pas une habitude au Cameroun postcolonial mais on voit ces jours-ci certains de ces nouveaux pasteurs faire un clin d’œil aux hommes politiques et on peut entrevoir des connivences, y compris le parrainage politique du religieux à des fins obscures. L’instrumentalisation des versés bibliques à des fin de légitimation d’un régime bien précis relève d’une théologie politique moribonde, voire dangereuse, et constitue une véritable parodie de l’évangile dans lequel Jésus avait en son temps qualifié Hérode de « renard ».  « Toute autorité vient de Dieu » affirment ces apprentis-sorciers, même celle d’un Hitler ?  L’évangile béatifie les « persécutés pour la justice » et nous apprend que Jésus et ses apôtres sont presque tous morts martyrs entre les mains de politiciens. Ces prétendus hommes de Dieu qui font des yeux doux aux gouvernants sont souvent des imposteurs et c’est avec le temps qu’on les démasque.

Les Camerounais, pendant ce temps, se débrouillent, chacun comme il peut. Les églises, chapelles et mosquées sont pleines les jours de culte mais on a du mal à voir l’impact éthique de la religion sur la vie dans la cité.  Un peu partout, c’est aussi la course à l’argent, ce sésame sans lequel on est pratiquement un condamné à mort. Très peu croient encore à la place du mérite dans notre pays : corruption par-ci, faux papiers par là, on est prêt à tout monnayer. Hier, c’était surtout la police ou les employés de bureaux que l’on épinglait. Aujourd’hui, cette gangrène de la corruption s’est frayée un chemin dans des milieux comme les hôpitaux et les écoles. Encore une fois, nous semblons avoir troqué le sens de l’humain contre l’idolâtrie de l’argent. La maladie des dirigeants semble avoir contaminé le peuple et on a l’impression que pour l’immense majorité des camerounais tous les moyens sont bons pourvu qu’ils soient efficaces. On en vient justement à se demander à quoi nous sert la religion.

Si on ne saurait ici se risquer à des généralisations sans une démarche scientifique préalable, on peut tout au moins se permettre quelques conjectures. Le succès populaire des nouveaux mouvements religieux d’obédience chrétienne traduit l’attrait pour un « dieu des miracles », un dieu qui guérit les malades, donne du travail, facilite l’obtention d’un visa, facilite le succès à un concours, donne la victoire aux lions indomptables, donne un conjoint, donne de l’argent, bref supplée aux défaillances de la société et assume nos responsabilités à notre place. Les pauvres y vont chercher des solutions concrètes et immédiates à leurs multiples problèmes. La valeur du religieux dépend alors de son efficacité. C’est une vision instrumentale, pragmatico-magique du religieux, qui explique pourquoi on l’indexe dès qu’elle peut nous gêner dans la poursuite de nos intérêts mondains. Le pouvoir et l’argent, voilà nos vrais dieux, au sommet comme à la base. C’est à eux que nous sacrifions au quotidien. 

Ludovic Lado sj

Jésuite et anthropologue des religions


Médias sous le Renouveau : L’épreuve d’une liberté contrôlée, par Christian Kaffo

Globalement, sous le règne de Paul Biya, la liberté de presse éclot. Mais le pouvoir garde un contrôle politique assez rude sur les médias. Ce double mouvement peut se lire en trois temps : d’abord l’ouverture au début de l’exercice du pouvoir, ensuite une réticence à l’approche de l’année 1990, enfin le contrôle du « laisser aller » des années 1990 et 2000.
A/ 19821 – 1987 : l’ouverture dans les faits et par le verbe

Entre 1982  et 1984, de nouveaux titres de journaux camerounais enrichissent le paysage médiatique. Paul Biya vient d’accéder au pouvoir et manifeste sa volonté de rompre avec les méthodes liberticides de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. « Sur la cinquantaine de journaux autorisés à paraître, une quarantaine paraît effectivement. Des observateurs sérieux parlèrent à l’époque du ‘boum’ de la presse camerounaise pour signifier les modifications de fond qui s’opéraient ainsi dans l’univers médiatique camerounais », affirme Mbotto Fouda2 . 

Le 06 juillet 1984, Paul Biya lui-même fait le constat dans une interview à Cameroon tribune : « J’observe avec satisfaction que notre presse s’est considérablement diversifiée [et qu’elle] connaît un regain de dynamisme. Les titres nombreux et variés qui ont fleuri sur le marché de l’information doivent permettre à nos populations d’avoir accès à une information plus diversifiée, abordée sous différents aspects et donnant lieu à ce double débat d’idées qui est l’une des options essentielles de notre politique d’ouverture, de libéralisation et de démocratisation, telle qu’elle est inscrite dans le programme du Renouveau national. » L’ouverture dont parle le chef de l’Etat semble se confirmer avec « l’intrusion » de certains titres dans l’arène politique. Car, avant, les médias ne traitaient surtout que du sport et des faits divers. 

L’un des titres qui aura ainsi le plus marqué cette époque est sans doute Le Messager, définitivement entré dans l’histoire avec le débat Kamto – Mono Ndjana autour de  L’idée sociale chez Paul Biya3 , un livre de 251 pages écrit par le dernier. Dans une note de lecture d’une trentaine de pages manuscrites, Maurice Kamto reproche à son collègue « l’impossible distanciation entre l’intellectuel et le pouvoir ». Il estime en tout cas  qu’un intellectuel n’est pas un faiseur de cantiques. Mais la publication d’un texte aussi critique sur un sujet politique dans un journal n’est pas la chose la plus facile à l’époque. Au ministère de l’Administration territoriale où trône le dinosaure Jean Marcel Mengueme, Erik Essoussè4  joue le censeur de la République, en sa qualité de sous-directeur des « libertés publiques ». Après de longues heures de discussion sur l’article de Kamto, Pius Njawé, le directeur de publication du Messager, réussit à convaincre Erik de ce qu’il n’y avait aucun mal à laisser publier, que « cela contribuera à faire avancer les choses ».

L’article fleuve paraît dans Le Messager n° 60 du 10 au 24 juin et n° 61 du 25 juin 1985. Mono Ndjana est alors en voyage en Corée du Nord. A son retour, il répond et sa contre-critique est publiée dans Le Messager n° 66 du 25 août au 1er septembre 1985 sous le titre « On ne badine ni avec la science, ni avec l’État ». Maurice Kamto réplique à nouveau; puis c’est le tour de Mono Ndjana. Bientôt, les contributions viennent de tous les coins du pays. Trois camps se forment : les pro Kamto, les pro Mono Ndjana, et ceux qui jouent aux arbitres. Pendant près de six mois, le contenu du Messager ne sera constitué pour l’essentiel que des contributions à ce débat sur la gestion des affaires publiques. Par cette initiative osée à l’époque, Le Messager a montré que les médias nationaux pouvaient effectivement traiter de politique5 , que les Camerounais en avaient soif, qu’ils en voulaient davantage. 

Après la moitié des années 1980, le verbe du président continue d’entretenir l’espoir d’une ouverture démocratique qui se manifeste particulièrement dans la liberté de publication. C’est ainsi qu’en 1987, l’ouvrage Pour le libéralisme communautaire6  est publié. Paul Biya y écrit : « La démocratie camerounaise ne pourra cependant s’accomplir pleinement sans l’appui indispensable d’une information libre dont la multiplicité et la variété des sources restent le gage de l’émergence d’une opinion publique éclairée : dans cette perspective, la presse écrite, comme la presse parlée, ou télévisée, de même que l’édition, seront dotés d’un statut indispensable à leur plein épanouissement ». A côté de la presse écrite dont l’initiative privée affiche une certaine ambition, une loi est votée à l’effet de libéraliser l’audiovisuel. La loi n°87/019 du 17 décembre 1987 fixant le régime de la communication audiovisuelle au Cameroun lève en effet le monopole de l’Office de radiodiffusion et télévision camerounaise (CRTV).

B/ 1987 - 1990 : fermeture dans les faits et négociations par le verbe

L’expérience du Messager au milieu des années 1980 fait des émules. Mais peu de publications le suivront immédiatement dans cette voie. D’ailleurs, entre 1985 et 1986, une vingtaine de titres de la presse écrite cessent de paraître ou connaissent une parution irrégulière, note Mbotto Fouda. La presse avait probablement fini de célébrer sa lune de miel avec le Renouveau. Après cet épisode palpitant, il fallait revenir à la vie ordinaire des médias faite de combats épiques et parfois très épicés. Malgré les constats du président de la République dans les médias et la publication de son ouvrage, l’enthousiasme s’enlise. La loi sur l’audiovisuel n’est par exemple pas suivie d’effets ; aucune initiative privée nationale n’a émergé.

Il faut attendre la fin des années 1980 pour qu’à la suite des vents de l’Est7 , une session dite des libertés se tienne à l’Assemblée nationale. Une bonne frange des Camerounais souhaitait en effet une libéralisation effective de la vie politique et associative. Elle voudrait aussi que la liberté d’expression soit consacrée, élargie et manifestée dans les faits comme un droit inaliénable du peuple. Dans la mouvance des textes libéraux publiées le 19 décembre 1990 pour satisfaire les citoyens, la représentation nationale a  voté aussi la loi n°90/ 052 du 19 décembre 1990 libéralisant la communication sociale. Cette loi dispose en son article 6 que « la publication des organes de presse est libre ». Les journaux sont désormais soumis au régime de simple déclaration alors que c’est celui de l’autorisation préalable qui était en vigueur depuis 1966. La même loi libéralise l’audiovisuel. Elle dispose en son article 36 que « sous réserve des textes relatifs à la radioélectricité privée, la communication audiovisuelle est libre. » 

Après la publication de cette loi, le saut qualitatif – évolution de la nature des sujets traités dans les médias – est immédiatement suivi d’un bon quantitatif. De nombreux titres naissent. Des jouranux « indépendants » impriment jusqu’à 150.000 exemplaires.  La presse se politise davantage. Elle est le reflet de projets politiques. Globalement, on distingue deux camps : les médias favorables à l’opposition et ceux acquis au pouvoir. Les médias favorables à l’opposition sont constitués de deux sous-groupes principaux : les médias des partis politiques et ceux considérés comme « indépendants » mais partageant l’idéologie et l’action politique de l’opposition. Dans ce deuxième sous-groupe, trois titres se distinguent particulièrement : Le Messager, La Nouvelle Expression, Challenge Hebdo. Ils seront reconnus, à la faveur d’un éditorial de Benjamin Zébazé (Challenge) comme appartenant à une certaine « sainte trinité ». Les médias acquis au pouvoir, quant à eux, comprennent les publications à capitaux publics (La CRTV, Cameroon tribune et les autres titres de la Sopecam) et les titres « indépendants » animés ou financés par les hommes d’appareil.

Au moment où la presse privée fait la pluie et le beau temps au début des années 1990, le public manifeste une certaine aversion contre les médias à capitaux publics, notamment Cameroon tribune qui régnait en maître depuis son numéro inaugural en juillet 1974. C’est ainsi que le « quotidien national bilingue » avait maigri jusqu’à huit pages bilingues (français/anglais).

C/ 1990 et suivantes… : évolution politique, crises et mutations

Après la première élection présidentielle pluraliste d’octobre 1992, bon nombre de titres disparaissent du paysage médiatique. Cela confirme le fait qu’ils étaient avant tout des outils d’influence politique dont le but était de construire une certaine opinion favorable au renversement du régime de Paul Biya. La dévaluation de 50% du Franc Cfa le 12 janvier 1994 durcit aussi les conditions de production de l’information et de la culture. Certains titres mettent également la clé sous le paillasson. Toutefois, de nouveaux journaux continuent de se créer, tant et si bien qu’en 1997, Boh Herbert8 dénombre environ 600 titres déclarés au fichier du ministère de l’Administration territoriale. Les entrepreneurs de presse ont ainsi continué de créer  des journaux pendant que d’autres meurent. Mais des changements notables sont observés chez ceux qui subsistent. 

Au début des années 1990, presque tous les titres à capitaux privés paraissaient une fois par semaine. C’est à la deuxième moitié des années 1990 qu’ils sont devenus bi-hebdo, tri-hebdo, etc. A l’orée de l’année 2000, Politiks tente une aventure quotidienne sous l’impulsion de Albert Moïse Njambe. L’expérience fait long feu. Il faut attendre 2002 pour que Mutations devienne le premier véritable quotidien privé du pays. Il est suivi dans cette périodicité deux ans plus tard par Le Messager et La Nouvelle Expression. Le Jour qui naît directement sous la forme d’un quotidien arrive sur le marché en juillet 2007. Avec le nombre de titres, la presse privée tient une bonne part de marché. Mais à y regarder de près, le secteur public des médias s’en titre plutôt à bon compte.

Boudée au début des années 1990, la presse à capitaux publics, notamment celle éditée par le Sopecam, reprend du poil de la bête à la faveur des contrats de performance et un nouveau management inauguré par le Pr. Paul Célestin Ndembiyembé.  Aujourd’hui, la Sopecam édite plusieurs titres, dont  Cameroon tribune. Elle est en plus un centre d’imprimerie moderne avec du matériel de pointe ; à ce titre elle imprime non seulement ses propres titres, mais aussi d’autres quotidiens dont Le Jour et Mutations. Au-delà de la presse et de l’imprimerie, la Sopecam a une maison d’édition classique, Les éditions Sopecam, une régie de communication, La Sopecam Marketing and Communication Agency, et une agence de presse, Camnews. 

La Sopecam est donc un mastodonte. Ses principaux titres, Cameroon tribune et son supplément économie Alter-Eco, Week-end, Nyanga, etc. ont pignon sur rue. Cameroon tribune a une pagination bien supérieure à celle de la presse à capitaux privés et un tirage plus important. Le quotidien de la rue de l’aéroport compte au moins 32 pages contre 12 ou 16 pour les autres quotidiens, et tire jusqu’à 30 000 exemplaires alors que ses concurrents atteignent désormais rarement 15 000. Le même écart est observé au niveau de la diffusion. La Sopecam a un réseau d’abonnés inconditionnels constitués des services publics. Elle a aussi les faveurs des institutions publiques en ce qui concerne les annonces et autres publicités. Des privilèges que les médias privés n’ont pas encore ! 

Les médias au Cameroun subissent un contrôle rude du pouvoir politique (9). Si le modèle du contrôle politique implique la caporalisation de certains supports, il met surtout en relief l’idée que les libertés sont constamment négociées même lorsque la loi les consacre et que le droit de la presse est victime d’usages politiques10  avec, pour conséquence, la précarisation de l’activité médiatique, entre autres. Que peuvent les états généraux de la presse annoncés pour bientôt ?

Christian Kaffo

Notes

1- L’accession du président Biya à la magistrature suprême le 6 novembre 1982 avait suscité de nombreux espoirs pour la démocratisation du Cameroun. Le pays venait de passer une vingtaine d’années (de 1966 à 1982) de monolithisme, notamment avec la confiscation de la liberté d’expression.

2- Mbotto Fouda, L. (1989).  Yaoundé : ESSTI, page 14.

3-Mono Ndjana, H. (1985). L’idée sociale chez Paul Biya. Yaoundé : Université de Yaoundé. 

4- Retraité, il a été rappelé « aux affaires » et remplit aujourd’hui les fonctions de directeur général adjoint de Elections Cameroon, l’organisme désormais chargé de toutes les consultations électorales et référendaires au Cameroun. A partir de son expérience au Minat, il fait le point sur le fonctionnement de la liberté de la presse au Cameroun dans un ouvrage, La liberté de la presse écrite au Cameroun – Ombres et lumières, publié chez L’Harmattan en 2008.

5- En fait, on avait seulement sevré les Camerounais de ce type de débat qui existait avant l’indépendance. En 1955, note Keye Ndogo dans sa grande enquête de fin d’études à l’ex Ecole supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (ESIJY, 1981), le Cameroun comptait environ 91 partis politiques pour 71 titres de journaux. Le multipartisme s’accompagnait ainsi de facto de la liberté de presse et, plus largement, de la liberté d’expression sous toutes ses formes.

6- Biya, P. (1987). Pour le libéralisme communautaire. Paris : ABC, page 37

7- « Les vents de l’Est » : une expression utilisée pour caractériser la chute progressive des dictatures d’Europe de l’est à la fin des années 1980 face à la pression populaire. C’est cette même pression qui débouche, le 9 novembre 1989, à la destruction du mur de Berlin par les masses en furie.

8- Boh, H. (1998). L’état de la presse au Cameroun. Yaoundé : Friedrich Ebert Stiftung.

9 Voir Boyomo Assala, LC. (2000). « Propriété et contrôle des médias en Afrique centrale : tendances politiques générales dans le cadre de l’ajustement structurel et de la démocratisation », pages 105 – 129, in Fréquence Sud – Revue de recherche en communication, n°15. Yaoundé : ESSTIC.

10- Voir Fabien Nkot « Les usages politiques du droit de la presse au Cameroun » – Document Internet consulté le 31 janvier 2010 à 10h 46 sous www.francophonie-durable.org/.../colloque-ouaga-a5-nkot.pdf -, pages 71 – 78. 

11- André-Jean Tudesq, Les médias en Afrique, Ellipses, 1999, p. 123

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L'audiovisuel, un événement

La libéralisation de l’audiovisuel est probablement l’événement le plus marquant de l’environnement médiatique camerounais depuis 1980. Aujourd’hui, en dehors du réseau de l’Office de radiodiffusion et télévision camerounaise (Crtv), environ 200 entreprises privées menant des activités audiovisuelles sont officiellement répertoriés au ministère de la Communication. Après 60 ans de monopole, le gouvernement a ainsi consenti à ouvrir les activités audiovisuelles (production, transport, diffusion du son et de l’image) à l’initiative privée. 

En effet, entre 1940 et l’an 2000, seule la chaîne publique régnait en maître. « La radio fut installée en 1940 à Douala, affirme André-Jean Tudesq, en 1955 à Yaoundé puis à Garoua et à Buéa et après 1978 dans les autres stations régionales […](11)» .  Ce n’est qu’à partir des années 1980 et surtout dans les années 1990 que l’on assiste à l’émergence des radios rurales, avec l’appui de l’Unesco, de l’Acct, de l’Unicef, ou encore de la Fao. Le paysage médiatique se diversifie, mais ces radios font partie du système « public » en ce qu’elles n’ont pas d’indépendance éditoriale. 

La liberté de l’audiovisuel est consacrée par la loi n°90/052 du 19 décembre 1990. Mais les radios et télévisions privées n’ont vu le jour que dix ans après, à la faveur de la publication du décret primatural n°2000/158 du 03 avril 2000 fixant « les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle. » Ce décret conforte des radios qui avaient déjà pris de l’avance en émettant sans attendre : Reine, Lumière, Siantou, etc. 

Malgré cette ouverture, l’audiovisuel national au Cameroun reste contrôlé par le régime. De toutes les entreprises qui fonctionnent, seules quatre (4) sont jusqu’ici détentrices d’une licence d’exploitation. Le reste est sous la menace permanente de la tolérance administrative. En plus, ce secteur est dominé dans les entreprises publiques. Le rapport (2007) de l’Agence nationale des technologies de l’information et de la communication indique que la Crtv gère une quinzaine de stations de radio et une de télévision. L’ensemble est physiquement installé dans les dix régions du pays et couvre 85% du territoire. Le personnel travaillant pour l’audiovisuel national est majoritairement celui de la Crtv. Déjà en 1999, Tudesq parlait de 1600 employés. 

Le gouvernement met à la disposition de la Crtv des ressources pour fonctionner, même si celles-ci sont insuffisantes. Pendant ce temps, les promoteurs privés vivotent. Ils évoluent dans un contexte économique plutôt difficile. Leur couverture du territoire est faible. Canal 2, Stv et  Equinoxe par exemple, quoique très suivies, n’ont ni l’infrastructure de la Crtv, ni sa couverture, ni le soutien financier de l’Etat. Ils comptent officiellement sur la seule publicité pour se financer alors que le tissu économique n’est pas toujours étoffé. 

Les médias audiovisuels à capitaux privés se développent dans l’informel pour la majorité. Les chiffres disponibles au ministère de la communication sont de loin très inférieurs à la réalité du terrain. L’exemple des entreprises menant des activités de production ou de distribution est flagrant. Dans toutes les villes du pays, ces entreprises existent, mais ne sont répertoriées nulle part. C’est le règne de la débrouille. D’ailleurs, parmi celles qui sont enregistrées, seulement quatre d’entre elles, jusqu’à une date récente, avaient pu décrocher la licence légale d’exploitation. Presque tous fonctionnent encore sous le régime de tolérance administrative./.


De Augustin Kontchou Kouomegni à Issa Tchiroma Bakari: La communication gouvernementale entre splendeur et dérision

Au début des années 90, lorsque nos pavés flambent, que Ngoa-Ekelle s’embrase et que nos villes se meurent, le pouvoir établi se choisit comme communicateur un certain Augustin Kontchou Kouomegni, professeur de science politique, ancien gestionnaire de l’école des cadres du parti, comme l’on disait à l’ère du parti officiellement unique. Vers la fin des années 2000, ce fauteuil dont on ne sait plus s’il faut le considérer comme prestigieux ou pas échoit à un certain Issa Tchiroma Bakari, ingénieur dit-on des écoles françaises (sacrée référence n’est-ce pas ?), véritable curiosité politique bien de chez nous. A bien des égards et malgré le fait que M. Tchiroma soit encore en fonction comme tient encore debout en tremblotant le système qu’il sert, l’on peut déjà affirmer que les deux personnages symbolisent deux moments extrêmes de la communication gouvernementale camerounaise à l’ère du multipartisme, deux moments qui ouvrent et sans doute clôturent le tracé d’un parcours presque archétypal. De Kontchou Kouomegni à Tchiroma, un certain ordre « crapulaire » semble être passé de l’affirmation au crépuscule, comme le montrent la pagaille et la panique que sème chaque jour l’opération dite « épervier ». 

A scruter distraitement les deux personnages, l’on pourrait être tenté de dire qu’ils n’ont en commun que d’avoir serré amoureusement sur leur poitrine, chacun en son temps, le portefeuille convoité de la communication de M. Biya, que certains veulent continuer à considérer comme un ministère de souveraineté (cf. Dakole Daïssala dans Mutation du 28 juillet 2009). Ce serait une erreur : Kontchou et Tchiroma sont surtout deux visages de la servilité au bénéfice d’un monarque qui, par son côté fantasque et insensible, rappelle irrésistiblement Ivan le terrible de la Russie du XVIè siècle. Mais ces deux visages sont des facettes différentes au point de paraître opposées.  

M. Kontchou portait apparemment sa servilité avec une certaine morgue, presque avec de l’arrogance. Il faut dire que comme un certain Joseph Owona, il sortait fraîchement des amphithéâtres de l’université où il avait eu l’occasion de se faire applaudir par une jeunesse pour laquelle les vernis du savoir comme de l’intelligence brillent d’un éclat qu’elle n’hésite pas à trouver authentique. En face d’un peuple qu’il avait contribué à maintenir dans l’ignorance et à dépolitiser, M. Kontchou se sentait investi d’une assurance inexpugnable, et, comme le disait un célèbre personnage de Césaire, n’hésitait pas à brandir la férule à la face d’une supposée « nation de cancres ». Cependant, le soin que M. Kontchou mettait à soigner son apparence extérieure, à maniérer son verbe, n’avait pas pu échapper aux observateurs attentifs : il désignait le digne politologue comme un homme de l’extérieur, à la carapace épaisse mais sous laquelle il n’y avait pas grand-chose à trouver. Sûrement grand lecteur de Nicolas Machiavel, de Hegel et autres pragmatistes comme les légistes chinois du IIIè siècle avant notre ère, M. Kontchou fait partie de ceux qui ont théorisé l’affirmation à tout prix de l’autorité de l’Etat dans les années 90, y compris contre le bon sens le plus élémentaire. Aux yeux de tous ceux pour qui tout ce qui brille est or, M. Kountchou était certainement une figure prestigieuse et un illustre communicateur : il avait le verbe étincelant, le tour de phrase recherché, le ton docte, le savoir démonstratif et la culture indiscrète, et surtout, la verve sarcastique et vitriolée quand devant le tribunal de sa puissance ô combien éphémère, s’égarait quelque baudet qui en passant avait tondu l’herbe de quelque pré appartenant à quelque féodal du système.  

Oui : l’on pourrait presque sans se tromper affirmer que M. Kontchou était dupe de lui-même : il ne semblait pas se rendre compte à quel point il était servile dans sa relation au système et à celui qu’il incarnait : son intelligence, sa rouerie, son apparente puissance n’existaient que par ce dernier, dont au fond il n’était que l’une des ombres, l’un des prolongements temporaires et définitivement révocables. L’on se souvient de l’exercice de communication auquel M. Kontchou se livra dans le cadre du débat précédant la fabrication de la Constitution à ce jour inappliquée du 18 janvier 1996. Alors que notre « prodige » devait le croire magistral, M. Biya le sanctionna d’une note cinglante pour … incompétence sémantique ! Aussi, l’une des différences fondamentales entre M. Kontchou et M. Tchiroma tient-elle à ceci que le premier nourrissait une illusion naïve et dangereuse : il se croyait indispensable au système, et il le croyait si fort qu’il n’avait de cesse de mettre en scène son indispensabilité, en une multitude de tableaux d’une représentation à rebondissements. « Un bon joueur ne manque pas d’équipe ! », affirmait-il avec force et peut-être conviction. Il faut espérer pour lui qu’il figure encore sur la liste des réservistes de la sélection officielle, alors que l’on se demande si le match va s’achever ou rentrer dans la phase des prolongations prolongées. En attendant, comme tous ses paires de l’ère des prédations vertigineuses, il doit avoir mis de côté un épais matelas qui lui permet de s’imbiber de bons vins et whiskies pour le cas où l’attente pourrait durer un tantinet plus que prévu. 

Quant à M. Issa Tchiroma Bakari, il semble porter sa servilité avec la sincérité et l’ostentation d’une pancarte de défilé : il est un franc serf pour ne pas dire servant. Ingénieur ou pas des écoles françaises, il a décidément le verbe mal assuré, le tour de phrase brouillon, mais le sourire particulièrement éclatant. A l’ombre de M. Biya où il joue les lampadaires, il s’évertue à s’assurer qu’il ne puisse exister aucun quiproquo sur son statut ; afin que son image ne soit pas brouillée, il tâche à ce qu’il soit clair et limpide pour tous qu’il n’est pas un collaborateur mais un serviteur. M. Fame Ndongo a, paraît-il, eu lui aussi l’extrême honnêteté (quel paradoxe, utiliser certains mots dans certains contextes n’est-ce pas ?) d’avancer le mot « esclave ». Personne n’aurait osé aller si loin, parlant des messieurs que l’on a coutume d’appeler des hauts commis de l’Etat. Heureusement, c’est eux-mêmes qui nous le disent.   Mais à regarder avec attention M. Tchiroma, lorsqu’il tente de se dissoudre dans le mur du couloir d’un palace parisien pour laisser le maximum de place à M. Biya et accessoirement bien montrer son insignifiance d’ombre à ce dernier, lorsqu’il sert à son protecteur son sourire le plus courtisanesque à l’occasion d’une cérémonie de présentation de vœux, oui, à l’observer attentivement, peut-on encore oser prétendre que M. Fame Ndongo, lorsqu’il parle d’esclave, se livre à un exercice de rhétorique ? Il y a là, avouez-le, une sorte de bouffonnerie qui confine aux comiques de geste et de situation du théâtre où, comme l’a montré l’univers d’Alfred Jarry, le comique côtoie presque toujours le tragique. M. Tchiroma est en plus une énigme : il aime à communiquer et multiplie les points de presse, dans lesquels il joue constamment, on le jurerait, son propre personnage dans une mise en scène invariablement cocasse. Un peu comme s’il invitait la presse et le public à un boulevard permanent. Mais il ne s’agit là que d’insignifiants problèmes de forme, n’en déplaise aux juristes qui prétendent que la forme lie le fond. Le problème, c’est qu’avec M. Tchiroma, l’on est toujours à se demander si la forme ne tient pas tout simplement lieu de fond. 

Vous savez, lorsque vous avez affaire à un monsieur qui n’hésite pas à se livrer à la gymnastique toujours périlleuse du grand écart, il vous est très difficile de parler du fond de sa pensée. Nous touchons là à l’une des différences entre M. Tchiroma et M. Kontchou : c’est que déjà étudiant en France, le second était conservateur et solidaire du système en place. Certaines mauvaises langues prétendent qu’il aurait manifesté à l’époque pour l’exécution de Wandji Ernest alors que d’autres Camerounais se mobilisaient contre. Comme quoi il y a toujours eu chez cet inimitable politologue une fidélité de chien pour ses maîtres. Quant au premier, il lui est arrivé de jouer, avec un bonheur discutable, à être un opposant au système établi. A l’époque, il n’hésitait d’ailleurs pas à traiter M. Biya de tous les noms d’oiseaux : « Vous avez, lui disait-il, du fait de votre mauvaise gouvernance notoire, ramené le Cameroun sur le banc des pays pauvres très endetté ». Ou encore, autre morceau choisi, « l’expérience a prouvé que le Renouveau porte la poisse comme la nuée porte l’orage. L’échec lui étant à ce point consubstantiel qu’à son contact l’or le plus pur se transforme en ordure ». Eh bien, prenons M. Issa Tchiroma au mot : son contact avec le Renouveau doit avoir fait de lui une ordure véritable au jour d’aujourd’hui. La question est : qu’était-il avant cela ? De l’or ou tout simplement un chercheur d’or ? Ses amis de l’Undp et de l’Andp pourraient répondre à cette question mieux que nous. Analysant le récent tournant du parcours de M. Tchiroma, M. Dakole Daïssala s’exprime tout en euphémisme, lui dont nul ne saurait sous-estimer la compétence manœuvrière : il parle pudiquement de la conversion de M. Tchiroma. On se croirait en face de catéchumènes !  Et au fait, le Gouvernement de la république n’est-il pas devenu une sorte de chapelle depuis belle lurette ? Dans ce sens, le terme pudique utilisé par M. Dakole pourrait très bien avoir tout son sens. Il n’empêche que lorsque l’on se fait coopter garçon de messe, l’on doit maîtriser pour le moins ses litanies. Ce qui ne semble manifestement pas être l’apanage de M. Tchiroma. Alors, pour quelles bonnes raisons le gouvernement et plus singulièrement M. Biya a-t-il choisi ces derniers temps de confier sa communication à une incompétence aussi notoire ? C’est sans doute que les temps ont bien changé. 

Dans les années 90, la situation était critique et le désastre pendait sous le nez, en permanence : villes mortes, émeutes sur le campus universitaire, effervescence médiatique, doute de la part des partenaires extérieurs… Le pouvoir était sur la corde au-dessus du vide et avait besoin de compétence mais surtout pas de conscience. Le communicateur de l’époque devait être froidement efficace pour contrôler la situation et être capable de faire passer le noir pour le blanc avec conviction. Dans une ambiance d’apocalypse, comme M. Goebbels, M. Kontchou se révéla l’homme de la situation. Parlant de la psychologie de Goebbels, on décrit ce dernier comme « un personnage-clé du « Reich millénaire » niant les crimes nazis et s'indignant des « bombardements criminels  » des villes allemandes, si bien qu'on finit par se demander s'il écrivait pour manipuler même la postérité ou s'il croyait en son discours ». Que dire d’autre de M. « Zéro mort » niant les morts de l’université et affirmant une paire de fusils traditionnels saisie chez M. Fru Ndi en mains que ce dernier s’apprêtait à prendre d’assaut la forteresse républicaine ? La communication de M. Kontchou, sérieuse, froide, tranchante, cynique, était glacée comme un bistouri. Elle correspondait à une époque où le régime était prêt à tout et surtout au pire, et pour cette raison, avait besoin d’avoir sous la main un communicateur capable de maquiller des morts par balles en morts par piétinement, des fraudes électorales massives en victoires transparentes et sans bavures. A lui tout seul, M. Kontchou était le symbole d’une époque quand l’opposition valait quelque chose, comptait encore, et donnait des sueurs froides au pouvoir établi. 

Les années 2000 ont vu toutes les oppositions, institutionnelles et informelles, se dissoudre. Elles ont aussi vu le pouvoir amorcer un processus de dissolution inexorable. Dans un contexte où tous les discours ont été épuisés depuis longtemps, où la réalité ne permet plus d’entretenir la moindre illusion, les ambitions de la communication gouvernementale ont été largement revues à la baisse. Sur quoi communiquer et pourquoi ? Pour quelle efficacité ? Quand les mots deviennent de plus en plus creux et insonores, dans un contexte qui se prête plus au cocasse qu’au tragique, pourquoi ne pas choisir la communication de la dérision dont l’un des registres de prédilection semble être la pantomime ? Et dans cette éventualité, M. Tchiroma, comme bon nombre de nos compatriotes, n’a-t-il pas aussi bien le profil de l’emploi ? 

Roger Kaffo Fokou

Source: Germinal n°063


PostScriptum: Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu
Une bonne partie de la diaspora camerounaise est mécontente du régime en place à Yaoundé depuis trois décennies. Quand l’occasion lui est offerte, surtout lors des déplacements de Paul Biya à l’étranger, elle le fait savoir. Bruyamment. Leurs actions participent de la volonté de délégitimer, démystifier et désacraliser le monarque présidentiel. Leurs actions et méthodes nous rappellent notre inertie et nous renvoient notre propre image hideuse.

N’est-il pas temps pour l’Afrique, comme le suggère le sociologue camerounais Jean-Marc Ela, de redonner toute l’importance à la banalité, aux « sans-culottes », au « monde d’en-bas », aux « rien-du-tout » , face à la farce démocratique qui se joue dans des régimes politiques africains où les élections sont devenues de véritables jeux de cirque destinés à légitimer des tyranneaux qui en ont besoin pour se voir décerner le brevet de bon élève du Fonds monétaire international (Fmi) et de la Banque mondiale, véritable sésame qui donne droit aux financements, renforçant de facto les capacités distributives de l’oligarchie gouvernante, et au moment où l’on assiste impuissants à la faillite des mouvements d’opposition, qui n’ont pas disparu certes, mais ont perdu leur virulence et leur capacité de mobilisation du fait , sans doute, de nombreuses entraves jonchant leur parcours et de l’incapacité avéré de nombreux leaders à mobiliser les Africains épris de changement autour des projets politiques globaux alternatifs qui viseraient à fonder un nouvel ordre politique susceptible de résoudre les problèmes qui minent le champ politique en Afrique?
Cette interrogation peut être perçue comme un simple investissement doctrinal. Au contraire, l’action des « rien-du-tout » est porteuse de charges symboliques dans les espaces publics africains.
Dans cette optique, ce qui s’est passé récemment au sein de la diaspora, lors des déplacements du premier ministre aux États-Unis d’Amérique en avril 2010 et lors du séjour privé du couple présidentiel en septembre 2010, qui en réalité est une sorte de prolongation des « émeutes de la faim » de février 2008, invite à réfléchir sur la gouvernance politique au Cameroun.
En effet, le 28 avril 2010, une information circule au sien de la communauté des Camerounais de la diaspora américaine. Elle fait état d’une réception que le Premier ministre Yang Philemon donnera au Ritz Carlton Hôtel à Washington le 1er mai. Ceux-ci décident de répondre à l’appel à la solidarité lancée par le Code, l’Upc, l’Ufdc, l’Udc et le Cnr/Mun en hommage au journaliste Germain Cirylle Ngota Ngota, décédé à la prison centrale de Yaoundé, Kondengui. Ce jour-là, après la descente de sa limousine, Yang Philemon se dirige vers ses compatriotes et tente de prendre un bain de foule. Soudain, les manifestants déploient une banderole et entonnent des chants hostiles au gouvernement camerounais. Le Pm fait volte-face et s’engouffre dans l’hôtel sous les regards médusés et visiblement amusés des agents de sécurité.
Autre temps, autre lieu. Après son récent séjour aux Nations unies où il a pris part aux travaux de la 65e session de l’Assemblée générale, Paul Biya décide d’aller se reposer à Genève à l’Hôtel Intercontinental où il y prend ses quartiers le samedi 25 septembre 2010. Ce même jour, cet hôtel reçoit la visite des membres du Code, tendance Brice Nitcheu, qui y viennent pour « débarquer Paul Biya » et dénoncer la gouvernance politique au Cameroun. Brice Nitcheu et ses lieutenants ne sont pas allés par quatre chemins pour dévoiler leurs intentions. «Nous sommes des Camerounais, et nous sommes venus ici vous dire, après plusieurs lettres de protestation que nous vous avons envoyées, que vous devez appeler les appartements de Paul Biya pour lui demander de sortir d’ici. Les Camerounais ne peuvent plus accepter qu’un homme qui pille le Cameroun avec sa famille vienne s’installer chez vous, 7 mois sur 12, pour dilapider l’argent qu’ils travaillent à la sueur de leur front [...] Comme vous pouvez le constater, la peur a changé de camp [...] Nous avons atteint notre objectif. Désormais, Paul Biya doit savoir que nous suivons tous ses mouvements. Il ne pourra plus se cacher en Europe. Et tous les voyous et profiteurs qui l’entourent, y compris ceux qui composent sa garde, se rendent bien compte que cet homme qui a mis notre pays par terre, ne tardera pas à rendre compte de tous ses crimes. Nous allons le traquer partout, et lui rendre l’humiliation qu’il inflige au peuple camerounais au quotidien »(1).
Ces propos des activistes du Code dégagent deux traits caractéristiques de la gouvernance politique au Cameroun : la délégitimation/désacralisation de la figure présidentielle et la gouvernance par l’absence.
La délégitimation/désacralisation de la figure présidentielle
C’est un truisme lorsqu’on affirme que les activistes du Code, toutes tendances confondues, sont en même temps très éloignés et si proches de nous.
Une anthropologie de la quotidienneté au Cameroun permet de relever que la crédibilité du monarque présidentiel s’amenuise chaque jour qui passe. Les différentes plaintes déposées contre lui par les Camerounais de la diaspora participent de la volonté de le démystifier et de le désacraliser. Ce qui est normal dans un régime qui a choisi la démocratie comme système de gouvernement. Luc Sindjoun souligne à propos, peut-être comme avancée : « Le régime de concurrence partisane constitue déjà un élément de désacralisation du président de la République, puisqu’il expose celui-ci à la critique, à la défaite, etc. [...] La « stratégie de scandalisation » (Offerte, 1994 :125 -126) utilisée par les journalistes [les Organisations non gouvernementales (Ong) et associations] inscrit celui-là au cœur de plusieurs « affaires », réelles ou construites, affectant sa crédibilité et faisant douter de son honnêteté(2) Les récentes plaintes du Conseil des Camerounais de la diaspora (Ccd) et de l’Union pour une diaspora active (UdA) participent de cette stratégie. Aux yeux de nombreux Camerounais donc, le président de la République « n’est plus, l’invincible, le chevalier sans peur et sans accroche, le commandant irrésistible aux forces de la terre, de l’air et des mers, le champion de la chance et des dieux, ni même l’illusionniste capable de faire passer ses insuccès (innombrables) pour des triomphes »(3). Il n’est donc pas exagéré de dire que le président camerounais ne fait plus peur à personne. À commencer par ses propres lieutenants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et quelques « alliés » qui composent l’équipe gouvernante. Ceux-ci ont réussi l’exploit, plus que l’opposition et les Camerounais de la diaspora, à montrer à la face du monde qu’être président au Cameroun signifie gérer l’imposture, la fumisterie et la roublardise.
En dépit des moyens colossaux de communication mis à leur disposition pour, dit-on, polir l’image du président camerounais, au Cameroun comme à l’étranger, en dépit de l’existence des agents et agences de communication, ces « chantres français pour dictateurs africains »(4)  qui gravitent autour du chef de l’État, l’homme du Renouveau donne l’image d’un rêve inabouti. Même les multiples sorties médiatiques de Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication et le récent communiqué du Cabinet civil de la présidence de la République au sujet de l’enquête ouverte par le parquet de Paris à propos des présumés « biens mal acquis » du président Paul Biya, ne changent rien à l’image suffisamment écornée du «satrape de Yaoundé »(5) .
La dernière grande désillusion remonte à la campagne présidentielle d’octobre 2004 lorsque le pontife présidentiel annonçait, dans un ton martial et de manière sentencieuse, à toutes les étapes de son périple, que « les choses vont changer ».
Environ sept ans après, il est convenant et honnête de reconnaître que le changement projeté ne s’est limité qu’au verbe. Les « grandes ambitions » ont donné lieu aux petites réalisations. Pourtant, que de projets structurants annoncés dont la réalisation devrait, nous avait-on dit, permettre l’inscription du Cameroun dans la catégorie des pays « émergents » et non « puissants ».
Loin de nous toute prétention à l’exhaustivité dans cette vague de projets publicitaires, se résumant jusque-là, pour certains, à la pose de la première pierre. Parmi ces ambitieux projets dont les réalisations restes attendues, on peut citer, les barrages de Menve’ele annoncé pour démarrer en 2007, de Mekim, de Lom Pangar, le port en eau profonde de Kribi, la centrale à Gaz de Kribi dont la livraison est différée en septembre 2012 à cause, affirme-t-on, de l’indisponibilité du gaz, l’exploitation de la bauxite de Minim Martap, la construction de l’autoroute Yaoundé-Douala, la construction des infrastructures sportives dans les dix régions du Cameroun. Si on ajoute à ces promesses électoralistes les grands échecs enregistrés tels que la fermeture de la Cellulose du Cameroun (Cellucam), la dissolution de l’Office national de commercialisation des produits de base (Oncpb), la disparition de la Cameroon Airlines (Camair), l’échec de la mise sur pied du Fonds de développement des petites et moyennes entreprises (Fondecam-Pme), la fin tragique du Fonds d’aide et de garantie aux petites et moyennes entreprises (Fogape), la dissolution de la caisse d’épargne postale, l’abandon ou l’absence d’infrastructures sportives, l’abandon de nombreux chantiers dont l’immeuble de la « mort », ce « monument à la gloire du désastre», selon les termes de Mongo Beti, si on ajoute à ces échecs, ces promesses non tenues disions-nous, le cocktail devient détonnant.
L’antienne que quelques zélateurs et thuriféraires hypocrites, membres de l’équipe gouvernementale en poste depuis décembre 2004 ont coutume de fredonner par mimétisme et sans conviction d’ailleurs, est la crise économique mondiale, sorte d’argument passe partout mais non pertinent du point de vue de l’analyse.
En fait, à ce refrain, une question fondamentale se pose toujours : avant la crise, qu’est ce qui aura été fait ? Pendant que des gouvernements sérieux proposaient des plans de sortie de crise qui ont porté des fruits dans leur pays (Brésil et Usa), le nôtre se contentait d’adouber des projets farfelus baptisés Cameroun « pays émergent en 2035 », initié par l’un des parangons les plus achevés de la race des imposteurs qui nous gouvernent, une fuite en avant qui ne signifie rien du tout, puisque ne se préoccupant que du « devoir être » et non de l’ « être ».
Au regard de la situation catastrophique de l’économie camerounaise, de la paupérisation chronique des Camerounais, des crises de valeurs et de l’insécurité grandissantes dans un État qui s’est « éloigné du droit dans une société enraciné dans la culture de l’anomie6» , personne, y compris la plus haute autorité de l’État, ne peut dire avec précision, à moins qu’il ne s’agisse d’un devin, qu’il sera en vie en 2035. Autrement dit, ce qui intéresse les Camerounais, c’est l’amélioration de leur condition d’existence ici et maintenant, d’autant plus qu’aucune projection pertinente ne peut être faite en mettant entre les parenthèses le présent.
Les faits sont sacrés, dit-on dans le jargon journalistique pour signifier aussi qu’ils sont intelligibles d’eux-mêmes et, par conséquent infalsifiables. Il convient de dire, au regard de ces considérations, que toute cette agitation ne trompe personne, en dehors, peut-être, du monarque présidentiel dont les courtisans savent bien flatter l’ego avec cette autre imposture dénommée « L’appel du peuple » .
Tout Camerounais sain d’esprit peut constater à regret (et avec regret) que les options présidentielles manquent de cohérence et que la gouvernance des effets d’annonce ou des déclarations d’intention prime sur les réalisations et que le point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte) octroyé au Cameroun était diplomatique, à preuve les falsifications permanentes des budgets de l’État pour nourrir l’illusion d’un pays qui se porte économiquement bien, les emprunts obligataires et, pour tout dire, une banqueroute généralisée.
Le président de la République ne peut pas prétendre faire de la relance économique l’objectif majeur d’un septennat et passer le temps à faire de la politique politicienne en formant des gouvernements de commissionnaires caractérisés par l’obésité, la dissymétrie entre compétents (minoritaires) et incompétents (majoritaires), l’absence d’envergure des personnes chargées de la gestion des secteurs économiques qui passent le plus clair de leur temps à traquer et à décourager les opérateurs économiques, créateurs de richesse et pourvoyeurs d’emplois. À cela s’ajoute la présence d’un premier ministre qui, bien que faisant parfois montre d’un volontarisme, n’est contraint qu’à inaugurer les chrysanthèmes du fait de la multiplicité des hiérarchies insurmontables auxquelles il doit faire face pour imposer son autorité. Allusion est ainsi faite aux différents gouvernements de l’ombre ou informels constitués des gouvernements officiels, des amis personnels et intimes du chef de l’État, des courtisans de Madame, des présidentiables autoproclamés. (7)
En outre, le Camerounais ordinaire observe que la politique de lutte contre la corruption présentée par le système en place comme l’un des axes majeurs du «programme politique» (8) des «Grandes ambitions », se détourne de plus en plus de l’objectif républicain de rétablissement de l’éthique dans la gestion de la Res publica pour devenir une sorte de chasse aux soricères, en principe et par principe, destinée à servir le projet de gouvernement perpétuel de Paul Biya et les ambitions successorales de quelques groupes pouvoiristes, Grands maîtres de la tyrannie idéologique et de la manipulation.
Le tout, combiné à la gouvernance par l’absence ambiante du monarque, fait du rêve d’un État développementaliste dans le contexte post-transition démocratique, une véritable gageure.
La gouvernance par l’absence
En pleine crise de succession présidentielle Ahidjo-Biya (1982-1984), Pierre Flambeau Ngayap avait publié un livre au titre fort expressif : Cameroun : qui gouverne ?(9)
Si cette question nous était posée aujourd’hui sous forme d’un sondage d’opinion, nulle doute qu’une majorité des Camerounais répondraient que c’est l’informel et l’absence, une situation critique qui traduit le délaissement de l’État. La domination de l’informel dans la gestion des affaires publiques remet en question la nature de l’État. Jean-Marc Ela fait observer à propos que « la gestion des institutions publiques est un indicateur du mode de fonctionnement de l’État et un produit de ses déséquilibres structurels propres. Autrement dit, c’est la nature de l’État qui reste en cause dès lors que les services publics ont tendance à échapper à toute légalité pour s’enfermer dans l’informel, le parallèle et le clandestin» (10).
« Ëtre, c’est exister. Et exister c’est être présent dans le monde », c’est-à-dire être physiquement présent comme force agissante. Voici en effet un pays qui est devenu un véritable Unmanned Aerial Vehicle (UAV), un Drone, un aéronef sans pilote humain à bord, les institutions ayant été programmées pour fonctionner de manière automatique, un pays où son président, quand il n’est pas à l’étranger, le dirige de son exil intérieur volontaire, Mvomeka’a, son village natal, par fax, téléphone. Pour faire sens, il tient quelques « conseils des ministres » sui generis à l’aéroport international de Nsimalen, reçoit certains hôte de marque, procède parfois à des nominations quand cela l’arrange ou arrange les confréries pouvoiristes qui le manipulent et rarement dans l’intérêt bien compris des Camerounais. La gouvernance par l’absence fait en sorte que le Cameroun soit l’objet de cruelles railleries non dissimulées de la part de nombreux observateurs qui ne comprennent pas l’apathie des citoyens camerounais. Alpha Condé, président guinéen nouvellement et démocratiquement élu fait observer sur les ondes de Radio France Internationale (Rfi) : « Le Cameroun, il ne faut pas oublier qu’il y a eu une guerre de libération et que l’on a liquidé l’Upc [Union des populations du Cameroun] pour mettre au pouvoir des hommes de paille. Même les Camerounais doivent se poser la question de savoir pourquoi il n’y a pas de coup d’État. Voilà un pays où le président ne tient jamais un conseil des ministres ; il peut faire six mois sans conseils des ministres ; il peut faire deux mois à Genève, la plupart du temps, il est sur son terrain de golf. Est-ce que des militaires vont à la retraite au Cameroun. Jusqu’à 70 ans, des militaires sont dans l’armée [et bénéficient de] tous les avantages [liés à leur fonction]. Donc, ils n’ont pas besoin de faire un coup d’État ».
Il y a fort à parier par exemple que les Camerounais dans leur immense majorité telles qu’exprimées par les émeutes de la faim du mois de février 2008, ont marqué leur désapprobation par rapport à une gouvernance pratiquée par un gouvernement qui, loin d’être producteur de la biopolitique (politique de la vie), s’inscrit en droit ligne de la nécropolitique (politique de la mort). Pour ses membres, la satisfaction des besoins humains basiques d’éducation, de santé, d’emploi, d’eau potable, d’électricité, de nutrition, d’habitat, de voies de communication, de justice et de justice sociale, de respect de la dignité et des droits humains, occupe une place marginale. C’est à juste titre que Global Intégrity, Observatoire de bonnes pratiques dans la gestion publique, déclare dans son rapport 2007 que « le Cameroun a de profonds problèmes de gouvernance, notamment dans les domaines de la responsabilité du gouvernement, la fonction publique, le contrôle du gouvernement (comme la vérification des comptes), et l’octroi des licences d’entreprise. Le système de protection des dénonciateurs sont généralement inefficaces. Au Cameroun, le manque d’accès des citoyens aux rapports financiers compromet la valeur de divulgation des lois. Quoi qu’il y ait des lois exigeant la déclaration publique de leurs biens et actifs par les hauts responsables de l’État, les citoyens n’ont aucun droit légal d’accéder à l’un de ces documents».
Dans ce contexte, le Cameroun, vraisemblablement en équilibre instable, est une poudrière, un véritable volcan en ébullition. International Crisis Group, dans son rapport du 24 juin 2010 (page i) appuie sur la sonnette d’alarme. Pour les auteurs de ce rapport : «Après 28 ans sous la présidence de Paul Biya, le Cameroun est dans une situation de grande instabilité potentielle à l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2011. Le flou constitutionnel et légal qui prévaut, les rivalités entre les barons du régime, les tentatives du gouvernement pour contrôler le processus électoral, la rupture du contrat politique entre gouvernants et gouvernés, l’importante paupérisation et les nombreuses insatisfactions de la population, le niveau élevé de la corruption ainsi que les frustrations d’une grande partie de l’armée font craindre la possibilité d’une crise majeure ».
Le diagnostic est pour ainsi dire stupéfiant et inquiétant : victime de l’érosion dramatique de ses valeurs, englué dans l’imposture, malade de la corruption généralisée et du mensonge permanent, instrument démoniaque dont usent et abusent trop souvent des « voyous de la République » (11) pour conquérir le pouvoir ou pour s’y maintenir, le Cameroun est devenu au fil des années une « République mafieuse» où la Justice spectacle ou théâtrale ne réagit dans certaines affaires impliquant des personnalités de la République que sous l’impulsion de l’exécutif.
Ce qui est curieux et paradoxal, c’est le réflexe sécuritaire qui conduit à la tontonmacoutisation du régime illustrée par des recrutements massifs, chaque année, dans les forces de défense et de sécurité alors même qu’à notre connaissance, le Cameroun n’a pas d’ambition hégémonique. Il n’est pas surprenant que les Camerounais meurent chaque jour de choléra, se voient imposer une distribution rationnée d’eau «potable» et d’électricité , que les promotions collectives ou des pourcentages de réussite politiques aux examens officiels soient préférés à une éducation de qualité, intégrant les pauvres et les riches, que le système de santé mis en place au Cameroun soit sourd aux cris du « monde-d’en-bas », que la justice soit celle des riches, etc.
Toutes ces préoccupations et bien d’autres, n’ont jamais fait l’objet d’une concertation dans le cadre d’un conseil des ministres (qui se tient en moyenne une fois tous les deux ans depuis 28 ans), comme cela est de coutume « ailleurs » dans les pays où l’humanité a un sens.
Ce qui nous frappe dans ce tohubohu qui singularise la situation d’un pays acéphale, c’est cette question problématique des Camerounais : « On va faire comment ?», qui trahit en réalité, le défaitisme, le fatalisme face à un ordre politique qui tient les Camerounais captifs de leurs instincts de conservation et dont les intentions et les actions n’augurent que la paupérisation et l’illusion ubuesque d’une auto-normalisation d’une situation visiblement destinée à perdurer. Alors même que « les lieux de paroles, les groupes de pression et les balbutiements du pluralisme que l’on trouve aujourd’hui dans de nombreux pays [africains]n’ont pu exister sans la colère des hommes et des femmes qui ont affronté la violence du « despotisme obscur »(12)
C’est également le manque de lucidité dont font preuve toutes ces personnes et intellectuels de citation qui passent leur temps à débiter, sans examen critique et sans effort de contextualisation, « les théories préfabriquées, les concepts élaborés par d’autres, sous d’autres cieux, dans les contextes différents des nôtres» (13) , et de surcroît qui, au lieu de « penser notre banalité » pour rechercher les solutions de sortie du marasme chronique et profond dans lequel nous sommes installés depuis trois décennies, passent une bonne partie de leur temps dans des débits de boisson(14) à discutailler sur :
(1) le football, cet « opium du peuple », cette drogue au quotidien que l'oligarchie gloutonne au pouvoir et l'élite dirigeante, en plus de la musique des bars et débits de boisson, offrent en permanence aux Camerounais ;
(2) les succès et insuccès des Lions indomptables, véritable instrument de vampirisation de l’énergie vitale des populations qui pourraient être investie dans des initiatives populaires porteuses d’espoir.
Ce qui inquiète, c’est que «pour les jeunes (scolaires, étudiants, sans emplois, enfants de la rue) qui commentent le dernier match des Lions indomptables, de Chelsea, de Barcelone, de Manchester United, de Milan AC, de L’Inter de Milan ou de Liverpool, plus rien n'est important, plus rien n'existe et ne compte, pas même leur situation de laissés-pour-compte, de parias de la société, pas même le chômage structurel, la paupérisation et la mutilation anthropologiques auxquelles ils sont soumis et qui les exposent à la délinquance dans des bidonvilles en expansion» (15).
Dans notre contexte, même des médias à capitaux privés, considérés sous d’autres cieux comme le quatrième pouvoir de fait et de véritables chiens de gardes, inscrivent de plus en plus leurs actions dans la logique du «gombo», au lieu d’être des porte-paroles des sans-voix, des laissés-pour-compte, des «rien-du-tout», du « monde d’en-bas ». En cela, faut-il le dire, cette presse est complice de l’effondrement de l’État au Cameroun.
La nature ayant horreur du vide, les Camerounais assistent impuissants au triomphe d’un État idéologique considéré par le philosophe Fabien Eboussi Boulaga comme étant « le geste inaugural d’aliénation» (16), une sorte de conglomérat de groupe clientélistes maffieux, c’est-à-dire une parenthèse sociohistorique en proie à la folie bien connue d’une génération de «miraculés sociaux » peu soucieux de la vertu, du respect de la vertu républicaine, du respect de l’éthique, de la compétence, de la vie humaine. Ce qui compte pour cette génération spontanée de vampires, de diffamateurs dont le seul mérite est peut-être d’être sortis de la brillante École nationale de mécréants (Enam), ce sont les sectes, l’hédonisme, la magie noire, la vénalité, bref toutes les formes de vices qui rappellent à la mémoire les histoires de Sodome et Gomorrhe dont parle la Bible et qui sont les signes prémonitoires d’une société qui a entamé son chant de cygne. Aimé Césaire ne disait-il pas « que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie dans le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant de cygne » ? (17)
À voir tous ces egos subalternes se surdimensionner- lors des deuils et obsèques, des cérémonies officielles … parce qu’ils croient être alors qu’ils ne sont pas - à la mesure de l’argent détourné au trésor public, on mesure à quel point la construction d’un État a encore du chemin au Cameroun. Surtout lorsqu’on peut voir le chef de l’État débourser une somme de 20 millions de FCfa pour soutenir une réunion du village - pour ne pas dire tribale - qui a pour finalité la construction d’un monument au monarque présidentiel- comme en Russie de Lénine, Staline et autre Nikita Khrouchtchev - , d’une case aux ministres-chefs du village dans la capitale régionale du Sud. Alors que l’argent collecté aurait pu servir à doter cette localité en château d’eau qui n’existe pas ou même à perfectionner le circuit électrique alimentant la ville d’Ebolowa.
S’opposer à cette génération de dracula, de « Vampires de Golstan » (Mono Ndjana), de nécrophages et d’anthropophages au nom d’une éthique républicaine, spirituelle ou religieuse quelconque, c’est s’exposer à la marginalisation, à la mort (au propre comme au figuré) ou refuser d’être élevé un jour à un niveau de la hiérarchie sociale. Tout ce qui concourt à la grandeur sociale - entrée dans une grande école, promotion dans la haute administration - subit la loi des réseaux maffieux installés au cœur du pouvoir au Cameroun tel qu’il est et que les activistes de la diaspora, notamment ceux du Code, ont eu le mérite et le sursaut de dévoiler à la face du monde. C’est dire qu’au-delà des méthodes « peu orthodoxes » choisies, les activistes, au sens noble du terme, nous rappellent notre inertie et nous renvoient notre propre image hideuse.
Jean-Bosco Talla
& Maheu
Notes
1- Brice Nitcheu cité par Yolande Tankeu, La sécurité présidentielle en débandade à Genève, dans Germinal n°065 du 29 septembre 2010, page 10.
2- Luc Sindjoum, "Président de la République du Cameroun à l’épreuve de l’alternance néo-patrimoniale et de la « transition démocratique »", dans Momar-Coumba et Mamadou Diouf (Sous la direction de), Les figures du politique en Afrique. Des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Dakar/Paris, Codesria-Karthala, 1999, p.89.
3- Jean-Bosco Talla, La réalité dépasse l’affliction, Germinal n°063, du 25 août 2010, page 3.
4-Lire Thomas Deltombe, chantres français pour dictateurs africains, dans Le Monde Diplomatique, mars 2010.
5- Ibid
6- Jean-Marc Ela, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique. Les défis du « monde-d’en-bas », Paris, L’Harmattan, 1998, p.295.
7-Jean-Bosco Talla, Paul Biya Responsable de l’inefficacité, de l’inertie et de la cacophonie gouvernementale, dans Germinal, n°060 du 08 juillet 2010, pp.3-4.
8- En réalité les « grandes ambitions » constituent un slogan politique qui ne saurait être considéré comme étant un programme politique étant donné qu’il n’existe pas de manifeste pouvant permettre de les considérer une programme poltique
9- Pierre Flambeau Ngayap, Cameroun : qui gouverne ? De Ahidjo à Biya, l’héritage et l’enjeu, Paris, L’Harmattan, 1983, 350p.
10- Jean-Marc Ela, op. cit., p.297.
11- Jean Montaldo, Les voyous de la République, carnets secrets 1, Paris Albin Michel, 2001, p.9.
12-Jean-Marc Ela, op., cit., p. 299.
13- Ernest Marie Mbonda, « Penser les événements et les institutions », dans Njoh-Mouellé Ébernerez et Kenmogne Emile (dir), Philosophes du Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires de Yaoundé, 2006 :271-295, 2006
14- Loin de nous l’idée selon laquelle les débits de boisson, les sports et terrain de sport ne sont pas des lieux de production de sens.
15-Jean-Bosco Talla, « Pour la reconstruction du Cameroun », dans Germinal, n°046 du 03 décembre 2009, p.3.
16- Fabien Eboussi Boulaga, Les conférences nationales en Afrique noire. Une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1993, p.23.
17-Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1989, p.43.