Paul Biya et la nouvelle Dynamite

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Paul Biya déterminé à laisser le Cameroun dans le chaos
Ceux des Camerounais et observateurs qui se sont rendus au Palais des Congrès de Yaoundé les 15 et le 16 septembre 2011 afin d’assister au 3ème congrès ordinaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et/ou qui ont écouté, à l’ouverture des assises,  Paul Biya, président national de cette formation politique et chef de l’État, ont probablement été marqués par la tonalité des propos qui voguaient entre l’invective, la véhémence, la menace et la lucidité.
Le ton est donné quand le monarque présidentiel rudoie ses contempteurs et adversaires politiques en leur donnant tous les noms d’oiseaux. Ils sont soit des « champions de la critique pour la critique » qu’il veut chagriner, soit « ceux qui ne voient que le mal partout », soit des « ténors de la péroraison creuse » et, soit enfin des « bonimenteurs du chaos ». Des propos d’un adolescent de 80 ans qui injurie ses compatriotes qui ont pourtant des bonnes raisons de se plaindre de sa gestion catastrophique du patrimoine commun. L’homme-lion, en injuriant les Camerounais, ne

se rendait pas compte qu’il venait de dégoupiller une grenade.
Fort heureusement, le bullocrate (1) d’Etoudi ne manque pas, dans une lucidité déconcertante, de dévoiler sa nature de marchand d’illusions en déclarant : « Les « Grandes Ambitions » d’hier vont devenir les « Grandes Réalisations ». Et à partir de janvier 2012, le Cameroun sera transformé en un immense chantier ! » Sauf le respect que les Camerounais lui doivent, Paul Biya n’est-il pas un charlatan?
En s’exprimant ainsi, le bonimenteur Paul Biya passe aux aveux complets et admet qu’en 2004 il avait berné les Camerounais avec ses « Grandes Ambitions ». Car, si le début des concrétisations, des exécutions des « Grandes Ambitions » est fixé en janvier 2012, il confesse que les « Grandes Ambitions » n’étaient, au mieux, qu’un projet, qu’une ébauche de projet ou que des intentions et, au pire, qu’une volonté d’anéantir, de détruire le Cameroun et d’éliminer les Camerounais. Et c’est peu dire si on affirme que le Cameroun a été suffisamment détruit durant les 7 années qui viennent de s’écouler. Plaise à Dieu que Paul Biya n’ait pas l’intention de lancer une nouvelle dynamite dévastatrice de plusieurs tonnes pour détruire le Cameroun afin de le transformer « en un immense chantier », comme l’Otan l’a fait en Libye. Simple conjecture faite par un « ténors de la péroraison creuse » ? Peut-être !
Toujours est-il que le vacancier au pouvoir(2) ne convainc pas les Camerounais quand il embraye à nouveau sur la corruption et les détournements de deniers publics. Le président du Rdpc/chef de l’État avertit : « Sachez, Mesdames, Messieurs et Chers Camarades, que ma détermination à combattre ce fléau est totale et que la lutte contre la corruption va se poursuivre en s’in-ten-si-fiant, sans complaisance, sans discrimination, indépendamment du statut social ou de l’appartenance politique des personnes incriminées. Personne ne pourra se considérer comme étant au-dessus des lois. »
Cette posture avait déjà été adoptée, au Palais des congrès, le 21 juillet 2006 par le prestidigitaeur lors du 3e congrès extraordinaire du Rdpc. Parlant de la morale publique le Mnom Ngui déclarait : «  Nous avons encore un grave problème de morale publique. Malgré nos efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. J’ai eu souvent à m’exprimer sur le sujet et à dire ma détermination à éradiquer ces comportements asociaux. Des sanctions sévères ont été prises au cours des derniers mois. Nous n’allons pas nous arrêter en chemin. Ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge. […] Les délinquants en col blanc n’ont qu’à bien se tenir »
Comme en 2006, le meilleur élève de François Mitterrand, s’est gargarisé, le 15 septembre 2011 des résultats obtenus dans la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics par la structuration d’un dispositif institutionnel dont notamment, la Chambre des Comptes, désormais fonctionnelle « qui juge de la régularité des comptes de l’administration publique et de ses démembrements [et] la Conac, ou Commission nationale anti-corruption [qui] est passée de la phase pédagogique et de sensibilisation à une phase véritablement opérationnelle », structures auxquelles s’ajoutent les actions de « l’Agence nationale d’investigation financière, du Contrôle supérieur de l’État, de l’Agence de régulation des marchés publics, de celle des différentes commissions ministérielles de lutte contre la corruption, des commissions de passation des marchés placées auprès des institutions publiques et parapubliques, sans oublier le rôle répressif des juridictions nationales  traditionnelles ».
La récurrence du thème de la morale publique dans les discours du président sortant prouve à suffire que ce problème est au centre de ses préoccupations et qu’il est parfaitement informé de l’état d’avancement des stratégies et actions mises en œuvre pour éradiquer, du moins pour atténuer ces fléaux qui gangrènent outrageusement notre tissu social et vident de leur contenu toutes les politiques de développement. Cependant, décrier dans les discours les comportements asociaux est une chose, poser des actes pour éradiquer lesdits comportements en est une autre.
On peut admettre, comme certains thuriféraires hypocrites, membres et sympathisants du Rdpc, que le système (ou le pouvoir) politique actuel, n’est pas totalement nul. Cependant, on ne peut s’empêcher de constater avec amertume que Paul Biya, qui trône à la tête de son parti (depuis 26 ans) et de l’État depuis presque trois décennies, veut changer pour que rien ne change. De sorte que même les sanctions prises, dans le cadre de l’Opération Épervier, contre les gestionnaires indélicats et brandies comme une manifestation de sa volonté de traquer les bandits en col blanc qu’il a nommés, promus et maintenus aux affaires contre vents et marrées, malgré les dénonciations par les médias de l’incurie de certains d’entre eux  y compris les mises en gardes, font rire aux éclats ceux qui pensent qu’il s’agit-là d’un jeu de massacre politique destiné à éliminer tous ceux qui lorgnent du côté du trône présidentiel ou que celles-ci ont été prises simplement pour contenter les bailleurs de fonds et bénéficier de leur «aide». Pour cette catégorie de Camerounais, et ils sont nombreux, les déclarations de Paul Biya faites lors du 3ème congrès ordinaire de son parti constituent un aveu d’impuissance et par ricochet de complicité.
En déclarant qu’il va intensifier, la lutte contre la corruption, n’avoue-t-il pas que « malgré [leurs] efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. » Sous cet angle, la menace de sanction et de poursuites judiciaires, « sans complaisance, sans discrimination, indépendamment du statut social ou de l’appartenance politique des personnes incriminées », qu’il fait planer sur la tête de tous ceux qui ont pioché dans les caisses de l’État, et principalement sur la tête de certains de ses camarades du parti, spécialisés dans la corruption et les détournements de deniers publics, n’est que pure démagogie. Paul Biya, qui sait dire ce que les Camerounais veulent entendre, sait faire rêver ses compatriotes. D’aucuns n’hésitent pas à dire de lui qu’il est un illusionniste patenté.
Étant donné que l’exemple vient d’en-haut, les Camerounais attendent de le voir donner l’exemple en commençant par balayer devant sa cour, en mettant en application l’article 66 de la constitution et la loi n° 003/2006 du 25 avril 2006 qui énumère les catégories de gestionnaires assujetties à la déclaration des biens et avoirs.
Faut-il le souligner, en 2007, lors du procès État du Cameroun contre Emmanuel Gérard Ondo Ndong et compagnies, les noms des structures que dirigent Chantal Biya avaient été cités parmi les bénéficiaires des largesses de l’ex-Directeur général du Feicom, autrement dit ces structures et par ricochet sa promotrice étaient considérées comme étant des complices de détournement des deniers publics. Le montant total versé par l’ex- Dg Ondo Ndong à ces structures avait été estimé à le somme de 201 355 899 FCfa, répartis ainsi qu’il suit : Synergies Africaines, 40 000 000 FCfa ; Fondation Chantal Biya, 156 355 899 FCfa ; Cerac, 5 200 000 FCfa.(3)
Si Paul Biya ne commence pas par balayer devant sa cour,  les Camerounais seront confortés dans l’idée selon laquelle la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics tant proclamés du bout des lèvres est non seulement à tête chercheuse et un jeu de massacre politique, mais s’inscrit dans la logique des boucs émissaires qui consiste à se débarrasser de quelques brebis galeuses. Une telle attitude laisserait penser que le monarque présidentiel n’est pas le véritable maître du pays et qu’il joue uniquement le rôle de fondé de pouvoir. On comprendrait pourquoi,  ses détracteurs soutiennent que « Paul Biya ne peut rien contre les gens qui le tiennent, qui le maintiennent au pouvoir et qui sont les véritables détenteurs du pouvoir politique ». Aussi certains analystes pensent-ils  qu’il est illusoire de croire qu’on peut mener une lutte acharnée contre la corruption et les détournements de deniers publics sans remettre en cause la nature de l’État camerounais. Ils rejoignent ainsi les positions de Jean-Marc Ela qui souligne que « si la corruption est un élément central du fonctionnement de l’État, la détruire, c’est ébranler tout le système fondé sur un mode d’accumulation de richesses hors de tout processus productif. Pour les dirigeants qui ont besoin de la stabilité en vue de se maintenir au pouvoir, la lutte contre la corruption ne peut être que suicidaire » (4). Paul Biya n’avait-il pas dit qu’il n’avait ni changé, ni changé d’avis, sous-entendu qu’il n’avait ni changé d’avis sur le fait qu’il avait besoin de paix, de stabilité de son pouvoir et de son maintien au pouvoir. Il ne disait d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il affirmait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique (5) que « si cette lutte impitoyable [contre la corruption] avait été déclenchée alors que nos fonctionnaires étaient sous le triple coup des baisses de salaires imposées par l’austérité, des licenciements suggérés par les bailleurs de fonds et de la dévaluation du franc cfa, l’émeute aurait été inévitable » et le régime aurait peut-être été emporté. Cette affirmation remettait au goût du jour les fonctions politique et sociale de la corruption, aussi considérée par certains politiciens comme un mode de redistribution dans les États néo-patrimoniaux, c’est-à-dire des États au sein desquels, « les domaines du public et du privé tendent informellement à se confondre », l’État étant en quelque sorte privatisé au profil des détenteurs des positions d’autorité, d’abord à son sommet, mais aussi à tous les niveaux de la pyramide étatique (5).
Ceux des Camerounais qui ont fait de la corruption et du détournement des deniers publics leur sport favori soutiennent mordicus que l’exemple vient d’en haut. Paul Biya ne dit autre chose lorsqu’il affirme que : « Les cadres du parti, les ministres, les directeurs généraux et les députés issus des rangs du Rdpc doivent montrer l’exemple ». En adoptant cette formule, ils admettent implicitement que « tout pouvoir recèle un virus qui s’empare de quiconque détient et exerce quelque autorité, mais finit par s’attaquer aussi, à celui qui la subit. La corruption inhérente à l’exercice du pouvoir impliquerait nécessairement la corruption généralisée de ceux sur ou contre qui s’exerce le pouvoir. Il y aurait alors comme une loi de réciprocité du fait de laquelle la corruption du pouvoir suscite celle de la société et en détermine l’ampleur, la nature et la forme » (G-H Ngnépi, 1997).
En tout cas, au crépuscule de sa vie, Paul Biya se trouve aujourd’hui face à une alternative : soit il s’implique personnellement et favorise l’avènement d’un État de droit, prospère et véritablement démocratique, et dans ce cas il entre dans l’Histoire comme un Grand Homme d’État, soit il se laisse embrigader par les forces d’inertie, auquel cas il laissera derrière lui un pays ingouvernable et quittera la scène politique par la petite porte. S’il opte pour le premier terme de l’alternative, il doit impérativement et immédiatement se débarrasser du vieil homme qui réside en lui et engager une course contre la montre pour le développement et la prospérité du Cameroun. À condition que le Cameroun ne soit pas déjà plongé dans le chaos. Top chrono !
Jean-Bosco Talla
(1)Lire «un vacancier au pouvoir», in Libération, 16 février 1995
(2) Quelqu’un qui se la coule douce à la tête de l’Etat tout en restant enfermé dans une bulle et en affirmant que les Camerounais en guenilles se portent bien. Ce terme est emprunté à Jean-François Kahn, auteur de Les bullocrates, Paris, Fayard, 2006, 225p.
(3) Le Messager n°2341, du 29 mars 2007, pp. 14-15.
(4) Jean-Marc Ela, Innovations sociales et renaissance de l'Afrique noire. Les défis du monde d'en-bas, L'Harmattan, Pris, 1998, p.240.
(5) Jeune Afrique, n°1990, du 02 au 08 mars 1999.
(4) Transparency International, Source book, p II.


Serail: Le bullocrate

Pendant 48 heures, les 15 et 16 septembre dernier,  la preuve par neuf a été donnée de ce que valent nos gouvernants, et surtout de ce qu’il faut s’inquiéter de ce qui attend notre cher et beau pays, la veille de la présidentielle, moment capital, s’il en est. Adeptes de la duplicité et de la myopie intellectuelle, enfermés dans leur bulle, nos dirigeants  sont pourtant, aux dires des hagiographes du régime, maîtres du temps et de tout. Et l’avenir  du pays n’a de sens que pour la perpétuation de leur pouvoir, quitte à gouverner des populations faméliques et paupérisées du fait de leurs actes sans emprise sur la réalité ambiante. Perdurer à la tête des institutions et jouir des attributs du pouvoir sans se soucier de rendre compte, telle est la seule chose qui vaille à tous les prix, y compris toutes les compromissions. Dans un jeu d’équilibriste de haute voltige, le principal responsable de la situation catastrophique du Cameroun vient de resservir, à tous ceux qui doutaient encore de ses capacités de se renouveler, un autre épisode de surréalisme politique fait d’incongruités et d’espoirs déçus. C’est certain : le changement ce n’est pas pour demain. Il faudra  repasser. En tout cas, avec Paul Biya,  plus ça changera, plus ce sera la même chose, comme nous enseignait déjà la chansonnette. Entre insatisfactions des uns et entourloupes assaisonnées de saupoudrages des autres, le congrès a donné à voir l’espace  d’une ridicule mise en scène, le véritable état de la nation, malgré les mots. Paul Biya peut toujours jongler, avec le vrai bilan de ses presque 30 années à sévir plutôt qu’à servir l’Etat, dont il ne se souvient de la redevabilité qu’à la veille d’un autre bail qu’il souhaite renouveler de force avec ses concitoyens. Mais, personne n’est dupe, y compris ses camarades, plus aptes à le piéger qu’à lui dire ce qui ne renvoie à rien de concret. Tout un septennat n’a pas pu donner un début de concrétisation  aux Grandes Ambitions. Tout honte bue, tout un autre septennat de grandes réalisations de grands chantiers à mettre en œuvre dès 2012, les élections entre temps n’auront été qu’une malheureuse parenthèse. Salut l’artiste  qui est déjà fatigué de se reposer à Etoudi.

Au coeur des inconguités d'un congrès

Au cours du  3ème congrès ordinaire du Rdpc, les militants et sympathisants ont assisté à un florilège d’incongruités. On n’oublier pas de sitôt l’organisation des séances plénières à huis clos.
Lorsqu’on sait comment le 3ème congrès ordinaire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) était attendu, non seulement par certains militants de ce parti qui parlaient de « congrès de la dernière », mais par l’ensemble du peuple camerounais et même l’opinion internationale, l’on peut aujourd’hui, au regard des résultats obtenus à l’issue des deux jours de travaux, en déduire que cette rencontre, qualifiée par certains de «cirque politique», est une montagne qui n’a pu accoucher que d’une souris.
S’il est vrai que le mérite de ce troisième congrès est de s’être enfin tenu 15 ans après le deuxième, pour montrer les incohérences d’un parti  dont le dynamisme dans l’inertie ne peut être démenti, il n’en demeure pas moins vrai que cette grand-messe politique semble avoir renforcé le sentiment d’un espoir perdu que des camerounais,  y compris certains militants du Rdpc, auquel ils s’étaient déjà fatalement résignés. Ce rendez-vous politique n’a malheureusement pas pu les sortir de cette inconfortable posture, et les critiques les plus virulentes, exprimées sur la place publique aujourd’hui viennent des rangs même du parti des flammes qui, disent-ils, continueront à consumer le Cameroun et les camerounais.
Toutes ces diatribes, écoutées ici et là, montrent au fond que le parti de Paul Biya est une grosse organisation politique qui repose sur des textes de l’époque monolithique et essaye tant bien que mal de se déployer dans un contexte pluraliste dont elle est réfractaire. Surtout qu’au sein de cet appareil politique, sont embusqués des ténors de la paléontologie politique, frileux aux critiques constructives et champions d’une verbigération  creuse, qui font bouger tout pour que rien ne bouge.

Source de l’inertie

Avant la tenue de ce congrès les 15 et 16 septembre dernier, beaucoup d’esprits naïfs avaient formulé de nombreuses attentes qui, si elles avaient été satisfaites, auraient pu donner de sérieux indicateurs sur la «nouvelle dynamique» dont parle Paul Biya, président national du Rdpc.  Parmi ces attentes, figurait en bonne place la révision des textes organiques du parti. Sur ce point, les adeptes d’une modernisation du mode de fonctionnement du parti présidentiel ont été simplement priés de repasser, puisque un des changements majeurs attendus, à savoir la normalisation des textes de base du Rdpc, n’a pas été pris en compte. Et du coup, les jeunes loups aux dents longues qui espéraient désormais voir le candidat du parti investi à l’issue des primaires, comme cela se fait dans les vrais partis politiques modernes, ont tout de suite déchanté. Pourtant, pour un parti gouvernant comme le Rdpc, cette relecture est une nécessité car comme le reconnaît Tobie Ndi, candidat déclaré (et malheureux) au poste de président national de ce parti : «le besoin de relecture de nos statuts et de notre règlement intérieur est indéniable. Ces textes de base ont déjà besoin de s’arrimer à la modernité démocratique qui est celle de notre temps» (Mutations n°2990 du 14 septembre 2011, p. 3). À ce niveau, une chose frappe les esprits : lorsqu’il s’est agi de la révision de l’article 6.2 de la constitution touchant à la limitation du nombre de mandats présidentiels à la tête de l’État, l’argument avancé était de laisser les Camerounais choisir en toute liberté et autant de fois qu’ils le souhaitaient, l’homme qui doit présider aux destinées de leur pays ; mais quand il s’agit de donner la même chance aux militants du parti de Paul Biya, la logique argumentaire n’est plus la même, comme si ces militants cessaient d’être des Camerounais une fois les toges du parti arborées.
L’autre billevesée constatée pendant ce congrès est le mode de désignation du président national du parti : entre l’annonce du congrès et la date de la tenue de ces assises, il ne s’est pas écoulé un mois, alors que les textes disent  que les candidats au poste de président national doivent déposer leur dossier de candidature au moins un mois avant la date du congrès. De ce fait, Tobie Ndi et St Eloi Bidoung, candidats déclarés n’ont eu aucune chance de voir leurs candidatures retenues.
Par contre, dans la salle de l’élection, non seulement, un challenger de Paul Biya s’est déclaré au mépris des textes, mais l’élection n’était pas secrète puisque les votants se levaient et levaient la main au vu et su de tous. L’autre défi et non des moindres et la question du rajeunissement des cadres du parti. À ce sujet, Paul Biya, dans son discours d’ouverture le 15 septembre 2011, avait suscité beaucoup d’espoirs en déclarant notamment : «Nous devons redonner l’espoir à nos jeunes, c’est pourquoi, tant dans le processus de rénovation de notre parti que dans la gestion des charges publiques, nous encourageons plus encore le rajeunissement des appareils dirigeants. Faire une place significative à la jeunesse, c’est la préparer à prendre la relève». Mais, comme d’habitude, entre le discours et la réalité le gap s’est fait seulement en 24 heures, puisque dès le lendemain, à la lecture des noms des membres élus et/ou désignés du Comité central et du Bureau politique, l’on a constaté que les caciques grabataires pour certains, sont simplement restés en place et quelques jeunes sont restés aux portes de la suppléance. Ce saupoudrage mal apprécié a fait dire à certains observateurs qu’il s’est davantage agi d’un renouvellement que d’un véritablement rajeunissement. Un «bonimensonge», pourrait-on dire.

Curiosités

Les autres leçons de ce 3ème congrès sont tirées de ces petites et nombreuses curiosités qui ont émaillé ces assises ordinaires du parti au pouvoir. Il y a d’abord, la confusion qui était faite dans un tel cadre entre le président national du Rdpc et le président de la République, puisqu’à tous les coups et même dans le programme officiel, il était mentionné «président de la République» au lieu de «président national» ou «le camarade…». Bien plus, pendant ces deux jours de travaux, non seulement le service public tournait au ralenti, mais aussi les véhicules administratifs étaient mis à contribution pour servir un parti politique fut-il au pouvoir. Les réflexes du parti unique ont vraiment la peau dure.
Que dire alors de la plénière magique à huis-clos, c’est-à-dire de réunion ou de l’assemblée où le déroulement des débats et des travaux se font en présence et hors de la présence des membres du Rdpc ? Il n’y a visiblement qu’au Rdpc qu’une telle plénière existe.
Enfin, une autre curiosité qu’il serait difficile de passer sous silence est la présence des généraux de l’armée camerounaise et des commissaires de la police nationale, en uniforme dans la salle. Les camerounais y compris certains militants du Rdpc s’interrogent encore sur la signification de ces présences très remarquées.
Au total, ces curiosités et ces comportements paléontologiques sont symptomatiques de la manière dont le Cameroun est géré, mais surtout, ils indiquent à merveille quelle est la source de l’inertie au niveau étatique, elle se trouve précisément dans le mode de gestion du parti Rdpc. Aussi, les réactions des compatriotes de la diaspora constituent un baromètre de l’effet qu’un tel évènement, dans sa conduite et dans ses résolutions, peut avoir eu auprès de l’opinion à la veille d’une échéance politique aussi importante que le scrutin du 9 octobre prochain.
Jean Paul Sipadjo

Parole d'un bonimenteur

«Au risque de chagriner les champions de la critique pour la critique, au risque de peiner ceux qui ne voient que le mal partout, au risque de décevoir les ténors de la péroraison creuse, et d’affliger les bonimenteurs du chaos, j’ajoute dis-je que nous pouvons, … mieux, que nous devons être fiers des résultats que nous avons obtenus dans ces conditions si difficiles, pour le bien du Cameroun et du peuple camerounais.
En effet, dans un monde de plus en plus incertain, nous avons veillé à maintenir le cap là où de nombreuses nations, y compris parmi les plus avancées, peinent à conduire leur barque.
Au plan politique,  
- Nous avons poursuivi notre politique d’ouverture en direction des autres formations politiques et de la société civile. Nous avons toujours mis en avant le dialogue, la concertation, la participation à la réflexion sur les grands problèmes de la Nation.
- Nous avons amorcé la phase de mise en œuvre de la décentralisation par l’institution des Régions en lieu et place des Provinces, ainsi que le transfert des compétences de l’Etat vers les collectivités décentralisées plus proches des attentes des populations.  
Au plan de la morale publique,
- Le dispositif institutionnel pour lutter contre la corruption a été structuré, ainsi :  
- La Chambre des Comptes, qui juge de la régularité des comptes de l’administration publique et de ses démembrements, cette Chambre dis-je, est désormais fonctionnelle.
- La Conac, ou Commission nationale Anti-Corruption est passée de la phase pédagogique et de sensibilisation à une phase véritablement opérationnelle,
A ces deux structures, s’ajoute l’action de l’Agence Nationale d’Investigation Financière, du Contrôle Supérieur de l’Etat, de l’Agence de Régulation des Marchés Publics, de celle des différentes commissions ministérielles de lutte contre la corruption, des commissions de passation des marchés placées auprès des institutions publiques et parapubliques, sans oublier le rôle répressif des juridictions nationales  traditionnelles.
Grâce à ce dispositif, d’importants résultats ont été obtenus dans la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics.
Toutefois, comme vous le savez, beaucoup reste à faire sur ce terrain très sensible.
Sachez, Mesdames, Messieurs et Chers Camarades, que ma détermination à combattre ce fléau est totale et que la lutte contre la corruption va se poursuivre en s’in-ten-si-fiant, sans complaisance, sans discrimination, indépendamment du statut social ou de l’appartenance politique des personnes incriminées. Personne ne pourra se considérer comme étant au-dessus des lois.»
Paul Biya

Paul Biya fait semblant de changer pour que rien ne change

Le changement est inscrit dans l’ordre naturel des choses. Un Jour viendra. Il y aura changement au Cameroun.
Une contribution ayant pour objet le 3è congrès du Rdpc peut paraître prématuré aux laudateurs et à quelques apologètes du Rdpc, pris qu’ils sont dans l’étau de la mauvaise foi et du complexe des lampions allumés, habitués par ailleurs qu’ils sont à prendre leurs affabulations pour des réalités. C’est tant mieux pour le débat. Avec le recul nécessaire et passé le temps de l’euphorie, des agapes organisées concomitamment à la tenue de la grand-messe du Grand parti national, admettons, qu’il n’était pas très tôt de philosopher sur le pourquoi d’un mandat de trop que Paul Biya, s’apprête à arracher aux Camerounais par le détournement de l’élection d’octobre 2011.
À lire les différentes feuilles qui circulent à propos, ses lieutenants professent communément la main sur le cœur que leur champion sollicite à nouveau un mandat pour, disent-ils, la relance de l’économie à travers la réalisation des projets structurants, la réduction de la fracture sociale, le relèvement du pouvoir d’achat des consommateurs, la recherche de l’équilibre dans le  marché du travail, la prise en compte de l’économie populaire dans la stratégie de développement, la lutte contre la corruption..
Assurément, pas grand-chose sinon les mêmes incantations. En un mot, une gouvernance d’affichage, des effets d’annonce, pour ne pas dire du verbe dérisoire. C’est dire si en dépit du capharnaüm des réalisations que Paul Biya promet aux Camerounais, comme hier les grandes ambitions, les choses vont changer pour que rien ne change. La nouvelle dynamique, ou le Cameroun en marche n’augure pas des lendemains meilleurs.
C’est du moins ce que laisse subodoré l’incohérence entre le discours de politique général prononcé à l’ouverture du congrès du parti des flammes et les actions posées quelques instants après.
En effet, reconverti pendant quelques instants de lucidité au Crédo de Christian Cardinal Tumi qui professe la remise du Cameroun à neuf, Paul Biya dans le discours sus-évoqué est conscient que cette projection est loin d’être un borborygme. Car, pour lui, remettre le Cameroun à neuf passe nécessairement par une ascèse de l’imaginaire social camerounais par rapport à la res publica (chose publique)

Pleurnicheries et jérémiades

D’où l’intérêt qu’il accorde à l’éthique dans son portrait-robot de la jeunesse qu’il semble inviter à prendre la relève et même à conduire le chantier Cameroun dès janvier 2012, a-t-il précisé.
Seulement, cette rhétorique qui participe de la philosophie politique tranche avec l’action, comme cela est de coutume Au Cameroun de Paul Biya qui chaque jour administre la preuve d’une bizarrerie difficilement observable ailleurs, c’est-à-dire dans les temporalités socio-culturellles où l’on sait ce que gouverner veut dire. C'est dire si la Cameroun n'est pas gouverné.
Laissons de côté les pleurs, les pleurnicheries et les jérémiades de quelques militants honnêtes qui croyaient être récompensés et qui sur le tard aboutissent à une conclusion à laquelle Hubert Mono Ndjana été parvenue quelques années plus tôt : à savoir que le Rdpc est loin d’être un parti des militants, mais un parti d’état-major, de courtisans d’imposteurs inscrits dans la logique de la société de cours dont parle Norbert Elias, et du clientélisme. Sinon, comment comprendre qu’après avoir indiqué qu’il sera sans pitié pour les braqueurs de la fortune publique, nul étant au-dessus de la loi, ces derniers se voient aménager des positions privilégiées dans les instances dirigeantes de son  parti, narguant au passage toutes ces honnêtes gens qui ont naïvement cru, peut-être que le régime du renouveau retrouvait enfin son chemin de Damas.
Sauf amnésie, le président du Rdpc et chef de l’État, initiateur des contrôles et destinataires des conclusions de la Conac, du contrôle supérieur de l’État, institution placées directement sous son autorité, peut-il ignorer ces dossiers qui accablent de nombreuses  personnalités nommées au comité central et au bureau politique de son parti ? Aucun Camerounais sain d’esprit ne peut le penser.
Sans prétendre à l’exhaustivité, rappelons quelques cas dont la presse s’en est fait l’écho et qui heurtent la conscience collective au Cameroun. Jacques FamèNdongo, Edgar Alain Mebe Ngo’o, Louis Paul Motaze, Marafa Hamidou Yaya, Nkoto Ename, Paul Atanga Nji.
Ainsi se trouve-t-il vérifier, compte tenu de ce qui précède, la thèse de l’inertie développée par Alain Didier Olinga comme caractéristique ontologique de la gouvernance Biya, défendue dans son ouvrage Propos sur l’inertie.
Sous réserve de surprises éventuelles, l’homme étant comme le souligne Jean Paul Sartre « l’être sur le mode d’être du n’être pas », il est certain qu’un jour le Cameroun emboitera le pas du changement social culturel et systémique. Mais après Biya.
J-B. Talla et Maheu

Palais des congrès: l'enfer du décor

Pendant que les hiérarques du Rdpc se concertaient dans une plénière à huis clos, les militants de base enduraient soleil et famine.
Approché, un membre du comité d’organisation du troisième congrès ordinaire du Rdpc a tenté d’expliquer que seuls les délégués du parti étaient attendus à Yaoundé. Pour lui, « il ne nous revenait pas de nous occuper de tout le monde qui a fait le déplacement du palais des congrès ». Mais, toutes vérifications faites, il ressort que les membres des commissions ont procédé à une forte mobilisation des foules pour que le congrès ne donne pas l’impression d’être le regroupement d’une caste.
Pendant deux jours, les 15 et 16 septembre dernier, Yaoundé a donc changé de couleurs. Vu de loin, le mont Kol Nyada s’apparentait à un camp de réfugiés. Des tentes érigées et des hommes et femmes agglutinés, à la recherche de l’ombre. Plus on approchait, plus les choses se précisaient. Car on se rendait à l’évidence que cette marée humaine se partageait une appartenance politique: le Rdpc. En témoigne l’uniforme du parti des flammes arborée par des militants. « Je viens de Monatélé. Le président (de section Rdpc, Ndlr) nous a désigné pour l’accompagner », explique un militant qui cumule uniforme, chapeau et écharpe aux couleurs du Rdpc. Seulement, en venant, il ne savait pas que les choses allaient être aussi rudes. « Ce n’est pas facile. Ici nous ne sommes pas chez-nous. Heureusement pour moi que j’ai ma fille ici à Yaoundé. J’ai passé la nuit chez elle », explique celui qui n’a pas encore rien perçu du parti qui devrait leur fournir de quoi se nourrir, selon les clauses de départ. «Mais j’ai quand même profité pour revoir notre président national», se réjouit-il, à contre cœur.

Grosses cylindrées

Tous les militants n’ont pas un moral en acier comme lui. « Depuis le matin on n’a rien mangé. Personne ne nous dit quoi que ce soit », s’emporte une autre militante. Elle rejoint d’ailleurs ses «camarades» qui ont élu domicile sous un arbre en contre bas du palais des congrès où les « grands » travaillent, portes et fenêtres fermées. Ce groupe de militantes de base devise pour meubler le temps. Au lieu-dit carrefour foire de Tsinga, la situation est plus préoccupante. Entre les grosses cylindrées garées anarchiquement par les invités du congrès, des militantes ont pris le soin d’étaler les pagnes qui leurs servent de lit. Elles veulent profiter de l’ombre générée par le rapprochement des véhicules. La suite logique est connue: elles se sont jetées de manière incontrôlable dans les bras de Morphée. Compte tenu de l’intensité des rayons solaires, ces Sans domicile fixe (Sdf) de circonstance suent à grosses gouttes. Toujours sous l’effet du sommeil, certaines n’avaient plus de considération pour la décence. Visiblement. Car, sans vergogne, elles dansaient et soulevaient les kaba-gondo.
Non loin, les hommes offrent le même spectacle. Assis sous un soleil ardent, ils usent de toutes les techniques pour résister. Nombre d’entre-eux ont ingénieusement transformé les pancartes du parti en parasoleils. Ils attendent le retour de leur « champion » qui tient son discours de politique général dans une salle close du palais des congrès  pour faire leur travail: applaudir. Et lorsque la sirène du couple présidentiel retentit au sommet du mont Kol Nyada, chacun se réveille illico et se met au garde-à-vous, le genre ancien combattant. L’itinéraire qui va du Palais de l’Unité au palais des congrès devient très bruyant. Des youyous et des applaudissements s’élèvent au passage du couple présidentiel. On peut entendre : « tu es notre président », « Paul Biya encore 20 ans », « Paul Biya toujours chaud gars », etc. Même s’ils n’ont rien retenu du discours de celui qu’ils saluent au passage, ces chanteurs et danseurs du Rdpc sont sûrs de la victoire de leur président national à l’élection présidentielle du 9 octobre prochain.
Koumpa Mahamat

Quand Paul Biya rate le coche

Le bilan de Paul Biya présenté au Palais des congrès le 15 septembre 2011 est à l’image de ses petites ambitions.
En décidant de s’adresser devant les médias à ses « camarades » de parti, qu’il revoyait quinze ans après, de faire par conséquent, de cet événement un moment public, Paul Biya a fait un pari et pris un risque. Le pari d’apparaître aux yeux du public, comme un leader aimé, adulé et…désiré par ses camarades de parti. Apparemment, si on s’arrête à la forme, c’est le cas. Quant au risque, c’était celui d’étaler au grand jour, le fossé entre la base « militante » et le sommet « administratif » de son parti. En d’autres termes, assumer publiquement l’inadéquation entre les décisions d’en-haut et les besoins d’en-bas du Rdpc. C’est de manière claire et objective, ce qui ressort du discours prononcé par Paul Biya en ouverture de ce 3ème congrès du Rassemblement démocratique du peuple camerounais. Et ce n’est donc pas faire « de la critique pour la critique », « voir le mal partout » ou encore « être un ténor de la péroraison creuse » que de dire que Paul Biya, président national du Rdpc s’est trompé de discours et par conséquent d’auditoire, le 15 septembre 2011.
En saluant ses « camarades » qu’il était «heureux de retrouver… » quinze ans après (à titre de rappel, le dernier congrès du Rdpc a eu lieu le 19 décembre 1996), et ce « à l’occasion des assises du troisième Congrès Ordinaire du Rassemblement Démocratique du peuple Camerounais », on se serait attendu à ce que Paul Biya, le président national du parti fasse un état des lieux, dresse un bilan, explique, et pourquoi pas, justifie les raisons, fondées ou infondées, objectives et subjectives,  pour lesquelles les « retrouvailles statutaires » n’ont pas eu lieu bien avant. On se serait attendu à ce que le président national du parti se désole  - ne serait-ce que de manière subtile, de l’engourdissement de son parti (absence d’idées nouvelles, fonctionnariat à outrance au détriment du militantisme, affairisme et concussion de certains cadres, etc); on se serait attendu à ce que, pour ce 3ème congrès, imaginé, fantasmé, pensé et tant attendu par des milliers de militants et sympathisants du Rdpc, comme un moment crucial, le leader de ce parti vienne, après quinze ans, plein d’allant, avec une vision nouvelle, un projet commun mobilisateur pour ses troupes…Le réalité fut toute autre ! En lieu et place, on a eu droit à un discours hors contexte, inapproprié et  obsolescent de la part de Paul Biya.
Quelle a été l’entame du discours de Paul Biya ? «Deux événements majeurs ont donc ponctué notre vie politique depuis notre dernière rencontre : L’avènement d’Elecam et la modification en 2008 de certaines dispositions de notre Constitution. ». Faut-il rappeler ici que la création d’Elecam date de 2006 et que la modification de la Constitution dont a parlé Paul Biya est celle de 2008 ? Doit-on comprendre qu’en se séparant en 1996, soit depuis 15 ans, l’apport du Rdpc au Cameroun sur le plan institutionnel se résume à la création d’Elecam (un organe toujours contesté par la majorité des camerounais en âge de voter) et la révision de la Constitution (qui fait du Président camerounais, un président à vie et dont l’adoption est la cause d’un mécontentement populaire ayant entrainé la mort de 200 jeunes camerounais environ) ? Soit les deux évènements politiques qui ont divisé et continuent à diviser les camerounais; soit les deux « fautes politiques » qui lui ont fait perdre – au même titre que « le dérapage » de La Baule – du crédit sur le plan international ( ce qui explique d’ailleurs que les seuls partis étrangers « amis et frères » qui ont pris part à ce congrès soient le Parti Communiste Chinois, le Parti Démocratique Gabonais, Le Mouvement Patriotique du Salut tchadien et le Parti Démocratique de Guinée Equatoriale).
Si tel est le bilan du Rdpc en quinze ans, même les thuriféraires les plus obtus de ce parti et de son leader doivent trouver cela bien maigre, comme résultat. Que s’est-il passé pour et au sein du Rdpc entre 1996 et 2004 ? En prenant l’année 2004 comme point de départ de « ce que le Rdpc a accompli » et en l’énumérant comme une liste d’épicerie, Paul Biya  a lié son sort à celui de son parti. Ses réussites sont celles du parti; ses échecs sont ceux du parti. En d’autres termes, « si je coule, vous coulerez avec moi ». À celles et ceux –militants et sympathisants du Rdpc - et qui croyaient encore en une régénérescence de ce parti et qui réclamaient des assises permettant de dégager un réel programme (politique économique, agricole, industrielle, éducative, sociale, sociétale, etc…), la réponse leur a été donnée, « sloganisée » en « Les Grandes Ambitions d’hier vont devenir les Grandes Réalisations ». Les militants du Rdpc se sont retrouvés pour évoquer le parti de1996 à 2011 et envisager l’avenir; les « Grandes Ambitions », programme-slogan de M. Biya, candidat en 2004 vont devenir les « Grandes Réalisations » en 2012.
Inadéquation entre la base et le sommet du parti Rdpc. Malheureusement, c’est le Cameroun qui en paie le prix.
Cyrille Ekwalla
Responsable éditorial du site de débat
www.njanguipress.com

Discours pathétique d'un vieillard somnanbule

La montagne a accouhé d’une souris au Palais des congrès de Yaoundé les 15 et 16 septembre 2011. Le discours  du président national du Rdpc a été pathétique comme celui d’un homme qui avait ingurgité une bonne dose d’Odontol.
Mon impression générale est que, c’est un discours pathétique d’un vieillard somnambule qui semble se réveiller d’un long et profond sommeil et qui, tout couvert de honte, tente un baroud d’honneur en annonçant que les «grandes ambitions» qu’il a promises il ya sept ans, vont enfin devenir de «grandes réalisations» dans les 7 prochaines années. C’est un clair aveu d’échec!
Ce énième discours de Paul Biya nous donne la démonstration que ce Monsieur est fini, intellectuellement et politiquement. Il est au bout du rouleau, Il n’a rien à proposer à ses militants et aux camerounais et pour les distraire, Biya se livre à d’ennuyeuses élucubrations discursives. Un discours de plus de 10 pages et pas une seule proposition concrète, à part des considérations d’ordre général.  Comme seul bilan de son septennat, Paul Biya dit qu’il a «révisé la constitution» en tuant au passage des centaines de camerounais…Un bilan peu glorieux pour un despote sanguinaire!
L’autre chose qui m’a frappé dans ce discours comme dans les allocutions passées, c’est cette irresponsabilité quasi-congénitale chez Paul Biya et qui se traduit par l’utilisation de la forme passive pour dire des choses qui engagent l’avenir de notre pays. Il utilise des formules comme «il est temps de… », «cela est intolérable…», «il faut… », «on doit…», etc.. Il parle comme s’il n’avait pas conscience de posséder la réalité du pouvoir, comme s’il attendait que quelqu’un d’autre gouverne à sa place. Ce style est plutôt celui d’un un opposant qui est en pleine critique de l’action du gouvernement. C’est bien Biya qui est le Chef de l’Etat, aussi illégitime qu’il soit, c’est lui qui doit assumer. C’est lui qui doit prendre des mesures et impulser une dynamique à l’action du gouvernement. C’est comme si ce type n’en avait vraiment pas conscience. Cela traduit chez ce personnage du Néandertal politique, une totale absence de conscience du poids de ses responsabilités et de ses fonctions de Chef de l’Etat. C’est normal pourrais-je dire, car Paul Biya n’a, en réalité qu’une perception jouissive et ludique du pouvoir d’Etat, d’où ses nombreux séjours de plaisance à l’étranger. Il n’est intéressé que par le coté bling-bling du pouvoir. J’attends d’un Homme d’Etat responsable qu’il parle à la première personne du singulier: «J’ai décidé…, je propose…, Je prends l’engagement de…, je vais construire…, etc.». Ce n’est pas le cas de Biya, qui est dans le délire total.
Enfin le discours de Paul Biya confirme que c’est un vulgaire démagogue. Il ne tient pas à ses engagements. Il n’a d’ailleurs jamais tenu à ses engagements. Souvenez-vous que son pouvoir a commencé par une grosse trahison qui le poursuit à ce jour. Il a trahi son mentor Ahidjo, à qui il doit tout. Comment prendre encore au sérieux quelqu’un qui avait promis «la politique des grandes ambitions», aussi creux que cela puisse sonner, et qui 7 ans après, a quand même le courage de nous promettre le passage des «grandes ambitions aux grandes réalisations»? Comment prendre un tel dangereux mythomane au sérieux? C’est bien Biya qui nous disait durant les années de braise «qu’on ne joue pas avec le Cameroun». Visiblement, le donneur de leçons n’a lui-même pas assimilé les leçons qu’il prétendait nous donner. Biya joue avec le Cameroun, il joue avec le destin de 25 millions de personnes, mais nous ne le laisserons plus faire. Il est en fin de course. Il faut que ce type nous foute la paix une fois pour toute. C’est tout ce que nous lui demandons.
Tene Sop
Secrétaire Général du Conseil National pour la Résistance – Mouvement Umnyobiste (Cnr-Mun)
Membre Fondateur du Code

Discours creux

Voici un discours plat et creux rempli de lieux communs et de mensonges qui ne trompent plus ni le peuple kamerunais, ni même les militants du Rdpc. Peut-on entendre parler d’avenir dans la bouche d’un homme qui participe au pouvoir depuis 50 ans –Biya a commencé en 1962 – et qui dirige le pays depuis 30 ans ? Vraiment ! Peut-on y croire un seul instant ?
La mascarade de congrès du Rdpc est à l’image de la mascarade d’Etat au Kamerun, et de la mascarade de système électoral qui n’a comme but que maintenir au pouvoir un homme usé et fatigué, qui sert fidèlement les intérêts des multinationales capitalistes et des intérêts étrangers et notamment français, contre les intérêts de son propre peuple.
Quel avenir M. Biya laisse-t-il à la jeunesse kamerunaise ? Aucun, sinon un avenir plein d’angoisses et de pauvreté.
Je ne souhaite même pas me livrer à l’inutile exercice d’analyser les points abordés par le dictateur dans son discours partisan : ce serait donner à ce discours une valeur qu’il n’a pas.
La seule réaction possible que m’inspire ce discours, c’est un triste sourire, sourire parce que c’est comique d’entendre le mot « avenir » dans la bouche de quelqu’un qui autrefois en Afrique, serait déjà assis au pied du baobab, entouré des jeunes gens qui gouvernent réellement le pays et qui viennent s’abreuver à sa sagesse. Ici, on voit ce même homme d’avenir, âgé de 80 ans, promettre monts et merveilles à ses militants.
Triste parce que le peuple kamerunais subit cette dictature comico-sanguinaire depuis trop longtemps maintenant. Ce discours, par ses inepties et ses contre-vérités, renforce notre amour pour le peuple kamerunais, et nous oblige à lancer toute notre énergie dans la bataille du changement et de la libération du peuple kamerunais, pour que ce mauvais théâtre cesse enfin de se dérouler impunément sous nos yeux.
Moïse Essoh
Secrétaire exécutif du Code

Un discours fourre-tout et passepartout qui confond discours politique et cours magistral

Par rapport à son discours au Congrès de 2006, Biya a fait une nette régression. On est face à un discours fourre-tout et passepartout qui confond discours politique et cours magistral et qui ne peut que produire un effet paradoxal sur le Camerounais moyen dont les besoins de survie sont pressants. A la lecture de ce texte, on découvre une vision abstraite formulée dans un esprit de déni des réalités quotidiennes par un homme métropolitain qui ignore le Cameroun profond malgré ses 29 ans de pouvoir absolu. On se demande bien l’opportunité pour Biya de continuer dans la mouvance des promesses utopiques et intelligentes depuis 1992.
Tout d’abord, on est frappé par la farce que représente la notion de « démocratie » au sein du Rdpc. Biya parle de « Congrès de la nouvelle dynamique » qu’il qualifie librement de « circonstance exceptionnelle » en lieu et place de « circonstance ordinaire » qui aurait pu déjà avoir lieu trois (03) fois depuis 16 ans. Il parle du Rpdc comme étant « notre grand parti » (03 occurrences), ce qui est un dérivé du « parti unique » faisant appel à un autre concept connu de : « notre Grand Manitou ». Cette image péjorative est communément utilisée pour caricaturer le patron et critiquer sa « pensée unique ». Le fait que Biya l’utilise à l’heure de la démocratie connote implicitement son désir de mettre en garde les congressistes sur la « discipline du parti » qui renvoie au fait qu’au « Grand parti, on ne discute pas ; on suit ce que notre Grand manitou décide ».
Ensuite, Biya prend le temps de protéger ses arrières. Il salue « la Communauté internationale » dont l’environnement est « marqué par des bouleversements aussi fulgurants que complexes » et il lui place l’amadoueur « bonne relation ». Cela n’est pas anodin car, il a pu observer dans l’actualité africaine que la « mobilisation » autour du « Palais » était capitale pour conquérir ou conserver le pouvoir en cas de « Révolution » ou de « Printemps subsaharien ».
Il en ressort sa peur « de la force, préconisées par certains comme moyen d‘expression ou de revendication politique ». Il cite dans la foulée les libertés garanties au Cameroun mais, il laisse connoter que « tout le monde est libre sauf pour conquérir le pouvoir ». D’ailleurs, « le peuple camerounais est un peuple jaloux de son indépendance », répond-il à la Communauté internationale qui pourrait être tentée d’activer son droit d’ingérence en dépit des « instruments internationaux que les Etats se sont librement donnés ».
On observe toutefois que Biya veut escamoter cette réalité de la « Révolution » qui arrive selon l’opposition « à grands galops ».  Il ne cite que deux événements majeurs depuis « notre dernière rencontre [congrès extraordinaire en 2006] » à savoir : « L’avènement d’Elecam et la modification en 2008 de certaines dispositions de notre Constitution ». Il ignore astucieusement les « émeutes de la faim » et les mobilisations pour ou contre sa candidature qui ponctuent la vie politique nationale depuis 2008. On a l’impression qu’il écoute les cris et appels du peuple qui fusent de toute part et n’en retient que les motions de soutien et les appels à son maintien ad vitam aeternam au pouvoir. Ce comportement de déni de la réalité ne peut qu’exacerber la relation conflictuelle que la masse entretient de plus en plus avec lui.
Au fur et à mesure qu’on avance dans le texte, on se demande sincèrement à qui il s’adresse. Ou mieux, on comprend que son « peuple Camerounais » équivaut à ses « Camarades » (15 occurrences) qui ont placé leur confiance en lui et à qui il a ouvert la « mangeoire ». Visiblement, on comprend à travers son bilan que ces personnes qui participent à son « ndjangui » ont eu leur « part du gâteau national » notamment les femmes (plus de postes), les jeunes (plus de recrutements) et le vivier électoral (plus d’attention). On a de la peine à distinguer le Président national du Rdpc du président de la République de tous les Camerounais. Quand il parle, la majorité des Camerounais à qui il a éventré tous les avantages liés à leur citoyenneté à cause de leur non-appartenance au « grand parti national », ne peuvent qu’avoir un air de désolation.
Par exemple, ce dis-cours magistral ne peut qu’être une provocation aux yeux de la jeunesse désespérée encore appelée « notre relève » qui n’attend plus de Biya qu’il rabâche avec « insouciance » les mêmes promesses dites « fallacieuses » d’années en années dans l’oubli coupable qu’en 30 ans, les bébés de 1982 sont devenus mâtures et ne cessent de scander qu’ils « en ont marre ». Biya ne peut pas être convainquant dans ce milieu parce qu’il ne répond pas à la principale question que se pose la « génération sacrifiée » à savoir : « Que deviendrons-nous et que deviendrons nos enfants ? ». On les entend dire entre autres  dans un élan de défaitisme : « notre sort est déjà scellé », « c’est pour nos enfants que nous nous battons maintenant ». En effet, la grosse critique à l’endroit de la politique de jeunesse de Biya est son incapacité à dire de façon claire dans quel type de moule il a voulu former la jeunesse camerounaise depuis 29 ans. Sa posture est suffisamment souillée par ses « brefs séjours à l’étranger » par opposition à la « quasi inexistence de ses séjours à l’intérieur du Cameroun profond » pour qu’il prétende dire aux jeunes avec crédibilité « Innovez,  Créez, et surtout Osez !». L’implicature de cet appel est : « On dit hein, Monsieur ! Vous nous demandez en gros de nous débrouiller tout seul comme nous pouvons pendant que vous vous faites copieusement masser en Suisse père, mère et enfants ? Yaaaaa ! Vous mentez !». Une chose est sûre : la jeunesse n’ira pas en milieu rural alors que Biya lui-même n’y va jamais. Dans l’imaginaire populaire, on sait que « l’exemple vient d’en haut » et que « le poisson commence à pourrir par la tête ».
Vis-à-vis des femmes, Biya promet d’accentuer la pratique d’une espèce de discrimination positive, ce qui est en décalage net avec les nouvelles approches genres où l’on parle simplement de la promotion de l’égalité des chances. La question n’est pas d’améliorer la participation des femmes à quoi que ce soit mais, de garantir à chacun la possibilité d’être là où il mérite. Dans les milieux de la société civile, on risque de dire que « Biya nous ramène à l’antiquité ».
On peut donc se demander d’où viennent les inspirations de Biya, à qui il parle et à quoi il répond. Ce sont-là quand même les règles élémentaires du discours qu’il prononce depuis 29 ans mais, dont il semble n’avoir pas intégré les rouages. On peut se demander aussi comment à l’heure où l’on parle pour soulever les foules, un très vieux politicien comme lui continue à s’enfermer dans des communications pathologiques qui engendrent des effets pervers. Avec désolation, on atteste clairement l’existence dans ce discours d’une dissymétrie notoire entre ses « promesses intelligentes » et les préoccupations profondes des Camerounais en quête de survie.
Sinon, comment comprendre que ce discours « de politique générale » dans une « circonstance exceptionnelle » n’apporte aucun démenti crédible et aucun éclaircissement sur les accusations quotidiennes faites au Régime de Yaoundé. On observe une rareté des adoucisseurs au profit d’une floraison de mépris à l’égard de tous ceux qui s’interrogent sur le Cameroun et qui demandent légitimement le bilan à un homme qui dirige depuis 29 ans et qui semble ne se rappeler que maintenant de son devoir de « rendre compte de l’usage que nous avons fait de cette confiance [du peuple]». Biya se laisse emporter par une attitude belliqueuse et incohérente qui le pousse à s’en prendre dans un ton insolent à ceux qui le contrarient: « Et j’ajoute, au risque de chagriner les champions de la critique pour la critique, au risque de peiner ceux qui ne voient que le mal partout, au risque de décevoir les ténors de la péroraison creuse, et d’affliger les bonimenteurs du chaos, […] que nous devons être fiers des résultats que nous avons […]». Cette réplique est une « fuite en avant » techniquement appelée « désarmeurs » dont la fonction est de décourager l’émergence des critiques. Toutefois, ce comportement impulsif ne peut qu’être conflictuel dans un contexte sociopolitique actuel où les Camerounais estiment que l’ampleur des préjudices causés du fait de son administration « inerte » est telle qu’il « faut se mouiller [monter au créneau pour affronter Biya] ». Ce comportement fait partie des « procédés destructeurs » qui touchent beaucoup de dictateurs à savoir : mégalomanie, injure et arrogance.
Biya donne raison à ceux qui pensent qu’il n’est pas « entier » dans ses relations de « grandes ambitions » ou qu’il est « sadique » en ce sens qu’il s’arrange à « cogner les têtes » dans un esprit de « diviser pour conserver le pouvoir ». En ce sens, le gouvernement d’ouverture dont il se vante ne peut pas être un crédit. A l’œil nu, il est indéniable qu’il remplace poste pour poste les fils et filles du même village dans un esprit de les dresser les uns contre les autres. « L’ouverture » n’est donc qu’un accident politique survenu dans un village où le plus fort était malheureusement de « l’opposition alimentaire » ou de ce genre de partis politiques créés dans la mouvance du multipartisme en 1990 pour donner l’impression du pluralisme et susciter en même temps la diversion au sein de l’opposition militante.
De plus, il ressort de l’opinion publique que la lutte contre la corruption dont il parle n’est pas un acte sain mené par un homme bien intentionné. Il s’agit, personne ne l’oubliera au Cameroun, d’une réponse vigoureuse aux actes de défiance politique ayant vu le jour sur le candidat Titus Edzoa en son temps. Depuis lors, on observe aussi que « l’équilibre régionale s’est emparé de l’Epervier ». Vraisemblablement, on n’a pas attrapé ceux qui ont volé mais, on a voulu montrer que ce ne sont pas seulement les citoyens du « pays organisateur » qui ont volé. Une fois cet objectif atteint, on constate clairement la « mise à la touche » de cette opération (« apportez-moi les preuves ») malgré la montée tout aussi fulgurante des actes de corruption au quotidien. Dire le contraire dans un discours, même devant ses militants, est synonyme de faire une insulte à l’intelligence publique. Dans l’environnement cognitif, il est clair que « l’Epervier est à tête chercheuse » et « malheur à la prochaine personne qui osera lever la tête ».
Par ailleurs, parler de la création d’Elecam comme « une étape décisive dans la modernisation de notre système électoral » ne peut que faire jaser ceux qui admirent les efforts de création dans d’autres pays des « Commissions électorales indépendantes [Ceni] » dirigées par des personnalités neutres. « Au Cameroun de Paul Biya », en lieu et place du concept de la Ceni que tout le monde connaît, Biya a préféré le concept d’Elecam dont il est le seul détenteur des clés. Dans ce discours, il ne répond pas à l’accusation selon laquelle il a confié la direction d’Elecam à son parti. Il est donc conflictuelle de prétendre que « l’indépendance et la neutralité d’Elecam sont garanties ».
Biya parle aussi de sa conception de la décentralisation comme étant une « dynamique » pourtant, par le simple remplacement des provinces par les régions, aucune impulsion n’a été donnée à l’intégration nationale. Les prochains régimes referont les choses soit en créant des régions homogènes dans le but de consolider les espaces culturelles soit en créant des régions hétérogènes dans le but de forcer les cultures et tribus différentes à cohabiter pacifiquement et à défendre ensemble leur bien-être collectif. Cette deuxième option aurait pu permettre de limiter l’ampleur du tribalisme d’Etat qui mine le Cameroun et qui domine dans la conquête quotidienne du pouvoir notamment à travers le soi-disant « axe Nord-Sud ».
Sur la scène internationale que Biya appelle « un monde de plus en plus incertain » par analogie à « un monde où les dictateurs ont un lendemain incertain », il se félicite d’avoir « veillé à maintenir le cap ». Implicitement, il se réjouit des résultats de ses promesses dit « fallacieuses » qui lui ont permis d’échapper au « vent de la Révolution » notamment l’annonce du recrutement de 25 000 jeunes dans la fonction publique. On peut comprendre que son approche soit jugée « d’irresponsable » parce qu’il annonce impunément des projets sans apporter leurs compensations budgétaires au moment où les Camerounais attendent de lui qu’il propose un plan de création de richesses et non un plan de dépenses. A une aire de mondialisation, Biya se moque des Camerounais qui suivent les débats politiques et économiques en Occident où le candidat le plus pertinent est celui qui montre le plan de financement de son programme politique. Biya joue vicieusement sur le fait que la masse pense que « l’Etat a toujours l’argent ».
Revenant même aux « Grandes réalisations », on peut se demander comment, en matière d’infrastructures routières par exemple, il n’évoque pas le lancement des travaux d’une seule autoroute au Cameroun. Il n’évoque pas la liaison entre le Nord et le Sud du Cameroun qu’il laisse cloisonné malgré le passage du « cinquantenaire des indépendances ». Pour cela, on peut remettre en doute la capacité de ces « réalisations » à conduire le Cameroun vers un pays « émergent » à l’horizon 2035. Il suffit de visiter les pays ambitieux à l’instar des Emirats Arabes Unis ou de la Chine pour comprendre le sens « réel » des grandes réalisations faites de projets futuristes et uniques au monde. Dans le milieu de la diaspora camerounaise, on rira au nez en disant que « Biya est loin de faire le compte ».
On peut qualifier ses propositions « d’électoralistes » car, il se limite à énoncer tout ce qui est de l’ordre du possible sans qu’on ne puisse être en mesure d’établir une idée de société cohérente et une relation de causalité entre les préoccupations profondes des Camerounais et les projets énoncés. Biya est fort pour tromper le peuple et se faire élire. Mais vu le contexte politique de plus en plus tendu, on peut se demander pour combien de temps encore il réussira à le faire. Car, après les élections, il accuse toujours les « crises », les « obstacles », les « difficultés » comme si les dirigeants qui ont conduit leurs pays au développement n’avaient pas connu ces phénomènes. Dans l’imaginaire populaire, le mot « crises » conçu comme bouc-émissaire de toutes les actions manquées, est un acte subordonné de justification à effet irritant. Paradoxalement, Biya cherche à placer un amadoueur pour compenser par quelques douceurs, l’amertume de l’accusation selon laquelle « rien n’a été fait ». De plus, il veut désamorcer toute tension et anticiper sur les critiques en reconnaissant en premier que « beaucoup reste à faire ». Mais ce faisant, il dévoile son incapacité à diriger, à « Innover », à « Créer » et à « Oser » pour conduire son peuple vers le « bout du tunnel ». Le bilan sur lequel il s’appuie n’est qu’un répertoire de cadres institutionnels créés en vue de « dilapider l’argent public », dira-t-on. On ne relève aucune statistique, aucun indice de développement, aucune donnée factuelle. Une fois de plus, les gens pourront légitimement se demander si Biya lit sur le Cameroun et s’il voit comment sous d’autres cieux, les « hommes politiques modernes » portés par des « partis politiques modernes » abordent le débat politique à l’aide d’indicateurs fiables. Sauf que ces gens devront aussi comprendre que pour lui, le « Cameroun, c’est le Cameroun » et qu’au Cameroun donc, le bilan peut se faire avec rhétorique : « beaucoup a été fait et beaucoup reste à faire ».
En tant que chef de l’État, on n’attend pas de lui qu’il fasse des déclarations péremptoires. Le peuple attend de lui qu’il apporte des solutions à la transformation de tous les secteurs car, comme il le dit lui-même: « Une telle situation n’est pas tolérable [le paradoxe camerounais] ». On dirait qu’il s’est présenté au Congrès du Rdpc visiblement comme un soldat qui est allé en guerre sans son arme. Sinon, comment comprendre qu’un candidat en campagne dise : « J’annoncerai bientôt un plan concret pour la création de plusieurs milliers d’emplois ». C’est typiquement là, l’exemple d’une communication pathologique à effet pervers qui laisse sous-entendre qu’il a déjà l’assurance de gagner les élections prochaines. Il dit aussi qu’« à partir de janvier 2012, le Cameroun sera transformé en un immense chantier ». Sous d’autres cieux et en toute modestie, un candidat aurait ajouté l’atténuateur « si je suis encore élu » pour montrer que le jeu est encore ouvert. Mais, Biya s’en fout. Il le dit quand même bien qu’il ne se doute pas qu’il y a de bonnes raisons de ne plus lui faire confiance puisque le Cameroun n’est pas en chantier depuis 29 ans. Dans le milieu politique, il est clair qu’on lui demandera : « pourquoi organiser alors les élections si vous savez déjà que vous serez là en 2012 ? ».
C’est pour cela que d’aucuns trouveront toujours « raisonnable » de rapporter l’image perçue de Biya comme « politicien opportuniste » dont les discours et actes sont essentiellement orientés vers sa réélection ou son éternisation au pouvoir au lieu d’être orientés vers les préoccupations profondes du peuple qu’il prétend servir. Dans la mouvance « populiste » envisagée à la fois au sens propre et au sens figuré du mot et observée dans l’actualité des rues africaines, on comprend qu’il fasse partie des dirigeants de « l’autre époque » à qui l’on dit : « dégage ». En restant sourd et muet sur cette question de l’aspiration légitime des peuples à l’alternance (il ne parle pas du tout de sa candidature pour un sixième mandat consécutif), Biya ouvre une brèche politique intéressante à son opposition. Il sait lui-même que son accueil en liesse au Congrès par les militants du RDPC n’est qu’une apparence encore appelée « feu de paille ». Il sait que l’adhésion des militants du Rdpc aux motions de soutien est instrumentale et peu sincère et que le silence plat de la masse n’est que de la « cendre sous le feu ». Mais, qui saura s’en servir ?
Louis- Marie Kakdeu


Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié
Comment sortir du "Biyaïsme effectif" et du "Biyaïsme sans Biya"
Auteur de Le Biyaïsme : le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs, publié aux Editions L’Harmattan, il pense que le biyaïsme est un échec retentissant et pense qu’il est plus que temps de combattre l’attiédissement de la pensée critique qui sévit au Cameroun.
Germinal
: À la lecture du récent ouvrage sur Le Biyaïsme que vous venez de commettre, les lecteurs africains et camerounais en particulier comprennent que vous les invitez à renouer avec la pensée critique et plurielle. Est-ce une bonne compréhension de votre ouvrage ?
Thierry AmougouEn effet. À mon humble avis, notre pays court un grand danger dû au fait que plusieurs Camerounais éclairés sont entrés pieds et mains liés dans le monde des intellectuels organiques qui ne produisent plus que pour la continuité du système qui les nourrit. A contrario, l’ouvrage que je viens de publier chez l’Harmattan essaie de renouer avec la pensée libre et critique. A ce titre, il va à contre-courant des œuvres insipides, politiquement corrompues et tendancieuses d’une certaine élite camerounaise de l’intelligence désormais spécialisée dans la manipulation tous azimuts du peuple camerounais : les quatre tomes de « Paul Biya, l’appel du peuple » en témoignent. Ce sont, ces derniers temps, les morceaux choisis les plus marquants de ce malsain copinage politico-cognitif au sein de l’Etat camerounais. Mon ouvrage se situe à mille lieues de cette propagande des intellectuels démissionnaires, faussaires et pusillanimes par rapport à leur fonction d’analyser froidement un régime politique dans le but de donner des clés de lecture au peuple camerounais et aux citoyens du monde.
J’estime qu’il est plus que temps de combattre l’attiédissement de la pensée critique qui sévit au Cameroun. Elle se révèle être un aspect prépondérant du « Biyaïsme » en action depuis 1982 à travers l’embrigadement des esprits dans une pensée unique au point de donner lieu à ce que j’appelle « la politique du perroquet ». C’est-à-dire le fait, tel un perroquet face à son maître, de ne plus s’exprimer qu’en répétant ce que pensent et disent les possédants érigés en maîtres de toute la société camerounaise. Près de trente ans après sous le Renouveau national, il est primordial d’en sortir, non seulement parce qu’une élite de l’intelligence qui cire les pompes du dictateur est pire que le dictateur lui-même, mais aussi parce que la dictature devient totale lorsqu’elle trouve son plus puissant appui dans une démission de la pensée critique qui laisse le champ libre à ce que j’appelle dans ce livre « une pensée de connivence » et/ou « un militantisme scientifique pour des fins politiques ».
« Une pensée de connivence » est une pensée orpheline de la distance, de la réflexivité analytique et du souci d’objectivité dont font peu de cas les intellectuels organiques du Renouveau National et dont les conséquences sont l’incurie chronique du régime et l’enjolivement à outrance du régime politique auquel le penseur doit son standing social et économique. « Le militantisme scientifique » consiste, quant à lui, à utiliser son statut d’intellectuel et son aura scientifique confirmés pour tourner le peuple camerounais en bourrique en ramenant et en étriquant les débats politiques dans des arcanes pseudo-scientifiques que ne maîtrise pas toujours ledit peuple. Il en résulte une production d’un nouveau langage politique dont le but est moins de populariser le débat politique en se basant sur les modes populaires d’expressions et d’actions politiques, que de le cadenasser afin de le confiner au profit d’un petit cercle d’initiés qui promeut ainsi le renforcement de la dictature par arguments scientifiques interposées : c’est « la pensée criminelle et/ou faussaire». En dehors de quelques exceptions qui confirment la règle, le Cameroun est devenu un pays où le capital humain de son élite nationale de l’intelligence est moins une source d’externalités positives pour les populations et le développement du pays, qu’un outil d’aliénation des masses populaires et d’accumulation personnelle sur le dos de l’Etat et desdites populations.
Je me démarque de ces deux attitudes à la fois par hygiène intellectuelle et par souci de restituer à notre pays la pluralité de pensée qui donne toute sa vitalité et sa créativité à un écosystème sociopolitique. Cela est fait dans un avant-propos où, entre autres choses, je rappelle le rôle et la fonction d’un intellectuel dans une société, d’un citoyen par rapport à la gestion de la cité, de la rationalité critique dans la construction de la démocratie et de la capacité de penser le Cameroun par soi-même, au-delà de Biya et de la présidentielle de 2011. Ces acteurs et ces évènements ne sont que ce que Fernand Braudel appelait des poussières face à la dynamique de longue durée d’un pays comme le nôtre. Dès lors, la méthode d’analyse de mon livre est à la fois historique (périodes coloniales et postcoloniales), synchronique (œuvres actuelles du régime en place), prospective (conditions de sortie du Renouveau national). Le tout soutenu par une épistémologie critique, une interdisciplinarité et une conceptualisation qui se nourrissent, tant des expériences et des expressions populaires et élitistes de l’action, que de la théorie des sciences sociales. Les quatre parties du livre présentent ainsi l’avantage rare de convenir à la fois aux Camerounais ordinaires et aux adeptes de réflexions plus poussées sur des épisodes de la vie politique camerounaise : le savant et le populaire, pour paraphraser Grignon et Passeron, trouvent donc chacun son compte dans ce livre que je pense novateur dans l’analyse de la trajectoire politique du Cameroun sous Biya, de ses problèmes historiques et des défis actuels et futurs de notre pays.
À mon humble avis, l’authenticité de l’analyse réside aussi dans ce nouveau langage et cette nouvelle expression du politique que j’essaie de trouver en m’inspirant de l’homme de la rue, des musiciens et des humoristes camerounais, des hommes en tenue, des étudiants et des vendeurs à la sauvette. Je pense que le rôle de l’intellectuel dans la construction démocratique consiste aussi à inventer un nouveau langage du politique et de ses jeux afin que le non spécialiste puisse en parler car la démocratie revient à permettre aux non spécialistes de notre société de faire et de dire la gestion de la cité par des mots qui traduisent le réel de leur quotidien le plus ordinaire. J’essaie de remplir cette mission dans ce livre sans pour autant renoncer au travail d’épuration conceptuelle et analytique du scientifique car les acteurs du terrain et le scientifique se nourrissent mutuellement dans la compréhension du monde.

En outre, le lecteur découvre plusieurs niveaux du biyaïsme. À quoi renvoie ces différents niveaux d’approche que sont : « Le Biyaïsme basique », « le Biyaïsme formel », « le Biyaïsme systémique » et « le Biyaïsme sans Biya » ?

Mon ouvrage amène effectivement le lecteur à découvrir plusieurs niveaux d’approches du « Biyaïsme ». Premièrement, « le Biyaïsme basique » est tout simplement la modalité de prise de pouvoir par Biya, la conception dudit pouvoir par lui et sa gouvernance depuis 1982. Cette lecture élémentaire est basée sur le fait que le « Biyaïsme » est un néologisme dont la racine et Biya, nom de l’actuel Président camerounais. Deuxièmement, il y a un « Biyaïsme purement formel » qui se conçoit de façon déclamatoire et prosaïque par le biais du livre Pour le Libéralisme communautaire : ensemble d’éléments symboliques et programmatiques restées lettres mortes depuis leur publication. Et, troisièmement, il existe un « Biyaïsme effectif » entendu comme l’action politique concrète de Biya depuis 1982. Il se caractérise par un décalage colossal d’avec « le Biyaïsme formel » toujours congelé au niveau prosaïque et des pures intentions.
Cependant, étant donné que Biya n’est pas né en 1982 ni biologiquement, ni politiquement, « le Biyaïsme systémique » est un système politique entendu comme un produit dérivé de l’histoire coloniale et postcoloniale camerounaise. Il devient à la fois une variable expliquée par l’histoire du Cameroun colonial et le Cameroun sous Ahidjo, et une variable explicative de la dynamique du Cameroun depuis 1982. Il acquiert ainsi les qualités d’un système politique, c’est-à-dire d’un réseau symbolique et fonctionnel qui organise le pays depuis 1982 tout en ayant des paramètres antérieurs à 1982 (aspect diachronique), synchroniques (c’est le régime actuel) mais aussi exogènes (rapports avec l’anciennes puissance coloniale). « Le Biyaïsme sans Biya » est donc possible à l’instar d’un système colonial sans « colons blancs » mais avec la perpétuation de l’esprit colonial par les indigènes au pouvoir depuis 1960 : les peaux noires masques blancs dont parlait Franz Fanon n’ont pas disparus.
En effet, une fois que « le Biyaïsme systémique » devient un ensemble de comportements et de pratiques politiques qui s’autonomisent au point de ne plus dépendre de la présence au pouvoir de Biya, le pays peut entrer dans une dynamique d’aliénation car la société camerounaise ne maîtrisera plus son système politique qui entrera dans une dynamique indépendante de la volonté du peuple camerounais. Je montre que cela n’est pas une nouveauté que vit ce peuple car c’est déjà le cas depuis l’Etat colonial : Ahmadou Ahidjo et Paul Biya que le peuple camerounais n’a jamais mis en place par sa volonté, sont devenus les deux présidents du Cameroun par cette stratégie d’aliénation qui entraîne un effet d’éviction de la volonté populaire sur l’orientation du destin du pays. En conséquence, ce livre que j’offre à mon pays, présente les manifestations concrètes de tous ces types de « Biyaïsme ». Il insiste sur leurs effets sur le Cameroun, ses populations et l’avenir. Ce dernier aspect est primordial car je ne me limite pas à la conceptualisation. Ce sont les faits et leurs conséquences qui donnent un fondement empirique aux concepts qui me permettent juste de saisir le réel camerounais afin de le rendre intelligible.
Dès lors, le divorce entre les élites et le peuple dont traite la première partie du livre ; le décalage entre le lexique politique du « Biyaïsme » et ses résultats concrets dont traite la deuxième partie; le paradigme du pays organisateurs et ses travers dont parle la troisième partie sont très explicites dans les manifestations concrètes des différentes formes de « Biyaïsme » et leurs conséquences. Les trente propositions de la quatrième partie du livre s’adossent de façon contradictoire sur l’Etat désastreux du Cameroun construit par le Renouveau national depuis 1982.
En outre, je montre l’extrême plasticité du « Biyaïsme » dans mon livre car il se réinvente sans cesse. On ne peut épuiser sa compréhension sans analyser le rapport du Renouveau National au peuple, au corps, à la sorcellerie, au sexe, aux sectes, au christianisme, au savoir, aux intellectuels, au pouvoir traditionnel, à la France, à la mort, à la Constitution, à l’opposition politique, au temps, à la jeunesse, à la politique extérieure et à la démocratie. Je tente de le faire dans ce livre. Si je prends par exemple son rapport au corps, il apparaît que « le Biyaïsme » a un double rapport au corps: d’un côté, c’est le culte du corps du Président qu’il entretient par le sport, l’habillement, le repiquage de cheveux pour couvrir une calvitie naissante, et les soins médicaux par de récurrents séjours en Suisse. C’est aussi la première dame qui, comparativement à la stature intellectuelle de la défunte Jeanne Irène Biya, n’est qu’un corps dont l’esthétique, les ornements et les coquetteries témoignent d’un certain culte du corps et de son apparence publique. Cependant, de l’autre côté, « le Biyaïsme » néglige, par sa gouvernance, les corps des Camerounais. Ceux-ci sont en souffrance parce que sans travail, sans loisirs et sans soins de santé parce que sans revenus et sans hôpitaux dignes de ce nom. Mettre son corps et ceux des siens aux petits soins quand les corps du peuple souffrent est une autre façon de cerner « le Biyaïsme » à travers son rapport dual au corps. Dès lors, comme le corps vieillit et entraîne obligatoirement avec lui le déclin d’un pouvoir phallique dans une société camerounaise patriarcale, mon livre montre que l’Afrique et le Cameroun font face à des présidents qui, plus l’âge avance, régressent dans l’enfance et transforment le pouvoir exécutif en un substitut à la défaillance de leurs performances phalliques. La lecture freudienne de la dictature subsaharienne que je fais à ce niveau montre une addiction au pouvoir qui renforce les dictatures africaines plus l’âge des présidents avance : autant un bébé ne peut dormir que s’il a avec lui sa peluche la plus aimée, autant un vieillard au pouvoir ne peut donner des ordres aux collaborateurs et aux femmes que parce qu’il garde son pouvoir exécutif. Dans la culture bantoue, la dépendance du vieillard par rapport au pouvoir exécutif est en fait assimilable à celle d’un bébé qui ne peut prendre son bain qu’avec l’aide de quelqu’un. Ainsi, ce que j’appelle « la libido accumulative » se traduit aussi par la collection continue de mandats présidentiels car le corps en déclin continue de faire illusion grâce au pouvoir de commandement qu’on détient. Dès lors, le drame que vit l’Afrique Noire est que la dictature politique replonge le continent et ses populations dans l’enfance dans tous les domaines. Ce qui est très grave car une Afrique dans l’enfance n’est rien d’autre qu’une Afrique sous le joug colonial.
Ceci étant dit, « la médiocrité politique » dont je parle traduit le fait qu’un pouvoir qui se veut éternel se conçoit plus comme « une fin de l’histoire » que comme un moyen dans la continuité de l’histoire du Cameroun. Ses objectifs deviennent dès lors plus généalogiques qu’historiques, plus individuels que collectifs et plus de consommation des privilèges du pouvoir que de construction d’un « surplus vital » pour tout le monde. En conséquence, la dérive libidineuse d’une élite au pouvoir focalisée dans l’accumulation tous azimuts par « feymania d’Etat » interposée, contamine aussi un peuple appauvri et obligé à son tour d’user d’une « feymania populaire ». Il en résulte que « la médiocrité du haut du haut de l’Etat » rejoint celle du bas du bas de celui-ci à cause, non seulement d’une crise sociale (inégalités criantes), mais aussi d’une crise civique. L’asymétrie des droits et des devoirs entre le peuple et les élites et le triomphe des droits aménagés par le régime sur les droits républicains, libèrent finalement la satisfaction de purs instincts animaux. Ils deviennent les objectifs ultimes d’une société camerounaise où le « j’ai donc je suis » devient la norme suprême : c’est « la (dé)civilisation des mœurs » qui prend le pas sur la domestication des pulsions animales visée au sein et par de l’Etat détenant le monopole de la violence légitime. Les faits dont traite l’opération Epervier au sein d’un régime dont le crédo en 1982 était la rigueur et la moralisation des comportements, en constituent l’incarnation la plus aboutie : la crise politique que vit le pays est la résultante de toutes ces dynamiques régressives qui vouent « le Biyaïsme » aux gémonies.

Qu’elles sont la nature et la portée des trente propositions que vous faites dans le livre ?

J’achève mon livre par trente propositions concrètes même si j’estime qu’une bonne critique montre aussi en filigrane des propositions d’alternatives et en constitue elle-même une. Les propositions que je fais ne sont pas des mesures de colmatage des brèches ou de bouchage et de rafistolage des multiples carences du « Biyaïsme ». Ce sont des solutions de transformations structurales et structurelles pour sortir du « Biyaïsme effectif » et du « Biyaïsme sans Biya ». Il faut refonder la société camerounaise en  sortant de l’inversion des valeurs promue depuis plus d’un quart de siècle par le Renouveau National. Pour cela, il faut refonder l’action politique, les bases de notre économie et l’exercice du pouvoir exécutif.
Mes positions visent donc la sortie de la crise politique que connait le pays et dont les deux composantes majeures sont une crise sociale et une crise civique. Les mesures qui en résultent  concernent le champ économique (approche), le champ monétaire, le champ bancaire, le champ des finances publiques (seuils d’endettement et de  déficit supportables pour les générations futures), le champ social, le champ environnemental, le champ du pouvoir exécutif, le champ de l’urbanisme, le champ du marché de l’emploi, celui  de la diaspora, de la mémoire,  de l’agriculture, de la Constitution et j’en passe. Je pense modestement que ce sont toutes des mesures interdépendantes dont le destin dépend moins de moi que de ce que ceux qui ont le pouvoir de bâtir un pays en feront. Du monde des idées, j’attends que mes propositions soient critiquées, complétées ou modifiées par des réflexions supplémentaires. Je souhaite que le livre soit lu par de nombreux Camerounais, notamment par les jeunes et particulièrement par  tous les candidats à la présidentielle d’octobre prochain. Puisse-t-il participer à l’avènement d’un nouveau Cameroun. Merci et bonne chance au Cameroun.
Propos recueillis par :
Jean-Bosco Talla
*Thierry Amougou, Le Biyaïsme : le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs, 2011, Harmattan, Paris, 392 pages, ISBN : 978-2-296-56199-1