Comment la France tue, pille le Cameroun et l’Afrique

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La dette de sang

Le 19 mai 2006, on aurait donné à Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa le Bon Dieu sans confession après avoir écouté ses propos sur la nouvelle relation entre la France et l’Afrique. Pour le candidat de la « rupture », la « relation [entre la France et l’Afrique] doit être plus transparente. Il nous faut la débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé.»

En français facile : la Françafrique, « les réseaux d’un autre temps », « les émissaires officieux », « les secrets », c’était fini. Pour le futur président de la République française, il fallait « construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autre de la Méditerranée »

 

et tordre le cou aux « légendes » qui prêtent à la France « la faculté de redresser les situations, de rechercher des intérêts économiques que nous n’avons pas et d’être capable d’assurer la stabilité ou de créer l’instabilité dans un pays ». Promis, juré, la main sur la Bible !

Le futur «voyou de la République » (1) française avait même inscrit cette profession de foi prononcée à Cotonou dans son programme : « Je favoriserai le développement des pays pauvres, en cessant d’aider les gouvernements corrompus. […] On ne fera pas bouger les choses par le seul tutoiement entre le chef de l’État français et ses homologues du continent, mais par la conscience collective d’un intérêt commun ». Cette sortie avait donné beaucoup d’espoir aux ressortissants des pays de la zone franc à la tête desquels trônent depuis des indépendances formelles, pour beaucoup, des fondés de pouvoir corrompus à la solde de l’Élysée.

Élu président de la République française, Nicolas Sarközy décidait de nommer Bruno Joubert et Jean-Marie Bockel, respectivement comme le « Monsieur Afrique » de la cellule diplomatique de l’Élysée et comme secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, des personnalités qui avaient naïvement  cru à ce projet promoteur. C’était sans compter avec les habitudes françafricaines établies qui ont la peau dure. L’illusion d’une volonté de rupture avec la Françafrique n’a été que de courte durée : chassez le naturel, il revient au galop, affirme un aphorisme.

Le ton du revirement est donné le 27 septembre 2007 à l’Élysée à l’occasion de la de remise de la Légion d’honneur à Robert Bourgi. Nicolas Sarközy déclare: « Je sais, cher Robert [Bourgi], pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que, sur ce terrain de l’efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis, de “rester à l’ombre, pour ne pas attraper de coup de soleil”. Sous le chaud soleil africain, ce n’est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison. ». CQFD
Par la suite, l’ex-socialiste Jean-Marie Bockel qui espérait « signer l’acte de décès de la “Françafrique” » - cet écheveau de liens occultes, privés et publics, entre une majorité de régimes africains dits « francophones » et le « parrain » français, caractéristique de la Ve République – est débarqué de son poste à la Coopération qu’il n’aura occupé que huit mois après avoir lâché la petite phrase assassine ci-dessus, véritable crime de lèse-Françafrique il va sans dire, au cours d’une cérémonie de vœux, au début de l’année 2008. Ce débarquement était semblable à celui qu’avait connu en 1982 le socialiste Jean-Pierre Cot, lui aussi prématurément mis hors d’état de nuire aux réseaux de la Françafrique pour s’y être attaqué de front.(2)

Ces différents limogeages sont révélateurs de l’incohérence de tous les chefs d’État français sur le dossier de la Françafrique. Le contraste est saisissant entre beaux discours, déclarations solennelles, et pratiques diplomatiques conservatoires de la France qui, afin d’asseoir son hégémonie, soutient à bout de bras et à coups de canon les sous-préfets et potiches que sont Ouattara en Côte d’Ivoire, Idriss Déby Itno au Tchad, François Bozizé en Centrafrique, Omar Bongo Odimba puis son fils Ali Bongo Odimba au Gabon, Denis Sassou Nguesso au Congo et Paul Biya au Cameroun.

Cette constance de la politique française en Afrique s’explique par le fait qu’au-delà de la volonté des autorités françaises de faire main basse sur les ressources naturelles de certains pays dits « francophones» afin d’assurer l’approvisionnement en énergie de leur pays, la France use de tous les moyens - en maintenant par exemple les pays de la zone franc dans les rets de la Françafrique - pour conserver son rang de puissance mondiale. Chirac « l’Africain » n’était-il pas de ceux qui pensaient que « sans l’Afrique, la France deviendrait une puissance de troisième rang (3) »? François Mitterrand ne le prédisait-il pas en 1957 ? Selon le premier président socialiste de la Ve République, « Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’Histoire de la France au XXI siècle…Comment en effet la France…irait-elle vers le Nord ? ou vers l’Est ? ou vers l’Ouest ? Seule la route vers le Sud est disponible, large, bordée d’innombrables peuples en même temps que d’espaces inoccupés…Déjà la France sait combien l’Afrique lui est nécessaire »(4). Arrivé au pouvoir en mai 1981, François Mitterrand ne manquera pas de le (re)préciser dans ses discours des années 80 et 90 : « Il n’y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant mai 1981 et après. Si la méthode a changé, l’objectif est resté. Il consiste à préserver le rôle et les intérêts de la France en Afrique(5)» « […] L’audience de la France en Afrique, c’est ce qu’elle a de meilleur dans sa continuité (6)" « […]Je suis porteur de plus qu’une tradition, d’intérêts légitimes, de grands intérêts. Je ne peux pas signer – je m’y refuserai – la disparition de la France de la surface du globe, en dehors de son précarré (7) » « […] Je dis solennellement devant vous : La France doit maintenir sa route et refuser de réduire son ambition africaine…La France ne serait plus tout à fait elle-même aux yeux du monde si elle renonçait à être présente en Afrique(8) ».

La politique africaine de la France sous Jacques Chirac et sous Nicolas Sarközy se situe en droite ligne de ces déclarations de François Mitterrand. Avec un intermède sous le premier ministre socialiste Lionel Jospin, « un des seuls hommes d’État français d’envergure à [n’avoir pas disposé] de réseau françafricain », selon François Xavier Verschave. De sorte que, au nom de la mise au placard des clientélismes et de l’arrêt des connivences avec des régimes contestables et corrompus, les spécialistes et observateurs avaient réussi à oublier que la France était naguère faiseuse de rois dans sa « chasse gardée » africaine(9).

Tous ces présidents ont ainsi suivi les pas du père de la Ve  République française qui avait piqué une crise de colère à penser qu’un pays décolonisé échappe à l’autorité de la métropole après le Non historique  de Sékou Touré à Charles de Gaulle, le 28 septembre 1958. Ce qui prouve à suffisance que depuis les indépendances formelles, les relations entre la France et ses ex-colonies ne sont qu’une stratégie qui consiste à faire semblant de partir pour mieux rester. On comprend l’inclination de la France à soutenir des régimes dictatoriaux ou pseudo-démocratiques sorties des urnes en Afrique. Cette stratégie, en plus de la  surenchère de l’appât du pouvoir, « a pour la France l’avantage d’étouffer la transparence et de procéder aux pillages, à la corruption, aux intimidations, aux actes peu amènes au respect des droits de l’homme…sans contre-pouvoir des institutions légalement établies par le peuple. Dans cette situation d’opacité, le chef de l’État, devenu de fait propriétaire du pays, se fait tout à la fois peuple et institutions. Il sert de relais indispensable entre le pays qu’il dirige et la France qui le soutient. C’est cette fonction relais qui constitue pour la France le poste stratégique du chef de l’État africain. Il informe l’Élysée de tous les faits qui se déroulent dans son pays dans les domaines politique, économique et social si ce n’est à l’Élysée de lui demander des comptes. En cela, il bénéficie par ricochet du soutien de la communauté internationale et des institutions internationales » (10)

De nos jours, l’implication de l’armée française dans le bombardement de la présidence, du domicile du président ivoirien, et dans le rapt à la mitraillette de Laurent Gbagbo en vue d’installer un proconsul nommé Alassane Ouattara prouve que la politique africaine de la France demeure encore en transition, tiraillée entre les options non tranchées qui sont révélatrices de l’incapacité des dirigeants français à s’adapter à l’évolution des sociétés africaines au XXIe siècle(11).

Avec son entrée en scène par les bombardements de la présidence de la République de Côte d’Ivoire, des  installations militaires ivoiriennes, à travers les tueries massives des civils ivoiriens, l’enlèvement du président Laurent Gbagbo pour le remettre aux forces rebelles d’Alassane Ouattara, en venant changer la donne d’un conflit postélectoral, en engageant de la sorte cette guerre coloniale et néocoloniale qui a permis de mettre sous tutelle le pays des éléphants, en tuant des milliers d’Ivoiriens, comme ce fut le cas d'effroyables pogromes et des massacres à grande échelle perpétrés en régions bassa’a et bamiléké au Cameroun par son armée dans les années 1950 et 1960, la France esclavagiste, colonialiste et néocolonialiste a de fait contracté une nouvelle dette de sang. Désormais, on doit admettre que le « pays des droits l’homme et des libertés » a mené une guerre coloniale ou de recolonisation en plein XXIe siècle dont l’objectif ultime, au regard du contexte de crise que traverse ce pays en voie de sous-développement, est de prendre le contrôle des ressources naturelles et des secteurs économiques vitaux (cacao, café, pétrole, assurances, banques, etc.), afin de compenser l’inefficacité de son modèle de développement. Il est de notoriété publique que la France, pays des grèves permanentes, est à la traine des pays développés dans les domaines novateurs et lucratifs que sont l’ingénierie financière, la i technologie, le social, le commerce, le génie logiciel, les patents and licences, pour ne citer que quelques-uns.

Après l’arrestation, par la force française la Licorne, du président ivoirien, Le Figaro, quotidien pro-gouvernemental français, titrait à juste titre à sa une, le 12 avril 2011 : «Gbagbo déchu : une victoire pour la France». Pas pour la démocratie, pour la Côte d’Ivoire ou pour l’Afrique, mais, sous entendu, pour les intérêts de la France. Quel aveu!!! Aussi, Jean-François Hagneré, lecteur de l'hebdomadaire Marianne souligne-t-il avec pertinence: « Sans les coups de boutoir de la "Licorne", les partisans de Ouattara seraient encore aux portes du "bunker" de M. Gbagbo. Officiellement, il s'agissait de détruire l'armement lourd du dissident. Officieusement, était-il envigeable de faire une croix sur l'avenir de multiples Pme sur place et sur les intérêts de sociétés comme Bouygues, France Télécom etc.? La "Licorne" a ainsi libéré le port d'Abidjan, permettant l'embarquement d'un chargement de cacao du groupe Bolloré. Sans oublier d'éventuels contrats d'armement pour remplacer l'armement lourd [détruit]»(12)

En outre, le 8 juin 2011 à Paris, Ally Coulibaly, ambassadeur de Cote d’Ivoire en France, devant un parterre de chefs d’entreprise, n'avait pas hésité de présenter la Côte d'Ivoire "libérée" comme un gâteau à partager entre les vainqueurs. « C’est l’honneur de la France que d’avoir participé à ce juste combat […] Nous attendons que vous preniez la part qui vous revient dans le financement du programme d’Alassane Ouattara», avait-il déclaré. 

En entrant en guerre contre les Patriotes ivoiriens, il s’agissait aussi pour le leader Bonapartiste du IIIe Empire(13) de régler son compte au président ivoirien Laurent Gbagbo qui, depuis trois mois au moins, avait superbement ignoré son oukase lancé le 29 décembre 2010 lui demandant de quitter le pouvoir. Décidément, le fricocrate (14) bling-bling de l’Élysée a la rancune tenace.

Même la posture faussement légaliste de la France officielle - qui se cache mal derrière les résolutions 1973 et 1975 préparées par Alain Juppé pour justifier son entrée en guerre en Libye et en Côte d’Ivoire – ne l’absout pas des crimes commis dans ces pays et dans plusieurs autres pays d’Afrique. Paul Kagame, président du Rwanda n'est pas dupe. Répondant aux questions posées par François Soudan(15), il met en évidence les enjeux de la crise ivoirienne et ses conséquences durables sur l'avenir des États africains falsifiés qui entrent dans un nouveau cycle de falsification: les «images [celles de l'arrestation supposée du président Laurent Gbagbo par les forces de Ouattara], ont quelque chose de tragique , mais elles sont aussi largement superficielles. Elles tendent à démontrer que ce sont les forces d'Alassane Ouattara qui ont procédé à cette arrestation, mais plus je les regarde et plus je vois derrière l'ombre du metteur en scène étranger, [ la France, Ndlr]. Le fait que, cinquante ans après les indépendances, le destin du peuple ivoirien, mais aussi son économie, sa monnaie, sa vie politique, soient contrôlés par l'ancienne puissance coloniale pose problème.» (C'est nous qui souligons) C'est cela que ces images montrent avant tout.», Plus loin, il déclare, à propos de la légitimité d'Alassane Ouattara: «C'est un autre problème. D'une part, et nous le savons bien au Rwanda, la communauté internationale ne dit pas systématiquement le droit».

Ces propos de Paul Kagame corroborent ceux de Thabo Mbeki, ex-président sud-africain. Le médiateur de la crise ivoirienne souligne: «La Fance a utilisé sa place privilégiée au sein du Conseil de sécurité afin de se positionner pour jouer un rôle important dans la détermination de l'avenir de la Côte d'Ivoire, son ancienne colonie dans laquelle elle a, entre autres, d'importants intérêts économiques. Elle a rejoint l'Organisation des Nations unies pour veiller à ce que Ouattara émerge comme vainqueur du conflit ivoirien. Cette initiative répond à des intérêts nationaux de la France, conformément à ces politiques françafricaines, qui visent à perpétuer une relation particulière avec ses anciennes colonies africaines.(16)»

Ce camouflage derrière le droit se situe en droite ligne des nouvelles modalités d’intervention de la France en Afrique proclamées du bout des lèvres par les autorités françaises actuelles. Pour ce qui est de ces modalités d’intervention, « la France n’entend plus, comme elle le faisait auparavant, intervenir seule, mais souhaite assurer des appuis régionaux (l’Union africaine (Ua), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ; les autres organisations sous-régionales pertinentes) et internationaux (l’Union européenne (Ue) ; les Nations unies. Les principes d’intervention ne visent plus quant à eux à soutenir en priorité des « régimes clients », mais à promouvoir des principes d’action universels comme la défense de l’intégrité territoriale, le soutien aux autorités élues et la défense des droits de l’homme… » (17) Les Togolais, les Tchadiens, les Gabonais et les Ivoiriens apprécieront le degré de ce bouleversement irréversible de la politique africaine de la France, eux qui se sont vus imposer à la tête de leurs États, parfois à coups de canon et d’élections truquées, des potiches, des satrapes et  des kleptocrates qui entretiennent l’illusion d’avoir le pouvoir.

Cette posture qui consiste à utiliser le droit pour masquer la force brute et sauvage et/ou à utiliser les justifications humanitaires pour camoufler des visées impérialistes et marchandes ne trompe pas grand monde. La conscience de chaque personne ou de tout groupe social normalement constitué proteste toujours contre l’identification du droit à la force. Rousseau avait bien montré que la force triomphante cherche toujours des prétextes honorables, c’est-à-dire qu’elle invoque toujours le droit et les valeurs, se référant ainsi à ce qui doit être et non à ce qui est. Il nous a montré que la puissance brutale se justifie toujours et cherche à dissimuler la violence à l’état pur et nue sous le manteau de la morale, des droits fondamentaux de la personne humaine, du droit à la survie, de la lutte contre le terrorisme, de la neutralisation des armes lourdes utilisées contre les civils, là où les citoyens avisés ne voient qu’impérialismes, luttes hégémoniques pour le contrôle des ressources naturelles, violence et contrainte. Et Robert Dahl de renchérir: «La force brute a ses limites, ceux qui ont voulu imposer aux autres leur prétendue supériorité intrinsèque l'ont invariablement habillée des oripeaux du mythe, du mystère, de la réligion, de la tradition, de l'idéologie et de la pompe sans lesquels la vanité de leur prétention aurait sauté aux yeux.(18)»  La montée en puissance de la morale dans les relations internationales, souligne fort à propos Pascal Boniface, peut dans certaines conditions, masquer les objectifs moins nobles et ouvrir la porte à l'utilisation des méthodes cyniques et perverses, bref immorales. Pour l'auteur de Les intellectuels faussaires «Le recours aux arguments moraux, ne constituant qu'une ruse pour la puissance, est tout sauf une nouveauté. Aucun gouvernement ne justifie plus sa politique par le seul intérêt national. Un Etat produit toujours des «raisons légitimes» afin de donner un aspect présentable à chaque décision concernant sa politique extérieure.(19)»
Hilter et les exterminateurs des camps nazis ne prétendaient-ils pas être «les champions du droit et de la civilisation » ? Leur propagande hypocrite n’était-elle pas la preuve que la force brutale serait sans pouvoir sur les consciences ? Non loin de nous, Georges W. Bush, Barack Obama, le prix Nobel de la guerre, Ariel Sharon, Benjamin Netanyahu ne tentent-ils pas de justifier les atrocités commises sur les populations irakiennes, afghanes, palestiniennes…par les fallacieux prétextes de « guerre contre le terrorisme » pour les uns et de lutte « pour la survie » d’Israël pour les autres ? C’est dire si aujourd’hui en Libye et en Côte d’Ivoire Barack Obama, Nicolas Sarközy et la communauté des intérêts dite «communauté internationale» n’innovent pas quand sous prétexte de démocratie et de « devoir d’ingérence» ou de «responsabilité de protection de civils en danger », leurs forces au service de l’impérialisme marchand agressent ces États souverains.

Au-delà des visées hégémoniques de la France en déclin, les récentes interventions des forces françaises en Afrique, principalement en Côte d’Ivoire, laissent transparaître la problématique du rapport décolonisateur/décolonisé ou du rapport maître/esclave pour parler comme Hegel qui affirmait que « l’unique rapport que les nègres ont eu, et ont encore, avec les Européens, est celui de l’esclavage. Les nègres n’y voient rien de blamable […](20) ».  Dans cette optique, Speedy Sarko (21) a sa petite idée sur l’homme africain. Le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar (Sénégal), moins de quatre mois après son entrée en fonction, il déclarait : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.  Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne, mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. » Nicolas Sarközy et ses conseillers reprennent ainsi à leur compte, pour ne pas dire qu'ils se posent en véritables disciples de Hegel qui, décrivant l'Africain qu'il ne connaissait guère, affirmait: «Dans l'Afrique proprement dite, l'homme reste arrêté au stade de la conscience sensible d'où son incapacité absolue d'évoluer. Il manifeste physiquement une grande force musculaire qui le rend apte au travail, et témoigne d'un esprit débonnaire, mais, en même temps, d'une féroce insensibilité [...] L'homme en Afrique, c'est l'homme dans son immédiateté.(22)»

Cette démence verbale, émaillée de clichés racistes, « sortie de la bouche d’un homme dont la patrie a rasé des centaines de villages africains, propagé des maladies qui ont décimé les populations locales, et déporté des dizaines de milliers d’êtres humains sur des négriers, retentit aujourd’hui encore en Afrique. Pour [Nicolas Sarközy] et ses conseillers, l’idée de la supériorité de l’homme blanc est naturelle. La colonisation a également eu ses bons côtés […]; il n’y a donc pas lieu que la France présente des excuses [ou se repentisse] (23)».

Pourquoi la France officielle se répentirait-elle d'ailleurs, elle qui, de la bouche de l'un de ses représentants le plus officiel, François Fillon, nie, tout en maintenant les bases militaires françaises dans certaines de ses ex-colonies d'Afrique, l'existence et la persistance des pratiques françafricaines? En effet, au cours de la récente visite, aux relents du colonialisme, qu'il a effectuée, à Abidjan le 15 juillet 2011, dans sa sous-préfecture ivoirienne, le premier ministre français a demandé, comme à l'accoutumée, en bombant le torse et en tapant fièrement la main sur la poitrine, à ceux qui considèrent cette visite comme un «retour [en force] des colons» d'aller mettre leur logiciel à jour. Pour lui : « Aujourd’hui, nous assumons l’ensemble de nos responsabilités dans le cadre de ce nouveau monde qui est en train de se construire. Par contre, les observateurs, les commentateurs qui continuent à parler de relations coloniales entre la France et l’Afrique, n’ont pas encore compris la nature des changements qui ont affecté le monde. Donc, je leur demande de faire cet effort de remise à jour de leur logiciel de compréhension du monde. Je pense que tout le monde se portera mieux.» Avant d'asséner: «Ces accusations et ces critiques correspondent à des logiciels dépassés. J’appelle tous ceux qui continuent à vouloir évoquer les relations entre la France et l’Afrique, en parlant de France-Afrique à changer de vocabulaire, à changer de logiciel. Cela n’a plus rien à avoir avec la réalité des relations, qu’il y a entre nos deux pays. Ce que nous voulons, c’est aider la Côte d’Ivoire à assumer la plénitude de sa souveraineté». Une réalité qui est et démeure, même pour les sourds-muets-aveugles de naissance, la préservation des intérêts de la France, cette puissance mondiale en voie de sous développement. Et le sous-préfet d’Abidjan de renchérir, toute honte bue : « Nous avons l’ambition de faire de la Côte d’Ivoire un État plus moderne. Et ces notions du passé qui sont dans une certaine presse ne nous intéressent point du tout. Nous sommes fiers de notre souveraineté et nous ferons en sorte que la Côte d'Ivoire soit un pays ouvert sur tous les pays du monde ». Fiers, évidemment, comme au temps du vieux nègre et la médaille de Ferdinand Léopold Oyono

Malgré les discours négationnistes des acteurs françafricains comme Paul Biya, François Fillon, Ali Bongo Odimba, du sous-préfet d'Abidjan Alassane Dramane Ouattara etc. ; malgré l’instrumentalisation de la réalité à travers des discours sur la nécessité de mettre fin à certains types de rapports françafricains, malgré le recul, dit-on, de l’influence française en Afrique au profit de l’hégémonie américaine et de la percée chinoise, russe, brésilienne et indienne, les faits restent têtus. Ils font du Léviathan français, malgré ses postures faussement vertueuses, disons-le quitte à choquer, un État sauvage (G. Conchon) et assassin qui assassine, pille le Cameroun et l’Afrique.

Un jour ou l’autre, Nicolas Sarközy, l’atlantiste incorrigible, Alain Juppé et leurs supplétifs Alassane Ouattara et Guillaume Soro, l’Onu, devront reconnaître et payer leur dette de sang contractée vis-à-vis des populations africaines meurtries. Eux qui sont aujourd’hui coupables de crime de guerre, de crime contre l’humanité et éventuellement de génocide.
Nicolas Sarközy, aux attitudes d’adolescent en pleine crise de puberté – «Casse-toi, pauv’ con !» - se trompe quand il pense que ses guerres engagées ces derniers temps en Côte d’Ivoire et en Libye peuvent faire oublier ses misères et celles du peuple de France.

France, la mère patrie, patrie de la Liberté, de la Fraternité et de l’égalité, comme tu as changé ! Comme tu t’es métamorphosé depuis l’arrivée d’un adolescent immature de 52 ans à l’Élysée. Tu es à la fois si orgueilleuse et très affaiblie par les agissements d’un hyperprésident ringard et bling-bling…Mais, une guerre en Côte d’Ivoire, qui relève de l’arrogance du pouvoir colonial, peut-elle faire oublier tes misères ?

Jean-Bosco Talla

Source: Les dossiers et Documents de Germinal n°009

(1)Marianne, n°694 du 7 au 13 août 2010

(2) Philippe Leymarie, Le Monde diplomatique, juillet 2008

(3) Cité par Philippe Leymarie, Manière de voir, n°79, février-mars 2008, p.58

(4) François Mitterrand, Présence française et abandon, Paris, Plon, 1957,p. 237

(5) Martin-Roland in Les décennies Mitterrand, 1- Les ruptures , Paris, Seuil, 1990, p. 339.

(6) Allocution prononcée par François Mitterrand, président de la République française, lors d’un déjeuner offert par le président rwandais, Kigali, le 07 octobre 1982.

(7) François Mitterrand à l’heure de  vérité », Le monde du 18 novembre 1983.

(8) Discours de François Mitterrand, lors de l’ouverture solennelle de la XVIIIe conférence des chefs d’État de France et d’Afrique, Biarritz, le 08 novembre 1994

(9) Philippe Leymarie, op. cit., n°79, p.57.

(10) Calixte Baniafouna, Les Noirs de l’Elysée. Des présidents pas comme les autres. (Vol 2), Paris, L’Harmattan, 2009, p.29.

(11) Richard Banégas, Roland Marchal et Julien Meimon, « la fin du pacte colonial », Politique africaine, n°105, p.11.

(12) Marianne n°732 du avri au 06 mai 2011.

(13) Marianne n°532 du 30 juin au 06 juillet 2007.

(14) Marianne, n°543 du 15 au 21 septembre 2007.

(15) Jeune Afrique, n°2625 du 1er au 7 mai 2011, pp.22-27.

(16) Thabo Mbeki, préface de l'ouvrage de Charles Onana, Côte d'Ivoire: Le Coup d'Etat, Paris, Editions Duboiris, 2011, p.13.

(17) Jean-Marc Châtaignier, « Principes et réalités de la politique africaine de la France » , Afrique contemporaine, 2006/4 n° 220, p. 247-261. DOI : 10.3917/afco.220.0247. http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2006-4-page-247.htm

(18) Robert Dahl, De la démocratie, Yale university, Nouveaux Horizons, 1998, p.65.

(19) Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires. Le triomphe médiatique des experts en mensonge, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2011, p. 34.
(20) Georg W. F. Hegel, La raison dans l’histoire. Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, 10/18, 2003, p. 259.
(21) Nicolas Sarközy a été ainsi surnommé parce qu’il est constamment en mouvement et parce qu’il est toujours dévoré comme des puces par ses tics.

(22) Georg W. F. Hegel, op. cit., p. 243 et suiv.
(23) Benjamin Korn, « Un système schizophrène, un peuple fatigué », Lettre International citée par le Courrier International n°1069, p.20.


La Françafrique: conception et naissance

 La Françafrique trouve-t-elle ses origines dans le concept d’Eurafrique développé dès la fin des années 20 par les Français et les Italiens ? Il n’y a pas de doute que le second concept servit en effet d’abord d’inspiration, ensuite de base théorique d’une construction évolutive qui conduisit la France de l’Union française à ce que Françoix-Xavier Verschaves appelle en 1998 du nom de « françafrique », en passant par la communauté française de 1958.

Avant de remonter aux origines de cette fameuse « Françafrique » qui, dans une espèce de discours allusif, adresse un puissant clin d’œil au concept ironique de « France-à-fric » parce que le but ultime de ces réseaux et lobbies est de mettre en place un cercle de prédation au service de la France en général et de ses élites politico-économiques en particulier, il importe de dire clairement que cette nébuleuse renvoie à un système mis en place principalement par De Gaulle et qui aboutit à octroyer aux territoires de l’empire français d’Afrique, en guise d’indépendance, un statut qui, quoique modernisé, est en tout point semblable à celui dont bénéficiaient déjà au XIXe siècle les territoires faisant partie de l’Empire britannique.

En effet, le système mis en place dans le cadre des indépendances octroyées par la France à ses colonies et autres territoires confiés à sa tutelle n’est rien d’autre qu’un système de protectorat déguisé et modernisé. Déguisé par de pompeuses déclarations d’indépendance (il suffit de réécouter le discours d’André Malraux à Brazzaville, discours qui restera longtemps un chef-d’œuvre de dérision et qui montre à quel point des personnes sérieuses comme Malraux pouvaient cesser de l’être dès qu’il s’agissait de sauvegarder les intérêts coloniaux pour soutenir le prestige international de la France), modernisée grâce à la mise en place de rapports vassaliques par le biais des accords secrets protégés par un puissant Service de Documentation extérieure et du Contre-espionnage (Sdece) devenu plus tard Direction générale de la sécurité extérieure (Dgse).

 


 Cameroun: pays clef de la Françafrique

 L’expérience de la guerre de la France contre l’idée d’un « Kamerun », projet politique qui comprend l’unification des Cameroun colonisés, l’indépendance et le progrès social, symbolise le système françafricain depuis sa naissance à la faveur du ralliement du Rassemblement démocratique africain de Félix Houphouët-Boigny jusqu’aux massacres de février 2008. En sautant, le verrou camerounais pourrait donc marquer un nouveau départ.

Jean-François Valette avait l’air vraiment surpris et peiné par une telle attitude. L’ambassadeur de France au Cameroun (entre 2003 et 2006) donnait une conférence de presse en sa résidence peu après l’atteinte du point d’achèvement de  l’initiative Ppte par le Cameroun en avril 2006. Il s’offusquait de la réaction anti-française suscitée par la destination du Contrat désendettement développement à travers lequel la France convertissait la dette du Cameroun en financement de projets infrastructurels. Dans la presse camerounaise en effet, des voix s’étaient déjà élevées pour dénoncer un accaparement à venir des ressources de ce contrat par les entreprises françaises du Btp, au détriment des Camerounais et de la concurrence dominée par les Chinois.


Visages et virages de la Françafrique au Cameroun

Officiellement, la décolonisation du Cameroun fut des plus paisibles. Et l’indépendance  de ce territoire d’Afrique centrale, survenue  1er janvier 1960  fut la preuve de la mansuétude et de la magnanimité d’une France qui, il ne faut pas l’oublier( ?), est le pays de « la Liberté-Egalite-Fraternité ». D’ailleurs, les administrateurs français vis-à-vis du Cameroun étaient animés de « bonnes intentions »(1).  Et pourtant… « La France, personne ne l’ignore, n’a pas quitté l’Afrique en octroyant l’indépendance à ses anciennes colonies. Elle est partie pour mieux rester(2)». Pour installer ses plénipotentiaires, capables d’assurer la pérennisation de ses intérêts, cette puissance colonisatrice a dû employer les moyens divers contre ceux qui s’y opposaient. Du lessivage du cerveau à l’élimination physique en ne passant par la délation, la création d’une élite servile et d’une bourgeoisie taillée sur mesure, rien n’a été épargné…Aujourd’hui, les choses ont très peu changé.

À la guerre comme à la guerre

Mboua Massock Ba Matalong, panafricaniste engagé attend son nouveau passage devant les instances judiciaires de la capitale économique du Cameroun. Lire la suite

 


Les géniteurs et les serviteurs de la Françafrique au Cameroun

 

Comment le système de domination et de contrôle des anciennes colonies françaises d’Afrique Noire a-t-il été créé, et comment a-t-il fonctionné à ses débuts ? Comment fonctionne-t-il aujourd’hui ? Aurait-il pu être évité dans notre pays ? Tel est l’objet de notre intervention de ce jour. En fait, ce que l’on appelle communément la « Françafrique », n’est rien d’autre que le système de maintien de l’influence française en Afrique noire par-delà l’indépendance. Charles de Gaule, président français, avait bien résumé, en son temps, ce système : « la colonisation s’est muée en coopération ». Traduction, les choses continuent comme avant. Il y a simplement des réaménagements rendus nécessaires par l’évolution du monde. Le tout premier de ces réaménagements a découlé de la « Charte Atlantique », signée le 14 août 1941 entre le président des États-Unis d’Amérique, Franklin Delano Roosevelt, et premier ministre britannique, Winston Churchill. Que prévoyait ce fameux document ? Réponse : « le droit des peuples à choisir la forme du gouvernement sous laquelle ils souhaitent vivre », et également, « le droit à l’autodétermination restauré à ceux qui en ont été privés par la force ». En clair, la fin du régime colonial. En retour, Charles de Gaulle a convoqué la fameuse « conférence de Brazzaville » qui visait à réaffirmer la volonté de Paris de ne pas perdre ses colonies, mais, à y modifier le mode de domination des populations. Le second de ces réaménagements a découlé de la lutte des peuples africains pour leur émancipation, entamée dès 1946. Celui-ci s’est traduit par la proclamation de la série d’indépendances des pays africains vidées de leur contenu qui ont eu lieu tout au long de l’année 1960. C’est celui-ci qui est à l’origine de la « Françafrique » tant décriée de nos jours.


La Françafrique: une spécificité française?

Pourquoi la françafrique serait-elle un scandale pour la République ? Parce que les figures relationnelles qu’elle dessine et tend à perpétuer ne sont pas républicaines, ne correspondent pas aux valeurs républicaines qui en France s’inscrivent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Le concept de « Françafrique », inventé par François-Xavier Verschave en 1998, dit-on, est aujourd’hui en train de devenir un lieu commun de la terminologie politique africaine francophone, mais un lieu commun à controverse. Il a suscité un débat particulièrement nourri dans l’encyclopédie en ligne Wikipédia entre ceux qui y voient uniquement le versant hideux de la politique africaine de la France et ceux qui l’assimilent au concept considéré comme plus polyvalent de « France-Afrique » forgé par  Houphouët Boigny en 1955. C’est que, comme une image-choc, ce concept de « Françafrique » condense de manière explosive l’histoire d’une relation vécue d’un côté comme une passion blessée, irrationnelle comme toutes les passions, d’autant qu’elle semble avoir tourné à la haine. Rien de grand ne peut se faire sans passion, dit-on ; il n’empêche que les passions sont aveugles et par conséquent mauvaises conseillères. À l’heure où l’Afrique cherche à construire une relation nouvelle avec le monde extérieur, il me semble que l’Afrique francophone doit liquider la «Françafrique» comme un vieux complexe qui ne pourrait être qu’un bagage encombrant. Et pour mieux le faire, il va de soi qu’elle doit mieux la comprendre. « On ne comprend que par comparaison », disait André Malraux. La France ne fut pas la seule nation occidentale à bâtir un empire colonial au sortir du Moyen âge : il y eut aussi entre autres le Portugal, la Hollande, l’Espagne, mais surtout la Grande-Bretagne. Comment chacune de ces ex-puissances coloniales vit-elle sa relation postcoloniale avec ses anciennes colonies ? La « Françafrique » serait-elle une spécificité française ? Lire la suite

 


Françafrique: quel changement?

 

Le sommet France-Afrique qui s’est réuni à Nice en juin 2010 a été bien loin de marquer la moindre rupture dans la politique de la France en Afrique. Le seul changement a été la présence de quelques pays anglophones : Afrique du Sud, Nigeria, Rwanda et l'accent mis sur les relations d'affaires avec le continent. La France veut avoir plus de relations avec l'Afrique qui se développe, qui n'est pas l'Afrique francophone, et c'est déjà un signe éloquent de l'échec d'une coopération cinquantenaire. En effet le Nigeria et l'Afrique du Sud offrent des marchés émergents prometteurs. La France va chercher ailleurs en Afrique les marchés émergents qu'elle n'a pas suscités dans son ex empire colonial, resté, sous coopération française, à la traîne du développement. Á l'échelle de l'histoire humaine, cinquante années ce n'est pas grand chose. Pour les générations qui ont dû les vivre c'est le constat de vies sans espoir, l’enfoncement dans un désastre continu dont elles ne voient pas la fin. Rien n'a changé, sinon en pire. On attend toujours le changement radical pour inverser le mouvement fatal qui les attire et les maintient dans les profondeurs de la misère. Lire la suite

 


Odile Tobner: Racisme français: refuser toute forme de condescendance et de dépendance

 

Les Dossiers et Documents de Germinal : Qu’est-ce que le racisme français dont vous parlez dans votre ouvrage Du racisme français. Quatre siècles de négrophobie , publié aux éditions Les Arènes en 2007 ?

Odile Tobner : J’ai essayé de faire une histoire du racisme dans le discours des penseurs français depuis le XVIIe siècle. En particulier au Siècle des lumières, qui passe pour avoir vu s’épanouir la raison et l’humanisme. En réalité c’est à ce moment-là qu’à l’égard des Africains le discours est le plus raciste. Cette réalité est soit ignorée, soit même niée et transformée en son contraire, dans la tradition de l’enseignement français.

Pourquoi est-il spécifique, quand on sait que des pays comme l’Afrique du Sud, les États-Unis, ont codifié et légalisé au siècle dernier une forme de racisme, la coexistence séparée, que l’on n’a pas vue en France ?

L’Afrique du Sud et les États-Unis étaient des territoires coloniaux, au contraire de l’Angleterre par exemple où, comme en France, il n’y a pas eu de ségrégation officielle. Par ailleurs la séparation raciste a été en usage également dans les colonies françaises comme Saint-Domingue. Le code noir interdisait le mélange des races. Il y a eu une séparation de fait également dans l’empire colonial français entre les colons et les indigènes.


Une citadelle attaquée: Discours, stratégies et actions des organisations camerounaises opposées à la Françafrique.

La Françafrique, cette nébuleuse politico-mafieuse dont les valets africains locaux assurent sanguinairement les affaires en Afrique, est de plus en plus dénoncée et relativement combattue par une série d’organisations tant africaines qu’européennes. Si ces dénonciations sont pour la plupart concentrées hors du continent, et notamment dans les sphères de la diaspora camerounaise d’Europe, l’opposition à la Françafrique se développe également petit à petit au Cameroun même.

Dans ce contexte, aborder la question des organisations camerounaises qui s’attaquent à la Françafrique est à la fois simple et compliqué. Simple dans ce sens que les discours anti-françafricains ne sont pas d’une très large variété, puisque les travers dénoncés sont les mêmes. Compliqué ensuite, dans ce sens qu’il est difficile de faire un inventaire exhaustif des groupes organisés ou non, qui ont fait de la lutte contre la Françafrique leur cheval de bataille dans l’espace social ou politique camerounais. Il convient ici de préciser que la Françafrique, prolongement de l’exploitation par la France de ses ex-colonies d’Afrique, n’est qu’une des multiples facettes de l’impérialisme international arrimé au capitalisme mondial, dont le but final est de piller les richesses des pays africains. La lutte contre cette hydre à mille têtes qu’est la Françafrique ne peut donc se concevoir que dans le cadre holistique du combat général contre toutes les formes d’exploitations et de domination de puissances étrangères d’où qu’elles viennent et qui qu’elles soient.


Économies et diplomaties au service de la France
La situation politique, économique et sociale de l'Afrique francophone soulève de nombreuses questions. Pourquoi tant de misère dans des pays si riches, aussi bien en matières premières qu’en ressources humaines ? À qui profite l'argent du pétrole, de l'uranium, du diamant, du bois, des minerais ? Comment expliquer la présence permanente de l'armée française dans ses anciennes colonies ? Pour quelles raisons le gouvernement français reçoit-il régulièrement, avec tous les honneurs de la République, des dirigeants africains parvenus au pouvoir par des coups d'État ou des élections truquées ? La réponse à toutes ces questions pourrait tenir en un seul mot : la « Françafrique»(1). Pour mettre à jour les mécanismes de la Françafrique, il nous faut remonter aux origines de la décolonisation(2). Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État français est confronté aux désirs d’émancipation de la plupart de ses colonies (Indochine, Algérie, Cameroun, etc.). Lorsque le général de Gaulle accède au pouvoir en 1958, l’opinion publique française est de plus en plus favorable à la décolonisation. Ce sentiment est partagé par les États-Unis et l’Urss qui espèrent rallier à leur cause respective les peuples décolonisés(3). Cependant, de Gaulle ne souhaite pas l’indépendance de l’empire colonial français, et ce pour trois raisons au moins, à savoir : Lire la suite

Chaque peuple doit connaître son histoire et en comprendre les ressorts
Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa et Thomas Deltombe viennent de jeter un pavé dans la mare françafricaine en publiant aux Éditions La découverte, un ouvrage poignant et fort évocateur, Kamerun. Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. 1948-1971. Dans cet entretien, Thomas Deltombe parle, entre autres, des principaux enseignements que l’on peut tirer de leur chef-d’oeuvre, des difficultés rencontrées au cours de leurs recherches. Les Dossiers et Documents de Germinal: Comment arrive-t-on à penser et à rédiger un ouvrage comme Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique que vous venez de publier aux éditions La Découverte?

Ce livre est le fruit d’une rencontre franco-camerounaise. D’un côté : deux journalistes français, Manuel Domergue et moi-même, désireux de connaître et d’enquêter sur cet épisode sombre et méconnu que fut la guerre menée par les autorités officielles et l’armée françaises au Cameroun dans les années qui ont précédé et suivi la proclamation de l’indépendance du Cameroun. De l’autre : un historien camerounais, Jacob Tatsitsa, qui travaillait depuis des années sur les modalités de cette guerre à l’Ouest-Cameroun et qui avait été conseiller historique sur le documentaire de Frank Garbely « L’Assassinat de Félix Moumié. L’Afrique sous contrôle », diffusé en 2005 en Suisse et en France. Dès que les éditions La Découverte ont accepté de nous accompagner dans ce projet, nous nous sommes réparti les tâches, et les fonds d’archives à examiner. En ce qui me concerne, je me suis installé au Cameroun, de 2006 à 2008, pour travailler sur ce projet. Dès le départ, en effet, nous avions conscience qu’il ne pourrait s’agir que d’un travail en profondeur et de longue durée. Il y a eu tellement de silences et de non-dits, d’une part, et de mystifications et d’extrapolations, d’autre part, qu’il nous semblait nécessaire de tout « remettre à plat » pour essayer de comprendre ce qui s’était réellement passé au Cameroun dans les années 1950 et 1960.


Françafrique: noyau dur des relations Nord-Sud
Cette politique franco-africaine que j’ai appelée la « Françafrique » et qui est une caricature du néocolonialisme est une politique extraordinairement nocive […] Le passage de la Françafrique à la mafiafrique, c’est-à-dire une sorte de mondialisation de ces relations criminelles. F.-X. Vershave1
L’expérience française de contrôle, de prise de possession totale, de domination intégrale d’un peuple est difficilement comparable dans le monde moderne. Sur l’Angleterre elle a pris quinze ans de retard pour « libérer » ses esclaves nègres (1833 et 1848). Sa politique coloniale s’est avérée plus stérilisante ; et sa décolonisation n’en finit pas de générer de nouvelles formes de dépendance insidieuse, toutes plus ou moins nuisibles à l’épanouissement, et du peuple de la Métropole et de ses victimes négro-africaines (le seul peuple qui reste, de l’ancien empire colonial, sous la férule directe de l’Hexagone).

I- Le devoir de Mémoire

Sabotage sans scrupule de toute velléité d’indépendanceL’Afrique n’est pas seulement en retard ; elle est aussi dépendante. Elle est même tellement dépendante, et depuis si longtemps, qu’on pourrait dire […] que c’est probablement à la dépendance qu’elle doit la plupart de ses handicaps actuels.Marcel Amondji(2)

L'actualité de la Françafrique
L’Afrique demeure le continent de l’impunité, de l’irresponsabilité, le seul où l’on puisse tuer, mentir, corrompre sans encourir de sanction. Colette Braeckman(1)

1 Recyclage des structures de la société coloniale

L’instrument privilégié dont a le plus besoin une politique africaine de répression, c’est l’armée dans sa structuration bourgeoise tropicalisée, un corps de métier où sévissent le népotisme, des divisions tribales grossièrement entretenues, le règne arrogant des médiocres, afin que « la grande muette » ne songe jamais à se donner une mission au-dessus de celle prescrite depuis Paris, le maintien d’un ordre prébendier. Il s’agit en réalité d’une armée d’occupation – peu importe le teint des soldats -, qui continue d’assurer la paix coloniale, avec un regain de férocité. Elle est coupée du peuple, corrompue d’assez de privilèges, dans la certitude de lui ôter la tentation du Pouvoir pour l’enrichissement personnel ou de lobbies.

Un gouvernement mandataire ne se soucie guère de poser les bases sociopolitiques d’un développement à terme, assis sur un système scolaire approprié, la viabilisation régulière des infrastructures de communication, sur la diversification des partenaires en coopération internationale, l’amélioration constante de la gouvernance ou l’aide à l’auto structuration du petit peuple pour être à même, par temps difficiles, de mieux défendre ses propres intérêts vitaux. Ces usurpateurs passent des décennies à ruser, à multiplier des stratégies les unes plus assassines que les autres, dans une rapacité mafieuse d’accumulation.


L'avenir possible
Une éventuelle Communauté franco-africaine passerait par d’incontournables étapes. Nous avons besoin de nous retrouver, au bout d’un système éducatif rénové, adapté aux conditions d’une véritable émancipation collective. Il nous faut de franches négociations (à la place de la guerre plus ou moins latente), des mesures transitoires de bonne séparation avec le néo-colonisateur. Une fois notre destin pleinement en mains, nous organiserons nos premiers pas vers le plein épanouissement. À ce stade-là, notre coopération ou union avec un autre État (ou groupe d’États) souverain serait décidément fructueux pour les deux parties.

1- Par une école réappropriée

« L’instruction est la clef qui ouvre la deuxième porte de notre libération »(1) (après « l’abolition » de l’esclavage ou les Indépendances formelles), observe un instituteur antillais dans l’optique de motiver davantage ses élèves à mieux s’appliquer dès l’école pour pouvoir prendre une part significative dans la multiséculaire lutte nègre de libération. L’Africain libre, c’est le citoyen bien informé, à l’abri des préjugés handicapants distillés par les stratégies françafricaines de conditionnement. Lire la suite


Éléments de prospective géopolitique et stratégique sur les relations franco-africaines à l’ère de la mondialisation : France-Afrique ou Françafrique ?

La dynamique géopolitique et géostratégique de la relation France-Afrique va se redéployer compte tenu des reconfigurations des équilibres de puissance et des jeux d’intérêts au sein des champs complexes d’action et de pouvoir construits dans le cadre de la globalisation/mondialisation. En effet, la puissance internationale et mondiale moyenne qu’est la France devrait continuer à faire face à l’engagement et à l’intéressement d’autres puissances installées comme l’hégémon mondial américain, la puissance centrale émergente chinoise, le co-hégémon mondial déclassé russe et les puissances ascendantes brésilienne et indienne en Afrique. Dans de telles conditions, la puissance française, engagée et déployée dans les pays africains, devrait y faire face  aux opérations et actions stratégiques de ces autres puissances.

La France en tant que puissance mondiale effective quoi que modérée doit sa valeur stratégique et structurelle dans la balance planétaire des forces, à son emprise décisive sur de nombreux pays d’Afrique pour qui elle a quasiment un statut substantiel de puissance aussi bien protectrice que tutrice. C’est en tenant compte de cet état de choses qu’il faut lire les liens d’influence et de prédominance qui permettent à des intérêts stratégiques et structurels français aussi bien publics que privés exerçant dans l’espace de nombreux pays africains, surtout ceux qui ont longtemps été inscrits dans l’orbite impérial et colonial de la puissance française. C’est ainsi que l’on peut envisager l’espace de pertinence de la notion passablement polémique de Françafrique, notion symbolisant de manière souvent controversée  les liens d’attraction et de domination qui soumettent les sociétés postcoloniales d’Afrique à une reproduction contraignante d’une emprise des centres français de puissance. Quoique controversée et parfois réductrice, la notion de Françafrique met en lumière les formes et forces de clientélisation stratégique et structurelle de l’Afrique par la France.


Le parachutage putschiste international d’un favori néocolonial et globalo-impérial en Côte d’Ivoire : un épisode post-électoral d’humanisme militaire et de démocratisme martial mené par la France françafricaine.
Quoiqu’elles s’abritent commodément derrière la résolution 1975 du Conseil de sécurité, résolution initiée par elle avec l’appui de la République fédérale du Nigeria pour protéger les Ivoiriens contre les armes lourdes (du pouvoir Gbagbo), les autorités gouvernantes de la République française appuyées par l’Onuci ont perpétré un véritable coup de force pour mettre fin à la crise politico-militaire, politico-culturelle et politico-électorale de Côte d’Ivoire. À cet effet, il s’est agi pour la puissance tutrice française d’user de son avantage rentier de métropole néocoloniale pour trancher la crise de souveraineté opposant les groupes politiques conservateurs-houphouëtistes du Rhdp-Ouattara et républicains-refondateurs-posthouphouëtiste de la Lmp-Gbagbo. Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont fini par révéler au grand jour que la puissance tutélaire française ne pouvait guère se résoudre à une position de neutralité et d’impartialité dans la conjoncture de montée aux extrêmes de la crise ivoirienne.

La France officielle – stratégiquement soucieuse d’affermir à nouveau un strict contrôle tutélaire et clientélaire sur les commandes étatiques du pouvoir ivoirien -, a mené à terme sa démarche de réinstallation contraignante d’une élite gouvernante ivoirienne résolument collaboratrice et conservatrice et recrutée dans la pépinière néocoloniale de l’houphouëtisme.


Manières de Voir : Transformer l’Afrique en son propre centre : Utopie ou réalité ?
Regardons-nous penser et écoutons-nous parler avec en point de mire, l’Afrique à transformer en son centre propre. Être animé par le souci de passer des critiques tous azimuts de l’Occident, aux recherches de solutions concrètes, durables et d’avenir aux problèmes africains, exige aussi que nous devenions le centre de nos analyses par une espèce de réflexivité analytique. C’est primordial en ce sens qu’une pensée africaine tournée vers la critique exclusive de l’Occident fait inévitablement de cet Occident le centre de son imaginaire. Elle ne cherche plus en elle-même les arguments de son autonomie et de sa puissance créatrice d’une nouvelle Afrique. Elle les cherche dans la dénonciation des travers du projet africain de l’Occident. Ce qui est une autre forme d’aliénation à « la bibliothèque coloniale ». Les Africains qui condamnent le feu vert de Barack Obama pour les frappes en Libye en comptant uniquement sur l’argument chromatique pour en faire un Africain ; ceux qui félicitent les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) de s’être abstenus en oubliant que ces pays le font aussi  pour leurs seuls intérêts et non pour ceux de l’Afrique sont dans la même logique : celle qui consiste à centraliser les autres dans la recherche du « Bien » dudit Continent. L’Afrique doit pourtant devenir son propre centre ! Qu’implique une telle conjecture lorsqu’on l’applique au cas ivoirien et libyen ? Le centre se construit-il dans une totalité uniforme par rapport à lui-même ? Se construit-il en se décentrant par rapport à un précédent centre, en l’occurrence l’Occident ? Peut-il se réaliser sans créer des périphéries autour de lui, c’est-à-dire des non-centres ? Est-ce un projet possible sans développement politique et économique ? Si oui, comment y parvenir ? Sinon comment ne pas déjà être un élève et une périphérie de l’Occident dans ce processus très souvent mimétique ? Devenir son propre centre n’est-il pas le fondement du prosélytisme des monothéismes religieux et de l’impérialisme américain ? Si oui, devenir son centre propre n’est-il pas un projet qui a pour but de nous rendre capables de faire ce que nous condamnons chez les Occidentaux ?