Le Sénat au Cameroun: Dynamique électorale, valeur politique et sens institutionnel

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Il n’y a aucune cohérence à prétendre mettre en place l’organe de représentation d’une réalité qui, elle, n’est pas advenue à l’existence. Cela est une incongruité évidente dont il est étonnant qu’on veuille absolument la consacrer et la réaliser. […] Toutefois, une lecture d’ensemble du projet de révision [constitutionnelle] peut laisser penser que cette volonté de faire ceci avant cela est liée au souci d’organiser ce qui semble être la préoccupation principale de toute la démarche actuelle de révision, la transition au sommet de l’État, par le canal de l’intérim, dont le Président du Sénat est l’attributaire principal. Il semble donc important pour les promoteurs du projet politique d’avoir cette structure, au besoin avant même les régions. Alain Didier Olinga, la révision constitutionnelle du 14 avril 2008 au Cameroun, Yaoundé, Initiative de gouvernance citoyenne, mai 2008, pp. 24-25
A l’occasion de la 27e session de La Grande Palabre, le groupe Samory, éditeur de Germinal et ses partenaires (Harmattan Cameroon, La Fondation Gabriel Péri, Dynamique citoyenne, le quotidien Le Messager, Radio Cheikh Anta Diop, Addec et Human Rights Initiatives (HRI)), invitent le public à prendre part à la réflexion (conférence-débat) qu’ils organisent à Yaoundé, le jeudi 30 mai 2013, l’hôtel Franco, sis en face du collège Matamfen, à 14h sur le thème:
Le Sénat au Cameroun: Dynamique électorale, valeur politique et sens institutionnel

Contexte
Le 29 avril 2013, la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel proclamait les résultats des élections sénatoriales organisées deux semaines auparavant dans un contexte de forte polémique sociopolitique. La querelle aura essentiellement porté sur l’illégitimité du corps électoral, notamment les conseillers dont le mandat avait expiré. En dépit de cela, le  président de la République, seul maître du temps politique, a convoqué le collège électoral le 27 février 2013, prenant ainsi au dépourvu tous les protagonistes de la scène politique nationale. Pour Charly Gabriel Mbock les « Sénatoriales annoncées se présent[ai]ent en effet comme un nouvel acte de la gouvernance cosmétique dont le Cameroun est victime depuis trente ans ». Ces propos corroborent ceux de Mathias Eric Owona Nguini qui estime que l’on peut désormais appliquer à la politique électorale camerounaise, le paradigme du Gondwana, la convocation des sénatoriales pouvant être classée dans le registre de l’élection surprise située entre zéro et demi-tour. La suite on la connait.
Tenues le 14 avril 2013, les sénatoriales n’ont pas, pour autant, marqué une rupture d’avec les précédentes élections à l’ère pluraliste au Cameroun. Comme à l’accoutumée, le bloc gouvernant a imposé son hégémonie sur le timing et le processus électoral. Certes, pour une première fois (qui ne fait pas cependant l’hirondelle), Elections Cameroon (Elecam) dans un premier temps et la Cour suprême, dans un second temps, ont manifesté quelques velléités d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions avec le rejet de quelques listes de candidature du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), parti de Paul Biya, dans  les régions de l’Ouest et de l’Adamaoua.
Mais le contexte de la compétition électorale aura révélé toute la puissance de cette formation politique et de son Chef. L’on a surtout observé que le Rdpc a été un régulateur essentiel sinon exclusif dans l’orientation des comportements politiques des Grands Électeurs (conseillers municipaux). Qu’il s’agisse de la victoire du Social Democratic Front (SDF) dans la région de l’Ouest ou de la déculottée électorale de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) dans la région de l’Adamaoua où le SDF n’a aucun conseiller municipal, le rôle du Rdpc a été finalement déterminant. Les consignes de vote du style : «  nous appelons nos militants à voter en faveur de telle formation politique » pour le cas de l’Ouest ou encore « que nos militants votent en leur âme et conscience » pour la région de l’Adamaoua, ont lourdement pesé sur les résultats dans ces régions. D’aucuns ont d’ailleurs vu derrière ces consignes de vote une connivence politique entre le Rdpc et le SDF, baptisés SDPC, une volonté de faire main basse sur le Sénat.
Par ailleurs, ces élections auront également révélé des péchés mignons qui sont devenus au fil du temps des plaies béantes du processus électoral au Cameroun : achat de conscience, intimidation, pression psychologique, intrusion de l’élite dans le jeu électoral, inégalité dans l’accès aux médias publics par les acteurs politiques en lice, utilisation des ressources publiques aux fins électoralistes, tribalisation du jeu politique, etc. Ces élections sont donc loin d’attester d’une civilisation électorale au Cameroun.
Au demeurant, le chef de l’État et le parti proche ou au pouvoir ont démontré leur détermination à dominer le jeu politique et à contrôler tous les rouages du pouvoir au Cameroun. Les nominations au Sénat des partisans de l’Undp de Bello Bouba Maïgari, de l’Aliance nationale pour la Démocratie le progrès (Andp) d’Hamadou Moustapha et du Front national pour le Salut du Cameroun  (Fnsc) de Issa Tchiroma Bakary, participent de cette stratégie de contrôle et de domination du jeu politique et des institutions.
En dernière analyse, le sénat, Chambre haute du parlement, advient dans un contexte où la compétition électorale continue de subir l’hégémonie d’un système qui a rodé la mécanique du verrouillage et de l’émasculation du cadrage normatif des élections. D’ores et déjà, la Chambre haute porte en elle les germes d’une institution subordonnée et domestiquée par les relents de sujétion de l’exécutif. Il est possible qu’elle soit illusionnée par la figure obsédante de celui qui, en dernier ressort, aura manœuvré à son avènement, dans un esprit de calcul, de ruse et de malice.
Prévu dans la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, c’est après 17 ans que le Sénat voit le jour. Il est censé renforcé le dispositif institutionnel du Cameroun. Il faut alors espérer qu’il ne s’illusionne d’une situation de dépendance vis-à-vis de l’exécutif comme c’est déjà le cas avec l’Assemblée nationale. Pour qu’il se revête de l’étoffe d’une « institution forte », la Chambre haute et ceux qui la composent et l'animent doivent avoir une idée haute de leur fonction et s’arrimer à la conscience que leur entité jouit d’un fondement constitutionnel (Chapitre II, articles 20, 21, 22, 23 et 24). Les « vénérables ou honorables» sénateurs  doivent alors tordre le cou à cette tradition qui veut qu’au Cameroun le pouvoir a un centre unique et univoque : l’Exécutif. Le sénat ne peut dès lors se réduire à être une « chambre d’enregistrement » des instructions venues d’en haut, c’est-à-dire de l’exécutif. Pour s’inscrire dans la dynamique de modernisation des institutions de la République, le Sénat se doit de rompre avec une certaine pratique managériale et de gouvernance essentiellement encline à faire acte d’allégeance. Il suffit que les sénateurs aient désormais la pleine conscience de leur mission historique dans la refondation d’une société politique où les citoyens reprennent progressivement confiance avec ceux qui président à leurs destinées à quelque niveau que ce soit. La Chambre haute étant largement dominée par le parti présidentiel, un écueil guette déjà les « vénérables» sénateurs qui semblent n’avoir pas encore pris l’entière mesure de leur responsabilité si l'on s’en tient à ce qui vient de se produire lors des discussions et de l’adoption du règlement intérieur de cette institution. Peut-être convient-il de rappeler quelques idées-forces qui ont marqué la rencontre des 82 sénateurs du Rdpc avec le Secrétaire général du comité central de cette formation politique. Ce dernier soulignait avec emphase : « Je vous demanderai d’abord de garder à l’esprit en toute circonstance le sens de la discipline du parti, dans ses directives et dans ses consignes, étant bien entendu que le parti demeure pour vous un réservoir de ressources en un recours dans les moments d’incertitudes. Comme membres de la chambre haute du parlement, vous aurez la lourde responsabilité de vous prononcer sur des questions délicates. Je vous demande également de travailler dans un esprit d’équipe ». À l’évidence, le ton est injonctif.  À maints égards, il rappelle une tradition propre au temps de la pensée et parole uniques et iniques vécues sous le monopartisme.
Cette session de La Grande Palabre ambitionne de proposer une discussion analytique et prospective sur l’avènement du Sénat au Cameroun. Pourquoi le Sénat est-il mis en place avant les régions alors que la logique, la cohérence et le droit militaient pour une démarche inverse, à savoir mise en place des structures représentées avant l’organe de représentation ? Celui-ci, constitue-t-il un gadget institutionnel ou plutôt une structure destinée à redonner une certaine vitalité aux dispositifs institutionnels de notre pays ? Le contexte dans lequel advient le Sénat est-il propice à la qualification de sa fonctionnalité normative et institutionnelle ? Le sénat est-il doté des ressources essentielles pour gérer une transition politique sans écueils au Cameroun ?

Les axes de la discussion
1- Le sénat au Cameroun : gadget institutionnel ou structure de modernisation institutionnelle au Cameroun, Mathias Eric Owona Nguini, sociopolitiste
2- Le sénat au Cameroun : cadre législatif et normatif, Jean-Claude Eko’o Akouafane, écrivain/SG du Minader (à confirmer)
3- Partis politiques et élections sénatoriales du 14 avril 2013 au Cameroun : collusion, opportunisme politique ou simple démonstration de force du Rdpc, Alawadi Zelao, Maître de recherche
4- Les élections sénatoriales : avancées ou reculades ? Jean Takougang, Consultant/homme politique
5- Le sénat au Cameroun peut-il gérer une transition politique pacifique au Cameroun ? Alain Fogué, Enseignant/Homme politique
Modérateur: Jean-Bosco Talla
En direct sur les ondes de Radio Cheikh Anta Diop, FM 101.1
Contact: +237 77 31 48 98