Paul Biya : responsable de l’inefficacité, de l’inertie et de la cacophonie gouvernementales

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Le 30 juin 2010, Yang Philemon venait de passer 365 jours à la tête du gouvernement formé le 30 juin 2009. Des organes de presse paraissant au Cameroun  ont saisi cette occasion pour scruter et évaluer ses actions depuis son entrée en fonction. Ils ont fondé leurs évaluations sur les orientations données par le président de la République lors du dernier conseil des ministres tenu le 03 juillet 2009. S’adressant à ses ministres, le président de la République avait assigné des missions précises au nouveau gouvernement. « Il s’agit, avait-il dit, à travers la politique des Grandes ambitions » définie au début du septennat, d’assurer le développement économique de notre pays et d’améliorer les conditions de vie des populations ».

Au moment du frémissement de l’économie mondiale, il était question, au plan économique, de mettre en œuvre, dans des délais brefs (six (06) mois), un programme de développement énergétique qui réponde aux potentialités du Cameroun, de relancer les dossiers des grands chantiers industriels et miniers, d’accélérer, s’agissant des infrastructures, les travaux des  chantiers abandonnés et de satisfaire les besoins des populations, et, enfin d’appuyer cette dynamique sur une gestion budgétaire rigoureuse. Pour terminer, le président de la République avait déclaré : « J’attends de ce gouvernement remanié qu’il donne un nouvel élan à son action en particulier dans les secteurs où une forme de routine ou d’inefficacité paraît s’être installée. J’attends aussi de lui qu’il remette en vigueur l’usage des feuilles de route qui paraît être tombées en désuétude. J’attends enfin qu’il manifeste dans son action une réelle cohésion et une solidarité qui sont les gages du succès ».

Les médias (presque tous) sont unanimes et affirment qu’après 365 jours passés au premier ministère, Yang Philemon est loin d’avoir tenu les promesses que son arrivée avait suscitées. Ils font également observer qu’un an après son entrée en fonction, sa feuille de route n’est pas toujours exécutée. Mathias Eric Owona Nguini, nuance cette vision médiatique de l’action gouvernementale qui incrimine le chef du gouvernement.  Pour ce sociopolitiste, la visibilité de l’action de Yang Philemon à l’immeuble étoile est d’autant plus compliquée et brouillée « qu’il n’existe pas un seul centre d’impulsion gouvernementale » (in Mutations nº 2686 du 30 juin 2010).  Cette position corrobore celle de Mathurin Nna (2008-301) selon laquelle, « malgré les apparences et les envies que suscite l’exercice de sa fonction, le [premier] ministre camerounais est loin de devenir une autorité administrative autonome. Il n’a pas les coudées franches dans son action et ne parvient pas à faire valoir tous ses talents. De même, il ne peut mettre en application des idées propres ou faire valoir sa vision personnelle dans les problèmes techniques dont il a la charge de la solution ». Ces observations sont d’autant plus pertinentes qu’en filigrane elles posent la seule question qui vaut la peine d’être posée dans un contexte où le pouvoir politique est fortement personnalisé et qui est la suivante : À qui incombe, en définitive, la responsabilité de l’inefficacité, de l’inertie et de la cacophonie gouvernementales ?

La réponse est simple et évidente : c’est Paul Biya. Il assume d’autant plus cette responsabilité que dans une équipe, comme dans le cas d’un entraineur de football, c’est le chef, le patron de tout le système, qui est responsable des succès et insuccès. On ne saurait donc éluder sa responsabilité dans l’efficacité ou non des différents gouvernements, dans la situation actuelle du Cameroun et s’acharner sur des commissionnaires que sont premier des ministres et ministres.
On sait que les pouvoirs politiques personnalisés sont les principales caractéristiques de la plupart des États en Afrique. Autrement dit, lorsqu’on veut réellement faire l’évaluation d’une action politique au Cameroun, comme dans plusieurs États africains, on ne devrait pas éluder la responsabilité du président de la République qui de son côté ne saurait se défausser sur des sous-fifres du genre premier ministre et ministres. Ce point de vue n’est ni  de la théorie pure, encore moins de la simple fabulation, étant donné que les faits donnent raison à tout observateur, même passablement attentif et la constitution du Cameroun consacre la prééminence du président de la République
Cette constitution dispose en son article 10-1 que c’est le président de la République qui nomme le premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les autres membres du gouvernement. Il fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions. Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État (art.8-10). En outre, « le gouvernement est chargé de la mise en œuvre de la politique de la Nation telle que définie par le président de la République » (Art.11-1). Ainsi donc, « lorsque les attentes populaires se manifestent, le refus d’appliquer cette prérogative peut le rendre politiquement responsable des indélicatesses commises par ses [premiers ministres] et ministres. Cela tient au fait qu’il est l’unique juge de l’opportunité de les conserver ou non au sein du gouvernement et, en tant qu’élu de la nation entière, il doit rester attentif aux variations de l’opinion. L’impunité est généralement interprétée comme une approbation de la manière de servir de ses ministres. Elle peut également constituer une preuve de la conformité des actes du gouvernement aux grandes options de la politique du chef de l’État» (Mathurin Nna, 2008-292).
Ces dispositions constitutionnelles confèrent au président de la République un statut différent de celui du premier ministre et des ministres. Alors qu’il tire sa légitimité du peuple par voie d’élection, le premier ministre et les ministres tiennent leur pouvoir de la seule volonté du chef de l’État. Paul Biya ne disait pas autre chose quand en 1987, répondant à une question d’Éric Chinje, alors journaliste et rédacteur en chef à la Cameroon Television (Ctv), il affirmait : «  En ce qui concerne les emplois dits supérieurs, ils sont essentiellement révocables : c’est-à-dire que la révocabilité est inscrite dans leur essence. En termes plus clairs, le chef de l’État peut révoquer les titulaires de ces fonctions à tout moment, en toute discrétion, sans avoir d’explication à donner à qui que ce soit. Dans le jargon juridique de mon temps, on disait : ce sont des fonctions révocables ad libitum : c’est-à-dire monsieur Éric Chinje, que je peux opiner de la tête, et vous n’êtes plus rédacteur en chef de la Ctv. Je n’ai pas à expliquer quoi que ce soit à ce sujet.»
Logiquement donc premier ministre et ministres ne devraient  pas être responsables devant le peuple,  même si le fait qu’ils tirent leur pouvoir d’une autorité élue établit une relation indirecte entre les électeurs (peuple) et eux.
Plusieurs fois, le président de la République a posé des actes pour montrer aux Camerounais que lorsque  les choses vont bien, c’est lui qui les a impulsées. Le cas de la récupération politique des victoires des Lions (in)domptables qu’il donne en exemple chaque fois  qu’ils remportent une victoire décisive est une illustration patente. Il devient par conséquent logique qu’il assume la responsabilité quand les choses tournent mal. C’est dire si, vouloir évaluer l’action d’un premier ministre, que ce soit Yang Philemon, Inoni Ephraïm ou toute autre personnalité nommée par le chef de l’État en évacuant la responsabilité personnelle du président de la République est une falsification de l’analyse sociopolitique, car cela ne repose pas sur des faits pertinents.  Cela n’exclut pour autant pas la responsabilité individuelle du premier ministre et des ministres dans les actes qu’ils posent dans l’exercice de leurs fonctions. Autrement dit, évaluer l’action de Yang Philemon à la primature durant les 365 derniers jours, c’est aussi évaluer l’action politique de Paul Biya pendant cette période.
Comme l’a fait remarquer la presse nationale, les multiples feuilles de route du chef du gouvernement et des ministres n’ont pas produit des effets escomptés. Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer cette inertie et cette inefficacité gouvernementales.


1-Tout laisse à penser qu’en se présentant à l’élection présidentielle 2004, il n’y a pas eu une entente sur la finalité de son second septennat entre le président de la République et la jeune élite qui l’avait aidé à remporter cette élection. Il y aurait donc eu brouillage quant à la représentation et  la finalité du mandat présidentiel. Alors que Paul Biya pensait que ce mandat serait comme les autres mandats et qu’il l’utiliserait pour se maintenir  ad vitam aeternam  à la tête de l’État, il était question pour la jeune élite fabriquée par décret de gérer la transition et de préparer le départ de Paul Biya en 2011. Vraisemblablement, cette jeune élite fondait son espoir de voir Paul Biya partir en 2011 sur l’article 6.2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui disposait clairement, avant la modification du 14 avril 2008 (loi nº 2008-1), que « Le président de la République est élu pour un mandat de sept (7) ans renouvelable une fois ». On peut ainsi comprendre pourquoi Jacques Fame Ndongo, Professeur es intrigues et actuel ministre de l’Enseignement supérieur, avait déclaré à un homme politique en présence de témoins qu’en 2011 le chef de l’État ne serait plus là. Avant de poursuivre : « Nous allons faire la politique autrement. Toi et moi, on aura un duel de chevalier, on va s’affronter. » Quand Paul Biya se rend donc  compte que cette jeune élite  n’est pas à son diapason, il décide de lui retirer sa confiance et laisse émerger un tas d’individus  incompétents, sans foi ni loi, qui se disent être ses créatures et héritiers, mais dont le sport favori est la « le clientélisme parasitaire» (Owona Nguini), une manière pour eux de préparer la conquête du pouvoir politique suprême. Des créatures qui passent leur temps à chanter les louanges du président afin d’assurer leur maintien à des postes ministériels, ce qui leur permet d’opérer des ponctions sur la fortune publique, tout en détournant l’attention du chef de l’État sur leurs propres visées pouvoiristes. Ils sont nombreux ces hommes  liges du président de la République qui excellent dans la gouvernance des effets d’annonce, de l’affichage dans les secteurs qui leur ont été confiés et qui sont devenus des sortes de vache à lait. Ce sont entre autres, Edgar Alain Mebe Ngo’o, Louis Paul Motaze, Jacques Fame Ndongo, Essimi Menye, et Etame Massoma qui deviennent très actifs, le plus souvent dans les médias, quand la rumeur sur un éventuel remaniement ministériel circule.

2-Ainsi, quelles que soient les personnes et les personnalités nommées comme premiers ministres ou ministres, quels que soient  les gouvernements que le président de la République alignera, l’inertie, la cacophonie et l’inefficacité demeureront tant qu’il ne règle pas la question de l’alternance ou de sa succession qui se pose déjà avec acuité à la tête de l’État et dans une certaine mesure à la tête du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Car chaque fois, le chef de l’État aura recours aux hommes de paille, peu audacieux, n’ayant ni l’étoffe ni la capacité de s’attaquer aux véritables problèmes et d’impulser des actions bénéfiques aux populations. On dirait que c’est bien à dessein que Paul Biya agit ainsi. C’est vraisemblablement pourquoi, il préfère former des gouvernements de commissionnaires qui n’agissent pas véritablement pas pour l’intérêt du Cameroun.

3- L’incohérence de l’action politique de Paul Biya est criarde. (1) Lorsqu’on relit le document sur les « Grandes ambitions », on a la conviction certaine que l’axe politique majeur du président de la République durant le septennat qui s’achève est le développement économique du Cameroun. Paradoxalement, pendant qu’il laisse décliner les différentes feuilles de route, les mesures qu’il prend sont en contradiction flagrante avec l’option économique des «Grandes ambitions». Pourtant, la cohérence avec cette option économique supposait : un ou des premier(s) ministre(s), des ministres compétents en charge des secteurs de l’économie, des finances et bien au fait des questions économiques. Or, on constate que les secteurs économiques sont confiés à des tocards qui ne gesticulent que lorsqu’un remaniement ministériel est annoncé. C’est la raison pour laquelle la réalisation de certains grands projets tels que le port en eau profonde de Kribi, le barrage de Memve’ele, la centrale à gaz de Kribi, la satisfaction des populations en besoins vitaux et en infrastructures, les grands projets industriels et miniers, entre autres, sont restés de vagues promesses électoralistes. (2) En outre, lorsque Paul Biya déclare qu’il veut un gouvernement efficace pouvant répondre aux attentes du peuple, on s’attend à ce qu’il forme une équipe gouvernementale  avec  un  effectif restreint. Or, pour rendre ce gouvernement efficace, à sa manière, le chef de l’État opte délibérément pour l’«obésité gouvernementale» (Owona Nguini) en formant des gouvernements éléphantesques constitués de près de 65 ministres et assimilés.

4-À ces gouvernements officiels et visibles s’ajoutent des gouvernements de l’ombre qui, par diverses manœuvres, bloquent de manière significative toutes actions pertinentes. Ces sont : le gouvernement des gens de la présidence de la République qui sanctionne ou bloque les initiatives du premier des ministres et des ministres ; le gouvernement des amis personnels et intimes du chef de l’État que sont, entre autres Martin Belinga Oboutou, Léopold Ferdinand Oyono et Réné Owona de regrettés mémoires, Ombga Damasse (il n’y a pas longtemps) et autres conseillers particuliers, qui coordonnent à leur manière, dans des domiciles privés, l’action gouvernementale, font et défont les carrières des ministres ; enfin le gouvernement de la cuisine qui agit à travers les organisations telles que le Cerac, Synergies africaines, la Fondation Chantal Biya et autres structures de délation et d’intimidation qui sapent la coordination gouvernementale et captent les projets juteux  de santé  qui, bien menés par les institutions étatiques, pouvaient profiter à tous les Camerounais. Dans l’imagerie populaire, les vrais patrons des ministres de la Santé au Cameroun sont les responsables des structures telles que Synergies africaines, La Fondation Chantal Biya. Aussi, tous ceux qui essaient d’évoluer en marge des règles de cette coterie sont-ils immédiatement éjectés de la mangeoire nationale.  L’accord de partenariat signé entre Synergies africaines et la Fondation Oswaldo Cruz (Fiorcruz), organisme public rattaché au ministère brésilien de la Santé dont l’objectif est la promotion de la santé publique et le développement social, est une illustration patente du détournement des projets juteux. Certains membres de ce gouvernement de la cuisine exercent des pressions sur des ministres afin qu’ils relèvent des fonctionnaires et agents de l’État de leur fonction.

5- À tout cela viennent s’ajouter les batailles de positionnement que Paul Biya n’arrive pas à arbitrer ou qu’il entretient lui-même. La bataille la plus épique est celle que se livrent actuellement, par médias et personnes interposés, au nez et sous les yeux peut-être amusés de Paul Biya,  l’actuel ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République, Laurent Esso et l’actuel secrétaire général du comité central du Rdpc, ministre chargé de mission à la présidence, René Emmanuel Sadi. Cette bataille entre deux barons du régime, pour ne prendre que cet exemple, entrave l’action du gouvernement. Ainsi est-il permis de douter de l’efficacité de Laurent Esso qui, au même moment qu’il mène la bataille pour la  succession au sommet de l’État, doit préparer les dossiers à soumettre à la très haute attention du chef de l’État. Et l’on en vient à se demander où les différents protagonistes trouvent le temps matériel pour travailler pour le bien-être des Camerounais. Tout comme on ne comprend pas pourquoi Paul Biya ne met pas un terme à cette bataille qui nuit à l’action et à la cohésion gouvernementales. Titus Edzoa n’avait-il pas vu juste ? Lui qui déclarait dans une interview accordée au journal La Nouvelle Expression n ° 116 du 05 mai 1997 que Paul Biya est machiavélique et qu’il ne crée pas le dialogue entre les membres d’une équipe quand il y a des problèmes. Pour le célèbre prisonnier, Paul Biya applique le machiavélisme à la lettre et fait en sorte que les uns et les autres se rentrent dedans.

6-De plus, l’inefficacité et la manipulation des services de renseignement ne permettent plus à Paul Biya d’avoir les renseignements clairs sur des situations précises. Il est de notoriété publique que ces services ne font plus le renseignement d’État. De plus en plus, les renseignements fournis au chef de l’État sont soit ceux destinés à abattre un adversaire  réel ou potentiel soit orientés dans l’optique de sauver un ami ou un membre du clan. Conséquence,  Paul Biya ne reçoit plus la bonne information lui permettant de décider en connaissance de cause. Certains membres du gouvernement et directeur général des sociétés ont compris qu’il suffit de bien entretenir certains réseaux de renseignements pour assurer leur maintien au poste. Se sont ainsi spécialisés dans la manipulation des renseignements, deux ennemis intimes : Remy Ze Méka, ex-ministre de la Défense et son successeur au Mindef Edgar Alain Mebe Ngo’o, ex-délégué général à la sureté nationale.

Somme toute, les Camerounais ne sont pas tous des gogos. La réalité des héritiers, des créatures, des esclaves (dixit Jacques Fame Ndongo) de l’esclavagiste Paul Biya est glauque. Et comme nous le disions dans l’une de nos précédentes éditions « Paul Biya doit se montrer capable de réconcilier les Camerounais, de surmonter les tensions et crises réelles et latentes qui secouent son régime. Ses doutes et hésitations à prendre certaines décisions et  à siffler la fin de la récréation inquiètent. Si la politique est la science de la maîtrise des choses fondées sur la prévision, la projection et l'organisation, il est dangereux qu'un chef d'État (ou un homme politique) donne l'impression que les événements lui échappent et qu'il n'est plus qu'une marionnette, c'est-à-dire (en français facile) une personne que certains collaborateurs hypocrites, vicieux et ambitieux manœuvrent à leur gré et lui font faire ce qu'ils veulent. C'est ce qui fait la force des grands hommes d'État. Paul Biya un grand homme d'État ? Qu'il le prouve.»