Mission de l'Ecole publique: la démission de l'Etat

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Voici venu le mois de la rentrée scolaire 2016/2017, et du grand calvaire pour les millions de parents camerounais qui veulent trouver une école primaire ou un établissement secondaire pour leurs enfants. Mois de calvaire parce que, comme les années précédentes, ils doivent affronter trois difficultés majeures qui leur sont imposées par un environnement politico-social hostile à l’égalité des chances pour leur progéniture.
Voici articulées ces difficultés répétitives : un nombre déraisonnable de manuels scolaires qui leur coûte une fortune, et qu’ils doivent fournir à chaque enfant pour, en principe, 8 mois de classe, sans certitude qu’ils seront utiles et utilisés ; le marchandage des inscriptions de leurs enfants par les chefs d’établissements de plus en plus maîtres chanteurs; et surtout les cotisations des APEE (Associations des parents d’élèves…), cette sorte d’impôt de capitation dont le paiement est devenu la condition absolue ou obligatoire pour l’admission de tout enfant dans les établissements publics secondaires et primaires du Cameroun.
Autrement dit, en raison de la pénurie d’établissements, et de places dans ceux qui existent, le chef d’établissement vend

au plus offrant les places dans les salles de classe, et si vous avez réussi à en prendre une, mais ne pouvez vous acquitter des frais des APEE, vous la perdez et votre enfant regagne la maison.
Le préambule de notre constitution dispose pourtant que « l’État assure à l’enfant le droit à l’instruction » ; que « l’enseignement primaire est obligatoire » ; et que « l’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont les devoirs impérieux de l’État ». Dès lors, comment un tel calvaire en vient-il à remplacer chez un parent, le bonheur d’inscrire son enfant à l’école ?
L’État assure à l’enfant le droit à l’instruction. Cela veut dire que le gouvernement doit créer les conditions permettant à l’enfant d’avoir cette instruction, et à tous les enfants d’avoir la même chance d’y accéder.
Pour que l’enseignement primaire soit obligatoire, le gouvernement qui a proclamé sa gratuité doit se donner les stratégies et ressources financières pour qu’elle soit effective, et les moyens législatifs pour encadrer et garantir cette gratuité pour tous.
Le devoir impérieux pour l’État d’organiser et de contrôler l’enseignement à tous les degrés impose à tout gouvernement sérieux de proposer une forme de société qui convient à la vision et aux ambitions de la nation ; de concevoir un système éducatif correspondant à cette vision de la société ; et d’entourer ce système éducatif des moyens législatifs et juridiques de sa promotion et de sa protection contre les dérives humaines. Et c’est dans cette logique que l’État peut autoriser et subventionner des initiatives privées en la matière.
Ces souffrances auxquelles se résignent les parents, dans l’espoir de préparer pour leurs enfants un futur moins frustrant, sont justement la conséquence fatale d’une carence organisationnelle du régime au pouvoir, dont les dirigeants croient qu’un système éducatif consiste simplement à bourrer de 80 à 100 enfants les classes existantes, pour produire des diplômés.
C’est ce déficit organisationnel qui ancre le désordre dans tout le secteur de l’Enseignement, au point que le ministre des Enseignements secondaires doive fermer 75 établissements privés, à trois semaines de la rentrée scolaire (les inscriptions y étant bouclées), sans se demander ce que vont faire les milliers d’enfants inscrits dans lesdits établissements. On peut ajouter à ce tableau le fait qu’au jour même de la rentrée 2016, ce ministre n’a pas encore réussi à obtenir les nominations des chefs d’établissements publics dans les grandes villes du pays où proviseurs et directeurs sont coutumiers de marchandages dans les services du premier ministère pour assurer leur inamovibilité. Ses propositions seraient, dit-on, « bloquées au premier ministère ».
Quel type d’école voulons-nous pour former des citoyens libres et producteurs ? Quel type d’équipements et de matériel pédagogique ? Quels référents et quelles valeurs de civilisation ? Quel type d’enseignants et d’infrastructures nous faut-il ? Et surtout, comment mettre tout cela en cohérence pour pouvoir produire des patriotes authentiques, ayant foi en eux-mêmes et engagés à bâtir un vivre ensemble libre et moins misérable ?
Si une seule fois durant ses trois décennies, l’actuel gouvernement s’était posé ces questions entre autres, une rentrée scolaire ne se présenterait pas aujourd’hui comme nous venons de la décrire. Même la question : « quel avenir voulons-nous pour nos enfants ? », jadis posée par qui vous savez, n’a jamais été revisitée.
Mais, dans une société où la carence organisationnelle conjugue avec le laxisme, la cupidité des agents publics, et une corruption endémique, le tout « assuré tous risques » par une impunité systémique, on ne voit pas comment les choses pourraient se passer autrement.
Ceux qui commandent les livres scolaires tous les ans en Europe, et qui ne sont sûrement pas fâchés que le Centre d’Édition et de Production pour l’Enseignement et la Recherche Ceper (autrefois producteur local de manuels scolaires) ait été liquidé, se préoccupent moins de ce que ces ouvrages apportent à notre système éducatif, que de ce que l’éditeur verse sur leurs comptes bancaires, en rétrocommissions. Plus la population scolaire augmente, et plus on lui change de manuels scolaires tous les ans, mieux se porte la fortune de ces éducateurs sans éthique.
Le chef d’établissement public dont le crédit de fonctionnement a été réduit de plus de 80%, et qui doit néanmoins assurer les salaires de ses enseignants vacataires, ne se casse plus la tête. Car, en violation de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant liberté d’association, une kyrielle de circulaires ministérielles est venue au fil des ans, modifier les statuts de l’Association des parents, pour conférer au chef d’établissement public en tant que leur « Conseiller », le droit, de les arnaquer. C’est la trésorerie de l’APEE qui doit payer les enseignants, construire les bâtiments d’école, mais aussi, et peut-être surtout, offrir aux Boss des écoles de confortables moyens de transport, et/ou de beaux immeubles particuliers en lieu sûr.
En vérité, on peut dire que beaucoup d’établissements publics au Cameroun sont devenus, par le biais de l’APEE, le fonds de commerce de leurs dirigeants. Ce qui explique la difficulté qu’a le ministre pour les redéployer, chacun ayant les moyens de s’offrir un « parapluie » au premier ministère…
L’APEE s’est-il approprié les obligations de l’État en matière d’organisation de l’école, ou bien les fonctionnaires ont-ils nationalisé l’APEE qui est pourtant une Organisation privée et non gouvernementale ? En réalité, c’est le gouvernement qui a démissionné du rôle qu’il doit ici jouer au nom de l’État. Et il ne semble pas percevoir comment se dégrade notre système éducatif déjà en soi inadapté et réduit à produire des statistiques d’examens et de diplômes, au détriment d’une utile formation des hommes.
Le principe constitutionnel selon lequel l’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont les devoirs impérieux de l’État devrait signifier   
- que le gouvernement ne laisse pas des écuries s’installer en lieu et place d’établissements scolaires et se développer comme des garderies d’enfants, pour venir les fermer lorsqu’ils ont déjà encaissé la scolarité des milliers d’enfants ;
- qu’il ne laisse pas les agents publics substituer les parents d’élèves à l’État pour construire des écoles et rémunérer des enseignants, mais veille au contraire à l’autonomie de leur association, décrétant même un taux maximum de leurs cotisations plafonné à 10 000F/an par exemple (encore que cette substitution a pour conséquence directe de supprimer la mission de l’école publique qui est de garantir l’instruction aux plus pauvres) ;
- qu’il fasse le nécessaire pour que des enseignants, fussent-ils vacataires, n’aient pas un salaire en dessous de 60.000 francs CFA, et que ce salaire ne repose pas sur les parents d’élèves comme si l’État leur faisait du chantage ;
- qu’il finance totalement ou en partie les manuels scolaires importés, à défaut de promouvoir leur production locale avec ses effets sociaux et intellectuels induits;
- qu’il revalorise les subventions à l’Enseignement privé (qui est concessionnaire du service public de l’éducation), et améliore la régulation de son fonctionnement ;
- qu’il n’utilise pas, par exemple, les 75 milliards de francs empruntés à la Chine pour développer l’industrie chinoise des ordinateurs, mais pour fournir des bourses d’études à 10 ou 20 000 jeunes Camerounais sortis d’école sans qualification, afin qu’ils acquièrent, y compris en Chine, une formation professionnelle de producteurs. Et pourquoi ne pas en affecter une partie à la formation des enseignants dont la pénurie fait partie du problème ?
Ce ne peut être une fierté nationale d’importer des soudeurs pour travailler au montage des installations du Port de Kribi, comme ce fut le cas pour le pipe-line Tchad-Cameroun, d’avoir des Ports sans marins nationaux, ou d’importer du poisson que Chinois et Philippins sont venus pêcher dans nos eaux territoriales parce nous n’avons pas de pêcheurs. On en passe.
Quel est ce pays où tant de milliards, distraits des fonds publics sont tapis dans les poches des agents de l’État et les domiciles des ministres, et qui manque si cruellement de moyens pour se donner un système éducatif propice à un développement « sur mesure » et non extérieur « prêt-à-porter »? Et jusqu’à quand les parents vont-ils construire des écoles et rémunérer des enseignants (non formés au demeurant), pour instruire les enfants de la Nation ?