Menace de Guerre pour la terre

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Au moment de commencer ce papier, j’avais plutôt la tentation d’interpeller le président Biya par une « lettre ouverte » comme c’est dans la mode, puisque faute d’autre recours possible devant les injustices dont ils sont victimes, tous les citoyens de notre pays se sentent désormais obligés de lui adresser des « lettres ouvertes » à propos de tout…
Je voulais lui dire : « Monsieur le président, vous pouvez briguer un énième mandat avec la certitude d’être réélu, si vous trouvez le courage de régler tous les litiges fonciers qui sont en train de générer dans toutes les régions du pays, des bombes sociales à retardement ; de créer plus de troubles à l’ordre public, voire, plus de risques de guerre civile, que ces libertés publiques contre lesquelles s’acharnent obsessionnellement les gouverneurs, préfets et sous-préfets »
J’ai renoncé finalement à cette tentation parce que cela supposerait deux choses : premièrement que ma lettre ouverte puisse arriver jusqu’au prince, car notre République est loin d’être aussi démocratique que la Monarchie marocaine où tous les citoyens ont

les coordonnées téléphoniques du Roi, et que chacun peut l’appeler en direct si ses droits sont illégalement violés, avec la certitude d’avoir une réponse; deuxièmement, il me fallait, avoir l’assurance que ces populations ballottées dans leur propre pays par notre administration publique comme des réfugiés étrangers, figurent tant soit peu dans les préoccupations de « leur » Président. Est-ce bien le cas ? Rien n’est moins sûr.
Même quand les déguerpis pour cause d’utilité publique ont la chance que les financements conventionnés des marchés des « grandes réalisations » prévoient une « contrepartie de l’État » consistant en frais d’indemnisation des populations », leurs maigres sous sont confisqués par les fonctionnaires. Et c’est lorsque les victimes bloquent l’avancée des travaux et que les bailleurs se plaignent que M. Biya s’en aperçoit.
En fait, ce n’est même pas sûr qu’il s’en aperçoit. Pas plus d’ailleurs qu’il ne s’aperçoit du scandale récurrent du « délit d’initié » que commettent hauts fonctionnaires et ministres quand, apprenant pendant les négociations des projets, que des paysans seront expropriés « pour cause d’utilité publique », se dépêchent de profiter de la pauvreté de ces derniers (délit d’abus de faiblesse), pour s’approprier lesdites terres à vil prix.
Ils deviennent les nouveaux propriétaires et vont percevoir les indemnisations à la place des paysans spoliés, qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Même dans un pays où comme dirait le sénateur Achidi Achu, « politic na njangui », ce qui veut dire que le Chef ne s’occupe que de ceux qui l’ont élu, M. Biya ne peut ainsi avoir le droit d’abandonner des pans entiers du peuple à la merci de sa petite oligarchie prédatrice qui se permet tout sous prétexte que le Chef lui doit sa longévité.
Peut-être M. Biya pense-t-il que pour n’avoir été élu que par 12% de la population depuis 1992, il ne doit son pouvoir réel, et donc sa reconnaissance politique, qu’à la poignée de sous-préfets, préfets, gouverneurs, magistrats et parents… qui le font sans pouvoir le défaire. On comprend alors qu’il ait l’illusion de ne rien devoir aux citoyens camerounais qui sont pourtant la seule raison d’être de son existence présidentielle.
Par la force des choses, devenu « le président de tous les Camerounais », M. Biya peut toujours oublier que la politique c’est l’art de gérer le bien commun, la chose publique, ou mieux, de promouvoir le bien-être commun. Il n’a pas le droit d’oublier que le pouvoir d’État est un mandat de service public consistant à prendre opportunément toutes les décisions justes et nécessaires à la promotion du bien-être et de la sécurité des populations dont il est rendu responsable par la jouissance dudit mandat.
Il s’en suit qu’il est même, et de fait, l’ultime protecteur de cette partie de la population écrasée par les injustices, les inégalités, l’extrême pauvreté, et impunément exploitée par ceux qui devaient, sous son impulsion, assurer sa protection.
S’il s’avérait que la gouvernance de M. Biya n’a pas comme objectif ce qui précède, la conclusion à en tirer serait que le Cameroun est mal gouverné, et cela depuis 33 ans (record établi en ce qui le concerne). Dans ce cas, une nouvelle candidature à la présidence au terme du mandat actuel mal utilisé, serait l’indicateur que pour lui, le pouvoir n’est plus un mandat de service public, mais un refuge…
Et de fait, certaines situations cruelles ou inhumaines que subissent aujourd’hui de trop nombreux citoyens suggèrent que le pays est paradoxalement tyrannisé par une sorte de joyeuse anarchie qui, dans son déploiement, ressemble à un coup d’État permanent, organisé par une nébuleuse politico-affairiste où, commis de l’État, cadres du parti gouvernant et hommes d’affaires véreux, s’entendraient pour mettre un bandeau sur les yeux du Président, et du béton dans ses oreilles, afin qu’il ne voie ni n’entende les contradictions que renvoient les tristes réalités du pays à ses discours aériens. Et ceci donne une relative justification à ceux qui accusent « son entourage » d’être responsable de notre descente aux enfers.
En convenant avec la thèse de l’entourage, on suggère que l’objectif de celui-ci, dans toutes ses versions depuis 1985, n’a été que de donner à son créateur, à la fois une image de chef incompétent, et un rôle d’otage-bouclier pour protéger une main basse mafieuse des intérêts privés sur les institutions et le peuple camerounais résigné.
S’il en est ainsi, et puisque nous parlions du problème foncier au Cameroun, que reste-t-il à faire à M. Biya sinon de devenir un opposant à son propre régime afin de secouer l’inertie dans le secteur ? Comment fera-t-il s’il ne passe pas à l’offensive contre ceux qui le pressent de briguer un nouveau mandat, pour qu’aboutisse enfin sur la table de l’Assemblée nationale, cette réforme foncière qui n’en finit pas d’être « en phase de finalisation » depuis plus de 15 ans ?
M. Biya sait-il seulement que durant ces années d’immobilisme, une multitude de textes épars et contradictoires, mais au service des intérêts particuliers, permet aux pêcheurs en eaux troubles de commettre de criardes injustices à l’égard des populations, en même temps que les Municipalités manquent d’espaces pour leurs infrastructures, et que les jeunes et les femmes, sur une superficie de 475 000 km2 pour 22 millions d’habitants seulement, n’ont pas l’accès aux terres agricoles…
Et si les affrontements entre éleveurs et cultivateurs qui sont courants dans toutes les régions, ou entre communautés ethniques (comme il vient de s’en produire au mois d’avril dernier dans le Mbam…), venaient à déboucher sur une guerre civile, comment le Président et son régime pourraient-ils l’expliquer à la lumière de leur double discours sur l’unité nationale et du concept « allogène- autochtone »?
Dans l’héritage que s’apprête à léguer M. Biya à son pays, il vaudrait mieux que figure une réforme de la loi domaniale faisant de l’État l’unique gardien de la terre, avec pour lui, l’obligation de garantir le droit à la propriété ou à la copropriété à chaque citoyen dont la nationalité est attestée par le droit du sang ou du sol, partout sur le territoire national.
En attendant, rien à ce jour, si ce n’est la permissivité, la cupidité, la corruption et/ou l’impunité, n’autorise personne à broyer les maisons des milliers de citoyens avec des engins, à détruire leurs biens, à briser leurs ménages, à déscolariser leurs enfants, sous prétexte de quelque « utilité publique » que ce soit. Sauf à le faire dans le strict respect des normes et mesures d’accompagnement humanitaires, que prescrivent les principes de droit et de sens commun de « l’utilité publique », pour protéger les droits sociaux des déguerpis, notamment les droits au logement et à la sécurité des personnes et leurs biens.
Si le système gouvernant n’y songe pas ici et maintenant, alors il y a des chances pour que commence par là, le chaos que programment pour notre pays, les auteurs du coup d’État permanent, après la tranquillité factice que nous confondons aujourd’hui avec la paix.
Jean-Baptiste Sipa