C’est une page de l’histoire de l’intelligentsia camerounaise qui est en train de se tourner. Le pays perd à tour de rôle, ses plus grands chevaliers de la plume.
La sévère répression qu’Ahmadou Ahidjo engagea contre les libres penseurs de son époque eut des conséquences désastreuses sur l’avenir intellectuel du pays. Le règne autocratique de ce « petit peuhl », « chouchou de Pompidou » selon les mots de Mongo Béti ( Main basse sur le Cameroun ). a finalement divisé les intellectuels camerounais en deux grands blocs. Avec d’un côté les caisses de résonance du système et de l’autre, les impertinents à qui on n’hésitait pas à coller l’étiquette d’opposant, d’ennemi de la Nation.
Albert Ndongmo fait partie de ces dernières cités. Il était un homme de Dieu, mais pas comme les autres. Valentin Paul Emog dans Monseigneur Ndongmo le porteur des cornes reprend une de ses déclarions qui a fait le tour du monde : « On ne peut pas conduire les hommes au ciel comme si la terre n’existait pas ». Ce bout de phrase suffit pour comprendre le combat de l’homme. Originaire de Bafou dans le département de la Menoua, Région de l’Ouest, il était un homme de Dieu non dogmatique bousculant quelquefois les traditions du catholicisme. Partisan invétéré de la tropicalisation de cette religion, Monseigneur Ndongmo a été l’un des tout premiers prélats africains à instaurer l’utilisation des éléments locaux dans les rituels religieux. C’est après son accession à la tête du diocèse de Nkongsamba que ce natif de Bafou avait fait le plus parler de lui. D’abord, pour autonomiser financièrement son diocèse, il crée la Société Moungo Plastique. Cette réalisation fut très mal perçue aussi bien par la hiérarchie de l’Église catholique que par les politiciens camerounais. Les uns y ont vu une société de fabrication d’armes pour faire sauter le système d’Ahidjo qu’il ne ménageait pas dans ses homélies et autres prises de paroles publiques. Il sera d’ailleurs arrêté avec Ouandié Ernest, le résistant Upéciste. Les deux hommes à l’issu d’un procès marathon avaient été condamnés à mort. L’homme de Dieu sera gracié suite à une requête du pape. Il s’envole pour un exil au Canada où il meurt en 1992.
Les poursuites engagées contre Ndongmo témoignaient de la volonté du système politique du Cameroun indépendant de traquer ses contradicteurs jusque dans les soutanes. C’est dans cet esprit qu’a été interprété l’assassinat du père Engelbert Mveng (lire plus loin). Historien et poète, le père Mveng était connu pour la profondeur de ses écrits. En 1995, cet homme de Dieu s’est retrouvé mort sur la voie publique dans des conditions jamais élucidées.
Le 21e siècle et ses morts
Les premières années de ce 21e siècle ont été marquées par la disparition de plusieurs plumes camerounaises.
En effet, c’est le 06 novembre 2000 que le professeur Stanilas Meloné ouvre ce bal macabre. Aujourd’hui, au campus B de l’université de Douala, un amphi porte son nom. Étant donné que les reconnaissances ne sont pas courantes dans ce Cameroun menacé par l’amnésie, il devient normal que l’on se demande pourquoi les autorités universitaires ont décidé attribuer le nom du Pr. Meloné à un amphithéâtre. Né le 07 mai 1941 à Ekite par Edéa, Stanislas Meloné obtient son Baccalauréat en 1959. Au moment où le jeune bachelier s’apprête à aller poursuivre ses études en Europe, l’Université fédérale du Cameroun ouvre ses portes à Yaoundé. Il est un passionné de droit. En 1964, il sort major de sa promotion en Licence. Il a comme camarades de promotion Louis Yinda (actuel DG de la Sosucam), Martin Rissouk à Moulom (Procureur général à la Cour suprême), Alexis Dipanda Mouéllé (actuel président de la Cour suprême).
Arrivé en Europe, il passe l’agrégation en 1973. Le tout premier africain à atteindre ces cimes de la connaissance. Il devient avocat à la Cour de cassation de son pays d’accueil. Pareillement, il dispense des cours aux étudiants des universités Paris II, bordeaux, Nanterre, Limoges. L’agrégé des universités françaises en droit privé et en sciences criminelles retourne au pays et devient le chef de département de droit et science économique de l’unique université du Cameroun où il y sera aussi doyen de faculté et plus tard recteur. Proche du pouvoir, il ne s’y confond pas. Au contraire, il savait user de sa lucidité intellectuelle pour détecter les injustices sociales afin de proposer des solutions. C’est lui qui porta de bout en bout la loi de 1985 sur l’indemnisation des victimes des accidents de circulation.
Comme Stanislas, Thomas Meloné finit aussi par imprimé ses empreintes dans la formation universitaire au Cameroun. Il aura été lui aussi un Grand Maître, à la Faculté des arts lettres et Sciences humaines de l’université de Yaoundé.
Francis Bebey
Le 28 mai 2001, l’information est venue des médias français. Une dépêche annonce que « Francis Bebey, chanteur d’origine camerounaise est mort dans le XIIe arrondissement de Paris. Il avait 72 ans ». Comme une onde de choc, cette nouvelle attriste les Camerounais et le monde entier. Un sentiment qui se justifie par l’influence que ce chanteur avait sur les consciences des jeunes et moins jeunes.
Francis Bebey ne faisait pas directement de politique comme le fit son parent Bebey Eyidi arrêté en 1961 lors de la fameuse affaire du Manifeste. Par contre, sa musique se positionnait comme une remise en question de la société de son temps et une invite à l’amour, la solidarité, la philanthropie. Homme de culture attitré, Francis Bebey a été le précurseur de notre musique moderne. Grand écrivain, il est auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Les trois petits cireurs, Le fils d’Agatha Moudio, etc.
Jean Marc Ela
Olivier Ndenkop