Dans la vie d’un individu, il est des moments où rien ne va, et du coup, les moindres faits et gestes sont décryptés comme étant des signes prémonitoires d’une fin. Ainsi en est-il des individus comme des générations d’hommes.
Depuis quelques années au Cameroun, à la manière et au rythme dont se fait la sortie de scène de certaines personnalités de la République qui ont marqué les années post indépendance, il ne fait plus de doute que cette génération est en fin de règne. Elle est en train de disparaître. Une génération constituée d’hommes d’État, d’opérateurs économiques, de religieux, d’hommes de culture, bref, de véritables ténors du Cameroun moderne.
A titre d’illustration, la disparition de trois figures marquantes de l’histoire sociopolitique récente du Cameroun qui sonne non seulement le glas pour cette génération, mais surtout, qui symbolise la brutalité avec laquelle ces grands hommes du gotha tirent leur révérence. D’abord celle de Léopold Ferdinand Oyono, écrivain et ancien ministre d’État chargé de la culture et ambassadeur itinérant au moment de sa disparition. Nous sommes le 10 juin 2010 au palais de l’Unité. Paul Biya, le président de la République, reçoit un hôte de marque, en la personne de son Excellence Ban Ki Moon, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu), venu au Cameroun parler, certes de coopération, mais davantage de développement. Plusieurs proches collaborateurs du chef de l’État prennent part à l’événement. Parmi eux, un certain Léopold Ferdinand Oyono, très proche et fidèle parmi les fidèles de Paul Biya. Jusque-là, tout se passe bien, sans la moindre anicroche. Malheureusement, à la fin de la cérémonie, tout juste au moment où les convives se retirent, l’auteur du vieux nègre et la médaille, roman à succès, est pris d’un malaise cardiaque et tombe. Panique du protocole, tentative de réanimation, espoir et finalement consternation. L’homme avec qui Paul Biya avait l’habitude de jouer au songo, son passe-temps favori quand il se rend à Mvomeka’a, son village natal, n’est plus.
Attaque cardiaque
Cette fin brutale d’une personnalité en pleine activité n’est pas un cas isolé parmi les hommes de la génération post indépendance. On se souvient, en effet, que le 20 mars 1998 Jean Zoa, archevêque métropolitain de Yaoundé, tombe devant ses ouailles à la cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé, lui aussi victime d’une attaque cardiaque en pleine célébration de la messe de requiem en la mémoire de Monseigneur Paul Etoga, évêque du diocèse de Mbalmayo, décédé quelques jours avant. Ainsi s’achevait la vie d’un homme, un religieux, dont les prises de position face aux grandes problématiques nationales étaient quelquefois sujettes à polémique, comme ce fut le cas dans les années 90, avec la lutte pour l’instauration du multipartisme et la démocratie au Cameroun.
Autre personnalité et pas des moindres, mais ayant eu une fin identique : il s’agit de Jean Fochivé, qui a travaillé sous les deux régimes d’Ahmadou Ahidjo et Paul Biya essentiellement à la police et dans les services de renseignement. De retour de la présidence de la République un soir aux environs de 20 heures 30 mn, où, disait-on, il était allé répondre à une convocation de sa hiérarchie, Jean Fochivé a été fauché par une crise cardiaque. Difficile d’y croire, tant c’est celui dont la mission était de traquer les opposants et autres subversifs dans leurs moindres retranchements, c’est-à-dire de mater la rébellion, qui finissait ainsi brutalement. "Le flic des flics" dont la seule évocation du nom provoquait la terreur au sein de la population s’était pourtant construit une image de baobab. Malheureusement, cette nuit du 12 avril 1997 lui avait été fatale. Il venait de faire son dernier coup tordu
Fin d’une époque
Ces trois cas de figure symbolisent à suffisance la manière dont est en train de s’opérer la fin d’une époque, celle des hommes qui ont fait l’histoire politique du Cameroun entre deux périodes de lutte : lutte de libération et lutte pour la démocratisation ; époque marquée par la pensée unique imposée par des thuriféraires à la solde des "maîtres hexagonaux". Fin donc d’une époque puisqu’en quelques années seulement, les pertes ont été énormes autant qu’elles sont significatives.
D’abord les intimes de Paul Biya qui ont répondu à l’appel du destin divin. Parmi eux, l’on note Réné Owona, secrétaire général adjoint de la présidence de la République ; le Pr George Ngango, ancien ministre de l’Éducation nationale ; Emah Basile, Délégué du gouvernement et trésorier du Rdpc ; Amougou Noma lui aussi Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Paul Tessa, ancien Directeur général de la Société de presse et d’Édition du Cameroun (Sopecam) et président de la Commission nationale anticorruption (Conac), etc.
Dans cette vague de décès, sont aussi présents les hommes ayant servi les deux régimes tout comme leurs opposants qui n’ont pas échappé à la loi de la fin de génération. Ainsi, peut-on par exemple citer, pour les premiers, François Sengat Kuoh, ancien secrétaire politique de l’Union nationale camerounaise (Unc), Enock Kwayep Kate, ancien ministre sous le régime d’Ahidjo et premier président de l’Observatoire national des élections (Onel) sous le régime de Biya ; Salomon Tandeng Muna, ancien président de l’Assemblée nationale. Dans ce tableau, on ne saurait oublier les autres figures de proue telles que John Ngu Foncha, Maïdadi Sadou, Christian Tobie Nkuoh, Luc Loé, Henri Bandolo. Parmi les seconds qui, à un moment ou à un autre, ont marqué leur distance avec un des deux régimes, on peut citer Ayissi Mvondo, ancien ministre de l’Administration territoriale, Samuel Eboua, ancien secrétaire général de la présidence de la République sous d’Ahidjo, ou de Emah Ottou P.P., frère cadet de Emah Basile, pharmacien, militant de l’Union des populations du Cameroun (Upc) depuis 1960 et fondateur, en 1991, du Rassemblement des forces patriotiques (Rfp).
Enfin, parmi ces disparitions qui signent le crépuscule d’une époque politique, figurent en bonne place les hommes de culture comme Mongo Beti, Francis Bebey ; des hommes de Dieu tels que le Père Jean Marc Ela, le Père Meinrad Hebga, Mgr André Wouking des opérateurs économiques à l’exemple de Pierre Tchanqué.
Au bout du compte, la qualité, la position et l’âge des personnalités ainsi soumises à la loi de la prémonition en disent long sur le changement d’époque qui est en train de s’opérer sous nos yeux au Cameroun. Cette irréversible mutation devrait interpeller la responsabilité et l’engagement politiques des jeunes un peu trop amorphe et timorée, dans la mesure où ils sont les cadres de la classe politique de demain et à ce titre, personne mieux qu’eux ne peut définir leur projet de société. L’espoir est donc permis.
Simon Patrice Djomo