Face au sentiment dit « anti-français » grandissant, qui prend actuellement en Afrique des allures de russophilie, la France est devant l’impasse : la reconnaissance des exactions commises au Cameroun pourrait permettre de pacifier les rapports entre les deux pays et régler le contentieux historique qui les oppose. Mais que devient, dans un pays comme dans l’autre, une histoire qui s’écrit à la commande des politiciens, en leur temps, selon leurs agendas et dans les modalités qu’ils ont eux-mêmes fixées ?
Lors de sa visite en Algérie en août dernier, Emmanuel Macron a renouvelé une annonce déjà faite au Cameroun, sur la constitution d’une commission mixte pour écrire l’histoire de la décolonisation de ces deux pays. Ces annonces ouvrent un moment mémoriel africain de la France qui, pour l’Algérie, pourrait davantage contribuer à stabiliser une littérature déjà abondante et un récit partagé. Alors que pour le cas camerounais, cette annonce ne saurait suffire pour exhumer un passé anxiogène, une mémoire querellée et confisquée.
Pour ce dernier cas qui nous intéresse ici, l’annonce du président français
est une mesure qui devrait s’accompagner de préalables politiques et « civilisationnels » du côté français, qui vont de l’ouverture des archives à la démobilisation des corps et des idées ; tandis que côté camerounais, une telle initiative n’a de préalable qu’une véritable révolution politico-culturelle.
Un nouveau tournant mémoriel africain de la France ?
S’il y a un mot qui caractérise mieux la deuxième moitié du XXe siècle français, c’est le néologisme françafrique. C’est en partie grâce à l’Afrique que la France reste une puissance au XXe siècle. La périphérisation en cours de l’hexagone sur la scène internationale est en partie due à la perte progressive de son influence au sud de la Méditerranée. Cela est bien sûr inacceptable pour la France où, maintes voix ont annoncé la nécessité d’un renouvellement des relations avec le continent, pour lui redonner comme au siècle précédent, « un élan qui, sans l’introduction des peuples colonisés dans le circuit, aurait risqué de s’épuiser beaucoup plus rapidement [1] ».
C’est aussi vrai aujourd’hui que ça l’a été au XXe siècle ; et c’est la condition pour permettre à la France de regagner de la sympathie dans une Afrique où son pré carré s’effrite progressivement. Le problème est que les relations avec les États africains sont fortement travaillées par le passé colonial, antichambre de la contestation actuelle de l’influence française, et moteur du sentiment dit « antifrançais » qui gagne du terrain. Et le refus de la France de réparer ce passé, de démanteler les structures coloniales et, depuis peu, d’évoquer même ce passé, grossit davantage un abcès qui, à terme, entrainera sa cathétérisation en Afrique.
L’Élysée l’a peut-être compris. Sinon, les questions de la guerre d’indépendance, du rapport au passé colonial et aux processus de décolonisation ne seraient pas évoquées systématiquement ces dernières années, par chaque président français en visite sur le continent africain ou recevant un chef d’État issu du continent ; du moins pour les pays où des conflits ont connu une implication directe ou indirecte de la France.
En août 2018, le président français, recevant son homologue rwandais, initiait un nouveau moment des relations franco-africaines. Ce moment mémoriel africain de la France vise la pacification de ses rapports avec ces nombreux passés troublés, à travers la création de commissions d’historiens pour inscrire des épisodes de violence oubliés, voire dissimulés, dans la mémoire collective de la République. En août, Emmanuel Macron annonçait depuis l’Algérie la constitution d’une commission d’historiens français et algériens pour écrire une histoire de plus d’un siècle de colonisation ; alors que, plus tôt, en juillet dernier, lors d’un bref séjour au Cameroun, il inaugurait le nouveau tournant de ce moment par la constitution, non plus seulement d’une commission franco-française comme Duclert pour le Rwanda, mais d’une coopération bilatérale entre historiens des deux pays.
Au-delà de se demander ce que cache une telle entreprise, il est important de voir que le cas camerounais est peut-être d’une plus grande portée, au moins historiographique. Si l’Algérie a eu son rapport Stora, et qu’une littérature abondante a stabilisé le récit et la grammaire de cette décolonisation ; ou même que le cas rwandais a abouti depuis, à une reconnaissance internationale malgré la spécificité de ce cas par rapport aux deux autres, le cas du Cameroun reste couvert d’une chape de plomb. La France et les régimes qui se sont succédé au Cameroun maintiennent toujours ce conflit dans une sorte de confinement et d’objet politique officiellement non identifié.
Dépassons la causalité géopolitique de la venue de Macron au Cameroun et remettons la focale au centre d’un enjeu qui est culturel, mémoriel, politique et social, bref, qui s’impose comme un impératif dans la pacification des rapports entre la France et son passé, ses passés querellés, dont le Cameroun est sans doute, l’un des laboratoires les plus importants. Parce que c’est là-bas, précisément, que la courte tournée africaine de Macron a été la plus symbolique et contrastée dans les dynamiques qui lient la France à l’Afrique ; parce que c’est là-bas aussi que s’observent mieux, l’ambiguïté et l’entremêlement des rapports qui lient la France à l’Afrique et que le terrain géopolitique est le plus fécond. Parce que c’est là-bas aussi que la France a livré une guerre de décolonisation dans un territoire qui n’a jamais été sa colonie.
Mais surtout parce que, pour rester dans l’optique des déterminismes historiques, c’est au Cameroun qu’eut lieu la seule guerre de décolonisation gagnée par la France. Mais une victoire au cœur des paradoxes français et camerounais : symboliquement, une guerre gagnée suscite fierté nationale et chauvinisme. Mais une guerre gagnée qu’on dissimule, dont la mémoire est confinée et contrainte à la clandestinité, une guerre qui n’a jamais été reconnue comme telle mais euphémisée en « événements du Cameroun », pourrait plutôt, à l’inverse, raviver les tensions des sociétés camerounaise et française avec elles-mêmes, toutes les deux en crises identitaires.
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Secouer la société française, renverser le Cameroun
En 2015, François Hollande alors président de la République française, annonce la déclassification des archives sur ce que, dans son pays, on a réduit aux « événements du Cameroun [2] ». Mais son annonce est conforme à une politique française de dissimulation de ce passé qui comporte des plaies béantes, surtout dans les anciens territoires coloniaux où des atrocités ont été commises. Un processus de déclassification qui est en France controversé, si on s’en tient à la décision du Conseil d’État du 13 novembre 2020, qui annule un acte similaire du Premier ministre français, demandant que les archives soient initialement déclassifiées avant leur communicabilité. En 2020, c’était déjà sous Emmanuel Macron. Depuis lors, toujours selon la décision du Conseil d’État, c’est en 2021 que la Guerre du Cameroun (1955-1971) a eu 50 ans et donc qu’une partie de ses archives auraient pu, « normalement », être mise en accès libre.
De ces archives, une chose est de les dire ouvertes, une autre est de les ouvrir effectivement. De toute manière, lors de sa visite au Cameroun, Emmanuel Macron a annoncé l’ouverture de « toutes les archives », et la constitution d’une commission d’historiens, camerounais et français, pour travailler à « éclairer ce passé, sur des situations individuelles, sur des épisodes » de violence et « qualifier très précisément les choses ». Le problème est pourtant moins la mise à disposition des archives pour une commission soigneusement constituée par des politiciens, que leur accessibilité par tous les historiens camerounais qui voudront y travailler ; et l’usage qui sera fait des résultats de ces études dont bon nombre sont déjà de grande qualité, et assez claires sur les exactions commises par la France.
Encore moins est-il l’ouverture même des archives que le choix préalablement fait, sur ce qui doit être considéré comme archives susceptibles d’être ouvertes ou pas. Manifestement, du fait des enjeux que sous-tend cette question, les conditions préalables pour un tel travail sont très nombreuses, et vont au-delà de la politique des archives et du secret-défense, de la sincérité des historiens et des politiques. Il y a tout un écosystème de la vérité dont les pièces du puzzle sont si éparses mais étrangement mêlées à la fois, que le doute est plus que conseillé.
D’abord parce que la culpabilisation, des excuses officielles et la réparation ne font pas partie du répertoire d’action mémorielle de la France, encore moins sous Macron – qui n’a pas manqué de parler de rente mémorielle pour le cas algérien alors qu’il était aussi un précurseur de l’évocation publique et officielle de cette question. De nombreux signaux sur la place des études africaines, notamment dans ce que celles-ci subissent comme influence des mondes anglo-saxons, indiquent très clairement que la France n’est pas prête à ouvrir un nouveau « front » sur les études décoloniales, qui y sont considérées comme cercle vicieux de la repentance perpétuelle.
La crise identitaire en France a relayé à la marge un pan important des questions relatives à sa responsabilité historique sur le continent africain, même dans les milieux universitaires. De nombreux intellectuels y sont devenus des parias, étiquetés « islamo-gauchistes » à cause, en partie, de leur sympathie pour les études décoloniales. La commission de Macron pourrait alimenter l’une des idées majeures qui ont valu à quelques universitaires en France d’être victimes de mesures policières de surveillance et de musèlement dignes des régimes autoritaires les plus hostiles à la pensée libre et décomplexée.
Depuis l’Afrique, la situation des diasporas en France est suivie attentivement. Il est erroné de penser que le sentiment anti-français en Afrique, que veut annihiler cette tentative de construction d’une mémoire commune, est détaché de la situation des diasporas africaines en France. Les deux sont liés. La restauration de l’image de la France en Afrique devrait commencer dans l’hexagone même, par la fin d’un silence d’État, par une ouverture dans l’école française d’un enseignement de ces crimes commis en situations coloniales ; par une reconnaissance de ces déterminismes historiques qui pèsent encore sur la nature et l’orientation des rapports entre la France et l’Afrique à cause précisément de ce « passé qui ne passe pas [3] » ou qui « passe mal[4] ».
Face au sentiment dit « anti-français » grandissant, qui prend actuellement des allures de russophilie, la France est devant l’impasse : la reconnaissance des exactions commises au Cameroun pourrait permettre de pacifier les rapports entre les deux pays et régler le contentieux historique qui les oppose. Mais elle pourrait également, paradoxalement, engendrer un autre problème dans la permanence des sentiments de culpabilité et de victimisation et une écorchure dans l’identité même de la France et son positionnement civilisationnel comme pays éclairant le monde (voir le tableau de d’Ange-Louis Jane, vers 1848).
D’abord parce que le devoir de mémoire est, partout, un droit de dire le mal et d’identifier ses auteurs. Si Macron reconnaissait il n’y a pas longtemps que la colonisation a été un crime contre l’humanité, il n’a pas manqué plus tard d’accuser une identité blessée d’entretenir une rente mémorielle sur ce passé irréparé. Ensuite parce qu’une littérature de la dénégation et des discours de la négation de l’extrême droite tendent à présenter la France comme colonie de ses colonies [5], laissant ainsi sous-entendre que ce sont les secondes qui doivent réparation à la première. Cette ambiguïté des discours, associée à un malaise à assumer une histoire qui, au nom d’un orgueil national, tend à ne plus se souvenir que des moments de grandeur nationale, ignore une littérature qui dit précisément ce que les crimes de la France au Cameroun ont été [6]. Littérature volontairement oubliée par Emmanuel Macron, malgré la présence au cours de son séjour camerounais de l’historien Achille Mbembe, l’un de ses auteurs les plus cités.
De son côté, le Cameroun n’est pas plus prêt que la France à exhumer ce passé. Il y a une importante rente mémorielle travaillée par des nationalismes ethniques. Ce passé s’y affadit en une guerre de quelques groupes ethniques face auxquels les autres membres du corps social camerounais sont réduits au simple rôle de témoins de l’histoire et de la souffrance des victimes [7]. Cette victimisation identitaire revendicative doit faire l’objet au niveau national, a minima, d’un important débat dont on a des raisons de douter qu’il aboutira à un narratif minimalement consensuel.
Le fait que la mémoire soit contestée et qu’il existe une géographie du nationalisme au Cameroun fait les affaires du pouvoir en place. Cela l’éloigne de la question de la remise en cause de sa légitimité et de son rapport à la mémoire et au nationalisme camerounais. L’inverse reviendrait à éclabousser le rapport des dirigeants actuels à la notion même du héros, de la vertu nationale, et surtout, de la lutte armée comme répertoire d’action collective toléré et légitime ; les bienfaits de cette lutte armée et la possibilité d’y recourir reviendraient à l’insérer dans le « réservoir de la dissidence » admis [8], ce qui bouleverserait tout le socle idéologique sur lequel est assis, bâti et construit le pouvoir politique au Cameroun.
Car, qui peut prétendre que les dirigeants camerounais actuels sont du camp des vaincus de cette guerre ? L’historien camerounais Jean Koufan n’a cessé de rappeler que le Cameroun a la particularité d’être le seul pays d’Afrique noire, où le mouvement nationaliste qui a lutté pour l’indépendance n’a jamais exercé le pouvoir. Ceux qui dirigent le Cameroun sont plus des héritiers de l’ordre politique voulu par le pouvoir colonial tardif que ses dissidents. Paul Biya, le Président camerounais a tenu un discours clair sur sa position vis-à-vis du mouvement nationaliste de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Le 2 aout 2014, il déclarait, confiant et serein : « Si on a éradiqué les maquis, on est venu à bout des villes mortes, ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun. »
Puis, le but du mouvement nationaliste camerounais était d’instaurer un ordre politique nouveau, avec des acteurs et des pratiques complètement détachés de l’administration coloniale. C’est l’échec de ce mouvement révolutionnaire qui fut à l’origine de la constitution de ce que Florence Bernault appelle le « réservoir de politiciens » de l’État colonial tardif [9], auquel échut le pouvoir politique postcolonial et dont Paul Biya est, aujourd’hui, le dernier agent.
Au-delà des discours, il y a une autre difficulté qui n’est pas des moindres. Les meilleurs spécialistes de ce conflit, côté camerounais, sont plus proches d’être des adversaires du régime de Yaoundé que ses alliés.
Dans un Cameroun qui a mal à sa mémoire, où les archives nationales sont fermées pour travaux depuis plus de quatre années, où la mémoire du nationalisme et de ses acteurs reste en errance et surtout, où les acteurs de ladite guerre sont encore de grandes figures de l’État et du pouvoir, il y a lieu de douter qu’un tel travail ne soit infiltré par la rente politique. En tout cas, le soupçon est justifié dès lors que ce travail est de nature à porter atteinte à l’intégrité physique, morale, politique et réputationnelle de personnalités identifiables et solidement installées dans la hiérarchie et l’architecture politico-administratives nationales. Parce qu’il ne faut pas oublier que l’armée camerounaise prit le relais de l’armée française, transformant progressivement une guerre de la France au Cameroun en une guerre du Cameroun contre des Camerounais.
À cause de cette transformation du conflit, il s’est trouvé que des responsables de l’armée nationale aient été des Camerounais dont quelques-uns sont encore vivants après avoir fait de longues carrières. C’est ce qu’Emmanuel Macron a voulu dire en répondant à la question pointue du journaliste camerounais Georges Alain Boyomo, lorsqu’il parle de « l’implication de la France, le rôle aussi des autorités camerounaises de l’époque, avant et après les indépendances, dans un contexte où les choses sont sans doute plus complexes et mêlées que vous ne l’avez dit, mais avec une gravité et des responsabilités qu’il convient d’établir factuellement ». C’est pour cela également qu’il insiste, dans son discours, sur le caractère « conjoint » (trois occurrences en une minute) de la commission d’historiens. C’est déjà dire que la France refuse d’assumer seule ce passé. C’est donc ici, comme en Algérie, une annonce visant plus à confondre les acteurs et relais locaux des massacres qu’à établir une responsabilité de la France qui est déjà connue.
Au-delà de la mémoire et des mots, des corps en prison
La reconnaissance de la responsabilité de l’ancienne puissance occupante passe par l’adoption d’un répertoire grammatical pour nommer, de manière adéquate, ce qu’il s’est passé au Cameroun. « Génocide » ? « Crime contre l’humanité » à cause des massacres et bombardements au napalm ? Les mots justes sur ce conflit doivent être trouvés, définis et dits. On sait aujourd’hui toute la charge politique et géopolitique que comportent ces mots, les batailles et enjeux qu’ils sous-tendent. Nommer avec justesse ces événements historiques sera sans doute, la première étape de la reconnaissance ; et cela passe par une action concertée entre diplomatie et recherche historiographique sérieuses.
En l’état actuel des choses et pour les raisons déjà évoquées, il sera difficile de voir se constituer une action internationale camerounaise coordonnée en faveur de cette question. Une action judiciaire est déjà menée par un petit clan et traduit clairement l’absence de coordination au niveau national camerounais (voir la plainte des populations Fotouni sur Actu Cameroun). À la rigueur, l’action diplomatique devrait être précédée d’un important travail historiographique qui, à ce jour, au vu de la production et de l’intérêt des chercheurs des deux pays, n’est qu’à ses balbutiements tant l’objet est heuristiquement fécond. Et même si la commission Macron peut y donner un coup de boost et participer à sa stabilisation narrative, il reste qu’il y a des difficultés structurelles qu’elle ne règlera pas mais qui sont indispensables pour une production scientifique décomplexée.
Si les chercheurs résidant en France auront la primauté de l’accès aux archives, il reste à les intéresser à cette question ; ce qui est loin d’être gagné dans un pays où les Africanistes sont loin d’être les universitaires les plus en vue et les mieux financés, et où leur reconnaissance a souvent marché au côté de leur mort [10]. Du côté camerounais, la question du maquis, puisqu’elle est liée à l’indépendance, suscitera toujours intérêt et vocations. Mais il faudra que les chercheurs puissent circuler entre la France et le Cameroun. Or là est le problème, car en 20 ans, la France a perdu sa position monopolistique de première destination des universitaires camerounais au profit de l’Allemagne, ce qui s’accompagne d’un basculement des intérêts d’historiens et un regain d’intérêt pour la période coloniale précoce (1884-1916).
Comment ne pas voir que la production scientifique est profondément travaillée par les opportunités, destinations et facilité de mobilité des chercheurs. Et dans cette deuxième place qu’occupe désormais la France, il y a une Belgique qui devient progressivement une destination privilégiée. Combien de chercheurs se voient refuser des visas pour la France chaque année, alors qu’ils justifient de mandats de recherche et donnent des garanties de crédibilité sur la nature et les objectifs scientifiques de leur mobilité ? La géopolitique du visa reste un instrument, une barrière qui oblige les corps de chercheurs à rester prisonniers d’un espace clos, même lorsque leurs idées peuvent circuler à travers le monde. Est-ce que la commission Macron-Biya abordera cet aspect et résoudra ce problème crucial ?
Vive le marché !
L’annonce de Macron traduit aussi, quelque part, un échec des intellectuels à publiciser la guerre du Cameroun et susciter chez les politiques, une contrainte à légiférer dessus. Le fait que l’initiative vienne des politiciens fera forcément de ceux-ci les seuls véritables propriétaires (au sens de Joseph Gusfield) et bailleurs (et donc qui louent à qui ils veulent ou à qui leur fait allégeance) de cette question, et les metteurs en sens par excellence de la mémoire de la décolonisation du Cameroun.
Les historiens ont de tous temps été méfiants de cette « marché-publicisation » de l’histoire. En fait, que serait une histoire qui s’écrit à la commande des politiciens, en leur temps, selon leurs agendas et dans les modalités qu’ils ont eux-mêmes fixées ? Une telle histoire ne serait pas une public history, tous les historiens savent ce qu’elle est ; elle serait tout simplement une sorte de marché public, avec des appels d’offres, un code, une commande publique, des historiens adjudicataires, etc. « Pourquoi savoir la vérité sur le maquis camerounais ? » reste une question à laquelle il existe plusieurs réponses dont, aucune, jusqu’ici, n’est la réparation : la France d’Emmanuel Macron ne sait pas, pour le moment, demander pardon et réparer.
Brice Molo
Sociologue et historien, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales et à l’université de Yaoundé I
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