Page 1 sur 5

Aujourd’hui, je peux bomber mon torse, taper ma main droite sur ma poitrine et me vanter d’avoir été un des tiens. Nos relations étaient discrètes. Nous les avions voulues ainsi. De cette manière, nous étions efficaces.
Ce qui me chagrine, c’est la lourde charge que tu nous laisses. Souviens-toi de notre entretien, quelque temps après ma sortie de prison, au cœur de la nuit, à ton hôtel sis non loin de ce « machin » dénommé Elecam, visiblement érigé pour confisquer le vote des Camerounais épris de changement. Pendant plusieurs heures, nous avons parlé de tout : de la situation de notre pays, de celle de la presse, des fondés de pouvoir qui nous dirigent et nous tiennent captifs de nos instincts de conservation, de ceux qui aspirent à gouverner notre beau pays le Cameroun, de nos ennemis, de nos amis, de nos projets. Peut-être n’avais-je pas compris le sens de tes propos ce soir-là. Sept fois, tu avais répété : « nous ne devons pas lâcher ». Cinq fois tu avais dit : « Même si je ne suis pas là, vous devriez continuer le combat. C’est important pour nos enfants. C’est vital pour le Cameroun ». Pourquoi sept fois ? Pourquoi cinq fois ? Les spécialistes des mathématiques divines nous disent que 7 et 5 font 12 donc 3 qui, chez les chrétiens représente le Père, le Fils et Saint-Esprit qui, à leur tour, fusionnent dans l’Un (1). En Égypte ancienne ne disait-on pas que j’étais trois, je suis devenu Un? Voulais-tu m’indiquer la date fatidique ? Aujourd’hui je comprends, c’était ta façon de nous dire au revoir. Comme le laboureur et ses enfants, tu m’as invité à ton hôtel. Tu m’avais parlé sans témoin. Ni Momo, un de tes fidèles, qui m’avait amené au lieu du rendez-vous dans sa voiture et qui m’avait ramené chez moi tard dans la nuit, ni ton chauffeur n’étaient présents.
Le bal des caméléons que certains de tes ennemis organisent autour de ta dépouille nous fait sourire. D’aucuns vont même jusqu’à prendre leurs rêves pour des réalités. Ils affirment que désormais, ils vont dormir tranquillement parce que tu n’es plus. Mais, savent-ils seulement que tu n’es pas mort ? Qu’ils se le tiennent pour dit : Tu as tracé une « ligne de résistance ». Nous résisterons à « toute mutilation anthropologique », pour reprendre les mots de Fabien Eboussi Boulaga. Tu peux compter sur nous. Comme tu le sais, nous avons choisi de vivre libres dans un taudis en mangeant du pain que d’être esclaves dans un château en mangeant des gâteaux. Repose-toi en paix, Cher Ami.