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Livres Mali : Souveraineté désintégrée et privatisée

Mali : Souveraineté désintégrée et privatisée

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Lorsqu’on scrute l’actualité dans certains pays africains, en Guinée Conakry et au Mali, notamment, on peut dire, si on s’en tient aux discours des putschistes, que ces pays seraient avancés voire très développés, si on avait constitutionnalisé les coups d’État.
À l’observation et à l’épreuve des faits pourtant, si les coups d’État pouvaient apporter le développement, la bonne gouvernance, un État de droit et les institutions fortes, ces pays rythmés par des putschs depuis le début des indépendances, ne seraient pas classés parmi les plus pauvres du monde. Et ce mode d’accession à la magistrature suprême serait la voie royale privilégiée par/dans tous les pays et ne serait pas considéré comme étant antidémocratique.
Il est certes vrai que pour justifier leurs coups de force, les putschistes stigmatisent toujours les dérives et l’incurie des régimes renversés et promettent de doter le pays d’institutions fortes susceptibles de garantir le jeu démocratique, de nettoyer les écuries d’Augias afin de promouvoir la bonne gouvernance, le développement économique et social des peuples au nom desquels ils prétendent avoir pris le pouvoir.


Mais, force est de constater que dans les pays ayant fait l’amère expérience des coups d’État (excepté le Ghana), malgré leurs bonnes intentions et leurs promesses généralement faites du bout des lèvres, les nouveaux régimes qui prennent les rênes de l’État à la suite des transitions plus ou moins longues, plus ou moins réussies, les institutions ont toujours été, par la suite, détournées de leurs finalités et ont été mises au service d’un régime, d’une classe et d’un groupe d’individus qui les manipulent à souhait en vue de leur éternisation au pouvoir.
C’est donc à juste titre que partout dans le monde, les coups d’État sont décriés et proscrits comme mode d’accession au pouvoir d'Etat. Sur les ondes de Radio France Internationale (Rfi), Macky Sall, président de la République du Sénégal trouvait ce moyen inacceptable. « Nous ne pouvons pas accepter que dans cette partie de l’Afrique des militaires prennent le pouvoir par des armes. C’est inacceptable. Nous sommes en démocratie, et le pouvoir se conquiert par des élections. Des pays peuvent avoir ou traverser les crises, mais on ne peut pas faire l’apologie des coups d’État. Et le coup d’État n’est pas une solution », déclarait-il.

Problème des mentalités
C’est dire si le véritable problème qui se pose aux États africains est moins celui des institutions fortes que celui des mentalités des leaders, dirigeants et citoyens qui doivent d'abord, apprendre à respecter les institutions existantes tout en oeuvrant sans relâche pour leur perfectionnement, donc celui de la culture démocratique qui nécessite un travail d’éducation et de formation en profondeur, comme on peut le constater au fil des échecs démocratiques qui se sont traduits dans certains pays, depuis les indépendances, par une régularité des coups d’État.
Certes, on nous serinera une ancienne, éternelle et sentencieuse rengaine selon laquelle les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent, accablant ainsi les masses populations qui, simples dindons de la farce, pour la plupart, ignorent les jeux et les enjeux politico-économiques, géopolitiques et géostratégiques sous-jacents. Dans cette logique, les populations et citoyens maliens, pour ne citer que celles-là, qui assistent à la désintégration de la souveraineté de leur pays, mériteraient donc les dirigeants illégitimes qui arrivent au pouvoir, à intervalles réguliers, par des coups de force et qui, par des manœuvres cousues de fil blanc, sont en train de privatiser leur souveraineté en confiant leur sécurité (en réalité la sécurité des dirigeants et non celle de tous les Maliens) et un pan de leur économie à Wagner, une société de sécurité privée dont les droits de l’homme sont le cadet de leurs soucis et derrière laquelle se cache mal la Russie dont l’objectif non déclaré est de faire main basse sur des ressources naturelles de ce pays.
C’est dire que ce qui importe pour les putschistes au pouvoir à Bamako, c’est moins l’intérêt général du peuple malien qu’ils manipulent en surfant sur un sentiment nationaliste que leurs intérêts individuels égoïstes et leur désir de jouir le plus longtemps possible des délices du pouvoir. D’où les atermoiements, la recherche des boucs émissaires, la manipulation des populations, la propagande anti-forces étrangères, surtout antifrançaise, à travers les médias et réseaux sociaux soutenus en sous-main, vraisemblablement, par les services russes. Leur désir d’avoir une transition qui durera 6 ans 6 mois, c’est-à-dire une transition plus longue qu’un mandat présidentiel, si l’on s’en tient au projet de chronogramme sur les élections, transmis vendredi, 31 décembre 2021, au président de la République du Ghana et président en exercice de la Cédéao, est révélateur de leur volonté d’être le plus longtemps possible aux frais de la Princesse. Même s’ils s’en défendent en affirmant que ce projet n’est qu’une base de négociation, leurs manœuvres ne trompent plus grand-monde. Selon certains observateurs avertis de la scène politique malienne, ce chronogramme, autrement dit leur désir d’allonger la durée de la transition cache mal leur intention de jouer sur le temps pour fabriquer des marionnettes qui prendront leur place et garantiront leur impunité en maintenant les accords secrets qu’ils auront signés pendant cette trop longue période de transition avec les mercenaires russes qui agissent à travers des sociétés et entreprises minières écrans créées pour les besoins de la cause.

Mali, État souverain
Que l’on nous comprenne bien. Le Mali est un État souverain qui doit assurer sa sécurité et qui a la souveraineté sur ses choix de coopération. Il peut nouer des relations de coopération avec la Russie ou n’importe quel autre pays. Mais, tous les chefs d’État du Sahel et dont les pays sont confrontés depuis quelque temps au Terrorisme/Djihadiste et la plupart des dirigeants de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) soutiennent qu’il est certain que le choix d’une société de sécurité privée posera des problèmes et entraineront des conséquences. Selon Macky Sall « […] il est clair que l’apparition d’une société privée va compliquer la situation du Mali. Il appartient aux autorités de tenir compte des risques qui vont découler d’un tel choix. Et le risque, c’est de voir partir les forces françaises, et les forces européennes, de voir d’autres mesures prises, ce qui va entrainer une dégradation très grave de la situation dans le Sahel. Si les autorités maliennes veulent signer avec Wagner ou une autre société, nous constaterons qu’il y a une décision très grave qui a été prise et envisagerons dans cette situation quelles mesures prendre ». Le président sénégalais n’hésite d’ailleurs pas à dénoncer les manipulations et la propagande anti-forces étrangères à travers les médias et les réseaux sociaux. Réagissant à une question de Alain Foka lors du débat dominical organisé le 12 décembre 2021 par RFI sur La paix et la sécurité au Sahel, le président sénégalais stigmatisait les manipulations et la propagande organisées par les ennemis de la paix au Sahel. Macky Sall déclarait : « Il me semble que pour ce qui concerne le théâtre malien, il faut éviter de faire la propagande anti-forces étrangères. Ce n’est ni dans l’intérêt des Maliens ni dans celui de la sous-région. […] Si les forces étrangères quittent le Mali, la situation sera plus grave. Ce n’est ni dans l’intérêt des populations ni dans celui des pays du Sahel. Il y a beaucoup de manipulations dans les médias et les réseaux sociaux. Qui sont ceux qui poussent pour le retrait des forces occidentales au Mali et dans la sous-région ? Est-ce que ce sont réellement les populations ? Ou ce sont des gens qui sont manipulés et organisés pour que cette information circule et atteigne les populations. Je pars du principe qu’en 2012, n’eut été cette intervention des forces étrangères, on ne parlerait plus du Mali […] L’ampleur du problème est telle que la seule volonté des États africains ne suffit pas »
Son homologue Mohamed Bazoum, président du Niger dont le pays fait de plus en plus face aux attaques Djihhadistes était allé plus loin et dénoncait les manipulations et la logique du bouc émissaire. Le chef d’État nigérien mettait le doigt sur la plaie et affirmait:, « Il ne faut pas penser qu’il s’agit des populations au sens que l’on entend. Vous avez des groupes minoritaires, mais très actifs sur les réseaux sociaux. Je comprends la frustration, le désarroi et l’impatience des populations […] Regardez quelqu’un comme Zemmour en ce moment qui est en train de surfer sur une vague qui consiste à dire que le problème de la France c’est l’immigration. Tout le monde sait que c’est faux. Ce ne sont pas des arguments que l’on peut combattre par la raison. Parce que ceux qui croient en lui n’ont pas envie qu’on leur démontre le contraire. Aujourd’hui, nous sommes dans la même situation en Afrique de l’Ouest en rapport avec les armées étrangères. Comme cela ne marche pas, il y a un mal vivre en France aujourd’hui, il y a quelqu’un qui apporte une solution facile qui consiste à dire il faut chasser les Africains, les Arabes ou les étrangers (les immigrés) et vous aurez la paix. C’est la même chose en Afrique où vous avez une opinion qui a trouvé un bouc émissaire à travers ses forces étrangères et à qui on a expliqué que ce sont elles qui sont à la base du problème. Je leur dis que si ces forces étrangères partent, la situation se dégradera un peu plus, sinon beaucoup plus au Mali, en tout cas dans certains coins du Mali. Pour l’instant, ces forces étrangères sont la digue. Moi, je vous parle en connaissance de cause. Je sais ce que fait et ce que représente Barkhane à Gao. Si Barkhane n’est pas à Gao, la Minuma pliera bagage dans tout le nord du Mali. Donc le peu de contrôle que l’on a sur certaines villes totalement enclavées au Mali nous échappera. Par conséquent, nous serons dans une situation d’anomie totale, comme c’est le cas actuellement à la frontière entre le Niger et le Mali. Vous n’avez pas un seul poste frontalier qui est occupé par les Maliens. Par conséquent, il y a tout un espace très profond où se déploient ces terroristes à leur guise où ils ont asservi les populations, les ont soumises, leur dictent leurs lois, prélèvent des dimes sur elles, prennent leurs animaux et vivent du confort d’un rapport de force qui n’est pas appelé à changer tant qu’on n’aura pas les armées nationales. Il n’y aura que l’armée malienne reconstituée qui sera à mesure de combattre ces terroristes. Aujourd’hui l’urgence est que le Mali redevienne un État normal, recouvre son territoire, exerce son autorité et coopère avec le Niger, le Burkina comme nous coopérons avec le Burkina à notre frontière ».

Manipulations et logique du bouc-émissaire
Faut-il le souligner, dans une interview accordée au journal Le Monde, Choguel Maïga avait accusé la France d’avoir entraîné des groupes armés dans le nord du Mali après le déclenchement de l’opération « Serval » en 2013. Cette accusation était en droite ligne de la déclaration qu’il avait faite à l’ONU et selon laquelle la France avait abandonné le Mali. Dans une autre interview accordée à RIA-Novosti, le Premier ministre malien renchérissait en accusant la France de former les terroristes qu’elle prétend combattre : « Nous en avons la preuve. Il existe une expression dans notre langue qui dit que lorsque vous cherchez une aiguille dans votre chambre et que quelqu’un, censé vous aider dans la recherche, se tient sur cette aiguille, vous ne la trouverez jamais. C’est donc la situation qui se passe actuellement au Mali, et nous ne voulons pas le supporter », avait-il déclaré. Se fondant sur ces prises de position qualifiées de populistes par certains observateurs et dans leur tentative pour justifier la présence des mercenaires de Kremlin au Mali, certains parmi les manipulateurs, trouvaient en la France un bouc émissaire idéal et poussaient la manipulation et le cynisme trop loin en accusant les forces françaises et étrangères d’être des complices des djihadistes qu’ils soutiennent et alimentent.
La manipulation était d’autant plus évidente que les ennemis de la présence des forces françaises au Mali occultaient volontairement le fait que 52 citoyens français avaient perdus leur vie au Mali dans les combats contre le terrorisme. Affirmer donc que la France est complice des terroristes au Mali, c’est soutenir que le pays d’Emmanuel Macron a organisé l’assassinat de ses propres fils et filles. Ce qui est bien paradoxal. Selon un observateur avisé, « Les Français sont au Mali pour combattre les terroristes, parce que selon les accords de défense, il s'agit d'une attaque étrangère, mais ils ne sont pas là pour combattre les séparatistes du nord, car il s'agit là de problèmes internes au Mali pour lesquels ils n'ont aucun mandat...Ces gens du Bamako voudraient les voir combattre les séparatistes, parce que ce sont ceux qui sont les plus dangereux pour eux, ce que les troupes françaises ne font pas et qui les met en rage. Mais il serait bien que l'armée française s'en aille carrément du Mali, les séparatistes ne mettront pas plus de 15 jours pour parvenir à Bamako, et on n'entendrait plus parler de ces gens ». Un autre de renchérir, « Ce n’est pas Wagner qui viendra lutter contre les séparatistes du nord du Mali, l’unique objectif de l’armée secrète de Poutine étant les richesses du sous-sol malien »
Sachant pertinemment que  plusieurs pays africains ont un contentieux historique avec la France, certains acteurs politiques maliens, et de certains pays dits francophones d’Afrique, ont décidé d'instrumentaliser ce contentieux historique pour manipuler les masses populaires. Dans le cas malien, en surfant sur le sentiment national, leur objectif est de reléguer au second plan ou d’éluder la question de la légitimité des autorités de la transition, donc du bien-fondé des coups d’Etat, par conséquent de l'organisation des élections qui permettraient le retour à l'ordre constitutionnel. On comprend pourquoi ils versent trop facilement dans l’idéologie en recherchant un bouc émissaire facile qui leur permet d’avoir bonne conscience et de justifier leurs propres turpitudes. Agissant ainsi, ils tentent de faire accroitre, c’est-à-dire de faire croire la fausseté ridicule selon laquelle le coup d’Etat qui avait renversé le gouvernement légitime dirigé par Ibrahim Boubacar Keita (IBK, décédé le 16 janvier 2021 à Bamako, peut-être à la grande satisfaction des putschistes) avait été perpétré pour « chasser » la France au pouvoir à Bamako. A les écouter, on dirait que c’est la France qui est responsable du l’absence d'eau potable, d'électricité, de voiries, d'écoles, de dispensaires et d'hôpitaux, de route, etc. Pour eux, si la gouvernance est catastrophique, si les élections sont peu transparentes et les processus électoraux confisqués...Si les manifestations publiques pacifiques sont réprimées dans le sang, si les leaders politiques et/ou d'opinion sont condamnés à de très lourdes peines de prisons dans certains pays, c'est la faute à la France. Pourtant, les Africains, du moins ceux des pays dits francophones, assument une part de responsabilité dans ce qui leur arrive. Mongo Beti, dans Ville cruelle, ne croyait pas si bien dire quand il écrivait : « Vois-tu, fils, chaque fois qu’il t’arrive un malheur, cherches-en la cause en toi-même, d’abord en toi-même. Nous portons en nous-mêmes la cause de nos malheurs ». Et les malheurs du Mali, ce sont les putschs à répétition et ceux qui les soutiennent.
Le dixième chef d’État de l’histoire du Niger indépendant, Mohamed Bazoum n’avait pas mis de gants, dans une déclaration publiée le 9 juillet 2021, pour condamner le putsch survenu au Mali. Selon lui, « il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires au front […] ni que des colonels deviennent des ministres ou des chefs d’État ». Plus tard, il rafraichira dans Jeune Afrique, du mois de novembre 2021, la mémoire de ceux qui ont la mémoire courte avant de leur donner un avertissement à peine voilé. « Nous n’avons pas attendu les deux coups d’État de Bamako pour nous exprimer sur le Mali. Le nord du Mali, c’est le nord du Niger, en ce sens qu’aucun autre pays que le nôtre n’est autant affecté par ce qui s’y passe. C’est pourquoi, en 2012, nous avons été intransigeants et particulièrement actifs contre la tentative de sécession de cette région revendiquée par certains Maliens. En 2014, j’ai été la seule personnalité présente à la conférence d’Alger, en tant que ministre des Affaires étrangères de mon pays, à m’opposer à l’article 6 de l’Accord d’Alger, qui prévoyait que les assemblées régionales du Mali et leurs présidents seraient élus au suffrage universel direct. J’avais interpellé la délégation malienne en lui demandant de bien réfléchir à cette disposition, que j’estimais inapplicable. Je n’ai pas été suivi, et si aujourd’hui l’Accord d’Alger rencontre les difficultés que l’on sait, c’est à cause de cela. Vous connaissez également les préoccupations que le président Issoufou a exprimées par la suite, s’agissant de Kidal. Notre attitude vis-à-vis du Mali est à la fois singulière, responsable, conséquente et honnête, dans l’intérêt de nos deux peuples. C’est en vertu de cette éthique que nous disons aux dirigeants de ce pays qu’ils se trompent de voie en s’isolant, en remettant en cause leurs alliances et en faisant fi de l’agenda que leur a conseillé la Cedeao. Si ceux qui nous insultent aujourd’hui, depuis Bamako, pensent qu’ils sont sur le bon chemin, grand bien leur fasse. Je suis pour ma part convaincu que les jeunes officiers actuellement au pouvoir ont tout intérêt à organiser rapidement des élections afin que nous puissions faire face, ensemble, aux vrais problèmes de la région. Ils ont tout intérêt à nous écouter, nous, Nigériens, qui leur avons témoigné notre fraternité dans leur pays était menacé de sécession », rappelle-t-il.

Wagner, l'armée secrête de Poutine
Les nouvelles autorités illégitimes maliennes se raviseront-elles et prendront-elles conscience du caractère suicidaire de leur démarche ? Prêteront-elles une oreille attentive aux conseils, suggestions et avertissements des chefs d’État de la Cedeao qui viennent de durcir et d’alourdir les sanctions contre ce pays très pauvre, et qui, en novembre 2021, avaient déjà donné le ton en prenant des sanctions contre des membres du gouvernement et du Conseil national de la transition et leur avaient interdit de voyager dans l'espace Cédéao, et avaient gelé leurs avoirs ?
Rien n’est moins sûr, même si Choguel Maïga avait, dans le journal Le Monde du 18 octobre 2021, refusé de parler de divorce entre le Mali et la France en déclarant : : « Il peut y avoir des scènes de ménage, mais je ne crois pas beaucoup au divorce. Malgré tout ce qui se dit, je ne crois pas qu’une rupture des liens militaires avec la France soit pour demain. Sur le plan politique, économique et sécuritaire, trop de choses lient le Mali et la France pour qu’une équipe en précampagne, sur un coup de tête ou une saute d’humeur, vienne tout remettre en cause. Nous avons décidé de n’insulter ni le passé ni le présent, encore moins l’avenir. Il nous reste encore beaucoup de choses à faire ensemble. »
Cette déclaration du Premier ministre malien laissait penser qu’il voulait arrondir les angles en évitant de heurter les susceptibilités de ses partenaires occidentaux, dont la France, partenaire de longue date, dont le sang de ses fils a été versé pour sauver le Mali. Cependant, les observateurs avertis avaient été étonnés de constater que quelques jours après, le 29 octobre 2021, des autorités maliennes de la transition avaient cautionné et encouragé l’organisation d’une manifestation pro-gouvermentale où les drapeaux russes côtoyaient les drapeaux maliens et où les manifestants brandissaient des pancartes et affiches avec des messages et slogans hostiles à la France et à la force Barkhane, mais favorables à la Russie. On pouvait d’ailleurs y lire : « Dégage la France », « Vivement la venue des Russes. Mot d’ordre des Maliens ». Quand on sait que le mouvement Yerewolo-Debout Sur les rempart, relais de la propagande de wagner, à l’initiative de cette manifestation n’a jamais caché son hostilité à la présence française au Mali et sa préférence pour la Russie ; quand on sait que des personnalités de premier plan membres de Yarewolo sont aussi membres du Conseil national de transition (CNT) et que d’autres membres du CNT ont pris activement part à cette manifestation, on est en droit de s’interroger sur la sincérité de Choguel Maiga quand il qualifiait cette déferlante antifrançaise et antiforces étrangères comme de simples « scènes de ménage ».
Même s’il est difficile de prouver que la main de la Russie se trouve derrière ces manifestations antifrançaises, il reste constant que « depuis le sommet de Sotchi, Moscou a lancé une vaste campagne de recrutement par le biais d’outils soft power appartenant au réseau Prigojine, l’ami de Poutine. Celui-ci organise régulièrement des conférences et des séminaires avec les leaders d’opinion prorusses. Des rencontres souvent pilotées par des institutions telles que l’Association for Free Research and International Corporation (Afric) ou la Fondation de la protection des valeurs nationales. Lors de ces séminaires, il n’est pas rare d’apercevoir des figures de proue de la lutte contre la Françafrique, au premier rang desquelles l’activiste Kémi Séba », note Jeune Afrique dans son édition de décembre 2021.

Les Masques tombent
Selon certaines sources généralement bien informées, comme en République centrafricaine (RCA) où l’entrisme de la Russie dans les prises de décision à Bangui est évident et où le groupe russe Wagner contrôlerait une partie des forces de défense et de sécurité (selon le rapport du Service européen d’action extérieure), des officines de la communication antifrançaises et anti-forces étrangères, qui agissent par effet de loupe dans les réseaux sociaux, sont à la manœuvre. Elles alimentent aussi certains médias, des sites Internet et les réseaux sociaux en contenus favorables aux intérêts du couple russo-malien.
L’Union européenne avait trouvé « un consensus » parmi ses 27 États membres pour infliger des sanctions contre le groupe wagner. Ces sanctions couplées à celles déjà prises par la Cedeao pouvaient-elles avoir des effets sur les responsables de la junte militaire au pouvoir à Bamako ? Non, évidement. Toujours est-il que la visite annulée d’Emmanuel Macron à Bamako qui devait avoir lieu le lundi 20 décembre 2021 mettait en évidence l’existence des tensions et des divergences profondes de fond, lesquelles, au-delà du langage diplomatique et des justifications de cette annulation, semblaient être la présence effective sur le sol malien des éléments du groupe wagner, les premiers, selon certaines sources, étant arrivés le 22 novembre 2021.
C’est visiblement ce qui avait poussé, quinze pays occidentaux (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, France, Italie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède) dont le Canada (hors d’Europe), impliqués directement ou indirectement dans la lutte anti-jihadiste au Sahel, à condamner, à l’unanimité, le déploiement de mercenaires de la société russe Wagner appuyé en sous-main par le gouvernement russe qui lui apporte un soutien matériel nécessaire à son déploiement au Mali. Les quinze pays signataires du communiqué commun dénoncaient le choix des autorités maliennes d'utiliser les maigres ressources du pays pour rémunérer les mercenaires russes.
Évidemment, les mercenaires de Wagner ne sont pas là pour les beaux yeux des Maliens. Il n’y a pas longtemps, des géologues russes de ce groupe étaient descendus sur le terrain malien pour estimer les gisements aurifères. Selon certaines sources citées par Rfi, Wagner demanderait à la junte malienne cent millions d'euros par an pour intervenir, autrement dit, faut-il le rappeler, pour assurer la sécurité de la transition en cours et non celle du peuple malien. Certains observateurs avancaient la somme de 10 millions d'euros mensuels ainsi que la gestion de certains sites pour la venue du groupe au Mali. Wagner pourrait également, comme à son habitude et comme en Centrafrique, se faire payer en nature, en se camouflant derrière des entreprises d’exploitation minières ou autres créées et enregistrées pour les besoins de la cause. L'ex-directeur général de Fraternité matin, Venance Konan cité par AfrikSoir, n'avait pas hésité de s'en prendre vertement aux dirigeants de la junte au pouvoir au Mali. Il s'intérroge: «Honnêtement, les Maliens ont-ils besoin de donner six millards de francs CFA par mois, plus deux mines d'or à des mercenaires russes pour former leurs soldats? Il n'ont pas d'officiers capables de faire cette formation? Ils ne pouvaient pas en trouver dans la région? Il ne peuvent pas acheter des armes avec tout cet argent qu'ils s'apprêtent à donner aux mercenaires? Et tout ce que nous détournons de nos caisses pour aller placer dans des paradis fiscaux loin de notre continent.»
A la suite la dénonciation faites par les quinze pays occidentaux et le Canada, les responsables de la transition malienne avait fait lire, le 24 décembre 2021, à la télévision nationale un communiqué qui répondait aux dénonciations et condamnations faites la veille. Selon ce communiqué, « Le gouvernement de la République du Mali prend acte du Communiqué conjoint de certains partenaires publiés sur les réseaux sociaux en date du 23 décembre 2021 relatifs au prétendu déploiement des éléments d’une société de sécurité privée au Mali » : il rejette ces accusations qu’il qualifie de « allégations » face auxquelles « il apporte un démenti formel à ces allégations sans fondement et exige que les preuves lui soient apportées par des sources indépendantes »
Les autorités illégitimes de la transition malienne laissaient tomber les masques en reconnaissant, en même temps, la présence de formateurs russes sur leur territoire, et en affirmant s’être engagé, au nom de la souveraineté de l’Etat malien, « dans un partenariat d’État à État avec la Fédération de Russie » dans l’optique de renforcer « les capacités » des forces de défenses de l’État malien, aux côtés, précisons-le, de la mission de formation de l’Union européenne (EUTM). Depuis lors, leur ligne de défense n'a pas varié. Choguel Maïga continue de démentir les « rumeurs »  et estime qu'ils sont victimes de « la guerre psychologique et l’intoxication [qui] ne peuvent pas [les] perturber » Pourtant, dans une interviex exclusise accordée  20 janvier 2022 à Voice of America (VOA), le General Stephen Townsend, Commandant de U.S. Africa Command (US Africom), affirme « Wagner (Group) is in Mali. They are there, we think, numbering several hundred now ». Et d’ajouter, « Russian air force airplanes are delivering them. The world can see this happening, so it's a great concern to us » (« Wagner (Groupe) est au Mali. Ils sont là, pensons-nous, au nombre de plusieurs centaines maintenant ». Et d'ajouter, « Les avions de l'armée de l'air russe sont en train de les livrer. Le monde peut voir cela se produire, c'est donc une grande préoccupation pour nous », traduction de la rédaction)). Régissant à cette sortie du Général Stephen Townsend, lors d'une interview exclusive accordée à Rfi/France 24, le 2 janvier 2022, Abdoulaye Diop, chef de la diplomatie du Mali qualifie de «mensonge» les déclarations du Commandant de US Africom. Le diplomate malien précise:  « Encore une fois je ne suis plus impressionné. Vous savez, c’est la même Amérique, notamment à travers Collins Powell, qui au Conseil de sécurité des Nations unies a montré les photos satellitaires et les preuves au monde entier qui nous ont tous convaincus que l’Irak dispose d’armes de destruction massives. La suite de l’histoire, vous la connaissez. Elle était totalement fausse [Ce qu’il dit Mali est] exactement un mensonge.  C’est que je peux vous dire et que nous avons dit de façon constante, est que le gouvernement du Mali a fait un communiqué absolument très clair sur la question. La coopération avec la Russie est une coopération historique. Notre coopération avec la Russie est une coopération d’Etat à État. Le Mali ne s’adresse qu’au gouvernement russe qui répond à nos sollicitations avec une grande célérité et une grande efficacité. Les sept derniers mois, les équipements et les fournitures qui ont été acquis via cette coopération n’ont jamais été faits au cours des 15 ou 20 dernières années. Le problème du Mali n’est pas wagner. Le problème du Mali est d’apporter la sécurité aux Maliens et aux Maliennes.»

Lors d’une conférence de presse conjointement organisée au Kremlin, le 07 février 2022, par Emmanuel Macron et Valdimir Poutine, ce dernier, répondant à une question d’un journalisme, bat en brèche les affirmations de Abdoulaye Diop, et déclare que son pays et son gouvernement n’ont rien à voir avec les entreprises privées qui opèrent au Mali. « En premier lieu, en ce qui concerne le Mali, Monsieur le Président m’a plusieurs fois posé cette question. Nous en avons discuté. Monsieur le président connait parfaitement notre position, celle du gouvernement russe. La Fédération russe n’a rien à voir avec les entreprises militaires privées qui opèrent au Mali. Autant que nous sachions, il n’y a pas eu de remarques sur les opérations de telles sociétés […] Je voudrais souligner encore une fois de plus lors de cette conférence que le gouvernement russe n’a rien à voir avec ceux-là. Il y a des intérêts commerciaux de nos entreprises qui se mettent d’accord avec le gouvernement malien. Nous allons voir ce problème de près. Mais, encore une fois, nous n’avons rien à voir avec ceux-là », affirme Vladimir Poutine avec insistance.

Entêtement suicidaire
Manifestement, malgré les mises en garde, les menaces de retrait des forces étrangères, les lourdes sanctions économiques financières, individuelles qui risquent de plonger le pays dans une asphyxie monétaire et financière, les autorités de la transition malienne font la sourde oreille et choisissent le bras de fer, franchissant allègrement la ligne rouge, en tentant de placer les partenaires maliens, dont la France, impliqués dans la lutte contre le djihadisme au Sahel dans une situation batarde (presque) identique à celle de la Centrafrique.
Indéniablement, la ficelle d’un rallongement de la durée de la transition était trop grosse pour laisser la Cedeao indifférente. Celle-ci n’a pas supporté les manœuvres et la provocation de la junte au pouvoir à Bamako qui avait pris des engagements d’organiser les élections au plus tard le 27 février 2022. Leur désir de rester les plus longtemps possible au pouvoir, jusqu’en 2027, a suscité l’irritation de la Cedeao qui n’a pas hésité de sortir son arme fatale en décidant de renforcer les sanctions et en frappant là où cela fait le plus mal. Tous les ambassadeurs des pays de la Cedeao présents à Bamako ont ainsi été rappelés dans leur pays. Les frontières terrestres et aériennes entre les pays de Cedeao et la Mali ont été fermées, à l’excepté des produits de première nécessité, les produits médicaux, l’essence et l’électricité. Les avoirs financiers dans les banques centrales et commerciales ont été gelés de sorte que le Mali, qui appartient à la zone franc et dont les réserves de change se trouvent à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, n’aura plus accès à son propre compte.

Après les lourdes sanctions infligées au Mali par la Cedeao, tous les partenaires du Mali, dont l’Union européenne qui souhaite poursuivre ses missions militaires de formation au Mali mais « pas à n'importe quel prix », et les pays voisins estiment qu’une transition de 5 ans est inacceptable.
L’Algérie, par la voix de son président, Abdelmadjid Tebboune attire l’attention des autorités de la transition malienne sur les conséquences politiques, sécuritaires et économiques que peut avoir une transition top longue. Il estime « raisonnable et justifiable une période ferme de 12 à 16 mois ».
Le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres ne dit pas autre chose quand, le 13 janvier 2022, il estime qu’il « est absolument essentiel que le gouvernement malien présente un calendrier acceptable du point de vue des élections ». Avant de rappeler que si « un calendrier acceptable est présenté et si le gouvernement prend des mesures dans cette direction, il y aura une levée progressive des sanctions », par la Cedeao. Enfin, affirme-t-il, « Je travaille avec la Cédéao et l'Union africaine pour créer les conditions qui puissent permettre au gouvernement du Mali d'adopter une position raisonnable et acceptable pour accélérer une transition qui dure déjà depuis longtemps », ce qui permettrait « un rétablissement de la normalité dans les relations entre cet État et la communauté internationale, la Cédéao en particulier ».

Dans le communiqué rédigé à l’issue de la 1057e réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) tenue le 14 janvier 2022, sur la situation au Mali, rendu public le 21 janvier 2022, l’Union Africaine « fait sien le Communiqué du 4e Sommet extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement de l'Autorité de la CEDEAO, qui s'est tenu le 9 janvier 2022 à Accra, Ghana, et qui, entre autres, a imposé des sanctions économiques et financières supplémentaires à l'encontre du Mali » . Le CPS « rejette fermement le calendrier soumis au Médiateur de la CEDEAO par les Autorités de la Transition malienne prévoyant la tenue des élections présidentielles avant la fin du mois de décembre 2025, fixant la durée de la transition à une période de cinq ans et demi, ce qui constitue un allongement indu du processus de transition au Mali ; et souligne que ceci est considéré comme inconstitutionnel, inadmissible, inapproprié et constitue une grave obstruction au processus démocratique dans le pays » Il s’aligne sur les propositions  faite par l’Algérie et estime que ce délai de 16 mois maximun avant l’organisation des élections présidentielle et législatives est « approprié et réalisation ». L'Union africaine «condamne la poursuite de l'arrestation et de l'emprisonnement illégal de personnalités politiques et d'anciens dirigeants maliens par les autorités de transition et exige leur libération inconditionnelle, la protection de leurs droits humains inaliénables et, chaque fois que cela est nécessaire, la mise en place d'un processus judiciaire pour ceux qui sont accusés de délits conformément aux lois du pays.»
Pendant ce temps, les putschistes maliens, tout en affirmant qu’ils restent ouverts à la poursuite des discussions avec la Cedeao, se sont lancés à la recherche d’une légitimité introuvable à travers l’instrumentalisation et la mobilisation de la rue, oubliant où faisant semblant d’oublier qu’en démocratie, la volonté populaire s’exprime dans les urnes. Autrement dit, les autorités d’un pays tirent leur légitimité des élections et non des coups d’Etat, des manifestations publiques et des mobilisations populaires.

Nonobstant ces initiatives en faveur du retour dans de très brefs délais à l'ordre constitutionnel, malgré de lourdes sanctions infligées à ce pays très pauvre et qualifiées « d’illégales » et «d'illégitimes » par les autorités de la transition malienne, celles-ci continuent de faire des déclarations risibles comme si les coups d’État perpétrés par la junte au pouvoir contre le peuple malien et ses institutions étaient légaux et légitimes. Elles annoncent la relecture des accords de défense qu’elles jugent « déséquilibrés », le dépôt d’une plainte devant les institutions sous-régionales, africaines et internationales, contre lesdites sanctions. Elles estiment que la Cedeao se trompe quand elle ramène tout aux élections qui ne sont « pas une fin en soi ». Selon Choguel Maïga, dans une interview accordée à la télévision malienne, il y a une nécessité de réformer avant d’aller aux élections, compte tenu des maux dont le pays souffre : élections contestées, corruption, détournement d’argent public, impunité, insécurité. Ce faisant, le Premier ministre malien reste muet sur les garanties qu’offriront ces réformes pour lutter efficacement contre ces maux. Il s’abstient de dire si ces réformes empêcheront à l’avenir des coups d’État.

Il s’agit, selon certains analystes, d’une simple fuite en avant, car l’histoire du Mali nous enseigne qu’après le changement sanglant survenu au cours des émeutes de janvier et mars 1991 qui avaient fait 219 morts et 917 blessés, selon les décomptes de l’Association malienne des droits de l’Homme, les autorités maliennes ont procédé à de nombreuses réformes, organisé de multiples assises, signé des accords pour la paix, la stabilité et l'intégrité terriroriale, sans que cela empêche les coups d’État qui surviennent à intervalles presque réguliers, soit cinq (5) coups d'Etat depuis le début des indépendances. Sans oublier le fait que depuis 2012, il y a déjà eu à la tête de l'Etat malien six (6) chefs d'Etat sans que ces maux soient irradiqués et sans que la stabilité des institutions soit assurée et  garantie.

Jean-Bosco Talla

Bibliographie indicative
- Pierre Franklin Tavarres, "Désintégration des souveraineté nationales. Pourquoi tous ces coups d’Etat en Afrique", in Le Monde diplomatique, janvier 2004
- Anatole Ayissi, "Crises et rebellions dans le pré-carré français. Ordre militaire et désordre politique en Afrique", in Le Monde diplomatique, janvier 2003
- Achille Mbembe, "Entre coups d’Etat, élections reportées et mouvements sociaux", in Le Monde diplomatique, octobre 2000
- Jacque Delcroze, "Effondrement et rêves démocratique au Mali", in Le Monde diplomatique, septembre 2012
- Philippe Leymarie, "Conséquence de la guerre en Lybie. Comment le Sahel est devenu une poudrière", in Le Monde diplomatique, avril 2012
- Jacques Fontaine, Addi Lahouari, Ahmed Henni, "Crise malienne : quelques clefs pour comprendre", in Confluences Méditerranée, 2013/2
- RFI
- Le Monde
- Jeune Afrique
- Afrique Asie, juin 2015
- Politique Africaine n°47, n°130
- Afrique contemporaine n° 242
- Manière de voir nos 92,112, 116, 122, 143

General Stephen Townsend, the commander of U.S. Africa Command (US Africom),