S’ils ne prennent garde, s’ils ne transcendent pas leur égoïsme, leurs querelles de clocher, leurs clivages politiques et idéologiques et ouvrent incessamment des concertations en vue de la formation de coalitions électorales, les partis politiques de l’opposition iront une fois de plus à l’abattoir électoral le 9 février 2020. Alerte !!!
Maurice Kamto sera-t-il candidat à un poste électif lors des prochaines élections ? Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) prendra-t-il part aux élections législatives et municipales du 9 février 2020 ? Ces questions étaient sur les lèvres de nombreux observateurs, après la convocation, par le président de la République, Paul Biya, du corps électoral pour le dimanche 9 février 2020 à l’effet d’élire les députés à l’Assemblée nationale et des conseillers municipaux.
S’il est clair aujourd’hui que Maurice Kamto ne sera pas candidat, si on s’en tient aux propos du secrétaire général du MRC, Christopher Ndong, pour la formation politique qu’il dirige, il est évident que le MRC prendra part à ces élections. Selon le SG du MRC, la décision d’aller aux élections allait de soi.
Elle ne signifie en rien une légitimation du pouvoir en place. « Le MRC ira aux élections. Comment peut-on penser que le président Kamto sera candidat à un poste électif lors de ces élections ? Cela n’a pas de sens qu’il soit candidat à la présidentielle et qu’il revienne se présenter comme candidat pour être député et/ou conseiller municipal. Et la participation du MRC à ces élections ne vient pas légitimer le pouvoir de Paul Biya, qui est de fait président de la République. Cela n’efface pas le fait qu’il y a eu hold-up électoral lors de la présidentielle du 7 octobre 2018. J’ai l’impression que vous voulez nous inciter au boycott. Que gagnons-nous en boycottant ces élections ? Rien du tout. Si nous boycottons, l’adversaire récupèrera tous les sièges et nous n’aurons plus qu’à continuer à subir.»
Choix cornélien
Cette position rejoint celle de Pacome Tiojio, militant du MRC qui estime que cette formation politique qui est devenue réaliste ne peut pas passer tout son temps à contester. Selon lui, leur parti politique « veut éviter le piège que lui tend le pouvoir en place, même si cela peut donner l’impression ou être perçu comme une façon de reconnaitre la légitimé du président de la République. Cela arrangerait le RDPC que le MRC ne prenne pas part à ces élections. Mais, il ne faudrait pas commettre l’erreur de laisser un boulevard au RDPC lui permettant de remporter tous les sièges de député à l’Assemblée nationale et de conseillers municipaux, ce qui signifierait notre mort politique […] Maurice Kamto n’a pas intérêt à se présenter à ces élections. Et pour être honnête et objectif, son avenir politique me semble être derrière lui, sa page étant en train d’être tournée au sein du MRC. Il ne pourra plus être candidat à une élection. Il a mené une bataille qu’il a perdue. Pour moi, il doit rester à la tête du parti pour encadrer les jeunes et leur montrer qu’aucun combat n’est gagnée d’avance. »
Ces propos montrent qu’au sein du MRC, tirant les leçons de leurs échecs à la présidentielle de 2018 et surtout des revendications « mal pensées et mal conduites » et ayant conduit en prison certains parmi eux dont leurs leaders Maurice Kamto, Alain Fogué, Me Docki et Mamadou Mota, la politique politicienne fait de plus en plus place au réalisme politique, selon certains observateurs, D’ailleurs le MRC avait-il le choix ?
« Le MRC ne pouvait pas faire autrement. Il ne pouvait que prendre part à ces élections, s’il veut continuer d’exister sur la scène politique camerounaise. C’était là le piège tendu par le pouvoir. La survie de ce parti politique dépendait ainsi de la manière dont ses dirigeants devaient éviter ce traquenard. Un adage dit que les absents ont toujours tort. Cela est d’autant plus vrai que, si le MRC ne prend pas part aux élections à venir, cela signifie que ce parti n’aura aucun élu, donc qu’il ne pourra par présenter un candidat à la prochaine présidentielle normalement prévue pour 2025, mais qui peut être anticipée. Ses dirigeants ont fait un choix judicieux et réaliste d’y prendre part en présentant les candidats dans les différentes circonscriptions électorales. », souligne un analyste politique.
Jean Robert Wafo, ministre de la communication du Shadow cabinet du Social Democratic Front (SDF) ne disait pas autre chose, le 16 novembre 2019, sur le plateau de la télévision Equinoxe au cours de son émission dominical Droit de réponse, quand il indiquait le piège tendu au SDF en particulier, et à l’ensemble des partis politiques dits de l’opposition, en général. Selon le ministre du shadow cabinet « Le Sdf n’a jamais dit qu’il ne participera pas aux élections. Il a toujours dit qu’il est souhaitable que les recommandations du Grand Dialogue national soit actées avant toutes initiatives électorales. […] Le SDF ira aux élections pour éviter la politique de l’embuscade du parti régnant à Yaoundé. Parce que voyez-vous, le président a convoqué ces élections pour nous mettre hors-jeu de la prochaine présidentielle. Car pour être candidat à la prochaine présidentielle, il faudrait avoir au moins un élu. Le mandat des sénateurs s’achève en 2023. La prochaine présidentielle aura lieu en 2025. Cela veut dire que si nous n’allons pas à ces élections, nous n’aurons pas d’élus et le parti ne pourra pas présenter un candidat à la présidentielle. C’est suicidaire pour un parti politique dont l’ambition est de conquérir le pouvoir. […] Un statut spécial a été recommandé lors du Grand Dialogue national. Si nous ne prenons pas part aux élections à venir, quand le projet de loi arrivera au Parlement, le RDPC sera seul et se parlera à lui-même. Et même si ce statut spécial arrive après ces élections, puisqu’il faudra les implémenter dans les conseils régionaux et les communes, le RDPC sera encore seul à le faire. Nous ne pouvons pas, parce que nous nous sommes battus pour que les choses avancent, ne plus être là au moment où il faut implémenter »
Poids politique et leader de l’opposition
Tous les observateurs s’accordent à dire que les prochaines élections permettront de déterminer le poids politique de chaque formation politique, mais aussi et surtout, de déterminer, avec les législatives, le leader de l’opposition camerounaise. « D’aucuns ont pensé à tort qu’il suffisait d’arriver deuxième à une élection présidentielle pour être déclaré leader de l’opposition. Si tel avait été le cas, Henri Hogbe Nlend arrivé deuxième à la présidentielle de 1997 aurait été déclaré leader de l’opposition camerounaise. Des exemples comme ceux-ci sont légion, notamment en France où Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine Le Pen et leur partie Le Front national devenu Rassemblement national sont souvent arrivés deuxième aux élections présidentielles sans jamais être déclarés leader de l’opposition dans ce pays. Le MRC et le SDF devront cravacher fort pour cette place de leader de l’opposition camerounaise », souligne Anatole Antoine Biroma, analyste politique.
Aux yeux de certains militants et sympathisants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), la convocation du corps électoral n’est pas un piège tendu à qui qui ce soit. « Nous ne pouvons pas dire que la convocation du corps électoral est un piège tendu à nos adversaires. Le président de la République, président national de notre parti, est légaliste. Il a juste respecté la légalité. Bien plus, c’est de bonne guerre que ceux qui sont mal préparés, mal organisés y voient un piège et versent dans les jérémiades et la surenchère politique. Nous allons nous organiser pour avoir le maximum de députés et de conseillers municipaux, pour plus tard contrôler le maximum de régions », affirme Ntsama Emmanuel, militant de base du RDPC.
Toujours est-il que si ce n’est pas un piège tendu aux partis de l’opposition, cela y ressemble étrangement, rétorque un militant de l’Union démocratique du Cameroun (UDC).
Reste à savoir comment, après avoir exclu l’idée du boycott, les partis politiques de l’opposition peuvent faire pour éviter de tomber dans ce piège et essayer de rééquilibrer les forces politiques à l’Assemblée nationale et dans les conseils municipaux.
De la parole aux actes
La solution, souligne un observateur averti, se trouve dans la mutualisation des forces, des moyens matériels et humains aussi bien pour l’observation des scrutins que pour le contrôle et le suivi de tout le processus électoral. « Les formations politiques de l’opposition doivent transcender leur égoïsme, leurs querelles de clocher, leurs clivages politiques et idéologiques et ouvrir incessamment des concertations et des négociations en vue d’opérer des choix tactiques leur permettant d’éviter qu’ils se présentent en rangs dispersés face au RDPC dans certaines circonscriptions électorales. Ces choix tactiques sont la formation des coalitions circonstancielles dans des circonscriptions qu’ils auront identifiées, comme l’UDC et le Mouvement progressiste (MP) avaient fait à Douala et qui avait conduit à l’entrée en 2007 de Jean Jacques Ekindi à l’Assemblée nationale. ». Le parti camerounais pour la réconciliation national (PCRN) et son leader Cabral Libii et l’UDC l’ont compris et ont annoncé une coalition en vue de la conquête des sièges de députés dans Wouri 1er. Cabral Libii écrit à ce sujet : « Pour les 3 sièges de Wouri 1er, le PCRN mutualise avec l’UDC. Nous aurons donc une liste commune sous la bannière de l’UDC portée par Monsieur Sam Mbaka, vice-président de l’UDC. ». Une belle leçon d’humilité, d’intelligence tactiques et politiques que les autres formations politiques de l’opposition devraient suivre. Jean Robert Wafo, lors de l’émission sus-citée avait d’ailleurs reconnu la pertinence de la mutualisation des forces politiques, lui qui avait affirmé que « compte tenu des circonstances exceptionnelles, il faudrait que les partis politiques de l’opposition se mutualisent, car il est temps de taire les égos ».
C’est bien, lance un observateur, de reconnaitre l’importance des coalitions qui sont des configurations au sein desquelles les organisations et les acteurs conservent leur autonomie doctrinale et idéologique, mais essayent et décident, en tenant compte d’un certain nombre de paramètres et de problèmes, de se mettre ensemble, d’inventer des manières d’agir afin d’influencer l’échange et l’agenda politiques global, dans un sens et dans un autre.
La formation des coalitions électorales est d’autant plus nécessaire que, face à un adversaire déloyal, faute de moyens financiers et faute d’implantation nationale sur le terrain, aucun parti de l’opposition n’est capable de présenter les listes dans les 360 communes et dans les 58 départements que compte le Cameroun.
C'est dire qu'il ne suffit pas de le reconnaitre et de le dire. Il est mieux de passer de la parole aux actes.
Fabien Okonkwo
Source: www.actustime.com