• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Revendications des enseignants d’expression anglaise: La communauté éducative otage des intérêts politiques des syndicalistes - Roger Kaffo Fokou: Taire les égo pour résourdre la crise actuelle

Revendications des enseignants d’expression anglaise: La communauté éducative otage des intérêts politiques des syndicalistes - Roger Kaffo Fokou: Taire les égo pour résourdre la crise actuelle

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 
Index de l'article
Revendications des enseignants d’expression anglaise: La communauté éducative otage des intérêts politiques des syndicalistes
Roger Kaffo Fokou: Taire les égo pour résourdre la crise actuelle
Les syndicats recommandent la reprise des cours
Toutes les pages

Roger Kaffo Fokou: Taire les égo pour résourdre la crise actuelle

Regoer Kaffo Fokou est sécrétaire général exécutif du Syndicat national des enseignants du secondiare (Snaes)

Germinal: Qu’est-ce qui vous a convaincu, en votre qualité de SG du Snaes, d’apposer votre signature, comme beaucoup d’autres responsables des organisations de la société civile œuvrant dans le secteur de l’Education, sur un communiqué préconisant la levée du mot d’ordre de grève lancé par certains syndicats des enseignants d’expression anglaise ?
Roger Kaffo Fokou : Je n’agis pas uniquement en tant que SG du SNAES mais également comme porte-parole des syndicats d’enseignants dans les cadres où l’on examine les revendications des enseignants depuis 2012. La situation qui prévaut actuellement dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest n’est plus seulement celle d’une grève lancée par des organisations syndicales. Une forme dangereuse de confusion s’y est installée entre des revendications purement syndicales – que nous soutenons et avons formulées en diverses circonstances avec nos amis de ces deux régions - et des revendications politiques dont je ne veux pas juger de la pertinence, puisqu’il s’agit à mon sens d’un débat qui est encore à organiser. J’ai la conviction qu’il est possible de séparer les deux agendas et j’entends m’employer dans la limite de mes petits moyens à ce qu’on y parvienne. Je souhaite que le Gouvernement aussi bien que les camarades syndicalistes d’expression anglaise évaluent bien les risques d’un tel amalgame pour l’éducation stricto sensu et les risques globaux pour le pays. Si les revendications syndicales sont plus importantes, il n’y a aucune contradiction à les découpler de celles à caractère politique et de lever le mot d’ordre de grève puisque tout est désormais en branle, de manière difficilement réversible, pour résoudre les problèmes de l’éducation. Si les problèmes politiques sont prédominants dans la démarche, autant lever le mot d’ordre de grève syndicale et se déporter entièrement sur le terrain politique : ce sera une clarification salutaire. Tout milite donc en faveur de la levée du mot d’ordre syndical et c’est pourquoi nous avons appelé à ce qu’il en soit ainsi.

Cela veut-il dire qu’à vos yeux les garanties fournies par le gouvernement sont suffisantes pour ramener ces camarades à la table de négociation ?
Cela veut dire que pour moi l’évaluation du niveau de risque encouru est une obligation impérieuse de l’organisation de tout type d’action. Et lorsque ce niveau excède outrageusement les bénéfices attendus de l’action engagée, il faut avoir la clairvoyance de réajuster. Nous ne sommes plus seulement en face du risque, déjà fort grave, d’une année blanche qui n’impacterait pas seulement les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest mais l’ensemble des dix régions du pays – le GCE Board organise des examens pour les 10 régions de même que la DECC et l’OBC - ; nous sommes devant le risque d’une cassure du pays qui n’est pas souhaitée par la majorité des Camerounais. Et cela ne saurait se marchander parce que l’intégrité territoriale du pays n’a pas de prix. Quel que soit ce que j’ai à reprocher à ceux qui dirigent mon pays - et j’ai beaucoup à leur reprocher – je ne marchande pas cela contre les intérêts supérieurs de mon pays. Il est donc impératif que les uns et les autres taisent leur ego pour résoudre cette crise. Du côté du Gouvernement, ceux qui tiennent un langage exclusivement martial et dissertent sur l’autorité de l’Etat doivent savoir que nous ne sommes plus en 1990, et que nous avons besoin de bonne foi et d’apaisement en ce moment. Il faut avouer que cela manque ostensiblement dans les prises de parole publiques que j’entends ici et là, y compris dans le discours de fin d’année du Chef de l’Etat. Ces occasions ratées, accumulées, vont à la longue peser lourd dans la balance. En face du gouvernement, je ne saurai trop recommander la table de négociation : une mauvaise négociation vaut toujours mieux qu’une bonne guerre, si jamais il y en a eu que l’on puisse qualifier de bonne. La voix de la raison va-t-elle être entendue ? Les postures, notamment celle de la Cameroon Anglophone Civil Society Corporation (CACSC) s’en écartent de plus en plus ostensiblement.

Dans votre entendement, à quoi renvoie la notion de grève illimitée ? Quelles peuvent être ses conséquences et ses implications ?
La grève illimitée est un outil du syndicalisme révolutionnaire, syndicalisme auquel je n’ai jamais cru, pour la bonne raison que la révolution n’est pas un moyen syndical mais politique. C’est l’autre face de la grève générale. Mais chacun est libre de choisir la vision syndicale à laquelle il adhère en sachant que ce choix a des implications spécifiques. Si les militants d’un syndicat sont assez forts pour adhérer librement et durablement à un mot d’ordre de grève illimitée, cela peut débloquer bien des choses et il n’y aura rien à reprocher aux organisateurs. Mais ces conditions de liberté d’adhésion sont non négociables. Il faut dire que de tels armes ne s’utilisent que lorsque la confiance dans le partenaire d’en face – Etat et/ou capital - n’existe plus, à tort ou à raison. Chez nous, il s’agit avant de donner la preuve que les conditions de cette confiance existent encore.

Ne pensez-vous pas que le blocage actuel est aussi dû au fait que vos camarades ont soit été débordés par les événements, soit qu’ils sont allés trop loin en lançant une grève illimitée qui les situe sur le terrain des revendications purement politique ?
C’était en effet un risque et un calcul à la fois. Risque pour eux-mêmes puisque la garantie du suivi par les troupes n’était pas donnée ; calcul parce que le contexte sociopolitique aurait dû inciter le Gouvernement à éviter de parier sur l’échec de cette grève. Les éminences grises du pouvoir ont fait le mauvais pari et il faut qu’ils en assument aujourd’hui les conséquences.
Malheureusement ceux qui paient se comptent désormais par milliers. Hélas!, on en est déjà à la mort de nombreuses personnes. Quant à la politisation du mouvement, elle peut avoir résulté d’une anticipation erronée : le politique aurait dû constituer un adjuvant pour l’action syndicale ; au contraire, l’action syndicale, par un retournement tragique, est devenue un adjuvant pour l’action politique. Je ne suis pas certain que cela, c’est ce que les syndicalistes voulaient au départ mais leur avis sur la question ne compte plus désormais : la mécanique enclenchée fonctionne en ce moment  presqu’en roue libre. Rien n’interdit de penser que tout ce qui se passe aujourd’hui faisait bel et bien partie du plan initial, malheureusement. Le propre des amalgames, c’est qu’ils rendent toutes les suppositions possibles.

Peut-on déceler dans la position ou posture actuelle de vos camarades une erreur stratégique révélatrice d’un déficit de formation syndicale ?
Il y aurait de ma part une incroyable arrogance à conclure ainsi. Il n’y a pas chez nous une structure de formation syndicale et le déficit d’une telle formation concerne l’ensemble du mouvement syndical actuel. Le cours d’éducation sociale de Gaston Donnat dans les années 40 avait évité beaucoup d’amateurisme, mais notre époque semble toujours prête à primer l’amateurisme syndical, le plus souvent pour de mauvaises raisons. Certaines circonstances montrent bien que celui-ci ne profite pas toujours à ceux qui escomptent dessus. Pour ce qui est des erreurs stratégiques dans le cadre de la tragédie actuelle, tous les camps en ont commis. Inutile de les énumérer, parce qu’il faut essayer d’avancer.

Ce déficit de formation syndicale qui se traduit par une absence de vision stratégique ne plombe-t-il pas l’ensemble du mouvement syndical au Cameroun ? Comment ?
En effet, notre mouvement syndical actuel manque tragiquement de vision stratégique. C’est une constellation de petites chapelles qui gèrent les petits soucis du quotidien et transigent plus souvent que nécessaire en fonction des impératifs de survie. Sur ce plan-là, les centrales ne sont pas mieux que les syndicats de base. En succombant au corporatisme étriqué – émiettement en sous/sous/sous/sous-secteurs ! – les syndicats camerounais ont condamné la voix du travailleur camerounais à l’inaudition durable. Ce n’était pas cela, l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC). Cette situation nous oblige depuis des années à négocier à la marge, toujours en position de faiblesse. Cela ne plombe pas seulement le développement social mais également le développement économique du pays. Comment le Gouvernement pourrait-il négocier des contrats viables auprès des multinationales qui exploitent notre économie de rente lorsqu’il ne subit que la pression du capital et que les travailleurs, inorganisés, mal représentés, sont totalement inoffensifs ? Lorsqu’il est facile d’imposer des baisses de salaire aux travailleurs, de supprimer des allocations d’équipement, de réduire à rien des budgets de fonctionnement, de fabriquer des arriérés de prestations diverses, le tout pour améliorer les marges bénéficiaires des multinationales, pourquoi le Gouvernement ne cèderait-il pas contre de confortables bakchich ? La faiblesse du mouvement syndical est l’une des principales causes de la surexploitation de notre pays. Et cela est autant imputable aux leaders syndicaux qu’aux travailleurs eux-mêmes.

Au Tchad, le parlement a entériné le 30 décembre 2016, la décision du gouvernement de ne plus payer les journées de grève. Cette décision ne parle-t-elle pas aux syndicalistes Camerounais ?
Un parlement acquis à la cause du pouvoir en place, lui-même porté à bout de bras par les multinationales du pétrole ! Encore faut-il payer le juste prix de la journée travaillée. Sur ce plan-là, au Tchad comme au Cameroun, beaucoup plus au Cameroun qu’au Tchad – le SMIG/SMIC au Tchad est un multiple de celui du Cameroun – on est loin du compte. Non, avant de copier des mesures valables pour des pays où un minimum de règles est respecté, nos pays devraient réfléchir au fait que des citoyens appauvris ne rendent pas un pays riche et prospère, donc politiquement stable. La logique tchadienne que vous évoquez est celle d’une volonté d’asphyxier les syndicats pour obtenir une paix de cimetière sur le front social, mais ce type de paix, comme l’on sait par expérience, débouche souvent sur des turbulences politiques. Prompt à copier les mauvais exemples, notre pays pourrait être tenté d’importer ce modèle. J’espère que   la conjoncture et l’époque l’en dissuaderont.

Plus généralement, n’est-il pas plus responsable pour les syndicats qui lancent des mots d’ordre de grève illimitée d’être conséquents avec eux-mêmes en prenant des mesures pour préserver la carrière des grévistes et pour compenser le manque à gagner causé par la grèves ?
Théoriquement, on pourrait répondre par l’affirmative à cette suggestion. Mais il n’y a pas de responsabilités sans droits. Les droits des syndicats sont constamment bafoués dans notre pays depuis des décennies. En 25 ans, 95% des syndicats d’enseignants n’ont pas réussi à se faire enregistrer sur le fichier des syndicats. Leur simple droit à exister légalement leur a ainsi été dénié : ils sont les enfants naturels de la République. Il est donc malvenu de leur parler de responsabilité quand l’Etat a manqué aux siennes pendant 25 ans malgré la consécration des droits syndicaux dans la loi fondamentale. Il n’empêche, déliés de toute responsabilité vis-à-vis de l’Etat, les syndicats se doivent d’être responsables vis-à-vis de leurs membres actuels et potentiels. Les formes d’action qu’ils choisissent d’engager doivent prendre en compte la fragilité et la nécessité de la sécurité de ces derniers, et le penchant pour l’arbitraire de nos fonctionnaires. Une grève illimitée, il va de soi, ne réunit pas de telles conditions. Et ce n’est pas une question de « manque à gagner », concept qui ne signifie rien dans un système fondé sur l’exploitation sans mesure du travailleur.
Propos recueillis par:
Jean-Bosco Talla.



Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir