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Sortir de l'impasse. Défis et responsabilités de l'opposition patriotique

Sortir de l'impasse. Défis et responsabilités de l'opposition patriotique

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Index de l'article
Sortir de l'impasse. Défis et responsabilités de l'opposition patriotique
Les Camerounais n'attendent pas un Messie
Le défi des choix institutionnels
Cohésion et conhérence
Le défi de l'organisation
L'intellectuel comme Vigie
Le défi de l'information et de la formation
Période ou gouvernement de transition?
Guillaume Henri Ngnepi: La victoire de l'opposition est posible aux prochaines élections
Toutes les pages

Préparation et organisation minutieuses
Les Camerounais ont certainement sous-estimé la capacité de résistance du Renouveau-Rdpc. Au début des années 1990, le peuple camerounais avait rêvé. Il croyait encore à la magie des mots et pouvait défier n’importe quel tyran. Avec le temps, et face aux multiples reniements et trahisons, il s’est rendu compte qu’il avait pris ses rêves pour des réalités. Les rues sont devenues calmes. Les discours et les poings levés n’impressionnent plus grand monde. Beaucoup de leaders ont quitté la scène. D’autres par réalisme alimentaire ont rejoint la mangeoire et défendent le Renouveau-Rdpc, tels des Don Quichotte écervelés. Face à la déchéance du pouvoir en place depuis aujourd’hui 34 ans et son obsession à annihiler l’opposition politique et toute pensée divergente, des citoyens irréductibles, conscients de leurs missions, organisent la résistance en usant des moyens visibles et/ou invisibles. Parmi eux, il y a des leaders des partis et formations politiques, des leaders des organisations de la société civile, des intellectuels, des

hommes de médias et dans une certaine mesure des hommes de Dieu. Ils ont compris qu’il existe des possibilités de lutte qui puisse fonder la résistance dans un contexte de paupérisation voulue et entretenue par les tenants du régime dans l’optique de tenir les Camerounais captifs de leur instinct de conservation. Dans un contexte caractérisé par la décompression autoritaire, ceux-ci ont compris qu’ils doivent inscrire leurs actions dans la durée. Car, la plupart des citoyens ne savent pas ce que veut dire inscrire une lutte pour le changement dans la durée. Tant pis pour ces politiciens qui n’ont pas, hélas, intégré la traversée du désert dans leur démarche et comme étape nécessaire à toute conquête du pouvoir. L’histoire le jugera. Le jugement de l’histoire est sans appel.
Ceux qui sont restés au front, au prix de multiples sévices et privations, ne doivent jamais oublier cette leçon de l’histoire selon laquelle il n’existe pas de révolution spontanée. Toute révolution est le fruit d’une préparation et d’une organisation minutieuses. Et le hasard ne profite qu'à  ceux qui sont bien préparés. Germinal, se conformant à sa ligne éditoriale, tente d’attirer l’attention des leaders de l’opposition sur leurs responsabilités et les défis qui les interpellent.


Les Camerounais n'attendent pas un Messie
Les Camerounais ont besoin d’un leadership, nationaliste, patriote qui émerge d’un groupe qui place l’intérêt général au cœur de ses préoccupations et qui est capable de faire du Cameroun la tête de proue du développement en Afrique.
Qui sont donc ces hommes et femmes que l’on regroupe sous le vocable d’opposition politique ? Au Cameroun, ce que l’on appelle opposition est en réalité une faune où le meilleur côtoie le pire. C’est une sorte de jungle où chacun rêve de devenir le Messie qui sauvera le Cameroun.
Dans un contexte marqué par le pourrissement général et la volonté du régime politique en place depuis presque 60 ans de demeurer au pouvoir ad vitam aeternam, l’opposition camerounaise, une partie du moins, n’a pas pu ou n’a pas su tirer son épingle du jeu. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Marches, boycotts, meetings, communiqués et conférences de presse, désobéissance civile, villes mortes…Elle a tout essayé sans parvenir à inverser le rapport de force lui permettant d’arriver au pouvoir. En même temps, elle a joué au saprophyte et accéléré la décomposition du tissu social. Elle s’est fait acheter, manipuler, marginaliser, laminer, c’est selon. Elle a pêché en n’entreprenant pas le travail d’éducation politique et d’implantation organisationnelle entre les différents scrutins. Elle ne se réveille généralement qu’à l’approche des élections.
Englués dans des querelles de leadership, incapables de transcender leurs divergences, de se poser et d’agir comme les représentants de l’intérêt général et de la volonté des citoyens, c’est-à-dire de placer l’intérêt général au cœur de leurs préoccupations, elle a réussi la prouesse de décourager les citoyens-électeurs qui non seulement ne respectent plus les consignes de vote et n’écoutent plus les leaders, mais manifestent un désintérêt à l’endroit de l’activité politique partisane. De sorte que, de nos jours, l’augmentation du nombre de partis politiques – le Cameroun en compte 300 - ce qu’on appelle multipartisme intégral, n’est en réalité que l’arbre qui cache la forêt du désenchantement et du désengagement des citoyens-électeurs vis-à-vis de la politique.
Une formule sentencieuse bien connue veut que chaque peuple n’ait que les dirigeants qu’il mérite. On pourrait bien ajouter que chaque peuple a non seulement les dirigeants, la classe politique ou l’opposition qu’il mérite, mais le régime politique qui lui permet d’avoir un niveau de culture civique et politique. Car, c’est le niveau de culture civique et politique des citoyens qui engendre (ou non) en eux le réflexe d’indignation et de libération ou d’auto-délivrance.
Cette affirmation s’apparente à une sorte d’accablement des citoyens et des populations qui, quand ils ne sont pas la plupart du temps brimés par la classe politique, sont abandonnés à leurs tristes sorts et utilisés, le moment venu, comme du bétail électoral. Elle traduit pourtant une réalité implacable.
Ceux – les partisans du statu quo - qui affirment que « tout est perdu. Les partis politiques de l’opposition patriotique n’y peuvent rien » sont de mauvaise foi. Tout n’est pas perdu. L’opposition peut rebondir. Il faut et il suffit qu’elle prenne conscience des défis et contraintes auxquels elle fait face et qu’elle engage des actions concrètes pour relever lesdits défis.
Parmi ceux-ci, le plus important est, nous semble-t-il, celui de la formation et de l’éducation politique. Il est indéniable que la construction d’une démocratie solide passe obligatoirement par la formation du personnel politique, des hommes et femmes d’envergure, capables d’assumer les responsabilités importantes. Dans un environnement où le régime pseudo-démocratique en place a tout fait pour détruire les systèmes scolaires et tenir les Camerounais captifs de leur instinct de conservation, il est indispensable pour les forces progressistes de créer des conditions permettant aux Camerounais de prendre conscience de leur statut de citoyen, d’appréhender les jeux et les enjeux politiques.
Le reflux observé du militantisme et des mouvements de revendication d’envergure est conjoncturel. Il suffit d’une étincelle, d’un catalyseur pour que s’ébranle un vaste mouvement social pouvant conduire au changement de la donne politique. Les exemples tunisiens et burkinabè démontrent à suffisance que l’éducation et la formation politiques constituent le socle de toute révolution ou de tout mouvement social d’envergure. Ils apportent la preuve que des citoyens bien formés, conscients de leurs droits et des enjeux politiques, sont capables de défier toutes formes de dictature, de pousser les dictateurs inamovibles à leur dernier retranchement. Car, quelles que soient les contraintes et les difficultés rencontrées, il arrive des moments dans la vie d’une communauté historique où déceptions, crises et malaises sociaux nourrissent les mécontentements populaires et déclenchent des réactions d’indignations, des mouvements sociaux. Aimé Césaire ne croyait pas si bien dire quand il écrivait : « que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie dans le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant de cygne ». En sommes-nous si éloignés ?
 Il suffit dans des conditions de pourrissement avancé, comme les nôtres, qu’il y ait un catalyseur. Dans une pareille situation, il revient aux leaders politiques d’être en capacité d’intégrer tous les déterminants ou facteurs de la catalyse politique dont il faudrait préparer en déterminant les conditions permettant d’aboutir à une catalyse unificatrice de certains acteurs.
La catalyse structurelle fait partie de ces facteurs. Les partis et formations politiques, les OSC devraient pour ainsi dire travailler de manière à intégrer et à accueillir certaines demandes sociales, en mettant en place de nouveaux couloirs susceptibles de canaliser et d’emmagasiner l’énergie politique. Pour cela, tenant compte de la nature du régime en place et en évitant de braquer certains groupes sociaux, ils devraient créer des liens sociaux avec les citoyens et les populations sur la base des problèmes qu’ils veulent résoudre, sans nécessairement les entraîner dans une démarche politique partisane. Cette démarche a l’avantage de leur montrer que la politique peut être faite autrement.
Dans cette optique, les technologies de l’information et de la communication : sms, Internet, Facebook, twitter et autres réseaux sociaux peuvent être utilisées pour accélérer la prise de conscience des jeux et des enjeux, par conséquent les changements politiques et sociaux.
Au défi de l’éducation se greffe celui de l’organisation, car, le « hasard ne profite qu’à ceux qui sont bien préparés ». L’histoire nous enseigne qu’agir en politique sans organisation, sans stratégie et sans pouvoir rend tout changement improbable, voire impossible. C’est pourquoi il est important d’intégrer des éléments de la catalyse stratégique en jouant sur tous les tableaux, en commençant par le terrain institutionnel. Malgré les contraintes et les verrous, il est nécessaire d’avoir des antennes sur le terrain institutionnel, tout comme il est nécessaire d’agir à partir de sa périphérie, car le verrouillage de ce terrain devrait faire en sorte que ce soit à partir de sa périphérie que l’on crée des liens entre des groupes sociaux et que l’on commence à les préparer aux conditions d’un changement. Sans oublier de faire le travail de désaliénation des consciences de manière à amener les citoyens à surmonter la peur de la mort et à leur faire comprendre que, quelles que soient les voies, il n’y aura pas de changement tant que les différents segments de la société ne s’impliqueront pas.
Dans un moment de refondation politique, condition même de la renaissance ou de l’émergence économique, sociétale, politique et morale du Cameroun, des efforts gigantesques doivent aussi être faits pour trouver une solution à la question des inégalités qui fracturent la société camerounaise.
Somme toute, on ne devient pas virtuose, en jouant seul dans son coin. La conquête du pouvoir ne s’improvise pas. Elle est le résultat d’un travail méthodique de longue haleine. De plus, les Camerounais n’attendent pas un Messie. Ils ont besoin d’un leadership, nationaliste, patriote qui émerge d’un groupe, et non autoproclamé, capable de faire du Cameroun ce que Park Chung Hee de la Corée du Sud, Mahathir Mohammed de la Malaisie, Lew Kun Yew du Singapour, Luiz Inacio Lula da Sylva, entre autres, ont chacun fait pour leur pays.
Enfin, le renouvèlement des responsables politique est un impératif catégorique. Il est indispensable, car il substitue l’envie et l’enthousiasme des nouveaux venus à la routine, à la résignation et l’immobilisme des pères fondateurs. A bon entendeur...
Jean-Bosco Talla


Le défi des choix institutionnels
Dans le contexte camerounais, où les populations n’ont jamais exercé leur prérogative constituante, les choix constitutionnels doivent être l’objet de discussions publiques précises pouvant aller jusqu’au détail, à tous les échelons et selon les échelons avec leurs intérêts et leurs compétences spécifiques. Des listes de telles questions pourraient être établies en tendant à l’exhaustivité pour chaque phase ou facette du processus constitutionnel. […]
Avant d’être la capacité de se donner des dirigeants en des élections libres, justes et transparentes, la démocratie est le choix, par la libre discussion, de sa Constitution et de ses lois fondamentales. Le bon ordre des choses exige qu’on satisfasse à ce réquisit avant de passer à un autre et il est tel qu’il ne se négocie pas ni pour sa priorité ni pour la préséance. Le Cameroun, on ne le dit pas assez, n’a jamais fait acte de constituant et n’a jamais débattu ouvertement et largement de l’adaptation de ses institutions à ses réalités, notamment au caractère non homogène de ses populations, mais pluriculturel et p1uriethnique, au potentiel civique, politique et associatif de leurs groupes de base. Il n’y a eu aucune tentative d’innovation institutionnelle. On a tout emprunté dans les apparences, en espérant qu’un pouvoir fort, centralisé construirait, même par la contrainte, une nation stable qui évoluerait ensuite vers le mode de vie économique, politique et culturel des «pays avancés”. On a misé sur l’efficacité d’un mimétisme de longue durée pour effacer ce que l’on considérait comme une tare originelle faite de centaines de tribus, de langues répandues dans des espaces mal reliés.
L’échec patent de cette approche qui a conduit partout à privilégier le parti unique et les méthodes autoritaires pousse à reconsidérer les faits et à prendre le risque de l’inventivité et de l’expérimentation institutionnelle, puisqu’il n’y a pas de prêt-à-porter et puisque la participation à la mise en place, des constitutions garantit la compréhension de ses dispositions, le respect et le crédit qu’on lui accorde.
Fabien Eboussi Boulaga
Source : La Démocratie de transit au Cameroun, Paris, L’Harmattan, pp. 196 et 197

 


Cohésion et conhérence
Si l’intérêt général est au coeur de leurs préoccupations comme ils ont coutume de le dire, les forces progressistes doivent surmonter les contraintes objectives, tairent leurs divergences et former coalitions et alliances. L’union fait la force.
Il avait suffi de trois jours, du 28 au 30 octobre 2014, pour venir à bout d’un régime solidement installé depuis 27 ans et 15 jours. Trois jours scrupuleusement préparés pour que le peuple burkinabè pousse au-dehors Blaise Compaoré et sa clique qui voulaient modifier la constitution pour s’éterniser au pouvoir ad vitam aeternam. Cette victoire du peuple burkinabè n’a été possible que par une action conjuguée des organisations de la société civile portées par le Balai citoyen et les partis politiques réunis au sein d’une institution appelée Chef de file de l’opposition politique (Cfop) au sein de laquelle les partis et formations politiques étaient liés par un protocole d’accord.
D’avril 2011 à avril 2012, le pays de Macky Sall bouge. Comme au Burkina Faso, en partenariat avec les organisations de la société civile, notamment le mouvement Y’en a marre, né à la suite de coupures d’électricité, les leaders des partis et formations politiques surmontent les contraintes objectives pour élaborer une stratégie électorale commune qui leur a permis de porter un des leurs au sommet de l’État. Cela avait déjà été le cas en 2009, quand face aux manœuvres politiciennes du président sénégalais Abdoulaye Wade dont les visées dynastiques étaient manifestes, ils avaient tu leurs divergences et querelles intestines pour faire bloc contre la Coalition Sopi (changement) au pouvoir depuis 2000. Réunie sous la bannière de Benno Siggil Sénégal (« Unis pour restaurer l’honneur du Sénégal ») ou d’And Ligeey Sénégal (« Ensemble pour bâtir le Sénégal ») en wolof, l’opposition sénégalaise, après avoir réussi à convaincre l’opinion publique de la nécessité de barrer la voie à l’instauration d’une dynastie, avait fait tomber dans son escarcelle presque toutes les grandes villes sénégalaises lors des élections locales du 22 mars 2009.
Plus proche de nous, le Gabon. Au départ très divisés, des partis politiques et leurs leaders ont su taire leurs divergences pour soutenir la candidature de Jean Ping qui a mis en très grande difficulté Ali Mbongo Odimba, aujourd’hui maintenu au pouvoir grâce à la fraude et à la main mise sur la Cour constitutionnelle, encore appelée « Tour de pise ».
Ces différents exemples parlent à l’opposition et aux organisations de la société civile camerounaises. Ils montrent à suffisance qu’aucun parti ne peut arriver au pouvoir seul, en comptant uniquement sur ses propres moyens, matériels et humains. Ils sont révélateurs du rôle irremplaçable des coalitions et des alliances dans l’élaboration d’une stratégie électorale ou politique gagnante dans un contexte autoritaire, pour ne pas dire dictatorial.
On ne le dira jamais assez. Tant que les leaders de l’opposition patriotique camerounaise et ceux des organisations de la société civile seront incapables de relever le défi de la cohésion et de la cohérence, c’est-à-dire de la création d’un cadre de concertation pouvant leur permettre de régler des questions stratégiques et d’intérêt commun, de concevoir et de promouvoir des projets alternatifs crédibles, des approches politiques novatrices et efficaces, autrement dit, tant qu’ils seront incapables de créer un cadre pour une véritable synergie d’association et d’actions en vue de l’alternance politique pacifique au Cameroun, ils passeront leur temps à faire du bruit comme des tonneaux vides, à aboyer pour signaler le passage de la caravane du Renouveau-Rdpc. Et le grand manitou d’Etoudi continuera de l’utiliser comme des faire-valoir démocratiques.
Junior Etienne Lantier


Le défi de l'organisation
Pour sortir de l’impasse, les forces du changement doivent s’organiser. Car, on ne peut vaincre l’organisé que par l’autrement organisé.
Personne ne peut nier les contraintes auxquelles font face les partis et formations politiques de l’opposition et les organisations progressistes de la société civile camerounaise. Ils doivent au quotidien éviter les embûches tendues par les partisans et sympathisants du Renouveau-Rdpc dont l’unique vision et projet de société est de durer le plus longtemps - et autant que - possible au pouvoir, en vampirisant et en dépeçant le Cameroun.
Dans un contexte politique marquée par la diabolisation et les tentatives de division des forces sociales progressistes, peut-être conviendrait-il que les partis et formations politiques, les OSC et leurs leardes soient assez lucides et patriotes pour trouver les voies et moyens permettant de mutualiser les moyens humains et matériels en vue de la conquête du pouvoir.
Pour atteindre cet objectif, il conviendrait d’abord, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner (La Grande Palabre, 2014), que les leaders politiques et d’opinion évitent le raisonnement par imputation qui consiste à mettre sur le seul compte de l’opposition ou du système en place la responsabilité des causes de la situation sans issue favorable dans laquelle se trouvent le Cameroun et les Camerounais. Ce serait mal aborder des questions fondamentales qui se posent à toute notre communauté historique, le fond du débat n’étant pas de trouver des « coupables », des « responsables ». Car, s’ils raisonnent dans le style « C’est la faute à Untel », ce qui suppose que la relance du combat pour la démocratie et l’avènement d’un État de droit ne peut se faire qu’à condition de substituer à Untel d’autres leaders, supposés mieux outillés, mieux disposés ou préparés à générer une nouvelle dynamique propre, et éventuellement, à conduire au(x) succès, au changement.
Aussi, les leaders progressistes des OSC et des partis et formations politiques doivent-ils éviter l’exclusion et les considérations puériles du genre « parce qu’Untel a été membre du gouvernement, parce qu’Untel autre a été ou est membre du RDPC, il ne peut être un acteur du changement. » Une telle attitude serait révélatrice de leur immaturité politique, tactique et stratégique. car, l’opposition (la vraie) n’est pas l’unique réservoir des forces progressistes. Celles-ci se trouvent aussi au sein du RDPC, parmi ceux qui ont été membres du gouvernement, et même au sein des forces de défense et de sécurité, où même s’ils n’expriment ouvertement leurs mécontentements pour des raisons légitimes que l’on ignore sont tout aussi exaspérés de la situation dans laquelle le Cameroun est plongé depuis belle lurette. Aussi l’histoire récente des changements en Afrique nous montre-t-elle que les peuples font plus confiance à ceux qui ont déjà l’expérience de la gestion de l’Etat et des affaires publiques.
Le parcours vers le changement est sinueux, heurté, abrupt et long. Il faut donc avoir une bonne dose d’endurance et de courage pour l’emprunter. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à conclure à l’impasse face au reflux du militantisme. Il est vrai que les Camerounais ont déserté le front des revendications sociales. Les causes de ce reflux sont multiples. Cependant, à bien y regarder, cette situation soulève la question de l’organisation, c’est-à-dire celle relative « au fonctionnement interne des groupes engagés dans les divers combats, à leurs méthodes de travail, à leur pensée de la lutte, et mode relationnel entre les personnes de la même organisation» (La Grande Palabre, 2015 : 221). Il est indéniable que l’on ne peut combattre l’organisé que par l’autrement organisé. Tel nous semble aujourd’hui le défi majeur que les forces du changement doivent relever. Autrement dit, les forces progressistes doivent relever le défi de l’organisation.
Ikémefuna Oliseh


L'intellectuel comme Vigie
Régis Debray pense que est quiconque à un projet d’influence est un intellectuel. Son rôle est d’autant plus important dans un contexte autoritaire qu’il permet de libérer les esprits encavernés et leur font prendre conscience de leur statut de citoyen.
Le statut et le rôle de l’intellectuel ont été consacrés par Zola avec la publication de son célèbre J’accuse dans un contexte de faillite de la société et de l’Etat français. Plus qu’un détenteur de parchemins scolaires et universitaires, plus qu’un professionnel de métier dont l’intelligence est le principal moyen, l’intellectuel est le veilleur de l’Etat et l’éveilleur de la société. Le rôle de veilleur fait de l’intellectuel un vigile, qui scrute les faits et gestes des décideurs qui incarnent le pouvoir politique, afin de vérifier leurs conformités quant à la mission régalienne du service public et de l’intérêt général qui leur a été dévolue par la société. Cette tâche constitue l’intellectuel comme mauvaise conscience du pouvoir politique, i.e. celui-là qui dénonce les dérives de l’Etat et le rappelle aux gouvernants qu’ils sont là pour servir et non pour se servir et être servis. Comme éveilleur de conscience, l’intellectuel est le phare de la société. En effet, il est un éclaireur de conscience qui conscientise la société sur les problèmes et défis qui sont les siens, veille à ce qu’elle ne se fasse pas manipuler par la propagande d’un pouvoir voyou et criminel, ni qu’elle soit instrumentalisée comme faire-valoir ou bétail électoral.
Cette fonction de vigie et de rectorat donne à l’intellectuel un statut social de révolutionnaire et à tout le moins de contestataire, de critique. Statut d’autant plus important et prégnant dans un contexte autoritaire comme le nôtre. Est-ce à dire que l’intellectuel ne peut pas et ne doit pas intégrer les cercles de décision et du pouvoir ? Il n’est pas interdit à un intellectuel de s’engager en politique au sens partisan du terme. En effet, les mutations historiques précisément sociopolitiques que le monde a connu au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont conduit l’intellectuel à voir que les tâches de veille et d’éveil quoique nécessaires sont insuffisantes si l’on veut œuvrer au changement social, promouvoir la liberté et les droits de l’individu d’une part et le développement de la société d’autre part. De fait, c’est au sein du pouvoir que l’on peut espérer peser, en usant du lobbying par exemple, sur les décisions qui sont prises afin qu’elles soient en faveur de la majorité autant que de la minorité, i.e. au bénéfice de toute la société.
Cette nouvelle donne qui fait de l’intellectuel un décideur, le constitue comme intellectuel organique mais il n’en reste pas moins un intellectuel. Cependant ce nouvel statut le confronte au challenge de la trahison de sa mission, car si la critique était aisée, l’art de la politique est difficile et comme l’observait Julien Benda dans La Trahison des clercs, beaucoup d’intellectuels sombrent dans la faillite et la traîtrise.
Dans Le Spectateur engagé, Raymond Aaron indique à l’intellectuel organique le moyen d’échapper à la trahison : il doit être à la fois acteur et spectateur, i.e. qu’après l’action politique, il doit marquer un temps d’arrêt pour évaluer son action quant à sa régularité avec la mission du service public et de l’intérêt général. Si elle y satisfait, il peut la poursuivre dans le cas contraire, il devra se remettre en question et tirer les conséquences de son échec en envisageant sa démission et la possibilité de servir autrement la société et l’Etat.
Tissibe Djomond


Le défi de l'information et de la formation
Les formations et partis politiques de l’opposition gagneraient à créer ou à soutenir des médias alternatifs afin de faire contrepoids aux médias soutenus par le pouvoir en place et qui versent très souvent dans la propagande.
On a coutume de dire que les medias constituent dans l’espace sociopolitique moderne, le quatrième pouvoir. Ce statut est davantage conforté par le rôle pédagogique de formation et politique d’information qui leur incombe. En effet, les médias assurent une fonction de formation des membres du corps social en leur octroyant les fondamentaux du savoir, du savoir-être et du savoir-faire nécessaires à l’exercice de leur citoyenneté. C’est dire s’ils concourent à l’instruction et à l’éducation de la société.
La fonction d’information, complémentaire d’ailleurs de la première, est celle qui caractérise le plus les médias. Les médias en effet, collectent, traitent et diffusent l’information dont les qualités sont l’objectivité et l’impartialité. Même si un média peut avoir des préférences politiques ou des options idéologiques, il est tenu par l’impératif catégorique de l’objectivité : il doit présenter d’abord les faits tels qu’en eux-mêmes. C’est peut-être et davantage, au niveau de l’analyse et du commentaire qu’il devra assumer sans fards ni fuyants et faux semblants ses convictions idéologico-politiques. Car après tout, les médias n’en restent pas moins des acteurs sociaux avec ce que cela suppose comme intérêts à défendre. Parlant justement d’intérêts, les intérêts des médias doivent être moralement défendables et socialement honnêtes, i.e. respectables et conformes à l’éthique et à la déontologie. Ce qui signifie que la compromission n’est pas de mise. Au Cameroun malheureusement, l’essentiel des médias qu’ils soient, comme on dit ici public ou privé, se sont compromis. Ils exercent davantage comme mercenaires, mettant leur micro ou leur plume au service de l’élite dirigeante. Le spectacle qu’ils donnent est triste et affligeant : par leur biais les ministres et autres membres du gouvernement se règlent les comptes, le pouvoir les caporalise en faisant d’eux les agents de sa propagande honteuse et criminelle. D’ailleurs comment pourrait-il en être autrement, ce d’autant que le régime d’Etoudi les tient avec le piège de la tolérance administrative. Le constat est donc celui de la faillite des médias au Cameroun quant à la mission qui est la leur. Il importe de leur rappeler que leur mission est de servir la société en dénonçant les dérives et tares du système gouvernant, en défendant la vérité, en redressant au besoin les torts. On pourrait nous répliquer que notre ton donneur de leçon ne sied pas et que la représentation que nous avons des médias est éculée au regard des réalités économiques auxquelles les médias n’échappent pas en tant qu’entreprises économiques. Certes, les médias sont des entreprises et comme tels ils doivent faire face à leurs droits et obligations : impôts, salaires, charges de fonctionnement, etc., mais il n’en demeure pas moins qu’ils ne doivent pas faire le jeu du pouvoir comme c’est le cas actuellement, qu’ils ne doivent pas verser dans des pratiques qui ne les honorent pas. Ils doivent garder une liberté de ton et une indépendance d’esprit inconditionnels quand bien même ils dépendraient de mécénat. C’est certes difficile mais ce n’est guère impossible. Tout est dans les principes qu’ils se seront initialement assignés : former et informer en toute liberté et indépendance, en toute loyauté, objectivité et impartialité la société et l’Etat. Ils auront ainsi contribué à l’émergence des citoyens conscients de leurs droits et capable de les défendre quand ceux-ci sont violés.
Les formations et partis politiques de l’opposition gagneraient à créer ou à soutenir des médias alternatifs afin de faire contrepoids aux médias soutenus par le pouvoir en place et qui verse très souvent dans la propagande.
Tissibe Djomond


Période ou gouvernement de transition?
Période ou gouvernement de transition, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. L’idée continue de faire florès dans certains milieux politiques et de la société civile. Des hommes d’église de premier plan y souscrivent même. Évidemment, pour diverses raisons. Dynamique citoyenne, réseau indépendant des organisations de la société civile camerounaise, pense à une période de transition démocratique de deux ans au cours de laquelle, « une feuille de route [sera] élaborée et adoptée pour servir de programme politique à la personne qui sera élue à l’issue des élections véritablement démocratiques de 2018 ». Christian Cardinal Tumi, quant à lui souscrit à l’idée d’une période de transition au cours de laquelle « les institutions démocratiques solides seront mises en place avant l’organisation d’élections libres, transparentes et justes, élections au cours desquelles chaque candidat ou chaque parti politique présentera sa philosophie politique, ou son projet de société aux Camerounais qui porteront au pouvoir un président de la République légitime et démocratiquement élu », les dirigeants de cette période ne devant pas prendre part aux élections qu’ils organiseront.
Cette position rejoint celle des partis politiques et associations regroupés au sein du collectif Stand Up For Cameroon.
L’idée d’une période de transition ne date pas d’aujourd’hui. Le 12 décembre 1993, dans un communiqué le Social Democratic Front  (SDF) appelait tous « les syndicats, et groupes socioprofessionnels [qui avaient lancé un mot d’ordre de grève], les autorités morales, les partenaires socio-économiques, et surtout les fonctionnaires et agents de l’État, à soutenir la réclamation du SDF pour la reconstruction nationale à travers la mise en place d’un gouvernement de transition ». Cette initiation n’avait pas prospéré à cause des divergences et frictions entre les membres de l’Union pour le changement au Cameroun (UPLC).
Une chose est certaine, la concrétisation de l’idée d’une période de transition passe obligatoirement par l’inversion du rapport de forces politiques sur le terrain entre le pouvoir en place, les partis et forces politiques de l’opposition. Encore faudrait-il convaincre ceux qui ne partagent pas cette idée et qui estiment qu’après leurs élections sur la base de leur projet de société, il n’est plus nécessaire de faire en sorte que leur mandat soit transitoire. Car, soutiennent-ils la période de transition n’a de sens que lorsqu’on se trouve dans une situation de crise majeure comme au Burkina, en Centrafrique et dans une certaine mesure en RDC.
Maheu


Guillaume Henri Ngnepi: La victioire de l'opposition aux prochaines élections est possible
On a coutume d’entendre de la bouche des membres et sympathisants de certains partis dits de l’opposition la déclaration suivante : « Nous avons tout essayé, mais rien n’a changé. Biya est très fort. » Ce propos est révélateur du défaitisme et de la résignation que le système en place a toujours voulus et veut imposer à la société camerounaise tout entière. Il invoque implicitement un déterminisme social et attire l’attention sur les difficultés que ceux qui luttent pour l’instauration d’un État de droit, véritablement démocratique doivent surmonter, face à un système politique qui reste sourd à la détresse des Camerounais. Guillaume Henri Ngnepi, dans la contribution ci-dessous pense que la tendance peut être inversée à travers les élections, à condition de savoir concilier les voix adverses, de faire campagne sur le nécessaire passage du droit à privilèges au droit égalitaire pour tous, de changer le personnel politique à défaut de changer la politique. Afin de rendre le texte digeste, Germinal a souhaité que l’auteur utilise, autant que possible, le style télégraphique.

I) Qu’est-ce que battre électoralement un adversaire ?
A- C’est d’abord tâcher de faire le plein des voix de ses propres partisans.
B- Mais comme personne, jamais, ne gagne avec ses seules voix à soi ;
C- C’est donc réussir ensuite à rogner les voix adverses ;
D- Il faut donc former un projet assez ouvert pour contenir ses propres intérêts et aspirations ainsi qu’en partie au moins ceux de l’adversaire.

II- Comment donc se concilier des voix adverses ?
A) Ce ne saurait être une question de dominance et de force, compte tenu de la situation de l’opposition qui se trouve opprimée, réprimée.
B) C’est donc, essentiellement, une question d’hégémonie qui consiste à obtenir de l’Autre une conduite déterminée, sans contrainte, par persuasion, séduction, etc, simplement parce qu’on incarne, à ses yeux, des valeurs qui font autorité :
- Faire basculer l’opinion publique, des conceptions propres au pouvoir d’Etat à d’autres, nouvelles, qui les contestent et surpassent.
- Pour cela, former un projet, un ensemble assez cohérent d’idées susceptibles de devenir l’objet d’une croyance, et d’une croyance commune, propre à remplacer en divers domaines, les croyances rituelles secrétées du haut du pouvoir d’Etat.
- Car il est nécessaire de conquérir l’hégémonie politico-idéologique antérieurement aux élections et à la prise effective du pouvoir d’Etat.
- C’est même une condition essentielle d’une victoire électorale véritable, dans la mesure où le jet du bulletin de vote dans l’urne décide bien moins de l’avenir que du sort à impartir au passé, en indiquant si l’on entend le reconduire, ou bien l’éconduire au contraire ; ce qui suppose la connaissance préalable de ce passé, laquelle s’obtient moyennant des débats d’idées, à tout le moins.  
- Ainsi, l’hégémonie n’est pas une simple affaire de nombre, de quantité de personnes, mais de qualité des volontés, du moins initialement, car dans la suite, c’est bien cette qualité imprimée aux volontés qui en accroît considérablement le nombre, de sorte à déterminer une majorité de voix dans un système démocratique véritable, tel qu’il va ci-dessous, être défini.  

III- Ainsi faut-il faire campagne sur le nécessaire passage du Droit à privilèges au Droit égalitaire pour tous.
A) Eléments distinctifs du Droit à privilèges :
1) Toutes les références à l’ethnicité comme légitimation du Droit à l’instruction, à la formation et à l’emploi, comme à l’occupation du sol.
2) L’ethnicité ainsi manipulée est un hochet qu’agitent des éléments de la petite-bourgeoisie intellectuelle, en mal de représentativité ethnique, préoccupés de se servir de l’ethnie à des fins personnelles (obtention de privilèges de toutes sortes, position de pouvoir, d’enrichissement, de prestige, etc.).
3) Ce faisant cependant, cette petite-bourgeoisie reprend simplement à son compte une vision du monde propagée par l’ethnologie colonialiste, à savoir la saisie de notre-être-dans-le monde en termes d’ethnies/tribus/clans dénombrés par myriades, et condamnés à se faire la guerre, à moins de l’intercession de quelque homme providentiel, hier le colon, et à ce jour son successeur, ‘’l’homme fort’’ adossé à un ‘’pouvoir fort’’. Les avatars de cette vision de nous-mêmes sont ‘’nos’’ diverses doctrines du ‘’partage ethnique’’ du pouvoir, des privilèges, du prestige, etc.  
 
B) Effets pratiques du Droit à privilèges :
1) Extinction de la conscience nationale, reflux de la conscience panafricaine ;
2) Promotion et consolidation tendancielle des identitarismes au référentiel ethnique ;
3) Enfermement, clôture, repli identitaire et affrontements présumés (en fait prétendus) ethniques.

C) Pseudo-Solutions proposées par le Pouvoir et une partie de son opposition : démocratie dite « consociative » ou « de concordance ». Ses expressions :
- rotation ethnique du pouvoir d’Etat ;
- partage ethnique des pouvoirs ;
- représentation ethnique de la société à l’Assemblée ;
- quotas ethniques dans les concours et emplois ;
Equilibre ethnique, régional, etc.
- rejet du principe de la majorité en matière d’élection au profit de celui du gouvernement dit d’« union nationale » qui, invariablement, se ramène à agglutiner autour de ‘’l’homme fort’’ certains de ceux qui l’ont affronté aux élections et qui sont désormais donnés pour perdants aux termes des résultats officiels.
- perpétuation du « pouvoir fort » adossé à un « homme fort » ;
- mépris des « institutions fortes ».

IV) Droit égalitaire pour tous comme nécessité et comme unique voie de la résolution des questions occultées par le droit à privilèges.
A) Les questions occultées car mal posées
1) La démocratie
a) Ni rotation, ni partage ethnique du pouvoir ;
b) Seulement pouvoir fondé, non sur la force, mais sur un droit dégagé à la majorité d’opinion, et non pas de provenance géographique, et faisant place à l’expression d’une minorité d’opinion susceptible de devenir la majorité du lendemain, moyennant l’exercice effectif du droit aux diverses libertés publiques (association, réunion, manifestation, etc.).
c) Si la démocratie repose sur le principe de la majorité d’opinion, qui est-ce qui est habilité à dire cette opinion ?
* Ce n’est pas le grand nombre ethniquement déterminé
* C’est le grand nombre qualitativement acquis à une représentation de son passé, à une appréciation de son présent, à une vision de son avenir, et par suite, converti à une opinion favorable ou défavorable à l’interruption ou à la poursuite de la politique en vigueur, et à celles et ceux qui la mettent en application.
 
2) L’égalité et la justice :
a) De quelle inégalité s’agit-il de se passer ?
* Non pas de celle qui provient de la nature
* Mais de celle qui, fait des hommes, relève de l’institué à travers, entre autres, le Droit à l’éducation, à la formation, à l’emploi, à la santé, etc.
* Cette inégalité de droit est abusivement convertie en une inégalité de nature par les doctrines et pouvoirs racistes, tribalistes, etc.
b) Si le juste n’est pas le simplement égal mais le proportionnellement égal, à quoi mesurer cette proportion ?
- Pas à la naissance, c’est-à-dire à l’extraction familiale et sociale.
- Pas à la fortune non plus ;
- Ni à l’héritage ;
- Ni même au degré d’instruction et aux parchemins consécutifs ;
- Seulement à l’aune du principe de l’utilité publique : ce que l’on fait pour la communauté nationale, la patrie, la totalité sociale, le collectif que sont la nation et le continent, et par suite, l’humanité.
c) Les différences de statut et de privilèges doivent se mesurer à la même aune, celle de l’utilité commune.
d) Ainsi les inégalités, non pas de nature, non pas de fait, mais de droit ne doivent obéir qu’au même principe de l’utilité publique.
e) Et pour être tenues pour justes, elles doivent être ouvertes à tous, selon d’identiques modalités. Ce qui suppose le principe de l’égalité des chances pour toutes et tous.
3) Pouvoir
a) Le fond du problème ne concerne pas tant la modalité de sa dévolution que sa nature, son essence :
- Il ne s’agit pas de savoir qui est habilité à le détenir, individu ou tribu, qu’importe ;
- Mais que faut-il qu’en soient le socle, l’assise sociale, la fonction, l’orientation, et les limites ?
b) Le problème est donc le suivant : quel pouvoir, pour quoi faire, au profit de qui, avec quelles assises sociales et quels contre-pouvoirs ?
c) Il faut promouvoir le Citoyen, en face du pouvoir, comme borne à son expansion, limite à ne pas franchir.
4) Sang, Sol et Argent.
Actuellement coincée entre le Capital et le Droit du sang, la question foncière est à résoudre de la manière suivante :
- Oter à la terre son caractère marchand actuel ;
- En substituant au droit de propriété le droit de jouissance ;
- En faisant valoir le Droit du Sol en lieu et place du droit du sang : afin que chacun se sente et soit effectivement partout chez soi.
- Ce qui suppose que les chefferies dites ‘’traditionnelles’’ deviennent des communes au pouvoir électif, et non plus dynastique.

IV- Conditions de possibilité :
A) Pour rendre tout cela effectif, il faut avoir, pour l’essentiel, changé de personnel politique, à défaut de changer de politique elle-même. Mais pour que soit possible l’un quelconque de ces changements, il est nécessaire de commencer par se doter d’une Commission électorale nationale, indépendante et consensuelle, en lieu et place de l’actuelle Elecam, critiquée, de toutes parts, pour sa partialité et son incapacité de se convertir à l’impartialité.  

B) Phase de transition d’une durée variable en fonction d’éventuels écueils, d’éventuels impondérables à surmonter, plus ou moins vite : deux à trois ans au maximum pour obtenir le consensus national sur les fondements de notre avenir commun, avant de relancer les élections pour nous adjuger un personnel politique pratiquant désormais la politique autrement qu’actuellement.
Eléments saillants à l’actif de cette phase :
- Une constituante consensuelle chargée d’élaborer une Constitution ou Loi fondamentale autre, exempte des vices et défauts des actuelles, dénoncés de toutes parts, y compris parfois dans les rangs du pouvoir, signe de la relative bonne santé mentale de notre pays qui peut ainsi se flatter d’avoir des hommes de bonne volonté et de progrès dans différents camps d’intérêts.
- Une véritable amnistie consécutive à un réel débat franc et fraternel ordonné à la promotion de la ‘’paix des cœurs’’, comme disait Ruben Um Nyobè, soumise à deux conditions fondamentales :
1) La reconnaissance et l’acceptation de l’Autre comme autre ;
2) La justice - distributive, à tout le moins.
- Institutionnalisation de la reconnaissance de la patrie aux morts sans sépulture qui sont les pionniers de la Nation, et dont la reviviscence de la mémoire doit aider à sceller un pacte social nouveau et ouvert.

Précisions importantes
Ces propositions ne sont pas incompatibles avec l’idée souvent et comme rituellement formulée, depuis 1992, à chaque échéance électorale, d’une candidature unique de l’opposition comprise comme une nécessité historique et politique actuelle, dans l’hypothèse du maintien en l’état, des lois non consensuelles et partisanes qui gèrent les élections.
Ces propositions intègrent simplement un paramètre auquel peu de cas semble fait, celui de la réelle mobilisation de l’électorat autour d’un ensemble d’idées et de projets propres à démarquer de la politique effectivement poursuivie par le parti au pouvoir, celle qu’une opposition ambitionnant une politique autre pourrait adopter. L’idée est que si un code électoral nouveau et consensuel est effectivement nécessaire, il ne suffit pas à garantir une victoire de l’opposition, quand, par impossible, la campagne viendrait à se dérouler sur la toile de fond des idées du parti au pouvoir, simplement reprises, de manière implicite par une opposition qui ne manquerait pas alors de donner l’impression de dire au pouvoir en place ‘’Ôte-toi de là que je m’y mette’’, sans le moindre égard au moindre changement de fond.
La candidature unique n’est pas une sorte de sésame là où le code électoral demeure inique, grossièrement partisan et ostensiblement favorable au candidat déjà en poste. Le cas récent du Gabon le montre à suffisance.
Aussi faut-il y adjoindre le consensus même de l’opposition sur un projet suffisamment ouvert pour accueillir au-delà de ses propres rangs, les bonnes volontés avides de faire basculer notre pays, d’un monde rance à un univers autre, où il fasse bon respirer un bol d’air oxygéné, frais.
La candidature unique ne peut, au demeurant, se constituer qu’autour d’un projet commun, assorti d’un programme commun. L’un et l’autre acceptés de toutes et de tous. Défendus par toutes et tous.
Pour que s’opère ce consensus sans accroc dirimant, il faut tenir compte du caractère de l’époque actuelle de notre lutte : nous sommes encore à l’ère des fronts de classes sociales, et le but poursuivi est bien moins le contrôle d’un appareil, quel qu’il soit, que l’atteinte d’objectifs communs. Or ceux-ci ne se fixent pas arbitrairement : seulement en fonction des niveaux de conscience et des possibilités pratiques ouvertes à la lutte.
Et puisque les niveaux de conscience, et par suite, des aspirations à l’avenant sont disparates, diversifiés, de petits pas collectifs, de loin préférables aux grands bonds solitaires, ne se feront qu’au prix de l’adaptation des objectifs au niveau moyen et commun de conscience le plus bas, qui en est, aujourd’hui, à la revendication, au-delà de la simple ‘’démocratisation’’, de la démocratie proprement dite. Mais cette conscience semble bien se satisfaire encore de l’ ‘’alternance’’, qui induit un simple changement d’hommes découplé du changement de la politique poursuivie, au lieu d’exiger des alternatives en divers domaines, c’est-à-dire des changements de politiques.
C’est du reste pourquoi la question du ‘’qui’’ dévaste littéralement nos représentations communes et courantes du champ politique, principalement sous la forme de la question suivante, angoissante pour certains : qui faut-il qui commande, et non qui ? Signe du reflux effarant de notre conscience politique commune, qui en était déjà, il y a soixante-neuf ans, avec Ruben Um Nyobè, à postuler, non pas simplement le pouvoir, mais la qualité du pouvoir, non pas quelque banale valse de personnel politique, mais un changement de politique assorti de sa pratique autre. C’est en fait le niveau de conscience politique que nous devons retrouver collectivement pour pouvoir avancer de même : la hauteur de vue qui permet de poser nos problèmes indépendamment des accommodements frivoles aux circonstances, et de l’ajustement de nos appétits aux commodités du moment.
La difficulté, en-deçà des différends susceptibles de proliférer à partir des différences et oppositions éventuelles dues à la diversité des extractions de classes, est celle de savoir sur quelle base, sur quel critère choisir le candidat, ou la candidate, unique. Le moins contestable, du moins a priori, est le critérium des résultats électoraux antérieurs, si peu fiables soient-ils par ailleurs, en raison des irrégularités qui émaillent invariablement les scrutins. Il est cependant possible de penser la candidature unique comme une construction qu’en tout cas, elle sera de toute nécessité : il faut, en effet, déterminer des tâches à accomplir, avant d’élaborer le profil de la personne pressentie pour y être préposée, pour enfin choisir ladite personne. En tenant certainement compte d’autres facteurs, plus personnels tels que la probité, la fermeté, la résilience, sans compter la reconnaissance et l’acceptation des règles communes énoncées.
Si une candidature unique est finalement trouvée, la vraie difficulté restera celle d’agréger l’électorat à la gestion de l’ensemble du processus électoral, au-delà même de la proclamation officielle des résultats, principalement quand celle-ci, comme au Gabon, viendrait à méconnaître une volonté populaire sortie des urnes, favorable à l’opposition.
Là encore, le processus envisagé ici recèle quelque intérêt, dans la mesure où il requiert et favorise, au-delà de l’entente des états-majors, l’adhésion motivée et raisonnée de l’électorat, laquelle peut, seule, sous-tendre la résilience populaire, en cas de revendication post-électorale éventuelle.

En somme, l’opposition :
1) Peut se construire une candidature unique. Elle se le doit. Et le doit même et surtout à notre Patrie commune. Notamment en raison de ce que le scrutin ne se déroulant pas à deux tours, mais à un seul, toute dispersion des voix serait immédiatement préjudiciable à quiconque entend se porter au-delà du cours actuel de la politique, chez-nous.
2) Cela ne peut s’effectuer que sur la base d’un projet commun, assorti d’un programme commun conçu pour une période de transition allant de deux à trois ans au maximum.
3) Projet et programme communs qui n’ont pas à être la seule affaire des états-majors, mais une croyance commune, préparant à un vécu nouveau et autre de la pratique politique, fait d’exigences incompatibles avec l’ordre des choses en cours.
4) D’où la nécessité d’une vaste campagne de presse visant à informer, au sens de dire ce qui se passe pour proprement donner forme, modeler l’opinion publique, la préparer à l’éventualité d’une lutte longue, ardue, en commençant par la créer en structurant et fortifiant ce qu’elle a d’informe et d’anomique à présent, de sorte à en faire une force politique de poids : s’il faut gérer une éventuelle crise post-électorale comme on dit, cela n’est nullement possible sans une presse d’opinion attentive à la lutte que mène l’opposition, et à son écho auprès de la société civile et des masses populaires, d’ailleurs partie prenante à tous les combats, dans la mesure où la neutralité étant aléatoire, l’engagement n’est pas un devoir auquel on peut, à volonté, se dérober, mais un fait toujours déjà là, et dont on se doit de tirer simplement les conséquences, en toute responsabilité, quand du moins l’on tient à ne pas déchoir à ses propres yeux, au point de perdre l’estime de soi.  
5) L’opposition devrait avoir pu entrer en campagne depuis longtemps, pour battre campagne sur des principes, des idées et projets, plutôt que sur des personnes, de sorte à tracer et faire admettre et partager largement la figure et les contours généraux de l’ordre autre qu’elle appelle de ses vœux, et propose à l’adhésion de l’électorat.
6) Elle peut encore s’y prendre dès à présent : quiconque attend l’ouverture officielle de la période électorale prévue pour durer quelques semaines sans plus, est sans doute un légaliste à tous crins, mais au loyalisme passablement benêt, qui confond temps électoral et façonnement d’un courant d’opinion, faute, pour ne l’avoir pas tant soit peu fréquenté, d’avoir appris de Trotsky que « celui qui s’incline devant les règles établies par l’ennemi ne vaincra jamais. »
Guillaume-Henri Ngnépi
Philosophe