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«Près de 70% de Camerounais ne sont pas gouvernés» - Page 4

«Près de 70% de Camerounais ne sont pas gouvernés» - Page 4

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Index de l'article
«Près de 70% de Camerounais ne sont pas gouvernés»
Au coeur d'une oeuvre: Christian Cardinal Tumi, un intellectuel engagé
Tajectoire d'un Cardinal iconoclaste et «rebelle»
Extrait: Notre système judiciaire et la corruption
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Extrait: Notre système judiciaire et la corruption
La corruption judiciaire désigne toute influence indue sur l’impartialité du processus, par tout acteur du système judiciaire. Elle concerne les policiers, les gendarmes, les avocats, les procureurs, les juges, les gardiens de prison et tous ceux qui participent à la chaîne de prise de décision judiciaire.
De manière générale, Transparency International situe la corruption dans le système judiciaire à deux niveaux : l’in‑ gérence des autres pouvoirs (exécutif, législatif, écono‑ mique,  médiatique,  militaire,  etc.)   et   les   pots‑de‑vin  :
« L’ingérence politique se traduit autant par la menace, l’in‑ timidation ou le simple soudoiement des juges que par la manipulation des nominations judiciaires, des salaires et des conditions d’emploi. Quant aux pots‑de‑vin, les fonc‑ tionnaires de justice peuvent extorquer de l’argent pour des tâches qu’ils sont de toute façon tenus d’exécuter. Les avo‑ cats peuvent exiger des honoraires supplémentaires pour accélérer ou repousser une affaire ou pour orienter leurs clients vers des juges connus pour rendre (afin d’obtenir) une décision favorable. Pour leur part, les juges peuvent accepter des pots‑de‑vin pour retarder ou accélérer une affaire, accepter ou rejeter une procédure d’appel, influen‑ cer d’autres juges ou simplement trancher une affaire dans un sens donné. Les cas de policiers qui falsifient les preuves justifiant des poursuites pénales sont légion. On constate que de plus en plus, les procureurs n’appliquent pas des critères identiques à toutes les preuves rassemblées par la police. Une certaine forme de corruption manipule le système judiciaire pour aboutir à une décision injuste. Mais beaucoup versent des pots‑de‑vin pour diriger ou accélérer la procédure judiciaire en vue d’une décision qui peut s’avérer tout à fait juste »
Ainsi, selon le rapport mondial 2006 de Transparency International publié le 26 septembre 2007 : « En Afrique, le système judiciaire camerounais est le plus corrompu. Dans le continent, une personne sur cinq interrogées et ayant été en rapport avec la justice, affirme avoir versé des pots‑de‑ vin.»
Il est même annoncé que : « 59 % des personnes consul‑ tées en Afrique estiment que le système judiciaire est   corrompu. Au Cameroun, 80 % des enquêtés assurent qu’il est plutôt très corrompu19 ». La corruption est grave au niveau de notre système judiciaire qui a pourtant pour mission de faire régner l’équité. Des magistrats, juges et procureurs vendent leurs jugements au plus offrant. Les prévenus qui sont incapables de payer devront passer des années en pri‑ son, parfois même sans avoir été jamais jugés, ceci en fla‑ grante violation des droits humains et des lois du pays. Et lorsqu’une décision de justice est finalement rendue, son exécution n’est pas évidente. Et pourtant, il faut que le sys‑ tème judiciaire ait au Cameroun la capacité d’agir en marge, et parfois contre les intérêts de la classe politique et du gouvernement.
Nous avons appris, il y a quelques années, qu’un juge espagnol a demandé et obtenu l’arrestation du Général Pinochet en visite à Londres, et qu’un tribunal espagnol a examiné les conditions d’extradition. C’est une décision très positive, mais qui a entraîné des problèmes politiques énormes. La logique d’action pour l’exécutif n’aurait pas été la même que celle des juges. Je me demande si, dans notre pays, un juge peut avoir le courage d’ordonner l’arrestation d’un dignitaire du régime soupçonné de torture ou de cor‑ ruption sans en avoir reçu les « ordres d’en haut ».
Les juges ne doivent pas agir en suivant les stratégies d’un parti politique ou les intérêts du secteur privé ; ils doi‑ vent rester hors du contrôle de toute corporation, associa‑ tion ou groupe d’intérêt. Cela s’appelle « impartialité ». Il reste à savoir si on peut concevoir qu’il existe, au Cameroun, des juges indépendants et impartiaux, et si le pouvoir le souhaite vraiment.
Nos palais de justice deviennent de plus en plus des épouvantails pour les justiciables pauvres et sans relations. Ils se trouvent exposés à toutes les injustices. La situation est particulièrement angoissante pour ceux qui sont innocents de ce dont on les accuse. Les marchés publics donnent lieu à des occasions de surfacturation, au grand dam des contri‑ buables. La passation des marchés se faisant à tour de bras. Toutes choses conduisant les sociétés publiques et parapu‑ bliques à se muer en société familiales sinon claniques, au vu et au su de tous.
Ils sont peu nombreux à faire vraiment confiance en la justice de notre pays. Pourtant il le faut bien pour la rendre encore crédible. Parce que, lorsqu’un peuple perd confiance en son système judiciaire et se fait justice lui‑ même, l’arbitraire s’instaure. Ainsi, l’une des conséquences les plus visibles de la corruption chez nous demeure la jus‑ tice populaire. Elle exprime bien l’abus de confiance dont sont victimes les Camerounais dans les brigades de Gendarmerie et les commissariats de police.
Il n’est pas rare de constater que des Camerounais se plaignent de ce que les présumés bandits arrêtés sont remis en liberté très rapidement. Parfois même ces derniers sont arrêtés en flagrant délit. C’est donc pourquoi, sans pour autant la cautionner, les Camerounais estiment, au mépris de la vie humaine, que la meilleure solution est d’en finir avec ces malfaiteurs sur place. Il suffit de crier « Au voleur
! » pour que la foule batte à mort l’individu.
Source: Christian Cardinal Tumi, Ma foi: un Cameroun à remettre à neuf, Douala, Editions Véritas, 2011, 270p.