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«Près de 70% de Camerounais ne sont pas gouvernés» - Page 2

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Index de l'article
«Près de 70% de Camerounais ne sont pas gouvernés»
Au coeur d'une oeuvre: Christian Cardinal Tumi, un intellectuel engagé
Tajectoire d'un Cardinal iconoclaste et «rebelle»
Extrait: Notre système judiciaire et la corruption
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Au coeur d'une oeuvre: Christian Cardinal Tumi, un intellectuel engagé
A travers ses deux récents ouvrages, il est possible de cerner la profondeur de la pensée de Christian Cardinal Tumi. La lecture de ces livres nous fait découvrir un homme de convictions, un intellectuel engagé qui dit et écrit ce qu’il pense et non ce qu’il a intérêt à dire ou à écrire.
Le Cardinal Christian Tumi est un homme d’Église qu’on ne présente plus aux Camerounais.  Il se distingue surtout par ses prêches et ses plaidoyers en faveur des marginalisés, du monde-d’en-bas et des laissés pour compte, et par ses énergiques prises de position contre les injustices sociales, le tribalisme, la malgouvernance, la corruption, l’autoritarisme. Ses différentes sorties médiatiques, ses coups de colère, son engagement social et politique et son activisme ont fait de lui un homme à part. Il est la voix des rien-du-tout, leur père, leur défenseur. Pourtant, pour certains politiciens (qui en réalité ne sont pas des hommes politiques) au pouvoir, il est un prêtre rebelle, arrogant et violent qui dérange ; un agitateur dangereux pour la paix sociale et la stabilité des institutions, un prélat à faire taire, car il « se mêle de ce qui ne le regarde pas et prétend contester l’ensemble des vérités reçues et des conduites »(1) communes. Par cette catégorisation, peut-on dire que le prince de l’Église catholique se présente comme un intellectuel engagé parce qu’il « se mêle de ce qui ne le regarde pas », de ce qui ne relève pas a priori de sa compétence ? De quoi se mêle-t-il ? Et en quoi est-il un intellectuel ? Qu’est-ce qu’un intellectuel ?
Un intellectuel est une personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit, qui s’engage dans l’espace public non pour plaire ou flatter (2), mais pour exposer ses analyses, ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, qui dispose d’une forme d’autorité. Vu sous cet angle, le Cardinal Christian Tumi se présente comme un intellectuel engagé. Il est possible à travers son œuvre (ses publications) de cerner cette autre dimension de l’homme de Dieu,  œuvre dans laquelle il développe sa passion pour la vérité, la justice, l’amour, ses convictions pour un Cameroun nouveau débarrassé de toutes les structures du péché (du mal) qui hypothèquent au quotidien son progrès et son avenir. Il suffit de prendre connaissance de ses deux principaux ouvrages pour saisir le degré de son engagement. Ce sont :
- Les deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (Éclairage), prêtre, Douala, Macacos, 2006, 184p.
- Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf, Douala, Éditions Véritas, 2011, 268p.
Indépendant depuis le 1er janvier 1960, le Cameroun a connu sur le plan politique, deux présidents, Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et Paul Biya (1982 à jours). Le Cardinal Tumi expérimente les deux régimes, sa vie de prélat lui a permis de tirer la conclusion selon laquelle « l’exercice de l’autorité est abusif, et va contre les principes fondamentaux de ce qu’on entend par le mot autorité ».(3) Une telle prise de position risquée dans un pays où la liberté d’expression est contrôlée, sonne faux dans les oreilles de ceux qui détiennent et confisquent le pouvoir contre vents et marées. Son discours contre la tyrannie et l’inertie, son refus d’adhérer à un parti politique, son courage de dénoncer l’injustice et de stigmatiser une gestion à l’emporte-caisse, source de souffrances et de misère, l’ont exposé aux calomnies et menaces diverses, aux tentatives d’assassinat de la part des gouvernements successifs. D’abord sous Ahidjo, il s’affirme comme un iconoclaste visionnaire, membre du « Christian Study Group ». Il participe à la rédaction de la Lettre pastorale des évêques de Buéa et de Bamenda en 1977 « sur la lutte contre la corruption au Cameroun » (4). Nommé Évêque, deux ans plus tard, en 1979, il est confronté au problème d’islamisation forcée des populations Kirdis dans le Diocèse de Yagoua, une situation face à laquelle il ne restera pas indifférent. Pour lui, l’islamisation forcée est contre la Constitution qui dispose dans son préambule que chaque citoyen a le droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. De Bamenda à Yagoua, il est convoqué et rappelé à l’ordre par les différents gouverneurs. Accusé de « trouble à l’ordre public », il est soumis à une sorte de « tribunal militaire » (5). Sous le régime Biya, en cours depuis 1982 (déjà 34 ans que ça dure), il est victime des attaques et des menaces diverses, certaines pouvant être assimilées à de tentatives d’assassinat. Il aura a fallu de peu pour que le Cardinal Tumi soit impliqué dans un complot terrible de « coup d’État ». Un policier, Tonye Robert, avait été engagé pour déposer des stocks d’armes à son domicile aussi bien que chez des « particuliers gênants pour le régime, des citoyens innocents à son avis » (6). Mais ce dernier avait dévoyé la mission en allant vendre la mèche à Pius Njawé qui a tout de suite informé le Cardinal. Se sentant menacé par le Général Pierre Semengue, auteur de la mission, ledit policier a été accueilli chez Tumi qui a entrepris de l’exiler, ainsi sa femme enceinte. Si le coup avait réussi, le Cardinal aurait été accusé de haute trahison et ipso facto condamné à mort. « Comment des compatriotes supposés honorables pourraient-ils nourrir d’aussi diaboliques et sordides projets contre les compatriotes ? » (7), s’interroge le Cardinal.
Le parcours de notre intellectuel chrétien n’est-il pas semblable à celui de Socrate, qui en son temps, avait été victime de nombreuses calomnies de la part de ses détracteurs qui l’accusaient d’impiété et de corruption de la jeunesse à travers ses enseignements. Socrate se présentait à ses concitoyens comme un éveilleur de conscience, qui dérange par son ironie mordante et empêche les hommes de dormir, une « sorte de taon » que le dieu a attaché à la Cité, pour aiguillonner, exhorter, invectiver chacun individuellement (8). Telle est aussi l’attitude du Cardinal philosophe chrétien, qui par ses écrits veut « contribuer à l’avènement d’un Cameroun nouveau où les Camerounais et Camerounaises transformé(e)s, ayant pris conscience de l’existence de Dieu, vivent selon Ses principes » (9). En espérant qu’il ne sera pas condamné à l’exil ou comme Socrate à boire la ciguë, il continue son combat et se montre audacieux, déterminé et infatigable. Il résiste et avance malgré toutes les calomnies et les menaces de mort, sur le chemin de la vérité, du dialogue, de l’ouverture démocratique, de la paix, de la justice sociale et du progrès véritable du Cameroun et de l’Afrique. Il se trouve qu’en tant que personne et citoyen éclairé, il n’est pas indifférent aux différentes calomnies et injures formulées à son égard. C’est pourquoi, il tente à (presque) tous les coups de répondre dignement, d’apporter un éclairage lucide, d’exposer objectivement ses convictions en tant que témoin privilégié de son temps afin d’offrir « aux générations futures un autre regard sur l’histoire de notre pays et les travers de ses dirigeants » (10). De nombreux préjugés tenaces ont été à dessein perpétués contre sa personne. Entre autres :
Le Cardinal Tumi est un opposant radical. Au Cameroun, malgré la libéralisation de la vie politique par la réinstauration du multipartisme au début des années 1990, le mot « opposant » a une connotation péjorative. S’opposer, c’est agir contre le régime politique incarné par le Renouveau – RDPC ; c’est parfois se mettre hors-la-loi. À cet égard, un opposant est considéré généralement comme un ennemi de la nation, c’est-à-dire quelqu’un qui conteste la légitimité et la légalité du pouvoir, et qui utilise des moyens anticonstitutionnels soit pour conquérir le pouvoir politique. Il est donc un marginal, un subversif ou un rebelle qui sabote l’unité nationale et refuse le progrès général, c’est « celui qui jette un discrédit mensonger et anti patriotique sur le Cameroun. [Ses propos sont] de nature à créer la suspicion, la haine, le désordre et la division » (11). Au Cameroun, l’opposition peut renvoyer alors « à des acteurs collectifs et individuels qui communient dans la critique au régime. À cet égard, il arrive que les partis politiques soient relayés par des hommes d’église tels que le Cardinal Tumi dans l’action de dénonciation des «fraudes électorales» et de revendication des « élections libres et transparentes » (12). Par ailleurs, il a été accusé de vouloir se porter candidat à la magistrature suprême afin de mettre un terme au régime autoritariste de Biya. Face à ce procès d’intention, le Cardinal Christian Tumi indique qu’avant d’être Évêque, il est citoyen camerounais à part entière. Cependant, en tant que Evêque, son rôle n’est pas de se présenter à une élection politique. De plus, il déclare avoir pris l’engagement solennel à ne jamais s’allier à une tendance politique contre une autre.  Cette posture lui permet de s’affranchir de tout parti pris, de toute partialité. Il préfère se ranger dans le camp de la vérité, de la justice, de la paix et des valeurs démocratiques.
Le Cardinal Tumi est un tribaliste. Un tribaliste est une personne qui adopte une attitude consistant à s’attacher excessivement à sa tribu en la survalorisant et en considérant les autres comme inférieures à la sienne. C’est celui qui fait l’apologie du tribalisme, ce mode funeste de production politique, accoucheur de violence stérile, absurde dont les effets pernicieux hypothèquent la possibilité d’un vivre-ensemble pacifique. D’après le Minat, Ferdinand Koungou Edima et le Mincom  Jacques Fame Ndongo, le Cardinal est tribaliste en ce sens qu’il affirme que: « Au Cameroun, le pouvoir est confisqué par une tribu, les betis »(13). Réagissant à ces propos mensongers visant à jeter le discrédit sur sa personne et ses enseignements, le Cardinal Tumi habitué au genre épistolaire répond à Jacques Fame Ndongo  et apporte un éclairage sérieux : « J’affirme catégoriquement que je n’ai jamais dit que  «le pouvoir est confisqué par une tribu au Cameroun ». Ce que je reconnais, c’est qu’au Cameroun, nous nous comportons comme si nous sommes originaires d’une seule tribu. À vous d’assumer seul, la conclusion qui découle de votre résumé [...] Je crois que si nous sommes une nation, tout Camerounais doit se sentir chez lui partout au Cameroun. Est-ce le cas, Monsieur le Ministre ? [...] Aucune tribu ne peut gouverner seule ce pays ; essayer de le faire serait de la provocation pure et simple d’une guerre civile ».14 Au fond, écrit-il, il se trouve que « la meilleure stratégie des tricheurs, qui jusqu’ici a consisté à traiter toute revendication de tribaliste, ne résiste plus devant le constat déroutant et embarrassant de la razzia organisée par ailleurs par les mêmes ». Ce qui conduit à des « idéologies de stabilité factice. [Des idéologues] feignent de ne pas voir, de ne pas comprendre, et de ne pas avoir peur ».(15)
De ce qui précède, malgré les calomnies à l’égard du Cardinal, nous pouvons le considérer au regard de ses écrits et de ses actions comme un intellectuel chrétien engagé qui va à contre-courant de la pensée et des habitudes communes. Il pense et agit autrement. Éclairé par l’Évangile, nourrit du Catéchisme et l’enseignement social de l’Église Catholique, lecteur des philosophes humanistes, il mène son combat pour la fin de la dictature, de la tyrannie, de la misère, de l’injustice. De même, il milite pour la libération et à l’épanouissement total de l’homme sans distinction de tribu, de sexe, d’âge, de religion, de position sociale. Il est un homme de convictions qui prend la parole pour condamner les dérives immorales, sectaires et antidémocratiques, mais aussi pour défendre des valeurs, proposer des solutions. Les grands thèmes sur lesquels il se penche sont, entre autres : la justice, l’amour, la Vérité, l’état de droit, la crise de l’autorité, la démocratie, les droits de l’homme, la liberté d’association, de conscience et d’expression, la transparence électorale, la place de Dieu, le chrétien et le développement, l’engagement social et patriotique, la citoyenneté, le tribalisme, l’unité nationale, la jeunesse, l’éducation, la famille. Ce qui fait de lui, un être multidimensionnel.
Le Cameroun semble devenu politiquement ingouvernable et socialement invivable, il est un volcan prêt à cracher ses larves et à les répandre partout. Pour le Cardinal Tumi, la situation actuelle est chaotique, car il suffit d’observer la vie politique et sociale pour comprendre le statu quo marqué par l’absence de dynamisme et de progrès. Nous tournons en rond, faisons du « sur place » et « le résultat de tout cela est ce sentiment d’indifférence et de défaitisme qui habite les cœurs des Camerounais, surtout la jeunesse »(16). Pourquoi est-on arrivé à ce stade ? Tout simplement à cause de la mauvaise gestion. Les politiques ont sacrifié le peuple et la jeunesse au profit de leurs intérêts particuliers et stratégiques. Conséquence, le pays sombre dans l’anarchie et le marasme économique. Le Cameroun est le pays où la corruption est endémique, où la malgouvernance, le vol, le pillage systématique des biens communs, le tribalisme, la misère, les violations des droits et libertés des citoyens, les injustices … sont des réalités quotidiennes. Malgré cette situation tragique et face au défaitisme et à l’indifférence de la majorité, le Cardinal Tumi interpelle ses compatriotes à faire des efforts pour sortir par la grande porte. Il leur demande de ne pas avoir peur. Il s’adresse à eux avec assurance et conviction, les invite à l’action et les exhorte à garder la foi en l’avenir. Pour lui, tout est encore possible. Comment ? Par l’amour de Dieu, l’amour de la vérité et de la justice qui nous ouvrent à l’amour du prochain, de la patrie, à l’amour du travail bien fait. Un rêve qui peut devenir réalité si tous les Camerounais et toutes les Camerounaises le souhaitent du fond de leur cœur et le vivent quotidiennement.
N’en déplaise à ses contempteurs, le Cardinal Christian Tumi, n’est pas un intellectuel organique, compromis et partisan. Son combat vise à libérer l’Homme, à promouvoir son bien-être. Il se présente comme un Guide qui a le sens des valeurs, un Oracle visionnaire. Ses écrits ont valeur prophétique en ce sens qu’il nous invite à un éveil de conscience en vue d’une conversion radicale. Si chacun se détournait des structures du péché, des démons du vol, de la méchanceté, de la tricherie, du mensonge, de la division, de l’égoïsme, du meurtre, etc., le Cameroun serait le pays le plus beau, noble, juste et prospère.
« Que ceux qui nous gouvernent écoutent les cris de ceux qui souffrent et se montrent bienveillants envers eux. Qu’ils ne soient plus indifférents aux cris de l’orphelin, de la veuve, du mendiant, de l’enfant de la rue, de l’angoisse de tous ceux qui ne savent pas de quoi demain sera fait. Qu’ils soient miséricordieux envers tous ceux qui souffrent de la violence et des injustices sociales, etc.»(17) écrit-il. Intellectuel chrétien, il se tourne vers son Dieu, Créateur tout puissant et Miséricordieux, et pense que « Dieu seul peut donner à chaque Camerounais et chaque Camerounaise, surtout aux dirigeants et leaders politiques ou à ceux qui aspirent à la gestion des affaires du pays, la grâce, la sagesse et toutes les vertus citoyennes qui permettraient le vivre‑ensemble. Ces vertus sont entre autres : la crainte de Dieu, l’amour du prochain, l’amour de son pays, l’amour du travail bien fait, la gestion transparente des affaires publiques, le refus de faire du mal aussi bien en acte qu’en pensée, la recherche de la paix »(18).
Kakmeni Yametchoua
1 Jean Paul Sartre, Plaidoyer pour les intellectuels, Paris, Gallimard, 1972, p.12.
2. Au Cameroun, ceux qui prétendent être intellectuels sont pour la majorité engagés sur le chemin de la jouissance et de la partisannerie, les Intellectuels du système ou intellectuels organiques.
3. Cardinal Christian Tumi, Les deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (Éclairage), prêtre, Douala, Macacos, 2006, p. 154.
4.Les deux régimes..p. 15-28
5. Ibid. , p. 36.
6.Les deux régimes..p. 85.
7.Ibid. , 89.
8.Platon, Apologie de Socrate
9 Ma foi.. , p. 181.
10. Les deux régimes..p. 13.
11 Ferdinand Koungou Edima, cité par le cardinal Christian Tumi,
12. Luc Sindjoun, « Ce que s’opposer veut dire: L’économie des échanges politiques », Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Politique parlementaire et politique autoritaire, Sous la dir. de Luc Sindjoun, Dakar, CODESRIA, 2003, p. 39.
13 Lire : Jeune Afrique Economie, n°317, du 02/10/2000 ;  Cameroun Tribune, 05/11/2003
12 Les deux régimes.. pp. 118-119.
13 Ma foi.. , pp. 48-49, 128.
14 Ibid. , p. 19.
15 Ibid. , p.181.
16 Idem
17- Ibid. , p.181.
18 Idem.