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Les Injustices de la justice

Les Injustices de la justice

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Index de l'article
Les Injustices de la justice
Page 2
Que nul ne saisit la justice s'il n'est riche...
Abus de justice: lenteurs judiciaires et procès expéditifs se côtoient
Une justice aux mille maux
L'ombre de la Chancellerie plane sur les prétoires
Au service de l'injustice
Dans l'univers mafieux des cabinets
Maitre Jean-Marie Nouga: La création du TCS a revélé les faiblesses de la justice
L'erreur judiciaire, par Daniel Mekobe Sone
Toutes les pages

Ces injustes qui jugent!!!
La justice en tant que valeur et institution fait aujourd’hui débat au Cameroun. Les raisons d’un tel intérêt proviennent certainement des injustices dont elle s’est rendue coupable  depuis l’Opération Epervier.
Il faut chercher les causes de cette « entrée de la justice en injustice », pour reprendre les mots d’Enoh  Meyomesse, dans le processus de sa politisation engagée depuis les premières heures des indépendances et dont le terme aujourd’hui est son inféodation, sa vassalisation par le politique. Il ne serait pas exagéré de dire pour parler comme Charly Gabriel Mbock que la justice camerounaise s’est assigné un « devoir d’injustice ».
On pourra accorder aux magistrats qu’ils peuvent se tromper et qu’ils se sont très souvent trompés. Mais la régularité impénitente avec laquelle les juges d’instruction foulent aux pieds les lois qu’ils sont censés dire et faire respecter est par trop flagrante, massive et systématique qu’elle a nécessairement quelque chose de diabolique : Errare humanum est, perseverare diabolicum est, l’erreur est humaine mais persévérer dans l’erreur est diabolique.
Les injustices dont sont coupables les juges d’instruction

sont nombreuses mais la plus remarquable est la recherche obsessionnelle de la privation de liberté telle qu’on l’observe dans les gardes à vues et les détentions provisoires abusives autant qu’illégales contrairement à l’esprit  et à la philosophie de notre code de procédure pénale pour qui la liberté est la règle et la détention, l’exception. La pratique en matière pénale, on le voit consacre l’inversion de ce sacro-saint principe. La conséquence au plan de la démographie carcérale en est la surpopulation dans les prisons avec tout ce que cela comporte comme négation de droits humains les plus élémentaires. On se référera avec fruit aux statistiques publiées dans le Rapport du Ministère de la justice sur l’état des droits de l’homme au Cameroun en 2014.


Le devoir d'injustice
Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour suprême, le 23 Février dernier, le premier président de ladite Cour M. Daniel Mekobe Sone en son allocution sur L’Erreur judiciaire dans la vie du droit au Cameroun, constatait : « Depuis quelques années, la justice est au centre de toutes les préoccupations. Elle suscite plus que par le passé une attention particulière de l’opinion publique et des médias ».
L’interrogation de cet intérêt général pour la justice ne se poserait pas sous d’autres cieux, où la politique en son sens premier et noble, comme participation réelle de tous à la gestion de la Polis et de la Res publica, est la chose la plus communément partagée. Mais au Cameroun, en raison du contexte de désaffection du petit peuple vis-à-vis de la politique d’une part, et au regard des rapports de Amnesty, Transparency et Human Rights watch, des exigences du FMI et de la BM en matière de bonne gouvernance à l’endroit du régime de Yaoundé d’autre part, il faut bien se demander , au vu de l’hypermédiatisation voyeuriste et de la théâtralisation de l’ opération Epervier, au-delà de la manœuvre ostentatoirement maladroite du régime d’Etoudi, destinée à rassurer les bailleurs de fonds, si finalement cet intérêt populaire pour la justice est le signe d’une évolution politique du peuple ou le résultat de son instrumentalisation par le régime de Biya qui manœuvre grotesquement pour détourner l’attention des véritables questions en offrant le spectacle d’une justice théâtrale comme exutoire de la misère ambiante. En cela, on voit bien que le régime des séminaristes en place à Yaoundé a bien assimilé mais alors restrictivement les humanités grecques et latines : en lieu et place « du pain et des jeux » comme le faisaient les dictateurs romains, il nous donne seulement des jeux ! Et quel spectacle : une justice qui jette ses justiciables en pâture

Une Justice politisée dès les premières heures
L’injustice qui frappe aujourd’hui la justice camerounaise et dont l’Opération Epervier a permis cliniquement aux camerounais d’en prendre conscience, n’est pas aussi récente. En réalité, elle trouve son origine dans le fait colonial. La justice est alors un instrument de répression politique aux mains des colonisateurs allemands, français et britanniques que le Cameroun aura connu au gré de l’histoire. « L’histoire des premiers pas de la justice au Cameroun, écrit Enoh Meyomesse dans son texte ''L’entrée en injustice de la justice camerounaise'', publié dans l’ouvrage collectif L’Opération Epervier sous la coordination de Charly Gabriel Mbock, enseigne principalement que « tout a commencé par des procès politiques, dans des juridictions politiques. Les lois et applications venaient toutes d’ailleurs, inspirées par une puissance étrangère […] Cinquante ans plus tard, le Cameroun affiche sa difficulté à rattraper ce mauvais départ judiciaire ».
Cette historicité qui atteste de l’irruption du politique dans le judiciaire se perpétue encore aujourd’hui sous le mode de l’inféodation du pouvoir judiciaire à l’exécutif en dénégation du principe de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, qui consacre la nature du système politique républicain et démocratique. La vassalisation de la justice se vérifie par cette première raison : le conseil supérieur de la magistrature dont la raison d’être est de protéger l’indépendance et l’impartialité du magistrat contre le pouvoir exécutif, au regard de sa dépendance organique en tant que fonctionnaire, est présidé par le Président de la République, par ailleurs chef de l’exécutif. Me Assira avocat au barreau du Cameroun, fort de ce constat observe : « […] dans son organisation et son mode de fonctionnement actuel cette institution s’est révélée inapte à assurer l’indépendance de la magistrature. Le président de République est en même Président du Conseil supérieur de la magistrature dont le Vice –Président est le Ministre de la justice, Garde sceaux » (id.). Justement, l’évocation du Ministre de la justice, nous amène à relever le rôle qui lui est dévolu dans la conduite de l’Opération Epervier, qui établit si besoin en était de la suzeraineté du politique sur le judiciaire. Cette instrumentalisation de la justice a fini par la dévoyer dans sa nature et ses missions de sorte que, suivant les mots de Charly Gabriel Mbock, elle s’est assigné un «  devoir d’injustice ».

Les injustices de la justice
La justice camerounaise discrimine entre les citoyens. La création du TCS est la preuve que devant elle les citoyens n’ont pas les mêmes droits selon qu’ils sont puissants ou qu’ils font partie de la plèbe. Le TCS est la consécration de l’inégalité des citoyens camerounais.
Au plan de la logistique juridico-textuelle et procédurale, en nous appuyant sur le paradigme de l’Opération Epervier, on peut recenser un ensemble de dispositions que la justice viole allégrement :
C’est un principe acquis de notre code de procédure pénale que la liberté est la règle et la détention l’exception. Dans la pratique, les juges d’instruction (réflexe d’anciens représentants du Ministère Public ?) en sont arrivés à l’inversion de ce principe. En effet, il y’a comme une quasi institutionnalisation de la présomption de culpabilité contrairement aux dispositions des articles 8,155 et 156 du CPP qui stipulent qu’un prévenu jusqu’à ce qu’il soit jugé et condamné, bénéficie de la présomption d’innocence ;
Il en découle une pratique abusive et illégale de la détention provisoire, contraire aux dispositions de l’article 218 du CPP. Pour les cas des dossiers de l’Opération Epervier la nécessité de la détention ne se pose plus car les faits qui la commandent sont très souvent anciens, les prévenus auraient eu donc tout le temps de contrevenir aux objectifs de la détention provisoire. En fait, il y a un dévoiement de la détention provisoire par les juges d’instruction, notamment à Yaoundé. Ces magistrats ont mis au point ce que Me Assira nomme une « notion prétorienne de disjonction de procédure » qui consiste, au terme de la détention provisoire à scinder la procédure en deux parties : une première constituée de chefs d’inculpation censés avoir été élucidés à l’issue de la période légale de détention provisoire, et une deuxième partie constituée des chefs d’inculpation toujours en cours d’investigation. Ainsi, seule la première partie donne lieu à une ordonnance de renvoi devant les juridictions de jugement. Ce qui entraîne mécaniquement le maintien en détention de la personne poursuivie, en violation des dispositions de l’article 218 et suivants. L’une des conséquences de ce manquement grave est la surpopulation carcérale.
On peut citer : la restriction de l’accès au dossier pénal de la personne poursuivie ; la restriction abusive au droit de visite ; la mise en indisponibilité abusive des biens de la personne poursuivie ; sur un tout autre registre , l’allongement du délai de jugement ; la motivation fantaisiste des décisions de justice ; le non-respect de la règle du non bis in idem , i.e. de ce qu’une personne ne peut être poursuivie deux fois pour les mêmes faits même sous des qualifications différentes, etc.
Certes on peut accorder au premier Président que la justice humaine est faillible et que le juge n’est ni omniscient ni parfait, il peut se tromper et il se trompe très souvent. Mais seulement quand la violation de la loi par les magistrats qui sont censés la dire et la faire respecter, devient aussi flagrante, systématique et massive, on se demande s’il s’agit là d’erreurs judiciaires. La régularité impénitente avec laquelle la loi est foulée aux pieds par les juges à quelque chose de diabolique : Errare humanum est, perseverare diabolicum est, l’erreur est humaine mais persévérer dans l’erreur est diabolique.
On peut aujourd’hui au regard de l’Opération Epervier constater tous ces errements voulus et entretenus. L’un des cas le plus représentatifs à côté de ceux de Abah Abah, Marafa Hamidou Yaya, Olanguena Awono ou Atangana Mebara, est celui du colonel Etonde Ekotto, interpellé en 2006, condamné en 2009 à 15 ans de prison, il a été acquitté et libéré aujourd’hui. Il est la preuve comme c’est le cas de tant d’autres anonymes, de ce que la justice au Cameroun s’est assigné « un devoir d’injustice ».
Si la justice dans notre pays est injuste c’est parce que le régime de Yaoundé est corrompu et dictatorial. « Dans les Etats corrompus, écrivait Edgar Morin, la justice est elle aussi corrompue par les riches et les puissants. Dans les Etats dictatoriaux, elle est un instrument au service du pouvoir et les procès n’y sont que des parodies de justice ».
Tissibe Djomond


Que nul ne saisit la justice s'il n'est riche...
Sur le fronton de l’Académie fondée par Platon Platon (vers 427-348 av. JC), un campus à la sortie de la ville d’Athènes qui fonctionna pendant trois siècles, on pouvait lire : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre »
Cette formule peut être détournée de son sens originel et placée au fronton de tous les palais de justice de la République du Cameroun. Dans un contexte judiciaire où l’injustice de la justice semble être érigée en principe, les habitués des palais de justice (ou de l’injustice, c’est selon) liront : « Que nul ne saisit la justice s’il n’est riche et n’appartient à la classe des hommes bien de là-bas ». Ainsi formulée sous la forme d’injonction, de préalable, elle pose comme première condition d’admission et d’accès à la justice, dans ce cercle, dans l’institution judiciaire, l’acquisition d’un statut, d’une qualité, la maîtrise des arcanes explicitement ou implicitement énoncé de la cabale judiciaire qui se trame dans des cabinets (au propre et au figuré) des magistrats, avocats et autres greffiers. Elle soulève le problème de l’accès à la justice dans une environnement de paupérisation généralisée, voulue et entretenue.
De même pour l’accès à l’information, l’accès à la justice est un droit fondamental auquel il revient au Cameroun, s’il prétend être un État de droit, de s’assurer qu’il est effectivement respecté. La loi constitutionnelle camerounaise dispose d’ailleurs dans son préambule que « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice».
Dans les cours et tribunaux, la réalité est toute autre. La discrimination fondée sur le pouvoir financier et la position dans l’échelle sociale est patente. Les plus aisés peuvent débourser de fortes sommes d’argent pour s’offrir un ou des avocats, payer les frais de consignation, de reproduction, etc.
Pour Charles Tchoungang: « pour les affaires civiles, des barrières censitaires ont été érigées soit à l’entrée du système (exigence de règlement de fortes sommes sous le couvert fiscal et de la consignation), soit en cours des procès, par des exigences financières supplémentaires à la discrétion du juge (consignations supplémentaires, contribution aux frais d’instruction, interdiction de statuer sur un acte non enregistré), soit à la sortie, par l’exigence de frais de reproduction des dossiers et d’enregistrement avant exécution. » (in De l’impossible justice au Cameroun).
Junior Étienne Lantier.


Abus de justice: lenteurs judiciaires et procès expéditifs se côtoient
Les verdicts rendus à la hâte et les procédures qui s’éternisent s’affichent au hit-parade des injustices les plus flagrantes auxquelles sont confrontés les justiciables.
« La justice camerounaise s’est davantage décrédibilisée avec le récent avènement du Tribunal criminel spécial dont la création vise l’accélération des procédures dans le cadre de la lutte contre la corruption via l’opération épervier ». C’est le constat désabusé que faisait un avocat membre du collectif de défense de Olanguena Awono en 2013 à l’occasion d’un point de presse. L’auxiliaire de justice décriait ainsi, par cette saillie, le manque de célérité avec laquelle la procédure est conduite dans le cadre de l’affaire impliquant l’ancien ministre de la Santé, depuis le Tribunal de grande instance du Mfoundi jusqu’au transfert du même dossier devant le Tribunal criminel. Cette sortie de l’avocat résume à elle seule la lenteur avec laquelle sont instruits les dossiers renvoyés en jugement devant l’ensemble des juridictions camerounaises en général et plus particulièrement devant la barre du Tribunal criminel. Une justice inéquitable qui allonge sa liste des victimes chaque jour et à l’occasion de ces nombreux dossiers confiés pour jugement à nos juridictions et aux juges qui en ont la charge.
Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du dossier (ou plutôt des dossiers) Olanguena Awono, force est de constater qu’il illustre à suffisance les errements et les égarements - voulus - d’une justice à tête chercheuse, rendue à la tête du client, au nom des prébendes, magouilles diverses et autres pressions insidieuses et non au nom du peuple camerounais. Illustration : pour condamner Olanguena à 15 ans de prison ferme le 14 juin 2013 devant la barre du Tribunal criminel, il aura fallu plus de trois années d’une procédure à rebondissements et interminable agrémentée de renvois intempestifs. Depuis l’enrôlement du dossier devant le Tgi du Mfoundi le 17 mars 2010 jusqu’au verdict rendu le 14 juin 2013, il aura fallu 40 bons mois pour juger un individu qui croupissait en prison depuis le 31 mars 2008, date de son interpellation. Avec, au passage, la désertion du banc du ministère public par les deux procureurs de la République. Refusant de cautionner l’acquittement de l’accusé.

Violation des textes
La période de détention provisoire qui est très encadrée dans les délais était ainsi largement dépassée. Qu’étaient devenus les 18 mois(maximum) prévu par l’article 221(1) du Code pénal ? Simplement rangés dans les tiroirs de l’acharnement judiciaire contre un homme dont on voulait obtenir le scalp. A tout prix et à tous les prix. Y compris en violation des textes réglementaires. Une injustice qui, loin d’être réparée, va se perpétuer pour s’aggraver dans un autre pan du même dossier resté pendant devant le Tcs. Pour les besoins de la cause.
Autre grief fait à notre justice, ces procès expéditifs intentés contre des justiciables condamnés aussi rapidement qu’ils se pointent devant la barre, sans avoir eu le temps de réaliser ce qui leur arrive. Cette justice expéditive est célèbre et très connue sous le vocable de « rouleau compresseur ». Par cette stratégie, le juge atomise un dossier principal qui se trouve fragmenté en plusieurs sous-dossiers qui sont autant de chefs d’accusations et de procédures distinctes contre un seul accusé. Par la suite, et dans la même logique d’asphyxie du mis en cause, le juge pousse son cynisme pour condamner à de lourdes peines et à l’emporte-pièce, un accusé déjà éprouvé par une seconde condamnation. Ainsi en a-t-il été du cas Olanguena Awono condamné à 35 ans de prison en l’espace de deux mois. Outre les 15 ans du 14 juin, il écope en effet de 20 ans de prison le 12 août 2013. Qui plus est devant la même juridiction composée des mêmes juges.
Atangana Mebara n’y échappera pas. L’ancien Sgpr est rattrapé par la cour d’appel du centre et condamné à 15 ans de prison ferme au terme d’une procédure expédiée par la juge Berthe Mangue en quelques deux semaines. Là où le juge Gilbert Schlick et le Tgi du Mfoundi s’étaient donnés 24 mois pour connaitre du même volumineux dossier et acquitter l’ancien Sgpr pour faits non établis.
EM


Une justice aux mille maux
Des observateurs n’hésitent pas à dire que notre justice patauge dans la pourriture. Exagérément? Peut-être.
L’état de lieux de la justice au Cameroun est inquiétant. Certes, on note quelques progrès significatifs, toutefois dans l’ensemble, c’est le statu quo. Ce qui fait dire à nombreux observateurs que la justice camerounaise est malade, malade de la corruption, de l’ingérence du politique, des abus et des violations diverses. La justice n’est pas rendue comme elle devrait, c’est-à-dire avec célérité, avec impartialité, en conformité rigoureuse avec les lois et procédures en vigueur. Les décisions de justice sont pour la plupart et aux dires de certains justiciables partiales, partielles, iniques ce qui décrédibilisent et remettent en question l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les différentes décisions liées au procès de l’opération épervier confirment pour l’essentiel cette position dominante ressentie par une partie de l’opinion publique des camerounaise.

Dans le système judiciaire, la corruption est devenue un phénomène endémique. Transparency International la définie comme un abus d’une position publique en vue d’un intérêt privée. A cet effet, la justice subie de pressions diverses qui influencent l’impartialité de son processus, aucun acteur judiciaire n’est épargné. Toute la chaine y est impliquée. La corruption annihile tout simplement la valeur de la justice et de ses hommes. La justice devient diluée, partiale, injuste, subjective. Les jugements rendus ne sont plus égaux pour des causes égales; ils sont plutôt faux parce que impartiaux.  Par exemple, le magistrat qui rend une décision liée à la grosseur du porte-monnaie du justiciable perd encore plus de son indépendance. Il n’y a plus de place dans ses décisions pour sa conscience et pour la loi. Le juge qui donne les arrêts de jugement où les motifs sont inconséquents avec les peines, et l’interprétation des textes devient incorrecte. De telles attitudes nous installent dans un climat d’insécurité juridique dans lequel les gros poissons mangent tout simplement les petits. La justice aurait-elle pour finalité de légaliser le droit du fort, du plus riche ? Le pourrissement de notre justice nous installe dans une jungle, une situation favorable au Renouveau. La corruption fait régresser le droit. En l’absence de confiance en la justice, le peuple recourt à d’autres moyens pour se faire justice. C’est ainsi que se sont développées les pratiques dites de justice populaire : exécutions sommaires par lynchage de voleurs, règlements de compte directs entre individus en conflit. Au Cameroun, la justice se vend, s’achète. Parce qu’ils ont versé des pots de vin à un magistrat ou un policier, les malfaiteurs parviennent à échapper à un procès. Pendant ce temps, les prisons, surpeuplées, dans un état catastrophique, abritent de nombreux innocents : 70% des prisonniers sont en détention provisoire. La plupart d’entre eux séjournent en prison pendant plusieurs années avant d’être entendus et jugés. Certains sont tout simplement oubliés: leur dossier s’est perdu ou bien le jugement ordonnant leur libération n’a pas été transmis à la prison parce qu’ils n’avaient pas les moyens de payer toute la chaîne de corruption pour l’obtenir. La justice sert aussi souvent de prétexte pour extorquer de l’argent aux citoyens. La corruption fragilise, refuse aux victimes et aux accusés le droit fondamental à un procès juste et impartial. Un tel constat décrit par Fanny Pigeaud est la preuve que la justice sombre, qu’elle déchante.

En plus de la corruption, la justice camerounaise souffre d’un autre mal profond, l’ingérence politique. Elle est à la solde du politique qui dicte sa loi et qui en use comme une arme redoutable. Les droits et libertés des citoyens même les plus élémentaires sont au quotidien bafoués et violés, ils souffrent d’une quasi absence de reconnaissance et de respect. La justice  réprime, muselle, intimide, se charge d’enlever toute envie aux citoyens de manifester.  Par exemple, lors des graves troubles socio-politiques qui ont secoué le pays en février 2008, plus de 1500 jeunes, arrêtés de manière arbitraire, ont été condamnés pour casse ou vol alors que des avocats dénonçaient une justice « expéditive »et des « violations » de procédure. Même si Paul Biya a accordé quelques mois plus tard des remises de peine à la majorité d’entre eux, leurs terribles conditions de détention leur ont enlevé toute envie de prendre part à une autre manifestation. La justice fait aussi partie du dispositif déployé par le Rdpc pour limiter la contestation. Au sujet de l’opération épervier, personne n’ignore que c’est le Président de la République qui, en fonction de ses visées, de ses intérêts et calculs politiques discrimine, organise, oriente les arrestations, impose ses décisions durant les procès. L’opération épervier n’est pas perçue comme une opération d’assainissement mais comme une arme redoutable, un épée de Damoclès qu’il agitent à tout moment contre certains collaborateurs qui osent le critiquer ou veulent conquérir son pouvoir. Les cas Marafa, Abah Abah, Olanguena, et d’autres personnalités qui défrayent la chronique sont illustratifs. L’exécutif influence ainsi tout le processus judiciaire. Il dicte sa loi au mépris de la constitution qui reconnaît le principe de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs. Une telle attitude nous installe dans un état de non droit, dans une démocratie mal apaisée et régressive, une jungle institutionnelle.
Pas de démocratie ni de progrès sans une justice libre, indépendante et impartiale.
Kakmeni Yametchoua


L'ombre de la Chancellerie plane sur les prétoires
Dossiers téléguidés ou suivis, disparition des pièces, pressions sur les juges… Les justiciables sont régulièrement livrés pieds et poings liés à la vindicte d’une justice aux commandes de la hiérarchie.
Dossiers téléguidés et traités hors des prétoires, décisions connues à l’avance, pressions sur les juges, disparitions des pièces des dossiers dans les services de greffe… La litanie des maux qui minent notre justice ne saurait être exhaustive. De fait, ces maux vont de pair avec les griefs faits à ceux qui ont la charge de penser la justice camerounaise sans oublier les hommes à qui échoit l’honneur de la rendre au nom du peuple. Dès lors se pose une lancinante question, celle de savoir si la justice est effectivement rendue au nom du peuple. Si cette justice est juste et équitable pour tous les justiciables. Si tous les camerounais sont égaux devant la loi. La réponse qui coule de source est non. Les justiciables connaissent des fortunes diverses selon qu’ils sont fortunés ou démunis, acquis à la cause et aux idées de ceux qui nous gouvernent ou rebelles.
Et de fait, les cas de dossiers téléguidés et pilotés depuis des bureaux cossus sont légion. Des tribunaux ordinaires aux juridictions d’exception, en passant par la haute juridiction, le constat désabusé des justiciables qui ne se reconnaissent pas dans des décisions rendues par des juges corrompus est le même. De manière anecdotique, nombre de justiciables parlent de décisions rendues en leur défaveur par des juges convaincus de corruption qui, une fois l’argent empoché se comportent comme de véritables mercenaires des prétoires. Illustration de cette dérive corruptrice des magistrats (juges comme procureurs), les tribunaux de première et grande instance de Monatélé dans le département de la Lékié. Les cas de monnayage de décisions des juges auront culminé en 2014, éclaboussant l’institution judiciaire dans son ensemble. Tant et si bien que, exaspérée, la Chancellerie avait fini par procéder à une véritable purge au sein des tribunaux de ce département. Un chamboulement qui avait fait dire à nombre d’observateurs que la purge venait à point nommé, empêchant ainsi que la gangrène n’envahisse tout le corps.

Justice instrumentalisée
Autre tableau poignant illustrant cette incurie de notre justice, autre propos désabusé d’un initié : « nous avons la fâcheuse l’impression d’être livrés pieds et poings liés à l’ogre d’une justice instrumentalisée. Il faut que les choses changent, que nous ayons affaire avec une justice équitable », ainsi s’exprimait Me Mong, membre du collectif pour la défense de Olanguena Awono à l’occasion d’un point de presse. L’avocat dénonçait ainsi les injustices et autres dérives d’une justice qui venait d’infliger une lourde peine de prison à son client. Dans le collimateur de l’auxiliaire de justice, les juges du Tribunal criminel spécial qui donnaient l’impression de se livrer à un récital, d’être des marionnettes actionnées par une main invisible et de livrer un verdict que leur dictait une voix inaudible. C’est pour s’élever contre les mêmes dérives d’une justice aux ordres que Me Assira Engoute, le conseil de Atangana Mebara fut contraint de prendre la délicate décision d’abandonner son client, pieds et poings liés, devant la barre du Tribunal criminel spécial, pour affronter seul un collège de juges missionnés pour cette cause pendante et qui ne faisaient pas mystère de leur détermination à se payer le scalp d’un supplicié qui pourtant n’était pas à sa première condamnation : l’ex-Sgpr avait vu tant d’autres. Mais cette fois les magistrats étaient allés trop loin dans leur inféodation. Une autre condamnation programmée pour Atangana Mebara qui avait tôt fait de humer le roussi. Me Assira qui s’était résolu à revenir défendre son client ne se faiasit non plus d’illusions sur la sentence finale. Les faits leur donnèrent raison : 25 ans de prison de plus pour l’ancien-Sgpr.
Lorsqu’on intègre dans l’analyse les cas de pièces de dossiers subtilisées dans les greffes des juridictions par des greffiers qui privent ainsi les justiciables et les juges – au cas où ils ne sont pas dans le coup - d’éléments leur permettant d’asseoir leurs décisions, l’on conclut aisément à une justice inéquitable, injuste, inféodée et souvent à tête chercheuse. Surtout si l’on tient compte de cet autre paramètre que constitue les décisions non rédigées ou lentes à l’être, plusieurs années après que le juge se soit prononcé. Toute chose qui prive ainsi le justiciable de la prérogative reconnue par la loi d’exercer des voies de recours encadrées dans des délais stricts.
E.M & Maheu


Au service de l'injustice
La justice camerounaise sert souvent à régler des comptes politiques au détriment de l’équité
L’entrée en vigueur du Code de procédure pénale en janvier 2007 avait suscité un grand espoir au sein de l’opinion publique. Optimistes, d’aucuns avaient très tôt crié victoire. « La liberté, clamaient-ils alors, sera désormais la règle et la prison l’exception ». Plus de 8 ans après, il faut se rendre à l’évidence : très peu de choses ont évolué, hors mis la configuration physique des salles d’audience des cours et tribunaux, une maîtrise approximative et une application quelconque de certaines dispositions de la loi n° Loi n°2005-007 du 27 juillet 2007. Le procureur n’est plus au même niveau que le président pour ne s’en tenir qu’à cet exemple. Pour le reste, le statu quo ante est de rigueur.
Le Code de procédure pénale sensé accélérer les procédures, peine encore à délier tous les goulots d’étranglement que sont les lenteurs judiciaires.
Les statistiques sont têtues. Au 31 décembre 2014, la population carcérale au Cameroun était de 25 908 déténus, dont 15 853 prévenus pour 10 055 condamnés. En juillet 2008, selon les chiffres de la direction de l’administration pénitentiaire, le Cameroun comptait au total 24 414 prisonniers. Les prévenus étaient au nombre de 14 924 contre 9590 condamnés effectifs. Conclusion, en l’espace de 8 ans la population carcérale a plutôt augmenté.

Humiliation
Il n’y a pas longtemps des magistrats francophones, contrairement à leurs collègues d’expression anglaise, continuaient de s’illustrer par des condamnations « fantaisistes ».
Il s’agit d’une logique d’humiliation et de brimade systématiques héritées de la colonisation.
Le système judiciaire à l’orée de l’indépendance du Cameroun francophone était un instrument de poids au service de l’administration coloniale. Il fallait « casser les militants de l’Upc » qu’on diabolisait à outrance par l’appellation péjorative de maquisard.
Passée l’indépendance, le système a perduré et ce d’autant plus que ses architectes sont demeurés en place. De nos jours, la justice est intimement liée au politique. Elle a une tête chercheuse.
L’histoire nous dira un jour, quelle est la logique du rouleau compresseur qui s’est abattu sur un Pierre Désire Engo. Même si ce dernier n’est pas exempt de tout reproche, dans sa gestion de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps).
L’histoire nous dira un jour à quelles logiques obéissent les martyrs de Lapiro de Mbanga et de Paul Eric Kingue, l’ex-maire de Mbanga,  Etondé Ekotto, Lydienne Yen Eyoum,  entre autres. L’histoire nous dira la logique des condamnations de tous ces innocents qui croupissent dans nos goulags appelés prisons. L’histoire nous dira pourquoi les autorités publiques et les médias publics avaient humilié Urbain Olanguena Awono et Polycarpe Abah Abah en présentant couchés à même le sol, à la PJ.
Au lieu de chercher « à casser de l’opposant » ou de continuer à être le bras séculier d’un système politique, la justice devrait jouer son véritable rôle de régulateur social.
Pour que le rêve de tout détenu ne soit pas de s’évader à tout prix, pour échapper à cet « l’enfer» de nos camps de concentration, abusivement appelés prisons.
Serge Alain Ka’abessine


Dans l'univers mafieux des cabinets
Juges et Greffiers audienciers : Une incursion dans les bureaux de ceux qui font et défont la justice permet de se rendre compte qu’il s’agit de laboratoires où se nouent les drames judiciaires.
Les cabinets des juges sont considérés, à juste titre, comme cet univers où se nouent et se dénouent la plupart des drames tant judiciaires que extrajudiciaires qui ont généralement cours au sein de l’appareil judiciaire camerounais. Ces bureaux des juges constituent, en réalité, le premier stade d’examen des dossiers avant l’atterrissage devant la barre pour des audiences solennelles.
De fait, une excursion dans le cabinet du président du Tribunal criminel spécial permet de mesurer quel pouvoir dispose ce magistrat émérite et quelle lourde responsabilité il porte sur ses larges épaules. Il a, en effet, pour ainsi dire, droit de vie et de mort sur tous ces dignitaires déchus et autres prévaricateurs qui, chaque jour, frappent à la porte de son secrétariat, par entremetteurs interposés. Il faut plaider la cause d’un accusé pris dans les serres de l’épervier. Ainsi, c’est des dizaines de visiteurs, toutes obédiences et toutes couches sociales comprises qui se relaient dans cette enceinte assez modeste qui abrite le cabinet du magistrat le plus courtisé de l’univers judiciaire camerounais. Yap Abdou reçoit et écoute tout visiteur, une fois déclinée l’objet de la visite. En magistrat très affable et ouvert, il se laisse aller parfois à quelques confidences, tout en prenant soin de vous mettre en garde contre d’éventuelles fuites. C’est lui qui est le dépositaire de tous les dossiers épervier et qui les quotte à ses juges selon une logique qu’il est le seul à maîtriser. Très pointilleux lorsqu’il s’agit des règles procédurales, Yap Abdou n’est pas toujours en phase avec la Chancellerie, surtout lorsqu’il s’agit de dossiers en rapport avec la restitution du corps du délit. La prérogative d’arrêt des poursuites qui échappe à sa compétence n’étant pas son apanage, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il s’en remet au Garde des Sceaux, via le procureur général. Aussi désarmé qu’impuissant, il subit souvent ces dénouements qui parfois sont lents à prendre corps.
Contrairement aux autres juridictions où les services du greffe fonctionnent souvent dans cafouillage indescriptible, le service de greffe est assez modernisé. L’outil informatique semble bien maitrisé tant par le greffier en chef que ses collègues. Les données et autres informations sont bien stockées qui peuvent facilement être mises à la disposition de tout usager, une fois obtenu le feu vert du président de la juridiction.
Tout autre spectacle est celui offert par les juridictions inférieures à l’instar du Tpi, chambre sociale. Les greffiers, qui pour l’écrasante majorité se recrutent parmi la gent féminine, évoluent dans une sorte de capharnaüm avec des pratiques et autres instruments de travail moyenâgeux. Le petit espace qu’occupent quatre tables pour autant de bureaux respire la promiscuité. C’est à peine si les uns et les autres ne se marchent pas sur les pieds. Et les dossiers dans tout ça alors ? Cest le grand désordre. Difficile de se retrouver en quelques minutes pour dénicher un dossier et répondre à la demande d’un usager. C’est ici également que toutes les magouilles inimaginables s’opèrent pour faire disparaître et les pièces des dossiers et les dossiers entiers. Au vu et au su de ces juges qui, s’ils ne sont pas complices, ferment les yeux sur un trafic qui, chaque jour décrédibilise notre justice. Il n’est pas rare qu’un justiciable apprenne, hébété devant la barre que le dossier est vide sans pièces. Simplement subtilisés par le greffier moyennant argent. Ainsi vont les injustices de la justice camerounaise.
EM


Maitre Jean-Marie Nouga: La création du TCS a revélé les faiblesses de la justice
Doit-on encore le présenter ? Certainement. Pour les lecteurs qui prennent connaissance de ses déclarations pour la première fois. Il a un franc-parler légendaire. Il s’est fait remarquer surtout aux côtés des journalistes pour les défendre et défendre la liberté d’expression. Ceux qu’il a jusqu’ici défendus parlent d’un tribun qui sait user des litotes et de l’humour pour déstabiliser l’adversaire. Pour lui les défis à relever par la justice camerounaise sont nombreux. Il jette aussi un regard sur certains aspects du nouveau Code pénal. Lisez plutôt.
Germinal : Êtes-vous d’accord avec un de vos confrères, Me Charles Tchoungang pour ne pas le nommer, qui parle dans son récent ouvrage de L’impossible justice au Cameroun ?
Maitre Jean-Marie Nouga : L’ouvrage du Bâtonnier Tchoungang est une réflexion qui exprime son opinion sur l’intention du gouvernement d’aujourd’hui d’offrir à notre peuple une justice équitable et protectrice des droits fondamentaux de la personne humaine. À l’évidence cette intention est des plus brouillée et contradictoire entre le discours ambiant et les actes posés, toute chose qui peut justifier le titre de l’ouvrage que vous citez. Le Droit à la justice au Cameroun, comme dans la plupart des pays africains, est un droit peu effectif. De la rédaction de la règle de droit à l’exécution des décisions de justice, les initiatives sont hyper prudentes dans le seul but de sauvegarder ce que Luc Sindjoun a appelé « l’empreinte du contrôle étatique ». Je ne suis donc pas seul à être d’accord avec le Bâtonnier Tchoungang, car dans cette perspective, l’on ne peut ni moderniser, ni simplement assurer la justice au peuple camerounais.

D’après vous quels sont les défis majeurs que doit surmonter la justice camerounaise pour être crédible et rassurer les citoyens, les investisseurs nationaux et étrangers ?
L’interpellation faite à la justice camerounaise depuis quelques années, notamment depuis la libéralisation de la vie politique en 1990, est de garantir au peuple la protection judiciaire des avoirs, des libertés et des droits fondamentaux de tous et de chacun. Une telle garantie suppose des lois claires conformes à l’intention nationale et aux engagements internationaux de l’État du Cameroun, qui du reste ne devrait s’engager que dans le sens de ce que j’appelle ici l’intention nationale. Elle suppose également une organisation judiciaire propice, c’est-à-dire qui assure l’égalité de tous devant la loi, l’indépendance des acteurs de la justice et en particulier l’indépendance des magistrats et des avocats dans leurs missions… Enfin, pour garantir au peuple une protection judiciaire réelle, l’institution judiciaire doit avoir une présence effective de sur l’ensemble du pays avec notamment des juridictions proches des populations et actives pour leur rendre justice.
Ce que j’indique ici nécessite que, de manière globale, des modalités de concertation entre le gouvernement et tous les maillons de la société soient mises en place dans le but de déterminer en réalité et non simplement de manière virtuelle les interpellations, les attentes de la nation camerounaise vis-à-vis du système législatif et judiciaire.
Mais, de manière plus opérationnelle, il y a deux choses importantes qu’il faut mener : la formation et la mise en place des infrastructures. Il faudrait en effet bâtir une superstructure par la formation les acteurs du système judiciaire aux attitudes utiles à la réalisation probe de leurs missions : à l’indépendance certes, mais aussi à la responsabilité institutionnelle, à la morale professionnelle, à la spécialisation nécessaire… Le Magistrat doit être un acteur aguerri sur tous les plans (techniques et moraux) et conscient de sa mission de régulateur des rapports sociaux. Il n’est pas simplement un instrument d’une politique publique arrêtée par le gouvernement, mais aussi et surtout le bras opérationnel d’un pouvoir constitutionnel régulateur de tous les rapports institutionnels et sociaux. Ce défi de formation s’étend aux autres acteurs réputés auxiliaires de la justice : les OPJ, les Avocats, les officiers publics…
La mise en place des infrastructures, c’est-à-dire la construction des palais de justice proches des populations. En principe dans le cadre de l’organisation judiciaire actuelle, il y a au moins, mieux il est prévu un tribunal de première instance dans chaque arrondissement. Mais cette intention législative ou règlementaire n’est pas implémentée sur le terrain. Ce qui rend la justice absence pour beaucoup de Camerounais ! C’est pourquoi il faut réorienter les investissements vers la réalisation des infrastructures judiciaires et les équipements qui conviennent. Ce n’est peut-être pas nouveau et l’on va vite m’opposer l’absence de moyens, mais je pense que la volonté gouvernementale de mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles qui font de la justice un véritable pouvoir doit rendre urgent la mise en place de ces infrastructures.

Comment surmonter ces défis ?
En réalité le Cameroun doit se décomplexer de son histoire coloniale, se décoloniser et assumer sa souveraineté. Ce n’est pas simplement une incantation hors sujet, mais le constat que les orientations gouvernementales participent davantage du maintien au pouvoir des gouvernants que de l’organisation d’un État citoyen soucieux de la satisfaction des attentes endogènes de nos populations. Il faut donc s’affirmer comme un État souverain, dont la souveraineté appartient au peuple camerounais et non à la communauté internationale composée des grandes puissances qui imposent aux gouvernants camerounais la prise en compte des intérêts exogènes par des voies les plus fines, mais délétères à la construction d’un État fort capable de protéger toutes ses populations. Il est nécessaire et urgent que le pays se décolonise en effet pour orienter les idées et les investissements vers ce que je viens de dire ci-haut à savoir, en amont, des lois qui préservent la sécurité juridique et la confiance légitime des citoyens ; en aval, la formation des acteurs d’une justice indépendante et crédible et enfin, à la mise en place d’institutions judiciaires proches des populations.

Le dernier rapport du ministère de la Justice sur les droits de l’homme au Cameroun montre qu’au 31 décembre 2014, sur une population carcérale de 25908 détenus, on dénombre 15853 prévenus. Comment expliquez-vous cette situation qui fait de la détention la règle, alors qu’à l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale actuellement en vigueur de nombreux Camerounais avaient espéré que de la détention d’un prévenu ou d’un accusé devait être l’exception, la règle étant la liberté ?
Dès lors que la justice n’est qu’une politique publique du gouvernement, qu’elle n’est pas le pouvoir consacré par la constitution, elle est au service de quelques individus détenteurs d’une parcelle du pouvoir d’État. Il faut relever la très forte participation du Ministère public dans la mise en détention provisoire. Quand on sait que le Ministère public est la représentation du Gouvernement, la voix de son maître, auprès de l’institution judiciaire vous comprendrez quel rôle jouent les agents gouvernementaux dans l’incarcération des prévenus. Si l’on observe encore plus loin, l’on constatera que ces détentions relèvent davantage des procédures de flagrance pour lesquelles il n’y a pas l’intervention d’un juge. Le procureur de la République décide seul pour la plupart de ces détentions de personnes prévenues et il serait très intéressant de ressortir ces statistiques. C’est ainsi que la loi est détournée parce que le principe légal selon lequel la liberté est le principe et la détention l’exception est battu en brèche. Donc cette situation que vous déplorez est essentiellement le fait de trois choses :
- l’interférence de l’exécutif dans les procédures de mise en détention,
- le déficit d’indépendance des juges toujours frileux quant à mettre en liberté en contrariant les réquisitions du Ministère public,
- ce déficit d’indépendance lui-même étant lié à la dépendance de la carrière du magistrat au pouvoir exécutif. C’est en effet le pouvoir exécutif qui détermine la carrière des magistrats chez nous. Dans ces conditions il ya lieu d’instituer un juge des libertés qui statue préalablement à toute incarcération… et ôter au Ministère public le droit d’ordonner des mises en détention provisoire dans le cadre des dossiers de flagrant délit.

Pourquoi la détention est-elle systématique (ou presque) dans le cadre des procédures devant la TCS, notamment pour les cas les plus emblématiques alors que les personnalités interpellées présumées innocentes ont une résidence connue et peuvent fournir des garanties de représentation ?
J’ai déjà dénoncé le TCS comme une juridiction anti constitutionnelle. Sa mise en place a aggravé les tares que je viens de dénoncer ci-dessus et l’on a observé des curiosités que les magistrats n’ont pas pu expliquer. Vous vous souvenez de l’affaire impliquant un ministre en fonction qui avait été mis en détention provisoire par un Juge d’instruction et remis en liberté 24 plus tard.  L’opinion publique est convaincue avec de bonnes raisons qu’il s’agissait d’instruction du ministre de la Justice dans un premier temps, et du président de la République dans un deuxième temps. C’est l’expression de l’interférence du pouvoir exécutif dans le système judiciaire que je viens de dénoncer. Cette interférence est encore plus accrue au TCS. Vous vous souviendrez par exemple la libération du ministre Atangana Mebara par le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi en 2012 et de son maintien en détention malgré l’ordre de mise en liberté du tribunal. Le parquet a été instruit d’ouvrir contre lui une autre procédure qui a donné lieu à une nouvelle inculpation. Cela s’est vu pour maintenir des hauts dignitaires en détention… L’on peut aussi citer le cas de l’organisation de la fausse évasion et la théâtrale condamnation de cet ancien ministre des Finances par le Tribunal d’Ekounou en juin 2012… pour dire que les soupçons de ces interférences ne sont pas seulement le fait du TCS ! En principe, les personnes poursuivies par le TCS ont plus que d’autres des garanties de représentation et des domiciles fort bien connus. L’on a d’ailleurs observé le refus de les faire comparaître libre à quelques exceptions près… Pourquoi ? Comment vous répondre ? Les raisons de droit que l’on peut évoquer résisteraient mal à la contradiction. C’est, selon mon humble avis, l’expression de l’instrumentation de la justice par des personnalités tapies au gouvernement pour des raisons qui leur sont propres. Même devant le TCS, la liberté devrait être le principe. Cela ne l’est cependant pas…

Pensez-vous comme plusieurs Camerounais que l’Opération dite Épervier a ôté à la justice camerounaise, notamment à la Cour suprême, le peu de crédibilité qui lui restait ?
Oui, je pense qu’en faisant jouer au TCS un rôle … en créant cette juridiction dans les conditions que l’on connait, le Gouvernement a ouvertement révélé les faiblesses de la justice camerounaise au monde entier et cela n’a pas été pour crédibiliser l’institution. Même la Cour Suprême a été pour ainsi dire, surprise de rendre des décisions très contestables et dont l’analyse révèle la contrariété, voir l’illégalité. Malgré les efforts, la Cour suprême échappera difficilement au discrédit et aux soupçons divers qui pèsent sur la crédibilité de la chambre spécialisée qui statue sur les cas relevant du TCS et de l’ « Opération Épervier ».

La loi portant Code pénal qui vient d’être promulguée par le chef de l’État a suscité et continue de susciter beaucoup de controverses dans l’opinion. Comme vous l'avez fait, dans une tribune, Me Akere Muna a aussi relevé à juste titre d’ailleurs qu’« il laisse apparaître de nouvelles fractures sociales qu’il nous incombe de gérer désormais avec sagesse ». Comment gérer ses nouvelles fractures sociales issues de cette controverse et de manière à placer l’intérêt général au-dessus de l’intérêt particulier ?
Le Code pénal a en effet été adopté dans un environnement polémique qui n’a pas été aplani. Il a créé des infractions qui pourraient créer des fractures sociales entre les riches et les pauvres dans le cadre de la répression de la filouterie des loyers ; entre les genres dans le cadre de l’institution du mariage devenu un peu difficile pour ceux qui aspirent à la polygamie… pour ne relever que ces aspects. Mais, il n’empêche que ce texte a été adopté et doit être appliqué comme loi de la République. J’en appelais donc les juges à en faire une application sage qui pourrait éviter les problèmes sociaux que je crains. Il faudra éviter toute attitude qui laisse penser que le Code a été adopté au profit de certains et au détriment d’autres. Car en réalité, la loi pénale s’impose à tous, sans exemption et sans exception. Elle est au service de toute la société et pas simplement d’une partie de la société et exprime d’ailleurs les interdits de la société. Elle n’est pas faite pour quelques-uns ou contre quelques particuliers que ce soit.
Si pour certaines infractions nouvelles comme ceux de filouterie de loyer ou l’adultère l’on fait application des dispositions bienveillantes qui éviteront des détentions provisoires et des condamnations fermes, l’on évitera de créer ainsi une classe sociale de privilégiés contre une autre classe de démunie. Je perçois l’application difficile de certaines dispositions au regard des engagements internationaux du Cameroun. Il sera par exemple question de se référer à ces conventions internationales et à l’article 2 du Code pénal. Mais l’on ne peut présager de rien. C’est à l’œuvre que se construira la jurisprudence utile.

N’est-il pas surprenant qu’il n’existe pas de loi qui permet de lutter contre la corruption dans un pays (Cameroun) qui proclame lutter contre ce fléau et que les autorités ne criminalisent pas l’enrichissement illicite dans le nouveau Code pénal ?
Non, il y a des lois qui permettent la lutte contre la corruption. Il y en a … mais elles restent insuffisantes dans notre contexte où cette lutte semble être une priorité des priorités du gouvernement et du peuple. Dans un contexte où l’on a affirmé la volonté du gouvernement à intégrer dans le Code pénal des dispositions prévues par les conventions internationales que le Cameroun a ratifiées, l’on s’attendait en effet dans ce contexte, que l’on intègre de manière formelle la répression de « l’enrichissement illicite » dans ce Code. Cela avait d’ailleurs été fait dans le draft communiqué à certains Avocats dans le cadre du séminaire de validation. La polémique s’est en quelque sorte enflammée quand le Garde des Sceaux a considéré cette séance de validation comme la consultation du Barreau, car les Avocats qui y ont pris part n’ont pas reconnu le texte qui comportait expressément la répression de « l’enrichissement illicite ». La convention dite de Mérida, du nom de cette ville mexicaine où cette convention des Nations unies a été ouverte à la signature, prescrit un certain nombre de mesures préventive et répressive qui aurait pu donner lieu à répression, car il est aisé d’imaginer des fraudes dans le processus d’accès à la fonction ou emplois publics ou pour le financement des campagnes électorales. Les fraudes en matière de passation et d’exécution des marchés publics et de finances publiques, ou le blanchiment d’argent sont au terme de la convention de Mérida susceptibles d’être efficacement pénalisés avec des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. La répression de l’enrichissement illicite est expressément envisagée par la convention des Nations Unies… Même s’il faut en vérité dire qu’il s’agit de recommandations qui n’obligent pas formellement les Etats... Mais Bon…
L’exploration de cette convention pouvait amener un plus grand engagement dans la lutte contre la corruption que ce qu’on a observé. C’est d’ailleurs un aspect de ma crainte de voir ce Code  créer des fractures sociales en protégeant insidieusement des fonctionnaires ou agents publics que la convention de Mérida souhaitait les voir sanctionnés.
Pensez-vous que les peines alternatives prévues par ce nouveau Code pénal peuvent changer l’image d’une justice trop répressive ancrée dans la tête de nombreux Camerounais ? Contribueront-elles à désengorger nos prisons ?
Il est surtout possible que la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines alternatives puisse faciliter l’intention avouée de désengorgement des prisons. Bien que comme nous le pensons, l’importante présence des détenus soit le fait des détentions sans juge c’est-à-dire du fait du ministère public qui exploite de façon trop répressive les pouvoirs qui lui sont dévolus dans la procédure des flagrants délits.
Je dois cependant affirmer que, de mon avis, ces mesures nouvelles font partie des bons aspects du Code pénal qui sont malheureusement voilés par une attitude gouvernementale condescendante caractérisée par son refus incompréhensible d’associer toute la nation au débat.

Les questions de l’indépendance de la justice camerounaise et de l’impartialité des magistrats sont prégnantes. Face à l’incapacité de la justice camerounaise et des magistrats à conquérir et à sauvegarder leur indépendance, n’est-ce pas un abus de langage de continuer à dire que notre justice constitue un pouvoir ?
La justice, de mon point de vue, constitue un pouvoir. Ce pouvoir est constitutionnel. Il faudrait que la magistrature s’en approprie par une attitude courageuse et responsable. Une attitude qui va proposer une gestion de la carrière du magistrat autre que ce qu’on connait avec un Conseil de la magistrature présidé par le Pouvoir exécutif ou tout au moins avec la prégnance du ministre de la Justice sur la carrière des magistrats. Il faudrait aussi et peut-être surtout que le corps des Avocats impose une plus grande considération par des attitudes tout aussi courageuses et responsables que ce que nous avons suggéré pour les magistrats. Mais, il faut tempérer la quête d’indépendance d’une façon comme d’une autre afin d’éviter cette sorte de République des juges aussi dangereuse pour les libertés publiques que pour la dictature. Du reste, cette indépendance n’est ni totale, ni absolue nulle part. Qu’il suffise de garantir un droit effectif à la Justice au peuple comportant : la prise d’une législation humaniste, claire et non ambigüe ; l’assurance d’un personne compétent et conscient de ses responsabilités ; l’accès à l’institution judiciaire, c’est-à-dire à un juge disposé et armé pour juger ;  la garantie de l’exécution des décisions de justice…

Peut-on dire que le Cameroun est un État de droit au moment où la justice est sujette à caution et moment où les autorités administratives empêchent l’expression plurielle des opinions et points de vue en interdisant systématiquement les réunions et manifestations publiques, surtout lorsque celles-ci sont organisées par les organisations de la société civile ou par les partis politiques de l’opposition ?
Évidemment, sans les mesures minimales ci-dessus qui garantissent un accès non seulement au droit e à la justice, le puriste ne saurait donner le quitus de l’Etat de droit au Cameroun. Avec un pouvoir exécutif aussi présent et disposant de la gestion des carrières des juges, dont les interventions dans le processus judiciaire sont avérées, il n’y a pas d’État de droit. Le Cameroun en est-il pour autant un état policier, on peut également hésiter à répondre par l’affirmative, la conscience de notre souveraineté étant susceptible d’évoluer et de remettre sur le bon chemin ou sur les rails une institution judiciaire encore au service des certains membres du pouvoir exécutif et non pas au service de tout le peuple camerounais.
Entretien mené par:
Jean-Bosco Talla


L'erreur judiciaire, par Daniel Mekobe Sone
En conformité aux dispositions de l’article 33 de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, la Haute juridiction tient ce jour dans sa salle d’apparat, l’audience solennelle de rentrée judiciaire.
A l’occasion de cette cérémonie devenue traditionnelle, la Cour Suprême partage avec tous les membres du corps judiciaire et ses invités, une réflexion sur un thème ciblé. Pour cette année 2016, nous avons choisi d’engager la réflexion sur L'Erreur judiciaire dans la vie du Droit au Cameroun.
« Après s’être lavé les mains, cédant aux cris de la foule hurlante, Pilate condamna l’homme Dieu au supplice infamant de la Croix. C’est ainsi qu’il y a plus de deux mille ans, victime de la sentence inique d’un juge indigne, un innocent expirait sur le Golgotha ».
Les historiens de la religion estimèrent que Pilate avait commis une « erreur monumentale » (1) Il s’agissait d’une erreur judiciaire consubstantielle à la nature humaine.
Voltaire disait en son temps que « l’erreur est une faiblesse irréductible dont chacun est pétri ; plurielle, l’erreur peu frapper, le plus sage, même le juge ! mais, en ce cas, l’erreur entraîne des conséquences d’une excessive gravité ».
Quelques affaires célèbres dans l’histoire de la justice française révèlent les répercussions des erreurs dans l’opinion publique et sur l’image de la justice. On peut citer : l’Affaire Dreyfus, avec la fameuse lettre « j’accuse » d’Emile Zola adressée au Président de la République Française pour clamer l'innocence de Dreyfus. On peut également citer les affaires Agret, Gils (3) et plus récemment d'Outreau (4)
Aux Etats-Unis, l’affaire George Johnson est restée dans les annales de l’histoire comme le prototype de ce qu’il ne faut pas souhaiter. Sa Pierre Tombale au Cimetière de Tombstone porte les révélations suivantes :
“Here lies George Johnson
Hanged by mistake
He was right, we was wrong
And now he’s gone”.
«Ici repose George Johnson,
Pendu par Erreur; il était Innocent ;
nous étions dans l’Erreur et
nous l’avons pendu. Maintenant, il est parti » (5)
Ce phénomène décrié dans beaucoup de pays au monde, n’épargne pas notre pays.
Depuis quelques années, la justice est au centre de toutes les préoccupations. Elle suscite plus que par le passé une attention particulière de l’opinion publique (6)  et des médias (7).
Ces derniers s’érigent en juridictions et décèlent l’erreur judiciaire dans toutes les procédures où le dénouement n’est pas en phase avec leurs illusions.
L’opinion publique juge ;
L’opinion publique condamne ;
L’opinion publique acquitte ;
L’opinion publique connait tous les auteurs de tous les crimes crapuleux.
De même, les médias enquêtent et donnent leur verdict, sans laisser le temps au juge de mener l’instruction.
Certains justiciables avancent dans la même aventure, en sollicitant tantôt l’indemnisation des préjudices subis du fait de leur détention abusive, tantôt en sollicitant la révision de leur procès au nom de l’erreur judiciaire, sans s’assurer que les conditions requises sont réunies.
Pourtant l’erreur judiciaire est une notion bien connue dans la vie du droit au Cameroun ; le législateur camerounais a bien délimité et précisé ses contours dans le code de procédure pénale, le code de procédure civile et commerciale et la loi 2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême.
Le Doyen Serge Guinchard (8) définit l’erreur judiciaire comme « l’erreur commise par les magistrats, faussant leur décision et qui est susceptible d’avoir une voie de recours ».
Lucie Jouvet (9), socio-anthropologue précise que l’erreur judiciaire peut selon le contexte signifier une chose et son contraire : la condamnation d’une personne innocente ; l’acquittement d’une personne coupable.
L’Avocat Général Jacques Brissaud disait il y a longtemps que l’erreur judiciaire « est celle du juge qui, par lâcheté, indifférence ou intérêt, cède aux remous de la foule, ou obéit à des voies puissantes d’où qu’elles viennent » (10)
En réalité, l’erreur judiciaire est la négation de la vérité judiciaire ; c’est par exemple le fait pour les juges de violer l’obligation d’impartialité pour s’éloigner de la vérité (11).
L’erreur judiciaire peut se présenter sous plusieurs visages
- Erreur de forme,
- Erreur de fond,
- Erreur de droit,
- Erreur de fait.
Les magistrats qui rendent justice sont des hommes et comme tels, ils peuvent se tromper. Et les conséquences peuvent être extrêmement graves sur la liberté, les propriétés privées ou publiques, les droits et même sur la vie du justiciable.
Pour éluder les erreurs judiciaires et sauvegarder la noblesse de l’œuvre de justice, le législateur Camerounais a entouré l’activité judiciaire d’un ensemble de mesures tant préventives, réparatrices que compensatrices des erreurs judiciaires. Ce sont les moyens idoines pour neutraliser les causes des erreurs judiciaires et soulager les victimes de ce phénomène.

 

Notre société considère le juge comme un être parfait, infaillible et omniscient. Il est supposé connaître toutes les lois, toutes les jurisprudences et de toutes les matières.
Cette vision idéaliste du juge qui se traduisait par l’adage « la couronne ne se trompe pas » doit être fondamentalement relativisée. Aujourd’hui la couronne peut se tromper et se trompe souvent.
Le législateur Camerounais a bien appréhendé les limites des pouvoirs des juges. Et comme le disait à juste titre un auteur, Jean Vincent « la meilleure manière de garantir les Parties contre les erreurs éventuelles des juges serait d'éviter que ceux-ci n’en commettent » (12)

Comment prévenir l’erreur judiciaire ?
Il n’est pas possible de recenser toutes les mesures qui tendent à ce résultat, elles sont nombreuses et diversifiées. Mais les plus notables sont relatives à la formation des magistrats, au respect du devoir d’impartialité, à la composition collégiale des juridictions, et à l’intervention volontaire. La meilleure prévention de l’erreur judiciaire réside dans la qualité de formation des magistrats.
Ne perdons jamais de vue que la qualité de notre justice est largement tributaire de la formation de nos magistrats. Pour notre part, l’Ecole nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) doit persévérer dans l’effort de spécialisation engagée. Elle doit surtout insister sur l’éthique et la déontologie martelées par le président de la République à l’occasion de la cérémonie marquant le Cinquantenaire de l’ENAM et qui restent d’actualité et interpellent tous les magistrats : « la justice - les jeunes auditeurs de justice doivent en avoir pleinement conscience - est la plus haute instance de régulation sociale et la poutre maitresse de la démocratie dans un Etat de droit. Rendre justice est une noble mission, mais aussi une lourde responsabilité. Ici, c’est l’éthique et la déontologie qui doivent servir de guide. Et la République qui confie aux magistrats le soin de veiller au respect des lois, ne peut tolérer les défaillances » (13)
En réalité, un magistrat bien formé est une erreur judiciaire évitée. C’est de la sorte que nous pouvons en amont du processus judiciaire, prévenir les erreurs judiciaires.
Au-delà de la formation, le législateur a édicté des règles de préservation du devoir d’impartialité du juge.
Face à certaines procédures, le juge se trouve dans l’impossibilité d’exercer librement son office parce qu’un doute risque de peser sur son indépendance d’esprit ; il est donc appelé à ne pas juger.
Par exemple s’il existe des liens de parenté ou d’alliance entre une partie au procès et le juge, ce dernier doit avouer son impuissance de connaître objectivement de la cause. S’il le fait, il respecte son serment et évite le risque d’une erreur judiciaire.
S’il ne le fait pas, il peut faire l’objet de récusation. Il s’agit d’une procédure particulière et bien réglementée dont la finalité est de faire écarter par un plaideur de la composition du Tribunal chargé déjuger sa cause, un juge et faire confier sa cause à un autre juge (14)
Parfois le justiciable peut emprunter la voie du renvoi. Dans ce cas, tout un tribunal ou toute une Cour se voit étendre la suspicion alors qu’avec la récusation, on visait un seul juge.
Dans le souci de limiter les erreurs, la collégialité a été instituée pour lutter contre l’appréciation erronée d’un juge unique (15)
De même, l’intervention volontaire (16) dans le cadre d’un procès constitue un moyen de prévention de l’erreur judiciaire.

Si le législateur Camerounais a organisé les techniques de prévention de l’Erreur judiciaire, c’est fort de ce que les causes majeures du phénomène sont identifiables et les conséquences parfois très graves.
Parmi les causes fréquentes de l’Erreur judiciaire, on peut citer :
- Les faux témoignages,
- L’erreur d’identification,
- La faiblesse des expertises,
- L’interprétation erronée des textes,
- La fabrication des preuves,
- L’archaïsme du matériel de police scientifique,
- L’ignorance de la loi,
- L'incompétence des juges,
- L’Impact des pressions de toutes sortes sur le juge,
- La complaisance des auxiliaires de justice (Avocats, Huissiers, Notaires, Experts, Police judiciaire).
L’erreur judiciaire produit des conséquences énormes sur les victimes et la société.
L’impact le plus ignoble, réside dans la condamnation à mort et l’exécution d’un innocent. La société oublie difficilement une telle bavure.
D’autres incidences concernent la privation de liberté, la perte d’un bien meuble ou immeuble, appauvrissement d’un patrimoine, l’enrichissement sans cause, la recrudescence de la justice privée etc...
Au niveau de la société globale, cela entraîne la perte de crédibilité de la justice. Ainsi risque de se fissurer l’Etat de droit.
C’est pourquoi, la justice ne doit pas hésiter à reconnaître ses propres erreurs. Elle doit les assumer et développer les moyens pour les corriger.

Peut-on cicatriser les flétrissures occasionnées par l’erreur judiciaire ? Peut-on réparer l’erreur judiciaire ?
L’Eminence des fonctions et la gravité des décisions qui peuvent être prises par les magistrats en général et les juges en particulier, impliquent de leur part des devoirs très particuliers qui vont au-delà des obligations incombant normalement à des fonctionnaires.
Les devoirs particuliers qui leur incombent se rattachent à la nécessité de sauvegarder leur indépendance, leur objectivité et un esprit de détachement absolu qui caractérise l’exercice de la fonction judiciaire.
En dépit de toutes les précautions envisagées par le législateur pour éviter les erreurs judiciaires, la justice n’échappe pas à la faillibilité de l’œuvre humaine.
Conscient de cette réalité, il a été nécessaire de mettre en place des techniques de réparation.
La réparation de l’erreur judiciaire peut être faite par l’exercice des voies de recours ou par la mise en jeu de la responsabilité du service public de la justice.
L’Institution des voies de recours comme moyen de réparation de l’Erreur judiciaire.
Depuis la consécration de la règle du double degré de juridiction comme un principe d’ordre public, (17) les « voies de recours apparaissent » comme une garantie de bonne justice. Les juges peuvent se tromper tant en ce qui concerne l’appréciation des faits que l’interprétation de la règle de droit. La chose jugée une première fois peut donc faire l’objet d’un nouvel examen.
Les voies de recours peuvent être exercées contre les décisions non définitives, c’est l’hypothèse la plus fréquente. Il en est ainsi de l’opposition, de l’appel et du pourvoi ; (18) elles peuvent être exercées contre les décisions définitives (19) c’est l’hypothèse exceptionnelle ; on peut citer ici la requête civile, la tierce- opposition et surtout le recours en révision.
Pour illustrer notre propos sur l’utilité des voies de recours comme un rempart contre les erreurs judiciaires, nous prenons l’exemple des pourvois exercés devant la Cour Suprême contre les décisions exécutoires, mais non définitives.

En effet, de nombreuses décisions rendues par les Cours d’Appel, le Tribunal Criminel Spécial, les Tribunaux Administratifs, sont portées à la Cour Suprême en vue de la sanction de la Haute Juridiction (20).
Régulièrement, surtout en matière non répressive, la Cour Suprême casse et annule des arrêts à la base des moyens soulevés d’office par les rapporteurs (21).
L’article 60 de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême dispose que : « Le rapporteur peut soulever d’office les moyens prévus à l’article 35 ci-dessus ».
L’article 35 de la loi susvisée énumère les cas d’ouverture à pourvoi et précise que « ces moyens peuvent être soulevés d’office par la Cour Suprême ».
Dans ce chapitre, la Cour Suprême constate qu’il y a une fréquente violation de la loi par les juridictions inférieures. Il en est ainsi de la violation des articles 39 et 214 du code de procédure civile et commerciale.
L’article 39 du code de procédure civile et commerciale dispose que : « Les jugements contiendront en outre les noms, profession, domicile des parties, l’acte introductif d’instance et le dispositif des conclusions. Les motifs et le dispositif II y sera indiqué si les parties se sont présentés en personne ou par mandataires, ou s’il a été jugé sur mémoires produits ».
Le jugement doit contenir entre autres, l’acte introductif d’instance dans son intégralité. Cette obligation s’impose non seulement au juge d’instance, mais également au juge d’appel qui doit reproduire dans sa décision la requête d’appel et ceci au sens de l’article 214 du code de procédure civile et commerciale qui dispose que : « Les autres règles concernant les tribunaux d'instances seront observées devant la Cour d'Appel ».
Le juge d’appel doit veiller au respect scrupuleux de l’article 39 du code de procédure civile et commerciale par les juges d’instance, sinon la Cour Suprême va lui reprocher d’avoir entériné le vice qui entachait la décision du premier juge.
Il en est de même de la mauvaise application des articles 133 du code de travail et 21 de la loi n°2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun. En matière sociale, pour juger seuls, sans composition paritaire, les juges d’appel doivent préciser dans leurs arrêts qu’ils ont convoqué à deux reprises les assesseurs et sans succès.
Le défaut de motivation ou la contrariété entre les motifs et le dispositif constituent également des moyens de cassation résultant de l’erreur du juge.
Dans toutes ces hypothèses, il nous semble utile de demander aux chefs de Cours d’Appel et des juridictions, de veiller au respect des exigences légales dans la rédaction des décisions ; les juges de fond doivent davantage s’appliquer dans la rédaction de leurs décisions. On doit y retrouver les éléments essentiels exigés par la loi.
Cela permettra non seulement d’alléger considérablement les rôles de la Cour Suprême, mais aussi d’amenuiser la frustration des justiciables qui se perdent dans ces cassations de pur droit.
Bien souvent, le sentiment d’erreur judiciaire ou d’injustice prend sa source dans l’amateurisme de certains avocats. Beaucoup de procédures sont vidés à la Cour Suprême pour cause de non-respect des règles de forme et des délais. Il en est ainsi :
- du pourvoi fait par lettre après l’entrée en vigueur de la loi n°2006/016 du 29 Décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême.
- des pourvois formés hors délais.
- des mémoires ampliatifs non déposés ou déposés hors délais.
- du non paiement de la taxe de pourvoi.
- du défaut de consignation.
Certains pourvois sont rejetés parce que les moyens du pourvoi sont irrecevables, parce qu’ils sont non articulés ou non développés.
Le moyen est articulé lorsqu’il précise le texte ou le principe de droit appliqué et le reproduit dans son intégralité (22).
Le moyen est développé s’il précise en quoi le texte ou le principe de droit cité a été violé par le juge d’appel (23).
Parfois on s’interroge sur les raisons pour lesquelles après s’être constitué, l’avocat refuse de déposer le mémoire ampliatif pour son client.
Parfois aussi, on doute de la capacité de certains avocats à comprendre les contours d’un moyen articulé ou développé.
Le résultat de cette approximation se trouve être l’opprobre jeté sur la justice par leurs clients dont le confort intellectuel ne leur permet pas de comprendre les arcanes du droit.
Le justiciable ne comprend pas pourquoi il a perdu son procès à la Cour Suprême. Il maudit la justice qui à ses yeux consacre l’injustice. Il perd sa cause pour un problème de forme alors qu’au fond du litige, il a peut-être raison.
On n’est pas loin de l’image de la justice donnée par Molière dans les fourberies de Scapin (24) : « Jetez les yeux sur les détours de la justice. Voyez combien d'appels et de degrés de juridictions, combien de procédures embarrassantes, combien d'animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer : Sergents, Procureurs, Avocats, Greffiers, Substituts, Rapporteurs, Juges et leurs Clercs. Il n’y a pas un de tous ces gens-là qui, pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde ».
C’est le lieu d’inviter Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats à accentuer la formation des Avocats-stagiaires et d’envisager un recyclage de certains Avocats déjà inscrits au grand tableau (25) sur les méandres de la pratique judiciaire à la Cour Suprême. C’est de la sorte que les avocats peuvent contribuer à l’œuvre de justice et redonner au Barreau ses lettres de noblesse contenues dans ces mots étemels du Bâtonnier Grisoli (26) qui disait en son temps :
« Si tu veux être heureux un jour, saoule-toi,
Si tu veux être heureux deux jours, marie-toi
Si tu veux être heureux toute ta vie, sois avocat ».
L’avocat ne peut être véritablement heureux que s’il contribue chaque jour à faire avancer l’œuvre de justice et s’il refuse par là même de porter le fardeau de l’Erreur judiciaire.
L’Erreur judiciaire est totalement consommée lorsque les décisions rendues par erreur deviennent définitives ; mais dans tous ces cas, le législateur a toujours prévu des mécanismes pour rattraper l’Erreur dans la mesure du possible.
Dans ce sillage, on peut citer le recours en révision, la requête civile et dans une certaine mesure la tierce-opposition.
La tierce-opposition est une voie de recours par laquelle un tiers demande que la décision de justice qui lui fait grief soit déclarée inopposable à son égard. Le tiers qui triomphe en sa tierce-opposition pourra ignorer la situation juridique consacrée par le jugement.
La tierce-opposition est prévue par l’article 217 du CPCC qui dispose que : « une partie peut former tierce-opposition à un jugement qui préjudicie à ses droits, et lors duquel ni elle, ni ceux qu'elle représente n'ont été appelés ».
Cette voie de recours dont l’exercice obéît à la prescription trentenaire peut permettre de corriger une Erreur judiciaire que le jugement rendu a pu consacrer.
S’agissant de la requête civile (27), il s’agit d’une voie extraordinaire dont les contours et la forme sont fixés par l’article 223 du CPCC qui dispose que : « les jugements contradictoires rendus en dernier ressort par les justices de paix à compétence étendue, les tribunaux de Première Instance et d’Appel, et les jugements par défaut rendu aussi bien en dernier ressort, et qui ne sont plus susceptibles d'opposition, pourront être rétractés, sur la requête de ceux qui y auront été parties ou dûment appelés... ».
La requête civile ne peut être introduite qu’à la suite d’un formalisme rigoureux, notamment le paiement d’une consignation au greffe, la consultation de trois avocats exerçant au moins depuis cinq ans, qui attesteront qu’ils sont d’avis par écrit, pour l’introduction de la requête civile.
La requête civile doit être communiquée au ministère public pour ses conclusions.
Si la requête civile est admise, le jugement sera rétracté et les parties seront remises au même état où elles étaient avant ce jugement.
Les sommes consignées seront perdues, et les objets qui auraient été perçus en vertu du jugement rétracté, seront restitués.
On le voit bien, la requête civile permet de corriger les erreurs judiciaires. Et pour éviter que l’autorité de la chose jugée ne soit fragilisée et la justice banalisée, les conditions d’ouverture de la requête civile sont assez rigoureuses.
C’est la même logique qui commande le recours en révision en matière Pénale. Ici, plus qu’ailleurs, l’Erreur judiciaire peut avoir des conséquences extrêmement graves.
Le recours en révision est une voie de recours par laquelle une partie estimant qu’elle a perdu son procès parce que son juge a été induit en erreur, demande que l’affaire soit jugée à nouveau (28). Le recours en révision n’est recevable que contre une décision de condamnation devenue irrévocable.
L’article 535 alinéa 1 du CPP dispose à ce sujet que : « la révision du procès pénal peut être demandée au profit de toute personne condamnée pour crime ou délit ».
Cela est possible dans les cas suivants spécifiquement précisés par le législateur Camerounais :
- Si après une condamnation pour homicide, de nouvelles pièces produites sont de nature à prouver que la prétendue victime est encore en vie ;
- Si après une condamnation, il a été établi que le condamné était innocent, même s’il est responsable de l’erreur judiciaire ;
- Lorsqu’une personne autre que le condamné a reconnu, devant les témoins dignes de foi, être l’auteur du délit ou du crime, et confirmer ses aveux devant un officier de Police judiciaire ;
- Si, après une condamnation, de nouvelles pièces ou des faits nouveaux de nature à établir l’innocence du condamné sont découverts.
Le droit de demander la révision appartient au Ministère public, au condamné ou son représentant et à toute personne ayant intérêt à agir en cas de décès ou d’absence juridiquement constatée du condamné.
La demande en révision, accompagnée d’une expédition de la décision attaquée et de toutes pièces utiles est adressée au Procureur Général près la Cour Suprême qui met le dossier en état et saisit la Cour.

La Chambre Judiciaire examine ladite demande en sections réunies.
Elle peut déclarer la demande irrecevable.
Si la demande est recevable, elle peut la rejeter parce qu’elle n’est pas fondée.
En revanche, si la demande est fondée, il faut vérifier si le dossier est en état de recevoir le jugement au sens de l’article 67 alinéa 2 de la loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 ; le condamné peut immédiatement être relaxé ou acquitté.
Si l’affaire n’est pas en état, la Cour par avant dire-droit ordonne toutes les mesures d’instruction utiles. Et l’exécution de la décision est différée ou suspendue.
A la requête du condamné ou de son mandataire, la décision de relaxe ou d’acquittement qui corrige l’erreur judiciaire, est affichée dans toutes les mairies et publiée dans les journaux d’annonces légales indiqués par la Cour Suprême.
Après sa relaxe ou son acquittement, la victime de l’erreur judiciaire peut introduire une demande d’indemnisation pour la garde à vue et détention provisoire abusives, au sens des articles 236 et suivants du CPP.
Si la victime décède après la décision d’acquittement, ses héritiers ont le droit de demander des dommages et intérêts en ses lieu et place.
On peut donc se rendre compte que le législateur pénal camerounais a minutieusement organisé les voies et moyens pour corriger les erreurs judiciaires et payer même un prix pour le dysfonctionnement de la machine judiciaire.
Mais ne faut-il pas un jour envisager la révision de la révision pour l’adapter aux évolutions récentes ?(29)
La consécration de la responsabilité du service public de la justice, constitue l’autre moyen de réparation de l’erreur judiciaire.
La loi portant code de procédure pénale, a institué au Cameroun une commission d’indemnisation des victimes de garde à vue et de détention provisoire abusives.
Cela constitue une avancée considérable de l’Etat de droit au Cameroun et le choix de nouvelles orientations dans la politique législative notamment :
- La flexibilité du dogme de l’irresponsabilité de l’Etat.
- L’indemnisation d’une innocence méconnue.
- La réalité de la probabilité des erreurs judiciaires.
- La possibilité de contrôle de l’office des magistrats et de leurs auxiliaires que sont les Officiers de Police judiciaire.
D’après l’article 236 alinéa 1 du CPP : « toute personne ayant fait l’objet d’une garde à vue ou d’une détention provisoire abusive peut, lorsque la procédure aboutit à une décision de non- lieu ou d’acquittement devenue irrévocable, obtenir une indemnité si elle établit qu’elle a subi du fait de sa détention un préjudice actuel d’une gravité particulière ».
L’alinéa 2 enchaîne en précisant les contours d’une détention provisoire ou d’une garde à vue abusive ;
Pour la garde à vue, il s’agira de la violation des articles 119 à 126 du code de procédure pénale. Pour la détention provisoire, elle sera dite abusive en cas de violation des articles 218 à 235, 258 et 262 du code de procédure pénale30 31.
L’indemnité est à la charge de l’Etat qui peut exercer une action récursoire contre le magistrat ou l’Officier de Police Judiciaire fautif. Elle est allouée par décision de la commission qui siège à la Cour Suprême en 1er ressort ; ses décisions assimilées aux jugements civils peuvent faire l’objet d’appel devant la chambre judiciaire de la Cour Suprême.

Que dire pour conclure ?
Comme toute Å“uvre humaine, la justice est faillible.
Voilà pourquoi Roger Perrot a pu écrire et à juste titre que : « la justice des hommes doit admettre qu'elle peut se tromper »
Il a donc été nécessaire de mettre en place des techniques de prévention et de réparation de l’erreur judiciaire.
Les voies de recours, qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires, de rétractation ou de reformation, de cassation ou de révision peuvent permettre d’obtenir l’annulation de la décision du juge (33).
Parfois les voies de recours ne suffisent pas pour combler les attentes des victimes d’une erreur judiciaire.
Et souvent, certains manquements de la justice ayant occasionnés l’erreur judiciaire ne sont pas imputables à un juge précis, mais plutôt au service Public de la justice.
Dans ces cas, la responsabilité de l’Etat peut être engagée pour les déficiences du service Public de la justice ; c’est la raison d’être de l’institution de la Commission d’indemnisation pour les garde à vue et détention provisoire abusives au Cameroun.
Quoiqu’on dise, la défaillance humaine occupe une place majeure dans la construction de l’erreur judiciaire.
Nous devons, nous rendre compte que le meilleur moyen de lutter contre les erreurs judiciaires, réside dans la volonté commune des acteurs de la justice, dans la conjugaison de leurs efforts pour une justice citoyenne et de développement.
- Nous devons chercher à nous améliorer dans l’accomplissement de nos missions quotidiennes et dans chaque maillon de la chaîne judiciaire.
- Et à la fin de la journée, lorsque nous quittons le Palais de justice, nous devons toujours nous demander si un innocent ne croupit pas injustement en prison de notre fait ?
- Nous devons nous demander si un citoyen n’a pas été injustement dépossédé de son bien de notre fait ?
- Nous devons nous demander si un criminel n’a pas réussi à échapper aux mailles de la justice de notre fait ?
- Nous devons nous demander si un orphelin ou une veuve ne maudit pas la justice par ses pleurs de notre fait ?
- Nous devons nous demander si un investisseur n’a pas mis la clef sous le paillasson de notre fait ?
C’est de la sorte que nous pouvons réduire le risque d’erreur judiciaire et donner une réponse aux préoccupations soulevées par Georges Boyer dans son ouvrage intitulé Les Magistrats :
« Que demande le justiciable au Magistrat ? Qu’il dise le droit, qu’il fasse tout pour réduire jusqu’à la supprimer la marge d’erreur toujours possible dans les affaires » (34).
C’est la répétition de l’erreur qui fragilise la justice ; avec l’erreur, le pouvoir et les honneurs du magistrat en général et du juge en particulier se transforment en de « vains prestiges » et de « lourdes chaînes ».(35)
Le juge, le bon juge ne doit jamais enchaîner sa conscience ; car, Errare humanum est, perseverare diabolicum est, (L’erreur est humaine, mais la persévérance dans l'erreur est diabolique).
Je vous remercie de votre aimable attention. -

Notes
1-Eliane de Valicourt, l'Erreur Judiciaire, Paris, l'Harmattan, Paris 2006. P. 2
2- Voltaire, le Traité de la tolérance
3- Affaire Dreyfus - Affaires Agret - Affaire Gils
4- « Affaire d'Outreau » plus récente a révélé les errements et les manquements graves d'un jeune juge d'instruction.
5- La pierre tombale de cet innocent exécuté par erreur en 1882 pour un crime qu'il n'a pas commis est devenue un lieu de pèlerinage. Cf. KALIFA (D) L'encre et le sang, Paris, Fayard 1995.
6- L'opinion publique veut instruire les procédures à la place des juges.
7- Les médias s'appuient sur quelques éléments glanés déci-delà pour désigner le coupable ou pour innocenter le coupable.
8- Guinchard (Serge), Lexique de termes juridiques, Paris, Dalloz 2013, P.399.
9- Jouvet (L), Socio-anthropologie de l'Erreur Judiciaire, Paris l'Harmattan, 2010 - p. 11
10- Brissaud Jacques, Rentrée Solennelle de la Cour d'Appel de Limoges en 1956
11- Engel (P) Qu'est ce que la vérité ? La vérité, Réflexions sur quelque truisme, Hâtier Paris 1998. P.3.
12. Vincent (Jean), Gabriel Montagnier et André Vainard, les institutions judiciaires, Précis Dalloz P.132.
13- Extrait du discours du Président de la République, Paul Biya, prononcé le 1er Décembre 2009 à l'occasion du cinquantenaire de l'ENAM.
Cf. sur la déontologie, Ehongo NEMES (A), le Statut de la Magistrature au Cameroun, ENAM, 1990
14- Article 159 du CPCC, Articles 594 à 599 du CPP.
15- L'article 21 de la loi 2006/015 du 29 Déc. 2006 portant organisation judiciaire, impose que toutes les affaires à la Cour d'Appel, soient connues par trois juges.
16- L'intervention volontaire permet à une partie au procès civil ou commercial d'empêcher que la décision qui risque d'avoir un impact sur ses intérêts ne soit rendue.
Il fait valoir ses prétentions en venant volontairement à l'instance.
17- L'existence de la possibilité de l'exercice des voies de recours constitue un indicateur de l'Etat de droit et de la protection des droits de la défense.
18- La possibilité d'exercice d'un recours est une garantie de bonne justice.
19- Une décision définitive est irrévocable et ne peut faire que l'objet d'un recours par voie de requête civile ou en révision.
20- La Cour Suprême est juge de droit, mais a aussi la possibilité de casser un arrêt et d'évoquer.
21- II s'agit d'un moyen qui n'a pas été soulevé par le demandeur au pourvoi.
22- Art. 53 al 2 de la loi 2006/016 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême dispose que : « Le mémoire ampliatif dûment timbré par feuillet, doit articuler et développer les moyens de droit invoqués à l'appui du pourvoi ».
23- Cf. Art 53 al 2 susvisé.
24- Molière, Les Fourberies de Scapin, Larousse, 2007 P. 60
25- La formation permanente des Avocats peut apporter un plus à la justice.
26- Grisoli, Ancien Bâtonnier de Marseille.
27- la requête civile a été remplacée en France par le recours en révision non-repressive.
28- Roger Perrot, Institutions judiciaires, Montchrétien p.501.
29- En France, le scandale causé par l'affaire d'Outreau a contraint le législateur à revoir sa copie sur la révision du procès. Fournié (François), « Réviser la révision » A propos de la nouvelle procédure de révision et de réexamen des condamnations pénales. La SEMAINE Juridique n°27, 7 Juillet 2014.
PRADEL (Jean), les suites législatives de l'affaire dite d'Outreau.
A propos de la loi n°2007-291 du 5 Mars 2007, la SEMAINE Juridique, n°14, 4 Avril 2007.
30- Art. 119 à 126 (formalités à observer en cas de garde à vue)
31- Art. 218 à 235; Art. 258 ; Art 262 (formalités à observer pour la détention provisoire et la mise en liberté).
32- Perrot (Roger), Les Institutions judiciaires, Monchrétien, Paris, P.502.
33- De Valicourt Eliane, op. cit., p. 431
34- Chammard Boyer (G), Les Magistrats, Que sais-je P.U.F. Paris 1985, P.121.
35. Tonccon, Discours de rentrée de la Cour Royale de Bourges 05 Nov. 1821 cité par De Valicourt Eliane, op. cit., p. 8