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Succession présidentielle: La guerre totale - Succession présidentielle: passé, présent et avenir

Succession présidentielle: La guerre totale - Succession présidentielle: passé, présent et avenir

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Index de l'article
Succession présidentielle: La guerre totale
Vers Etoudi en marchant sur des cadavres
Succession présidentielle: passé, présent et avenir
Louis Paul Motaze: L'Ambitieux silencieux
Rémy Ze Meka: Mourir d'espoir
Edgar Alain Mebe Ngo'o: Le pouvoiriste bling bling
Laurent Esso: Le Magistrat-chirurgien de l'Opération épervier
Franck Biya sur le starting bloc
René Sadi: Le parangon de l'inertie
Broyé par le rouleau compresseur
Mathias Eric Owona Nguini:
Les conditions d'une succession ou d'une transition politique pacifique au Cameroun
Toutes les pages
Succession présidentielle: passé, présent et avenir

La transmission du pouvoir depuis l’accession du Cameroun à l’indépendance a toujours obéit à la logique patrimoniale. Paul Biya dérogera-t-il à la règle?
De plus en plus, une rumeur récurrente fait état du dépôt, au cours d’une éventuelle session parlementaire, d’un projet de loi portant révision de la constitution en vue de la création du poste de vice-président de la République, lequel pourrait remplacer le chef de l’État en fonction en cas d’empêchement ou de démission. Cette rumeur fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein de la classe politique camerounaise - au sein du RDPC et ses alliés, au sein de l’opposition et de la société civile - où d’aucuns y voient les prémisses d’un « coup d’État constitutionnel ». D’autres au sein du pouvoir estiment par contre que rien n’empêche le président de la République, garant de la stabilité du Cameroun et des institutions d’envoyer un projet de loi allant dans le sens de la création d’un poste de vice-président au cas où s’il se rend compte que c’est en procédant ainsi qu’il pourra assurer une succession paisible au Cameroun. L’enjeu ainsi clairement exprimé est la succession à la tête de l’État du Cameroun dont l’histoire de la vie politique a été marquée par différents épisodes.
Le 23 décembre 1956, l’Assemblée législative du Cameroun (ALCAM) remplace l’Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM). Des élections législatives sont organisées. André-Marie Mbida et son équipe (Cococam et membres affiliés) y prennent part. À l’ALCAM, ceux-ci créent le groupe parlementaire nommé les Démocrates Camerounais (DC), lequel deviendra plus tard le Parti des Démocrates Camerounais (PDC). Ce groupe, composé de 21 membres et dont André Marie Mbida est le leader, participe activement à la mise en place de l’autonomie interne du Cameroun sous tutelle française. Le 16 avril 1957, le Cameroun devient un État autonome. Le député André-Marie Mbida est alors pressenti par le Haut-Commissaire Pierre Messmer pour former le 1er gouvernement camerounais.
Dans la matinée du samedi 11 mai 1957, en application du statut du Cameroun, le Haut-Commissaire commence ses consultations en vue de désigner la personnalité politique susceptible de devenir le premier ministre camerounais. Il reçoit tout d’abord Jules Ninine, Antillais d’origine, président de l’Assemblée législative du Cameroun et président de la Commission des territoires d’outre-mer à l’Assemblée nationale française. Puis, tour à tour, les délégations du groupe d’Union Camerounaise conduite par son président, Ahmadou Ahidjo, alors Conseiller à l’Assemblée de l’Union française ; des Démocrates camerounais conduits par André-Marie Mbida, des Indépendants Paysans conduits par Djoumessi Mathias et de l’Action nationale conduite par Charles Assalé, enfin Charles Okala, non-inscrit et les parlementaires du Cameroun présents à Yaoundé.
Le dimanche 12 mai 1957 à 17 heures, le Député Mbida, Président du groupe des Démocrates Camerounais est chargé par le Haut-Commissaire de former le premier gouvernement camerounais. À sa sortie du palais à 17 h 30 mn, il annonce la nouvelle au Directeur de la Radio Diffusion en précisant qu’il a donné son accord de principe au Haut-Commissaire, mais qu’il ne pourrait lui fournir un accord définitif qu’après avoir procédé aux consultations nécessaires, c’est-à-dire le lendemain (lundi). En fin d’après-midi, le député du Centre s’installe dans un bureau du futur ministère des Finances et commence ses consultations.
Le Mercredi 15 mai 1957 à 16 h 45 mn, Sous la présidence du député Jules Ninine, l’Assemblée législative du Cameroun se réunit pour entendre et se prononcer sur la déclaration d’investiture du premier ministre : M. le Député Mbida. Ce dernier obtient l’investiture de l’ALCAM par 56 voix contre 10 (Ahidjo soutient le programme du premier ministre, tandis que Soppo Priso le critique et déclare que ses amis et lui voteront contre). À peine, cinq ans après son entrée sur la scène politique, André-Marie Mbida devient le premier ‘premier ministre, chef du gouvernement, c’est-à-dire chef d’État de fait de l’État autonome du Cameroun sous tutelle des Nations Unies.
L’accession d’André-Marie Mbida marque la naissance de « la magistrature suprême » du Cameroun pilotée par la France qui a désigné la personnalité chargée de l’incarner et avec la caution d’une Assemblée présidée par un Antillais d’origine, qui l’a investi.
Le 16 février 1958, à peine neuf mois seulement après son accession au pouvoir, Ahmadou Ahidjo, grâce aux manœuvres savamment orchestrées par Jean Ramadier, haut-commissaire français de l’État du Cameroun, fait tomber le gouvernement constitué par André-Marie Mbida en démissionnant avec la totalité des ministres du Nord qui lui sont fidèles. Il le remplace ainsi à la tête de l’exécutif le 18 février 1958.
Ainsi sera opérée, avec la caution d’une Assemblée corrompue, la première succession à la « tête de l’exécutif camerounais », orchestrée par la puissance « administrante » française dont un représentant a illégalement organisé le « limogeage » de la personnalité qui l’incarne.
La démission «surprise» d’Ahmadou Ahidjo, premier président de la République au Cameroun, est demeurée, jusqu’à ce jour – et, peut-être, le sera-t-elle encore pour longtemps – une véritable énigme. Une question demeure sans réponse précise. À savoir : « Comment cela se peut-il qu’un homme qui dirige le pays d’une main de fer, qui a réprimé cruellement toute opposition et toute contestation de son régime, et qui n’est âgé que de 58 ans, décide, tout d’un coup, de se retirer du pouvoir ? » Au lendemain de sa démission, des informations faisaient état de ce que son départ était le résultat d’une supercherie savamment orchestrée depuis la France par des médecins qui l’auraient induit en erreur en agitant l’épouvantail d’une maladie extrêmement grave ne lui laissant aucun autre choix. Pour mettre un terme à cette rumeur, Ahidjo répondra : « Il m’a été prescrit, c’est vrai, de modifier mon rythme de travail, de réduire celui-ci pendant quelque temps afin de prendre un repos nécessaire, réparateur du surmenage qui m’avait fatigué. J’ai pris moi-même et tout seul, la décision de démissionner parce que je crois que le pouvoir n’est pas un apanage personnel, mais un service de l’État et que l’on ne doit pas s’y accrocher envers et contre tout, alors même que l’on n’éprouve, du point de vue de la santé, des difficultés[…] Je pensais simplement que 25 ans à la tête du Cameroun m’autorisaient à croire et à dire que j’avais fait de mon mieux, suffisamment servi mon pays, pour aspirer au repos […] Si j’ai voulu une démission par surprise avec installation de mon successeur dans les 48 heures, je l’ai fait au bénéfice exclusif de M. Paul Biya afin qu’aucune manœuvre, aucune intrigue, aucune compétition, rien, ne puisse gêner sa venue au pouvoir »
En effet, force est de constater que le 29 juin 1979, le président Ahidjo avait fait promulgué une loi portant modification des articles 5 et 7 de la loi constitutionnelle du 2 juin 1972. L’article 5 nouveau donnait au président de la République le pouvoir de nommer un premier ministre qui l’assiste dans l’accomplissement de sa mission, tandis que l’article 7 nouveau disposait qu’ « en cas de vacance de la présidence de la République pour cause de décès, démission ou empêchement définitif constaté par la Cour suprême, le premier ministre est immédiatement investi des fonctions de président de la République pour la période qui reste du mandat présidentiel en cours ». C’est donc en toute légalité qu’en 1982, après la démission-surprise du président Ahidjo, Paul Biya, alors premier ministre, sera investi des fonctions de président de la République. Toutefois, il convient de relever que cette démission du président Ahidjo avait été précédée, le 28 octobre, d’un voyage « éclair » du côté de la France, à Grasse - avait-il prévenu Samuel Eboua, pour soi-disant consulter ses médecins - pendant le week-end de la Toussaint, période fort peu propice en France aux consultations médicales de routine (Gaillard, 1994). À Grasse, le lundi de la Toussaint, avant son retour au Cameroun, il reçoit à déjeuner le conseiller du président français François Mitterrand pour les affaires africaines face à qui il sort le grand jeu de sa maladie. Aussi, le 3 novembre 1982, à l’aéroport de Yaoundé où il descend de l’avion en se faisant passer pour un grand malade, la mise en scène grotesque de son retour laisse-t-elle les Camerounais dubitatifs quant aux raisons profondes de sa démission. Son épouse Germaine Ahidjo, qui l’accompagnait ce jour-là paraissait d’ailleurs radieuse pendant que son mari simulait la maladie (visage crispé, pas pesant) en se faisant passer pour un grand malade, déclarera plus tard : « A ce moment-là, j’ai mal joué mon rôle ». (Gaillard, op. cit.)
Telles sont en raccourci les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la deuxième succession à la « tête de l’exécutif camerounais », plutôt mystérieuse et discutable, vraisemblablement sous l’instigation de la France qui aurait « recommandé » à Ahidjo, selon une certaine opinion, une retraite anticipée pour cause de maladie et, cette fois-ci, sans la caution d’une Assemblée nationale finalement réduite à un rôle institutionnel très secondaire.
Après 34 ans passés à la magistrature suprême, Paul Biya bat de 9 ans le record de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo qui lui aussi était resté sans discontinuer à la tête de l’État pendant 25 ans lorsqu’il quittait le pouvoir le 6 novembre 1982. Il sait mieux que quiconque que « dans toutes les affaires humaines, y compris la vie elle-même, la durée finit par dégouter » (Lansiné Kaba, 1995, 100-101).  À  84 ans sonnés, d’aucuns redoutent les conséquences que sa disparition éventuelle, que d’aucuns considèrent ironiquement comme un coup d’État biologique, pourrait avoir sur la marche politique et socioéconomique du Cameroun, même si la Constitution encadre l’accession à la magistrature suprême
La rumeur persistante sur l’imminence d’un projet de révision constitutionnelle visant l’instauration d’un poste de vice-président qui serait le successeur constitutionnel du président Paul Biya qui quitterait le pouvoir avant ou peu après 2018, l’arrivée des forces militaires américaines sur le territoire camerounais, notamment à l’extrême-nord du Cameroun où elles sont positionnées officiellement pour contribuer à trouver une solution à la crise politico-militaire et sociale appelée terrorisme qui sévit dans cette région, la guerre succession de Paul Biya visiblement ouverte qui se traduit par la présence de tout un gouvernement dans les geôles de la République, les frontières poreuses du territoire camerounais et la sécurité nationale constamment mise à rude épreuve ne peuvent laisser des observateurs avertis indifférents.
Fort de ces expériences historiques, du climat social et politique au Cameroun et dans la sous-région Afrique centrale, le public et des observateurs avertis, qui scrutent ces évènements à la lumière des transitions politiques au Togo, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée Conakry, au Mali et, pourquoi pas, dans le monde maghrébin, se posent des questions. Quels sont les éléments permettant d’affirmer que la guerre de succession de Paul Biya à la magistrature suprême est désormais engagée ? Est-il possible d’identifier les forces en présence ? Si oui, lesquelles ? Au regard de l’actualité, quels sont les scenarii probables ? Assisterait-on à une succession verrouillée ou déverrouillée ? Les institutions politiques et juridictionnelles camerounaises sont-elles suffisamment fortes pour assurer une transition démocratique et pacifique à la tête de l’État ? Quel rôle jouerait Paul Biya dans la guerre de succession ouverte au sommet de l’État ? Ses postures, actes et silences permettent-ils d’appréhender comment il prépare sa sortie ? Comment pourraient réagir les forces de défense et de sécurité camerounaises en cas de crise politique majeure ? Adopteront-elles une posture de neutralité républicaine ? La communauté internationale, dont notamment la France et les partenaires bilatéraux et multilatéraux, peut-elle être écartée du jeu politique camerounais relatif à la succession au pouvoir ? Sinon, quels sont ses moyens concrets d’influence ? Un poste de vice-président, pour quoi faire ? À quand la mise en place du Conseil constitutionnel ?
Des questions auxquelles il est impératif de trouver des solutions si l’on veut envisager une succession une transition politique pacifique au Cameroun.
Jean-Bosco Talla