« Je ne me considère pas du tout comme celui qui connaît le mieux M. Paul Biya aujourd’hui. Certes il y a eu un moment dans les années 50, où nous nous fréquentions beaucoup. C’est lorsque nous étions de jeunes étudiants à Paris. Je précise que ces fréquentations se situaient sur le plan purement personnel, fraternel. Par exemple lorsque je me suis marié à la fin de 1957, Biya est venu assister naturellement à mon mariage à l’Hôtel Lutetia et à l’Église. Il en a même été l’un des garçons d’honneur. J’aurais fait la même chose pour lui s’il avait pris femme à l’époque.
Dans d’autres domaines, en revanches, il n’y avait pas beaucoup d’entente entre nous. Je peux même vous confier qu’en matière syndical et politique, nous nous situions à plusieurs années-lumière l’un de l’autre, pour ne pas dire dans deux univers diamétralement opposés. Biya lui, appartenait au groupe des « aujoulatistes », c’est – à – dire des partisans du Dr Aujoulat, chef de file puissant de ceux qui combattaient, en France et au Cameroun, le nationalisme Camerounais, les patriotes Camerounais sortis du peuple, et l’indépendance de notre pays. Moi, j’étais un militant actif de l’Association des étudiants camerounais, véritable pépinière du nationalisme et du patriotisme camerounais.
Vous me demandez si le Biya d’aujourd’hui ne privilégie pas l’argent et les biens matériels en général. Je me permets de vous ramener aux années 50 pour vous raconter une anecdote.
Un dimanche, à la Cité universitaire de Paris où j’habitais alors, nous sommes partis un certain nombre, en groupe, pour aller déjeuner au restaurant de la Maison Internationale, le seul qui ouvrait le dimanche dans le secteur. Au retour, nous sommes montés six ou sept dans ma petite chambre pour aller continuer notre chahut d’étudiant. Parmi les chahuteurs, quatre Camerounais dont Biya, un Togolais, ma fiancée française, une normalienne que j’emmenais déjà aux réunions de l’Association et que Biya connaissait bien. À un moment, nous l’avons entendue interpeller Biya en disant. « Mais qu’est-ce qui t’intéresse donc dans la vie, jeune homme. Je ne te vois jamais aux réunions de l’Association des étudiants camerounais… » Biya lui a répondu du tac au tac : « Ce qui m’intéresse dans la vie, ma chère ? Je vais te dire : un bon compte en banque, de belles maisons, de belles voitures… »
Les acquisitions immobilières que le président Biya a accumulées depuis son affectation à Etoudi en 1982 montrent qu’il a pleinement rempli son rêve de jeunesse. La dernière de ces acquisitions est sa somptueuse villa du quartier Bastos à Yaoundé, à côté de l’ambassade des Etats Unies. Villa construite en pleine crise, pendant qu’on demandait à tous les Camerounais de serrer la ceinture. À tous, sauf à lui, Camerounais d’exception n’est-ce pas, et par la volonté de qui ? Dans l’intérêt de qui ? »
Abel Eyinga
Source : Germinal n°001
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Paul Biya, un jouisseur impénitent