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Contre l’instauration du poste de Vice-président, pour les réformes électorales de fond, seules gages d’une succession démocratique et apaisée

Contre l’instauration du poste de Vice-président, pour les réformes électorales de fond, seules gages d’une succession démocratique et apaisée

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Peu avant l’ouverture de la session parlementaire du mois de mars 2014, dans un article de presse,  j’ai alerté les Camerounais sur le projet  d’un coup d’état constitutionnel qui se tramait dans les coulisses  du pouvoir.  Comme souvent, les intellectuels pantouflards  m’ont raillé puis accusé d’instruire un procès en sorcellerie contre le pouvoir. De façon générale, cette alerte a donné lieu à un vif débat dans tous les médias nationaux. Pendant des semaines, en effet, les arguments et contres arguments se sont affrontés sur la nécessité, la possibilité juridique et surtout  l’opportunité  politique de la création d’un poste de vice – président successeur constitutionnel. Mais, finalement, la session s’est achevée sans que le projet soit présenté aux députés. Ce projet qui tient tant à cœur le président BIYA dont le souci de contrôler sa succession dans le moindre détail est connu, apparaît comme le dernier verrou de la stratégie  de son clan  visant la confiscation du pouvoir.  Il est plus que probable qu’il ressurgisse au cours de la prochaine session à défaut, au cours des sessions à venir. En attendant ce moment, il est judicieux de rappeler ici les arguments juridiques et politiques qui militent contre cette opération politicienne. En effet, une telle opération rappelle la sanglante révision constitutionnelle de 2008 et  éloigne notre pays de l’urgence politique de l’heure à savoir, la réforme  de notre système électoral et notamment d’ELECAM.

L’obstacle juridique
Après la révision constitutionnelle de 2008, pour faire bonne figure au plan international, après l’adoption par l’Assemblée et promulgation, le 15 juillet 2011,  de la Loi N° 2011/017, le Cameroun a ratifié la Charte Africaine de la Démocratie,  des Élections et de la Gouvernance (CADEG).
Le 16 janvier 2012, notre pays est devenu le quinzième État à déposer les instruments de ratification de la CADEG. Et en application de son article 48, trente jours après, le 15 février 2012, la CADEG est entrée vigueur. Par cet acte, notre pays a réalisé un saut qualitatif en matière de contrôle institutionnel de la démocratie.
En effet, l’article 10 du chapitre IV de la CADEG  intitulé : Démocratie, État de Droit et Droits de l'Homme, dispose en son alinéa 2 : «  Les États parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum. ».
Or, l’article 45 de notre Constitution dispose quant à lui que « [l]es traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserves pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». L’article 64 pour sa part dispose qu’ « aucune procédure de révision ne peut être retenue si elle porte atteinte à la forme républicaine, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’État et aux principes démocratiques qui régissent la République ».
Les dispositions pertinentes de la CADEG et les articles 45 et 64 de la Constitution du 18 janvier 1996 ne permettent pas au président de la République de créer un poste de Vice –président, successeur constitutionnel, sans un débat national débouchant sur l’obtention d’un consensus. Un tel débat ne peut se limiter au seul Parlement, même réuni en Congrès. Il requiert la pleine et entière participation des partis politiques, de la société civile, de toutes les forces vives de la nation.

L’obstacle politique : vers la consécration de l’inutilité institutionnelle du Sénat
Si le projet de modification de la Constitution visant à instaurer le poste de Vice – président, successeur constitutionnel du président de la République en cas de vacance de pouvoir, venait à être officialisé, la question de la mise en place du Sénat, que de nombreux observateurs considèrent comme un luxe pour la République alors même que l’État peine à faire face à ses obligations financières, se poserait.
Le Sénat camerounais  est à l’analyse  un instrument au service de l’exécutif car le président de la République y nomme trente membres sur cent. Pour sa première année d’existence il coûte 15 milliards deux cents millions alors que l’Assemblée nationale coûte quant à elle 18 milliards soixante-onze million pour un  budget de 2014 de 3.312 milliards. Le fonctionnement des deux institutions parlementaires représente 10% du budget global de l’État dans un pays où l’on empêche aux écoliers de réviser leurs leçons pendant les examens officiels en multipliant les coupures d’électricité et où l’accès à l’eau est un luxe, y compris dans la capitale, et où voyager revient à défier la mort en raison du piteux état du réseau routier.
Le Sénat a été créé  dans un contexte de scepticisme quant à sa plus –value  sur l’efficacité institutionnelle. Cependant, le constituant de 2008 lui a donné les moyens de régler le défi de la vacance du pouvoir. Il a aussi  réaménagé les délais de l’organisation de l’élection du nouveau président de la République que le pouvoir veut aujourd’hui instrumentaliser dans son projet de création du poste de vice –président, successeur constitutionnel.
En effet,  la Loi N°2008 /001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 règle, en son article 6 (4) (nouveau),  la succession à travers la disposition suivante : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance. »
De plus, son alinéa 4 (a) dispose : «  L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier est à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance du Sénat [...] ». L’autorité chargée d’assumer cette lourde responsabilité est dont clairement désignée.
En conséquence, toute création d’un poste de vice–président, successeur constitutionnel, reviendrait à consacrer l’inutilité du Sénat qui avait été vendu aux Camerounais sur la base de son utilité institutionnelle en cas de vacance de pouvoir à la tête de l’État. 
Par ailleurs, cela confirmerait à ceux qui en doutaient encore, que l’objet véritable de la révision constitutionnelle de 2008 était la perpétuation du président Biya au pouvoir.
A la création du Sénat, le pouvoir, et notamment le président de la République lui-même,  avait annoncé qu’il s’agissait du coup d’envoi de la mise en place des institutions prévues par la constitution d’avril 1996. Et pour convaincre les sceptiques, l’on annonçait l’imminence du Conseil constitutionnel pour, disait  t- on, parachever l’architecture institutionnelle de notre pays. Le président de la République s’est même risqué à un pari qui ne lui a pas souvent réussi, à savoir fixer une date : la fin de l’année 2013. Le mois de juin 2014  est déjà largement entamé sans qu’aucun signe n’indique l’imminence de la création du Conseil constitutionnel qui est, au regard des multiples violations de la loi par l’exécutif et des nombreux dysfonctionnements institutionnels, plus que nécessaire.
Dans ce contexte, comment un pouvoir qui est incapable de mettre en place une institution créée par la constitution depuis bientôt vingt ans et  dont la date de lancement a été rendue publique par le chef de l’État lui-même peut-il justifier son activisme constitutionnel visant à créer  un poste de vice-président.
Seuls des calculs politiciens pourraient l’expliquer. Après avoir arraché dans le sang la modification de l’article 6 (2) sur la limitation des mandats, le président BIYA voudrait, si son projet est avalisé par le Parlement, se donner les moyens juridiques  de contrôler sa succession et par conséquent, de fausser le jeu démocratique. Dans les États modernes, la succession au pouvoir ne dépend pas des individus mais de la volonté du peuple. Dans les affaires privées en revanche, la succession se règle chez le notaire. Si le projet sus évoqué arrive sur la table des élus, ils doivent le rejeter au risque de transformer la question de la succession à la tête de notre État, qui est une question grave engageant l’avenir de plusieurs générations de Camerounais,  en une simple affaire privée dans laquelle le président BIYA serait le chef de famille et eux des notaires.

La réussite ou l’échec de la succession du président Biya dépendra de la qualité de notre système électoral dont l’urgence de la réforme est déjà posée par le MRC
L’urgence aujourd’hui dans notre pays concerne outre le défi sécuritaire, le chômage endémique des jeunes, le pouvoir d’achat, l’accès aux soins, l’accès à l’eau et à l’électricité, la justice, les infrastructures, la qualité de la formation, la reconstruction de la respectabilité international du Cameroun, l’arrêt du siphonage institutionnel de l’argent public par ceux qui gouvernent etc.
S’agissant de la succession au sommet de l’État, en prenant en compte les réponses du constituant de 2008, la seule urgence nous est aujourd’hui dictée par les grosses défaillances de notre système électoral dévoilées lors du double scrutin de septembre 2013.
Si le président Biya  veut véritablement mettre sous contrôle l’usine à gaz que constitue désormais sa succession, il doit revenir sur le satisfecit qu’il a complaisamment adressé à ELECAM au lendemain de ce double scrutin. En effet, pour prévenir la violence que charrie la compétition pour sa succession il doit clarifier, rendre transparent et véritablement consensuel  le  processus électoral.
Sans ce travail républicain, notre pays est exposé aux violentes secousses que risque de générer la mêlée de rugby que constituera l’épreuve de la succession au sommet de l’État.
Au regard des frustrations qu’éprouvent les Camerounais, et même une bonne partie des militants du parti au pouvoir eux aussi éreintés par la misère, l’enjeu de la  prochaine élection présidentielle dans notre pays, avec ou sans la participation du président BIYA, interdit tout soupçon de fraudes électorales.
Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, MRC a, dès le lendemain de la publication des résultats du double scrutin du 30 septembre 2013, anticipé  sur ce chantier de la réforme de notre système électoral car il y voit le défi majeur pour la paix au cours des prochaines consultations.
Pour cela, il a saisi le président de la République, le chef du Gouvernement, le président du conseil électoral d’ELECAM, les pays amis du Cameroun, les organisations internationales accréditées à Yaoundé et la presse de ses propositions de réformes.
Parmi celles-ci, on peut citer :  l’élection présidentielle à deux tours ; la révision constitutionnelle pour ramener l’âge électoral à 18 ans ; la réforme d’ELECAM pour lui assurer une réelle indépendance et un professionnalisme ; l’utilisation d’un bulletin de vote unique à défaut d’une biométrie effective et intégrale ; l’application des dispositions du code électorale qui interdisent le vote dans les casernes ; l’interdiction de distribuer les cartes d’électeurs le jour du vote ; le décompte public et la publication immédiate des résultats à la fin du scrutin dans chaque bureau de vote ; l’utilisation de procès-verbaux à volets et  dont tous les volets sont opposables devant les juges ; la neutralité des autorités administratives et policières ; l’accès équitable aux média à capitaux publics ;  la mise en place du Conseil constitutionnelle car la Cour suprême est composée uniquement de  membres
fonctionnaires de l’ordre judiciaire et donc dépendants du candidat-président et président du conseil supérieur de la magistrature.
Alain Fogue Tedom