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Société Eloge d’Eric Lembembe ou L’insoutenable criminalité de l’homophobie

Eloge d’Eric Lembembe ou L’insoutenable criminalité de l’homophobie

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Il y a quelque chose de paradoxal dans l'homophobie institutionnelle et sa variante sociale au Cameroun, comme du reste, en d'autres lieux, en Afrique. Les brigadiers d'une supposée authenticité sexuelle africaine s'arrogent le droit de vie ou de mort sur les minorités sexuelles, au nom d'une morale sacrée de la normalité sexuelle. Il ne suffit plus seulement d'infliger l'ostracisme à l'homosexualité, la cantonner à la marginalité des zones de non droit sexuel. La morale de la bien-pensance sexuelle en est à présent arrivée à requérir, dans une complète impunité, ou une passivité complice, la vie même des homosexuels ou de ceux qui défendent leurs droits à la différence sexuelle.
Le drame se dit ainsi qu'il suit : au nom de l'impératif supposé moral de préservation de l'hétérosexualité, les gardiens de l'orthodoxie hétérosexuelle conçoivent apparemment qu'on puisse brutaliser et donner cruellement la mort à quelqu'un parce que ses activités sexuelles privées sont soudain perçues comme une menace existentielle !
L'assassinat d'Eric Lembembe, comme celui Noxolo Nogwaza, en Afrique du Sud, de David Kato, en Ouganda, dans une Afrique qui se proclame gardienne du droit à la vie contre un supposé colonialisme sexuel venu d'occident, vient rappeler qu'une morale, fut-elle sexuelle, qui justifie le meurtre de l'autre, en vertu de sa seule différence, sexuelle, ethnique, raciale, n'est pas autre chose qu'une simple justification du culte de la mort.

L'assassinat d'Eric Lembembe n'est pas autre chose qu'un crime de la bien-pensance homophobe, celle d'une supposée majorité morale qui, à l'abri de ses certitudes et de ses préjugés, inflige la souffrance et la mort aux boucs-émissaires vulnérables justement parce qu'ils sont désignés, livrés, sans défense, à la vindicte sexuelle d'une populace dont les pulsions violentes s'exprimes d'autant plus librement qu'elles ont l'onction de lois homophobes.
L'assassinat d'Eric Lembembe doit être saisi pour ce qu'il est : un geste sacrificiel, expiatoire, qui immole une victime sans défense sur l'autel des passions et des préjugés collectifs. Ailleurs, en d'autres temps, on vouait au bûcher pour impureté religieuse, sous le regard bovin et fanatisé de prêtres assoiffés de sang et perclus de certitudes morbides. Sous nos latitudes, on peut insulter librement, proférer des menaces, humilier, marginaliser, puis, maintenant, tuer, avec la bonne conscience d'un inquisiteur en mission de purification. Là réside le paradoxe macabre de la supposée supériorité morale des apôtres de l'hétérosexisme : l'espace public est transformé en zones de mise à mort symbolique de la différence sexuelle, par des discours bruyants, violents, par une culture d'ostracisation vicieuse qui unit les inquisiteurs de l'ordre sexuel dans la froide criminalité qui a d'autant plus libre cours qu'elle magnifie négativement l'âme sombre d'une société intolérante pourtant habituée à beugler son indignité au moindre soupçon de racisme !
Eric Lembembe n'a pas été assassiné par les tueurs à gages de l'hétérosexisme. Il est surtout une victime collective tragique dont la mise à mort met à nu l'intolérance sexuelle érigé en art de vivre sexuel. Ses tueurs ont perçu les gages d'une société perchée sur ses certitudes sexuelles, qui ne tolère pas de dissidence sexuelle, qui est prête à tout, de l'emprisonnement au meurtre symbolique. Car il y a bien longtemps que les homosexuels sont en sursis au Cameroun : ils le sont parce que, partout, autour d'eux, une société entière ricane sous cape, imagine les pires tourments et les formes de damnation les plus brutales à infliger aux minorités sexuelles, avec la bénédiction du plus grand nombre, dans l'absolue tranquillité que procure le confort inquisitorial d'une prédisposition au meurtre protégée par la bienveillance de l'homophobie ambiante
Il ne faut s'y tromper : l'assassinat d'Eric Lembembe est un meurtre rituelperpétré, via quelques criminels, par une société qui a créé les conditions qui rendent possible l'identification publique, puis la mise à mort symbolique de la différence sexuelle, en attendant la mise à mort physique de ceux qui l'incarnent. Il y a, en effets, comme en pensées, quelque chose de morbide dans l'homophobie. Quand elle se borne d'interdire la différence sexuelle, elle inflige un mal sexuel par la privation de la jouissance des droits sexuels individuels ; en ce sens, elle est comminatoire, vitupérante et inquisitoriale. Si la sexualité épanouie est un vecteur important d'autonomie et de bonheur sexuel, interdire le droit à la différence sexuelle à adultes consentants est en soi une tyrannie sexuelle qui impose l'ordre hétéronormatif aux sexualités différentes, pour ne pas dire dissidentes. Il n'y a pas d'actes de prohibition sans conséquences, sans coûts pour quiconque en pâtit.Quand l'homophobie codifie ses préjugés en lois positives, elle consacre l'appel au meurtre et donne quitus à une culture hétérosexuelle qui assouvit, au cœur même de la cité, par des autodafés sexuels brutaux, d'irrépressibles pulsions de destruction de la différence sexuelle.L'instinct collectif d'enrégimentement sexuel est chevillé à une pulsion de mort qui prend pour cible la différence sexuelle dans une tentative vaine de normalisation qui est d'autant plus pernicieuse qu'elle transforme les homosexuels en êtres superflus, déviant, qu'on peut emprisonner, torturer, voire tuer à volonté, sexuellement, socialement, ou physiquement.
Les lois homophobes ont la même visée que les effroyables campagnes staliniennes de redressement ou de rectification idéologique. Dans un cas comme dans l'autre, la même logique est à l'œuvre : l'extirpation purificatrice de ce qu'on tient pour une inacceptable fiente purulente. Dans le cas de l'homophobie camerounaise, la différence sexuelle est réprimée par une législation d'expiation qui embastille avec la bénédiction de croisés de l'hétérosexisme qui essaiment les rues pour « redresser », « corriger », ou intimider les homosexuels. La conséquence est simple : la place publique et la loi de la république deviennent les instruments symboliques d'une purification publique par le sang ou par la torture, pour le plus grand bonheur de la majorité sexuelle, en vertu d'une imaginaire pureté sexuelle, celle des « vrais hommes » et des « vrais femmes » qui ne font pas « ça » par derrière, par le canal prévu (par qui donc ?) pour les excréments.
Mais il faut pour la gouverne de toutes, tous, et de chacune, comme de chacun, se souvenir de ceci :quand la persécution de la différence sexuelle devient ce par quoi la société affirme son authenticité, il y a à craindre que cette cécité putride ne fonde bientôt les plus grands excès, surtout quand la vulnérabilité sexuelle de l'autre devient le cri de ralliement d'une société qui donne libre cours à ses pulsions de mort. Eric Lembembe n'est pas mort sur le bûcher. Mais c'est tout comme ! Dans l'Europe qu'on accuse de colonialisme sexuel, des homosexuels sont morts au bûcher, avec la bénédiction de gens supposés protéger les faibles, les plus vulnérables.
Dans l'Afrique de la bien-pensance sexuelle, des gens comme Eric Lembembe sont tués dans l'indifférence. Quand leur mort suscite la désapprobation molle de quelques-uns, ils ont tôt fait de rappeler qu'ils ne veulent ni du mal ni ne souhaitent infliger la mort à personne. Qu'ils sont tout juste contre l'homosexualité. Nuance ! Mais, il faut garder à l'esprit qu'être activement contre la différence sexuelle au point de la codifier en loi, la traiter avec dégoût, c'est déjà s'ériger en modèle absolu de la droiture sexuelle, vouer de fait aux gémonies, ceux qu'on honni, rien que parce qu'ils pensent et agissent sexuellement d'une manière qui ne cadre pas tout à fait avec les préjugés du plus grand nombre. On peut citer la bible, le pouvoir des traditions, tout ce qu'on veut. Mais la vérité, la seule vérité, reste bien simple : des gens sont en prison, un autre, Eric Lembembe a trouvé une mort atroce au cœur d'une cité qui se croit moralement fondée à criminaliser des pratiques librement consentis entre adultes responsables de leur liberté sexuelle.
Quelque part, au Cameroun le corps froid d'Eric Lembembe qui pétillait de vie, il y a peu encore, est étendue dans le glacial casier d'une morgue. Au-dessus de lui trônent les lois de la cité et l'intolérance décivilisatrice des néocroisés de la purification sexuelle, ces prêtres de la nécrose et de la pulsion de mort qui ont préparé l'autel du sacrifice, là où de furieux assassins ont immolé Eric Lembembe, au nom des pulsions collectives d'une société enivrée par le despotisme de ses préjugés sexuels. Le redressement purificateur dont on mesure maintenant l'ampleur mortifère a un prix sacrificiel : Eric Lembembe. Le scepticisme incline à rappeler que la ligne maginot de l'authenticité sexuelle est un dispositif d'un autre temps et que le tocsin a déjà sonné pour les vampires de l'hétérosexisme qui se repaissent du sang d'Eric Lembembe en se pourléchant cyniquement les babines, songeant et espérant secrètement que les mécréants sexuels ont compris le message morbide.