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Société Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Les détenus payent leur transfert au tribunal

Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Les détenus payent leur transfert au tribunal

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Index de l'article
Prisons camerounaises: des univers surréalistes
Les tares des prisons du Cameroun dénoncées
Clément a vécu un enfer avant d’être libéré
Des adultes logés au quartier des mineurs
Assistance et argent au bout du coup de fil des détenus
Un détenu veut porter plainte contre l’Etat
Des policiers torturent pour faire avouer des suspects
Un condamné à mort soigne ses codétenus
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Sortis de New-Bell, ils se forment et travaillent
Des nourrissons font ''leurs premiers pas''
Une ministre enferme un paysan
Les abandonnés galèrent pour survivre
Des détenus cisèlent, sculptent, cousent…
Distribution des tracts: des opposants emprisonnés dix jours
Prison de Mantoum: La réinsertion par le travail aux champs
Torturé et détenu sans motif pendant trois ans
Guy crée des bijoux et revit
Un jeune abattu à la prison de Bafoussam
Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile
Prison de Ngambe: trop délabrée
A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
Toutes les pages

A la prison principale de Foumban
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Faute de véhicules, des détenus de la prison principale de Foumban doivent payer eux-mêmes les frais de transport pour leur transfèrement au tribunal.  D’autres sont menottés et exposés à la vue du public, en violation des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers.
Menottés deux à deux, huit détenus répartis en deux rangs, se frayent un chemin entre les herbes envahissant la petite piste qui conduit à la prison principale de Foumban. Ce soir, ils sont encadrés par deux gardiens armés. "Nous rentrons juste du tribunal", indique l’un d’eux. Le pénitencier ne possède pas de véhicule pour le transfèrement des détenus. Conséquence, "ils se rendent aux différentes audiences à pied et escortés", explique Zacharie Sangou, le régisseur par intérim de la prison principale. Il affirme ne pas savoir pourquoi ces huit prisonniers sont menottés. "Hier, j’étais à Yaoundé. Je n’ai pas pris connaissance de cette information. Je vais m’enquérir de la situation auprès de mes collaborateurs", affirme-t-il. Prenant leur défense, le régisseur justifie par ailleurs l’utilisation des menottes. "En cours de route, un détenu a dû créer un problème, comme par exemple : donner des coups de poings à un geôlier ou à un camarade", estime-t-il. Selon Zacharie Sangou, l’emploi des menottes est une précaution qui permet aux gardiens de prison de se protéger : "En cas d’évasion, le geôlier peut être accusé de complicité. Il s’expose ainsi à des sanctions pénales et administratives". Dans tous les cas, poursuit-il, les détenus comparaissent sans menottes.

 

Exposés à la vue du public
Mais comment justifier que les prisonniers soient exposés à la vue de tous ? "Les gens nous insultent, se moquent de nous, nous traitent de voleurs… ", déplore Sandrine B. Au Cameroun les détenus ne sont pas transférés dans la discrétion, en violation des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers. "Lorsque les prisonniers sont amenés à l'établissement ou en sont extraits, ils doivent être exposés aussi peu que possible à la vue du public, et des dispositions doivent être prises pour les protéger des insultes, de la curiosité du public et de toute espèce de publicité", précisent les Nations Unies. Pour certains d’entre eux, cette situation est plus une contrainte qu’un affront. "On est obligé de se déplacer à pied sur plus d’un kilomètre et demi. Quand la journée est ensoleillée, on est assuré d’avoir des maux de tête au retour", affirme Ayi Agny Augustin, un détenu qui se plaint de s'être rendu plus de trente deux fois au tribunal en trois ans, sans être jugé.
La situation est plus difficile pour ceux qui ont fait appel d’une décision de justice. Ils doivent emprunter à leurs frais des moyens de transport pour se rendre à la cour d’appel de Bafoussam. Du coup, ils doivent débourser jusqu’à 4000 FCfa pour supporter les coûts de leur transport et ceux des geôliers qui les escortent. N’ayant pas d’argent pour effectuer des allers-retours, les détenus démunis sont obligés d’adresser une demande au délégué régional de l’administration pénitentiaire afin d’obtenir un transfèrement à la prison de Bafoussam. "Ils trouvent préférable d’aller purger leur peine dans cette ville pour ne plus payer les frais de taxi et honorer facilement leur convocation au tribunal", explique le régisseur.
La situation a heureusement évolué, depuis dix ans, avec la création par le tribunal militaire de Bafoussam d’un bureau à Foumban. Cela permet aux détenus accusés de crime à mains armés de ne plus débourser de l’argent pour répondre à la convocation des juges. "Le tribunal militaire accorde une audience aux détenus, chaque semaine, dans ce bureau", assure Zacharie Sangou.

Des geôliers en danger
L’absence de véhicules roulants pourrait aussi s’avérer dangereuse pour les gardiens de prison, même si, jusqu’à présent, aucune évasion n’a été enregistrée pendant les transfèrements à pied. "Les détenus reviennent souvent des escortes à des heures tardives. Dans l’obscurité, nous, les geôliers, ne sommes pas à l’abri des agressions. C’est d’autant plus dangereux qu’en ce moment le taux de criminalité a augmenté", indique Sam Moukolo, un major-chef de la prison.
Chargé de programmes à l’Action des chrétiens contre l'abolition de la torture (Acat Cameroun), Armand Matna dénonce l’absence de moyens de transport pour les détenus de la prison principale de Foumban. " Il revient au gouvernement de doter les prisons de véhicules pour le transfert des détenus", affirme-t-il. Cette position est  celle défendue par les Nations Unies. "Le transport des détenus doit se faire aux frais de l'administration et sur un pied d'égalité pour tous", recommande l’organisation internationale dans ses règles minima pour le traitement des détenus.
Anne Matho (Jade)