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Société Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester

Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester

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Index de l'article
Prisons camerounaises: des univers surréalistes
Les tares des prisons du Cameroun dénoncées
Clément a vécu un enfer avant d’être libéré
Des adultes logés au quartier des mineurs
Assistance et argent au bout du coup de fil des détenus
Un détenu veut porter plainte contre l’Etat
Des policiers torturent pour faire avouer des suspects
Un condamné à mort soigne ses codétenus
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Sortis de New-Bell, ils se forment et travaillent
Des nourrissons font ''leurs premiers pas''
Une ministre enferme un paysan
Les abandonnés galèrent pour survivre
Des détenus cisèlent, sculptent, cousent…
Distribution des tracts: des opposants emprisonnés dix jours
Prison de Mantoum: La réinsertion par le travail aux champs
Torturé et détenu sans motif pendant trois ans
Guy crée des bijoux et revit
Un jeune abattu à la prison de Bafoussam
Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile
Prison de Ngambe: trop délabrée
A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
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Arrestations et gardes à vue illégales.
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Alors qu’ils s’apprêtaient à manifester publiquement, des étudiants ont été violentés, arrêtés et gardés à vue sans aucune plainte et présenté au procureur qui les a condamnés. Or la loi ne punit que les faits, pas les intentions.
Hervé Zouabet n’a pas perdu le moral. "C’est vrai que maintenant, je peux être considéré comme un prisonnier en liberté, car je risque un an de prison au moindre faux pas qui me conduiraient de nouveau devant les tribunaux, mais le combat continue", soutient-il. Président de l’association de défense des droits des étudiants (Addec), il a été condamné, le 31 juillet dernier, avec trois autres étudiants par le tribunal de première instance de Mfou à un an d’emprisonnement avec sursis pendant trois ans. Il leur était alors  reproché d’avoir, un mois auparavant, organisé une manifestation non-autorisée au nom du collectif "Sauvons l’université de Yaoundé II". Ces étudiants ont été appréhendés avant même de commencer à manifester pour réclamer le départ du recteur de cette université reconnu coupable de faute de gestion par le conseil supérieur de l’Etat.

 

Pas de faits
Pour les défenseurs des droits humains, c’est moins le verdict du tribunal que les conditions de l’arrestation, de la garde à vue et de la qualification des faits qui fâchent. "Avant que la manifestation projetée ait eu lieu, ils ont été kidnappés pour l’un et arrêtés pour les trois autres par le commissaire qui avait été saisi par une lettre du recteur qui lui demandait  de venir assurer la sécurité autour et au sein du campus. Ayant refusé de faire des déclarations, ce commissaire a maintenu leur garde à vue, qui s’est prolongée jusqu’à dimanche sans que le procureur de la République en soit informé ", dénonce Me Hyppolite Meli, avocat au barreau du Cameroun qui a suivi l’affaire de près.
L’homme de droit soutient que le commissaire est un officier de police judiciaire qui agit sous le contrôle et sous l’autorité du procureur de la République. Ce dernier doit être informé. "Ces arrestations sont sans fondements car il n’y avait ni plainte, ni manifestation en cours. Le commissaire s’est comporté comme si la loi pénale réprimait les intentions : dans son procès verbal, il avait qualifié ces faits d’incitation à la révolte et atteinte à la sûreté de l’Etat pour qu’au parquet on les requalifie en manifestation et réunion non déclarée. La loi pénale ne réprime pas les intentions, elle réprime les faits concrets, des faits qui peuvent être rapportés par une preuve.  Or dans ce cas là, il n’y en avait pas", se récrie Me Meli.

Violences physiques
Par ailleurs, l’arrestation des étudiants ne s’est pas opérée sans heurts. Trois d’entre eux seront contraints de monter dans le car de police à coups de matraques. Zouankou, l’un d’eux, sera grièvement blessé au coude. "On n’a tapé, ni violenté personne. On a demandé aux étudiants de nous suivre, deux sont entrés sans problème dans la voiture, c’est le troisième qui a opposé une résistance, et puis l’article 30 du code de procédure pénale dans son alinéa 2 stipule : "L’officier de police judiciaire ou l’agent de la force de l’ordre qui procède à l’arrestation enjoint à la personne à arrêter de la suivre, en cas de refus, fait usage de tout moyen de coercition à la résistance de l’intéressé ". Cet article me donne l’autorisation de les arrêter par la force", justifie l’officier de police Akono qui pilotait les arrestations. Le même code de procédure pénale condamne pourtant la violence au cours des arrestations. " Aucune atteinte ne doit être portée à l’intégrité physique ou morale de la personne appréhendée ", recommande l’alinéa 4 de l’article 30 du code. " Rien ne peut justifier la violence, rien du tout. Ils ont été molestés. Il s’agit d’une violence gratuite qui ne peut se justifier par quoi que ce soit ", précise Me Meli.
Ramenés au commissariat, les étudiants seront enfermés dans une cellule obscure et puante, couchant à même le sol et devant compter sur leurs proches pour être nourris. Ils seront présentés au procureur trois jours plus tard et autorisés à comparaître libres. Des conditions de détention en contradiction avec les règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies et la convention des Nations Unies contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants ratifiées par le Cameroun. Ce qui fait dire à Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, "qu’il existe un réel problème d’application des textes que le Cameroun a lui-même ratifiés". Des sanctions sont régulièrement infligées aux agents de la police, de la gendarmerie et de l’administration pénitentiaire responsables de tortures, de violations des droits humains et de traitements dégradants sur des citoyens. Ces sanctions (blâmes ou révocations) sont loin de dissuader les forces de l’ordre qui sont de plus en plus "zélées".
Béatrice Kaze (Jade)
Maître Eric Nachou Tchoumi, avocat : " Garantir l’intégrité physique du suspect"  
Qu’est ce qu’une arrestation au sens juridique du terme ?
L’arrestation telle que définit par les articles 30 du code de procédure pénal consiste à appréhender une personne en vue de la présenter devant l’autorité qui a décerné un mandat contre elle ou alors devant une autorité chargée d’ouvrir une enquête. L’arrestation s’effectue sur une personne suspectée d’avoir commis une infraction ou déjà condamnée.

Qui est habileté à effectuer une arrestation ?
Il s'agit en premier chef des agents et officiers de Police judiciaire qui sont généralement des policiers et des gendarmes. C’est à eux que la loi donne prioritairement compétence pour effectuer des arrestations. Mais seulement, le code va plus loin et précise que s’agissant d’un crime ou d’un délit flagrant, toute personne peut arrêter une personne suspectée d’avoir commis une infraction. C'est-à-dire, lorsque vous vous retrouvez dans un endroit où quelqu’un est en train de commettre  une infraction, la loi vous donne le pouvoir d’arrêter cette personne et de la conduire auprès de l’autorité chargé d’ouvrir une enquête. Tout magistrat témoin d’une infraction a également ce pouvoir à savoir, appréhender une personne suspectée d’avoir commis une infraction en vue de la présenter devant une autorité qui devra enclencher véritablement une procédure.

Y a-t-il des règles à respecter pendant une arrestation?
L’arrestation doit s’effectuer de manière à garantir l’intégrité physique du suspect. Il peut arriver que le suspect oppose une résistance. La loi donne dans ce cas le pouvoir aux officiers de police judiciaire (OPJ) d'appliquer à ce suspect une riposte en rapport avec sa résistance. C'est-à-dire lorsqu’un OPJ vient vous arrêter, si vous opposez une résistance, par exemple si vous sortez une arme blanche, les OPJ doivent utiliser des moyens proportionnels pour parvenir à votre arrestation.

En cas de non respect de ces dispositions, que peut faire le suspect ?
En cas d’abus, donc, de violation des droits inhérents à cette personne suspectée. Dans un premier temps, ces abus peuvent entraîner plus tard la nullité de la procédure. Je prends le cas d’une personne qui a commis une infraction depuis 2 ans, qu’on vienne arrêter comme s’il s’agissait d’un flagrant délit. C’est un vice dans  la procédure pénale qui peut entraîner plus tard la nullité de toute la procédure contre cette personne. Et si la procédure se termine par un non lieu, la victime peut se retourner contre les auteurs de cette arrestation dans la mesure où cela  peut être assimilé à une séquestration. Je prends le cas des arrestations sans titre, sans qu’il y ait une véritable suspicion, ça peut donner lieu à une action récursoire de cette personne contre ces agents de police judiciaire coupable de cette arrestation illégale.
L’arrestation se fait au vu d’un mandat de justice c'est-à-dire, un mandat d’amener, un mandat d’incarcération, d’arrêt, bref, des mandats délivrés par des autorités judiciaires ou juridictionnelles. Elle peut être effectuée sans ces mandats notamment en cas de flagrant délit. L’arrestation ne débouche pas forcement sur une garde à vue. On peut vous arrêter et vous présenter devant une autorité qui seul décidera selon les circonstances et au regard de la loi de votre garde à vue s’il s’agit d’un OPJ ou de votre détention s’il s’agit d’un magistrat. Donc, il ya lieu de faire un distinguo entre la garde à vue qui est une mesure de privation réel de liberté dans un local aménagé à cet effet dans une unité de police judiciaire à l’arrestation qui est un acte qui consiste à vous appréhender pour vous conduire devant cette autorité. Elle peut aboutir à une relaxe ou à une garde à vue, une détention provisoire, ou une incarcération si votre condamnation a été prononcée etc.
Entretien réalisé par Anne Matho (Jade)