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Société Prisons camerounaises: des univers surréalistes - A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef

Prisons camerounaises: des univers surréalistes - A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef

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Index de l'article
Prisons camerounaises: des univers surréalistes
Les tares des prisons du Cameroun dénoncées
Clément a vécu un enfer avant d’être libéré
Des adultes logés au quartier des mineurs
Assistance et argent au bout du coup de fil des détenus
Un détenu veut porter plainte contre l’Etat
Des policiers torturent pour faire avouer des suspects
Un condamné à mort soigne ses codétenus
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Sortis de New-Bell, ils se forment et travaillent
Des nourrissons font ''leurs premiers pas''
Une ministre enferme un paysan
Les abandonnés galèrent pour survivre
Des détenus cisèlent, sculptent, cousent…
Distribution des tracts: des opposants emprisonnés dix jours
Prison de Mantoum: La réinsertion par le travail aux champs
Torturé et détenu sans motif pendant trois ans
Guy crée des bijoux et revit
Un jeune abattu à la prison de Bafoussam
Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile
Prison de Ngambe: trop délabrée
A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
Toutes les pages

A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
10 000 Fcfa, ce serait le tarif exigé par l’adjudant-chef, patron du poste de gendarmerie de Bantoum, pour libérer une personne arrêtée. L’homme en tenue est dénoncé par les populations qui attendent l’intervention de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés.
La quarantaine passée, René Feutba vit avec la peur au ventre depuis des semaines. Assis en compagnie de proches sur la véranda d’une case en briques de terre battue à Bantoum, faubourg situé près de la ville de Bangangté, ce dimanche 27 mai 2012, l’agriculteur poursuivi pénalement pour «trouble de jouissance» se méfie de tout inconnu. René n’a pas oublié les menaces proférées par l’adjudant-chef, Flaubert Mbiam-Batomé, chef de poste de la brigade de gendarmerie de Bantoum, lors de ses internements, les 14 avril et  17 mai derniers. Il reproche à l’homme en tenue de lui avoir extorqué  à deux reprises, la somme de 10 000 Fcfa, avant de le libérer. Il n’est pas le seul dans ce cas. Les nommés Paho, Benjamin Ngantcha (chef du quartier Bitchoua), Clément Yimché, Pauline Nana, Suzane Mawoko s’alignent sur le registre des victimes de la rapacité du gendarme.

 

Le chef de village intervient
Ces faits ont fait perdre de sa sérénité à la bourgade agricole de Bantoum, peuplée de plus de 15.000 âmes. Une situation qui préoccupe le chef du village, Sa Majesté Jocelyn Marius Sabet. La trentaine entamée, sa mine empreinte de l’autorité traditionnelle manifeste une énergie intacte, après une partie de football, en cette matinée du dimanche 27 mai 2012. Bien assis dans un grand fauteuil surélevé, sculpté de losanges et de triangles, symboles de puissance et de sagesse dans la cosmogonie Bamiléké, le chef affiche un visage plissé lorsqu’on évoque ses relations avec l’adjudant-chef, Flaubert Mbiami-Batomé. D’autant plus que René Feutba, le planteur, vient tout juste de lui remettre la copie d’une correspondance adressée au sous-préfet de l’arrondissement de Bangangté. Une lettre dénonçant les abus du patron local de la gendarmerie.
"Après m’avoir entendu, Monsieur le sous-préfet, j’ai été mis en cellule et libéré grâce à [la somme] de 10.000 Fcfa que le commandant me demandait et qui constituait les frais de mon audition et de papier", se plaint le planteur. Il poursuit sa dénonciation en informant l’autorité administrative que quelques semaines après, la manœuvre s’est reproduite : "J’ai reçu la même convocation de la même brigade et pour les mêmes causes. J’ai été encore séquestré et enfermé en cellule. Il m’a encore demandé 10.000 Fcfa pour ma libération. J’étais défaillant, et j’ai fait recours au chef supérieur des Bantoum pour être libéré." Cette autorité confirme son intervention : " Chaque fois, je reçois des plaintes des habitants du village qui se plaignent de ce que le chef de poste de gendarmerie a érigé, ici à Bantoum, une loi non écrite selon laquelle toute personne contre qui une plainte a été formulée au niveau de la brigade placée sous sa responsabilité doit débourser la somme de 10.000 Fcfa pour payer sa liberté. Plusieurs fois, j’ai été saisi par les populations abusées. Mais, j’ai toujours pris ces diverses dénonciations avec des pincettes. S’agissant du cas de M. Feutba, le chef de poste n’a pas, une fois de plus, suivi mon appel à l’exigence de probité et d’impartialité qui devrait le gouverner dans son travail. Il a impérativement exigé 10.000 Fcfa avant de libérer l’infortuné", explique sa Majesté Jocelyn Marius Sabet.

"Victime d’une cabale"
Le chef de poste de gendarmerie de Bantoum, l’adjudant chef Mbiami Batomé, nie en bloc toutes les accusations portées contre lui. "Depuis mon arrivée ici, la criminalité a considérablement diminué. J’ai mis fin à de nombreux gangs. J’ai mis hors d’état de nuire des coupeurs de route. Je suis victime d’une cabale orchestrée d’une part par ces délinquants qui ne veulent point se conformer au respect de la loi et d’autre part par le chef du village qui a voulu me manipuler pour intimider un vieux du village. De même, cette autorité traditionnelle m’en veut parce qu’elle a été entendue par moi au sujet d’une plainte pour outrage formulée contre lui par le chef supérieur Bangangté et d’une autre par l’agent du protocole préfectoral pour une affaire de séquestration", se défend-il. Ces arguments ne convainquent pas Franklin Mowha, président de "Frontline Fighters for Citizens Interests", (FFCI), une organisation de défense des droits de l’homme basée à Bangangté, qui a demandé l’intervention de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (Cndhl) le 18 mai dernier. "J’en appelle ici à votre haute attention pour intervention urgente d’autant plus que les pratiques de corruption du Commandant de la Brigade Ter de Bantoum se sont érigées, selon le témoignage du Chef Supérieur Bantoum en personne, Sa Majesté Sabet Jocelyn Marius, en abus aggravé dont est victime au quotidien son peuple", dénonce le défenseur des droits de l’homme. "L’officier de cette unité militaire est si négativement réputé dans le coin qu’il a depuis hérité du sobriquet de "Commandant Dix Mille" tant il "coupe" dix mille CFA à gauche et à droite c'est-à-dire au niveau du plaignant et de la victime", conclut-il. Reste qu’en attendant la réaction de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, les juristes conseillent à la lumière des dispositions du code pénal camerounais, une plainte pour "corruption active" ou "abus de fonction" chez le procureur général près la Cour d’appel de l’Ouest.
Guy Modeste Dzudié (Jade)
Me Jules Nguemdjo
"Jusqu’à 10 ans de prison pour un abus de pouvoir"
Nous avons demandé à Me Jules Nguemdjo, avocat au barreau du Cameroun, de nous expliquer à quelles peines s’exposent les fonctionnaires accusés de corruption ou d’abus de pouvoir. Si les faits sont avérés, les condamnations peuvent aller de trois mois à dix ans de prison.

Comment appréciez- vous le fait que les populations de Bantoum se plaignent que le chef de poste de gendarmerie de la localité exige la somme de 10 000 Fcfa avant la libération de tout suspect gardé à vue ?
Au cas où les déclarations desdites populations sont fondées, il s’agit d’un cas d’abus de pouvoir réprimé par l’article 140 et suivants du code pénal. Le fonctionnaire contrevenant à cette disposition pourrait encourir des peines pécuniaires ou subir une condamnation pénale. Ce qui signifie qu’il pourrait encourir une privation de liberté allant de 3 mois à 10 ans d’emprisonnement ferme. On pourrait aussi accuser le chef de poste de la brigade de Bantoum de "concussion" ou de "corruption". Toutes ces infractions sont réprimées  par le code pénal camerounais.

Quels sont les recours conseillés aux personnes victimes d’un abus de pouvoir de la part d’un officier de police judiciaire ?
Sa qualité d’officier de police judiciaire lui confère le privilège de juridiction. Ce qui signifie qu’il ne peut pas être poursuivi dans une juridiction du département du Ndé. La personne qui s’estime avoir été victime d’abus ou de corruption doit se plaindre directement chez le Procureur général auprès de la Cour d’appel de l’Ouest.

Comment pourront-ils prouver ces "infractions" qui, pour l’instant, ne reposent que sur des déclarations verbales?
Dans la mesure où il n’existe aucune trace de décharge ni aucun reçu délivré par l’autorité accusée d’abus, il sera difficile pour eux de se prévaloir  de leur droit. Reste que l’article 1543 du code civil exige que la preuve soit écrite lorsque la somme dépasse 500 Fcfa. Pour le cas d’espèce, il s’agit bien de 10.000 Fcfa. Et les populations victimes ne disposent pas d’un moyen de preuve solide. Ils ne pourront que recourir à des témoignages. Ce qui pourrait bien limiter leurs chances d’emporter la conviction du juge au moment du procès ou même permettre que cette affaire prospère au niveau du parquet.
Propos recueillis par Gmd