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Société Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile

Prisons camerounaises: des univers surréalistes - Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile

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Index de l'article
Prisons camerounaises: des univers surréalistes
Les tares des prisons du Cameroun dénoncées
Clément a vécu un enfer avant d’être libéré
Des adultes logés au quartier des mineurs
Assistance et argent au bout du coup de fil des détenus
Un détenu veut porter plainte contre l’Etat
Des policiers torturent pour faire avouer des suspects
Un condamné à mort soigne ses codétenus
Des étudiants condamnés pour avoir voulu manifester
Les détenus payent leur transfert au tribunal
Sortis de New-Bell, ils se forment et travaillent
Des nourrissons font ''leurs premiers pas''
Une ministre enferme un paysan
Les abandonnés galèrent pour survivre
Des détenus cisèlent, sculptent, cousent…
Distribution des tracts: des opposants emprisonnés dix jours
Prison de Mantoum: La réinsertion par le travail aux champs
Torturé et détenu sans motif pendant trois ans
Guy crée des bijoux et revit
Un jeune abattu à la prison de Bafoussam
Les ''pingouins'' dorment à la belle étoile
Prison de Ngambe: trop délabrée
A Bantoum, des habitants dénoncent le racket de l’adjudant-chef
Toutes les pages

A la prison de New-bell
Les ''pingouins'' dorment  à la belle étoile
On les appelle "pingouins". Faute d’argent pour payer leur place, ces prisonniers  dorment à la belle étoile. En violation flagrante des conditions de détention. Exposés aux intempéries, ils tombent souvent malades.
Assis près de la porte de l’infirmerie de la prison centrale de Douala, dos contre le mur et genoux ramenés vers le buste, un jeune détenu s’efforce en vain de se protéger des rayons du soleil qui progresse rapidement vers le zénith. Il est vêtu d’un tricot et d’une culotte défraîchis et en lambeaux. "C’est un pingouin. Il n’a pas bien dormi dans la nuit et c’est maintenant qu’il tente de récupérer son sommeil", explique Yombi, un autre détenu.
Dans le jargon pénitencier camerounais, le mot "pingouin" (1) désigne un détenu  incapable de s’offrir le minimum pour sa survie quotidienne. A la prison de New-Bell, les "pingouins" sont nombreux. Certains sont contraints de passer la nuit à la belle étoile, dans un endroit de la cour intérieure de la prison baptisé "Billes de bois" où les détenus font du commerce pendant la journée. Le soir, ces démunis y étalent leurs couchettes à même le sol et dorment jusqu’au lever du jour. D’autres se couchent dans les toilettes, sur des étoffes déployées sur le pot du Wc.

 

Les bandits rôdent
Il y a aussi la "corvée lézard" qui désigne ceux qui dorment, le dos appuyé contre le mur. Selon un gardien, la plupart des détenus soumis à cette corvée ont les pieds enflés à cause des longues heures passées debout. En saison pluvieuse, les eaux de ruissellement érodent leurs plantes de pieds.
"Lors d’une fouille à la prison, on a retrouvé un "pingouin" emballé dans une couchette de fortune fait de plastique. Il ronflait en plein jour près de la poubelle", témoigne un autre gardien. Les pingouins sont également exposés aux maladies de la peau. La gale, notamment, fait des ravages. La peau d’Elvis est couverte de croûtes. Ce détenu séropositif de 24 ans garde un douloureux souvenir des nuits à la belle étoile. "En août 2011 lors de sa dernière visite, ma mère m’avait donné 10.000 FCfa. J’avais acheté des bâtons de manioc et des arachides grillées que je vendais pour survivre. Trois mois après, des bandits sont venus me fouiller dans la nuit pendant que je dormais et m’ont volé ma recette et ma marchandise", se souvient-il, amer.

Services payants dans les cellules
Dans la plupart des cellules, l’accès aux toilettes et à la douche est payant. "Tous les lundis, chaque détenu paye 100 F pour la caisse télévision, 50 F pour la caisse maladie et 50 F pour la caisse câble. On paie 100 F pour l’entretien des toilettes et 50 F pour l’entretien de la douche. Le chef de cellule, lui aussi détenu, nous explique que cet argent sert à assurer l’hygiène", dénonce Elvis. Ces frais sont perçus par les ‘‘autorités’’ des cellules (le chef de cellule, dénommé le ‘‘Premier ministre’’ ou le chef de cellule adjoint, le ‘‘Commandant’’, et le chef du service d’hygiène le ‘Commissaire’’).
Les détenus n’ayant pas payé ces frais sont expulsés par ces ‘‘autorités’’. Depuis huit mois, Elvis a été chassé de la cellule n°5. "A un moment je ne parvenais plus à payer les frais. Les chefs n’ont pas compris mon problème et m’ont mis dehors", affirme-t-il. En saison des pluies, les cellules sont saturées, beaucoup de détenus cherchant à y retourner. Face à la forte demande, les ‘‘autorités’’ se montrent alors encore plus exigeantes, selon Yombi. Les prisonniers, qui ne sont pas en règle,  sont priés d’aller se faire voir ailleurs.  

Pas assez d’espace
Pour la présidente de l’Action pour l’épanouissement des femmes, des démunis et des jeunes détenus (Afjd), Eliane Meubeukui, les détenus dorment en plein air, "pas forcément parce qu’ils n’ont pas d’argent, mais parce que l’espace manque". Conçue pour abriter 850 détenus, la prison de New-Bell en accueille aujourd’hui environ 3500. Les règles minima de traitement des détenus des Nations unies recommandent pourtant des cellules ou des chambres individuelles pour au plus deux personnes. Le régisseur de la prison de New-Bell, Dieudonné Engonga Mintsang, reconnaît que certains détenus sont obligés de dormir en plein air.
Théodore Tchopa (Jade)
(1) Le régisseur de la prison précise que le mot "pingouin" n’est pas reconnu dans le langage officiel de la prison. Ce sont les démunis eux-mêmes qui se font appeler ainsi.