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Mirages de migrants: un roman, comme si vous y étiez! |
A la mémoire de mon Papa |
Les bonnes feuilles: Profession «jobiste» |
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« Les personnages et les scènes de ce récit sont imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes et des évènements existant ou ayant existé est pure coïncidence et ne saurait engager la responsabilité de l’auteur. »
J’ai lu – vous aussi sans doute – cette profession de foi littéraire quelque part au début du nouvel ouvrage qui nous réunit ici ce jour. Une formule qu’on retrouve souvent, n’est-ce pas ?
Au contraire de l’auteur, ce que je vais dire tout de suite, loin de toute fioriture et précaution artistiques, m’engage, moi, et n’engage que moi…
Personnages et scènes imaginaires, dit-on ? Aucune « ressemblance avec des personnes et des évènements existant ou ayant existé » ? Je veux bien. Mais, sauf sénilité de ma part, Octavie, la cheffe Kongossa de cette tchatche de deux centaines de pages, me semble si familière ! J’ai même l’impression de connaître quelque peu son environnement familial, et elle me donne l’impression de ressembler un peu à un papa patriote que j’ai également connu dans une précédente vie.
Coïncidence tout ça ? OK ! Seulement, Octavie parcourt des villes, des pays et des continents situables géographiquement : Yaoundé, Bruxelles, Fomopéa, Cameroun, Belgique, Afrique, Europe… Octavie rappelle des figures historiques dont certaines nous sont bien connues et même très proches, tel surtout Mgr Albert Ndongmo, Evêque-Martyr de Nkongsamba au Cameroun, dont j’ai personnellement eu le bonheur de partager l’amitié et les activités avec un certain…
Robert Kamanou, de vivante mémoire. Octavie décrit, mieux qu’un reporter-journaliste, les habitudes et les comportements des Blancs d’Europe, par exemple leurs relations - pour nous plus qu’extravagantes - et leurs attentions plus qu’humaines vis-à-vis des chiens, des chats et autres « animaux de compagnie ». Octavie décrypte, mieux que les sociologues et autres anthropologues, les ripailles grandioses et dispendieuses, conclusions festives des obsèques de nos parents d’Afrique, qui sont rituellement organisées, sous le nom de funérailles, un jour, une semaine, un mois, un an ou même une décennie après la mort et l’enterrement.
Imaginaire, tout ça ? Hmmm !
Aucune référence à quelque chose qui existe quelque part dans notre monde ? Faisons comme. Mirages de migrants est donc un roman. On se le tient pour dit. Mais, un roman… sans romance, un roman pas romantique pour un kopek ! Hormis les enfants et les rares patrons masculins de la grande « Jobiste », presque pas d’homme (je veux dire le mâle, l’autre sexe) dans les cinq mètres cinquante : les frères, oncles, pères et assimilés, les maris, les compagnons, les copains, les anciens de ceci et de cela, qui peuplent d’habitude l’univers de la femme, surtout de la femme africaine, presque rien à l’horizon. Pas même le bon « Vieux Blanc » de la légende et des mirages de la candidate tiers-mondiste à l’émigration économique ; le gentil rentier, veuf ou fils à papa, qui vous assure visa et billet d’avion, qui vous entretient et vous donne plein d’argent pour les Western Union à destination de la famille restée au pays ; le sexa-septuagénaire à qui l’on se contentera de « gratter le dos » en attendant l’arrêt cardiaque et… l’héritage ! Rien, rien !
Et pourtant, Octavie n’est pas une nonne vierge, pas une lesbienne non plus, malgré la « tendance » ambiante. Je la suppose seulement pudique, discrète sur des questions qui ne relèvent pas de l’essentiel du message qu’elle voudrait délivrer.
L’essentiel de son message, c’est quoi donc, à notre avis ? Telle qu’elle m’apparaît au fil de son auto-récit, Octavie est à la fois sociologue, juriste, politologue, technicienne de surface, mère de famille, étudiante-chercheur, relationniste, militante.
Son parcours - et le livre qui le raconte - auraient pu s’appeler « Résistances » . Il y a encore trop d’Africains, ses congénères, qui résistent au changement de mentalité et s’accrochent à des traditions écrémées et vidées de toute leur signification. Octavie, elle, manifeste sa résistance au statu quo éternel. Le Blanc, chez qui elle vit et travaille en ce 21è siècle, persiste dans son complexe de supériorité séculaire et planétaire. Octavie, même employée noire et immigrée, c’est-à-dire précaire, le lui conteste. Elle étouffe mal son envie « sauvage » de lui refaire le portrait et de cracher sur son mépris.
A mon humble compréhension, ce « roman » est une merveilleuse plaidoirie. Une double plaidoirie d’ailleurs. D’emblée, la mère de famille défend son choix d’avoir tout balancé dans son pays, enfants, famille, emploi et situation sociale enviables, pour aller par monts et par vaux, à travers mers et déserts, contre gel et canicule,, dans le but de chercher à améliorer ses compétences intellectuelles et professionnelles et, partant, son avenir personnel et celui des siens.
La citoyenne militante plaide, par ailleurs, pour cette émigration qui, au bout du compte, devrait mettre le migrant en position de contribuer avec plus d’efficacité à la promotion des cadres de son pays, à la relève des éternels « assistants techniques » expatriés, plus… toxiques, plus coûteux et souvent moins compétents que les nationaux qu’ils commandent.
L’objectif ultime de cette démarche, vous l’avez sans doute compris comme moi, c’est l’autonomie matérielle, intellectuelle et politique, la véritable indépendance de son pays, l’Afrique, et de son village, le Cameroun.
Tout cela n’est évidemment pas… évident. Lecture erronée ou trop généreuse ? Peut-être. J’assume, comme j’ai prévenu, tout en implorant en même temps une circonstance atténuante : j’ai souvent oublié que je lisais un… roman. Puisque l’auteur et son éditeur en ont décidé ainsi…
Quoi qu’il en soit, un grand bravo à la narratrice Octavie. Et à sa « mère » Rachel !
Célestin Lingo, journaliste.
Bruxelles, 1er septembre 2012.
Dédicace de « Mirages de migrants » de Rachel Kamanou