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Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé - Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu

Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé - Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu

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Index de l'article
Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé
Trois décennies blanches et sèches, par Souley Onohiolo
Visage de la pauvreté : une vie-misère, par Jean-Bosco Talla
Santé : le coma avancé, par Simon Patrice Djomo
Le Renouveau en rupture d’eau, d’électricité et de logements, par Olivier Ndenkop
Infrastructures de communication: Des desseins aux actes manqués, par Joseph Keutcheu
parJean Paul Sipadjo
Plus de 50 ans de politique macabre et d’assassinats,par Olivier Ndenkop
Le Cameroun, malade de sa justice, par Junior Etienne Lantier
Une justice aux ordres,par Jean-Bosco Talla
L’humanité emprisonnée, par Hipolyte Sando
Le conservatisme politique du Renouveau:Entre instinct, intérêt, censure et expression, par Mathias Eric Owona Nguini
Le management politique à dispense, à suspens et à distance de Paul Biya, par Mathias Eric Owona Nguini
Une diplomatie au service du pouvoir personnel, par Georges Noula Nangué
La tyrannie de la corruption, par Fabien Eboussi Boulaga
Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu
50 ans après : quel avenir pour nos forces de défense?, par Adrien Macaire Lemdja
La crise des valeurs au miroir de l’école camerounaise, par Hilaire Sikounmo
Financement: Une politique obstinée de la pénurie, par Roger Kaffo Fokou
Coût de l’éducation et déscolarisation massive, par Roger Kaffo Fokou
Le calvaire des enseignants depuis 1993, par Roger Kaffo Fokou
Du plomb dans l’aile de la réforme, par Roger Kaffo Fokou
Une Urgence : sauver le système universitaire camerounais, par Fogue Tedom
Universites : Meformes comme resultantes des reformes, par Leger Ntiga
Professionnalisation de l’enseignement superieur, par Luc Ngwe
Réforme Lmd dans les Universités camerounaises: virage manqué?, par Ambroise Kom
Eglises et création d’universités privées au Cameroun: Enjeux stratégiques de l'investissement dans la formation supérieure
Privatisations: Un véritable marché de dupes, par Jean-Marc Bikoko
Le règne des idoles et l’athéisme camerounais, par Ludovic Lado sj
Médias sous le Renouveau : L’épreuve d’une liberté contrôlée, par Christian Kaffo
De Augustin Kontchou Kouomegni à Issa Tchiroma Bakari
Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu
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PostScriptum: Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu
Une bonne partie de la diaspora camerounaise est mécontente du régime en place à Yaoundé depuis trois décennies. Quand l’occasion lui est offerte, surtout lors des déplacements de Paul Biya à l’étranger, elle le fait savoir. Bruyamment. Leurs actions participent de la volonté de délégitimer, démystifier et désacraliser le monarque présidentiel. Leurs actions et méthodes nous rappellent notre inertie et nous renvoient notre propre image hideuse.

N’est-il pas temps pour l’Afrique, comme le suggère le sociologue camerounais Jean-Marc Ela, de redonner toute l’importance à la banalité, aux « sans-culottes », au « monde d’en-bas », aux « rien-du-tout » , face à la farce démocratique qui se joue dans des régimes politiques africains où les élections sont devenues de véritables jeux de cirque destinés à légitimer des tyranneaux qui en ont besoin pour se voir décerner le brevet de bon élève du Fonds monétaire international (Fmi) et de la Banque mondiale, véritable sésame qui donne droit aux financements, renforçant de facto les capacités distributives de l’oligarchie gouvernante, et au moment où l’on assiste impuissants à la faillite des mouvements d’opposition, qui n’ont pas disparu certes, mais ont perdu leur virulence et leur capacité de mobilisation du fait , sans doute, de nombreuses entraves jonchant leur parcours et de l’incapacité avéré de nombreux leaders à mobiliser les Africains épris de changement autour des projets politiques globaux alternatifs qui viseraient à fonder un nouvel ordre politique susceptible de résoudre les problèmes qui minent le champ politique en Afrique?
Cette interrogation peut être perçue comme un simple investissement doctrinal. Au contraire, l’action des « rien-du-tout » est porteuse de charges symboliques dans les espaces publics africains.
Dans cette optique, ce qui s’est passé récemment au sein de la diaspora, lors des déplacements du premier ministre aux États-Unis d’Amérique en avril 2010 et lors du séjour privé du couple présidentiel en septembre 2010, qui en réalité est une sorte de prolongation des « émeutes de la faim » de février 2008, invite à réfléchir sur la gouvernance politique au Cameroun.
En effet, le 28 avril 2010, une information circule au sien de la communauté des Camerounais de la diaspora américaine. Elle fait état d’une réception que le Premier ministre Yang Philemon donnera au Ritz Carlton Hôtel à Washington le 1er mai. Ceux-ci décident de répondre à l’appel à la solidarité lancée par le Code, l’Upc, l’Ufdc, l’Udc et le Cnr/Mun en hommage au journaliste Germain Cirylle Ngota Ngota, décédé à la prison centrale de Yaoundé, Kondengui. Ce jour-là, après la descente de sa limousine, Yang Philemon se dirige vers ses compatriotes et tente de prendre un bain de foule. Soudain, les manifestants déploient une banderole et entonnent des chants hostiles au gouvernement camerounais. Le Pm fait volte-face et s’engouffre dans l’hôtel sous les regards médusés et visiblement amusés des agents de sécurité.
Autre temps, autre lieu. Après son récent séjour aux Nations unies où il a pris part aux travaux de la 65e session de l’Assemblée générale, Paul Biya décide d’aller se reposer à Genève à l’Hôtel Intercontinental où il y prend ses quartiers le samedi 25 septembre 2010. Ce même jour, cet hôtel reçoit la visite des membres du Code, tendance Brice Nitcheu, qui y viennent pour « débarquer Paul Biya » et dénoncer la gouvernance politique au Cameroun. Brice Nitcheu et ses lieutenants ne sont pas allés par quatre chemins pour dévoiler leurs intentions. «Nous sommes des Camerounais, et nous sommes venus ici vous dire, après plusieurs lettres de protestation que nous vous avons envoyées, que vous devez appeler les appartements de Paul Biya pour lui demander de sortir d’ici. Les Camerounais ne peuvent plus accepter qu’un homme qui pille le Cameroun avec sa famille vienne s’installer chez vous, 7 mois sur 12, pour dilapider l’argent qu’ils travaillent à la sueur de leur front [...] Comme vous pouvez le constater, la peur a changé de camp [...] Nous avons atteint notre objectif. Désormais, Paul Biya doit savoir que nous suivons tous ses mouvements. Il ne pourra plus se cacher en Europe. Et tous les voyous et profiteurs qui l’entourent, y compris ceux qui composent sa garde, se rendent bien compte que cet homme qui a mis notre pays par terre, ne tardera pas à rendre compte de tous ses crimes. Nous allons le traquer partout, et lui rendre l’humiliation qu’il inflige au peuple camerounais au quotidien »(1).
Ces propos des activistes du Code dégagent deux traits caractéristiques de la gouvernance politique au Cameroun : la délégitimation/désacralisation de la figure présidentielle et la gouvernance par l’absence.
La délégitimation/désacralisation de la figure présidentielle
C’est un truisme lorsqu’on affirme que les activistes du Code, toutes tendances confondues, sont en même temps très éloignés et si proches de nous.
Une anthropologie de la quotidienneté au Cameroun permet de relever que la crédibilité du monarque présidentiel s’amenuise chaque jour qui passe. Les différentes plaintes déposées contre lui par les Camerounais de la diaspora participent de la volonté de le démystifier et de le désacraliser. Ce qui est normal dans un régime qui a choisi la démocratie comme système de gouvernement. Luc Sindjoun souligne à propos, peut-être comme avancée : « Le régime de concurrence partisane constitue déjà un élément de désacralisation du président de la République, puisqu’il expose celui-ci à la critique, à la défaite, etc. [...] La « stratégie de scandalisation » (Offerte, 1994 :125 -126) utilisée par les journalistes [les Organisations non gouvernementales (Ong) et associations] inscrit celui-là au cœur de plusieurs « affaires », réelles ou construites, affectant sa crédibilité et faisant douter de son honnêteté(2) Les récentes plaintes du Conseil des Camerounais de la diaspora (Ccd) et de l’Union pour une diaspora active (UdA) participent de cette stratégie. Aux yeux de nombreux Camerounais donc, le président de la République « n’est plus, l’invincible, le chevalier sans peur et sans accroche, le commandant irrésistible aux forces de la terre, de l’air et des mers, le champion de la chance et des dieux, ni même l’illusionniste capable de faire passer ses insuccès (innombrables) pour des triomphes »(3). Il n’est donc pas exagéré de dire que le président camerounais ne fait plus peur à personne. À commencer par ses propres lieutenants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et quelques « alliés » qui composent l’équipe gouvernante. Ceux-ci ont réussi l’exploit, plus que l’opposition et les Camerounais de la diaspora, à montrer à la face du monde qu’être président au Cameroun signifie gérer l’imposture, la fumisterie et la roublardise.
En dépit des moyens colossaux de communication mis à leur disposition pour, dit-on, polir l’image du président camerounais, au Cameroun comme à l’étranger, en dépit de l’existence des agents et agences de communication, ces « chantres français pour dictateurs africains »(4)  qui gravitent autour du chef de l’État, l’homme du Renouveau donne l’image d’un rêve inabouti. Même les multiples sorties médiatiques de Issa Tchiroma Bakary, ministre de la Communication et le récent communiqué du Cabinet civil de la présidence de la République au sujet de l’enquête ouverte par le parquet de Paris à propos des présumés « biens mal acquis » du président Paul Biya, ne changent rien à l’image suffisamment écornée du «satrape de Yaoundé »(5) .
La dernière grande désillusion remonte à la campagne présidentielle d’octobre 2004 lorsque le pontife présidentiel annonçait, dans un ton martial et de manière sentencieuse, à toutes les étapes de son périple, que « les choses vont changer ».
Environ sept ans après, il est convenant et honnête de reconnaître que le changement projeté ne s’est limité qu’au verbe. Les « grandes ambitions » ont donné lieu aux petites réalisations. Pourtant, que de projets structurants annoncés dont la réalisation devrait, nous avait-on dit, permettre l’inscription du Cameroun dans la catégorie des pays « émergents » et non « puissants ».
Loin de nous toute prétention à l’exhaustivité dans cette vague de projets publicitaires, se résumant jusque-là, pour certains, à la pose de la première pierre. Parmi ces ambitieux projets dont les réalisations restes attendues, on peut citer, les barrages de Menve’ele annoncé pour démarrer en 2007, de Mekim, de Lom Pangar, le port en eau profonde de Kribi, la centrale à Gaz de Kribi dont la livraison est différée en septembre 2012 à cause, affirme-t-on, de l’indisponibilité du gaz, l’exploitation de la bauxite de Minim Martap, la construction de l’autoroute Yaoundé-Douala, la construction des infrastructures sportives dans les dix régions du Cameroun. Si on ajoute à ces promesses électoralistes les grands échecs enregistrés tels que la fermeture de la Cellulose du Cameroun (Cellucam), la dissolution de l’Office national de commercialisation des produits de base (Oncpb), la disparition de la Cameroon Airlines (Camair), l’échec de la mise sur pied du Fonds de développement des petites et moyennes entreprises (Fondecam-Pme), la fin tragique du Fonds d’aide et de garantie aux petites et moyennes entreprises (Fogape), la dissolution de la caisse d’épargne postale, l’abandon ou l’absence d’infrastructures sportives, l’abandon de nombreux chantiers dont l’immeuble de la « mort », ce « monument à la gloire du désastre», selon les termes de Mongo Beti, si on ajoute à ces échecs, ces promesses non tenues disions-nous, le cocktail devient détonnant.
L’antienne que quelques zélateurs et thuriféraires hypocrites, membres de l’équipe gouvernementale en poste depuis décembre 2004 ont coutume de fredonner par mimétisme et sans conviction d’ailleurs, est la crise économique mondiale, sorte d’argument passe partout mais non pertinent du point de vue de l’analyse.
En fait, à ce refrain, une question fondamentale se pose toujours : avant la crise, qu’est ce qui aura été fait ? Pendant que des gouvernements sérieux proposaient des plans de sortie de crise qui ont porté des fruits dans leur pays (Brésil et Usa), le nôtre se contentait d’adouber des projets farfelus baptisés Cameroun « pays émergent en 2035 », initié par l’un des parangons les plus achevés de la race des imposteurs qui nous gouvernent, une fuite en avant qui ne signifie rien du tout, puisque ne se préoccupant que du « devoir être » et non de l’ « être ».
Au regard de la situation catastrophique de l’économie camerounaise, de la paupérisation chronique des Camerounais, des crises de valeurs et de l’insécurité grandissantes dans un État qui s’est « éloigné du droit dans une société enraciné dans la culture de l’anomie6» , personne, y compris la plus haute autorité de l’État, ne peut dire avec précision, à moins qu’il ne s’agisse d’un devin, qu’il sera en vie en 2035. Autrement dit, ce qui intéresse les Camerounais, c’est l’amélioration de leur condition d’existence ici et maintenant, d’autant plus qu’aucune projection pertinente ne peut être faite en mettant entre les parenthèses le présent.
Les faits sont sacrés, dit-on dans le jargon journalistique pour signifier aussi qu’ils sont intelligibles d’eux-mêmes et, par conséquent infalsifiables. Il convient de dire, au regard de ces considérations, que toute cette agitation ne trompe personne, en dehors, peut-être, du monarque présidentiel dont les courtisans savent bien flatter l’ego avec cette autre imposture dénommée « L’appel du peuple » .
Tout Camerounais sain d’esprit peut constater à regret (et avec regret) que les options présidentielles manquent de cohérence et que la gouvernance des effets d’annonce ou des déclarations d’intention prime sur les réalisations et que le point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte) octroyé au Cameroun était diplomatique, à preuve les falsifications permanentes des budgets de l’État pour nourrir l’illusion d’un pays qui se porte économiquement bien, les emprunts obligataires et, pour tout dire, une banqueroute généralisée.
Le président de la République ne peut pas prétendre faire de la relance économique l’objectif majeur d’un septennat et passer le temps à faire de la politique politicienne en formant des gouvernements de commissionnaires caractérisés par l’obésité, la dissymétrie entre compétents (minoritaires) et incompétents (majoritaires), l’absence d’envergure des personnes chargées de la gestion des secteurs économiques qui passent le plus clair de leur temps à traquer et à décourager les opérateurs économiques, créateurs de richesse et pourvoyeurs d’emplois. À cela s’ajoute la présence d’un premier ministre qui, bien que faisant parfois montre d’un volontarisme, n’est contraint qu’à inaugurer les chrysanthèmes du fait de la multiplicité des hiérarchies insurmontables auxquelles il doit faire face pour imposer son autorité. Allusion est ainsi faite aux différents gouvernements de l’ombre ou informels constitués des gouvernements officiels, des amis personnels et intimes du chef de l’État, des courtisans de Madame, des présidentiables autoproclamés. (7)
En outre, le Camerounais ordinaire observe que la politique de lutte contre la corruption présentée par le système en place comme l’un des axes majeurs du «programme politique» (8) des «Grandes ambitions », se détourne de plus en plus de l’objectif républicain de rétablissement de l’éthique dans la gestion de la Res publica pour devenir une sorte de chasse aux soricères, en principe et par principe, destinée à servir le projet de gouvernement perpétuel de Paul Biya et les ambitions successorales de quelques groupes pouvoiristes, Grands maîtres de la tyrannie idéologique et de la manipulation.
Le tout, combiné à la gouvernance par l’absence ambiante du monarque, fait du rêve d’un État développementaliste dans le contexte post-transition démocratique, une véritable gageure.
La gouvernance par l’absence
En pleine crise de succession présidentielle Ahidjo-Biya (1982-1984), Pierre Flambeau Ngayap avait publié un livre au titre fort expressif : Cameroun : qui gouverne ?(9)
Si cette question nous était posée aujourd’hui sous forme d’un sondage d’opinion, nulle doute qu’une majorité des Camerounais répondraient que c’est l’informel et l’absence, une situation critique qui traduit le délaissement de l’État. La domination de l’informel dans la gestion des affaires publiques remet en question la nature de l’État. Jean-Marc Ela fait observer à propos que « la gestion des institutions publiques est un indicateur du mode de fonctionnement de l’État et un produit de ses déséquilibres structurels propres. Autrement dit, c’est la nature de l’État qui reste en cause dès lors que les services publics ont tendance à échapper à toute légalité pour s’enfermer dans l’informel, le parallèle et le clandestin» (10).
« Ëtre, c’est exister. Et exister c’est être présent dans le monde », c’est-à-dire être physiquement présent comme force agissante. Voici en effet un pays qui est devenu un véritable Unmanned Aerial Vehicle (UAV), un Drone, un aéronef sans pilote humain à bord, les institutions ayant été programmées pour fonctionner de manière automatique, un pays où son président, quand il n’est pas à l’étranger, le dirige de son exil intérieur volontaire, Mvomeka’a, son village natal, par fax, téléphone. Pour faire sens, il tient quelques « conseils des ministres » sui generis à l’aéroport international de Nsimalen, reçoit certains hôte de marque, procède parfois à des nominations quand cela l’arrange ou arrange les confréries pouvoiristes qui le manipulent et rarement dans l’intérêt bien compris des Camerounais. La gouvernance par l’absence fait en sorte que le Cameroun soit l’objet de cruelles railleries non dissimulées de la part de nombreux observateurs qui ne comprennent pas l’apathie des citoyens camerounais. Alpha Condé, président guinéen nouvellement et démocratiquement élu fait observer sur les ondes de Radio France Internationale (Rfi) : « Le Cameroun, il ne faut pas oublier qu’il y a eu une guerre de libération et que l’on a liquidé l’Upc [Union des populations du Cameroun] pour mettre au pouvoir des hommes de paille. Même les Camerounais doivent se poser la question de savoir pourquoi il n’y a pas de coup d’État. Voilà un pays où le président ne tient jamais un conseil des ministres ; il peut faire six mois sans conseils des ministres ; il peut faire deux mois à Genève, la plupart du temps, il est sur son terrain de golf. Est-ce que des militaires vont à la retraite au Cameroun. Jusqu’à 70 ans, des militaires sont dans l’armée [et bénéficient de] tous les avantages [liés à leur fonction]. Donc, ils n’ont pas besoin de faire un coup d’État ».
Il y a fort à parier par exemple que les Camerounais dans leur immense majorité telles qu’exprimées par les émeutes de la faim du mois de février 2008, ont marqué leur désapprobation par rapport à une gouvernance pratiquée par un gouvernement qui, loin d’être producteur de la biopolitique (politique de la vie), s’inscrit en droit ligne de la nécropolitique (politique de la mort). Pour ses membres, la satisfaction des besoins humains basiques d’éducation, de santé, d’emploi, d’eau potable, d’électricité, de nutrition, d’habitat, de voies de communication, de justice et de justice sociale, de respect de la dignité et des droits humains, occupe une place marginale. C’est à juste titre que Global Intégrity, Observatoire de bonnes pratiques dans la gestion publique, déclare dans son rapport 2007 que « le Cameroun a de profonds problèmes de gouvernance, notamment dans les domaines de la responsabilité du gouvernement, la fonction publique, le contrôle du gouvernement (comme la vérification des comptes), et l’octroi des licences d’entreprise. Le système de protection des dénonciateurs sont généralement inefficaces. Au Cameroun, le manque d’accès des citoyens aux rapports financiers compromet la valeur de divulgation des lois. Quoi qu’il y ait des lois exigeant la déclaration publique de leurs biens et actifs par les hauts responsables de l’État, les citoyens n’ont aucun droit légal d’accéder à l’un de ces documents».
Dans ce contexte, le Cameroun, vraisemblablement en équilibre instable, est une poudrière, un véritable volcan en ébullition. International Crisis Group, dans son rapport du 24 juin 2010 (page i) appuie sur la sonnette d’alarme. Pour les auteurs de ce rapport : «Après 28 ans sous la présidence de Paul Biya, le Cameroun est dans une situation de grande instabilité potentielle à l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2011. Le flou constitutionnel et légal qui prévaut, les rivalités entre les barons du régime, les tentatives du gouvernement pour contrôler le processus électoral, la rupture du contrat politique entre gouvernants et gouvernés, l’importante paupérisation et les nombreuses insatisfactions de la population, le niveau élevé de la corruption ainsi que les frustrations d’une grande partie de l’armée font craindre la possibilité d’une crise majeure ».
Le diagnostic est pour ainsi dire stupéfiant et inquiétant : victime de l’érosion dramatique de ses valeurs, englué dans l’imposture, malade de la corruption généralisée et du mensonge permanent, instrument démoniaque dont usent et abusent trop souvent des « voyous de la République » (11) pour conquérir le pouvoir ou pour s’y maintenir, le Cameroun est devenu au fil des années une « République mafieuse» où la Justice spectacle ou théâtrale ne réagit dans certaines affaires impliquant des personnalités de la République que sous l’impulsion de l’exécutif.
Ce qui est curieux et paradoxal, c’est le réflexe sécuritaire qui conduit à la tontonmacoutisation du régime illustrée par des recrutements massifs, chaque année, dans les forces de défense et de sécurité alors même qu’à notre connaissance, le Cameroun n’a pas d’ambition hégémonique. Il n’est pas surprenant que les Camerounais meurent chaque jour de choléra, se voient imposer une distribution rationnée d’eau «potable» et d’électricité , que les promotions collectives ou des pourcentages de réussite politiques aux examens officiels soient préférés à une éducation de qualité, intégrant les pauvres et les riches, que le système de santé mis en place au Cameroun soit sourd aux cris du « monde-d’en-bas », que la justice soit celle des riches, etc.
Toutes ces préoccupations et bien d’autres, n’ont jamais fait l’objet d’une concertation dans le cadre d’un conseil des ministres (qui se tient en moyenne une fois tous les deux ans depuis 28 ans), comme cela est de coutume « ailleurs » dans les pays où l’humanité a un sens.
Ce qui nous frappe dans ce tohubohu qui singularise la situation d’un pays acéphale, c’est cette question problématique des Camerounais : « On va faire comment ?», qui trahit en réalité, le défaitisme, le fatalisme face à un ordre politique qui tient les Camerounais captifs de leurs instincts de conservation et dont les intentions et les actions n’augurent que la paupérisation et l’illusion ubuesque d’une auto-normalisation d’une situation visiblement destinée à perdurer. Alors même que « les lieux de paroles, les groupes de pression et les balbutiements du pluralisme que l’on trouve aujourd’hui dans de nombreux pays [africains]n’ont pu exister sans la colère des hommes et des femmes qui ont affronté la violence du « despotisme obscur »(12)
C’est également le manque de lucidité dont font preuve toutes ces personnes et intellectuels de citation qui passent leur temps à débiter, sans examen critique et sans effort de contextualisation, « les théories préfabriquées, les concepts élaborés par d’autres, sous d’autres cieux, dans les contextes différents des nôtres» (13) , et de surcroît qui, au lieu de « penser notre banalité » pour rechercher les solutions de sortie du marasme chronique et profond dans lequel nous sommes installés depuis trois décennies, passent une bonne partie de leur temps dans des débits de boisson(14) à discutailler sur :
(1) le football, cet « opium du peuple », cette drogue au quotidien que l'oligarchie gloutonne au pouvoir et l'élite dirigeante, en plus de la musique des bars et débits de boisson, offrent en permanence aux Camerounais ;
(2) les succès et insuccès des Lions indomptables, véritable instrument de vampirisation de l’énergie vitale des populations qui pourraient être investie dans des initiatives populaires porteuses d’espoir.
Ce qui inquiète, c’est que «pour les jeunes (scolaires, étudiants, sans emplois, enfants de la rue) qui commentent le dernier match des Lions indomptables, de Chelsea, de Barcelone, de Manchester United, de Milan AC, de L’Inter de Milan ou de Liverpool, plus rien n'est important, plus rien n'existe et ne compte, pas même leur situation de laissés-pour-compte, de parias de la société, pas même le chômage structurel, la paupérisation et la mutilation anthropologiques auxquelles ils sont soumis et qui les exposent à la délinquance dans des bidonvilles en expansion» (15).
Dans notre contexte, même des médias à capitaux privés, considérés sous d’autres cieux comme le quatrième pouvoir de fait et de véritables chiens de gardes, inscrivent de plus en plus leurs actions dans la logique du «gombo», au lieu d’être des porte-paroles des sans-voix, des laissés-pour-compte, des «rien-du-tout», du « monde d’en-bas ». En cela, faut-il le dire, cette presse est complice de l’effondrement de l’État au Cameroun.
La nature ayant horreur du vide, les Camerounais assistent impuissants au triomphe d’un État idéologique considéré par le philosophe Fabien Eboussi Boulaga comme étant « le geste inaugural d’aliénation» (16), une sorte de conglomérat de groupe clientélistes maffieux, c’est-à-dire une parenthèse sociohistorique en proie à la folie bien connue d’une génération de «miraculés sociaux » peu soucieux de la vertu, du respect de la vertu républicaine, du respect de l’éthique, de la compétence, de la vie humaine. Ce qui compte pour cette génération spontanée de vampires, de diffamateurs dont le seul mérite est peut-être d’être sortis de la brillante École nationale de mécréants (Enam), ce sont les sectes, l’hédonisme, la magie noire, la vénalité, bref toutes les formes de vices qui rappellent à la mémoire les histoires de Sodome et Gomorrhe dont parle la Bible et qui sont les signes prémonitoires d’une société qui a entamé son chant de cygne. Aimé Césaire ne disait-il pas « que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluent toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie dans le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant de cygne » ? (17)
À voir tous ces egos subalternes se surdimensionner- lors des deuils et obsèques, des cérémonies officielles … parce qu’ils croient être alors qu’ils ne sont pas - à la mesure de l’argent détourné au trésor public, on mesure à quel point la construction d’un État a encore du chemin au Cameroun. Surtout lorsqu’on peut voir le chef de l’État débourser une somme de 20 millions de FCfa pour soutenir une réunion du village - pour ne pas dire tribale - qui a pour finalité la construction d’un monument au monarque présidentiel- comme en Russie de Lénine, Staline et autre Nikita Khrouchtchev - , d’une case aux ministres-chefs du village dans la capitale régionale du Sud. Alors que l’argent collecté aurait pu servir à doter cette localité en château d’eau qui n’existe pas ou même à perfectionner le circuit électrique alimentant la ville d’Ebolowa.
S’opposer à cette génération de dracula, de « Vampires de Golstan » (Mono Ndjana), de nécrophages et d’anthropophages au nom d’une éthique républicaine, spirituelle ou religieuse quelconque, c’est s’exposer à la marginalisation, à la mort (au propre comme au figuré) ou refuser d’être élevé un jour à un niveau de la hiérarchie sociale. Tout ce qui concourt à la grandeur sociale - entrée dans une grande école, promotion dans la haute administration - subit la loi des réseaux maffieux installés au cœur du pouvoir au Cameroun tel qu’il est et que les activistes de la diaspora, notamment ceux du Code, ont eu le mérite et le sursaut de dévoiler à la face du monde. C’est dire qu’au-delà des méthodes « peu orthodoxes » choisies, les activistes, au sens noble du terme, nous rappellent notre inertie et nous renvoient notre propre image hideuse.
Jean-Bosco Talla
& Maheu
Notes
1- Brice Nitcheu cité par Yolande Tankeu, La sécurité présidentielle en débandade à Genève, dans Germinal n°065 du 29 septembre 2010, page 10.
2- Luc Sindjoum, "Président de la République du Cameroun à l’épreuve de l’alternance néo-patrimoniale et de la « transition démocratique »", dans Momar-Coumba et Mamadou Diouf (Sous la direction de), Les figures du politique en Afrique. Des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Dakar/Paris, Codesria-Karthala, 1999, p.89.
3- Jean-Bosco Talla, La réalité dépasse l’affliction, Germinal n°063, du 25 août 2010, page 3.
4-Lire Thomas Deltombe, chantres français pour dictateurs africains, dans Le Monde Diplomatique, mars 2010.
5- Ibid
6- Jean-Marc Ela, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique. Les défis du « monde-d’en-bas », Paris, L’Harmattan, 1998, p.295.
7-Jean-Bosco Talla, Paul Biya Responsable de l’inefficacité, de l’inertie et de la cacophonie gouvernementale, dans Germinal, n°060 du 08 juillet 2010, pp.3-4.
8- En réalité les « grandes ambitions » constituent un slogan politique qui ne saurait être considéré comme étant un programme politique étant donné qu’il n’existe pas de manifeste pouvant permettre de les considérer une programme poltique
9- Pierre Flambeau Ngayap, Cameroun : qui gouverne ? De Ahidjo à Biya, l’héritage et l’enjeu, Paris, L’Harmattan, 1983, 350p.
10- Jean-Marc Ela, op. cit., p.297.
11- Jean Montaldo, Les voyous de la République, carnets secrets 1, Paris Albin Michel, 2001, p.9.
12-Jean-Marc Ela, op., cit., p. 299.
13- Ernest Marie Mbonda, « Penser les événements et les institutions », dans Njoh-Mouellé Ébernerez et Kenmogne Emile (dir), Philosophes du Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires de Yaoundé, 2006 :271-295, 2006
14- Loin de nous l’idée selon laquelle les débits de boisson, les sports et terrain de sport ne sont pas des lieux de production de sens.
15-Jean-Bosco Talla, « Pour la reconstruction du Cameroun », dans Germinal, n°046 du 03 décembre 2009, p.3.
16- Fabien Eboussi Boulaga, Les conférences nationales en Afrique noire. Une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1993, p.23.
17-Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1989, p.43.