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Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé - Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu

Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé - Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu

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Index de l'article
Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé
Trois décennies blanches et sèches, par Souley Onohiolo
Visage de la pauvreté : une vie-misère, par Jean-Bosco Talla
Santé : le coma avancé, par Simon Patrice Djomo
Le Renouveau en rupture d’eau, d’électricité et de logements, par Olivier Ndenkop
Infrastructures de communication: Des desseins aux actes manqués, par Joseph Keutcheu
parJean Paul Sipadjo
Plus de 50 ans de politique macabre et d’assassinats,par Olivier Ndenkop
Le Cameroun, malade de sa justice, par Junior Etienne Lantier
Une justice aux ordres,par Jean-Bosco Talla
L’humanité emprisonnée, par Hipolyte Sando
Le conservatisme politique du Renouveau:Entre instinct, intérêt, censure et expression, par Mathias Eric Owona Nguini
Le management politique à dispense, à suspens et à distance de Paul Biya, par Mathias Eric Owona Nguini
Une diplomatie au service du pouvoir personnel, par Georges Noula Nangué
La tyrannie de la corruption, par Fabien Eboussi Boulaga
Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu
50 ans après : quel avenir pour nos forces de défense?, par Adrien Macaire Lemdja
La crise des valeurs au miroir de l’école camerounaise, par Hilaire Sikounmo
Financement: Une politique obstinée de la pénurie, par Roger Kaffo Fokou
Coût de l’éducation et déscolarisation massive, par Roger Kaffo Fokou
Le calvaire des enseignants depuis 1993, par Roger Kaffo Fokou
Du plomb dans l’aile de la réforme, par Roger Kaffo Fokou
Une Urgence : sauver le système universitaire camerounais, par Fogue Tedom
Universites : Meformes comme resultantes des reformes, par Leger Ntiga
Professionnalisation de l’enseignement superieur, par Luc Ngwe
Réforme Lmd dans les Universités camerounaises: virage manqué?, par Ambroise Kom
Eglises et création d’universités privées au Cameroun: Enjeux stratégiques de l'investissement dans la formation supérieure
Privatisations: Un véritable marché de dupes, par Jean-Marc Bikoko
Le règne des idoles et l’athéisme camerounais, par Ludovic Lado sj
Médias sous le Renouveau : L’épreuve d’une liberté contrôlée, par Christian Kaffo
De Augustin Kontchou Kouomegni à Issa Tchiroma Bakari
Désacrilisation de la figure du pontife présidentiel et autopsie d'un Etat zombifié, par Jean-Bosco Talla & Maheu
Toutes les pages

Jeux et enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste au Cameroun, par Louis-Marie Kakdeu

Selon Esquerre (2002), la manipulation désigne un rapport de pouvoir se rapportant au contrôle psychique d’une personne. Cette notion est dérivée du « lavage de cerveau ». Laurens (2003) parle de « l'existence d'une force quasiment irrésistible et qui pourrait nous pousser à faire ou à penser des choses que nous ne voudrions pas, une force qui pourrait même nous conduire à notre perte. Il y a, avec l'influence, l'idée d'une intrusion, d'un véritable viol de la conscience, de la volonté… qui semble pouvoir passer sous le contrôle ou la volonté d'un autre. Ce n'est plus moi qui veut ou qui agit, c'est la volonté d'un autre qui est entrée en moi et c'est un autre qui agit à travers moi (sentiment de possession) (1)» . Vu sous cet angle, l’étude de la propagande perçue comme communication politique relève beaucoup de faits manipulatoires au sens de l’analyse du discours. L’approche que nous privilégions dans cet article est celle de la pragmatique qui, de façon simple, étudie le sens caché, l’implicite, les non-dits ou les croyances (Ducrot, 1973, 1980, 1998). De façon plus scientifique, la pragmatique au sens de Moeschler et Reboul (1998a et b) étudie les intentions et les inférences issues d’une communication. Notre préoccupation est donc de retrouver dans la propagande au Cameroun, les non-dits qui déterminent le comportement des différents acteurs. En d’autres termes, notre matériau est l’imaginaire populaire des Camerounais face aux élections. Le postulat de base est que, d’une part, les réalités sous-jacentes sont la base des décisions apparentes et d’autre part, les faits consignés dans le langage sont des preuves historiques qui renseignent convenablement sur l’effectivité d’un acte dans la société ou d‘une pensée dans la représentation mentale. Pour dégager cette vérité sous-jacente afin de faire ressortir la manipulation, nous nous attelons à faire trois types de comparaison : transversale (entre ce qui est dit et ce qui n’est pas dit), normative (entre ce qu’on dit et ce qu’on devrait dire ou entre la réalité telle qu’elle est et telle qu’on croit qu’elle est) et longitudinale (entre ce qui se disait et ce qui se dit). Cela nous permet de structurer le travail en deux parties à savoir : les jeux de manipulation au niveau des acteurs de la propagande électoraliste et les enjeux sous-jacents de la manipulation au niveau rhétorique. Dans la conclusion, nous ferons la pondération des faits à l’aide des considérations scientifiques sur le sujet.

1. Les jeux de manipulation au niveau des acteurs de la propagande électoraliste
On peut représenter le triangle des acteurs (Knoepfel et al., 2006) de la propagande électoraliste au Cameroun de la façon suivante :
Le problème de départ est l’existence au sein de l’élite d’un sursaut pouvoiriste poussant les uns et les autres à vouloir devenir Président de la République. Ils sont à ce jour environ 500 Camerounais dans cette posture. Notre préoccupation est de montrer la manipulation qui ressort de la coaction entre les différents acteurs à savoir : les autorités politico-administravitives, l’élite socioéconomique et les électeurs. Les autorités politiques sont les leaders de l’opposition ou du pouvoir qui ont une emprise ou une responsabilité auprès du peuple. Les « élites » sont ceux des citoyens qui « présentent les signes apparentes du bien-être » et qui assurent la liaison entre les autorités politiques et les électeurs affamés. Et les électeurs sont ceux qui votent. L’hypothèse d’intervention est que si les autorités politiques veulent gagner les élections, alors elles s’approprient les « élites » et les électeurs pour leur faire un « lavage de cerveau ». Cette coaction crée des lésés au rang desquels la société civile qui défend la cause des défavorisés et les populations nécessiteuses, non-électeurs, qui sont victimes de la politique du Njangui selon laquelle « on n’est rien tant qu’on n’a pas quelqu’un situé quelque part (élite) ». La pratique de la propagande consiste pour les autorités politiques à utiliser la promesse sensationnelle comme principal outil de communication auprès de l’élite et des électeurs. Cette propagande est essentiellement électoraliste parce que dans l’exercice du pouvoir et dans la mise en œuvre des actions publiques, le constat est que les politiques sont tout le temps dans des calculs électoraux.
Du côté de l’opposition, le discours public se cristallise autour de la transparence du processus électoral et en même temps, les projets alternatifs se font rares. Par exemple, il est difficile, en 20 ans d’opposition, de relever avec exactitude le programme économique du Social Democratic Front, le principal parti d’opposition au Cameroun. Du côté du pouvoir, on constate à travers les prises de parole du Président Biya qu’il ne s’adresse pas au peuple : il s’adresse à l’élite qui est le prescripteur du choix électoral des villageois. Cela se voit par exemple dans son registre de langue très soutenu qui ne peut être accessible qu’à cette catégorie de la population. D’ailleurs, au cœur des « émeutes de la faim » en février 2008, il les a qualifiés d’« apprentis sorciers » lorsqu’elles ont mis à mal son pouvoir par opposition aux « bons sorciers » lorsqu’elles sont ses facilitateurs. En effet, dans les villages, on ne vote pas Biya puisqu’on ne le connaît pas avec ses déplacements quasi inexistants à l’intérieur du pays : la masse affamée vote l’élite qui vient lui donner « le mangement et le boivement ». La manipulation à ce niveau consiste à activer le levier de la realpolitik camerounaise (« politics na njangui ») présenté par le promoteur Simon Achidi Achu comme le fait pour l’élite de prescrire Paul Biya, le seul en mesure de compenser ou de rétribuer en retour « le seul bon choix » du peuple (Kakdeu, 2010a). Ainsi, à travers les promesses sensationnelles, on fait miroiter à l’élite une rétribution financière, un poste de nomination ou tout autre « avantage de toute nature prévu par la réglementation en vigueur ». Et cette dernière, à son tour, s’en va faire miroiter aux villageois en addition à la « politique du ventre », les projets des « Grandes ambitions » : route bitumée, électrification, adduction d’eau, etc. Ceci signifie qu’il y a deux types de citoyens au Cameroun : ceux qui « joue le jeu du Njangui » afin de bénéficier des actions publiques ordinaires et ceux qui refusent ce jeu du pouvoir et sont des laissé-pour-compte. D’ailleurs, dans l’imaginaire populaire, on dit que les politiques publiques ont « l’œil [pour discerner] ».
Le tiers-gagnant (profiteur) de la manipulation électoraliste est la communauté internationale. Selon le sort réservé à ses intérêts économiques, cette dernière intervient en tant qu’humanitaire ou en tant qu’impérialiste. Dans tous les cas, elle actionne sur le levier du « droit d’ingérence » ou sur celui des « crimes contre l’humanité » pour positionner le « candidat pro-occidental » encore appelé « candidat de la démocratie » ou mieux « candidat civilisé ». En effet, il s’agit de ceux qui sont appelés dans l’imaginaire populaire « candidat de l’étranger ». Dans ce sens, la communauté internationale ou « forces extérieures » apporte ce que l’imaginaire se représente comme étant des « soutiens extérieurs ». Ces assertions sont difficilement vérifiables puisque la réalité des faits appartient aux réseaux diplomatiques très connus sous le label de « coopération ». Toutefois, il en résulte que le candidat qui remporte les élections est celui qui dispose du soutien de l’étranger. La manipulation à ce niveau consiste à faire croire aux Africains qu’ils sont la cause de leurs propres malheurs. En 2007 à Dakar, ce sentiment a été nourri par le discours du Président Sarkozy dont le pays est accusé d’être le propriétaire des « néo-colonies en Afrique», de faire « le gendarme d’Afrique » et de perpétuer la « Françafrique [Afrique-France] » (Verschave, 1999). Dans un contexte où certains historiens constituaient des preuves pour demander l’indemnisation de l’Afrique victime des « crimes contre l’humanité » commises pendant la colonisation et où certains hommes politiques, y compris Jacques Chirac, demandaient la « libération » de l’Afrique, il répliquait que le problème de l’Afrique résidait plutôt dans le fait que les Africains eux-mêmes n’étaient pas encore « entrés dans l’histoire ». Il s’agissait de cette stratégie de la communication de l’aire d’actualisation de la « langue de bois » (Boyomo Assala, 2001) et de la « promesse intelligente» (Kakdeu, 2010a) qui consiste entre autres à accuser en premier.
Dans les faits, les activistes qui se constituent « partie civile » auprès des Nations Unies ou des tribunaux français contre les « biens mal acquis » ou « les crimes contre l’humanité » jouent le jeu en ce sens que toutes ces « massacres » profitent plutôt aux « Forces extérieures ». Sinon, d’où vient-il que l’Occident soit la plateforme des blanchiments d’argent ? La vérité est qu’un étranger ne peut pas investir dans un pays occidental s’il n’est pas en possession d’un passeport valide de ce pays ou tout au moins d’un titre d’établissement. Cela veut dire que les gouvernements occidentaux ne peuvent ne pas être complices des faits reprochés aux « dignitaires » africains. La manipulation consiste à toujours faire parler des « voleurs » sans jamais faire parler « des receleurs ». Il est clair que si les « Forces extérieures » cessaient l’activité de recèle, le vol baisserait substantiellement en interne. Le coup de bluff consiste à vouloir faire juger les « voleurs » par les « receleurs ». Dans ce genre de procès, ces derniers ne peuvent que surfer dans le sens de leurs intérêts qui sont souvent drastiquement opposés à ceux des Africains. Ce fait consolide l’opinion de ceux qui pensent que « l’Occident donne l’aide au développement avec la main droite et récupère avec la main gauche ». Dans ce sens, les chefs d’Etat de l’Afrique Noire Francophone par exemple seraient simplement des agents chargés « d’endetter leurs pays » d’une part et de « rapatrier »l’aide au développement vers la France d’autre part. Ce faisant, ces derniers se « servent » aussi. On relève dans l’imaginaire populaire au Cameroun, la représentation de cette pratique selon laquelle lorsque « le Chef demande de prendre un million, on en prend deux et on coupe sa part sur ça en cours de route ».
Une autre manipulation au niveau de la communauté internationale consiste à condamner les « putschistes » sans faire la lumière sur le financement des putschs. De même, on classe l’Afrique dans le registre des « calebasses cassées » avec ses guerres fratricides sans insister sur l’origine des armements lourds utilisés et surtout sur leur mode d’acheminement jusqu’aux fronts. L’Afrique est surtout perçue comme le continent des misères et de la famine pourtant, paradoxalement, l’essentiel des économies africaines sont agricoles. Personne n’insiste sur le sort des devises africaines en Occident avec les 50% utilisés pour garantir ce que certains appellent « une monnaie forte [franc Cfa] ». Personne ne trouve anormal que les agriculteurs meurent de faim. Pour qui cultivent-ils ? On sait par exemple que Thomas Sankara a payé de sa vie ses revendications au rang desquelles celle selon laquelle les « hommes intègres » devaient d’abord cultiver ce qu’ils consomment (Kakdeu, 2010b). La question qu’on évite sous prétexte qu’elle est une « aberration » est celle de savoir à quoi sert la culture du café et du cacao aux Africains puisque le produit des ventes ne permet pas de satisfaire les populations. Ces dernières feraient mieux de cultiver prioritairement ce qui entre dans leurs habitudes de consommation afin de supprimer une partie de « l’aberration » ou de « l’assujettissement » contenus dans « l’aide au développement ». L’imaginaire issu de la domination occidentale fait aussi état de ce que l’Afrique est un continent sous-développé. Les Camerounais pour leur part ne comprennent pas entre autres pourquoi le régime Biya ne dote pas le pays des infrastructures modernes. L’opposition au régime consiste à dire que « Biya n’a rien fait depuis 28 ans ». Toutefois, dans les faits, on ne peut ne pas reconnaître qu’il n’y a pas de banque centrale au Cameroun et que par conséquent, un chef d’Etat n’a pas de planche à billets à sa disposition comme en Occident. On constate qu’en deux ans de règne seulement, le Président Américain, Barack Obama, qui a obtenu le « Prix Nobel de la paix par le simple fait d’avoir été élu », a déjà par deux fois fait recours à la planche à billets pour relancer son économie. Un Président de la zone du franc CFA peut-il faire pareil ? La manipulation dans la propagande électoraliste consiste pour le pouvoir d’éviter les questions de la monnaie (Tchundjang Pouemi, 1979) tout en parlant des « Grandes ambitions » et pour l’opposition, de faire la promesse sensationnelle d’un monde idéal sans proposer une solution à l’équation du financement. Le remède « passepartout » à toute question de financement est la lutte contre la corruption : «On paie les impôts ! Si on prend tout l’argent qu’on vole, ça suffira pour construire notre pays ». Il ressort de toutes les exagérations de chiffres que la corruption et le détournement des deniers publics causent au Cameroun une perte annuelle d’environ 1000 milliards de Francs Cfa. Mais, dans les faits, cela suffit-il pour résoudre tous les problèmes du pays ? L’arrivée de l’opposition au pouvoir changera-t-elle les 150 000 fonctionnaires corrompus d’un bâton magique ? Que fera-t-elle si les gens continuent de voler dans leurs bureaux respectifs ? En effet, cette situation est plus complexe et personne ne s’y penche. Le Président ivoirien Laurent Gbagbo qui pensait du temps de l’opposition que l’Etat avait toujours l’argent dit que c’est en tant que Président qu’il comprend beaucoup de choses2 .

2. Les enjeux de la manipulation dans la propagande électoraliste
Au Cameroun, deux hypothèses se présentent pour une alternance éventuelle. Soit le graphique du calcul électoral suivant :
Tout d’abord, il faut rappeler que nous traitons du volet sous-jacent des institutions démocratiques en place. Ainsi, nous voyons comme première hypothèse liée au fonctionnement normal de la démocratie camerounaise celle selon laquelle la victoire électorale appartient à celui qui capitalise le plus grand nombre d’élites. C’est la courbe verte de notre graphique qui retrace la part « confortable » du pouvoir en place. En effet, pendant les présidentielles de 2004, on avait observé l’élite politico-administrative et socioéconomique acquise à la cause du Pouvoir s’activer sur le terrain, par des moyens légalement discutables, pour faire inscrire les leurs sur les listes électorales. Cela signifie que, par ses capacités de prescription, l’élite est une pièce maîtresse dans le jeu électoral basé sur le fichier actuel. A cet effet, si l’opposition veut gagner, alors elle s’approprie les « élites » ou elle s’active pour inscrire à son tour ses partisans sur la liste électorale. Malheureusement, on constate que le principal parti d’opposition camerounais, le Social Démocratic Front, n’est pas engagé sur cette voie au vu de ses vagues de démission depuis 1994 et de sa « politique de la chaise vide » ou du boycott.
Dans cette démocratie électoraliste, le groupe des bénéficiaires des politiques publiques est divisé en deux : les électeurs (importants) et les non-électeurs (inutiles). Le premier mensonge de ceux qui brandissent la démocratie comme une institution parfaite et une solution « miracle » à tous les problèmes du peuple se trouve dans ce fait que seuls les électeurs (minorité) comptent aux yeux des autorités politiques et le reste de la population (majorité) est « hors jeu ». Il faut dire clairement qu’au Cameroun, tous ceux qui ne sont pas inscrits sur une liste électorale (près de 13 millions de personnes) sont inutiles dans le jeu politique actuel. Ils peuvent marcher voire même « courir » sans que cela ne soit déterminant dans le décompte final pour l’alternance ou pour le changement social. A ce titre, tous ceux qui soutiennent le boycott des élections à travers leurs propagandes sont largement critiquables. De même, les activistes qui agitent l’opinion à partir de la diaspora sont inutiles parce qu’ils sont souvent en possession des passeports étrangers et à ce titre, ils ne peuvent pas participer au processus électoral avec l’état actuel de la loi sur la nationalité. De façon très astucieuse, le Pouvoir les tient dans le refus de la double nationalité.
C’est pourquoi, dans une seconde hypothèse, tout porte à croire que l’opposition mise sur l’activation du levier du sensationnel pour obtenir l’alternance tant souhaité. Comme le présente Kakdeu (2010a), la stratégie semble être d’enflammer la population pour exploiter ou provoquer une situation humanitaire susceptible d’être brandie au niveau de la communauté internationale comme acte de violation des droits humains. En effet, l’on observe à travers les actions de certains activistes à Washington, Bruxelles, Paris ou Londres qu’une certaine opposition cherche en vain à attaquer le Président Biya sur le terrain des « crimes contre l’humanité » et des « biens mal acquis ». La question n’est pas celle des conditions de vérité des faits mais, celle de l’exploitation qu’on en fait. En effet, si l’on arrive à créer 150 morts au Cameroun comme en Guinée par exemple, il est clair que la communauté internationale se saisira du dossier et le résultat sera l’isolation des autorités camerounaises ou la menace de poursuites devant la Cour Pénale Internationale. C’est la courbe rouge du graphique ci-dessus qui est une situation à laquelle le pouvoir est mal préparé et dont on doit s’en préoccuper.
Quand on considère la gestion catastrophique d’un « petit » dossier comme celui de « Bibi Ngota »3 , on constate que le pouvoir est précaire et qu’il ne prend pas suffisamment la mesure de la menace que constitue l’opinion. Le Cameroun s’avance vers une situation dans laquelle il y aura de plus en plus de provocations et de plus en plus de répressions. La manipulation consiste pour l’opposition à choisir délibérément, dans un contexte de démocratie électoraliste, la provocation sensationnelle et mortelle comme principale arme de conquête de l’alternance. Dans un monde où être « mouillé c’est mouillé, il n’y a pas de mouillé-sec4» et avec une administration où « tout le monde est mouillé », il n’est pas logique pour le Pouvoir en place de résister à la rupture dans la conduite des affaires de la Nation et de vouloir en même temps faire face aux tentatives de provocation ambiante. Ainsi, si Paul Biya veut éviter au Cameroun un éventuel drame, alors il change de veste lors de sa propagande électorale et se met dans la posture de la « Rigueur et de la Moralisation » qui est plus que jamais d’actualité. Malheureusement, en l’état, tel ne semble pas sa préoccupation car, les inférences qui émanent de sa propagande font état de ce qu’il travaille plutôt sur la dissimulation de son dauphin ou de la carte de sa succession.
En effet, il a réussi avec tact à dévier le débat sur la modification de la Constitution autour de sa personne alors qu’actuellement, un boulevard a été construit pour porter le successeur constitutionnel au pouvoir. Quand on regarde les événements ayant marqué la fin du régime du Président Ahidjo, on se rend compte que le même scénario est en train de se dérouler et personne n’en fait cas. La force de la propagande du Président Biya réside dans le fait qu’il réussit à détourner l’attention de tout le monde vers sa pérennité au pouvoir malgré son âge avancé. Au rang des actions qui marquent la fin des régimes politiques au Cameroun depuis Ahidjo, on peut citer : l’intensification injustifiée de la diffusion des motions de soutien et des appels à candidature, la simulation des menaces d’insécurité permanente justifiant la modification de la Constitution et l’attribution de la « carte joker » de la succession au chef de l’Etat, la vague de nomination des ambassadeurs permettant de récompenser les fidèles du régime, le positionnement politique du dauphin à l’intérieur du parti, etc. C’est ce cacique qui a porté le Président Biya au pouvoir et qui, vraisemblablement, va régir sa succession. La propagande du Président, maître du jeu au sens de la révision constitutionnelle, s’active à dissimuler les cartes. La succession au Gabon a permis de constater l’importance du ministre de la défense qui avait fermé les frontières jusqu’à sa désignation, forcée ou non, comme candidat du Parti. Les farces de la propagande consistent à reverser toutes les attentions sur les gens comme « Atango5» sans qu’il ne soit possible de montrer comment ce dernier était sur la voie d’une éventuelle alternance démocratique car, tout se joue au parlement, au bureau politique du Rdpc ou au ministère de la défense avec la pression des armes. Ce serait original dans un contexte de l’Afrique noire Francophone de vivre un cas où « l’argent » conduit au pouvoir. Dans un cas comme dans l’autre, le danger de la démocratie électoraliste est que le peuple, qui devrait être bénéficiaire des actions publiques, se retrouve en train de discuter une place parmi les tiers-perdants. Et plus on la met en œuvre en Afrique, on observe plus de « paupérisation anthropologique » (Mveng, 1992) alors que les Dragons de l’Asie6 s’envolent vers l’atteinte des Objectifs du Millénaire.

Conclusion
Nous pensons, en ce qui nous concerne qu’il faut pondérer les faits. Selon Duradin (1982), la propagande est un mensonge parce qu’il s’agit d’une forme de communication qui implique l’utilisation des procédés d’ajout, de retrait ou de modification de l’information. En d’autres termes, la communication politique conçue comme propagande est un enchaînement de mensonges constants qui permet aux acteurs de défendre leurs idéologies : ils minimisent, ils maximisent ou ils déforment les faits. Le problème qui se pose est que la propagande camerounaise se concentre, de part et d’autre, sur la promotion des hommes et non sur la promotion des modèles de société identifiables. La préoccupation des acteurs est de faire gagner les élections et non de provoquer le changement social. La manipulation à ce niveau consiste à faire croire au peuple qu’il existe une connexion évidente entre l’alternance et le développement. Sur la base de ce qui s’observe en Afrique Noire Francophone jusqu’à nos jours, l’imaginaire populaire a coutume de dire que cela « ne profite qu’à ceux qui sont en haut et à leurs familles ». Cette posture expliquerait aussi l’importance des taux d’abstention observée lors des élections.
Nous avons constaté que le débat politique sur l’opérationnalité des programmes politiques n’était pas intéressant au Cameroun. Dans la promesse du « sofa don finish » par exemple, on ne dit pas comment le « sofa go finish ». De nos jours, les hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, se pressent de dire l’idéal qui fait élire sans se préoccuper de la résolution du réel qui est impopulaire. C’est une démarche typiquement populiste (Rieux, 2007) qui devrait amener les Africains en général à s’interroger sur ce qui est nécessaire pour eux entre : l’alternance ou le développement. Dans la pratique, la propagande électoraliste qui promeut un homme s’est avérée très néfaste pour le changement social. En Afrique Noire Francophone, on remarque que cette pratique profite plus aux clans politiques et aux forces extérieures qu’aux populations nécessiteuses. Pour l’épanouissement des peuples à long terme, la propagande devrait changer de camp et se concentrer sur les modèles de société bâtis sur le réel.
A ce sujet, on peut déplorer que depuis la publication de son livre sur le libéralisme communautaire en 1987, Paul Biya n’en ait plus reparlé explicitement. En 2004, il a parlé des « Grandes ambitions pour le Cameroun » lors de sa campagne pour les présidentielles sans dire en quoi les ambitions en elles-mêmes constituaient une réelle idéologie politique ; on constate que ce slogan de campagne est arrivé au même moment que le Président Camerounais inaugurait une nouvelle façon de communiquer à savoir : « la promesse intelligente à connotation électoraliste » (Kakdeu, 2010a). Ainsi, il s’est offert un grand panier lui permettant de ramasser tout ce qui était de l’ordre du possible au Cameroun sans se préoccuper de la cohésion de leur opérationnalité. A travers ce projet, la fuite en avant consiste à énumérer les états d’une société idéale (ambitions) sans avoir à convaincre sur les processus et les procédures à mettre en œuvre pour y arriver. Du moins, depuis son accession au pouvoir, il règne par les procédés de politesse (Kerbrat-Orecchioni, 1996, 2005). Comme tous ses pairs de l’Afrique Noire Francophone, il ménage avec succès la face des différents acteurs (Kakdeu, 2010b). L’opposition n’a pas une grosse marge de manœuvre dans ce jeu. Du coup, il joue sur le levier du sensationnel pour conquérir le pouvoir. Cette bataille égoïste ne va pas aider le Cameroun dans les années à venir.

Louis-Marie Kakdeu

* Spécialiste en Analyse du discours et en évaluation des politiques publiques
Consultant, Afrikcom Sarl
Notes
1- http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1342
2 http://www.france24.com/fr/20080605-entretien-laurent-gbagbo-president-cote-ivoire-exclusif
3 Il s'agit de la tourmente créée par la mort tragique du journaliste camerounais à la Prison Centrale de Kodengui à Yaoundé en 2010 des suites du Sida d’après le régime en place.
4 Imaginaire repris par l’Artiste-Musicien Aïe-Jo Mamadou
5 Il s’agit de Jean-Marie Atangana Mebara, ex-ministre d’Etat secrétaire général de la Présidence de la République du Cameroun, actuellement en Prison et accusé dans l’imaginaire populaire d’être à la tête d’un « G11 » qui amasserait de l’argent pour prendre le pouvoir.
6 Ces pays prospèrent sont accusés par l’Occident de ne pas respecter la démocratie.
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