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Eux, c’est eux

Eux, c’est eux

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altUne fois encore, l’actualité françafricaine révèle l’état de délabrement de la République française, confisquée par une partitocratie cynique, dont les oppositions superficielles recouvrent une profonde communauté d’intérêts : à l’aube d’une campagne électorale qui s’annonce animée, deux leaders des deux partis qui gèrent la France depuis trente ans ont rendu hommage à deux dictateurs d’Afrique francophone. Sarkozy, chef de l’État, mais surtout de l’UMP, a reçu Sassou Nguesso, le despote congolais, le 8 février à l’Élysée, ce qui lui a valu les critiques du PS.
Pourtant l’apparatchik socialiste Laurent Fabius, dont on dit qu’il convoite le ministère des Affaires étrangères, est allé lui-même serrer la pince à Ali Bongo, le tiroir-caisse gabonais, le 14 février à Libreville. Ce parcours n’est pas sans rappeler celui d’Alain Juppé, autre ex-gloire de la politique française, parti cautionner le fantoche camerounais Biya avant de revenir prendre la tête du Quai d’Orsay. Si tel est le parcours obligé pour les ex-meilleurs d’entre les apparatchiks ambitionnant un dernier tour de piste, on ne s’étonne plus de l’état

de nos institutions : imagine-t-on un Premier ministre britannique allant se prosterner devant Idi Amin Dada ?
Ces oligarques ne manqueront pas de beaux discours pour justifier leurs génuflexions. L’apparatchik de gauche évoquera, débonnaire, la nécessité d’accompagner ces grands enfants de tyrans sur la voie d’une démocratie, cer¬tes imparfaite, mais que l’on n’améliorera que graduellement ; l’oligarque de droite allèguera, martial, l’amour du drapeau, qui lui impose une realpolitik dont il lui importe peu qu’elle semble cynique aux yeux des naïfs « droits-de-l’hommistes », pourvu qu’elle soit profitable à la France.
Mais les faits sont têtus qui démentent ces belles paroles. Cinquante ans de Françafrique, loin de permettre à l’Afrique francophone de progresser sur la voie du développement, l’ont enfoncée dans l’impasse où nous la voyons se débattre. Quant à la France, le pillage de l’Afrique auquel on procède en son nom ne lui a pas évité de tomber dans l’état où nous la voyons : en pleine faillite économique et financière, bientôt sociale et surtout morale, à comparer avec les brillants résultats de l’Allemagne, qui ne se porte pas plus mal d’avoir appris à se passer de son empire, bien au contraire : quand la France imposait sa grotesque zone franc à des pays misérables entre les misérables, l’Allemagne se taillait par ses propres moyens une zone deutschmark au cœur même de l’Europe. On ne joue pas là dans la même cour.
La Françafrique ne fait pas que révéler les tares d’une oligarchie dont le cynisme arrogant peine à masquer l’incompétence absolue : elle est en elle-même une des causes de la faillite de la République française en ce qu’elle favorise – ironie de l’histoire – le développement en France des maladies qu’elle a cultivées en Afrique : corruption, anéantissement des contre-pouvoirs et toute-puissance de réseaux occultes assurant la promotion des plus nuls et le triomphe de la kleptocratie : tout cela, dont l’ Afrique francophone souffre depuis cinquante ans, c’est la France qui en pâtit aujourd’hui. Les Français prennent peu à peu conscience qu’en Françafrique comme en France, cette oligarchie est au service d’intérêts particuliers, et non du peuple qu’elle prétend représenter. Il n’est pas loin le temps où, à cette oligarchie gâteuse, les citoyens adresseront les mots par lesquels Laurent Fabius avait, dans l’insolence de sa jeunesse, qualifié l’accueil par Mitterrand d’un dictateur polonais– “lui c’est lui, et moi, c’est moi” – : eux c’est eux, et nous, c’est nous.

Odile Tobner
Source : Billets d'Afrique 211 - mars 2012

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