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Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie - Page 5

Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie - Page 5

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Index de l'article
Gouvernance: Etoudi, le Centre de l'Inertie
Concertation : le bal des caméléons?
Protocole d'Accord ministres/responsables syndicaux
La permanence de la roublardise
La (dé)fête de la jeunesse camerounaise
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La (dé)fête de la jeunesse camerounaise
La mission implicite ou explicite de tout système scolaire est la préparation de chaque jeune ou tout apprenant à son rôle social. Quand un système méprise les préparateurs que sont les enseignants, il expose sa jeunesse et ses apprenants à la (dé)fête.

Selon plusieurs sources historiques, la fête de la jeunesse est une invention du « président fondateur ». La date du 11 février était donc choisie par lui en souvenir au référendum organisé par les Nations unies en 1961, concernant le rattachement de la partie occidentale au Nigéria, ou au Cameroun francophone. Pourtant elle était célébrée uniquement dans la partie anglophone, en 1965 cette partie du pays recevra la visite d’une mission d’observation du service de la jeunesse du Commissariat à la Jeunesse, à l’Éducation et aux Sports. Son rapport obtint l’agrément des autorités fédérales qui décidèrent de consacrer une journée nationale à la jeunesse pour magnifier le rôle important de celle-ci. (Source Ariane Nkoma: Fête de la jeunesse: Une célébration très ancienne). Selon la même source, c’est en 1966, le 11 février qu’elle fut officiellement lancée, par  Félix Tonyé Mbock, ministre de la Jeunesse de cette époque. Le président Ahidjo, a profité de l’occasion pour rappeler aux jeunes qu’ils sont « le fer de lance de la nation » et qu’ils ont un rôle important à jouer dans le devenir socio-économique et politique du pays, et devraient activement participer à l’édification d’un Cameroun prospère, dans le bilinguisme et l’unité nationale.
L’attention était beaucoup portée sur la jeunesse à cette époque. Il était impératif pour les chefs des partis uniques de miser sur cette catégorie de la population, qui a été la principale force vive de la lutte pour la libération. Ils étaient alors engagés pour la défense de plusieurs idéologies à savoir, le socialisme, l’unité africaine, et surtout les indépendances nationales… la jeunesse avait donc des énergies énormes à canaliser, et il fallait tout faire, pour les premiers présidents afin de les intégrer dans la vision de leurs partis. Tout faire pour avoir les jeunes avec soi, tout leur promettre, leur construire des stades de football, construire des écoles et des lieux de loisirs, tout en veillant à leur formation dans le respect de l’ordre établi et à l’allégeance au « père de la nation ». Et comme le souligne Achille Mbembé : « la mise sur pied des mécanismes qui doivent permettre aux jeunes de…s’instruire et de s’épanouir devient, de la part de l’État un geste magnanime pour lequel on lui doit, en retour reconnaissance et obéissance » (Achille Mbembé, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire, L’Harmattan, p.18). Ce qui doit en effet se traduire par le silence de la part des jeunes, sinon l’autoritarisme de l’État et ses forces répressives se mettront en place.
C’est dire qu’une fête, comme celle-ci n’est pas un fait du hasard, de la part de ceux qui l’ont institué. La fête à ceci de particulier qu’elle est une force capable de capturer les esprits, les vouer à l’évasion, et dévier les énergies. Elle est aussi comme l’ajoute Achille Mbembe : « inscrite dans la symbolique des pouvoirs africains comme un moment privilégié au cours duquel le peuple…administrerait la preuve de son adhésion totale aux “nobles idéaux“ poursuivis par l’État et le parti ». (ibidem, p.150), une question reste donc en suspens : quelle est la véritable place qu’on accorde à la jeunesse dans la célébration de cette fête ?

Une fête de trop pour les jeunes

La fête de la jeunesse est une fête de trop pour les jeunes. Du moins ce qu’on observe lors de cette journée n’est qu’un masque qui cache beaucoup de choses inavouables. La vérité c’est qu’elle n’intéresse plus ou pas les jeunes. D’abord parce qu’ils n’y trouvent pas d’importance et ensuite parce qu’ils sont pour la plupart des cas contraints. Les jeunes se moquent même de cette fête, parce que pour se réjouir ils en ont déjà assez.
Il y’a quelques semaines seulement pour marquer la fin du premier trimestre, ces jeunes scolarisés étaient en plein dans les kermesses, le lendemain ils partaient au centre-ville, pour ceux de Yaoundé et Douala, participer à l’ouverture des foires qui devaient occuper tout leurs congés, ils étaient aussi assez nombreux, on vous épargne des différents concerts de ces stars internationales qui regroupaient des milliers d’entre eux. La fête de noël et de Nouvel An ils y étaient, à peine entré dans la nouvelle année, voilà la Can qui commence, avec tous ses enjeux (discussions, commentaires et paris stupides), et ceci pendant deux bonnes semaines. Plusieurs d’entre eux ne veulent pas dépenser et se dépenser dans le 11 février parce qu’ils attendent une autre fête plus significative pour eux : le 14 février la fête de l’amour.
C’est dire que pour plaire aux jeunes par une fête, il faut plus qu’un 11 février, il faut leur proposer quelque chose de nouveau, parce que tel qu’elle est célébrée, elle ne vient qu’ajouter le festin sur le festin, la jouissance sur la jouissance. Beaumarchais ne disait»-il pas qu’ « on peut instruire en s’amusant » ? Préface le mariage de Figaro. Le cas du Cameroun répond par la négative.

La fête de la défaite de la jeunesse et de l’État

D’habitude on fête des victoires remportées et des travaux achevés. Mais les jeunes par cette fête célèbrent plutôt, et peut’ être en toute naïveté leur défaite. Défaite face aux différents rôles qui leur sont et qui leur avaient été assignés. Ils ont abandonné la culture du culte de l’effort, le sens de l’honneur (termes de Njoh Mouellé), pour se consacrer à des non-valeurs animées par le slogan de la culture de la gratuité. Comme le souligne Achille Mbembé : les utopies qui, hier, mobilisait les jeunes, s’effondrent et se taisent. L’on se trouve face à une génération sans mémoire historique. (Achille Mbembe, op. cit., p.56)
Les jeunes ne s’intéressent plus à rien. La liberté d’indifférence est leur partage. Ils ne veulent pas participer à la chose publique en croyant être libres. Sans savoir qu’ils sont là, en train de transférer leurs libertés de choisir à d’autres. Ils disent qu’ils ne veulent pas faire de politique que ça ne les regarde pas. Ils ne savent pas que les problèmes politiques sont leurs problèmes, et que leurs problèmes sont des problèmes politiques. Périclès l’a si bien: seuls nous regardons celui se désintéresse des affaires de l’État pas comme un citoyen de tout repos, mais comme un être inutile.
Des êtres inutiles, ainsi nous pouvons qualifier sans risque de nous tromper les jeunes d’aujourd’hui. Ils ne possèdent plus rien, c’est les autres qui pensent à leur place, qui décident de leur avenir, qui les instrumentalise, qui les utiles à des fins perverses… ils ont abandonné l’esprit de critique, au bon gré de l’esprit moutonnier, ils vivent par procuration, et sont ce que le hasard a voulu faire d’eux.
La jeunesse n’a plus de repères, et elle est incapable de construire elle-même son propre échelon de valeur, en bon démiurge, l’incarner et le suivre. La plus grande ambition des jeunes c’est de réussir ou partir à tout prix. Et, peu importe ce que l’État fera, pour les retenir ils finiront toujours par partir.
C’est dire que l’État a échoué lui aussi l’intégration socio-économique des jeunes. Ils ne croient plus en tous ces slogans vides de sens et à toutes ces promesses non tenues. L’État n’offre pas des possibilités aux jeunes de ressusciter en eux leur « Mozart assassiné ». Les potentialités n’arrivent presque jamais à leur réalisation parce que les conditions sont peu favorables à leur éclosion ; et comme soutient Njoh Mouellé : « la plupart des génies du monde n’auraient pas donné à l’humanité leurs œuvres s’ils n’avaient pas vécu dans un contexte stimulant ». (Njoh Mouellé, De la médiocrité à l’excellence. p.165)
L’État a failli à sa tâche de créateur d’emplois, les jeunes sont en chômage, et pour y remédier l’État lance sans réflexion aucune, des recrutements massifs qui aboutissent plutôt comme le rappelle Achille Mbembé « à financer l’inactivité et l’oisiveté » (Achille Mbembe, op. cit., p.203) et pour y répondre, l’État demande aux jeunes d’oser, de créer et de prendre des initiatives, mais refuse par le même coup de les financer.
La jeunesse est livrée à elle-même, c’est l’anarchie au plus haut niveau de l’État qui est descendue et s’est implantée au sein de la société. On assiste aujourd’hui à un transfert inexplicable de responsabilités. Ni la famille, ni l’école, ni l’État ne veulent jouer son rôle. C’est l’abandon total « abandon politique des grands problèmes culturels africains. Abandon de la jeunesse africaine estudiantine abandon des bibliothèques publiques, abandon de l’esprit de critique. » (Théophile Obenga, L’Afrique Répond à Sarkozy, Paris, Philippe Rey, 2008, p.352)
Nietzsche disait qu’ « un jour viendra où l’on aura plus qu’une pensée : l’éducation ». Pour le Cameroun ce jour n’est pas encore arrivé.

La fête de la victoire de l’État sur les jeunes

Oui l’État a échoué dans sa mission d’intégration totale des jeunes. Mais il a aussi réussi.
Il a réussi, la capture mentale des nos jeunes. Il les maintient dans le manque et le besoin, pour qu’ils se prosternent et se prostituent. Il les maintient dans une nasse et dans un état de dépendance. Se posant ainsi en pourvoyeur de solution pour les jeunes, incapables donc à trouver en eux-mêmes et par eux même les ressources nécessaires pour subsister. Pour échange ils doivent s’intégrer pleinement dans les mouvements de soutien au chef de l’État et à la première dame, et leur manifester leur soutien infaillible.
L’État a réussi, à éviter d’enseigner la vraie histoire de notre pays à ses enfants. Il sait ce que c’est que d’avoir une conscience historique éveillée. Il a réussi à ne pas leur enseigner à raisonner ou à critiquer, à contester et penser par soi même, parce qu’il sait ce que ça lui coutera. L’État sait comme le dit Maurice Kamto que « la raison nous délivre des mystifications politiques…de l’asservissement à tous les cultes. » (Maurice Kamto, L’urgence de la pensée, Yaoundé, Mandara, p.35)
Les jeunes sont sous le contrôle total de l’État, ils se croient libres, mais ils sont dans un état de « liberté en situation ». La preuve c’est que toutes les initiatives privées sont permises, mais le système est bloqué, et ne laisse aucune place à l’émergence.

Re-penser la fête de la jeunesse au Cameroun

La fête de la jeunesse n’a-t-elle pas oublié ses origines ? Où en est la jeunesse avec la citoyenneté et le civisme ? Où est en l’État avec l’unité ou le bouquet national et le bilinguisme ? La fête de la jeunesse n’a telle pas recouvert le masque de l’instrumentalisation politique ? Où en est-on avec les valeurs culturelles et historiques de nos patrimoines ?
La manière avec laquelle on a conçu cette fête et la manière avec laquelle on la célèbre méritent une re-vision pure et simple. Voici par exemple comment l’administrateur du site Web du Minjeun décrit la 45e fête de la jeunesse : «  Après le salut aux couleurs et l’audition du message du chef de l’État aux jeunes...le ton est donné pour le défilé. Établissements des sept arrondissements de la ville…ont fait sensation avec leur fanfare et surtout la souplesse et la dextérité de leurs majorettes... Le ministre de la Jeunesse a exprimé sa satisfaction pour l’enthousiasme et le patriotisme de défilant sans oublier le bon encadrement des organisateurs .La fête s’est achevée dans la joie pour tous les jeunes. » Que de la jouissance, du loisir et du festin. Où est la place au débat du thème de cette journée ? Où est la sensibilisation des jeunes sur les problèmes graves de l’heure ? Rien à foudre l’État se réjouit de sa victoire, et ment monumentalement et froidement qu’il le fait pour la jeunesse.
Cette fête a été octroyée à la jeunesse et celle-ci n’a rien fait pour cela, mais l’heure est venue pour les jeunes de récupérer leur fête, d’en faire leur affaire, et de lui redonner tout son sens.


Tatla Mbetbo Felix