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Et si Paul Biya quittait le pouvoir d'ici 2014! - Page 9

Et si Paul Biya quittait le pouvoir d'ici 2014! - Page 9

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Index de l'article
Et si Paul Biya quittait le pouvoir d'ici 2014!
Paul Biya ira-t-il jusqu’au bout de son mandat ?
La santé du président, le baromètre du pouvoir
2013-2014 : Deux années fatidiques
Rudes nuits des longs couteaux en perspective
Dans la boule de cristal de Paul Biya
Au nom de la famille
Les feuilles déroutent Paul Biya
Le paradigme de l’axe « Nord-Sud »: ses implications plurielles dans la société politique camerounaise
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Le paradigme de l’axe « Nord-Sud »: ses implications plurielles dans la société politique camerounaise
Dès l’accession du Cameroun à l’indépendance en 1960, la classe dirigeante a élaboré un système de gouvernance qui met en relief la bipolarité géographique structurée autour de la variable « Nord-Sud ». Certes non codifié au plan constitutionnel, le paradigme « Nord-Sud » est une formule de gestion et de distribution des positions de pouvoir entre des blocs ethno-régionaux. Aussi bien le régime d’Ahmadou Ahidjo que sous celui de Biya, il y a un usage constant de ce paradigme dans la gouvernance politique camerounaise. Pourtant, est-on fondé aujourd’hui à admettre du caractère a-temporel de la trajectoire « Nord-Sud » telle qu’elle fut à l’œuvre depuis le régime d’Ahmadou Ahidjo ? Le pluralisme politique qui induit une dynamique  de complexification  du jeu politique autorise-t-il d’appréhender la gouvernance sous le mode d’un « axe » qui subit aujourd’hui la contrainte du temps ? Cette réflexion ambitionne d’examiner le paradigme de l’axe « Nord-Sud » au crible des conduites des acteurs politiques camerounais à l’aune de leur horizon stratégique dans la perspective de dévolution de pouvoir à l’échelle nationale.

 

De la construction du paradigme Nord-Sud en post-colonie camerounaise, un succédané de la politique coloniale

Le paradigme de l’axe « Nord-Sud » renvoie à une conception bien singulière de la gestion et de la dévolution de pouvoir en post-colonie. Au-delà de l’orientation géographique qu’elle revêt, la variable « Nord-Sud » indique plutôt un système de gouvernance politique qui s’offre comme une ressource à distribuer entre les composantes sociologiques et régionales à l’intérieur même d’un pays(1). L’expérience de gestion de pouvoir dans beaucoup des pays de l’Afrique centrale souligne que la bipolarité « Nord-Sud » est une variable lourde de circulation et de dévolution de pouvoir à l’échelle nationale(2). Ailleurs comme au Gabon, cette dynamique se module plutôt sous la forme Ouest-Est (3). On pourrait toujours chercher à trouver les sources de sédimentation d’une telle pratique politique dans la période coloniale où la construction du jeu politique fut une véritable opération de mise en orchestre des clivages sociologiques, ethniques, linguistiques, géographiques et culturels(4). La formation de l’élite continentale qui allait suppléer à l’autorité coloniale reposait fondamentalement sur un tel viatique idéologique. Dans la conception coloniale de commandement en post-colonie, les segments sociologiques ne disposaient pas toutes, au même degré, des capacités intrinsèques à gérer le pouvoir dans l’orientation que lui prescrivait alors la puissance métropolitaine.
Toute la logique de construction du jeu politique et des mécanismes de répartition des positions de pouvoirs dans l’espace camerounais en constitue en effet une parfaite illustration(5). Dans ce pays, qui a connu une triple colonisation (allemande, anglaise et française), c’est vers la fin des années 1940  et au début des années 1950 notamment, que l’administration coloniale française dut mettre en place des instruments et des dispositifs de conquête de pouvoir par les « indigènes évolués »(6). Dans chaque région, dans chaque sphère sociogéographique ou socioculturelle, l’administration coloniale avait ardemment œuvré à la formation et à l’émergence d’une catégorie d’acteurs acquis à sa cause idéologique et qui devrait lui succéder dans le contexte de décolonisation(7). La réalité historique révèle qu’au Cameroun, ceux qui remplacèrent le colon, ne furent pas les « nationalistes » de très bonne heure8. C’est à une élite dévote, fortement acclimatée à l’idéologie coloniale française de pouvoir centralisateur, sociologiquement segmentée (autorités indigènes, élite moderne, fraction syndicale, hommes d’affaires), très peu servie des luttes indépendantistes mais convertie très tôt au système de reproduction de commandement colonial en post-colonie qu’échut le gouvernement des hommes. Au lendemain de l’indépendance, le système politique camerounais s’est construit et codifié dans ce que la phraséologie officielle appelle la « politique d’équilibre régional ». Elle s’est articulée autour de la gestion de pouvoir adossé à une répartition, certes asymétrique, mais toujours coproductive, entre deux blocs géographiques distincts : le ‘Nord’ d’un côté et le ‘Sud’ de l’autre(9). Ainsi dès la prise de pouvoir par Ahmadou Ahidjo, qui fut président de la République durant plus deux décennies (1960-1982), le poste de premier ministre fut détenu par les ressortissants du « Grand Sud » pendant que la présidence de l’Assemblée nationale revenait aux anglophones de la partie occidentale du Cameroun. Ce fut ainsi l’amorce d’une équation politique qui va durer et prendre une configuration institutionnelle dans la sédimentation du pouvoir postcolonial en territoire camerounais.
Le paradigme de l’axe « Nord-Sud » participe de la radicalisation de la segmentation des identités ethniques et régionales dans une société politique pour le moins cosmopolite. De fait, amorcée en temps colonial, la variable de l’axe « Nord-Sud » sera domestiquée par l’élite postcoloniale qui en dispose désormais comme d’un instrument de circulation de pouvoir. Dès la prise de fonction comme premier de la République du Cameroun indépendant Ahmadou Ahidjo expérimente cette technologie de gestion de pouvoir politique. Ainsi par Décret n° 60/2 du 16 mai 1960 le premier gouvernement est formé, qui est dirigé par Charles Assalé, un dignitaire de la région Sud(10). La Chambre législative sera gardée tout au long de la présidence d’Ahidjo sous le giron des ressortissants anglophones(11). Fidèle à la pratique politique de circulation ethno-régionale de pouvoir suprême,  Ahmadou Ahidjo, lors de sa démission en 1982, transmet le pouvoir à un camerounais de la partie méridionale, en l’occurrence Paul Biya. Agissant de la sorte, le premier président camerounais a voulu rester en congruence avec une pratique qu’il a installée au sein des institutions. A l’évidence, l’axe « Nord-Sud » n’est pas une chimère, du simple fait qu’il n’est pas constitutionnellement institué. Par delà le temps et en raison de ses effets d’institution, il a fini par s’emparer des représentations collectives et des comportements de l’élite gouvernante. Dans ce sens, le paradigme de l’axe « Nord-Sud » fait sens. Au sein des communautés, il y a toujours des attendus dans ce sens. On peut l’observer à chaque réorganisation gouvernementale(12). Le débat surgit dans l’opinion, qui dénote effectivement des appréhensions et des préoccupations des composantes ethnoculturelles au Cameroun sur la succession à la magistrature suprême(13). C’est alors que la modulation de pouvoir sous sa forme « ethno-régionale » a fini par sécréter dans le corps social une conception patrimoniale qui fait refléter le commandement comme une rente à partager entre les différentes composantes socioculturelles. Au plan institutionnel, la gestion du pouvoir épouse la cartographie socio-ethnique du pays. Les nominations, aussi bien à des grands postes institutionnels (ministres, directeurs…) qu’au niveau intermédiaire (sous-directeurs, chefs de service, chefs de bureau…) tiennent compte de l’hétérogénéité ethnique du Cameroun. Certes, cela ne se reproduit pas de façon quasi automatique, mais la « logique de pouvoir » qui inspire les actes de représentativité institutionnelle indique bien que le gouvernant cherche à configurer la logique de pouvoir sur le modèle multi-segmentaire ethnique ou sociolinguistique.
Dans ce sens, il est pris en compte les composantes socio-ethniques qui peuvent être situées à l’échelle régionale, départementale ou au niveau de l’arrondissement. C’est donc ainsi, la configuration multiethnique et multiculturelle qui commande la mise en œuvre institutionnelle de la politique d’équilibre régional qui, dans le contexte camerounais s’est modelé sur la base géographique de l’axe « Nord-Sud ». Certes avatar de l’imagination coloniale, ce paradigme continue d’irriguer les habitus de différents groupes politiques. A dire vrai, la grammaire de l’axe « Nord-Sud » s’origine dans la tradition coloniale des puissances tutélaires. Elle fait écho à la composition multiethnique des sociétés indigènes et suppose une répartition sinon équilibrée du moins proportionnelle. Avec le temps, la politique d’équilibre régionale qui en traduit la mise en forme institutionnelle, a fini par s’incruster dans les pratiques, dans les habitus des tenants de l’ordre gouvernant.
En post-colonie, elle n’indique pas une gestion dysfonctionnelle de pouvoir ; elle fait écho à un régime de gouvernance qui s’ajuste à un environnement sociologiquement décomposé et dont les blocs dirigeants doivent tenir compte dans leur management institutionnel des alliances et des équilibres. Dans ce sens notamment, l’angle de l’axe « Nord-Sud » s’inscrit dans une certaine mesure dans l’association très étroite des groupes ethniques dans le circuit de l’Etat à partir du haut, du sommet. L’élite qui est désormais intégrée dans l’espace institutionnel doit toujours envoyer un signal en direction des communautés et de la région d’où elle est originaire afin de cristalliser leur adhésion, leur attachement au système politique qui assure leur représentativité en raison de la présence de l’un des leurs dans l’appareil gouvernant(14).

De ses impensés idéologiques et stratégiques

Sous quelque angle qu’on analyse la trajectoire de l’axe « Nord-Sud », force est de souligner qu’elle s’inscrit largement dans une perspective de construction d’un ordre de gouvernance politique caractéristique des sociétés foncièrement hétérogènes et composites. Selon la vulgate officielle, la dynamique de l’équilibre régional qui inspire la gestion de pouvoir vise en effet à une intégration plus ou moins réelle de différentes composantes socio-ethniques. Laquelle intégration devrait s’opérer par le sommet, le haut, à travers ce que Bayart appelle « l’assimilation réciproque de l’élite »(15) dans les différentes instances de l’appareil étatique. Certes, il serait analytiquement risqué d’appréhender la gouvernance politique au Cameroun comme étant monopolisée par une entité ethno-régionale. Tant s’en faut, ni sous le régime d’Ahmadou Ahidjo (1960-1982) ni sous le régime de Paul Biya (depuis 1982), le pouvoir étatique n’est de configuration mono-ethnique, mono-linguistique, mono-régionale. La construction de l’ordre gouvernant a toujours reposé sur une combinaison de différents segments ethniques, religieux et culturels et régionaux. Selon Ngayap, la formation de l’élite gouvernante au Cameroun a de tout temps procédé par une double équation : celle de « macro-dosage » et de « micro-dosage »(16). Ainsi, aux différents échelons de l’administration publique les dirigeants veillaient à une relative association des entités communautaires via leur élite. Mais au-delà de cela, force est d’admettre que le formatage de l’angle « Nord-Sud » rentre bien dans un registre de construction hégémonique de la gouvernance politique au Cameroun. D’abord, il y a un effet de simplification des réalités ethno-régionales, qui est mise en relief par les tenants de l’ordre politique. Ainsi, le « Nord » comme le « Sud » peuvent renvoyer et impliquer des choses simples, des réalités univoques revêtant des données homogènes voire identiques(17).
Dans ce sens, il faut évoquer la dynamique de construction idéologique de la partie septentrionale du Cameroun tout au long du régime d’Ahmadou Ahidjo. Cette entreprise s’est traduite dans l’érection en une seule province de la vaste région du « Grand Nord » qui reste au plan historique, sociologique, géographique, religieux et culturel, une région complexe et fortement hétérogène. C’est donc ainsi pour donner une certaine légitimité à leur pouvoir que les autorités d’alors ont procédé de la sorte. Cette région a été gérée par un « gouverneur inamovible », Ousmane Mey, qui n’a été remplacé de ce poste qu’au lendemain de l’éclatement de l’ancienne province du Nord en trois provinces à savoir l’Adamaoua (Ngaoundéré), Extrême-Nord (Maroua) et le Nord (Garoua)(18). Aussi, le principe de l’équilibre régional n’est pas resté en congruence avec la philosophie qui la sous-tendait. Dans la partie septentrionale du Cameroun, le bloc historique s’est construit autour de la variable islamique. C’est en effet l’élite islamo-peuhle qui dut bénéficier de l’essentiel des positions de pouvoir et d’autorité. Ahmadou Ahidjo favorisa d’abord la composante socioreligieuse à laquelle il appartenait pendant que la majorité démographique, en l’occurrence les kirdi (chrétiens et autres animistes), fut largement confinée à l’arrière-plan de la gouvernance politique(19). C’est dire que la dynamique d’équilibre régional sécrétait en parallèle des germes de la discrimination et de l’exclusion de certains pans sociologiques(20). Il faut même ajouter que la politique d’équilibre régional s’est adossée sur le « politique des quotas » qui prend le contrepied de la construction nationale dont les dirigeants camerounais ambitionnaient de mettre en œuvre(21). Il est manifeste qu’en regard des luttes ethno-communautaires autour de la gestion de pouvoir au Cameroun, la politique d’équilibre constitue une sérieuse entrave dans la perspective de l’intégration nationale(22).
En général, le pouvoir est souvent monopolisé par le bloc ethno-régional d’où est originaire son détenteur. C’est qu’il est communément admis que du temps d’Ahmadou Ahidjo, le pouvoir appartenait aux « nordistes », et particulièrement au bloc islamo-peuhl, alors qu’aujourd’hui le régime de Paul Biya est vu comme le pouvoir « Beti », c’est-à-dire cette mosaïque ethnique à laquelle appartient le président de la République en fonction. De telles appréhensions plus ou moins fondées, mais toujours réactualisées, soulignent de la manière dont est géré le pouvoir politique en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Il est une habitude bien établie qu’en territoire postcolonial, l’Etat qui est l’épicentre de la distribution des postes et des positions de commandement, constitue à maints égards un lieu d’allocation des rentes, des prébendes et des ressources diverses entre les détenteurs de pouvoir et ses affidés régionaux ou ethniques. Un tel habitus politique est dans une certaine mesure la résultante de la politique d’équilibre régional qui fait de l’Etat et de ses ressources constitutives, une « manne » tombée du ciel, qui doit se distribuer entre les membres d’un groupe social ou d’un clan. Du coup, les positions de pouvoir sont devenues des niches d’accumulation, de partage et de distribution des avantages et des privilèges entre les « frères de village » ou les membres d’un même réseau (politique, mystico-religieux, ethno-culturel…). En parallèle, des fractions entières peuvent être déclassées de ces privilèges en raison de leur décentrement institutionnel, parce que ne disposant pas des relais ou des représentants dans le système. La profusion des demandes ethno-culturelles et des mémoranda au Cameroun depuis le retour du pluralisme politique est une preuve irréfutable de la gouvernance politique qui s’est codifiée dans un « système d’inégalité » (Bayart, 1985) qui laisse à la traîne des communautés et des groupes sociaux sans leadership institutionnel(23).

De son ‘impertinence’ en contexte politique pluraliste

La trajectoire de l’axe « Nord-Sud relève de ce que Bourdieu appelle le « rite d’institution »(24). Les acteurs ethno-politiques se sont de nos jours emparés d’une telle variable pour en faire une clé algébrique pouvant désormais expliquer et même inspirer la circulation de pouvoir à son niveau suprême. Il est bien entendu que l’axe « Nord-Sud » fut édifié et expérimenté dans le contexte monolithique, d’édification de l’Etat-nation au Cameroun. De ce fait, sa modulation participait de la formation d’une société politique qui devrait se refléter la composition ethno-communautaire du pays et de l’arrière-pays. L’association des segments sociologiques différenciés était un préalable à la construction de l’unité nationale dans une société politique fortement éclatée et atomisée au plan ethnique, culturel, linguistique, religieux et idéologique. Dans la durée, le paradigme « Nord-Sud » a fini par se « faire chaire », au point d’habiter les comportements des blocs ethno-régionaux qui se disputent le pouvoir au Cameroun(25). Il est ainsi de plus en plus remis au goût du jour l’expérience amorcée sous l’ancien régime ; laquelle expérience a permis la transmission de pouvoir suprême à un ressortissant de « Grand Sud » (Paul Biya) par un ressortissant du « Grand Nord » (Ahmadou Ahidjo). Le jeu des alliances entre les groupes politiques appartenant à des régions distinctes montre bien que le mental des acteurs ethno-politiques s’est bien saisi de la régulation de pouvoir sous la forme ethno-régionale et donc finalement sous le registre historique de l’axe « Nord-Sud ». Ainsi, la scène politique nationale s’offre comme un espace criblé par des « tactiques », des « ruses » et des « logiques », des « coups » que les différents blocs esquissent soit pour maintenir les sites de pouvoir soit dans la perspective de reconquête des lieux de commandement.
Dès lors, chaque bloc ethno-régional articule des stratégies allant dans un sens ou dans l’autre. Les révélations récentes de certains dignitaires du régime de « Renouveau » rendues publiques par le site de « Wikileaks » sont une preuve tangible de ce que la philosophie de l’axe « Nord-Sud » continue d’imprégner le subconscient d’une bonne fraction de l’élite politique camerounaise(26). Dans ce sens notamment, le postulat est que le pouvoir ayant été remis à Paul Biya (originaire de ‘Grand Sud’) par Ahmadou Ahidjo (originaire du Grand Nord’), il est par conséquent logique que le pouvoir soit retransmis à un ressortissant de la partie septentrionale du pays. C’est bien là une équation « arithmétique » qui saborde largement la complexité du jeu politique et même l’ambivalence de la gestion du pouvoir suprême. Or dans un contexte historique marqué par le pluralisme politique et le jeu des alliances de facture « transactionnelle », le paradigme de l’axe « Nord-Sud » peut-il faire sens au point de se reproduire à l’identique ? Autrement dit, la reconduction de la variable « Nord-Sud » peut-elle avoir raison du contexte démocratique actuel au point de s’ériger en postulat exclusif de circulation de pouvoir suprême au Cameroun ? De fait, le processus de démocratisation de la vie politique nationale amorcée au début des années 1990 a contribué à une forte constellation de la scène politico-idéologique au point de brouiller les principes ayant présidé à la mise en œuvre de l’axe « Nord-Sud » vers les années 1960. Dans un système politique de facture pluraliste, nous assistons de plus en plus à des alliances politiques qui se nouent et se dénouent au gré des enjeux et des intérêts de pouvoir central. C’est même ce pouvoir central qui monte et démonte les fils des alliances en raison justement de la conjoncture de l’environnement. Dès lors, la géopolitique de pouvoir peut prendre la forme plurielle et non plus unidirectionnelle.
Le pouvoir central peut ainsi opter de déplacer les piliers de « l’axe » soient à l’Ouest, soit dans la partie anglophone soit dans la partie littorale ou même les maintenir dans la région du Centre tout en s’appuyant sur des « minorités ethniques ou linguistiques » ou des « communautés intermédiaires »(27). C’est la stratégie de brouillage de toute perspective successorale dans un régime politique à forte dose présidentialiste. L’axe « Nord-Sud » dans sa version originelle peut ainsi subir des mutations dans une visée de délocalisation des centres de gravité politique. Un tel jeu est généralement à l’œuvre lors des remaniements gouvernementaux au cours desquels le président de la République procède à une redistribution des cartes dans l’espace institutionnel. En fonction des positions occupées par l’élite de telle région ou de telle autre, il est mis à l’index sa préséance, sa primauté ou au contraire sa « minorité institutionnelle ». C’est alors que chaque acte de remaniement gouvernemental charrie une série d’appréhensions aussi bien au sein des sociétés locales que chez l’élite politique gouvernante. La réorganisation gouvernementale du 09 novembre 2011qui arrive après les élections présidentielles du 09 octobre de la même année, consacre une sorte de « disgrâce institutionnelle » des régions septentrionales. La sortie de Marafa Hamidou Yaya, jadis Ministre d’Etat, en charge de l’Administration territoriale et de la décentralisation et la mutation d’Amadou Ali, à la présidence de la République comme Ministre chargé des Relations avec les Assemblées, indiquent bien que le « Grand Nord » a subi une véritable reculade en termes du positionnement institutionnel stratégique. Ce décentrement institutionnel des acteurs « influents » de la scène politique régionale peut être appréhendé comme une déconstruction de l’axe « Nord-Sud » par le pouvoir central(28).
Par conséquent, le centre de gravité politique peut désormais se relocaliser dans la partie occidentale du pays où l’on voit que le Secrétariat général du Comité central du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), a été confié à Jean Kuété, une élite de la région de l’Ouest(29). Il est désormais loisible de postuler du caractère mobile et mutant de la politique des « axes » dans la circulation de pouvoir au Cameroun. C’est dire que le contexte politique actuel offre une palette d’opportunités au détenteur de pouvoir suprême notamment dans la construction et la déconstruction des alliances avec tel bloc régional ou tel autre. En effet, aujourd’hui et ce depuis la réinstauration du pluralisme politique, le pouvoir articule une technologie de gestion des alliances qui dénote de la stratégie et de la rationalité ajustée au moment démocratique comme d’un contexte de forte collusion et de transgression des « règles du jeu » qui firent sens dans le contexte monolithique. Dans ce cas, que le régime de Biya ait opté de s’allier les principaux leaders de l’opposition « nordiste » procède d’une tentative de fragilisation de ceux qui seraient tentés ou habités par l’ambition de succession à la magistrature suprême. C’est une logique d’endiguement et d’obstruction d’un leadership régional. Le pouvoir central choisit ainsi d’avoir plusieurs interlocuteurs, appartenant à des factions idéologiques opposées, comme cela est observé dans le département de la Bénoué (Nord)(30). Du coup, il devient analytiquement risqué d’ériger l’axe « Nord-Sud » comme horizon indépassable dans la dynamique de circulation de pouvoir au Cameroun. Parce que le moment démocratique consacre ce que Dobry appelle la « conjoncture critique »(31), la problématique des « axes » peut ainsi configurer une trajectoire multidirectionnelle et multisectorielle. Aussi, dans une gouvernance à orientation présidentialiste, toujours habitée par le désir d’éternité au pouvoir, la perpétuation de l’axe « Nord-Sud » peut être une entorse dans la dynamique « perpétualiste »(32) de pouvoir politique(33). De toute évidence, à l’opposé du monolithisme, le pluralisme démocratique institue en parallèle la diversité des options dans la construction, la reconstruction et la déconstruction des « axes » qui indiquent la circulation de pouvoir suprême. Le président de la République reste le régulateur exclusif et solitaire de cette dynamique.
Conclusion : La formule de l’axe « Nord-Sud » dont les caractéristiques saillantes viennent d’être analysées interroge en effet la gouvernance politique au Cameroun. Elle est toujours émettrice des signaux sur l’interaction du bloc gouvernant et projette des représentations collectives de pouvoir au sein des communautés et des régions. Paradigme postcolonial de circulation de pouvoir, l’axe « Nord-Sud » institué en « politique d’équilibre régional » met en tension la formation d’une société nationale à l’intérieur de laquelle les segments ethno-régionaux font abstraction de leur particularisme dans leur rapport et dans leur sociabilité. Certes, l’axe « Nord-Sud » subit aujourd’hui le poids des « contraintes » induites par le pluralisme démocratique, mais son « esprit » hante toujours la dissémination des positions de pouvoir au sein même de l’élite gouvernante à quelque échelle que ce soit. Toutefois, la question est bien de savoir si la technologie de l’axe « Nord-Sud » est une pièce inchangeable en l’état dans la dynamique de régulation de pouvoir au Cameroun.
Alawadi Zelao
Notes
1 Lire Alawadi Zelao, « Le jeu politique en Afrique centrale. La dialectique historique entre centralisme et clientélisme », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n° 41, 2009, pp. 33-40.
2 Il suffit d’évoquer les conflits interrégionaux qui jalonnent l’histoire politique des Etats dans cette partie de l’Afrique noire. Ces expériences sont présentes au Congo (Brazzaville) des années 1990, au Tchad depuis le milieu des années 1980, au Cameroun depuis la crise successorale des années 1983-1984 ayant mis en scène les partisans de l’ancien président Ahmadou Ahidjo et ceux de nouveau président Paul Biya. Lire Jean-Pierre Biyiti bi Essam, Cameroun : complots et bruits de bottes, Paris, L’Harmattan, 1984 ; Etanislas Ngodi, Milicianisation et engagement politique au Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Mohamed Tétémadi Bangoura, Violence politique et conflits en Afrique : le cas du Tchad, Paris, L’Harmattan, 2005.
3 Voir Roland Pourtier, Le Gabon. Etat et développement, Tome 2, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Emmanuelle Nguema Minko, « Géopolitique et anthropologie du pluralisme au Gabon : stratégies de longévité politique et techniques gouvernantes clientélistes-clanistes », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n°  37, 2008, pp. 31-36.
4 Florence Bernault, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo-Brazzaville, Gabon : 1940-1965, Paris, Karthala, 1996.
5 Il est ainsi communément admis dans l’opinion que les Bamiléké, en raison de leur puissance économique ne doivent pas hériter de pouvoir politique. Aussi, la transmission de pouvoir à Ahmadou Ahidjo par les autorités coloniales françaises (Louis Paul Aujoulat, Jean Ramadier …), était adossée à l’explication facile selon laquelle les Foulbé forment un groupe social « centralisé » où le système de commandement est bien ancré dans les mœurs. Sur la construction coloniale des identités ethniques au Cameroun, voir Dugast, Inventaire ethnique du Sud-Cameroun, Paris, IFAN, 1949.
6 Voir Janvier Onana, Le sacre des indigènes évolués. Essai sur la professionnalisation politique, Paris, Dianoia, 2004.
7 Cf. Abel Eyinga, Introduction à la politique camerounaise, Paris, L’Harmattan, 1984.
8 Pierre Messmer, Les Blancs s’en vont, Paris, Fayard, 1998 ; Bouopda Pierre Kamé, La quête de libération politique au Cameroun (18841984), Paris, L’Harmattan, 2006.
9 Ces deux sites à connotation géographique sont loin d’être ethniquement, culturellement, sociologiquement et historiquement homogènes. Le « Nord » comme le « Sud » sont des réalités complexes qui recouvrent en leur sein une somme des sociétés indigènes, disposant chacune d’une spécificité identitaire et d’une réalité historique propre. Du coup, la trajectoire « Nord-Sud » relève d’une imagination politique qui fait écho au système de l’administration coloniale.
10 Sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, les premiers ministres ont été des « originaires » du Sud. Il s’agit de : Charles Assalé, Vincent de Paul Ahanda, Simon Pierre Tchoungui et Paul Biya.
11 Après l’avènement de l’Etat unitaire au Cameroun en 1972, l’Assemblée nationale sera respectivement gérée par Salomon Tandeng Muna (1972-1983) et Fonka Sheng Laurence (1983-1992).
12 Ce sont les médias qui se font l’écho de telles appréhensions manifestées au sein du corps social. C’est alors qu’à la suite du remaniement survenu au lendemain des élections présidentielles du 09 octobre 2011, des récriminations fusent de toutes parts, mettant en cause la répartition inégale voire discriminatoire des postes ministériels dans les régions composant la République du Cameroun. Lire L’œil du Sahel, n° 460, 2011 ; Aurore plus, n° 1375, 2011, La Tribune sahélienne, n° 37, 2011.
13 Il y a tout un stock de représentations et de pratiques sociales de pouvoir au Cameroun. L’entrée comme la sortie du gouvernement d’une élite locale donne toujours lieu à des scènes subséquentes de fêtes populaires ou de ressentiments. C’est dire que la « politique d’équilibre régional » s’est faite « chaire » et imprègne fortement l’agir des communautés en interaction au Cameroun.
14 Ce qui explique l’organisation des fêtes « populaires » lors des promotions institutionnelles des « fils de terroir ».
15 Jean-François Bayart, L’État au Cameroun, Paris, FNSP, 1985.
16 Pierre Flambeau Ngayap, Cameroun. Qui gouverne ?, Paris, L’Harmattan, 1983.
17 Ainsi tout au long du régime d’Ahidjo, il a été projeté la vision duale des blocs régionaux : le ‘Nord’ est musulman, le ‘Sud’ est chrétien. Cela relève de la construction idéologique des « régions », qui institue par conséquent la dominance des strates sociologiques régnantes. Une telle appréhension est contenue dans les propos de Vice-premier Amadou Ali, rendus publics par Wikileaks : « […] l’équation de la stabilité du Cameroun repose sur les variables de la détente entre le groupe ethnique Béti-Bulu de Biya, majoritaire dans la région Sud du pays, et les populations des trois régions nordistes, connues comme le septentrion, qui sont ethniquement et culturellement distinctes du reste du pays », Aurore plus, n° 1348, 2011, p. 5.
18 Depuis 2008, le Cameroun est passé du stade de « province » à celui de « région ».
19 Alawadi Zelao, « Dynamique de la société politique au Nord-Cameroun. L’espace politique régional entre monopolisation et démonopolisation », Thèse de Doctorat Ph/D en Sociologie politique, Université de Yaoundé I, 2006. A ce sujet, le journaliste Henri Bandolo écrit : « Ahmadou Ahidjo étant au pouvoir et au nom des équilibres, nombre de cadres peulhs et musulmans avaient pu bénéficier de promotions et de privilèges que ne justifiaient pas toujours leur formation, leurs qualifications, leurs mérites et leurs compétences. Ahmadou Ahidjo parti, ils n’étaient plus assurés de pouvoir continuer à bénéficier d’une situation qui leur avait été si profitable, malgré leurs insuffisances », Henri Bandolo, La flamme et la fumée, Yaoundé, Sopecam, 1986, p. 378.
20 Cette marginalisation peut aussi bien s’exprimer au niveau macro-sociologique (Etat) qu’au niveau micro-sociologique (au sein même des communautés à la base). Dans ce cas, il faut indiquer que ce sont les « blocs hégémoniques » qui ont été les principaux bénéficiaires de la politique d’équilibre régional. Il est même constant d’observer une reproduction de l’élite et donc de certaines composantes sociologiques dans les sphères de pouvoir. Cela montre désormais que la représentativité institutionnelle des groupes sociaux peut être tout simplement un « masque idéologique » qu’agite le pouvoir pour contrer les velléités de contestation de certaines composantes exclues de la rente étatique. Voir Luc Sindjoun, L’Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002.
21 David Simo (dir), Constructions identitaires en Afrique, Yaoundé, Clé, 2006.
22 C’est en effet la « conscience nationale » qui ferait bien défaut aux gestionnaires de pouvoir politique en raison d’une gouvernance axée sur la variable « ethno-régionale » qu’ils ont instituée. Lire Paul Nchoji Nkwi et Francis Nyamnjoh (ed), Equilibre régional et intégration nationale au Cameroun. Leçons du passé et perspectives d’avenir, Yaoundé, ICASSRT MONOGRAPH I, 1997 ; Charly Gabriel Mbock (dir), Les conflits ethniques au Cameroun. Quelles sources, quelles solutions, Yaoundé, Editions Sagraaph, 2000.
23 Lire Anthologie des revendications ethniques au Cameroun, C3, Yaoundé, 1992 ; Dieudonné Zognong et Ibrahim Mouiché (dir), Démocratisation et rivalités ethniques au Cameroun, Yaoundé, CIREPE, 1997.
24 Pierre Bourdieu, « Les rites d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 43, 1982, pp. 58-64.
25 Lire dossier de Repères : « Pouvoir suprême. La bataille des ethnies pour la succession », n° 240, 2011, pp. 2-3.
26 Ainsi selon Wikileaks, Amadou Ali, à l’époque Vice-premier Ministre, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, aurait confié à l’ex-Ambassadrice des Etats-Unis au Cameroun, Janet Garvey ceci : « Les trois régions septentrionales vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaitera demeurer président, mais le prochain président du Cameroun ne viendra p as de l’ethnie beti/bulu de Biya. Les Betis sont trop peu nombreux pour s’opposer aux nordistes, encore moins au reste du Cameroun. Des Bamilékés ont fait des ouvertures à des élites du Nord pour forger une alliance entre leurs régions respectives, mais les nordistes étaient si méfiants sur les intentions des Bamilékés qu’ils ne concluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique bamiléké », Mutations, n° 2988, 2011.
27 Cela transparaît clairement dans les propos de Jean Nkuété tenus à l’endroit des députés de l’Ouest en 2007 : « Le chef de l’Etat ne fait plus confiance aux nordistes. Il veut changer d’alliance et se tourner vers l’Ouest. Mais avant, il m’a chargé de demander votre position sur la question de la modification de la Constitution. Il voudrait savoir si l’Ouest est prêt à soutenir la démarche. Il a besoin de ce soutien », Le Jour, 13 décembre 2007.
28 Lire L’œil du Sahel, n° 460, 2011 ; Le Septentrion, n°006, 2011 ; Ouest littoral, n° 54, 2011 ; La Tribune Sahélienne, n° 37, 2011.
29 Si l’on se situe dans la perspective que le Rassemblement démocratique du peuple Camerounais (Rdpc), en tant qu’appareil politique hégémonique peut jouer un rôle décisif dans la dynamique de mutation de pouvoir au sein du système politique camerounais. L’on peut à ce titre évoquer l’exemple du Parti démocratique gabonais (Pdg) qui, après le décès du président Omar Bongo Ondimba, a positionné son fils Ali Bongo comme candidat de ce parti dans le cadre des élections présidentielles tenues en 2009.
30 Ce département de la région du Nord concentre les principaux alliés au régime de Paul Biya. Il s’agit principalement de Bouba Bello Maigari président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) et Issa Tchiroma Bakary, leader de Front du salut national pour le Cameroun (Fsnc). La Bénoué est aussi le département d’où est originaire Marafa Hamidou Yaya à qui l’opinion prête des ambitions à la succession au pouvoir suprême au Cameroun. La nomination de Mohamadou Badjika Ahidjo, fils de l’ancien président Ahmadou Ahidjo et cadre de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp), au poste d’Ambassadeur itinérant, s’inscrit en quelque sorte dans une visée de « réconciliation nationale » lorsqu’on sait que le corps du premier président Camerounais gît toujours en terre étrangère (Sénégal). Le pouvoir central travaille ainsi au démantèlement d’un « leadership monolithique » incarné par un seul acteur ou un seul bloc.
31 Miche Dobry, La sociologie des crises politiques, Paris, PFNSP, 1992.
32 Mathias Eric Owona Nguini, « Le gouvernement perpétuel en Afrique centrale : le temps politique présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la Cemac », Enjeux. Bulletin d’analyses géopolitiques pour l’Afrique centrale, n° 19, 2004, pp. 9-14.
33 Ainsi, le système politique travaille à inhiber toute velléité de « dauphinat » au sein de l’équipe dirigeante. D’où la formation des groupuscules comme le « G11 », constitué de certains membres de l’establishment politique, qui ambitionnaient de prendre le pouvoir en 2011. Certains membres de ce Groupe sont écroués à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé pour corruption et détournement des deniers publics selon le discours officiel.



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