• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Quand Paul Biya a honte de son bilan

Quand Paul Biya a honte de son bilan

Envoyer Imprimer PDF
Note des utilisateurs: / 0
MauvaisTrès bien 
Index de l'article
Quand Paul Biya a honte de son bilan
Page 2
Toutes les pages

Lorsqu’un chef d’État s’adresse à la Nation à l’occasion de la fin d’année et du nouvel An, ses compatriotes s’attendent à ce qu’il fasse le bilan de l’année écoulée en tirant les leçons des échecs enregistrés au cours de l’année qui s’achève et présente des perspectives pour la nouvelle année. Ils s’attendent pour ainsi dire à ce qu’il parle de ce qui n’a pas marché, de ce qu’il a fait et de ce qu’il fera. Paradoxalement, Paul Biya vient de s’adresser à la Nation comme s’il venait de prendre le pouvoir au Cameroun. Le seul bilan de l’année 2011 évoqué est son élection à la tête de l’État. Il parle des élections dont les «dysfonctionnements seront corrigés » et de sa campagne électorale qui a proposé la «nouvelle dynami[t] aux Camerounais.
Fidèle à sa logique guerrière, il n’a pas hésité dès l’entame de son discours de verser dans le registre de l’invective et de l’injure inutiles et puériles. Sinon comment comprendre cette déclaration : « Vous avez fait le choix de la stabilité et de la paix, apportant ainsi la preuve de votre intelligence de la situation et de votre sens des responsabilités. » ? Autrement dit, si le choix avait été porté sur un autre, la partie du peuple  camerounais qui avait voté pour lui aurait fait le choix de l’instabilité et de la guerre, apportant ainsi la  preuve de sa stupidité ou de sa bêtise de la situation  et de son sens des irresponsabilités.
En s’exprimant ainsi le vacancier au pouvoir (Libération, 16 février 1995) depuis 1982 reste égal à lui-même : moi ou le chaos. Il feint d’ignorer qu’il est mortel, qu’avant lui le Cameroun a existé et continuera d’exister après lui. N’avait-il pas déjà qualifié, lors de la récente campagne électorale, ses adversaires politiques de « champions de la critique pour la critique », de « bonimenteurs du chaos », de « ténors de la péroraison creuse» et de  « ceux qui ne voient que le mal partout » ?
Pour le reste, c’est du y en a marre , du pareil au même. Car, cela fait 30 ans qu’il parle de la relance économique et de la lutte contre la corruption. Une telle banalité rabâchée du bout des lèvres et de la même manière chaque année, sans convaincre, sans conviction et sans un peu d’égard à l’endroit du peuple famélique en guenilles qui écoute, ne peut pas permettre de sceller le pacte de confiance qu’il réclame à travers son élection sans panache, le 09 octobre 2011.
Pire encore, on ne sait à quelle réalité il fait référence dans l’environnement cognitif camerounais quand il dit que nous «nous voici  au seuil de la première étape de notre ‘longue marche’ vers l’émergence ». Paul Biya considère-t-il qu’en 30 ans de règne, on n’est qu’à la « première étape » de l’émergence ? Oublie-t-il ou feint-il d’ignorer que lorsque la magistrature suprême lui a été octroyée, le Cameroun était classé parmi les pays à revenu intermédiaire ? Qu’est devenu le Cameroun depuis lors ? Un pays pauvre et très endetté (Ppte). On aurait voulu que pareille phrase soit prononcée par un Président Lula qui a résolument engagé le Brésil sur le chemin de l’émergence et l’a hissé au sixième rang des puissances économiques mondiales.
En 2006, à l’occasion du troisième congrès extraordinaire du Rdpc, on pouvait se féliciter que  le bonimenteur Paul Biya reconnaisse, comme à l’accoutumée, ses manquements dans son discours de politique générale. Et depuis lors, il ne fait que cela. En formulant son vœu de l’avènement d’une « République exemplaire », on se demande s’il prend en compte l’exigence de la démission des responsables en cas d’échec. Paul Biya ne devrait pas se contenter aujourd’hui de dire qu’il a échoué. Il devrait démissionner afin que s’accomplisse les vœux de réalisation d’«un État juste » et d’ «une Nation respectée à l’extérieur » où l’on travaille pour « améliorer les conditions de vie de notre population qui ne sont pas toujours dignes d’un pays comme le nôtre ». Il ne devrait plus se contenter de faire son mea culpa : « Je pense que, dans le passé, l’action gouvernementale a souffert d’un déficit d’esprit d’entreprise et que l’administration a péché par immobilisme. Nous devons venir à bout de cette inertie qui nous a fait tant de mal. » Il devrait montrer un comportement « exemplaire ». Étant donné que les Camerounais veulent qu’il prêche par l’exemple. Et comme il se dit communément, l’exemple vient d’en haut.
Le bilan de Paul Biya caractérisé par 30 ans « d’immobilisme » et d’une gestion à l’emporte caisse ne l'autorise pas de tenir des discours nationalistes relatifs au développement du Cameroun. D'ailleurs, quel contenu donne-t-il à ce concept? Un nouveau leader dynamique ferait foule à sa place avec une déclaration comme la suivante : « je crois que nous devrions faire de la relance une véritable cause nationale. […] faire décoller le Cameroun, comme l’ont fait il y a une trentaine d’années les nouveaux ‘’dragons’’ asiatiques. Ce ‘patriotisme’ économique pourrait rassembler toutes les forces vives du pays. »
Indubitablement, Paul Biya n’est pas un modèle de patriotisme car, la majorité des Camerounais ayant choisi de s’abstenir de voter pensent que pour le bien du Cameroun, il n’aurait pas dû se présenter à la dernière élection présidentielle. Il fait donc partie, aux yeux de cette majorité (momentanément) silencieuse, de ceux qu’il critique à savoir : ceux qui ne recherchent dans un élan de « népotisme » que leur « profit personnel au détriment de l’intérêt général, lequel devrait pourtant être la règle d’or du service public ». De nos jours, ce président de la République, qui est toujours en court séjour privé dans son propre pays, n’est pertinent que pour ses « créatures » et «esclave» (dixit Jacques Fame Ndongo) et rigolos qui gravitent autour de la mangeoire pour parachever le dépècement du Cameroun au moment où lui-même affirme qu’il est temps pour toute la population de «recueillir les fruits des sacrifices » consentis.
Somme toute, on ne sait pas ce que Paul Biya fera en 2012. Ah si, il s’occupera de la « relance de la croissance », un concept en vogue que prononcent tous les chefs d’Etat. Sauf que, l'utilisation de ce concept doit s’accompagner d’un programme d’action. On est quand même en droit d’être sceptique, car il faut reconnaitre que sous Paul Biya on n’a jamais eu une croissance supérieure à 4%.  Au contraire l‘essentiel de son règne a été caractérisé par un taux de croissance négatif alors que celui-ci était au-delà de 7% lorsqu’il accédait au pouvoir dans un contexte économique international pourtant défavorable. Pour l’opinion camerounaise, le régime de Biya n’a été marqué que par des « crises », à telle enseigne qu’il est obligé de se dédouaner pour en parler : « Il n’est pas question ici de chercher des excuses pour nos performances insuffisantes mais simplement de rappeler les faits ».
Au demeurant, on comprend que le Cameroun des « grandes réalisations » se conjugue encore au conditionnel : «Si, comme je le pense, nous réussissons à relancer vigoureusement notre activité économique, la situation de l’emploi devrait sensiblement se détendre ».  Il aura fallu 30 ans d’exercice de pouvoir pour que Paul Biya, qui est toujours en transit au Cameroun, comprenne enfin que l’« aide internationale » ne peut développer un pays et que seule une politique économique endogène et ambitieuse peut effectivement y parvenir. Il le reconnaît en disant : « Il en ressort que nous devrons de plus en plus compter sur nos propres efforts, nous inspirer de l’expérience des pays émergents ». Mieux vaut tard que jamais. Pourvu qu’il ait le temps, la force physique et la santé nécessaires pour tenir plus de trois (3) conseils des ministres pendant les sept prochaines années afin de battre le record du dernier septennat au cours duquel il n’avait réuni ses ministres que trois (3) fois. Impossible n’est pas Camerounais. Un miracle peut toujours se produire. Et la poule peut même avoir des dents.
Jean-Bosco Talla et Louis-Marie Kakdeu