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Paul Biya et la nouvelle Dynamite - Page 11

Paul Biya et la nouvelle Dynamite - Page 11

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Index de l'article
Paul Biya et la nouvelle Dynamite
Serail: Le bullocrate
Au coeur des inconguités d'un congrès
Parole d'un bonimenteur
Paul Biya fait semblant de changer pour que rien ne change
Palais des congrès: l'enfer du décor
Quand Paul Biya rate le coche
Discours pathétique d'un vieillard somnanbule
Discours creux
Un discours fourre-tout et passepartout qui confond discours politique et cours magistral
Comment sortir du
Toutes les pages

Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié
Comment sortir du "Biyaïsme effectif" et du "Biyaïsme sans Biya"
Auteur de Le Biyaïsme : le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs, publié aux Editions L’Harmattan, il pense que le biyaïsme est un échec retentissant et pense qu’il est plus que temps de combattre l’attiédissement de la pensée critique qui sévit au Cameroun.
Germinal
: À la lecture du récent ouvrage sur Le Biyaïsme que vous venez de commettre, les lecteurs africains et camerounais en particulier comprennent que vous les invitez à renouer avec la pensée critique et plurielle. Est-ce une bonne compréhension de votre ouvrage ?
Thierry AmougouEn effet. À mon humble avis, notre pays court un grand danger dû au fait que plusieurs Camerounais éclairés sont entrés pieds et mains liés dans le monde des intellectuels organiques qui ne produisent plus que pour la continuité du système qui les nourrit. A contrario, l’ouvrage que je viens de publier chez l’Harmattan essaie de renouer avec la pensée libre et critique. A ce titre, il va à contre-courant des œuvres insipides, politiquement corrompues et tendancieuses d’une certaine élite camerounaise de l’intelligence désormais spécialisée dans la manipulation tous azimuts du peuple camerounais : les quatre tomes de « Paul Biya, l’appel du peuple » en témoignent. Ce sont, ces derniers temps, les morceaux choisis les plus marquants de ce malsain copinage politico-cognitif au sein de l’Etat camerounais. Mon ouvrage se situe à mille lieues de cette propagande des intellectuels démissionnaires, faussaires et pusillanimes par rapport à leur fonction d’analyser froidement un régime politique dans le but de donner des clés de lecture au peuple camerounais et aux citoyens du monde.
J’estime qu’il est plus que temps de combattre l’attiédissement de la pensée critique qui sévit au Cameroun. Elle se révèle être un aspect prépondérant du « Biyaïsme » en action depuis 1982 à travers l’embrigadement des esprits dans une pensée unique au point de donner lieu à ce que j’appelle « la politique du perroquet ». C’est-à-dire le fait, tel un perroquet face à son maître, de ne plus s’exprimer qu’en répétant ce que pensent et disent les possédants érigés en maîtres de toute la société camerounaise. Près de trente ans après sous le Renouveau national, il est primordial d’en sortir, non seulement parce qu’une élite de l’intelligence qui cire les pompes du dictateur est pire que le dictateur lui-même, mais aussi parce que la dictature devient totale lorsqu’elle trouve son plus puissant appui dans une démission de la pensée critique qui laisse le champ libre à ce que j’appelle dans ce livre « une pensée de connivence » et/ou « un militantisme scientifique pour des fins politiques ».
« Une pensée de connivence » est une pensée orpheline de la distance, de la réflexivité analytique et du souci d’objectivité dont font peu de cas les intellectuels organiques du Renouveau National et dont les conséquences sont l’incurie chronique du régime et l’enjolivement à outrance du régime politique auquel le penseur doit son standing social et économique. « Le militantisme scientifique » consiste, quant à lui, à utiliser son statut d’intellectuel et son aura scientifique confirmés pour tourner le peuple camerounais en bourrique en ramenant et en étriquant les débats politiques dans des arcanes pseudo-scientifiques que ne maîtrise pas toujours ledit peuple. Il en résulte une production d’un nouveau langage politique dont le but est moins de populariser le débat politique en se basant sur les modes populaires d’expressions et d’actions politiques, que de le cadenasser afin de le confiner au profit d’un petit cercle d’initiés qui promeut ainsi le renforcement de la dictature par arguments scientifiques interposées : c’est « la pensée criminelle et/ou faussaire». En dehors de quelques exceptions qui confirment la règle, le Cameroun est devenu un pays où le capital humain de son élite nationale de l’intelligence est moins une source d’externalités positives pour les populations et le développement du pays, qu’un outil d’aliénation des masses populaires et d’accumulation personnelle sur le dos de l’Etat et desdites populations.
Je me démarque de ces deux attitudes à la fois par hygiène intellectuelle et par souci de restituer à notre pays la pluralité de pensée qui donne toute sa vitalité et sa créativité à un écosystème sociopolitique. Cela est fait dans un avant-propos où, entre autres choses, je rappelle le rôle et la fonction d’un intellectuel dans une société, d’un citoyen par rapport à la gestion de la cité, de la rationalité critique dans la construction de la démocratie et de la capacité de penser le Cameroun par soi-même, au-delà de Biya et de la présidentielle de 2011. Ces acteurs et ces évènements ne sont que ce que Fernand Braudel appelait des poussières face à la dynamique de longue durée d’un pays comme le nôtre. Dès lors, la méthode d’analyse de mon livre est à la fois historique (périodes coloniales et postcoloniales), synchronique (œuvres actuelles du régime en place), prospective (conditions de sortie du Renouveau national). Le tout soutenu par une épistémologie critique, une interdisciplinarité et une conceptualisation qui se nourrissent, tant des expériences et des expressions populaires et élitistes de l’action, que de la théorie des sciences sociales. Les quatre parties du livre présentent ainsi l’avantage rare de convenir à la fois aux Camerounais ordinaires et aux adeptes de réflexions plus poussées sur des épisodes de la vie politique camerounaise : le savant et le populaire, pour paraphraser Grignon et Passeron, trouvent donc chacun son compte dans ce livre que je pense novateur dans l’analyse de la trajectoire politique du Cameroun sous Biya, de ses problèmes historiques et des défis actuels et futurs de notre pays.
À mon humble avis, l’authenticité de l’analyse réside aussi dans ce nouveau langage et cette nouvelle expression du politique que j’essaie de trouver en m’inspirant de l’homme de la rue, des musiciens et des humoristes camerounais, des hommes en tenue, des étudiants et des vendeurs à la sauvette. Je pense que le rôle de l’intellectuel dans la construction démocratique consiste aussi à inventer un nouveau langage du politique et de ses jeux afin que le non spécialiste puisse en parler car la démocratie revient à permettre aux non spécialistes de notre société de faire et de dire la gestion de la cité par des mots qui traduisent le réel de leur quotidien le plus ordinaire. J’essaie de remplir cette mission dans ce livre sans pour autant renoncer au travail d’épuration conceptuelle et analytique du scientifique car les acteurs du terrain et le scientifique se nourrissent mutuellement dans la compréhension du monde.

En outre, le lecteur découvre plusieurs niveaux du biyaïsme. À quoi renvoie ces différents niveaux d’approche que sont : « Le Biyaïsme basique », « le Biyaïsme formel », « le Biyaïsme systémique » et « le Biyaïsme sans Biya » ?

Mon ouvrage amène effectivement le lecteur à découvrir plusieurs niveaux d’approches du « Biyaïsme ». Premièrement, « le Biyaïsme basique » est tout simplement la modalité de prise de pouvoir par Biya, la conception dudit pouvoir par lui et sa gouvernance depuis 1982. Cette lecture élémentaire est basée sur le fait que le « Biyaïsme » est un néologisme dont la racine et Biya, nom de l’actuel Président camerounais. Deuxièmement, il y a un « Biyaïsme purement formel » qui se conçoit de façon déclamatoire et prosaïque par le biais du livre Pour le Libéralisme communautaire : ensemble d’éléments symboliques et programmatiques restées lettres mortes depuis leur publication. Et, troisièmement, il existe un « Biyaïsme effectif » entendu comme l’action politique concrète de Biya depuis 1982. Il se caractérise par un décalage colossal d’avec « le Biyaïsme formel » toujours congelé au niveau prosaïque et des pures intentions.
Cependant, étant donné que Biya n’est pas né en 1982 ni biologiquement, ni politiquement, « le Biyaïsme systémique » est un système politique entendu comme un produit dérivé de l’histoire coloniale et postcoloniale camerounaise. Il devient à la fois une variable expliquée par l’histoire du Cameroun colonial et le Cameroun sous Ahidjo, et une variable explicative de la dynamique du Cameroun depuis 1982. Il acquiert ainsi les qualités d’un système politique, c’est-à-dire d’un réseau symbolique et fonctionnel qui organise le pays depuis 1982 tout en ayant des paramètres antérieurs à 1982 (aspect diachronique), synchroniques (c’est le régime actuel) mais aussi exogènes (rapports avec l’anciennes puissance coloniale). « Le Biyaïsme sans Biya » est donc possible à l’instar d’un système colonial sans « colons blancs » mais avec la perpétuation de l’esprit colonial par les indigènes au pouvoir depuis 1960 : les peaux noires masques blancs dont parlait Franz Fanon n’ont pas disparus.
En effet, une fois que « le Biyaïsme systémique » devient un ensemble de comportements et de pratiques politiques qui s’autonomisent au point de ne plus dépendre de la présence au pouvoir de Biya, le pays peut entrer dans une dynamique d’aliénation car la société camerounaise ne maîtrisera plus son système politique qui entrera dans une dynamique indépendante de la volonté du peuple camerounais. Je montre que cela n’est pas une nouveauté que vit ce peuple car c’est déjà le cas depuis l’Etat colonial : Ahmadou Ahidjo et Paul Biya que le peuple camerounais n’a jamais mis en place par sa volonté, sont devenus les deux présidents du Cameroun par cette stratégie d’aliénation qui entraîne un effet d’éviction de la volonté populaire sur l’orientation du destin du pays. En conséquence, ce livre que j’offre à mon pays, présente les manifestations concrètes de tous ces types de « Biyaïsme ». Il insiste sur leurs effets sur le Cameroun, ses populations et l’avenir. Ce dernier aspect est primordial car je ne me limite pas à la conceptualisation. Ce sont les faits et leurs conséquences qui donnent un fondement empirique aux concepts qui me permettent juste de saisir le réel camerounais afin de le rendre intelligible.
Dès lors, le divorce entre les élites et le peuple dont traite la première partie du livre ; le décalage entre le lexique politique du « Biyaïsme » et ses résultats concrets dont traite la deuxième partie; le paradigme du pays organisateurs et ses travers dont parle la troisième partie sont très explicites dans les manifestations concrètes des différentes formes de « Biyaïsme » et leurs conséquences. Les trente propositions de la quatrième partie du livre s’adossent de façon contradictoire sur l’Etat désastreux du Cameroun construit par le Renouveau national depuis 1982.
En outre, je montre l’extrême plasticité du « Biyaïsme » dans mon livre car il se réinvente sans cesse. On ne peut épuiser sa compréhension sans analyser le rapport du Renouveau National au peuple, au corps, à la sorcellerie, au sexe, aux sectes, au christianisme, au savoir, aux intellectuels, au pouvoir traditionnel, à la France, à la mort, à la Constitution, à l’opposition politique, au temps, à la jeunesse, à la politique extérieure et à la démocratie. Je tente de le faire dans ce livre. Si je prends par exemple son rapport au corps, il apparaît que « le Biyaïsme » a un double rapport au corps: d’un côté, c’est le culte du corps du Président qu’il entretient par le sport, l’habillement, le repiquage de cheveux pour couvrir une calvitie naissante, et les soins médicaux par de récurrents séjours en Suisse. C’est aussi la première dame qui, comparativement à la stature intellectuelle de la défunte Jeanne Irène Biya, n’est qu’un corps dont l’esthétique, les ornements et les coquetteries témoignent d’un certain culte du corps et de son apparence publique. Cependant, de l’autre côté, « le Biyaïsme » néglige, par sa gouvernance, les corps des Camerounais. Ceux-ci sont en souffrance parce que sans travail, sans loisirs et sans soins de santé parce que sans revenus et sans hôpitaux dignes de ce nom. Mettre son corps et ceux des siens aux petits soins quand les corps du peuple souffrent est une autre façon de cerner « le Biyaïsme » à travers son rapport dual au corps. Dès lors, comme le corps vieillit et entraîne obligatoirement avec lui le déclin d’un pouvoir phallique dans une société camerounaise patriarcale, mon livre montre que l’Afrique et le Cameroun font face à des présidents qui, plus l’âge avance, régressent dans l’enfance et transforment le pouvoir exécutif en un substitut à la défaillance de leurs performances phalliques. La lecture freudienne de la dictature subsaharienne que je fais à ce niveau montre une addiction au pouvoir qui renforce les dictatures africaines plus l’âge des présidents avance : autant un bébé ne peut dormir que s’il a avec lui sa peluche la plus aimée, autant un vieillard au pouvoir ne peut donner des ordres aux collaborateurs et aux femmes que parce qu’il garde son pouvoir exécutif. Dans la culture bantoue, la dépendance du vieillard par rapport au pouvoir exécutif est en fait assimilable à celle d’un bébé qui ne peut prendre son bain qu’avec l’aide de quelqu’un. Ainsi, ce que j’appelle « la libido accumulative » se traduit aussi par la collection continue de mandats présidentiels car le corps en déclin continue de faire illusion grâce au pouvoir de commandement qu’on détient. Dès lors, le drame que vit l’Afrique Noire est que la dictature politique replonge le continent et ses populations dans l’enfance dans tous les domaines. Ce qui est très grave car une Afrique dans l’enfance n’est rien d’autre qu’une Afrique sous le joug colonial.
Ceci étant dit, « la médiocrité politique » dont je parle traduit le fait qu’un pouvoir qui se veut éternel se conçoit plus comme « une fin de l’histoire » que comme un moyen dans la continuité de l’histoire du Cameroun. Ses objectifs deviennent dès lors plus généalogiques qu’historiques, plus individuels que collectifs et plus de consommation des privilèges du pouvoir que de construction d’un « surplus vital » pour tout le monde. En conséquence, la dérive libidineuse d’une élite au pouvoir focalisée dans l’accumulation tous azimuts par « feymania d’Etat » interposée, contamine aussi un peuple appauvri et obligé à son tour d’user d’une « feymania populaire ». Il en résulte que « la médiocrité du haut du haut de l’Etat » rejoint celle du bas du bas de celui-ci à cause, non seulement d’une crise sociale (inégalités criantes), mais aussi d’une crise civique. L’asymétrie des droits et des devoirs entre le peuple et les élites et le triomphe des droits aménagés par le régime sur les droits républicains, libèrent finalement la satisfaction de purs instincts animaux. Ils deviennent les objectifs ultimes d’une société camerounaise où le « j’ai donc je suis » devient la norme suprême : c’est « la (dé)civilisation des mœurs » qui prend le pas sur la domestication des pulsions animales visée au sein et par de l’Etat détenant le monopole de la violence légitime. Les faits dont traite l’opération Epervier au sein d’un régime dont le crédo en 1982 était la rigueur et la moralisation des comportements, en constituent l’incarnation la plus aboutie : la crise politique que vit le pays est la résultante de toutes ces dynamiques régressives qui vouent « le Biyaïsme » aux gémonies.

Qu’elles sont la nature et la portée des trente propositions que vous faites dans le livre ?

J’achève mon livre par trente propositions concrètes même si j’estime qu’une bonne critique montre aussi en filigrane des propositions d’alternatives et en constitue elle-même une. Les propositions que je fais ne sont pas des mesures de colmatage des brèches ou de bouchage et de rafistolage des multiples carences du « Biyaïsme ». Ce sont des solutions de transformations structurales et structurelles pour sortir du « Biyaïsme effectif » et du « Biyaïsme sans Biya ». Il faut refonder la société camerounaise en  sortant de l’inversion des valeurs promue depuis plus d’un quart de siècle par le Renouveau National. Pour cela, il faut refonder l’action politique, les bases de notre économie et l’exercice du pouvoir exécutif.
Mes positions visent donc la sortie de la crise politique que connait le pays et dont les deux composantes majeures sont une crise sociale et une crise civique. Les mesures qui en résultent  concernent le champ économique (approche), le champ monétaire, le champ bancaire, le champ des finances publiques (seuils d’endettement et de  déficit supportables pour les générations futures), le champ social, le champ environnemental, le champ du pouvoir exécutif, le champ de l’urbanisme, le champ du marché de l’emploi, celui  de la diaspora, de la mémoire,  de l’agriculture, de la Constitution et j’en passe. Je pense modestement que ce sont toutes des mesures interdépendantes dont le destin dépend moins de moi que de ce que ceux qui ont le pouvoir de bâtir un pays en feront. Du monde des idées, j’attends que mes propositions soient critiquées, complétées ou modifiées par des réflexions supplémentaires. Je souhaite que le livre soit lu par de nombreux Camerounais, notamment par les jeunes et particulièrement par  tous les candidats à la présidentielle d’octobre prochain. Puisse-t-il participer à l’avènement d’un nouveau Cameroun. Merci et bonne chance au Cameroun.
Propos recueillis par :
Jean-Bosco Talla
*Thierry Amougou, Le Biyaïsme : le Cameroun au piège de la médiocrité politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs, 2011, Harmattan, Paris, 392 pages, ISBN : 978-2-296-56199-1