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Politique Le Tribunal Article 53 : « Les crimes de Biya ne pouvaient longtemps rester cachés »

Le Tribunal Article 53 : « Les crimes de Biya ne pouvaient longtemps rester cachés »

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Déclaration de Paris
Dans une interview rendue tristement célèbre parce qu’Eric Chinje, journaliste camerounais très connu, qui lui posait des questions dut fuir le Cameroun après, Paul Biya demande de donner des preuves des malfaisances de son gouvernement. Eric Chinje ne parlait pas des 73 Camerounais putschistes dont les noms ont été publiés récemment seulement par le journal Germinal, tous condamnés à mort ou à perpétuité et fusillés à Mbalmayo, à Mfou, à Yaoundé en mai 1984 parce que évidemment ces assassinats en dehors du droit étaient encore secrets, si secrets que c’est en aout 2011 seulement après que j’aie publié la liste de ces compatriotes qu’un ami de ces tués, le maréchal de logis Etienne Sambo, découvrit par ma page Facebook les circonstances de la mort de ce dernier, mais ne sait même pas encore où il est enterré. ‘Il n’était pas un putschiste !’ m’a écrit cet ami d’Etienne Sambo qui peut aujourd’hui, vingt-sept ans après sa mort, enfin lui donner une messe de requiem en connaissance de cause. Les crimes de Biya ne pouvaient longtemps rester cachés dans les casernes militaires, car le journal Aurore plus nous révélait que le 15 février 2011, en plein palais de l’unité le capitaine de corvette Essomba Roger Emmanuel, officier de la Garde présidentielle, la fameuse et redoutable GP, commettait le miracle de se suicider en se tirant de multiples balles dans a tête.
Mais comment lier tous ces assassinats à Biya ? Oui, où sont les preuves ? Tel a toujours été le défi lancé par Biya lui-même. Eh bien, les révélations de Wikileaks sont de ce fait époustouflantes parce qu’elles rapportent les propos du ministre de la justice Amadou Ali, vice-premier ministre, longtemps ministre de la défense, et donc personnalité No 4 du pouvoir de Yaoundé. Notons que c’est bien lui, Amadou Ali, sous pression internationale certes, mais surtout parce que les centaines morts de février 2008 ne pouvaient être cachés comme les 73 de mai 1984, ou les ‘zéro morts’ de 1990-1992, ou alors ‘les neuf de Bépanda’ de 1999 toujours disparus ; c’est donc lui, Amadou Ali, qui avait publié la liste officielle des 55 morts de février 2008. C’est lui donc qui avec une franchise que les Américains reconnaissent étonnante, pour l’histoire camerounaise décrit succinctement la machine à tuer de Biya, qui multiplie la mort dans les cours, dans les maisons, dans les foyers du Cameroun. Car ce n’est pas la police anti-émeute, mais bien les forces armées, et plus concrètement l’armée de terre qui fut mobilisée les 25, 26, 27, 28 et 29 février 2008, et qui comme des photos montrent (prises celles-ci par un jeune photographe qui a dû fuir le Cameroun pour sa sécurité), procédèrent à des arrestations de citoyens en plein quartier de Douala. Eh bien, que dit le ministre Amadou Ali ? ‘Aucune unité militaire ne peut être mise en mouvement sans l’autorisation écrite de Biya.’ Ce n’est pas surprenant, car après tout, c’est bien Biya le chef suprême des forces armées. C’est donc lui qui au lieu de mobiliser la police choisit de mobiliser plutôt l’armée de terre ou la gendarmerie dans nos villes en 2008, avec les conséquences que nous savons tous : une hécatombe !
Mais la machine à tuer de Biya serait sans centre névralgique si n’y était ajouté le BIR, le Bataillon d’Interventions Rapides. J’ai fait face à ses pratiques en février 2008, sur l’axe lourd Yaoundé-Douala, car le BIR avait également été mobilisé, tout comme d’ailleurs ce février 2011 à Bafoussam, quand quelques tracts furent jetés en ville demandant à Biya de dégager. Le Bir dont la mission selon le ministre Amadou Ali, est de sécuriser la péninsule de Bakassi, de défendre la souveraineté nationale camerounaise contre des agressions extérieures donc, est ainsi en réalité l’escadron de la mort de Biya. Ses éléments, tout comme l’armée, la police et la gendarmerie d’ailleurs, tirent toujours avec des vraies balles sur des manifestants politiques ou même de football, comme ce 4 juin 2011 à Yaoundé après le match Cameroun-Sénégal qui fit quatre morts, dont le jeune Serge Alain Youmbi. Ce détail criminel est bien connu des Camerounais comme je me suis rendu compte en février 2008, devant un leader politique aujourd’hui disqualifié de la course à la présidence, dont je tais le nom ici pour sa sécurité, qui me répondit ceci à ma question pourquoi il se terrait : ‘Ils visent toujours les leaders !’, voilà sa réponse, ‘et ils tirent pour tuer.’
Dans ce car où je rencontrai le Bir, voici ce qui se passa : à un de cette vingtaine de points de contrôle routier qui s’étaient abattus sur l’axe lourd en février 2008, ses soldats interceptèrent notre car, et, gigantesque fusil en main, ordonnèrent à tout le monde de descendre, beuglant deux phrases seulement : ‘Vos cartes d’identité !’ et : ‘Il y a des étrangers ici ?’. Nous composâmes donc deux rangs, un plus long, fait de nous les Camerounais qui reprendrons place dans le car après avoir été fouillés, et un autre, fait de deux étrangers qui furent emportés, je ne sais plus où. Seul deux Camerounais – dont moi – protestèrent dans le car, mais nous fûmes tus par le reste des passagers qui lançaient des phrases xénophobes. Les deux pauvres expatriés nous rejoignirent plus tard ; ils avaient été délestés chacun de dix mille francs Cfa par les éléments du BIR, à ce qu’ils me dirent. Et le ministre Amadou Ali ne les contredira pas, ni moi d’ailleurs, car dit-il, même ‘les généraux sont totalement corrompus’, lui qui ‘ne croit cependant pas que Biya leur ferait perdre leurs postes.’ De quoi Biya a-t-il donc peur ? Oui, qu’est-ce qui lui fait peur ? Continue le texte, ‘Ali analysa le Cameroun comme un pays à risque très réduits en matière de coup d’État, et dit que l’armée était suffisamment fracturée et contrôlée par la présidence (aucune unité militaire ne pouvant être mise en mouvement sans l’autorisation écrite de Biya) pour rentre un soulèvement improbable.’ Biya n’a donc pas peur de l’armée, non, elle, et le BIR surtout, exécute ses ordres aveuglement. Un officier de l’armée camerounaise me l’a d’ailleurs confirmé il y a quelques jours au téléphone, même si pour accuser le manque de formation en droits humains des soldats subalternes.
La corruption du BIR est révélée dans les journaux de plus en plus, comme de multiples articles de Le Messager, Le Jour démontrent, surtout après l’attaque d’Ecobank à Bonabéri à Douala, les 18-19 mars 2011. Son palmarès d’assassinats est connu lui aussi, et la liste des morts de février 2008 est là pour nous le rappeler. Que cette unité d’élite déshonore l’armée nationale camerounaise parce qu’elle est criminelle, est donc su. Mais ce qui n’apparait pas encore, c’est la relation effective entre Biya et le BIR, bref, ce sont les preuves de culpabilité du président du Cameroun dans les meurtres prémédités et exécutés dans nos familles par le BIR : qui donne les ordres de tuer ? C’est ici que les révélations d’Amadou Ali à l’ambassadeur américaine Garvey sont essentielles. Lisons encore : ‘lorsqu’il était ministre de la défense, lui Amadou Ali (de 1997-2001), Avi Sivan, l’Israélien qui dirige le Bir, faisait ses rapports directement à lui. (Note. Le colonel (en retraite) Abraham (‘Avi’) Sivan, est un citoyen en même temps d’Israël et du Cameroun (avec des passeports valides des deux pays). Sivan agit au Cameroun en ses capacités personnelles après avoir pris sa retraite comme attaché de la défense d’Israël au Cameroun.’
Et Biya dans tout cela? Écoutons encore Amadou Ali, ministre de la justice, ancien ministre de la défense et vice-premier ministre de Biya, donc personnalité No 4 du régime: ‘Biya a mis le BIR sous sa direction personnelle.’ C’était en 2001. Voilà : c’est donc Biya qui en avril 2005, en novembre 2006, en février 2008, en février 2011, a donné les ordres de tuer des Camerounais, oui, c’est Biya. Quiconque cherchait des preuves n’a plus besoin de regarder le ciel incrédule devant les centaines de cadavres qui sont multipliés dans les cours des Camerounais lors des moindres manifestations politiques ces derniers dix ans; n’a plus besoin de se demander ce que le BIR fait dans les salons quand sa mission est en fait de sécuriser Bakassi; n’a plus besoin de se demander pourquoi l’armée de terre se retrouve dans les villes à faire des arrestations de citoyens alors que les policiers sont investis de cette tache; n’a plus besoin de se demander pourquoi tous les morts des mouvements politiques au Cameroun ces derniers ans le sont par vraies balles ! Ni pourquoi ces balles sont tirées de manière préméditée sur des victimes soumises, comme montre bien la photo de la tête d’Aloysius Embwam, 25 ans, étudiant en sciences de l’environnement à l’université de Buéa, fusillé à bout portant par les gendarmes d’une balle dans la nuque le jeudi 28 avril 2005, après une chasse à l’homme dans les quartiers. Qui a donné les ordres de tuer ? Telle est la question simple qui se pose toujours. La réponse, nous dit Amadou Ali, qui est encore le vice-premier ministre, est simple: ‘C’est Biya.’
Je note au passage qu’Eyebe Ayissi, qui était rapporteur de ces tueries du 28 avril 2005 à Buéa, est aujourd’hui ministre des relations extérieures du Cameroun. Il devient ainsi clair pour chacun de nous pourquoi ces autres ministres de Biya, Issa Tchiroma, ministre de la communication, en février 2011, Jacques Fame Ndongo aussi, ministre de l’enseignement supérieur et chargé de la communication du RDPC, qui était au cœur de ces assassinats, lui, pour dissuader les populations camerounaises de se mettre en branle, prononcent toujours cette phrase étrange: ‘vous allez vous faire tuer’, ou alors accusent les ‘opposants’, ‘d’envoyer les enfants d’autrui dans la rue pour qu’on les tue.’ ‘On’ ? C’est qu’ils savent le nom du tueur, même s’ils ne le prononcent pas ; ils savent qui signe les ordres de tuer, parce que c’est lui qui envoie l’armée sur les étudiants grévistes ; ils savent que c’est Biya qui a ordonné la mort des centaines de Camerounais qui voulaient juste s’exprimer. Ils savent donc que Biya est un tueur.
Dans la suite d’Amadou Ali, j’accuse donc Biya de crimes multiples: d’abord de crimes contre l’humanité des Camerounais, car exprimer son opinion en public, et c’est à dire au fond ouvrir sa bouche pour parler, est une manifestation primaire de l’humanité de chacun de nous.
Dans la suite d’Amadou Ali, j’accuse Biya de crimes prémédités et exécutés sur des Camerounais qui depuis mai 1984 jamais n’ont pris un fusil pour mettre en danger son pouvoir ou le menacer, lui ou son régime comme nous avons vu en Côte d’ivoire et en Libye, où la France est d’ailleurs intervenu comme on sait, et a en plus armé les rebelles.
Dans la suite d’Amadou Ali, j’accuse Biya de multiples assassinats, y compris de l’assassinat du jeune Patrick Lionel Aya Kameni, 11 ans, élève au Lycée de Loum, abattu froidement par l’armée dans le salon de ses parents le 27 février 2008 à Loum, devant le regard impuissant de ses frères et de sa mère.
Je sais que la justice se donne toujours le temps d’agir. Je sais aussi qu’elle a eu le temps au Cameroun, même si seulement après sa chute, de rattraper Ahmadou Ahidjo, condamné à mort par Paul Biya en mai 1984, mais aussi Hosni Moubarak et même Jacques Chirac.
Je sais que pour Charles Taylor, elle n’a pas attendu la fin de son immunité, ni d’ailleurs pour Omar El-Beshir, notre époque étant différente, et ayant de janvier 1990 à mai 2008 mis en accusation et condamné 67 chefs d’État ou de gouvernement originaires de 43 pays.
Parce qu’avec sept (7 !) autres années de pouvoir Biya au Cameroun la menace sur les populations camerounaises est plus grave encore, et parce que les tueries ne peuvent qu’augmenter, nous avons constitué un tribunal citoyen, le Tribunal Article 53, pour aider la justice à arrêter, incarcérer, juger et condamner Paul Biya.
Patrice Nganang
Pour le Tribunal Article 53