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Présidentielle 2011: comment vaincre le Sida électoral au Cameroun?

Présidentielle 2011: comment vaincre le Sida électoral au Cameroun?

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Index de l'article
Présidentielle 2011: comment vaincre le Sida électoral au Cameroun?
Sortir de la grande illusion électroale
A la recherche d'un consensus introuvable
Un fichier électoral virusé
Les élections bancales de A à Z
Entre cécité stratégique et connivence tactique
Problématique du code électoral au Cameroun
Elecam est incapable d'organiser des élections crédibles au Cameroun
Problématique de la proclamation consensuelle des résultats de la prochaine élection présidentielle
Conditions d'une élection libre, juste, transparente et d'une transition maîtrisée
Evolution du cadre juridique et perspective d'une élection crédible sous l'ère Elecam en 2011
Toutes les pages

Le Cameroun se trouve dans un ordre démocratique déviant
Avec le retour des échéances électorales, le boycott redevient un thème d’actualité en Afrique. Au Burundi, Pierre Nkurunziza avait été seul en course à l’élection présidentielle du lundi 28 juin 2010. La majeure partie de l’électorat et ses six challengers de l’opposition avaient décidé de boycotter cette échéance électorale. Au début de l’année 2011, en Centrafrique, le second tour des législatives a été boycotté par le Collectif des forces du changement (Cfc), principal rassemblement regroupant opposition et ex-rébellions qui dénonçait les résultats du premier tour et ceux de l’élection présidentielle.


Au Cameroun, à moins d’un contre temps inattendu ou d’un revirement spectaculaire, l’élection présidentielle aura lieu en octobre 2011. Il est presque certain que, au regard de l’appel des membres et sympathisants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et de l’organisation du congrès ordinaire de ce parti annoncée pour se tenir dans les prochains jours (avant la présidentielle), l’actuel locataire d’Etoudi, le monarque présidentiel Paul Biya sera candidat de son parti à sa propre succession. D’ailleurs, les statuts de cette formation politique font du président national le candidat naturel à l’élection présidentielle. À moins que…Si Paul Biya se présente, il aura une fois de plus violé les dispositions pertinentes de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, notamment l’article 6.2, relatif à la limitation du mandat à la tête de l’État, sous les auspices duquel il a été élu en octobre 2004. Il aura ainsi réussi, après la révision de cet article en avril 2008, à transformer frauduleusement un mandat présidentiel non renouvelable en mandat renouvelable sans prendre soin d’introduire une « clause permettant de faire que l’article 6 alinéa 2 nouveau s’applique au président en fonction, le rendant éligible et annulant toute la force contraignante de l’ancien article 6.2 » (lire le texte de Mathias Éric. Owona Nguini). Le système gouvernant ne s’embarrasse jamais de scrupules. Il n’est d’ailleurs pas à une fraude près. L’ampleur de la fraude, la roublardise et le jusqu’au-boutisme des caciques du pouvoir sont tels que si Paul Biya se présente - ou quelqu’un d’autre du Rdpc - il est presque certain qu’il sera vainqueur, compte tenu des stratégies de conservation du pouvoir mises sur pied et du verrouillage du système politique et électoral camerounais. Une victoire annoncée est d’autant plus évidente que ceux que l’on considère comme des poids lourds de l’opposition, dont notamment le Social Democratic Front (Sdf), l’Union démocratique du Cameroun (Udc), l’Alliance pour la démocratie et le développement (Add), le Mouvement progressiste (Mp), pour ne citer que ceux-là, présentent un déficit d’élaboration stratégique, de cohésion, de flexibilité…et semblent avoir perdu de vue que l’enjeu fondamental aujourd’hui est de mobiliser les Camerounais épris de changement autour d’un projet global alternatif qui viserait à fonder un nouvel ordre politique au Cameroun. Des indiscrétions inquiétantes laissent même entendre que certains parmi les leaders des partis dits de l’opposition s’apprêtent à embrasser le Rdpc sur la bouche, c’est-à-dire à prendre place autour de la mangeoire nationale. Des relations suivies existent déjà entre ces leaders de partis et certains cercles du pouvoir. D’où leur mutisme et les invitations à prendre part à des cérémonies et manifestations officielles qu’ils reçoivent de l’enfant terrible de Mvomeka’a. La bouche qui mange ou qui attend la nourriture ne parle pas.
Sûrs de leur victoire à la prochaine élection présidentielle et après avoir pris dans leurs rets certains leaders politiques et/ou d’opinion, Paul Biya,  ses camarades et sympathisants se demandent comment ils procèderont pour faire avaliser par certaines puissances occidentales devenues, ces derniers temps, rétives, intransigeantes et très regardantes sur les questions de démocratie et de droit de l’homme, la forfaiture électorale qu’ils sont en train de nouer sous les yeux des Camerounais apathiques. Pour parvenir à leur fin, ils usent de tous les artifices.  Entre autres : nomination d’un évêque et de personnalités accommodantes, proches de certains cercles du pouvoir et dignitaires du régime et issues de la « société civile » au sein du Conseil électoral d’Elections Cameroon (Elecam) ; promesses faites aux partenaires bilatéraux et multilatéraux d’organiser une élection transparente, équitable et juste, etc. Pourtant , toutes ces « garanties » ne changent rien au dispositif de verrouillage électoral mis en place, habilement et souverainement contrôlé par l’hyperpuissante Direction générale des élections qualifiée de Minadt bis par des observateurs avertis (Lire la contribution d’Hilaire Kamga)
Face à toutes ces manœuvres qui se nouent sous leurs yeux, face à l’apathie de certains leaders politiques et d’opinion, face à leurs timides  réactions, les citoyens camerounais ont l’impression que certains partis dits de l’opposition et des leaders d’opinion ont déjà jeté l’éponge lorsqu’ils annoncent qu’avec Elecam, même reconfigurée, il n’y aura pas d’élection au cours des prochains mois. Qu’à cela ne tienne, ces acteurs politiques dénoncent ainsi, et à raison, une structure chargée de conduire le processus électoral et dont les principaux responsables sont des anciens membres du Rdpc qui avaient été obligés de démissionner de ce parti après leur nomination. Pour ces partis donc, principalement le Sdf, Elecam est incapable d’organiser une élection crédible, c’est-à-dire  libre, transparente, équitable et juste. Mais, ces partis iront-ils jusqu’à prôner le boycott de l’élection présidentielle à venir comme ce fut le cas en 1997 ? Rien n’est moins sûr et aucun Camerounais sérieux ne le souhaite.
Au moment où le monarque présidentiel vieillissant Paul Biya (30 ans de règne sans partage, environ 50 ans dans la haute administration et 80 printemps d’ici quelques mois), incapable de tenir un conseil des ministres après plus de 26 mois, est visiblement fatigué de se reposer à Etoudi et s’occupe le plus souvent, semble-t-il, de ses problèmes de santé, ce serait une erreur monumentale si l’opposition et les forces du changement choisissent de boycotter l’élection présidentielle à venir. D’abord, parce que  l’élection présidentielle dans nos républiques bananières est « l’occasion parfois unique pour chaque candidat, de donner à la nation une certaine lisibilité de son programme s’il en a un, ou de sa vision du destin national, à moins que ce soit d’étaler sa nullité…tout ceci en attendant le jour où préfets et sous-préfets [et les responsables d’Elecam] deviendront patriotes et républicains pour respecter la volonté du peuple exprimée dans les urnes », affirme Jean Baptiste Sipa, directeur de la publication du quotidien Le Messager.
Ensuite, parce que les temps ont changé et rien ne sera plus comme avant. Et comme le dirait Cheikh  Hamidou Kane, « L’ère des destinées singulières est révolue ».
Enfin, parce que le Cameroun entre dans une zone de turbulence et d’incertitude démocratiques, tous les ingrédients étant réunis pour une conflagration sociale et l’élection présidentielle à venir pouvant être le détonateur d’une crise sociale majeure si rien n’est fait dans le sens de l’apaisement, de la recherche d’un consensus sur la question électorale au Cameroun et de la recherche des solutions aux maux qui gangrènent la société (corruption endémique, chômage des jeunes, absence d’eau, de logement et d’infrastructures, cherté de la vie, stratégie jusqu’au-boutiste du chef de l’État perpétuel, insécurité inquiétante, etc.).
Le boycott serait par conséquent un choix suicidaire et/ou une attitude complice des partis d’opposition dans le contexte actuel marqué par l’existence des faiblesses (nombreuses) d’un système déliquescent, l’apparition des lignes de fracture au sein du système gouvernant et la fébrilité - la peur a vraiment changé de camp - qui s’est emparée, depuis quelque temps, du régime, de Paul Biya et de ses thuriféraires, de quelques caciques qui cherchent à conserver leurs privilèges (1) en embouchant, sans conviction et sans convaincre, les trompettes de la souveraineté et du patriotisme auxquels ils ne croient pas et qui appellent les Camerounais à se lever comme un seul homme pour faire échec « aux sombres et lugubres» projets que nourriraient les puissances tutélaires devenues intransigeantes et rétives et qui, aujourd’hui, ont marre des présidents perpétuels à la tête des États alors qu’hier elles ont aidé ( et continuent d’ailleurs d’aider) le système en place à se maintenir et à se perpétuer.  
Les absents ont donc toujours tort, dans toutes les variantes du réalisme ordinaire. Même si cette position est discutable, car elle laisse transparaître des figures imposées de la résignation que résument les fameux « laisser le temps au temps », « le pouvoir vient de Dieu », «  tout le monde ne peut pas devenir président de la République », il reste que face à un adversaire déloyal, tout puissant, qui foule aux pieds les règles qu’il  a  lui-même établies, tant que le rapport de force ne penche pas encore du côté de l’opposition et des forces du changement qui se trouvent à l’extérieur et/ou à l’intérieur du système en place, la finalité consisterait à le circonvenir dans son propre jeu, tout en développant des stratégies efficaces de conquête du pouvoir politique.
S’il est vrai que le boycott d’une élection présidentielle est une manière de dévaloriser la réélection du président sortant, s’il est aussi vrai qu’au Cameroun « les échéances électorales ne sont plus que les millésimes de putréfaction » (Stephen Smith, 1997), avec des scrutins truqués (lire le texte de Patricia Ndam Njoya) et quelquefois précédés de violence, le charcutage des listes électorales, l’abstentionnisme de la majorité de la population et des citoyens qui estiment que le bulletin de vote ne vaut rien, le découpage intéressé des circonscriptions électorales, etc., il reste constant qu’au Cameroun, certains leaders des partis politiques, principalement ceux de l’opposition qui se gargarisent à tout propos et hors de propos du mot de démocratie et à tout ce qui a trait à l’État de droit, ne se souviennent des échéances électorales qu’à la dernière minute - et souvent il est déjà trop tard - moment choisi par les uns et les autres pour brandir un catalogue de revendications relatives aux conditions d’organisation des élections. Et même lorsqu’ils formulent lesdites revendications un peu plus tôt, comme c’est le cas pour les critiques formulées au sujet d’Elecam, ils le font si timidement et sans conviction que le pouvoir en place se dit que « le chien aboie la caravane passe ».
C’est dire si l’opposition camerounaise, ou ce qui en tient lieu, a sa part de responsabilité dans la situation actuelle du  Cameroun. Stephen Smith fait observer que : « Dans le pourrissement général, elle [l’opposition] a joué aux saprophytes et accéléré la décomposition du tissu social. Entre deux scrutins, entre deux scissions et deux choix stratégiques parfaitement contradictoires, elle s’est fait manipuler, racheter, marginaliser ou laminer, c’est selon. Ne travaillant pas sérieusement, elle non plus, par exemple à son implantation organisationnelle, elle se réveille à l’occasion toujours trop tard, toujours sans vision ».
Répétons-le quitte à choquer : tant qu’il n’y aura pas acceptation par tous  des règles du jeu politique et de l’alternance, le Cameroun sera toujours installé dans un ordre démocratique déviant. En outre, souligne Christian Cardinal Tumi, un système démocratique digne de ce nom «n’est pas seulement le résultat d’un respect formel des règles, mais le fruit de l’acceptation convaincue des valeurs qui inspirent les procédures démocratiques : la dignité de chaque personne humaine, le respect des droits de l’homme, le « bien commun » comme fin et critère de régulation de la vie politique. S’il n’existe pas de consensus général sur de telles valeurs, la signification de la démocratie se perd et sa stabilité est compromise ». (2)
Aussi, à environ 70 jours d’une échéance décisive, l’élection présidentielle, une élection majeure, il va sans dire, les citoyens camerounais ordinaires sont-ils sevrés des mobilisations et des débats autour des programmes politiques des prétendants au trône présidentiel alors qu’ailleurs, au Sénégal et en France par exemple, pour ne pas citer les États-Unis, les hostilités ont déjà été engagées pour la présidentielle qui aura lieu respectivement en février et avril 2012.
Pourtant, les partis de l’opposition et les forces du changement devraient  pouvoir créer un cadre de concertation pouvant leur permettre de régler les questions d’intérêt commun, de concevoir et de promouvoir des projets alternatifs crédibles, des approches politiques novatrices et efficaces, bref un cadre pour une véritable synergie d’action et d’association en vue de l’instauration d’un nouvel ordre politique et l’alternance au Cameroun. Certes nous rétorquera-t-on, il s’agit d’une manière voilée de soulever la lancinante et lassante  question de la candidature unique de l’opposition. Aussi précisera-t-on, pour masquer un égocentrisme rédhibitoire, que depuis les premières élections pluralistes organisées au Cameroun au début des années 90, des coalitions et des alliances ont toujours été formées. Soit. Mais, une rhétorique et un sophisme qui visent à évacuer le problème de fond soulevé. Car, la réalité est implacable : dans le champ politique camerounais caractérisé par une prolifération démentielle des formations politiques et une élection présidentielle à un tour, aucun parti ne peut gagner seul ; aucun parti, hors mis le Rdpc, parti administratif, n’a jusqu’ici atteint une envergure nationale(3).
Face à une situation entretenue et encouragée par le pouvoir en place qui sait diviser pour mieux régner, l’opposition et les forces du changement devraient tirer les leçons de ce qui s’est fait ailleurs. Et comme nous le disions dans l’une de nos éditions, c’est ici que l’exemple de l’opposition sénégalaise interpelle l’opposition camerounaise. « Face aux manœuvres politiciennes du très décevant président sénégalais Abdoulaye Wade dont les visées dynastiques sont manifestes, les leaders de l’opposition sénégalaise ont su taire leurs divergences et querelles intestines pour faire bloc contre la Coalition Sopi (changement) au pouvoir depuis 2000. Réunie sous la bannière de Benno Siggil Sénégal (« Unis pour restaurer l’honneur du Sénégal ») ou d’And Ligeey Sénégal (« Ensemble pour bâtir le Sénégal ») en wolof, l’opposition sénégalaise, après avoir réussi à convaincre l’opinion publique de la nécessité de barrer la voie à l’instauration d’une dynastie, a fait tomber dans son escarcelle presque toutes les grandes villes du Sénégal lors des élections locales du 22 mars 2009(Dakar où Karim Wade briguait le fauteuil de maire, Thiès, Diourbel, Kaolack, Saint-Louis, Louga, Nioro, Fatick, Podor etc.)»(4). Aussi Le Mouvement du 23 juin 2011, coalition de plus de 60 partis d’opposition et d’organisations de la société civile sénégalaise, a-t-il exigé et obtenu le retrait par le gouvernement d’un projet de loi instaurant la vice-présidence de la République et la création par Abdoulaye Wade d’un ministère spécifiquement chargé des élections. Ce mouvement continue d’exiger, à  travers des manifestations, la non-candidature du président sénégalais en fonction à la présidentielle de février 2012.
Jean-Bosco Talla
* Cet éditorial qui a subi de profondes mises à jour a été publié dans Germinal n°058 sous le titre Le mal électoral
(1) Toute une bourgeoisie vit aujourd’hui de ses liens avec l’État, et verrait très mal le pouvoir lui échapper.
(2) Compendium de la doctrine sociale de l’Église (CDSE), Liberia Editrice Vaticana, 2005, n°407, cité par Christian Cardinal Tumi dans son ouvrage, Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf, Douala, Véritas, 2011, p.46.
(3) Lors des dernières consultations locales, le Rdpc s’est présenté seul dans près de 80 circonscriptions électorales.
(4) Germinal, n°50 du 17 février 2010, p.3.
NB. Ce dossier a été publié dans Les Dossiers et Documents de Germinal, n°010, juillet-août 2010.