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Présidentielle 2011: Paul Biya est-il rééligible ou non? - Page 9

Présidentielle 2011: Paul Biya est-il rééligible ou non? - Page 9

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Index de l'article
Présidentielle 2011: Paul Biya est-il rééligible ou non?
Les transes du Droit-Savoir entre machinisme théâtral et macoutisme légal
Constitution et chicane
Juridisme macoute et légalisme zombificateur
Halte au parasitage politicien d’une question constitutionnelle de fond
En réplique à Mathias Owona Nguini et à Paul-Aaron Ngomo…
Argumentaire en réplique à celui développé par les défenseurs de la thèse de l’éligibilité
Présidentielle 201 1 : de la non-rétroactivité des constitutions
Rééligibilité ou non de Paul Biya : camerouniaiseries constitutionnelles
Qui veut (même) faire échec au suffrage souverain ?
Toutes les pages
Rééligibilité ou non de Paul Biya : camerouniaiseries constitutionnelles
À propos des chicaneries honteuses des juristes du régime Biya. La saison des arguties constitutionnelles est désormais ouverte au Cameroun. C’est du moins ce que donne à penser l’empressement des maîtres en
Chicaneries juridiques qui rivalisent d’adresse pour rabattre leur caquet aux fieffés sceptiques qui osent mettre en doute l’éligibilité du grand hiérarque national, Paul Biya, à l’élection présidentielle annoncée pour le dernier trimestre de cette année. Aux mal-pensants suspectés de propager des mésinterprétations infondées de la constitution visant à mettre en doute l’éligibilité du vizir national, quelques gardiens de l’orthodoxie constitutionnelle y vont depuis peu de leurs arguments et de leurs interprétations pour justifier l’éligibilité du prince. On a entendu les doctes déclamations de Narcisse Mouelle Kombi qui assure, avec tout le sérieux que lui confère son magistère d’agrégé de droit, que la lettre et l’esprit de la loi ne contiennent rien qui avaliserait le principe de l’inéligibilité putative de Paul Biya. James Mouangue Kobila a cru bien faire en proposant ses proférations sentencieuses pour s’étonner, et s’indigner, de l’ineptie supposée des voix qui s’élèvent depuis peu pour suggérer que les dispositions de la réforme constitutionnelle invalideraient de fait une éventuelle candidature de Paul Biya. Ces interventions détonantes se gardent d’interroger le dispositif normatif d’un constitutionalisme autoritaire qui légitime des révisions destinées à consolider le pouvoir absolu de l’autocrate enkysté au sommet de l’État depuis bientôt 30 ans. L’activisme apologétique des chiens de garde juridiques est d’autant plus paradoxal et intrigant qu’il ne propose ses lumières équivoques que pour avaliser des pratiques hégémoniques qui diffèrent l’avènement d’un ordre juridique libre. Alors qu’on attend toujours, 15 ans après sa promulgation, la mise en place de quelques institutions majeures prévues par la constitution de 1996, Paul Biya a trouvé matière à l’amender pour assurer la perpétuation de l’administration Biya sans que nos agrégés de droit s’en émeuvent. Ainsi que chacun s’en souvient, l’alibi de circonstance évoqué par Paul Biya tirait sa légitimité de l’urgence putative de « réexaminer les dispositions de notre Constitution qui mériteraient d’être harmonisées avec les avancées récentes de notre système démocratique afin de répondre aux attentes de la grande majorité de notre population ». On a le loisir de supputer que la volonté manifeste d’établir une présidence à vie fait vraisemblablement partie de ces « avancées récentes » au nom desquelles certains, y compris le timonier national, assurent à présent que le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels contrarierait les aspirations démocratiques de « la grande majorité de notre population ».
Je voudrais suggérer que la question de fond n’a rien du simple exercice d’interprétation juridique auquel James Mouangue Kobila vient de se livrer à la suite de Narcisse Mouelle Kombi. En son principe comme dans sa finalité, le débat oppose les cerbères de l’ordre établi à ceux qui ont cru percevoir l’émergence d’une moralité politique constitutionnelle inédite à travers le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiel qu’explicitait la constitution de 1996. Cette disposition portait l’espérance d’une alternance politique destinée à entraver les velléités d’incrustation au pouvoir de quiconque serait tenté de s’y maintenir au prix de subterfuges douteux. Il sied de garder à l’esprit qu’il n’est sans doute pas fortuit que Narcisse Mouelle Kombi et James Mouangue Kobila figurent au nombre des adulateurs enthousiastes qui appellent de tout cœur la perpétuation au pouvoir de Paul Biya, à coups de motion de soutien auréolées de leur autorité universitaire d’agrégés de droit. Cette collusion interlope rend a priori suspects le zèle et la prétention à l’objectivité des juristes en faction soucieux de s’acquitter de la tâche d’assurer la défense d’un ordre politique dont ils espèrent garantir la perpétuation.
En défendant le principe de l’éligibilité de Paul Biya, James Mouangue Kobila dit s’inscrire dans la perspective de « la démarche juridique qui est descriptive » au sens où elle ne viserait qu’à « exposer, comprendre ou expliquer ce qui est, sans chercher à déterminer ce qui devrait être ». Mais les atours d’objectivité dont il se drape masquent mal l’essentiel, à savoir que James Mouangue Kobila est aussi parapheur d’une motion de soutien qui tient Paul Biya pour une sorte d’élu de la providence. En ce sens, il n’est guère qu’un franc-tireur de plus qui s’est donné la mission de porter la contradiction à quiconque s’ingénierait à remettre en cause la rouerie constitutionnelle ourdie pour prolonger le pouvoir de Paul Biya. Mon dissentiment portera sur deux points : (1) la validité normative de l’interprétation psychologique de l’intention supposée du constituant de 2008 (en fait de « constituant », il s’agissait surtout d’une coterie de courtisans acquise aux ambitions de leur patron) et (2) le recours fallacieux à des arguties drapées de l’autorité de « la méthodologie fondamentale du droit » pour sanctifier un juridisme spécieux qui manipule la loi au gré des humeurs et des intérêts des puissants du jour.
Il n’y a guère matière à s’en étonner dans un pays où la loi n’est souvent qu’un simple expédient de légitimation qu’on fait et défait, suivant les convenances du moment, pour consolider des positions acquises douteusement. Certains ne s’embarrassent guère de fioritures juridiques, comme ce ministre qui expliqua placidement, du temps des années de braise que la constitution de 1996 a tenté de résorber, que la loi est faite par les hommes et qu’il suffirait d’en changer pour accommoder leurs passions. D’autres s’indignent et assurent qu’une limitation du nombre de mandats serait injuste parce qu’elle réduirait la palette de choix du peuple souverain et le priverait d’un champion supposé qualifié pour nous mener au Pérou de nos aspirations. Les plus subtils, comme James Mouangue Kobila, transforment le désaccord majeur du différend politique national en exercice d’interprétation juridique où la froide vérité est censée émerger d’une explicitation rationnelle de la réforme constitutionnelle de 2008. Allons à l’essentiel, en deux étapes, à commencer par l’interprétation psychologique de la volonté du supposé constituant de 1996.

 

1-le prince-constituant et l’onction juridique des scribes de service

 

Les scribes du droit collusionnaire qui font mine d’interpréter objectivement la constitution voudraient laisser accroire qu’une simple explicitation de l’intention du constituant de 2008 suffirait à justifier la rééligibilité de Paul Biya. Cette invitation est suspecte pour au moins deux raisons. D’abord, elle induit à penser que la volonté constituante du peuple s’est exprimée en 2008 spécifiquement pour garantir l’éligibilité de l’actuel homme fort au pouvoir dans l’expectative d’un prolongement de son règne. Ensuite, elle présuppose que cette décision émane d’un consensus légitimant par lequel s’atteste irréductiblement une détermination politique collective à modifier les critères d’éligibilité à l’élection présidentielle, de manière à garantir l’universalité de l’inclusion politique. La généalogie de l’argument qui sous-tend cette position est facile à reconstituer. Il tire son autorité d’une antienne dont l’expression la plus répandue assure que la limitation du nombre des mandats présidentiels est une entorse à la démocratie parce qu’elle réduirait indûment la palette de choix des électeurs en disqualifiant des candidates potentiels.

Les scribes qui rivalisent de préciosité juridique, dans une joyeuse amnésie des faits sociopolitiques récents, font mine d’oublier les circonstances qui ont conduit à inclure le principe prudentiel de la limitation du nombre des mandats présidentiels dans la constitution de 1996. Il est pourtant de notoriété publique que le principe même d’une telle limitation résulte d’un compromis qui a notamment permis le passage du quinquennat au septennat. L’activation opportuniste du pouvoir constituant dérivé pour réviser la constitution, douze ans après sa promulgation, dans un contexte où la mise en place de quelques institutions essentielles qu’elle prévoit est différée aux calendes bantoues, rend une telle entreprise hautement suspecte. Elle intervient dans un contexte de pouvoir unifié où le pouvoir supposé législatif est dominé par le détenteur du pouvoir exécutif qui, parce qu’il jouit de la prérogative de l’ordre du jour, contrôle de fait la capacité d’initiative d’une assemblée sous le contrôle absolue du parti au pouvoir. L’invitation à interpréter psychologiquement l’intention du constituant de 2008 révèle moins une volonté d’inclusion démocratique qu’une machination conniventielle qui tire prétexte d’un pouvoir de révision de la constitution qui échappe à tout contrôle pour légitimer une modification de la loi fondamentale dans le but explicite d’accommoder les desseins de pouvoir d’un hiérarque pour qui les lois ne sont guère que des expédients tactiques modifiables au gré des intérêts des puissants du jour. En ce sens, l’inclusion du principe prudentiel de la limitation du nombre de mandats n’était au plus qu’une concession tactique pour déguiser une rouerie planifiée à l’avance. Alors que des voix discordantes s’élevaient pour dénoncer la remise en question de la clause prudentielle de 1996, Paul Atanga Nji croyait bien faire en rappelant candidement que le consensus qui légitimait la restriction du nombre de mandats était désormais frappé de caducité parce qu’il détonnait avec les intérêts des puissants du jour.

James Mouangue Kobila rattache l’éligibilité de Paul Biya à la volonté supposée du constituant de 2008. Il feint d’omettre que le vrai pouvoir constituant git moins dans le peuple que dans un dispositif pur de césarisme présidentiel qui transforme les desseins de Paul Biya et sa suite intéressée en source perverse de légitimation d’un pouvoir qui n’a aucune considération pour les lois qui contrarient ses ambitions. A tout bien considérer, ce que le scribe juridique de faction qui consacre fidèlement son tour de garde à la légitimation des actes opportunistes de Paul Biya tient pour « l’intention du constituant camerounais de 2008 » n’est, en dernier ressort, qu’une figure autocratique consacrant la consolidation de la volonté d’un « prince-constituant » dont la volonté de perpétuation au pouvoir prime sur celle des multitudes désabusées que l’omniprésence de la violence policière maintient en captivité. Le recours obsessionnel au fétichisme juridique fait partie d’un dispositif de persuasion dont les motivations sont faciles à discerner. Il vise à parer des atours du droit un arraisonnement à peine déguisé d’une constitution pourtant loin d’être politiquement libérale. Il en va de même pour une rhétorique juridique qui ne prétend s’attacher à « exposer, comprendre ou expliquer ce qui est, sans chercher à déterminer ce qui devrait être » que pour dissimuler une forfaiture juridique s’abritant derrière un positivisme douteux. Son but ultime est de légitimer les desseins d’éligibilité illimitée d’un « prince-constituant » qui substitue sa volonté à celle de multitudes tenues en respect par un système d’administration de la violence dont on connait la propension morbide à infliger la malemort à ses contradicteurs.

Le subterfuge interprétatif qui confère une préséance canonique à l’intention du constituant de 2008 procède comme si l’interprétation dite psychologique n’était, en dernier ressort, qu’un test de confirmation normative destiné à imposer l’autorité de la pensée unique des zélateurs acquis à la cause suspecte de perpétuation du pouvoir absolu de Paul Biya. Or une psychologie bien ordonnée commande aussi, pour écarter la possibilité d’une intentionnalité maligne, qu’on scrute les motivations et les présuppositions des actes des bénéficiaires d’initiatives dont l’unique ambition est de préserver la position prépondérante des groupes opposés par principe à la limitation du nombre de mandats présidentiels. A l’aune d’une telle exigence, il est manifeste que la révision constitutionnelle de 2008 visait surtout à garantir la rééligibilité de Paul Biya. En cela, elle s’atteste essentiellement comme une cabale de jacquerie partisane qui s’est mise en ordre de bataille pour rendre la constitution conforme aux attentes du chef d’une coterie qui contrôle aussi bien l’exécutif que l’organe docile qu’on nomme improprement pouvoir législatif. Or ce dernier est souvent réduit à entériner l’ordre du jour fixé par un pouvoir exécutif soustrait à tout contrôle régulateur. La suite des ratiocinations juridiques est à l’avenant. Elle participe d’une logique formaliste qui élude les conditions politiques et stratégiques de l’abrogation de la limitation du nombre de mandats présidentiels pour réduire le débat à une dogmatique éthérée sur le principe de la non-rétroactivité de la loi ou sur « l’absence de clause de survie de l’ancienne formulation de l’alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution ». Mais on subodore sans peine que l’essentiel du débat est ailleurs. Les scribes juridiques qui légitiment la forfaiture constitutionnelle de 2008, au nom d’une objectivité de façade, escamotent sans vergogne le débat normatif sur la validité de l’abrogation du dispositif prudentiel de limitation du nombre des mandats présidentiels parce qu’ils se sont donné la tâche de conférer une onction juridique à une révision opportuniste de la constitution essentiellement destinée à infléchir la loi pour donner satisfaction à une coterie qui tient les lois pour de simples expédients tactiques modifiables et abrogeables à souhait, au gré des velléités des puissants du jour. Ce point de dissentiment requiert une explicitation détaillée.

2-La raison constitutionnelle du plus fort

La ruse des scribes juridiques du « prince-constituant » est de transformer le différend constitutionnel national en simple conflit d’interprétation de l’esprit et de la lettre des dispositions de rééligibilité indéfinie requises et obtenues au forceps par Paul Biya. L’escamotage de la discussion sur les circonstances politiques de l’abrogation partielle de la Constitution de 1996 est porté par deux motivations. Tout d’abord, nos scribes voudraient manifestement faire oublier que l’intention avouée de plier la loi fondamentale aux exigences de ceux qui paraissaient soudain en découvrir son déficit d’inclusivité établit nettement que la loi n’est légitime pour Paul Biya que lorsqu’elle certifie ses coups de force et leur donne l’habillage juridique requis pour leur conférer un minimum de crédibilité. Ensuite, les cerbères juridiques du « prince-constituant » et de sa chambre d’enregistrement font mine d’oublier que les tripatouillages constitutionnels font partie des dispositifs d’accaparement et de consolidation d’un pouvoir autoritaire qui transforme la production de la loi en expédient tactique de verrouillage politique destiné à perpétuer le système Biya. Entre 1983 et 2008, la Constitution du Cameroun a été révisée pas moins de 7 fois pour légitimer le pouvoir de Biya ou pour différer l’émergence d’une société politique authentiquement pluraliste.

Passées les années des batailles de consolidation où les modifications de la Constitution ont servi à se constituer une base d’affidés et défaire la charpente constitutionnelle de son « illustre prédécesseur », la modification de la Constitution est apparue comme la stratégie institutionnelle favorite de Paul Biya pour empêcher l’alternance au sommet de l’État. L’activation du pouvoir constituant solidement incrusté dans la Constitution a ainsi permis de priver le corps politique de la prérogative constituante originaire garante de la moralité politique de la Constitution. Cela a notamment permis à une Assemblée Nationale institutionnellement inféodée à l’exécutif d’accommoder le « prince-constituant » pour que sa ‘volonté soit faite sur la terre’ camerounaise en neutralisant toute velléité de changement politique. De 1991 à 2008, les révisions de la Constitution ont fait partie d’une stratégie d’évitement et d’endiguement de la contestation destinée à protéger le pouvoir d’une présidence impériale qui s’est cuirassée pour empêcher l’alternance démocratique. En son temps, la réforme constitutionnelle de 1996 consent une concession majeure aux groupes nombreux qui s’inquiètent de la proposition de passer du quinquennat au septennat. À l’époque, les partisans de Paul Biya ont cru devoir voir célébrer en cette concession la volonté de leur maître d’accepter le principe de restriction de l’éligibilité comme gage de l’alternance politique au Cameroun.
Paradoxalement, mais sans surprise pour quiconque a quelque familiarité avec l’histoire des tripatouillages constitutionnels au Cameroun, la cohorte des affidés du « prince-constituant » en est maintenant à célébrer une énième révision constitutionnelle censée rectifier un déficit institutionnel supposé priver le peuple d’une prérogative fondamentale de choix électoral. Les néo-croisés de la démocratie style Paul Biya assurent ainsi, comme James Mouangue Kobila, que « les instigateurs de ce débat » sur l’éligibilité de Paul Biya « veulent en réalité faire échec à la souveraineté du suffrage et à affaiblir le lien entre l’élu et le peuple suivant l’argumentation élaborée par le Comité Balladur qui a suivi en ce point celle du Comité Vedel ». Tant qu’à faire, on pourrait tout aussi bien solliciter la légitimation normative d’un « comité Gengis Khan » ou une jurisprudence byzantine pour valider les lubies de nos scribes. On devine sans peine les enjeux de la plaidoirie du scribe de service : dénoncer ce qu’il perçoit comme une perfide conspiration ourdie pour perpétrer un crime électoral privant Biya de la prérogative d’éligibilité illimitée. Il apparait que l’activisme interprétatif des scribes juridiques d’amphithéâtre a essentiellement vocation à dénoncer ce qu’ils tiennent pour un crime de lèse-Biya dont le plan aurait germé dans les cerveaux fourbes de conspirateurs juridiques de bas étage.
Nos scribes auraient sans doute aimé que le « prince-constituant » songe, comme Alberto Fujimori au Pérou, à faire voter une « loi d’interprétation authentique » de la révision constitutionnelle pour neutraliser par anticipation les empêcheurs de tourner en rond qui s’ingénieraient à contester l’ordre constitutionnel qui conforte son pouvoir. Mais ils savent sans doute, en juristes bien rompus aux entourloupes formalistes, que de tels expédients n’ont de pouvoir performatif que tant que dure le rapport de force qui contraint des multitudes désabusées à l’impotence politique. À en croire James Mouangue Kobila, « les nouvelles dispositions constitutionnelles qui rendent le Chef de l’État indéfiniment rééligible s’appliquent naturellement – aussi bien en logique tout court qu’en logique déontique (ou logique des normes) – dès la prochaine élection présidentielle ». Mais la logique « tout court » ou la « logique déontique » qu’il invoque à l’appui de ses rationalisations circulaires n’a rien à voir avec la logique fallacieuse d’un raisonnement qui évacue l’histoire sordide des révisions constitutionnelles au Cameroun et feint de ne pas cerner les réels enjeux des mascarades formalistes du « prince-constituant ». Le philosophe Leibniz enseigne que la logique déontique rappelle que « l'obligatoire (modalité déontique) est ce qu'il est nécessaire (modalité de vérité) que fasse l'homme bon ». Si elle est bien une logique des normes, c’est principalement parce qu’elle est incompatible avec les arguties sophistiques des scribes opportunistes qui mettent leurs talents au service d’un formalisme trop puéril pour attraper des nigauds.
À en croire James Mouangue Kobila, « c’est donc à tort, vainement et en violation d’un principe fondamental du droit électoral que certains universitaires tentent de présumer l’inéligibilité de l’actuel président dans le cadre de la présidentielle de 2011 au moyen de raisonnements spécieux». Mais l’argutie manque de pertinence parce qu’elle ressortit plus à un juridisme formaliste en collusion manifeste avec le « prince-constituant » qu’à une exigence de véracité. On comprend, au bout du compte, que la prudente résolution de s’en tenir à ce qui est, plutôt qu’à ce qui devrait être, participe d’une culture du fait accompli qui se retranche stratégiquement derrière un juridisme de façade rappelant que la raison constitutionaliste du plus fort prime sur les espérances légitimes d’alternance du plus grand nombre dans un pays transformé en principauté satrapique par un « prince-constituant » dont les envies d’éligibilité illimitée ont force de loi. Les scribes du prince ne manquent évidemment pas d’astuces. Ils peuvent, en toute bonne conscience, seriner à suffisance que la loi ne dispose que pour l’avenir ou que la révision de 2008 « ne contient aucune clause de survie ». Ils ont bien conscience que la non-rétroactivité de la loi procure un paravent commode à la coterie politique au pouvoir qui prospère au prix d’un viol constant de la loi pour accommoder les velléités d’accaparement de pouvoir de ceux qui s’en servent pour consolider légalement leurs stratagèmes de perpétuation au sommet de l’exécutif national.
Les supposés arguments de fond qu’avance James Mouangue Kobila établissent surtout qu’il avalise le braquage des institutions qui a permis au « prince-constituant » de préparer les conditions de son maintien au pouvoir. Il y a plus, il est admissible de penser que cette collusion n’est pas fortuite et qu’elle procède d’une division du travail au terme de laquelle les scribes juridiques sont affectés aux tâches de légitimation des forfaitures formelles des concussions politiques de leur commanditaires. On ne s’étonnera donc pas de la corrélation constante entre les causes pour lesquelles ils se mobilisent dans la cité et les priorités du « prince-constituant ». Dans cette sarabande collusionnaire, les universitaires qui signent les motions de soutien décrivant le « prince-constituant » comme un messie se drapent de leurs toges professorales pour faire, à l’abri du paravent de l’objectivité scientifique, ce que les militants des comités de base du RDPC ont tendance à faire plus bruyamment. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif de l’action qui n’a besoin d’être concertée, mais seulement vaguement synchronisée, est de justifier l’action du « prince-constituant » pour protéger les intérêts de toute la meute. Quand bien même quelques membres de cette fratrie interlope avancent masqués sous les dehors d’honorabilité du statut d’agrégé universitaire de droit, ils n’en sont pas moins des frappes qui prêtent leur autorité académique aux maîtres du jour.
Ironiquement, c’est James Mouangue Kobila qui donne la mesure de l’ampleur de la forfaiture constitutionnelle de Paul Biya. Il le fait par inadvertance lorsque, croyant bien faire, il tire argument de la force normative du droit constitutionnel comparé pour faire accroire que la satrapie qu’il défend est un membre honorable de la communauté des nations démocratiques. Il feint d’oublier que les pays d’Amérique latine qu’il mentionne n’ont pas l’histoire récente d’un monopole de l’exécutif commué de facto en présidence à vie et que l’alternance au sommet de l’Etat n’a, dans ces pays rien d’exceptionnel. Par contre, les exemples africains qu’il donne en disent bien plus sur son adhésion enthousiaste à l’abandon de la limitation prudentielle du nombre de mandats présidentiels qu’une courte analyse de son intervention dans le débat sur la rééligibilité de Paul Biya. Scrutons sa liste, pour l’édification de tout le monde : Algérie, Burkina Faso, Gabon, Guinée Conakry, Madagascar, la Mauritanie, la Namibie, le Tchad, le Togo et la Tunisie. L’histoire récente est encore suffisamment présente à l’esprit pour qu’on sache que Bouteflika, Lansana Conté, Compaoré, Bongo père et fils, Deby Itno, ou Eyadema et son successeur, comme Ben Ali ou les hiérarques mauritaniens qui se succèdent au pouvoir au rythme de coups d’Etats meurtriers n’offrent guère les gages de crédibilité démocratiques requis pour tenir leurs manigances constitutionnelles pour des modèles de pédagogie institutionnelle. De meilleurs exemples existent, y compris en Afrique, à commencer par le Nigéria voisin, puis d’autres cas africains, comme le Benin, ou le Ghana. Mais le droit constitutionnel comparé de James Mouangue Kobila cherche ses modèles parmi les satrapies d’un autre temps où règnent des « princes-constituants » qui sont passés maîtres dans l’art de tripatouiller les constitutions pour prolonger leur pouvoir. On peut d’ores et déjà penser que l’avenir autocratique leur est garanti, tant que des scribes juridiques leur prêteront leur plume. Mais les peuples épuisés n’ont pas dit leur dernier mot. La Tunisie que cite James Mouangue Kobila devrait donner matière à réflexion aux satrapes de tout acabit et à leurs plumitifs : les modifications constitutionnelles ne garantissent la perpétuation du pouvoir du prince-constituant que tant que le rapport de force lui est favorable. Le courroux populaire, on l’a vu en Tunisie, a le pouvoir de balayer le château de cartes et les illusions de permanence de monarques qui se maintiennent au pouvoir en singeant les modalités de légitimation démocratique. Dans leur fuite éperdue en fin de course, les autocrates africains sont souvent, hélas, suivis par leurs malheureux scribes accroupis…
Paul-Aarons Ngomo, New York. USA

 



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