On pensait clos le débat sur l’éligibilité ou non du Président Biya à la prochaine élection présidentielle avec la sentencieuse formule du Pr Narcisse Mouelle Kombi : « La loi constitutionnelle de 1996 limitant les mandats a été expressément et valablement abrogée en 2008. Ainsi son abrogation légale empêche qu’elle puisse encore produire un quelconque effet juridique pour l’avenir, la loi nouvelle ouvrant la possibilité de la rééligibilité illimitée à partir du moment où elle entrée en vigueur dès sa promulgation ». On croyait la vérité établie avec la note d’actualité constitutionnelle du Pr Mouangue Kobila qui, reprenant, en étayant davantage cette thèse, a servi aux lecteurs avertis de « la nouvelle expression » une grille de lecture susceptible de rasséréner l’intelligentsia. Apparemment, tout est à refaire, si l’on s’en tient à un récent et long article du Dr Owona Nguini paru dans la même gazette. Maître Fidèle Djoumbissie, avant lui, suivant en cela le questionnement-poudrière du Pr Olinga, s’était déjà exprimé dans un article fort argumenté publié dans le quotidien « le messager ». Pour démontrer l’inéligibilité de l’actuel Président de la République, cet avocat au barreau du Cameroun, a invoqué le principe de la non-rétroactivité des lois par lequel les effets produits par une loi ancienne ne peuvent être remis en cause par une nouvelle loi. Pour lui, Paul Biya, élu en 2004 sous l’égide de la loi constitutionnelle de 1996 fixant le nombre maximal de mandats présidentiels à deux, ne pourrait plus revenir devant le peuple pour solliciter un autre mandat, ce, en vertu de la loi en vigueur jusqu’à ce moment-là, sous peine de faire rétroagir l’actuelle loi, laquelle ne ferait sauter le verrou que pour l’avenir. Car, pour qu’une nouvelle loi régisse des situations en cours, elle devrait, d’après le juriste, qu’elle le prévoie dans l’une de ses dispositions. C’est à peu de choses près cet argumentaire que reprend le Dr Owona Nguini dans l’exposé susmentionné qui, en plus des aspects techniques, verse au débat un regard politologique et une intéressante contribution philosophique, éthique et morale.
Sur cette vieille controverse récemment ressuscitée, la vérité semble donc introuvable, les intellectuels, parés chacun d’une forte autorité scientifique, nous promenant dans de doctes et savantes analyses, invoquant à la fois le droit et la morale, l’histoire, la psychologie et la sociologie, et se servant parfois, comme cela semble être le fort du dernier intervenant cité, d’une phraséologie massue qui, si elle exhibe l’érudition des auteurs, n’en rajoute pas moins à la confusion. Tout cela donne l’impression aux communs des mortels, en référence à la pirouette « yaondréenne » à l’ivoirienne, qu’il se cache derrière ces contributions aériennes des intérêts souterrains. Et c’est cela qui est grave. Car, si le débat en cours relève effectivement de logiques doctrinales, ses effets sur la conscience des citoyens ordinaires peuvent être dévastateurs s’il n’est ramené à des considérations simples et digestes. Car, comment comprendre que des théoriciens, partant du même principe, aboutissent à des solutions opposées? À partir de quand doit-on évoquer la non rétroactivité ? Deux observations suffiront.
La première est méthodologique
C’est vainement que l’on rechercherait dans la modification constitutionnelle de 2008 une disposition explicite ou implicite pouvant suggérer l’empêchement d’une candidature du Président actuel à la prochaine élection et légitimer une interprétation déductive du texte constitutionnel. La méthode utilisée par Djoumbissie et Owona part du procédé rationnel de la déduction et se fonde sur des présupposés politiques et moraux de celui qui dit : Vous avez été élu sur la base d’une loi. Votre situation est régie par elle. Une telle interprétation ne peut prospérer que si le texte constitutionnel, alors obscur, prêtait à confusion. Le premier réflexe du juriste c’est la lecture du texte parce que le propre de l’interprétation est qu’elle porte en elle le risque de la violation. Il convient d’ailleurs de relever que cette interprétation qui part de ce que la révision constitutionnelle est intervenue au cours du second mandat de Paul Biya ne peut tenir dès que, selon le même raisonnement, on fait remonter la révision en 2003 par exemple. Si la modification constitutionnelle avait eu lieu en 2003, en effet, aurait-on prétendu que la loi applicable à Paul Biya à l’élection de 2004 serait celle de 1996 sous prétexte que sa première élection étant intervenue sous l’empire de la loi de verrouillage des mandats, il serait encore régi par elle? C’est une lecture très impertinente qui, non pas qu’elle manque de logique, mais a l’inconvénient de déboucher sur un cercle vicieux. Le juriste, par reflexe, s’appuie paresseusement sur les termes du texte. Il faut appliquer la Constitution en ce qu’elle dispose et non en ce qu’elle disposerait : « le Président est rééligible ». L’on aura du mal à comprendre qu’un empêchement soit fondé sur une loi qui ne dit rien de tel ou sur une autre, inapplicable depuis 2008, parce qu’abrogée, le principe étant l’entrée en vigueur automatique de toute nouvelle loi, sauf si le législateur, pour des raisons précises, prend le soin d’en moduler l’application dans le temps et dans l’espace, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En conséquence, le verrou de la limitation des mandats est levé y compris en ce qui concerne Paul Biya qui, dès l’abrogation de la loi, n’est plus lié par elle puisqu’il ne peut être lié par une loi qui n’existe plus. Lorsque les salaires sont abaissés ou revalorisés, les nouvelles valeurs indiciaires s’appliquent aux nouveaux fonctionnaires, comme aux anciens.
Clause de survie
Le reproche fait au texte constitutionnel au sujet de son silence quant au sort réservé au Président sortant, est, en sens contraire, couvert par l’absence de toute mention formelle d’une interdiction pour lui de faire acte de candidature. La pratique rédactionnelle camerounaise n’est d’ailleurs pas utile en la matière, parce que si certains textes mentionnent une clause de survie des situations antérieures, cela n’est pas vérifié dans tous les cas. Parfois, en effet, le souci de faire cohabiter une nouvelle loi avec des situations en cours a été formellement exprimé. Lorsqu’en 2008 les circonscriptions administratives ont changé d’appellation et de consistance, que les Régions ont remplacé les Provinces et les Districts érigés en Arrondissements, il a rapidement, et dans le même texte, été précisé que les Chefs de circonscriptions administratives en poste resteraient en fonction dans leur ancien statut. Les Chefs de district n’étaient pas subitement devenus des Sous-préfets. Et de fait, à la nomination des nouveaux responsables, les Autorités en poste ont été non pas confirmées selon la formule : « en poste », mais bien nommées à de nouvelles fonctions selon la formule « poste créé ». Les Gouverneurs de l’Est et du Nord-Ouest qui n’ont pas été mutés ont été au demeurant publiquement installés comme tous premiers Gouverneurs de Régions dont ils assuraient pourtant déjà la direction. À d’autres moments, par contre, les rédacteurs ont laissé le soin aux destinataires de la loi d’en avoir une compréhension implicite. C’est le cas de la baisse de salaires évoquée supra. L’on ne saurait donc, en conséquence, s’appuyer sur une pratique rédactionnelle lacunaire pour démontrer qu’une loi abrogée est encore applicable alors que la nouvelle loi ne mentionne rien de tel, sauf à vouloir forcer les traits.
Autorité collégiale
La conclusion que suggère celle-ci est qu’il n’existe jamais de signification objective à un texte, surtout lorsqu’il émane d’une autorité collégiale. Ceux qui votent la loi n’indiquent pas toujours, en effet, comment ils l’ont comprise et, s’ils le font, ils ne la comprennent pas forcément de la même façon. S’agissant du droit constitutionnel, toute interprétation est politique, parce que la constitution étant d’abord l’officialisation d’une certaine idée du droit, de la société et des rapports entre le citoyen et le pouvoir, le même analyste peut avoir trois positions au même moment : une position de juriste pur, une position de politologue et une position de politique. Chacune de ces positions a sa logique, laquelle est parfaitement valide dans sa sphère propre.
C’est donc un faux débat que de suspecter ceux qui prônent l’éligibilité de Paul Biya de vouloir « transformer le pouvoir de maître en discours doctrinaire du pouvoir ». Il s’agit d’un débat, sans plus, pas un jugement. Et le principe en droit est qu’en cas de controverse, chaque fois qu’une interprétation conciliatrice est impossible, c’est au juge qu’il revient de trancher. Au juge donc d’intégrer cette démarche intellectuelle car, ne l’oublions pas, c’est dans leur transformation en décisions juridictionnelles que les principes et raisonnements trouvent un accomplissement qui est d’ailleurs leur plus naturel destin.
Christian Limbouye Yem
Administrateur civil principal