• Full Screen
  • Wide Screen
  • Narrow Screen
  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Promesses de Paul Biya: Des miroirs aux alouettes - Page 9

Promesses de Paul Biya: Des miroirs aux alouettes - Page 9

Envoyer Imprimer PDF
Index de l'article
Promesses de Paul Biya: Des miroirs aux alouettes
Les oxymores politiques de Paul Biya
Un forcing anticonstitutionnel
Paul Biya, le Boulanger qui pétrit la constitution
Paul Biya, le Boulanger qui pétrit la constitution
Une scolarité gratuitement payante
Cachez vos biens
SOS, enseignants en danger
Les Camerounais n'ont pas fini de payer le prix de divisions absurdes
Toutes les pages
Roger Kaffo Fokou, Ensiegnant et Écrivain
Les Camerounais n'ont pas fini de payer le prix de divisions absurdes
Enseignant, syndicaliste et écrivain, Roger Kaffo Fokou, estime qu’en dépit d’un étalage ostentatoire des outils et des rites d’une gouvernance qui se veut moderne de type dit démocratique, nous avons affaire à un pouvoir fonctionnant en réalité sur un mode archaïque.
Germinal :   La gestion politique de Paul Biya semble se caractériser depuis trois décennies, par le double langage, autrement dit,  par les promesses non tenues. Quelle lecture pouvez-vous en faire ?
Roger Kaffo Fokou : Nous sommes à mon avis dans un contexte où, en dépit d’un étalage ostentatoire des outils et des rites d’une gouvernance qui se veut moderne de type dit démocratique, nous avons affaire à un pouvoir fonctionnant en réalité sur un mode archaïque. Un pouvoir dont le chef se considère comme un élu des dieux qui ne doit pas son ascension aux humains, et par conséquent n’a pas d’obligation envers eux. On comprend pourquoi le concept de magnanimité est central à ce type de pouvoir, de même que ce dernier agit sur le mode incantatoire et donne l’impression de croire qu’il suffit qu’il dise « Que la lumière soit » pour que celle-ci fût. Nous avons là le creuset dans lequel se moulent les habitudes de paresse, d’incompétence, d’incurie, de tricherie et finalement d’impuissance. Je pense que le Président Biya a dû être surpris en 1982 par le pouvoir qu’il n’attendait pas, même s’il a certainement dû en rêver, un pouvoir  pour lequel il ne s’était donc pas préparé. Cette surprise aura eu au moins deux inconvénients : le pouvoir lui est apparu comme tombant du ciel, ce qui a développé chez lui un messianisme fondamentalement antidémocratique ; deuxièmement il en a fait un fétiche et même une fin en soi et non un moyen au service de valeurs supérieures. On peut alors comprendre l’espèce de mépris avec lequel il traite son entourage, le peuple, et même l’institution qu’il représente d’une part, d’autre part le machiavélisme qu’il a su développer pour  manipuler comme un marionnettiste les élites tant modernistes que traditionnalistes afin de perpétuer son bien le plus précieux, le pouvoir . À titre d’exemple, le fait d’avoir signé un statut particulier pour les enseignants qui reste inappliqué onze ans plus tard montre qu’il n’attache aucune espèce de valeur à sa propre signature qui n’est pas seulement en l’occurrence celle de l’individu Biya, on s’en ficherait, mais surtout celle de l’institution qu’est le Président de la République, et cela dérange.

L’on se serait attendu que les citoyens, pour ne pas dire le peuple sanctionne une telle gestion, mais cette manière de gérer le Cameroun semble lui convenir. Peut-on considérer qu’au Cameroun, comme dans certains pays africains, la démagogie est une approche efficace dans la gestion des affaires publiques ?

Au regard de la longévité de M. Biya au pouvoir, l’on peut toujours prétendre que ce mode de gestion lui a réussi ; mais personne de sérieux ne saurait avancer qu’il a réussi aux compatriotes de M. Biya. On dit souvent que les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent, mais il s’agit de bien comprendre cette affirmation. M. Biya a hérité au sens propre du terme d’un pays divisé et en a profité. Les Camerounais, il faut le dire, n’ont pas fini de payer le prix de ces divisions absurdes et c’est en cela qu’ils méritent leur sort actuel. Il faudra bien qu’un jour ils se rendent compte qu’ils méritent mieux et que cela ne dépend que d’eux. De là à dire que la démagogie est une approche efficace de gestion des affaires publiques, il y a un fossé qui donne sur un gouffre. Nous ne pouvons tout de même pas affirmer que la catastrophe dans laquelle notre pays se trouve est, par la simple magie de la stabilité politique dont nous sommes devenus dépendants comme d’une drogue, une réussite à vendre sur la place internationale où nous sommes désormais des citoyens d’un pays pauvre très endetté. Tout l’enjeu des déchirements autour de l’Onel ou d’Elecam tient justement au fait qu’on redoute l’expression libre du peuple parce qu’on se doute bien que celle-ci se ferait au détriment d’une volonté de perpétuation d’un statu quo qui profite marginalement à la classe au pouvoir et massivement aux puissances que cette dernière sert.

Comment comprendre qu’au fil du temps, pendant que les discours de Paul Biya tendent à devenir une rengaine, les voix de la classe politique, notamment celles de l’opposition se limitent à quelques critiques mineures qui laissent les pouvoirs publics indifférents ?

Quand une génération rate sa révolution, elle a rarement la possibilité de se rattraper. Cela est vrai à la fois pour M. Biya et son équipe d’une part, d’autre part pour l’opposition et les diverses forces de pression. La rigueur et la moralisation ne furent qu’un slogan qui ne fit même pas illusion le temps d’un feu de paille. L’opération épervier comme tentative de restauration d’un ordre social éthique n’a aucune chance de réussir. M. Biya ne réussira pas sa révolution éthique même s’il la conduisait avec sérieux pour une fois parce que le train ne repasse pas toujours. L’opposition quant à elle a raté dans les années 90 de nombreux rendez-vous cruciaux avec l’histoire et a contracté puis diffusé jusque dans les subconscients le syndrome de l’impuissance. On se relève difficilement de tels processus sans tout remettre à plat, et ni le pouvoir ni l’opposition ne semblent prêts à une révision déchirante. Le mythe d’une toute-puissance illusoire du pouvoir est né, avec son pendant, celui d’une toute-impuissance tout aussi illusoire de l’opposition. Tout cela est décidément bien théâtral, dans un registre tragi-comique. Du moins, le Camerounais ordinaire n’y voit rien de sérieux. C’est l’emboitement de ces deux mythes antithétiques qui a formé le cercle narcotique du statu quo qui prévaut depuis des années dans notre pays, comme dans la cosmologie orientale du yin et du yang. Tant que les symboles de cette mythologie seront positionnés aux postes clés du champ politique, il ne se passera rien et les discours tiendront lieu d’action de part et d’autres.

Il est de notoriété publique que le chef d’État du Cameroun fustige dans presque tous ses discours  la corruption, ce mal qui plombe notre développement. Paradoxalement au même moment  le Cameroun demeure au peloton des pays les plus corrompus au monde. De même, il n’y a pas longtemps, Paul  Biya promettait la baisse des prix des produits de première nécessité. Sur le marché pourtant, on assiste à une inflation presque généralisée. Au regard de ce qui précède, doit-on comprendre qu’en politique il n’y a aucun rapport entre les discours et la réalité ? Peut-on conclure que les promesses de Paul Biya n’engagent que ceux qui y croient ?

La politique camerounaise ne résume heureusement pas la politique. Du G7 hier au G20 aujourd’hui, la preuve est largement faite qu’en politique, l’on peut arriver au pouvoir avec un programme et en exécuter une bonne part avec succès. Je ne suis pas de ceux qui veulent discréditer la politique de manière globale, parce qu’il n’y a aucun autre mode de gestion des sociétés qui ne soit pas politique. Ce type de discrédit débouche généralement sur une désaffection des masses par rapport à la chose politique, ce qui une fois de plus fait l’affaire des oligopoles politiques qui prospèrent sur la misère des masses. Disons-le, il existe une pratique positive du pouvoir politique et celle-ci a fait et continue à faire ses preuves ici et là. La démagogie, qui est un désajustement entre les discours et la pratique politique poussé jusqu’à l’inacceptable, n’est que la marque d’hommes d’État n’ayant jamais eu de vrais projets politiques ou fondamentalement incapables de mettre en œuvre un quelconque projet. La suprématie américaine sur le monde tout au long du XXe siècle ainsi que la montée en puissance actuelle de la Chine et d’autres pays dits émergents ne sont pas les fruits du hasard, mais les résultats de politiques théorisées puis mises en œuvre de façon rigoureuse. Bien sûr il y a toujours un certain pourcentage de désajustement entre le discours comme projet et la réalité construite à la suite, mais ce n’est pas cela que l’on appelle démagogie.

Quel bilan politique global pouvez-vous établir des 30 dernières années de Paul Biya à la tête de l’État du Cameroun ?

À mon avis, l’une des choses les plus importantes que l’on retiendra de M. Biya est qu’il nous a permis de mesurer les limites de la liberté d’expression comme outil au service de la démocratie. Ces 30 dernières années, les Camerounais ont certainement mieux compris l’adage selon lequel « Le chien aboie, la caravane passe » : parlez, criez, dénoncez, et tout se passe exactement comme si vous étiez muets. Tenez : des fonctionnaires, pris en faute sans doute, mais normalement présumés innocents travaillent depuis bientôt 4 ans sans salaire ; nous avons saisi par écrit le Premier Ministre à deux reprises, une fois par lettre ouverte, en pure perte de temps. Il y a là une véritable perversion de la liberté d’expression. Est-ce un acquis positif ? J’en doute. Les livres comme la presse ne se vendent plus parce que l’on a pu vérifier la relativité de l’efficacité de la vérité dans le champ sociopolitique camerounais. Conséquemment, toutes les formes de déviations se sont développées, bénéficiant de la quasi inefficacité de toute forme de dénonciation. Quant  à M. Biya s’en ira demain ou après-demain parce que cela est inscrit dans l’ordre de la nature à défaut de l’être dans l’ordre constitutionnel, il laissera un pays à refaire sur tous les plans fondamentaux : sens de responsabilité, civisme, esprit de sacrifice… Au plan politique, il aura laissé un pays profondément dépolitisé, où les citoyens ne croient ni en eux ni en ceux qui, même sincèrement, se sacrifient pour eux. C’est tout cela qui est grave. Je veux bien que l’on me parle de projets structurants, mais quand l’être humain est à ce point déconstruit, déstructuré, tout ce que l’on bâtit s’apparente à un château édifié sur du sable. Face à un tel drame, il me semble inutile de faire une comptabilité d’épicier.

Récemment, la Sopecam a mis en vente plusieurs volumes d’un ouvrage intitulé L’appel du Peuple. Avez-vous le sentiment que le peuple camerounais adhère au discours et à la façon de gérer le Cameroun de Paul Biya ?

Le concept de « peuple » est aussi galvaudé que celui de « communauté internationale ». Le peuple, celui qui compte politiquement parce que constitué de personnes majeures, concrètes, que l’on peut toucher du doigt, est fait de travailleurs en activité ou au chômage. Remarquez que M. Biya promet tout au peuple, mais ne donne rien aux travailleurs. C’est qu’il sait que le peuple n’est qu’une fiction qui ne risque pas de revendiquer le respect de ces promesses, ce qui serait évidemment différent s’il s’agissait des travailleurs : depuis 11 ans par exemple, les enseignants n’ont cessé de revendiquer l’application de leur statut. C’est pourquoi des pavés comme L’appel du peuple n’ont aucune espèce de valeur, ni littéraire ni politique. C’est un usage du temps, de l’encre et du papier fondamentalement antiéconomique parce que ne tenant pas compte des coûts d’opportunité. Car, à qui s’adressent-ils ? Pour les lire, il faudrait une belle dose de masochisme qui ne court pas les rues. Inutile de demander si les Camerounais y adhèrent : combien sont-ils qui sont au courant de l’existence de telles fumisteries ?  

Quelle est votre lecture de cet « appel » ?

Dieu me garde de lire pareille littérature. Plus sérieusement, disons qu’un tel appel est une blague de très mauvais goût. Il s’agit d’une moquerie à l’endroit d’un peuple que l’on croit tenir suffisamment pour être sûr qu’il est inoffensif ad vitam aeternam, mais c’est une erreur grossière. Les peuples ont une mémoire d’éléphant et le nôtre s’en souviendra au moment opportun. L’histoire ancienne et récente abondent d’exemples qui le prouvent à suffisance, mais le pouvoir rend amnésique, sourd et aveugle. Le pouvoir est également une dangereuse drogue génératrice d’illusions tout aussi dangereuses. C’est pour cela que c’est si doux de mourir au pouvoir ! Quoi de mieux que de s’endormir dans l’illusion pour l’éternité ? Nous en rêvons tous. Ainsi, l’on pourrait échapper au jugement des hommes qui est le pire jugement qui soit. Pensez à Albert Camus dans La Chute : « Ne me parlez pas du jugement dernier, disait-il, j’ai connu pire, le jugement des hommes ». Il avait raison : ce n’est pas la culpabilité qui effraie, c’est le jugement, et plus que tout, le jugement des hommes. Cet appel dit du peuple, c’est pire qu’une simple tricherie, c’est une trahison du mandat populaire, une monstruosité humaine. Ceux qui s’adonnent aux délices de telles forfaitures savent que seule l’assurance d’échapper au jugement leur garantit de finir dans l’illusion. Mais sait-on jamais ? Il suffit de savoir que malgré tout, toutes les possibilités restent ouvertes et qu’à tout moment tout peut basculer…
Propos recueillis par
Jean-Bosco Talla

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir