Droit de vote: des détenus "préventifs" exclus du jeu électoral
Présumés innocents, ils veulent avoir leur mot à dire dans les affaires publiques. Les autorités pénitentiaires et judicaires estiment impossible de faire voter les détenus en détention préventive et les gardés à vue.
Lors de l’élection présidentielle de 2004, Yves Michel Fotso, avait été un acteur majeur de l’équipe de campagne du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dans le département du Koung-Khi. Inscrit sur une liste électorale dans cette circonscription, il était allé voter, tout naturellement.
Mis sous mandat de dépôt en décembre 2010 à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé dans le cadre de l’opération Epervier contre les présumés détourneurs de deniers publics, il ne devrait pas participer à l’élection présidentielle du 9 octobre prochain. Alors que ses droits civiques doivent être respectés tant qu’il n’a pas été condamné définitivement par une juridiction.
"Je veux voter"
Le cas d’Yves Michel Fotso est loin d’être isolé. "Je veux voter", clame Robert Totio, placé sous mandat de dépôt depuis le 18 septembre 2008 à la prison centrale de Bafoussam. Son long séjour en milieu carcéral n’a pas entamé son goût du débat pour les questions politiques et sociales. Ayant voté en juillet 2007, il froisse son visage lorsqu’on évoque la prochaine élection présidentielle. "Je veux voter, mais que faire ? Je pense que tant que je n’ai pas été condamné par un tribunal, mon droit de vote reste intact. La difficulté est là : privé de liberté, je ne saurai me mouvoir vers une antenne d’Election’s Cameroun (Elecam)", se plaint-il, en levant les yeux au ciel.
Dans l’attente de son procès devant le tribunal de grande instance (Tgi) de la Mifi à Bafoussam, où il est poursuivi pour "vol aggravé, tentative de meurtre et profanation de cadavre", il tient à exprimer son point de vue sur la manière dont la cité est gérée. "Avant mon arrestation, je menais mes activités du côté de Douala. Je reste persuadé que, sorti d’ici, je dois reprendre la vie comme avant. Je suis gêné de ne pas pouvoir me prononcer sur le choix du futur dirigeant du Cameroun", soutient-il.
Sous mandat de dépôt depuis le 27 septembre 2009, Eric Junior Tagué, lui, ne sait comment procéder pour s’inscrire sur une liste électorale. Même interrogation chez Yannick Tchonang, en détention préventive depuis le 17 janvier 2011.
Les exemples abondent. Selon les statistiques disponibles le 12 septembre 2011, 656 personnes en détention préventive à la prison centrale de Bafoussam se trouvent dans cette situation. Dans chacune des centrales de Douala et Yaoundé, ils seraient plus de 1500 détenus dans ce cas. Me René Tagne, délégué régional d’Elecam à l’Ouest, plaide pour le respect du droit de vote de ces prévenus qui n’ont pas encore été définitivement condamnés.
Un droit difficile à appliquer
Le régisseur de la prison centrale de Bafoussam, Soné Ngolé Bomé, reconnaît le principe du droit de vote attaché à celui de la présomption d’innocence. Il estime cependant que la décision de convoyer des prévenus de la prison vers un autre lieu revient au procureur de la République. Une source proche du Procureur général près la Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam pense que la mise en œuvre du droit de vote des détenus est difficile pour des raisons liées au maintien de l’ordre public en période électorale ou à la disponibilité des ressources humaines et financières nécessaires. "Admettant qu’une permission d’aller voter soit accordée aux 656 prévenus de la prison centrale de Bafoussam, a-t-on les moyens d’affecter un gardien à la surveillance de chacun d’entre eux ? Puisque ce déplacement se fait dans leur intérêt personnel, ont-ils les moyens de supporter les frais de mission des gardiens mobilisés ?", s’interroge-t-on dans cette instance.
On fait remarquer, en outre, l’incompatibilité entre l’exigence de garantie du secret du vote et la présence d’un geôlier derrière un prévenu qui aurait bénéficié d’une permission pour l’accomplir. Enfin, l’installation des urnes par Elecam à l’intérieur des prisons paraît, pour certains, ne pas être une solution appropriée, car l’expression du droit de vote est attachée au domicile de chaque citoyen. Ngounou, alors chef des opérations électorales et référendaires d’Elecam à l’Ouest, partage cet avis et conclut que le législateur a tranché cette question dans la loi de décembre 1991 fixant les conditions d’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ce texte précise : "Ne doivent pas être inscrits sur une liste électorale et ne peuvent voter les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt"
Une stratégie ?
Le directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés, Charlie Tchikanda, affirme sans hésitation que "cette exclusion des personnes en détention préventive du processus électoral est purement arbitraire". "Ces prisonniers font partie du lot des mécontents de la République. Il n’est pas exclu que ce refus de leur permettre d’exercer leur droit de vote, tant qu’ils n’ont pas été condamnés, participe d’une stratégie du gouvernement. Ils sont considérés comme des opposants", analyse le militant des droits de l’Homme.
Président d’une section de l’organisation des jeunes du parti au pouvoir dans le département de la Mifi, Hyppolite Tchoutezo, contredit cette thèse. Pour lui, de nombreux militants de ce parti se trouvant derrière les barreaux restent attachés aux idéaux de leur chapelle politique. D’autres, au contraire, pensent que les pontes du régime incarcérés dans le cadre de l’opération Epervier seraient prêts, si l’occasion leur était offerte, à sortir de leur cellule pour sanctionner le Président Paul Biya, le 9 octobre.
Guy Modeste Dzudie (Jade)
Comment analysez-vous la situation des détenus préventifs exclus du droit de vote au Cameroun ?
La détention préventive et la garde à vue ne constituent pas des incapacités électorales. Lorsque des citoyens ne peuvent jouir du droit de vote du seul fait de leur situation de prisonniers en détention préventive ou de gardés à vue, les autorités foulent aux pieds le principe de la présomption d’innocence. Je suggère donc l’étude de la mise en œuvre des possibilités de faire voter les détenus notamment en les recensant et en transmettant leur vote aux bureaux dans lesquels ils sont inscrits
Quels sont les obstacles à l’exercice de ce droit pour les prisonniers concernés ?
Le législateur colle la jouissance du droit de vote à l’observation de certaines conditions notamment la nationalité, l’âge et la capacité. Pour les détenus, cette jouissance est d’une application délicate compte tenu non seulement de leur absence de liberté, mais aussi de l’obligation pour l’électeur d’être inscrit sur une liste électorale. Toutefois les dispositions de l’article 12 de la loi n°91/20 du 16 décembre 1991 régissant les conditions d’inscription sur les listes électorales ne discriminent pas les détenus. La question essentielle est de savoir comment les autorités peuvent organiser le déplacement de ces prisonniers vers les bureaux de vote.
Les restrictions au droit de vote des suspects gardés à vue sont-elles conformes à la Constitution du Cameroun ?
Notre Constitution précise que le Cameroun est un état démocratique, que les autorités chargées de diriger l’Etat tiennent leur pouvoir du peuple par voie d’élection au suffrage universel direct ou indirect et surtout que le vote est égal et secret et qu’y participent tous les citoyens âgés d’au moins 20 ans. Il est donc clair que les restrictions du droit de vote de ces détenus ou autres ne sauraient être conformes à notre constitution. J’insiste comme plus haut pour dire qu’il y a un problème de mise en pratique du droit de vote pour ceux qui sont privés de liberté.
Quels recours ont ces détenus pour exercer leur droit ?
Propos recueillis par Guy Modeste Dzudie (Jade)