Copies de jugements égarées: Il a déjà fait neuf ans de prison en trop
Condamné à sept ans de prison, Aristide Fokam continue de purger sa peine, seize ans après : neuf ans de rab ! L’Administration judiciaire ne retrouve pas les copies des jugements qui le concernent. Incapacité ou mauvaise volonté ?
Aristide Fokam, 40 ans, sous mandat de dépôt à la prison centrale de Bafoussam depuis le 28 janvier 2001, pense que sa place ne devrait plus être là. Avant d’être transféré dans cette prison, il avait déjà séjourné pendant six ans à la prison de Dschang. Selon lui, il aurait dû être libéré au plus tard en juin 2009, même en cumulant ses deux condamnations devant le juge d’instance, à savoir 12 ans d’emprisonnement pour "vol aggravé" en 1995 et 2 ans pour vol simple et recel en 1997. Mais faute de pouvoir disposer des copies de l’arrêt rendu en 2001 par la cour d’appel de l’Ouest "réduisant considérablement sa peine", et de celles des deux décisions prises par le Tribunal de grande instance (Tgi) de la Menoua en 1995 et en 1997, il est maintenu en détention.
Me André-Marie Tassa estime "inadmissible qu’Aristide Fokam se trouve encore en prison. Il n’a pas forcément besoin de brandir la grosse(1) de son jugement pour être remis en liberté. Il suffit juste qu’il adresse une requête au juge d’habeas corpus pour retrouver sa liberté. Le code de procédure pénale est claire sur la question", explique l’avocat.
Requête sans suite
Le samedi 10 décembre dernier, lors de notre visite à la prison centrale de Bafoussam, l’infortuné attendait toujours une réponse à sa lettre adressée, en juin 2011, au régisseur de la prison centrale de Bafoussam, sollicitant une audience pour expliquer son cas. "Lorsque le procureur arrive ici en visite, nous l’interpellons sur nos problèmes : il nous conseille de formuler nos requêtes par écrit. Nous le faisons. Malheureusement, il ne nous répond pas. On se demande même si les documents en question lui sont transmis par les services du régisseur ", s’interroge-t-il. Avant de poursuivre : "Si j’avais l’arrêt de la Cour d’appel réduisant ma peine, je ne serais plus en prison. Ils avaient tranché en mon absence. Les 12 ans de prison que m’avaient infligés les juges du tribunal de grande instance de la Menoua à Dschang avaient été réduits à 5 ans, m’a-t-on dit à la cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam. Une autre décision me condamnant en 1997 a été prononcée par le tribunal de première instance de Dschang pour vol simple et recel. S’il fallait même faire la somme des deux décisions, je devrais être sorti de prison depuis 2009, après 14 ans. Mais faute de pouvoir disposer des copies de ces jugements, je suis maintenu ici pour rien. Toutes mes démarches en vue d’entrer en possession de ces documents se sont avérées vaines. Les greffiers de prisons et les gardiens sollicités me disent toujours qu’il ne voient rien."
Selon Aimé Theodore Nganteu, militant de l’Action citoyenne, une organisation de défense des droits de l’Homme, les textes de loi sont pourtant clairs. S’ils étaient respectés, on ne devrait pas avoir à faire des prolongations illégales d’emprisonnement des personnes condamnées. "Il y a irrégularité dans ce cas. Les autorités de la prison et du greffe de la Cour de l’Ouest et ceux du Tgi de la Menoua devraient vérifier le dossier du détenu Fokam. A partir de son mandat de dépôt qui date de 1995, il est possible de procéder à des fouilles pour lui communiquer le contenu de la décision de la Cour d’appel de l’Ouest ou de tous les éléments contenus dans son extrait de casier judiciaire. Ce n'est pas aussi compliqué", souligne le défenseur des droits de l’Homme.
Selon lui, il incombe aux chefs des juridictions de veiller non seulement à l’application des peines mais aussi de mettre en liberté les condamnés ayant fini de purger leur sanction pénale. Il s’appuie sur l’article 545 du code de procédure pénale qui prescrit : "Les Présidents des Cours et Tribunaux doivent s'assurer de l'exécution des décisions et ordres de leurs juridictions. Les ordres et décisions judiciaires d'arrestation, de détention ou de mise en liberté sont immédiatement exécutoires, à la diligence du parquet qui les transmet directement aux autorités chargées de leur exécution."
200 000 Fcfa pour une pièce
"Chaque fois que je sollicite l’intervention des greffiers ici, ils me demandent de l’argent. D’autres disent que c’est compliqué parce que mon dossier de base se trouve au greffe de la prison de Dschang. Les membres de ma famille se sont investis pour cela sans solution. Ma mère est allée jusqu'à donner 200 000 Fcfa aux gardiens de prison pour qu’ils recherchent ledit document. Mais aucun résultat favorable. Moi-même, j’ai dépensé 200 000 Fcfa pour pouvoir entrer en possession des différentes grosses en question. Je n’ai obtenu aucun succès. Je ne sais plus quoi faire", se lamente Aristide Fokam. Démuni, ce condamné ne compte plus que sur le soutien de sa génitrice, Julienne Assonfack. Celle-ci se trouve aussi découragée après plusieurs interventions. "J'ai tout fait pour qu’il soit libéré. On m’a toujours abusé. Je laisse tout entre les mains du bon Dieu", se résigne sa mère.
Quid d’une demande d’assistance judicaire ? Aristide Fokam n’y pense pas. Alors que "cette sollicitation lui permettra d’avoir un conseil qui l’aidera, au frais du Trésor public, à retrouver - si son dossier judicaire le permet - la liberté qu’il recherche tant, et, pourquoi pas, lui permettre de poursuivre les responsables de la prolongation illégale de son séjour en prison."
Guy Modeste Dzudie (Jade)
(1) En droit, la grosse d’un acte authentique, d’un jugement ou d’un arrêt, se distingue de l’original ou de la minute en ce qu’elle n’est qu’une copie, et de la simple expédition en ce qu’elle est revêtue de la formule exécutoire. En cas de perte de la grosse, la partie qui veut s’en faire remettre une autre doit obtenir l’autorisation du président du tribunal