Les droits humains en milieu carcéral
Vingt journalistes ont accepté de s'attaquer au difficile chantier des droits humains en milieu carcéral au Cameroun. Avec l'aide de l'Union Européenne, de Jade (Journalistes en Afrique pour le développement) Cameroun et de l'Ong française Ouest-Fraternité, ils ont suivi une formation de trois semaines (du 6 au 29 avril) à Yaoundé, Bafoussam et Douala. Cette formation a été l'occasion de rencontres avec une vingtaine de représentants des autorités carcérales, policières et de gendarmerie, ainsi qu'avec des organisations civiles spécialisées dans la défense des prisonniers. Un défi qui a abouti à des recommandations susceptibles de formaliser des relations plus fructueuses entre les parties concernées. L'objectif étant de mieux collaborer pour parvenir à une vérité journalistique dans le respect de la dignité de l'Homme, qu'il soit gardé à vue ou détenu.
Prison de Douala : Pas de visites pour les parents qui trafiquent
Pris en flagrant délit d'introduction de substances illicites ou d’objets interdits, ils ne peuvent communiquer avec un parent ou un ami détenu à la prison New Bell de Douala.
Le mur droit de l'entrée principale de la prison centrale de Douala est recouvert de photocopies de cartes nationales d’identité. Ici : "Suspensions de communication pour infiltration de cigarettes au sein de la Prison". Là, "Interdiction de communication pour pratique de relations sexuelles", ou encore pour "introduction de drogue", "de téléphones portables". "Les photocopies de ces cartes appartiennent aux personnes interdites de communication avec les détenus pour avoir commis des infractions diverses", indique François Chéota, le chef du Service de la discipline et des activités socioculturelles et éducatives de la prison.
Les sanctions et leurs auteurs sont clairement affichés. En revanche, aucune indication sur les objets et substances prohibés. La fouille est le seul moyen qui permet de les faire connaître. François Chéota balaie l’argument d’une information à sens unique. Selon lui, le fait que les visiteurs dissimulent toujours les mêmes objets et substances est bien la preuve qu’ils savent que leur possession est interdite dans la prison.
Tous les moyens sont bons…
Les visiteurs multiplient les stratégies pour introduire clandestinement tout ce qui est interdit dans l’enceinte du pénitencier. "Il y a deux semaines, les gardiens ont découvert un téléphone portable et 5 palettes de drogues en comprimés qu’une visiteuse avait soigneusement dissimulés dans des semelles de tennis", témoigne Ibrahim M., un détenu qui a assisté à la scène. Surprise en pleine infraction, la femme a pris la fuite.
Certains visiteurs se servent même de leur corps pour arriver à leurs fins. Le 1er avril dernier, des gardiens ont surpris une femme en train de retirer du chanvre indien de son vagin, au beau milieu de la cour de la prison.
La tentative d’introduction d’alcool, de portables ou de cigarettes en prison ne justifie pas une arrestation des contrevenants. Mais les détenteurs de drogues sont très souvent mis à la disposition des forces de l’ordre. "On adresse une correspondance au commissaire de police, puis on met le visiteur à sa disposition", explique François Chéota. Ces visiteurs sont alors passibles de peines d’emprisonnement, la possession de drogues étant punie par la loi.
Des suspensions de communication sont également prises à l’encontre des personnes surprises en train de pratiquer des relations sexuelles. Pour avoir été gratifié d’une fellation, Rostand F., un détenu de 28 ans, est privé des visites de son amie. "Ma femme a été suspendue de visite pour une durée de six mois", déclare-t-il. Pourtant, le jeune homme nie avoir eu des relations sexuelles. "On s’embrassait. Une gardienne de prison nous a surpris et est allée nous dénoncer". Réagissant à ces allégations, François Chéota déplore la mauvaise foi du détenu. "Il est passé aux aveux et a même adressé une demande d’excuse pour sa faute", conteste-t-il. Le détenu continue pourtant de clamer son innocence. "Nous avons avoué sous la contrainte. J’ai été copieusement battu. Ma copine a reçu des gifles", proteste Rostand.
Le président de l’Association camerounaise des droits des jeunes (ACDJ), une organisation active dans les prisons camerounaises, Jean Tchouaffi, condamne ces mesures de suspension des communications. Il estime qu’elles peuvent s’avérer fatales pour les détenus. "Les prisonniers doivent parfois compter sur leurs proches pour recevoir des soins de santé que la prison ne peut pas fournir. S’ils sont interdits à la prison, les détenus malades pourraient succomber à leurs maladies", explique le responsable de l’association.
Pour réduire les infractions aux règles de la prison, Jean Tchouaffi propose de renforcer la surveillance pendant les visites. "À défaut d’accroître l’effectif des gardiens de prison chargés de surveiller les visites, il faudrait aménager des box où les détenus pourraient communiquer à tour de rôle, sous la surveillance de 4 ou 5 gardiens", suggère-t-il. Ce qui permettrait de respecter pleinement l’article 238 du code de procédure pénal qui garantit aux détenus le droit de recevoir des visites.
Anne Matho (Jade)