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Prisons camerounaises : des univers de non-droit

Prisons camerounaises : des univers de non-droit

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Index de l'article
Prisons camerounaises : des univers de non-droit
Il a un métier dans la tête: la prison transforme la vie du voleur
Prison centrale de Yaoundé : deux médecins et neuf infirmiers pour 4600 détenus
Prison d’Edéa : des détenus apprennent à élever des porcs
Dérives de la garde à vue : en caleçon, dans des cachots infects
Mal nourris par la prison : les séropositifs abandonnent leur traitement
Pour l’empêcher de se suicider, Elle vit enchaînée à la prison d’Edéa
Prison de Mbouda: l’État investit pour adoucir le sort des détenus
À Bafang et Bangangté, les régisseurs agissent
Prison principale d’Edéa: petits métiers, petits sous et réinsertion
Dangers de la promiscuité carcérale: hommes, femmes, mineurs dans le même quartier
Depuis les émeutes de 2008: Pierre Essobo Andjama croupit en prison
Après des années de prison: ces détenus attendent le verdict du tribunal
Prison de New Bell: Les femmes logées à bonne enseigne
Plus de 80 mois derrière les barreaux
Copies de jugements égarées: Il a déjà fait neuf ans de prison en trop
Garde à vue abusiveà Bafoussam: Huit jours de calvaire dans une cellule puante
Faute de soins et menotté, un suspect meurt dans une gendarmerie de Douala
Pas facile d’être graciés par le président
Des détenus de Yabassi vivent de la corvée
En prison selon l'humeur du préfet
En prison selon l'humeur du préfet
Des gardiens de prison participent à des trafics
Un commerçant armé, abattu par la police
Cellules sans toilettes à Douala : des nids à maladies pour les gardés à vue.
Plus de trois ans en prison sans jugement
Ils distribuaient des tracts politiques : Dix sept jeunes arrêtés et torturés à Douala
Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal
Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal
Détention provisoire abusive: Il passe 21 mois en prison sans être jugé
Droit de vote: des détenus
Prison de New-Bell : des détenus victimes des pratiques sexuelles non consenties
A la prison de New Bell : Des parloirs pour riches et des
A la prison de Yabassi: adultes et mineurs logés à la même enseigne
Prison de Kondengui :
Interpellation abusive: Il paye 360 000 Fcfa pour être libéré
Des militaires abattent un jeune homme à Nkongsamba
Le trafic d’armes dans les prisons camerounaises
Douala: Hommes, femmes, enfants, entassés dans les mêmes cellules
La mort rôde dans les prisons camerounaises
Un prisonnier enchaîné se pend dans sa cellule
Mort suspecte du chef de Batcham en 2007
A l'’expiration du mandat de détention provisoire
Les droits des suspects souvent bafoués
Ces prisons où la cellule est un privilège
Me Emmanuel Pensy: Les prisons camerounaises sont des écoles de crime
Prison de Mbanga : Pauvre ration pour les pauvres
Interpellation illégale : Une victime d'arrestation abusive raconte son cauchemar
Prison de New Bell : Une visite qui peut coûter cher
Univers carcéral : les prix flambent à la prison centrale de Yaoundé
Atteinte aux droits humains : Un réfugié gardé à vue pendant sept jours à Yaoundé
Menaces sur la libération de Michel Thierry Atangana en 2012
Rapports sur le Cameroun: La vie des détenus menacée dans les prisons camerounaises
Garde à vue: des prostituées victimes de rackets policiers
Réinsertion: Jean T., ancien détenu, reprend ses études
Conditions de détention : Prisons surpeuplées et vétustes
Me Jacques Mbuny témoigne
Toutes les pages

Les droits humains en milieu carcéral

Vingt journalistes ont accepté de s'attaquer au difficile chantier des droits humains en milieu carcéral au Cameroun. Avec l'aide de l'Union Européenne, de Jade (Journalistes en Afrique pour le développement) Cameroun et de l'Ong française Ouest-Fraternité, ils ont suivi une formation de trois semaines (du 6 au 29 avril) à Yaoundé, Bafoussam et Douala. Cette formation a été l'occasion de rencontres avec une vingtaine de représentants des autorités carcérales, policières et de gendarmerie, ainsi qu'avec des organisations civiles spécialisées dans la défense des prisonniers. Un défi qui a abouti à des recommandations susceptibles de formaliser des relations plus fructueuses entre les parties concernées. L'objectif étant de mieux collaborer pour parvenir à une vérité journalistique dans le respect de la dignité de l'Homme, qu'il soit gardé à vue ou détenu.

Prison de Douala : Pas de visites pour les parents qui trafiquent
Pris en flagrant délit d'introduction de substances illicites ou d’objets interdits,  ils ne peuvent communiquer avec un parent ou un ami détenu  à la prison New Bell de Douala

 
Le mur droit de l'entrée principale de la prison centrale de Douala est recouvert de photocopies de cartes nationales d’identité. Ici : "Suspensions de communication pour infiltration de cigarettes au sein de la Prison".   Là, "Interdiction de communication pour pratique de relations sexuelles", ou encore pour "introduction de drogue", "de téléphones portables". "Les photocopies de ces cartes appartiennent aux personnes interdites de communication avec les détenus pour avoir commis des infractions diverses", indique François Chéota, le chef du Service de la discipline et des activités socioculturelles et éducatives de la prison.
Les sanctions et leurs auteurs sont clairement affichés. En revanche, aucune indication sur les objets et substances prohibés. La fouille est le seul moyen qui permet de les faire connaître. François Chéota balaie l’argument d’une information à sens unique. Selon lui, le fait que les visiteurs dissimulent toujours les mêmes objets et substances est bien  la preuve qu’ils savent que leur possession est interdite dans la prison.

Tous les moyens sont bons…
Les visiteurs multiplient les stratégies pour introduire clandestinement tout ce qui est interdit dans l’enceinte du pénitencier. "Il y a deux semaines, les gardiens ont découvert un téléphone portable et 5 palettes de drogues en comprimés qu’une visiteuse avait soigneusement dissimulés dans des  semelles de tennis", témoigne Ibrahim M., un détenu qui a assisté à la scène. Surprise en pleine infraction, la femme a pris la fuite.
Certains visiteurs se servent même de leur corps pour arriver à leurs fins. Le 1er avril dernier, des gardiens ont surpris une femme en train de retirer du chanvre indien de son vagin, au beau milieu de la cour de la prison.
La tentative d’introduction d’alcool, de portables ou de cigarettes en prison ne justifie pas une arrestation des contrevenants. Mais les détenteurs de drogues sont très souvent mis à la disposition des forces de l’ordre. "On adresse une correspondance au commissaire  de police, puis on met le visiteur à sa disposition", explique François Chéota. Ces visiteurs sont alors passibles de peines d’emprisonnement, la possession de drogues étant punie par la loi.
Des suspensions de communication sont également prises à l’encontre des personnes surprises en train de pratiquer des relations sexuelles. Pour avoir été gratifié d’une fellation, Rostand F., un détenu de 28 ans, est privé des visites de son amie. "Ma femme a été suspendue de visite pour une durée de six mois", déclare-t-il. Pourtant, le jeune homme nie avoir eu des relations sexuelles.  "On s’embrassait. Une gardienne de prison nous a surpris et est allée nous dénoncer".  Réagissant à ces allégations, François Chéota déplore la mauvaise foi du détenu. "Il est passé aux aveux et a même adressé une demande d’excuse pour sa faute", conteste-t-il. Le détenu continue pourtant de clamer son innocence. "Nous avons avoué sous la contrainte. J’ai été copieusement battu. Ma copine a reçu des gifles", proteste Rostand. 

Des box pour communiquer
Le président de l’Association camerounaise des droits des jeunes (ACDJ), une organisation active dans les prisons camerounaises, Jean Tchouaffi, condamne ces mesures de suspension des communications. Il estime qu’elles peuvent s’avérer fatales pour les détenus. "Les prisonniers doivent parfois compter sur leurs proches pour recevoir des soins de santé que la prison ne peut pas fournir. S’ils sont interdits à la prison, les détenus malades pourraient succomber à leurs maladies", explique le responsable de l’association.
Pour réduire les infractions aux règles de la prison, Jean Tchouaffi propose de renforcer la surveillance pendant les visites. "À défaut d’accroître l’effectif des gardiens de prison chargés de surveiller les visites, il faudrait aménager des box où les détenus pourraient communiquer à tour de rôle, sous la surveillance de 4 ou 5 gardiens", suggère-t-il. Ce qui permettrait de respecter pleinement l’article 238 du code de procédure pénal qui garantit aux détenus le droit de recevoir des visites.
Anne Matho (Jade)
Les articles sont produits avec l'aide financière de l'Union Européenne. Le contenu de ces articles relève de la seule responsabilité de Jade Cameroun et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l'union Européenne.

Il a un métier dans la tête: la prison transforme la vie du voleur

Condamné à cinq ans de prison,  Mohamed Ali apprend le Coran, l'informatique et, depuis quatre mois, la couture. Lui qui ne vivait que de vols et d’agressions, projette déjà d'exercer ce métier, une fois libéré.
Assis derrière sa machine à coudre dans un coin aménagé de la prison de Douala, Mohamed Ali pédale avec ardeur. Il ne lève les yeux que pour répondre à une interpellation. Sourire aux lèvres, le jeune homme de 32 ans déborde d'énergie et d'engagement dans sa tâche. "Je suis fier d'être assis derrière cette machine et dans cette prison", affirme-t-il. Propos surprenant dans la bouche d’un détenu alors que, tout autour de lui, les autres pensionnaires maudissent leur présence dans ce pénitencier.
"Je suis musulman depuis ma naissance, mais ne savais ni lire, ni écrire le Coran. Bien plus, il y a longtemps que j'avais fui la mosquée. Aujourd'hui, je suis un croyant complet", raconte-t-il. Condamné à cinq ans de prison pour vol aggravé, Mohamed Ali a connu Allah (Dieu) en prison. Il compte parmi les plus assidus à la prière à la mosquée du pénitencier qui lui sert jusqu'à ce jour de dortoir. Un an durant, il a fréquenté l'école coranique de la  prison et en est ressorti avec la capacité d'écrire l'arabe, porte ouverte à la lecture et  à la compréhension du Coran.
Au sortir de l'école coranique, ce jeune homme qui n'a jamais achevé le premier cycle de l'école primaire, a proposé de surveiller le matériel du centre de formation en informatique de la prison. Séduit par le cliquetis des claviers et la lumière des ordinateurs, il décide d'apprendre l'informatique. Pendant huit mois, il est formé au logiciel Word qu'il dit maîtriser désormais. "Je peux aujourd'hui saisir moi-même mes textes sur un ordinateur sans solliciter la moindre aide d'autrui", se vante Mohamed.  

Une technique dans les mains
Alors qu'il avait commencé à s'ennuyer après sa formation en informatique, Mohamed Ali reçoit une proposition de Moussa, un tailleur qui continue d'exercer son métier dans la prison. "Je tournais en rond quand ce Monsieur avec qui je dormais à la mosquée et qui m'appréciait s'est proposé de me former en couture afin que je le remplace quand il sera libéré dans huit mois", se souvient-il. L'apprenti couturier va accepter et commencer sa formation dès le lendemain de la proposition.  Quatre mois plus tard, Mohammed Ali sait déjà coudre et prendre des mesures. Il lui reste encore à maîtriser la coupe, encore effectuée par son mentor. 
L'atelier de couture, logé à un angle de la prison est loin des cellules bondées et  est bien aéré. Bien plus, Moussa le patron et formateur gratifie assez souvent son apprenti de 500 ou 1000 Fcfa en fonction des entrées. Une véritable bouffée d'oxigène pour ce détenu qui, en 30 mois de prison, n'a reçu la visite d'aucun membre de sa famille. "Je suis confiant que quand je sortirai d'ici, ce sera avec un métier dans la tête et une technique dans les mains. Je pourrais alors m'installer comme tailleur et gagner honnêtement ma vie. La prison est en train de transformer ma vie", résume Mohammed Ali.

Prison, lien social
De nombreux pensionnaires de la prison de New-Bell bénéficient de formation sur place dans le pénitencier. Il n'est pas rare de retrouver sur le marché de la prison des objets d'arts, des sacs tissés à la main confectionnés et vendus par des détenus. Les auteurs de ces articles ayant appris pour la plupart le métier sur place, auprès de leurs codétenus.
Une situation qui rejoint les règles minima pour le traitement des détenus des Nations unies. Selon celles-ci, "le traitement des individus condamnés à une peine ou mesure privative de liberté doit avoir pour but, autant que la durée de la condamnation le permet, de créer en eux la volonté et les aptitudes qui les mettent à même, après leur libération, de vivre en respectant la loi et de subvenir à leurs besoins. Ce traitement doit être de nature à encourager le respect d'eux-mêmes et à développer leur sens de la responsabilité".
Charles Nforgang (Jade)

Prison centrale de Yaoundé : deux médecins et neuf infirmiers pour 4600 détenus

D’une capacité de 15 lits, le centre de santé du pénitencier de la capitale camerounaise n'arrive pas à satisfaire les besoins des détenus. Les deux médecins et les neuf infirmiers sont incapables de répondre au nombre croissant de patients, atteints souvent de maladies graves.
Le décès, le 29 janvier 2012, de Prosper Eny à la prison centrale de Yaoundé, est venu remettre sur le devant de la scène la question de la prise en charge sanitaire des prisonniers par les autorités de cet établissement pénitentiaire.
Eny Prosper, agent d’entretien aux Aéroports du Cameroun (Adc) et accusé de complicité de détournements aux côtés de l’ancien directeur général de cette entreprise, Roger Ntongo Onguene, comparaît, le 26 janvier devant le tribunal de grande instance du Mfoundi. Il ne peut se déplacer sans le soutien d’un proche qui l’aide à prendre place sur le banc des accusés. Le malade invoque une douleur atroce du nerf sciatique en réponse au tribunal qui s’enquiert de l’origine du mal dont il souffre. A l’issue d’une heure de débats, l’accusé, très fatigué, rejoint la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, après avoir échangé avec son conseil, Me Beback, qui n’obtient pas la sortie de prison de son client pour des soins appropriés.

Sida et tuberculose
Prosper Eny meurt le 29 janvier dans la nuit. Depuis lors, les pensionnaires de l’établissement interrogent les textes en vigueur sur la prise en charge des détenus, les circonstances et l’opportunité des évacuations sanitaires.
Le régisseur de la prison centrale de Yaoundé, Daniel Njieng, affirme, lui, que tous les pensionnaires sont astreints au test de dépistage de l’infection au VIH, dès leur arrivée en prison. Cette démarche permet au malade qui s’ignore, de se découvrir. A en croire les autorités sanitaires de la prison centrale de Yaoundé, l’infection du sida se propage, ici, par le phénomène de l’homosexualité et la promiscuité des quartiers 08 et 09 connus sous la dénomination de Kosovo. Ces locaux font également le lit de la tuberculose. Des réalités qui n’expliquent pas que la maison d’arrêt ne dispose que de deux médecins pour une population de 4600 personnes.
Par ailleurs, le quartier 04, exclusivement réservé aux tuberculeux, aux personnes atteintes du sida et aux blessés graves, est quasiment à l’abandon. Tout comme le quartier 10, identifié comme celui des malades mentaux. Pour palier les insuffisances du plateau technique et des équipes médicales, sur financement Giz et à l’initiative du médecin chef de la prison, le docteur Francis Ndi, un séminaire de formation de 20 détenus comme pairs-éducateurs s’est tenu pendant trois jours du mercredi 14 au vendredi 16 mars, afin de sensibiliser les détenus bénéficiaires, sur le sida, la tuberculose et les IST (infections sexuellement transmissibles). Toutes maladies qui causent les plus grands dégâts au sein de la population carcérale.
Soins insuffisants
Pour autant, la question de la gestion des malades par l’établissement reste entière. Même si la direction soutient que l’infirmerie prend soin des détenus malades, la capacité du plateau technique demeure une réelle entrave à une prise en charge convenable. Devant la gravité des cas détectés, le docteur Louis Tobbie Mbida conseille à l’infirmerie de pratiquer des analyses médicales en laboratoire. Mais celle-ci n’a aucune structure prévue qui permet de réaliser un bilan hématologique, biochimique, hépatocellulaire, bactériologique et parasitologique complet. Le praticien préconise d’envoyer, au moins,  "les prélèvements réalisés dans la prison à un laboratoire de ville ou hospitalier". Ce qui n’est pas le cas, affirment les malades.
Or, soutient Me Simon Pierre Eteme Eteme,  "l’Etat, à travers la direction de la prison, a le devoir d’assurer des soins appropriés aux détenus malades et se doit d’assurer le transfert des malades le cas échéant vers des formations sanitaires de référence".
Léger Ntiga (Jade)

Prison d’Edéa : des détenus apprennent à élever des porcs

Ils peuvent devenir porchers et se monter à leur compte, une fois libérés : la prison d’Edéa leur apprend le métier. Hélas, ce projet de réinsertion est menacé par les évasions répétées des détenus en corvée.
Insensible aux grognements d’une douzaine de porcs, il met en tas du fumier dans une pièce aux murs noircis. Le cœur à l’ouvrage en cette matinée ensoleillée, il joue la montre, à trente minutes de sa pause. "On fait ces efforts pour mettre gratuitement ces déjections à la disposition des agriculteurs qui s’en servent comme engrais dans leurs champs. Avant, les gens se bousculaient, mais, depuis quelques mois, ils ne sont plus  intéressés et ça fait sale", regrette, un brin abattu, Ndon Mbassi Alain.
Agé de 20 ans, il est le seul détenu à travailler à la porcherie d’Edéa en espérant rapidement trouver preneurs pour le fumier qu’il entasse. "Dès le matin, je nettoie la porcherie et je tourne la nourriture des porcs que je sers ensuite dans des cases.  Je vais ensuite couper des herbes fraiches et ramasser les déchets de macabo. Je n’aime pas beaucoup que les femmes me demandent de nettoyer le marché avant de prendre les déchets de macabo", ajoute-t-il.

Des détenus réinsérés
Créée par l’Etat du Cameroun dans le cadre du projet Pays Pauvres Très Endettés, la porcherie de la prison principale d’Edéa occupe une partie de l’annexe qui avait été réservée aux femmes et aux mineurs. "Ce projet vise à préparer les détenus à leur insertion sociale après la prison. Il nous permet également de remplir les objectifs économiques de l’administration pénitentiaire parce que nous gagnons de l’argent", explique Hamidou Pekariekoué, régisseur de cette prison.
Depuis son lancement en 2008, cette porcherie a permis à Bayemi NLend Blaise et Botman Péril, deux ex-détenus de la prison d’Edéa, de devenir porchers, et de s’installer à leur propre compte. Ils sont cités en exemple par l’administration de la prison pour motiver les prisonniers. "Au départ, je ne savais pas comment mélanger la nourriture des animaux, maintenant je le sais. Je crois qu’avec un peu de moyens, je peux élever des porcs", affirme Ndon Mbassi Alain.  
L’administration pense justement au soutien financier à fournir aux détenus travailleurs, à la fin de leur peine ; à condition que la porcherie continue à remplir son rôle économique. Actuellement, elle compte douze bêtes ; il y a quelques mois, trois ont été vendues à environ 60.000 f CFA l’animal. "Après la vente, nous prélevons 5% pour motiver le détenu en corvée qui travaille à la porcherie ; nous versons le reste d’argent dans un compte ouvert afin de poursuivre ce projet", précise le régisseur. 

L’impact des évasions
Mais au fil du temps, ces succès de réinsertion et de vente sont moins mis en avant par l’administration. "Les détenus qu’on envoie à la porcherie ont tendance à fuir. Au lieu de trois détenus, il n’y en a actuellement qu’un seul; c’est pourquoi vous voyez la saleté partout. J’ai peur de m’engager à en prendre d’autres, car, en cas d’évasion je dois en répondre", indique le gardien de prison Azée Takeda Voltaire, en charge de la porcherie. En février dernier, un détenu a profité d’un moment de pause pour s’évader. Toutes les tentatives de l’administration pour le rattraper ont été vaines.
Lepoum Augustin a été moins chanceux. Ce prisonnier avait pourtant utilisé la même ruse pour tromper la vigilance des gardiens. Mais, il a été rattrapé quelques jours plus tard. "Je me suis évadé parce j’étais malade; j’avais la sinusite.  Je voulais me faire soigner dehors parce qu’il n’y avait pas assez de médicaments en prison", raconte le détenu repris.
Malgré ces incidents de parcours, l’administration de la prison centrale d’Edéa entend poursuivre dans cette voie de la formation professionnelle des détenus qui pourront ainsi gagner honnêtement leur vie après leur libération, comme le recommandent les Nations Unies.
Christian Locka (Jade)

Dérives de la garde à vue : en caleçon, dans des cachots infects

Sans autre vêtement que leur caleçon, des gardés à vue sont jetés dans des cellules répugnantes. Certains monnaient policiers et gendarmes pour éviter cette humiliation.
Il est midi. Mélanie vient rendre visite à son frère cadet, gardé à vue depuis deux jours à la légion de gendarmerie de Bonanjo à Douala. A l’appel du gendarme, Alain répond du fond d’une cellule et présente son visage à travers le petit trou carré découpé dans la porte en fer, l’unique voie d’aération du cachot. Le jeune homme en sort, tout ruisselant de sueur, avec pour tout vêtement, un caleçon de couleur rouge. Scène identique à la brigade de gendarmerie de Nkololoun à Douala, ou encore à la direction régionale de la Police judiciaire pour le Littoral : des détenus sont déshabillés avant d’être mis en garde à vue dans les cellules. "Nos nuits sont froides parce que nous dormons, nus, sur le sol", confie Alain à son frère en le suppliant de le sortir de là.
Les cellules sont puantes, obscures, sans matelas, sans trou d’aération pour laisser passer l’air. "Ce n’était pas facile. Passer des journées et des nuits entières sans vêtement, ne pas pouvoir se protéger du froid de la nuit, ne pas avoir de matelas sur lequel dormir, c’était très difficile", se souvient Roméo Tchatchou, qui a retrouvé la liberté depuis un mois, après avoir passé trois jours en cellule.
Une situation dénoncée par Me Emmanuel Agbor Achu, qui précise : "Pour ce qui est de la garde à vue, le code de procédure pénale en a défini les conditions sanitaires". Or, poursuit l’avocat, on dépouille les gardés à vue de leurs vêtements et on les jette dans des cellules insalubres. Pourtant, insiste-t-il, on devrait garder des gens à vue dans des conditions décentes et humaines.
Jamais désinfectés, les cachots sont infestés de germes provoquant des maladies de la peau. "Après trois jours de garde à vue dans les cellules d’un commissariat, à ma sortie, je me suis rendu à l’hôpital parce que j’avais des boutons et des tâches sur la peau", se souvient encore Alain.

A cause des suicides…
Les forces de maintien de l’ordre justifie le déshabillage des gardés à vue par les risques de suicides. "Des détenus se sont donné la mort à l’aide de leurs vêtements. Afin de ne pas être rendus responsables de ces décès, nous sommes obligés de les mettre en cellule sans leurs vêtements", explique Jean Pierre Otoulou, commandant de la compagnie de gendarmerie de Bonanjo.
Cette pratique n’est cependant pas appliquée dans tous les lieux de garde à vue. A la cellule du parquet du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, par exemple, des prévenus bénéficient de conditions de garde à vue moins dégradantes, moyennant quelques billets de banque. "J’ai dû donner 2.000Fcfa à un policier pour qu’il ne mette pas mon frère dans une de ces cellules pas entretenues, d’où il aurait pu sortir malade", déplore Arsène Mouanjo.
Suite à ce "geste", son frère cadet a été placé à la main courante, sous la vigilance des gendarmes. "Certaines personnes ne veulent pas être mises en cellules pour une raison ou pour une autre. Et il faut donc payer pour rester soit à la main courante, soit à la vue des policiers", confie un agent. Cette pratique est fréquente dans de nombreux commissariats et brigades de gendarmeries de la ville de Douala. Selon Me René Manfo, un gardé à vue ne doit pas être forcément mis en cellule. "On dit garde à vue. Donc, on te met là où on peut te voir à tout moment. C’est par abus que des personnes sont mises en cellules sous prétexte de la garde à vue", affirme le défenseur des droits de l’Homme. Pour les Nations Unies, tout individu en garde à vue "doit être autorisé à porter ses vêtements personnels si ceux-ci sont propres et convenables".
Blaise Djouokep (Jade)

Mal nourris par la prison : les séropositifs abandonnent leur traitement

Incapables de compléter eux-mêmes la maigre ration alimentaire fournie par la prison, des détenus atteints du virus du sida prennent difficilement leurs médicaments. Quelques-uns n'hésitent pas à abandonner totalement leur traitement.
Il est à peine 11 h et Elvis N., un détenu vivant avec le virus du sida ne tient plus sur ses jambes. Depuis bientôt 48 heures, cet homme de 24 ans n’a plus mangé et a de la peine à tenir debout. De temps en temps, il s’appuie contre le mur pour ne pas s’écrouler. "Tout à l’heure j’étais couché dans la cour, à l’endroit où on coud les sacs. C’est là que je passe la majeure partie de mon temps, surtout quand j’ai faim. Ça me permet d’oublier ma condition et de ne pas réfléchir", explique-t-il.
Pourtant, la veille, 10 mars, le repas du soir a été servi comme d’habitude dans toutes les cellules de la prison centrale de Douala, y compris la cellule n° 5, où ce séropositif est enregistré. Mais Elvis n’a pas eu sa ration : il n’a pas eu la chance d’occuper les premières places dans la longue file d’attente, lors de la distribution du repas. "Il y a des jours où la nourriture finit, alors que les 15 dernières personnes alignées ne sont pas servies", affirme-t-il. Environ 130 pensionnaires se partagent la maigre ration dans cette cellule dite de régime.

Maïs et haricots pour tous
Dans ce pénitencier, la ration pénale des personnes vivant avec le virus du sida (Pvvih) est la même que celle des détenus non infectés. A midi, ces séropositifs mangent le "corn-tchap", un mets constitué de grains de maïs et de haricots cuits séparément et mélangés dans de l’huile rouge. Elvis affirme qu’il a cessé de manger cette nourriture. "Je souffre de toux; le médecin m’a déconseillé le corn-tchap parce que l’huile aggrave ma maladie", confie-t-il. Le docteur Germain Amougou Ello, médecin de la prison de New-Bell, affirme qu’il n’a donné aucune prescription relative à l’huile et pense qu’il peut s’agir, pour le cas d’Elvis, d’une allergie. Souffrant également de typhoïde, Elvis a la peau couverte de croutes et de plaques causées par la mauvaise hygiène corporelle.
Désormais, le prévenu se contente du riz, servi chaque soir aux détenus sans distinction de leur statut sérologique. L’heure du service varie selon la conjoncture. Une pénurie d’eau, par exemple, peut provoquer vingt deux heures d’attente de la distribution du repas.

Antirétroviraux abandonnés
Elvis a abandonné son traitement aux antirétroviraux (ARV) depuis décembre 2011. Il justifie ce libre choix par le fait que le régime des ARV nécessite une alimentation consistante et de qualité. Ce à quoi il n’a pas accès. "Avant, je prenais des ARV trois fois par jour du lundi au vendredi", se souvient-il. Tout le contraire de Jean M. qui  continue de manger deux fois par jour, et de prendre ses médicaments malgré la mauvaise qualité de la ration pénale. Il prend les Arv six fois par semaine.
Le médecin de la prison reconnait que la mise sous traitement d’un séropositif nécessite aussi une prise en charge nutritionnelle. "Il y a trois niveaux de prise en charge des Pvvih sida : médicale, psychologique et nutritionnelle. Pour peu que l’un ne marche pas, on peut rater la thérapie", affirme-t-il. Seulement, à l'en croire, le budget affecté à l'alimentation des prisonniers est modeste et ne prévoit pas de dotation pour compléter la ration des détenus séropositifs sous traitements. Ces derniers sont donc nourris de la même manière que les détenus en bonne santé.
Souvent, les détenus malades n'hésitent pas à abandonner leurs traitements. "Le traitement aux ARV est très contraignant. Le patient ne doit pas sauter un seul jour sans prendre son médicament, ni faire de décalage horaire, au risque de gâter son traitement. C'est pour ces raisons qu'avant sa mise sous ARV, chaque patient est soumis à une éducation thérapeutique effectué par un comité thérapeutique", explique le Dr Germain Amougou Ello. "C'est le malade qui décide de l'heure où il doit prendre son médicament et la prise en charge est individuelle, tout comme l'est le médicament", ajoute le médecin.
Consciente, l'administration de la prison oriente systématiquement les dons en aliments et en médicaments reçus en prison vers les quartiers des malades. "Le malade doit avoir un supplément nutritif et une alimentation équilibrée. Mais on ne peut faire plus", regrette le médecin de la prison de New-Bell. Et pourtant, les règles minima de détention des Nations prévoient que "tout détenu doit recevoir de l'administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces". Une réalité encore bien éloignée dans les prisons du Cameroun.
Théodore Tchopa (Jade)


Pour l’empêcher de se suicider, elle vit enchaînée à la prison d’Edéa

Anne Virginie Mengne, condamnée pour le meurtre de sa grand-mère, paye lourdement ses tentatives de suicide. Pour la sauver d’elle-même, l’administration de la prison principale d’Edéa n’a pas trouvé mieux que de l’enchaîner. Une sanction qui viole les recommandations des Nations Unies.
"Laissez-moi, je veux aussi parler à la radio". T-shirt bleu et pagne multicolore, Anne Virginie Mengne, visage pâle, mêle à la parole de grands signes de la main en direction du reporter qui s’entretient avec des détenus dans la cour de la prison. Les pieds liés par une grosse chaîne, elle marche péniblement, tombe et se relève, sous les moqueries de ses camarades. "Cette fille est vraiment bizarre", lance, le sourire en coin, un détenu.

Elle a tué sa grand-mère
Bizarre, turbulente ou même folle. Les mots ne manquent ni à l’administration de la prison ni aux détenus pour qualifier Anne Virginie Mengne. Cette jeune femme de 23 ans aux cheveux courts a mortellement assommé sa grand-mère à l’aide d’un gourdin, un matin de février 2011. Interpellée par les forces de sécurité, Anne Virginie est gardée à vue pendant quelques jours avant d’être placée sous mandat de dépôt provisoire à la prison principale d’Edéa. C’est dans ce pénitencier qu’elle se rend compte des dégâts de son acte: "Je suis inquiète pour l’avenir de mes deux enfants que j’ai laissés au quartier. Je ne sais s’ils vivent ou pas. C’est tout cela qui fait monter ma tension. J’ai parfois envie de mourir moi aussi", regrette-t-elle.
Mais les remords de la jeune mère, au lendemain de son arrestation, n’ont aucune influence sur la procédure judiciaire. En août 2011, Anne Virginie est condamnée par le tribunal de grande instance d’Edéa à 15 ans d’emprisonnement ferme pour "coups mortels". Soutenue par l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture), elle fait appel de la décision du tribunal. Six mois plus tard, elle attend toujours le jugement de la cour d’appel du Littoral. Entre temps, la santé de la détenue s’est considérablement détériorée. "Les nerfs me font mal. Un prêtre m’apporte souvent des médicaments ; mais, depuis quatre jours, il n’est pas passé. Récemment, je suis tombée. Ce sont les autres femmes qui m’ont relevée", explique-t-elle.

"Se donner la mort"
Enfermée dans l’unique cellule destinée aux femmes détenues dans cette prison, Anne Virginie défraie régulièrement la chronique par ses agissements. "Elle a récemment escaladé le mur de la cellule et arraché deux tôles pour se frayer un passage. Nous avons immédiatement alerté les gardiens. Elle voulait, disait-elle, sauter du toit pour atterrir dans la cour de la prison afin de se donner la mort", raconte une détenue. Ce n’est pas la première fois que la jeune femme tente de se suicider. Il y a quelques mois, elle a essayé de se trancher le cou à l’aide d’un couteau. Deux cicatrices noirâtres témoignent de l’atrocité de l’acte.
En guise de représailles à la dernière folie de Anne Virginie, l’administration de la prison a opté pour les chaînes. Pas moins. "Nous avons enchaîné ses pieds pour qu’elle s’agite moins. Elle est capable de porter atteinte à l’intégrité physique d’une détenue. Si elle se calme, on enlève les chaînes. On les remet quand elle recommence à déranger", explique Hamidou Pekariekoué, le régisseur de la prison principale d’Edéa.
Outre les railleries de ses codétenues, la sanction de l’administration de la prison met Anne Virginie dans une situation inconfortable. "Je ne peux pas mettre des pantalons ou des slips à cause de ces chaînes (Ndlr qui empêchent de passer les vêtements sous les pieds). Pendant les menstrues, je suis toute sale. Tous les jours, le pagne me sert de vêtements et de sous-vêtements", confesse la jeune mère.
Cette pratique s’oppose aux règles minima de traitement des détenus selon lesquelles, recommandent les Nations Unies, les "menottes, chaînes, fers et camisoles de force ne doivent jamais être appliqués en tant que sanctions".  
Christian Locka (Jade)

Prison de Mbouda: l’État investit pour adoucir le sort des détenus

62 millions de FCFA pour rénover cellules et toilettes, près de 700 000 pour améliorer la nourriture : l’État a consenti des efforts dans la réfection du pénitencier de Mbouda. Le quartier des femmes reste le grand oublié de ce programme. Il n’a toujours pas de toilettes.  
Dans la cour de la Prison principale de Mbouda, les visiteurs hument avec plaisir le parfum des sapins qui longent le corridor. Disparues, les mauvaises odeurs qui les obligeaient à quitter précipitamment les lieux. "Il y a deux ans, l’air était irrespirable ici. Les latrines de la prison polluaient l’air", témoigne Pierre Fotso, un détenu. Les effluves nauséabonds ont disparu depuis la construction de toilettes modernes, grâce à un financement de l’État du Cameroun. "La prison de Mbouda a reçu une dotation à travers le Budget  d’investissement public (BIP) 2009 pour la réfection de ses locaux", explique Laurent Atemkeng, son régisseur.
Ces fonds, 62 millions de FCFA, ont également permis l’extension des cellules pour tenter de résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Construit en 1952, le lieu de détention compte aujourd’hui 438 détenus, pour une capacité d’accueil de 200 personnes. Dans le quartier des hommes, les détenus ont désormais assez d’espace pour se coucher. "Avant, on dormait pratiquement les uns sur les autres, on étouffait", confie Jean Bernard, un détenu. Grâce à ces travaux, les cellules sont mieux aérées, diminuant au passage le taux de prévalence des maladies contagieuses comme la grippe et la gale. "Il n’y a plus beaucoup de tuberculeux comme avant", explique Jean Bernard Tenda.

Une ration alimentaire acceptable
Un quartier pour mineurs a été construit avec les mêmes fonds. Les jeunes gens sont à présent séparés des adultes. En effet, les règles minima pour le traitement des détenus édictées par les Nations Unies recommandent de placer les détenus dans des établissements ou quartiers d'établissement distincts, en tenant compte de leur âge. Le bâtiment des mineurs est doté de toilettes modernes et d’une salle de classe pour permettre aux plus jeunes de recevoir des enseignements.
Selon le régisseur, l’État a aussi décidé de s’attaquer à la malnutrition des détenus, en allouant un autre budget de près de 700.000 FCFA en 2011 pour l’amélioration de la qualité de l’alimentation.
Le riz, le haricot, les arachides comptent désormais parmi les aliments servis chaque semaine au déjeuner. "Avant, on mangeait du couscous mélangé au sucre chaque jour", témoigne Jean Bernard, qui se souvient avoir trouvé ce menu indigeste et refusé d’en manger pendant les premières semaines de son incarcération en 2006. Grâce à cette dotation financière, les détenus ont également droit à un petit déjeuner constitué de bouillie et de beignets, le samedi. Ce qui était encore impensable  avant le financement du gouvernement.

Des efforts restent à faire
Ce programme a également permis de diminuer les maladies liées à la nutrition. "Il ne se passait pas une semaine sans que des cas de diarrhée soient signalés ", se souvient Pierre Fotso. Ce n’est plus le cas, aujourd'hui.  
Tout n'est pas pour autant rose à la prison principale de Mbouda. Les toilettes des femmes sont situées à l’extérieur de leur quartier. Elles sont dès lors contraintes de faire leurs besoins dans des seaux. Ces femmes détenues ne sont autorisées à se rendre dans les latrines qu’une seule fois par jour (le matin), faute d’escorte pour les accompagner chaque fois qu'elles en font la demande. Leurs excréments répandent alors des odeurs très incommodantes dans leurs cellules. "C’est insupportable, on ne respire pas bien. On vit comme des animaux", s’insurge Madeleine S., une détenue. Chaque matin, ces détenues sont autorisées à traverser la cour de la prison pour aller déverser leurs excréments et urines dans les fosses.  
Pour Jean Tchouaffi, le président de l’Association camerounaise des droits des jeunes (ACDJ), une organisation active dans les prisons camerounaises, les financements alloués par l’État pour améliorer les conditions de détention à la prison principale de Mbouda sont "un début de solution aux différents problèmes des détenus, qu’il faut encourager". "Mais beaucoup reste à faire notamment sur le plan alimentaire, insiste-t-il. Un détenu devrait pouvoir manger à sa faim au moins trois fois par jour." Le défenseur des droits humains plaide par ailleurs pour la création des foyers culturels pour le divertissement des détenus dans les prisons.
Anne Matho (Jade)

École, soins aux malades en prison…

À Bafang et Bangangté, les régisseurs agissent
Des régisseurs de prisons, à l'instar de Bafang et Bangangté, tentent d’améliorer le sort des détenus : une école ici, un quartier spécial pour tuberculeux là, de meilleures conditions d’hygiène… Des initiatives louables, mais insuffisantes, faute de moyens. Le gouvernement est pointé du doigt.
"Le bâtiment que vous voyez là accueillera une école pour mineurs". Djile Kamga Michel, régisseur de la prison centrale de Bafang est fier de présenter ce projet en cours de réalisation. "Avec le concours de l’association Grain de Sable, nous avons l’ambition de permettre aux jeunes délinquants de poursuivre leur scolarité en prison. Nous aurons des élèves, ici, en début d’année prochaine", précise le régisseur qui se flatte aussi d’avoir amélioré les conditions de vie des 240 prisonniers de ce pénitencier créé en 1924, agrandi en 1986, et qui vient de bénéficier d’une réfection générale. Ce qui a permis, entre autres, d’assainir l’évacuation des eaux usées et des matières fécales.
"Désormais, on ne sent plus les mauvaises odeurs qui gênaient aussi bien l’entourage immédiat de la prison que l’entourage plus lointain", se réjouit Djile Kamga Michel. "Il y a un grand changement à l’intérieur de la prison. Auparavant il y avait des ordures un peu partout", confirme le détenu Kuayeu Gabriel, condamné à mort pour vol aggravé et assassinat. "Vous-même, vous voyez les gens toujours costauds. Cela veut dire que tout va bien depuis qu’on a fait des réparations à l’intérieur de la prison". Selon lui, ses cinq compagnons, condamnés à mort comme lui, sont du même avis. Comme d’autres prisonniers jugés "délicats", ils sont pourtant enfermés dans les vieux bâtiments datant de 1924. Le régisseur de la prison ayant décidé de les séparer des détenus provisoires.

Un quartier pour les tuberculeux
À Bangangté, le chef intérieur de la prison, Aléa Hyppolite, se réjouit, lui, de la création d’un quartier spécial réservé aux détenus tuberculeux. "Dès qu’un prisonnier est atteint, on l’amène à l’hôpital, et on l’isole jusqu’à sa guérison", affirme-t-il. Le régisseur, Medjo Freddy Armand renchérit : "Vous avez vu la dimension des cellules ! Les prisonniers y sont nombreux et il n’y a pas assez d’air… Les malades contaminent les autres. C’est pourquoi nous avons trouvé un endroit mieux aménagé où l’on s’assure aussi que les tuberculeux sont mieux nourris."
À propos d’alimentation justement, une nouvelle cuisine a été construite. Ce qui arrange bien le chef cuisinier, Wandji Roméo, détenu ici depuis 2007. "Je travaille à la cuisine depuis six mois, avec deux aides. Chaque vendredi on nous donne une ration pour la semaine."
Les menus sont un peu plus variés : davantage de condiments et de poisson dans les portions. "Ce n’est plus du riz tous les jours", constate le chef intérieur de la prison.
Les prisonniers peuvent encore améliorer leur ordinaire grâce à une plus grande libéralisation des corvées permise par le régisseur. "On observe chaque détenu lorsqu’il arrive. Si on pense qu’il ne s’évadera pas, on le laisse aller en corvée à l’extérieur", affirme Medjo Freddy qui s’appuie sur les textes en vigueur pour organiser ces sorties.
Ndjitap Bertrand est un corvéable satisfait. "On m’appelle Général de Gaulle. Je suis ici depuis longtemps. Quand nous sortons, nous ramenons des vivres et nous nous les partageons. Cela crée une bonne ambiance".
Le régisseur de Bangangté aborde enfin un sujet qui préoccupe particulièrement les défenseurs des droits humains : le suivi des dossiers des détenus en prison sans jugement. Il a mis sur pied une équipe qui "a déjà permis de réduire la peine d’un détenu. Et deux autres dossiers sont en bonne voie".

Manque de moyens
Les exemples de Bafang et de Bangangté plaideraient donc en faveur d’une certaine humanisation des prisons au Cameroun. N’allons pas trop vite ! Les quelques belles initiatives de quelques régisseurs ne corrigent pas le fait général que "les prisons du Cameroun sont des mouroirs et non des endroits de resocialisation", s’écrie Maître Agbor. "C’est au gouvernement de mettre en place une politique de modernisation de ces établissements", insiste-t-il.
Maxime Bissay, coordonnateur de l’association Action camerounaise pour l'abolition de la torture (ACAT) antenne du Littoral est moins virulent : "Il faut reconnaître que les choses changent depuis l’avènement des programmes d’amélioration de la condition des détenus (Pacdet) et du respect des droits de l’Homme dans les prisons. Vous avez cité le cas de Bafang et de Bangangté, je peux vous citer aussi Edéa, Mbanga, Yabassi, où les régisseurs font un travail exceptionnel." Le militant est aussi lucide : "Ces régisseurs feraient sans doute davantage, si le gouvernement leur en donnait les moyens."
Hugo Tatchuam (Jade)

Prison principale d’Edéa: petits métiers, petits sous et réinsertion

Des détenus travaillent pour améliorer leur maigre ration quotidienne de nourriture et se préparer un avenir en dehors de la prison. Une initiative qu’encouragent les Nations Unies.  
Malgré la chaleur étouffante de cet après-midi-là, Ahmadou Issa, 25 ans, pousse sa voix à peine audible au milieu d’une foule de détenus amassés dans la cour ; les commentaires surfent sur le football. Aujourd’hui, le jeune homme ne pédale pas sur sa machine à coudre. Il  est au chômage technique par manque de matériaux. "J’ai donné de l’argent à un corvéable libre pour qu’il m’achète le fil et les aiguilles qui me permettront de coudre l’habit d’un gardien. Dès que c’est là, je reprends le travail", explique Ahmadou, admiré pour son doigté en couture.
Il a appris le métier au lendemain de son incarcération pour vol, à la prison principale d’Edéa. "La machine appartient à la prison. La plupart du temps, ce sont les gardiens qui m’apportent leur pagne et me donnent un peu d’argent pour acheter le fil. Je raccommode gratuitement les habits des détenus parce qu’ils n’ont pas assez d’argent. Je gagne mieux quand le travail vient de l’extérieur ", ajoute-t-il.

2 000 FCFA par jour
Nyobe Billong Éric, lui, ne fait pas de cadeau : il fait payer tout et tout le monde. Condamné pour vol à main armée, il est devenu bijoutier. " Quand j’ai un peu de temps, je fabrique des chaînes, des gourmettes, des boucles et des  bracelets en transformant des cuillères, fourchettes, tuyaux de robinets, tuyaux électriques et noix de coco. En prison, je vends un article au plus à 1000 F CFA. Dehors, le même objet coûte au minimum 1500 F CFA. Les bonnes affaires sont à l’extérieur", indique Éric qui a un sérieux besoin d’argent. Abandonné par sa famille, il doit bosser dur pour rassembler les 256.000 F CFA d’amendes qui le retiennent en prison.
Il ajoute : "En attendant, grâce à ce petit boulot, je trouve de quoi payer mon savon et la nourriture parce que la ration journalière en prison est minable. Auparavant, je pouvais avoir un bénéfice de 4000 F CFA par jour. Actuellement, je ne gagne que 2000 F CFA parce que les matériaux sont difficiles à trouver." Insuffisante pour Éric, cette somme représente une fortune pour Mehi Charly qui partage son bénéfice avec un revendeur. "Un ancien détenu me ravitaille en matériaux de fabrication. Je fais le travail et on se partage les fonds. Il est chargé de la vente dehors. Il me ramène ma quote-part, environ 500 F CFA par jour; ça m’aide à tenir", indique Charly qui confectionne des sacs et des paniers.

Organiser, réinsérer
Il ne suffit pas de fabriquer. Encore faut-il trouver des intermédiaires pour s’approvisionner en matériaux de base et écouler les produits finis. Les petits artisans de la prison sont obligés de négocier avec leurs codétenus qui font les corvées à l’extérieur. Cela engendre un trafic qui gêne l’administration pénitentiaire. "Nous allons mettre en place un programme pour ravitailler les détenus en matière première. Et nous commercialiserons les produits finis. Cela évitera que les corvéables continuent à jouer aux démarcheurs. Avec une ONG, nous réfléchissons au développement de ces petits métiers dans la prison", dévoile le gardien-chef Ngomba Francis Olivier, chargé des activités socio-éducatives et culturelles dans cette prison.
Les objets fabriqués par les prisonniers sont en effet très appréciés dans la population. "J’ai l’habitude d’acheter les habits et les sacs fabriqués par les détenus. Ils prennent du temps pour travailler et leurs objets sont plus solides et plus jolis que certains produits asiatiques", témoignent Sebastien Bikai, un riverain.
Mais ces petits métiers ne constituent pas seulement une activité pour améliorer l’ordinaire des détenus, "ils visent aussi à faciliter leur réinsertion sociale à leur sortie de prison", explique le gardien-chef Ngomba Francis Olivier. Ce qui entre tout à fait dans les règles minima de traitement des prisonniers, préconisées par les Nations Unies "Il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus qui sont à même d'en profiter, et particulièrement aux jeunes. Leur travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération", précise l’organisation mondiale. La prison d’Edéa semble sur la bonne voie.
Christian Locka (Jade)

Dangers de la promiscuité carcérale: hommes, femmes, mineurs dans le même quartier

Hommes, femmes et mineurs cohabitent, malgré eux, dans l’unique quartier de la prison principale d’Edéa. En violation des dispositions du Code de procédure pénale.  
Prison principale d’Edéa : la cour grouille de détenus. Certains jouent au Ludo; d’autres alimentent les commentaires. Un peu plus loin, quelques-uns ont les yeux braqués sur l’unique écran de télé du pénitencier. Difficile de distinguer le condamné à mort du simple prisonnier, le mineur de l’adulte, le condamné du prévenu parmi ces visages tantôt souriants, tantôt fermés.
La séparation commence dans les cellules, collées les unes aux autres, et libres d’accès à tout à chacun. "Hormis la cellule disciplinaire, les mineurs, les condamnés à mort et les femmes ont des cellules différentes. Toutes les cellules donnent dans la cour. Ce qui fait qu’en journée, nous sortons pour nous amuser les uns avec les autres", indique, en sueur, Guillaume Bahileck, en détention depuis quatorze ans.
En cet après-midi ensoleillé de janvier 2012, il n'y a cependant pas l’ombre d’une femme dans la cour de cette prison. Les neuf prisonnières d’Edéa sont enfermées dans une cellule. Elles ne sortent que pour des occasions précises. "Je suis dehors parce que j’ai demandé la permission de suivre des enseignements bibliques. Je suis obligée de rester avec des hommes comme il n’y a pas un endroit réservé aux femmes pour apprendre la parole de Dieu. On sort aussi quand il faut aller aux toilettes. C’est gênant parce que pendant que tu traverses la cour, ton pagne peut tomber et ce n’est pas bien pour l’intimité de la femme", explique veuve Tchatchoua entourée par des hommes dans la chapelle catholique de la prison.

Grossesses non désirées
Depuis qu’elle a été créée en 1933 pour accueillir les détenus expatriés et mineurs de la prison centrale de Douala, la prison principale d’Edéa ne dispose que d’un seul quartier pour tous les prisonniers. D’une capacité d’accueil de quatre-vingt détenus à l’origine, elle compte aujourd’hui trois cent dix hommes, femmes et mineurs qui se partagent la cour, la cuisine et les toilettes.
Selon le superintendant Hamidou Pekariekoue, régisseur de cette prison, la séparation des détenus par catégorie préoccupe son administration. "La hiérarchie est au courant de nos besoins. Elle vient de nous octroyer des moyens pour la construction d’un forage d’eau potable. Les devis ont été transmis pour que la séparation des quartiers des mineurs et des femmes soit effective. Entre temps, nous n’avons pas croisé les bras. Nous avons sollicité des élites afin de régler ce problème, mais personne n’a encore réagi positivement", indique le régisseur.
Ce geste de l’État ou des âmes de bonne volonté est d’autant plus attendu que, par le passé, la non-séparation des détenus par catégorie a été à l’origine de grossesses non désirées en prison. Une situation épineuse qui a obligé l’administration à prendre des mesures restrictives pour réduire la promiscuité entre hommes et femmes. "Nous enfermons les femmes dans leur cellule en journée. Quand elles sortent le matin pour aller aux toilettes, c’est au tour des hommes de rester enfermé. Cela empêche le contact", ajoute le régisseur.

Les plus vulnérables en danger
Au départ salutaire, ces mesures n’arrangent plus les détenues qui se plaignent des conditions de détention qu’elles jugent insupportables au quotidien. "Nous sommes enfermées avec des réchauds à pétrole dans une cellule étroite. La fumée abîme nos vêtements ; certaines se plaignent de problèmes de vue. La semaine dernière, certaines d’entre nous avaient de la diarrhée parce que la nourriture de la prison avait été mal faite par les hommes. Nous avons demandé qu’on nous donne même une petite quantité de nourriture que nous allons préparer nous-mêmes ; l’administration n’a pas encore réagi", raconte veuve Tchatchoua.
En attendant, les femmes continuent de bouder la cuisine des hommes en préparant leur propre cuisine dans leur cellule.
Cette non-séparation des catégories de détenus n’agace pas que les femmes. Elle entraîne souvent des conflits entre mineurs et adultes. "Parfois, certains grands frères nous empêchent de prendre notre bain quand ils n’ont pas fini de se laver. Dans ce cas, nous appelons notre chef intérieur qui trouve souvent des solutions pour arranger tout le monde", explique, Alain Ngombe, un jeune de 17 ans.
On assiste à des effets plus graves encore. "La non-séparation des catégories des détenus expose les plus vulnérables (mineurs, femmes, malades, personnes du troisième âge.) à la violence physique, au viol, à la pratique de la pédophilie, à la transformation de délinquants primaires en redoutables criminels, à l’insertion des jeunes délinquants dans les gangs, à l’asservissement de certains détenus, etc. ", explique Maxime Bissay, coordinateur pour le Littoral de l’Action chrétienne pour l’Abolition de la Torture (Acat) .  
Et pourtant ! Le code de procédure pénale condamne ce mélange des catégories de détenus. Selon l’article 555 de ce texte, " les condamnés à une peine privative de liberté sont répartis dans différentes catégories de prisons. Les conditions d’exécution des peines privatives de liberté […] doivent tenir compte de la nature de l’infraction, du quantum de la peine, du sexe, de l’âge, de l’état de santé mentale ou physique et de la conduite du condamné, de manière à concilier la nécessité de la réinsertion sociale de celui-ci et les impératifs de la discipline".  
Ce n’est pas encore le cas à la prison principale d’Edéa. C’est pourquoi Maxime Bissay pense que "cette absence des infrastructures doit amener les responsables politiques à construire de nouvelles prisons qui répondent aux standards internationaux de protection des droits des détenus".
Christian Locka (Jade)

Depuis les émeutes de 2008: Pierre Essobo Andjama croupit en prison

Pas de grâce présidentielle pour lui. Arrêté et condamné pour avoir participé aux émeutes de la faim de février 2008, Essobo Andjama purge dix ans de prison.
Pierre Essobo Andjama est encore incarcéré à la prison de Douala pour sa participation aux manifestations d’il y a quatre ans, qualifiées d’"émeutes de la faim". Il avait alors été condamné à dix ans de prison pour pillage en bande, destructions de biens d’autrui.
Entre le 25 et le 28 février 2008, des manifestations contre la vie chère avaient éclaté au Cameroun et s’étaient vite transformées en émeutes. Sortis pour crier leur ras le bol, de nombreux jeunes avaient saccagé, pillé, brûlé des commerces et des entreprises, vandalisé des édifices publics. L'armée était intervenue farouchement. Des milliers de jeunes, dont de nombreux innocents, avaient été interpellés. Une centaine, selon la société civile, était tombée sous les balles.

Seule une amnistie…
Interpellé près de trois mois après les émeutes, Simon-Pierre Essobo Andjama avait été condamné, le 19 janvier 2009, par le tribunal de grande instance du Moungo à dix ans de prison, et écroué à la prison de Nkongsamba. Le 16 décembre 2009, la cour d’appel du Littoral rejetait son appel au motif que son mémoire n’avait pas été déposé dans les délais prescrits par la loi.
"Il n’existe pas d’alternative pour le cas Essobo, en dehors d’une amnistie du chef de l’État. Autrement dit, celui-ci doit blanchir toutes les personnes poursuivies et condamnées dans le cadre de ces événements qui ne doivent plus être considérés comme des infractions punissables par la loi", plaide, aujourd’hui, Maître René Manfo, avocat des coaccusés de Essobo qui ont déjà tous purgé leurs peines dans cette affaire. L’avocat s’étonne cependant de ce que des Camerounais soient encore écroués pour leur implication dans ces émeutes de février 2008, alors "qu’elles ont été publiquement qualifiées de grèves de la faim".
Le président Paul Biya avait même gracié, le 20 mai 2008, les personnes interpellées. Pour la plupart, elles avaient été condamnées à des peines allant de trois mois à un an de prison. Cependant, la justice avait eu la main lourde pour Essobo qui était par ailleurs coaccusé de Paul Éric Kingue, ancien maire de Njombe Penja dont le procès a toujours été considéré comme "politique". En effet, après avoir été condamné à trois ans de prison pour sa supposé participation aux émeutes de 2008, Paul Éric Kingue a été condamné une seconde fois à dix ans de prison pour le détournement de 1.400 000 FCFA à la mairie dont il était le maire. La victime a toujours soutenu avec des preuves à l'appui qu'il est victime d'une cabale de la multinationale française PHP, spécialisé dans la production de la banane qui depuis des décennies ne reversait pas à cette mairie les impôts dus. Le maire avait osé les réclamer et porté l'affaire à la connaissance du premier ministère. Ses adversaires avaient alors juré vengeance.

Loin de sa famille
Dans son rapport de 2009 sur le Cameroun, Amnesty International avait été étonnée par la célérité des procès. "Bien qu’il faille habituellement des années à l’appareil judiciaire camerounais pour traduire les suspects en justice, au mépris du Code de procédure pénale du pays, des centaines de personnes accusées d’avoir participé aux émeutes de février 2008 ont été jugées dans les quatre semaines qui ont suivi leur interpellation pour avoir troublé l’ordre public et détruit des biens appartenant à des particuliers et à l’État."
Le calvaire de Essobo Andjama, 28 ans et ancien ouvrier dans les Plantations du Haut Penja (Php), continue à la prison de Douala. Il est logé à la cellule 15 où s'entassent plusieurs dizaines de détenus. Amaigri, il se remet peu à peu d'une tuberculose, mais demeure beaucoup moins serein. "Les conditions de détention sont très difficiles. Ma famille réside à Penja. Elle me rend visite environ une fois par trimestre", affirme-t-il. Ce célibataire souhaite son transfèrement à la prison de Mbanga pour y purger le reste de sa peine. Il sera alors plus proche de sa famille.
Théodore Tchopa (Jade)

Après des années de prison: ces détenus attendent le verdict du tribunal

Derrière les barreaux de la prison de Bafang, parfois depuis quinze ans, ils ne connaissent toujours pas le verdict du tribunal. Ces détenus accusent les lenteurs de la justice.
À chaque fois que des prisonniers sont extraits de la prison de Bafang pour passer devant le tribunal, il a le cœur au bord des lèvres. Son nom sera-t-il sur la liste ? Saura-t-il enfin à combien d’années de détention il est condamné ? Du fond de sa cellule, Claude Mbesso attend depuis 14 ans le verdict de son procès. Accusé de vol aggravé, il est passé plusieurs fois devant le juge "et puis, plus rien!". "Mon dernier jugement date depuis de nombreuses années. A l’heure où je vous parle, je suis toujours prévenu dans ce dossier-là. Je ne connais pas ma situation", regrette-t-il.
Elvis Lakeu Djeuka approche de sa quatrième année de prison, et lui aussi, il attend toujours le verdict du tribunal. "J’ai comparu plusieurs fois à la barre. Mon affaire a été mise en délibéré. Jusqu'à présent je ne fais qu’attendre", se plaint-il. Quatre ans d’attente également pour son compagnon de cellule, Jacques-Yves. "Je suis passé devant le juge il y a de cela 3 ans, et jusqu'à présent aucune décision me concernant n’est jamais parvenue à la prison". La répétition des passages devant le juge n'est pas un bon indicateur de l'avancée d’un procès. "J'ai comparu dix-sept fois. J’ai été jugé. Mon affaire a été mise en délibéré et, depuis, plus rien!", dénonce encore Siebetcheu Barthelemy, en prison depuis bientôt trois ans.

Manque de magistrats et d’avocats
"…Plus rien!", s’exclament à chaque fois ces détenus qui dénoncent les lenteurs judiciaires à Bafang. Le régisseur de cette prison fait la même lecture que ses pensionnaires, tout en tentant de dédouaner les magistrats. "Il faut tenir compte du nombre insuffisant des magistrats en charge des dossiers. Le nombre élevé de ces derniers ne donne pas la possibilité aux magistrats d’aller au fond d’une affaire pour pouvoir en tirer une conclusion", explique le régisseur.  "S’il y avait suffisamment de personnel à la magistrature, un nombre précis de dossiers mis à la disposition de chaque magistrat, ce serait formidable".
Le manque de conseils et d'assistance judiciaire aux détenus complique encore la situation des détenus. La ville de Bafang ne compte pas d'avocats et se contente de quelques mandataires. Les avocats viennent de Bafoussam, Nkongsamba, Douala ou Yaoundé pour assister leurs clients. Autrement dit, obtenir un conseil est réservé aux détenus nantis. "Si un dossier est bien suivi par un mandataire ou un avocat, il évolue. Ceux dont les dossiers traînent depuis dix ans ne sont pas assistés ", indique maître Christophe Monthe.

Loin du compte…
Cet avocat refuse de généraliser. "On ne peut pas dire qu’à Bafang la procédure judiciaire est lente. Il faut prendre le dossier de chaque individu pour voir ce qui ne va pas", explique-t-il. L'homme de droit soutient qu'un dossier peut être renvoyé pour complément de pièces. "Ce n’est pas le tribunal qui doit produire les pièces en question, mais bien celui qui postule. Si, dans un dossier, il y a un problème d’identification, on va renvoyer l'affaire…", précise Christophe Monthe. Il poursuit : "Que chacun essaie de se faire assister par un avocat et demande à rencontrer le président du tribunal ou le procureur afin d’exposer sa situation. Après examen, l’affaire sera décantée…", assure-t-il avec beaucoup d’optimisme.
Son confrère du barreau de Douala, Maître Ashu Agbor, estime par contre que les personnes longtemps détenues, sans être condamnées, doivent être libérées. Il leur conseille de saisir pour cela le juge de l'habeas corpus (1). "Parce que le Code de procédure pénal a clairement établi à six mois, renouvelables deux fois en cas extrême, la période la plus longue qu’une personne doit passer en détention provisoire".
À Bafang, Claude, Elvis, Jacques-Yves et bien d’autres sont loin du compte…
Hugo Tatchuam (Jade)
(1) " Habeas corpus " signifie " reste maître de ton corps ". Ce droit à la liberté individuelle de tout citoyen est né en Angleterre pour protéger le sujet contre les arrestations arbitraires et les détentions illégales. L'article 584 du code de procédure pénale stipule en son article 584 que "Le président du Tribunal de grande instance du lieu d'arrestation ou de détention d'une personne, ou tout autre magistrat du siège dudit Tribunal désigné par lui, est compétent pour connaître des requêtes en libération immédiate, fondées sur l'illégalité d'une arrestation ou d'une détention ou sur l'inobservation des formalités prescrites par la loi…La requête est formée soit par la personne arrêtée ou détenue, soit au nom de celle-ci par toute autre personne. Elle n'est pas timbrée".

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 Les articles sont produits avec l'aide financière de l'Union Européenne. Le contenu de ces articles relève de la seule responsabilité de JADE Cameroun et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l'union Européenne.

Prison de New Bell: Les femmes logées à bonne enseigne

Solidaires, disciplinées et propres, les détenues de la prisons de New Bell réussissent grâce à ces qualités à entretenir lur cadre de vie et surmonter les difficultés du milieu carcéral. Tout n'est pas rose pour autant, au niveau de la nourriture et du divertissement.

Pas l'ombre d'un papier ou d'immondice dans le couloir qui mène le visiteur dans le quartier des femmes de la prison de New-Bell. Le caniveau qui traverse le corridor est propre tout comme les haies de fleurs bien taillées. Dans la cour du quartier des femmes, suffisamment propre se trouvent deux pelles, un râteau et une perche qui servent à la propreté des lieux. "Ces outils, indique Adeline, une pensionnaire, permettent de nettoyer le caniveau et les parcelles de fleurs situés dans le couloir".

Le bâtiment construit par l'Union européenne à travers le Pacdet est bien entretenu.
Chaque matin un groupe de six détenues, nettoie entièrement le quartier notamment la cour, les toilettes et les cellules. Une détenue appelée "commandant hygiène", est chargée de veiller à la propreté. Gare aux détenues qui sont surprises en train de cracher ou jeter des ordures dans la cour ou les cellules. "Quiconque ne respecte pas les règles d'hygiènes s'expose à des sanctions disciplinaires", prévient Adeline.

La solidarité fait la force

Les pensionnaires du quartier des femmes de la prison de New Bell ne laissent personne indifférent. Bien coiffée et maquillées, leurs ongles sont soigneusement vernies. Ces femmes se débrouillent toutes seules pour acquérir les produits de beauté. "Nous faisons des bons de commandes. Le matin, nous donnons de l'argent à l'une de nos sœurs qui va en corvée. Le soir elle paye les différents produits de beauté et nous les ramène", explique Adeline. Elles sont par ailleurs par moment approvisionnées par des parents qui leur rend visite et doivent partager ces articles avec les plus démunies. "Vernis à ongles, fards, rouges à lèvres, perruques etc., passent alors de mains à mains", explique Adeline.
Les femmes qui exerçaient le métier de coiffeuse avant leur détention, offrent gratuitement leurs services aux autres. Dans les dortoirs, chaque détenue dispose actuellement d'un lit. Toutefois, lorsque le nombre de détenue est élevé, seules les détenues les plus nanties bénéficient de ce privilège. Les démunies sont alors obligées de se partager deux lits à trois faute d'argent pour payer.

Satisfaction mitigée

Les détenues ne sont pour autant pas satisfaites de leurs conditions de détention. Hormis la télévision, elles n'ont pas d'autres sources de divertissement. "On a l'impression que les journées sont longues parce qu'on s'ennuie", témoigne Adeline. Un désoeuvrement qui, poursuit-elle, est souvent la cause de nombreuses disputes entre les femmes. En novembre dernier, Ngo Bassop, la gardienne chef de prison du quartier des femmes a lancé un appel aux âmes de bonnes volontés, pour la construction d'ateliers de couture et d'informatique, ainsi qu'une salle de classe en vue d'assurer le suivi-scolaire des plus jeunes. Des initiatives qui selon elle, pourraient permettre d'occuper les femmes.
L'insatisfaction des détenues porte également sur leur alimentation. Tous les dix jours, elles reçoivent de la prison, dix boites de riz. Et puis plus rien. Chacune doit alors se débrouiller pour trouver les épices et le complément ou faute de mieux revendre à 500 Fcfa son riz à leurs co-pensionnaires qui font de la restauration payante dans le pénitencier.

Présidente de l'association "Action pour l'épanouissement des femmes, des démunis et des jeunes détenus", Éliane Paule Meubeukui salue "des conditions de détention acceptables au quartier des femmes de la prison de New Bell". La responsable de l'organisation de la société civile déplore toutefois que la capacité d'accueil de cet établissement soit réduite. "Il n'y a que deux cellules qui pour l'instant, réussissent à contenir sans difficultés, la cinquantaine de détenues du quartier des femmes. En cas d'augmentation de l'effectif, ces locaux ne seront pas suffisants", craint-elle.

Anne Matho (Jade).


Plus de 80 mois derrière les barreaux
Relaxé en 2007, Elvis est toujours en prison en 2012
Relaxé pour faits non établis en novembre 2007, Elvis Fonuy Luma n’est jamais sorit de prison depuis son arrestation en 2004. Le commissaire du gouvernement du tribunal militaire de Bafoussam s’y opposerait, explique-t-on.
Elvis Fonuy Luma compte en mois. Il en cumule 80 dans la prison centrale de Bafoussam. Fils d’un gendarme décédé il y a quelques années, ce jeune homme d’une trentaine d’années ne cesse de réclamer la fin de sa détention provisoire. Poursuivi pour coaction de vol aggravé avec port d’arme à feu et pour un assassinat commis à Bafoussam courant avril 2004, il n’arrête pas de clamer son innocence et est déterminé à se battre pour retrouver sa liberté.

Détentions arbitraires

Il attendait beaucoup d’une audience, le 21 octobre dernier, devant le tribunal militaire de Bafoussam. "Ce jour-là, j’ai répété que je suis détenu depuis 7 ans sans jugement. Chose bizarre : arrêté en 2004 et relaxé en 2007 par le juge pour faits non établis, j’ai passé, de fin 2007 à avril 2011, trois années en prison sans être présenté au tribunal dans le cadre d’une nouvelle procédure initiée contre moi. On ne m’a pas laissé foutre mon nez dehors", affirme-t-il.
Le colonel Kengne, président de cette juridiction, a renvoyé l’affaire au 23 janvier. Cela, afin de permettre à Elvis Luma et à ses coaccusés d’être une fois de plus instruits sur l’objet de leur détention. Poursuivis pour les mêmes faits, Eric Simen Kemadjou, Armel Kentsop, Félix Talla et Odette Seko se plaignent eux-aussi des lenteurs procédurales du tribunal militaire de Bafoussam. Arrêtés fin 2007 et début 2008, ils sont en détention depuis quatre ans. "Un abus de plus ! ", affirme Serge Frédéric Mboumegne, président général de l’association internationale Kofi Annan pour la promotion et la protection des droits de l’homme et la paix. "La durée de la détention provisoire est de six mois renouvelables une seule fois. Lorsqu’il s’agit d’un crime, comme dans le cas d’espèce, elle ne saurait être de plus de 18 mois dans son ensemble. Ceci est régi par l’article 218 du code de procédure pénale", explique-t-il.
L’avocat, Me Fabien Che, dénonce également ces détentions arbitraires. Il évoque le recours à la procédure de protection contre les arrestations arbitraires et les détentions abusives prévues à l’article 588 du code de procédure pénale camerounais. "La procédure d'habeas corpus est également applicable aux mesures de privation de liberté prises à l'encontre de toute personne ayant bénéficié d'une décision de relaxe ou d'acquittement prononcée par une juridiction répressive de droit commun ou d'exception", énonce cette disposition sur laquelle Elvis Luma pourrait s’appuyer pour sortir de prison.

Déclaré non coupable

"Je ne suis pas un paria. Je ne devrais plus être en prison si l’on respectait les procédures. On bafoue mes droits de défense. Mon père est décédé, je n’ai pas pu assister à ses obsèques faute de permission. En 2007, alors que je venais d’être relaxé et pouvais sortir libre, le greffe de la prison m’en a empêché à cause d’une opposition formulée par le commissaire du gouvernement", rappelle-t-il. Selon des sources proches du tribunal militaire de Bafoussam, le commissaire du gouvernement près de cette juridiction s’était opposé à l’acquittement de l’accusé Luma parce que la police venait d’arrêter ses coaccusés dans cette affaire. Mais comment expliquer que, sur les rôles des audiences du tribunal militaire de Bafoussam, Elvis Luma est sous mandat de dépôt depuis le 02 avril 2008 au même titre que ses coaccusés arrêtés quatre ans après lui ? Une aberration que dénonce le jeune prisonnier de Bafoussam. Comment peut-il être maintenu en prison en 2008, alors qu’il venait d’être déclaré non coupable quelques mois auparavant ?
Guy Modeste Dzudie (Jade)


Copies de jugements égarées: Il a déjà fait neuf ans de prison en trop
Condamné à sept ans de prison, Aristide Fokam continue de purger sa peine, seize ans après : neuf ans de rab ! L’Administration judiciaire ne retrouve pas les copies des jugements qui le concernent. Incapacité ou mauvaise volonté ?
Aristide Fokam, 40 ans, sous mandat de dépôt à la prison centrale de Bafoussam depuis le 28 janvier 2001, pense que sa place ne devrait plus être là. Avant d’être transféré dans cette prison, il avait déjà séjourné pendant six ans à la prison de Dschang. Selon lui, il aurait dû être libéré au plus tard en juin 2009, même en cumulant ses deux condamnations devant le juge d’instance, à savoir 12 ans d’emprisonnement pour "vol aggravé" en 1995 et 2 ans pour vol simple et recel en 1997. Mais faute de pouvoir disposer des copies de l’arrêt rendu en 2001 par la cour d’appel de l’Ouest "réduisant considérablement sa peine", et de celles des deux décisions prises par le Tribunal de grande instance (Tgi) de la Menoua en 1995 et en 1997, il est maintenu en détention.
Me André-Marie Tassa estime "inadmissible qu’Aristide Fokam se trouve encore en prison. Il n’a pas forcément besoin de brandir la grosse(1) de son jugement pour être remis en liberté. Il suffit juste qu’il adresse une requête au juge d’habeas corpus pour retrouver sa liberté. Le code de procédure pénale est claire sur la question", explique l’avocat.

Requête sans suite

Le samedi 10 décembre dernier, lors de notre visite à la prison centrale de Bafoussam, l’infortuné attendait toujours une réponse à sa lettre adressée, en juin 2011, au régisseur de la prison centrale de Bafoussam, sollicitant une audience pour expliquer son cas. "Lorsque le procureur arrive ici en visite, nous l’interpellons sur nos problèmes : il nous conseille de formuler nos requêtes par écrit. Nous le faisons. Malheureusement, il ne nous répond pas. On se demande même si les documents en question lui sont transmis par les services du régisseur ", s’interroge-t-il.  Avant de poursuivre : "Si j’avais l’arrêt de la Cour d’appel réduisant ma peine, je ne serais plus en prison. Ils avaient tranché en mon absence. Les 12 ans de prison que m’avaient infligés les juges du tribunal de grande instance de la Menoua à Dschang avaient été réduits à 5 ans, m’a-t-on dit à la cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam. Une autre décision me condamnant en 1997 a été prononcée par le tribunal de première instance de Dschang pour vol simple et recel.  S’il fallait même faire la somme des deux décisions, je devrais être sorti de prison depuis 2009, après 14 ans. Mais faute de pouvoir disposer des copies de ces jugements, je suis maintenu ici pour rien. Toutes mes démarches en vue d’entrer en possession de ces documents se sont avérées vaines. Les greffiers de prisons et les gardiens sollicités me disent toujours qu’il ne voient rien."
Selon Aimé Theodore Nganteu, militant de l’Action citoyenne, une organisation de défense des droits de l’Homme, les textes de loi sont pourtant clairs. S’ils étaient respectés, on ne devrait pas avoir à faire des prolongations illégales d’emprisonnement des personnes condamnées. "Il y a irrégularité dans ce cas. Les autorités de la prison et du greffe de la Cour de l’Ouest et ceux du Tgi de la Menoua devraient vérifier le dossier du détenu Fokam. A partir de son mandat de dépôt qui date de 1995, il est possible de procéder à des fouilles pour lui communiquer le contenu de la décision de la Cour d’appel de l’Ouest ou de tous les éléments contenus dans son extrait de casier judiciaire. Ce n'est pas aussi compliqué", souligne le défenseur des droits de l’Homme.
Selon lui, il incombe aux chefs des juridictions de veiller non seulement à l’application des peines mais aussi de mettre en liberté les condamnés ayant fini de purger leur sanction pénale. Il s’appuie sur l’article 545 du code de procédure pénale qui prescrit : "Les Présidents des Cours et Tribunaux doivent s'assurer de l'exécution des décisions et ordres de leurs juridictions. Les ordres et décisions judiciaires d'arrestation, de détention ou de mise en liberté sont immédiatement exécutoires, à la diligence du parquet qui les transmet directement aux autorités chargées de leur exécution."

200 000 Fcfa pour une pièce

"Chaque fois que je sollicite l’intervention des greffiers ici, ils me demandent de l’argent. D’autres disent que c’est compliqué parce que mon dossier de base se trouve au greffe de la prison de Dschang. Les membres de ma famille se sont investis pour cela sans solution. Ma mère est allée jusqu'à donner 200 000 Fcfa aux gardiens de prison pour qu’ils recherchent ledit document. Mais aucun résultat favorable. Moi-même, j’ai dépensé 200 000 Fcfa pour pouvoir entrer en possession des différentes grosses en question. Je n’ai obtenu aucun succès. Je ne sais plus quoi faire", se lamente Aristide Fokam. Démuni, ce condamné ne compte plus que sur le soutien de sa génitrice, Julienne Assonfack. Celle-ci se trouve aussi découragée après plusieurs interventions. "J'ai tout fait pour qu’il soit libéré. On m’a toujours abusé. Je laisse tout entre les mains du bon Dieu", se résigne sa mère.
Quid d’une demande d’assistance judicaire ? Aristide Fokam n’y pense pas. Alors que "cette sollicitation lui permettra d’avoir un conseil qui l’aidera, au frais du Trésor public, à retrouver - si son dossier judicaire le permet -  la liberté qu’il recherche tant, et, pourquoi pas, lui permettre de poursuivre les responsables de la prolongation illégale de son séjour en prison."
Guy Modeste Dzudie (Jade)
(1) En droit, la grosse d’un acte authentique, d’un jugement ou d’un arrêt, se distingue de l’original ou de la minute en ce qu’elle n’est qu’une copie, et de la simple expédition en ce qu’elle est  revêtue de la formule exécutoire. En cas de perte de la grosse, la partie qui veut s’en faire remettre une autre doit obtenir l’autorisation du président du tribunal


Garde à vue abusiveà Bafoussam: Huit jours de calvaire dans une cellule puante
Jacques Désiré Talla a passé huit jours de garde à vue dans les cellules du commissariat central de Bafoussam. Deux fois plus que prévu par la loi. Il dénonce la corruption et les mauvaises conditions de détention.
Ce n’est pas la première fois que des citoyens appréhendés dénoncent les conditions de leur garde à vue dans certains commissariats du Cameroun. Jacques Désiré Talla a allongé la longue liste des victimes d'abus des policiers. Cet aviculteur de 29 ans a passé huit jours dans les cellules puantes du commissariat de sécurité publique de Bafoussam pour "une affaire de sentiments". L’accusé pointe un doigt accusateur sur son ancienne compagne et un directeur de société "qui auraient soudoyé les policiers pour le torturer". "Pendant que j’étais en cellule, mes geôliers multipliaient les rencontres avec mes accusateurs afin de prolonger ma garde à vue. Après plusieurs auditions, j’ai été finalement inculpé pour trouble de jouissance, coups et blessures légères",précise-t-il.

Recours possibles

Arrêté sans sommation et sans avoir reçu auparavant la moindre plainte, l’aviculteur a dû abandonner son élevage. Dans cette affaire, aucune des règles concernant la garde à vue n’a été respectée, et surtout pas son prolongement qui n’aurait pas dû excéder les quarante huit heures prévues dans l’article 119 du code de procédure pénale. 
Pour Aimé Théodore Nganteu, militant de Action citoyenne, une organisation de défense des droits de l’Homme et des droits civiques, "Jacques Désiré Talla a été victime d’une garde à vue illégale. Il devrait traduire devant les tribunaux l’officier de police judiciaire responsable de ces abus comme le prévoit l’article 236 du code  de procédure pénale". Il ajoute que l’aviculteur, s’il obtient un non-lieu ou s’il est acquitté, pourra obtenir une indemnité pour " préjudice d'une gravité particulière".

Des cellules puantes

Comme un grand nombre de gardés à vue dans les prisons du Cameroun, Jacques Désiré Talla se plaint "de la corruption des forces de maintien de l'ordre par des plaignants argentés. Des policiers violent ainsi systématiquement les droits des suspects qu'ils conservent dans les cellules au-delà des délais prévus par les textes, en tronquant leurs procès verbaux d'audition".
Outre ce préjudice moral, les détenus subissent des conditions physiques de détention indignes des droits humains les plus élémentaires. A Bafoussam, les cellules du commissariat central n’ont pas de toilettes. "Les urines et les selles collectées sont mises dans un seau et transportées, le matin, vers les toilettes externes. On nous autorise à faire nos besoins qu'une seule fois par jour. L’évacuation tardive des excréments provoque l’empuantissement des cellules", se souvient Jacques Désiré Talla. Les prisonniers dorment à même le sol alors que les plus aisés et ceux soutenus par des proches corrompent les policiers pour s’installer sous le comptoir de l’entrée. Un bien-être précaire… mais qui vaut son pesant de billets de mille.
Guy Modeste Dzudie (Jade)


Faute de soins et menotté, un suspect meurt dans une gendarmerie de Douala
Arrêté, menotté, gardé à vue pendant dix jours à la brigade de gendarmerie de l’aéroport I à Douala, Souleymane a été transporté à l'article de la mort à l'hôpital où il a rendu l'âme. Une situation révélatrice des violations des droits des suspects et des conditions de détention en milieu carcéral.
"Vers 23 heures ce samedi, j’ai reçu plusieurs bips d’un numéro inconnu. J’ai rappelé et à l’autre bout du fil, c’est un gardé à vue qui m’a annoncé que Souleymane était en train de mourir. J’ai demandé à parler à mon frère, le gars m’a dit qu’il n’avait même pas la force de parler. J’ai alors dit au gars que je vais venir dimanche matin très tôt pour voir Souleymane". C’est la dernière nouvelle de vie que Awa a eu de Souleymane, son ami intime incarcéré à la brigade de gendarmerie de l’aéroport I à Douala.
Dimanche aux environs de sept heures du matin, le jeune homme a reçu un autre coup de fil lui annonçant la mort et les modalités de retrait de la dépouille de celui qu’il appelait affectueusement Souley, à l’Hôpital de District de New Bell.
Après une courte prière en l’honneur du défunt, amis, connaissances et membres de la famille, fous de colère, se sont rendus à la brigade de gendarmerie pour déposer le cercueil contenant le cadavre devant le bureau du commandant. "Il fallait que le commandant voit ce que sa brigade avait fait parce que c’est elle qui a fait tout ça", tranche Awa qui, comme d’autres proches, est convaincu que les gendarmes ont torturé Souleymane à mort. Il a fallu plusieurs minutes de négociation avec un officier d’une gendarmerie voisine pour que la foule se décide à lever le siège pour aller inhumer le corps selon la tradition musulmane.

"Tortures, séquestrations"

Interpellé le 10 novembre 2011 par des éléments de la brigade de gendarmerie de l’Aéroport I pour recel de motos, Souleymane, jeune menuisier, a été jeté dans une cellule où il a passé dix jours les deux mains liées par des menottes.
Salissou Mohamed revoit le film de l’arrestation de son collègue. "C'était un jeudi, on était en plein travail jusqu’aux environs de 17 heures 30. Il était assis dehors quand quatre personnes sont arrivées et ont tenté de saisir mon ami qui, au départ, voulait prendre la fuite. Ils se sont saisi de lui et ont commencé à le gifler sans sommation. Je me suis interposé tentant de comprendre ce qui n'allait pas et prêt à crier au secours quand ils se sont présentés comme des gendarmes de la brigade de Ngangue. Ils nous ont informés que nous étions libres de passer voir Souleymane dans leur brigade avant de l’embarquer dans un taxi. J’ai demandé à Souleymane ce qui se passe, il m’a dit : "je te jure je ne sais pas ce que j’ai fait".
Salissou apprendra plus tard que son ami était accusé de recel de moto par un individu. Arrivé dans les cellules de la brigade de gendarmerie en question, il a constaté que son ami était toujours menotté et souffrait le martyre.
Awa fera le même constat quelque temps après, au cours d'une visite à son meilleur ami. "J’ai constaté qu’il était malade après avoir été bastonné par les gendarmes. Lors de ma dernière visite, samedi, je l’ai vu tellement fatigué. ll m’a dit qu’il avait mal au ventre et qu’il faisait de la diarrhée mais que le commandant et sa troupe, informés, ne réagissaient pas. Le commandant exigeait en plus 500.000 Fcfa pour le libérer. Nous lui avons proposé 200.000 Fcfa qu'il a refusé de prendre. Avant de rentrer à la maison, j’ai laissé mon numéro de téléphone à un gardé à vue pour me mettre au courant de l’évolution de la santé de Souleymane. J’ai demandé qu’on m’appelle au cas il y aurait quelque chose", raconte-t-il.

Le choléra, un prétexte ?

De quoi et où est mort Souleymane ? Cette question divise encore la famille du défunt et la brigade de gendarmerie de l’Aéroport I. Selon les forces du maintien de l’ordre, le jeune homme est décédé des suites du choléra à l’hôpital de district de New Bell. "Faux !", soutient la famille pour qui, leur fils a été torturé à mort à la brigade avant d’être transporté à l’hôpital.
Selon un responsable de l’hôpital de district de New Bell qui a requis l’anonymat, "Ce gardé à vue est arrivé mourant dans nos services. Il respirait à peine. Nous avons essayé de le réanimer en vain. Il a rendu l’âme moins de cinq minutes après son arrivée", indique le médecin qui soutient la thèse du choléra. "Ce même dimanche dans l’après-midi, nous avons reçu un autre gardé à vue victime de choléra dans cette brigade. Nous avons pu le sauver. Quand il a repris ses forces, il s’est sauvé. Nous sommes néanmoins allés désinfecter les cellules et les bureaux de la brigade pour éviter de nouveaux cas", ajoute-t-il.

Garde à vue abusive

Contacté, le commandant de la brigade de gendarmerie de l’aéroport I s’est refusé à tout commentaire. Un silence qui éloigne davantage la manifestation de la vérité sur les circonstances du décès de ce jeune menuisier intervenu après une interpellation brutale suivie d’une garde à vue abusive de dix jours, en violation du code de procédure pénale qui dans son article 119 alinéa 2, dispose que "le délai de garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures renouvelables une fois. Sur autorisation écrite du procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel, être renouvelé deux fois. Chaque prorogation doit être motivée". Cela n’a pas été le cas puisque, selon une source interne, aucune demande de prorogation de garde à vue en provenance de cette brigade n’a été faite au procureur de la République près le Tribunal de première Instance de Douala-Bonanjo dans la période coïncidant avec l’incarcération de Souleymane.
Plus grave, le suspect a été soumis à des conditions inhumaines de détention. Ses proches persistent : Souleymane est resté menotté, sans la moindre assistance médicale, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Or l’article 123 du Code de procédure pénale relatif à la préservation de la santé du gardé à vue stipule que : "La personne gardée à vue peut, à tout moment, être examinée par un médecin requis d'office par le Procureur de la République. Le médecin ainsi requis peut être assisté d'un autre choisi par la personne gardée à vue, et aux frais de celle-ci…. Il est procédé au dit examen médical dans les vingt-quatre heures de la demande". Le procureur n'était pas au courant de cette garde à vue abusive.
Christian Locka (Jade)


Lenteurs administratives, contrainte par corps…
Pas facile d’être graciés par le président

Le décret présidentiel graciant les détenus a pris effet un mois après sa signature. En outre, des détenus, pourtant concernés par cette libération, restent en prison pour non-paiement de la contrainte par corps.
La prison centrale de Douala affiche fière allure ce jeudi, 1er décembre 2011. Dans la cour de ce pénitencier, deux tentes sont dressées, des chaises y sont alignées, la fanfare apprête ses instruments de musique. Massés dans un coin de la cour, les détenus observent. A 12h30, le procureur près le tribunal de grande instance du Wouri, ceux des tribunaux de première instance de Bonanjo et Ndokoti, le délégué régional pour le Littoral de l’Administration pénitentiaire, le régisseur et quelques autorités administratives arrivent. La cérémonie de libération des condamnés définitifs peut commencer. Ils ont été graciés par le décret présidentiel du 03 novembre 2011, portant commutation et remise des peines des détenus. Signé depuis le 03 novembre, ce n’est que le jeudi 1er décembre 2011, soit 28 jours après sa signature, que ce décret présidentiel entre en application.

Trois quarts restent

"Un seul jour de plus passé en détention est un jour de trop. Pour expliquer les lenteurs administratives, on brandit l’argument selon lequel il fallait faire le recensement pour établir l’état du dossier. Mais, cela devrait être réalisé au jour le jour. Le Président de la République  ne surprend personne. On sait qu’il accorde des grâces, au moment des élections présidentielles. Il suffit de tenir une liste des détenus qui peuvent en bénéficier. Des gens peuvent perdre leur vie pour un seul jour de détention", fustige Me René Manfo.
"Je suis en prison depuis 2007. C’est avec joie que je quitte ce milieu. Je vais me réinsérer dans la société et j’espère ne pas remettre les pieds en prison", se réjouit Takoké Mekui Paterson Lélé. Lui, il sort, mais certains parmi les 461 bénéficiaires de cette remise de peine ne franchiront pas les portes de la prison. " 107 détenus toute catégorie confondue seront immédiatement remis en liberté ; 104 autres resteront pour non paiement de la contrainte par corps ; 210 seront également retenus parce qu’il leur reste encore un quantum de peines à exécuter en plus de la contrainte par corps qu’ils devront payer" explique Engongang Mintsang, régisseur de la prison centrale de Douala. Résultat : sur les 461 détenus graciés, 354 resteront encore en prison pour non paiement de "la contrainte par corps". Le code de procédure pénale en son article 557 la définit comme une mesure qui vise à obliger le condamné à exécuter les condamnations pécuniaires ou à effectuer les restitutions ordonnées par une juridiction répressive. Elle consiste en une incarcération au cours de laquelle le débiteur est astreint au travail et est applicable sans mise en demeure préalable, à la diligence du Ministère Public, en cas de non-exécution des condamnations pécuniaires ou de non-restitution des biens.

Pas de quoi payer

Cette mesure ne va pas améliorer les conditions de détention des détenus, "ni promouvoir les droits humains en milieu carcéral", comme devait le regretter le régisseur. Construite pour une capacité de 800 places, la prison de Douala abritait en début décembre, 2 603 détenus dont 722 définitivement condamnés, et 1 881 autres en attente de jugement.
Dans cette affaire de "contrainte par corps", Me René Manfo parle de violation de l’esprit même du décret et de la loi. "Ce décret est basé sur une ancienne loi qu’il faudrait réexaminer afin de faire bénéficier d’une libération immédiate les détenus condamnés par la contrainte par corps. Comment ceux qui n’ont pas de famille vont-ils faire pour payer cette contrainte ?", s’interroge l’avocat.
Il explique par ailleurs que l’on a perdu de vue les dispositions légales du code de procédure pénale (Cpp) qui font que la contrainte par corps est devenue automatique lorsqu’on est condamné aux dépens. "C’est une violation légale des droits des libertés parce que le texte régissant la remise des peines n’a pas prévu les dispositions du Cpp qui, au départ, faisaient prévaloir la présomption d’innocence. Avec l’application immédiate de la contrainte par corps, on en revient à la présomption de culpabilité", conclut l’avocat.
Blaise Djouokep, (Jade)


Une main d’œuvre pénale appréciée
Des détenus de Yabassi vivent de la corvée
Les corvées payantes permettent aux détenus de la prison principale de Yabassi de gagner leur autonomie financière. Une initiative qui rejoint les règles minimales de détention des Nations Unies.
Dans la cour de la prison principale de Yabassi, les détenus discutent de tout en cet après midi ensoleillé de fin novembre. Efanwa Charles de Gaulle se distingue par son franc parler. Ses codétenus s’éclipsent quand on évoque la corvée. Lui, non ! Au contraire, il prend les devants. "Le partage des retombées des corvées n’est pas toujours égal et cela amène parfois des disputes entre les corvéables. Certains veulent gagner plus que d’autres alors que nous avons fait le même travail. A mon avis, ce sont les chefs qui entretiennent ce désordre parce qu’ils laissent faire", tranche le détenu, avant de tempérer ce point de vue en saluant le caractère libre de l’activité. "On travaille vraiment selon nos forces; on ne fait pas des travaux pénibles. On n’impose pas la corvée : si tu ne te sens pas bien, tu le dis au chef et on te laisse au repos",s’empresse-t-il d’ajouter.

Du pain quotidien

Grâce aux corvées, Boteng est de moins en moins dépendant financièrement de sa famille qui lui rend, de temps en temps, visite en prison. "La corvée permet à chacun de nous de gagner son pain quotidien. Avec l’argent qu’on nous donne quand nous sortons, j’achète souvent des objets de toilettes comme le savon. Je mets le reste de côté. Parfois, on nous donne de la nourriture, des vêtements... En général, le travail consiste à défricher et à sarcler les champs; ce n’est pas dur", raconte ce détenu.
Selon Romuald Ngalani, régisseur de la prison centrale de Yabassi, il existe deux types d’intervention de la main d’œuvre pénale : "les corvées surveillées, effectuées par les prévenus et les femmes à l’intérieur et aux alentours de la prison, et les corvées dites payantes lorsqu’un cessionnaire sollicite l’embauche de détenu pour nettoyer sa plantation ou pour effectuer un travail spécifique", explique le régisseur. Dans ce dernier cas, le cessionnaire devra verser une somme de 2 000 Fcfa à l’administration de la prison qui met à sa disposition cinq détenus escortés par un gardien. Ce prix peut être revu à la hausse s’il faut mobiliser un détenu pour accomplir un travail technique.

Des profits et des risques

Dans ses règles minima de traitement des détenus, les Nations Unies recommandent que le travail pénitentiaire n’ait pas "un caractère afflictif". Ce travail doit être, ajoute le texte, "dans la mesure du possible,  de nature à maintenir ou à augmenter la capacité des détenus de gagner honnêtement leur vie après leur libération". En respectant cette disposition, la prison principale de Yabassi allie profit et respect des droits de l’Homme puisqu’elle verse mensuellement au Trésor Public 30 000 Fcfa représentant les revenus des corvées payantes. Un exploit !
Devenir corvéable à la prison de Yabassi n’est pas une sinécure.  À l’exception des femmes et des prévenus concernés par les corvées internes, les autres détenus doivent répondre à certains critères pour être éligibles aux corvées externes. "Après avoir été condamné, il faut avoir déjà purgé les deux tiers de sa peine et avoir une moralité acceptable parce que c’est un processus de réinsertion sociale. Si le détenu remplit ces critères et qu’il n’est pas discipliné, il n’est pas admis à la corvée", explique le régisseur. En dépit de ces précautions, les déceptions ne manquent pas. Il y a quelques années, deux détenus ont pu ainsi échapper à la vigilance du gardien, pendant la corvée.  Des années plus tard, les risques d’évasion sont permanents parce que, estime le régisseur, les corvéables s’approvisionnent en stupéfiants forts comme le chanvre indien lors de ces sorties.

Des ouvriers moins chers

À Yabassi, la main d’œuvre pénale rencontre du succès auprès des paysans  confrontés depuis peu à un problème de recrutement. "Ici, les jeunes n’aiment pas travailler.  Quand bien même vous les sollicitez, ils acceptent mais après ils ne viennent pas. Parfois, ils prennent de l’argent et disparaissent. L’initiative de la prison nous aide énormément à éviter ce genre de déceptions", explique Emilienne Ekoum, cultivatrice, ancienne député du département du Nkam. "La main d’œuvre locale est plus chère parce qu’elle est rare. Ceux qui sont disponibles demandent plus d’argent. Parmi les prisonniers, il y en a qui travaillent bien. D’autres ne savent pas manier la machette parce qu’ils ne l’ont jamais fait. Mais on préfère quand même ce genre d’ouvriers", renchérit Baudelaire Yombock, cultivateur.
Certains paysans sont toutefois découragés d’y faire appel, estimant trop onéreux l’entretien des détenus. "Pour prendre un détenu à la journée, il faut réserver au moins 5 000 Fcfa. Car, après la réservation à la prison, le bénéficiaire doit prévoir les beignets, la nourriture, la cigarette, les jetons de présence et même parfois des vêtements à donner aux détenus", relève Ngoloko Rose, une cultivatrice qui vient d’expérimenter pour la première fois, la force de travail des prisonniers. Compatissante, elle conclut : "Ils méritent d’être encouragés parce que ce sont des êtres humains comme nous, et, demain, nous pouvons nous retrouver à leur place."
Christian Locka (Jade)


Abus de garde à vue administrative
En prison selon l'humeur du préfet
Sous le prétexte du maintien de l’ordre public ou de la lutte contre le grand banditisme, les autorités administratives jettent des innocents en prison. Des avocats dénoncent une mesure abrogée par le code de procédure pénale de 2007.
Emile Kenfack porte encore les stigmates de son incarcération à la prison de New-Bell. Sale et amaigri, le jeune homme de 24 ans, qui a passé toute son enfance dans la rue, n'a rien oublié de la journée du 03 octobre. "Des policiers nous ont coincés alors qu'on échangeait entre enfants de la rue. Ils nous ont jetés dans leur car où se trouvaient déjà d'autres enfants pour nous conduire au commissariat", se souvient-il. Ils sont douze à être auditionnés et à être accusés de "criminalité et grand banditisme". Gardés à vue pendant trois jours au commissariat, ils sont ensuite transférés à la prison de New-Bell.

Maintien de l'ordre

Les policiers leur indiquent alors qu'il s'agit d'une garde à vue administrative décidée par le préfet du Wouri et qu'ils seront libérés au quinzième jour de leur détention. "L'un des policiers nous a dit que le préfet en avait décidé ainsi parce que le président de la République arrivait à Douala et que les gens comme nous étaient redoutés. Il fallait donc nous enfermer durant le temps de sa visite et nous libérer après", raconte Emile Kenfack.
Au quinzième jour de leur détention dans ce pénitencier, dormant à la belle étoile et vivant de racolage, les douze, qui attendent d'être libérés, sont rejoints par treize autres enfants de la rue arrêtés dans des circonstances similaires et convoyés en prison sur ordre du même préfet. Sans conseils, mais encouragés par d'autres détenus, Kenfack et son groupe vont alors écrire une série de lettres qui seront transmises au préfet par les religieuses catholiques qui visitent régulièrement cette prison. Après 45 jours derrière les barreaux, ils sont enfin libérés. L'attestation de levée d'écrou remis à chacun d'eux indique que cette libération est décidée par arrêté préfectoral abrogeant deux autres arrêtés de la même autorité. On peut y lire que le motif d'incarcération est bien "criminalité et grand banditisme". Pourtant les gardés à vue n'ont jamais été présentés à un juge et aucune enquête n’a été ouverte contre eux.

Droits violés

"C’est la preuve d'un abus manifeste et d'une violation flagrante des droits des victimes, car, selon le Code de procédure pénale en vigueur depuis 2007, nul ne doit être incarcéré dans une prison sans un mandat de justice", fulmine Maître Sterling Minou, avocat à Douala. En effet, dans le chapitre relatif au mandat de justice (article 12) de ce code, il est précisé : "(1) Le Procureur de la République peut décerner : a) des mandats de comparution, d'amener, de perquisition et d'extraction ; b) des mandats de détention provisoire en cas de flagrant délit. (2) Le Juge d'Instruction peut décerner mandat de comparution, d'amener, de perquisition, d'arrêt, de détention provisoire et d'extraction. (3) La juridiction de jugement peut décerner mandat de comparution, d'amener, de perquisition, d'arrêt, de détention provisoire, d'incarcération et d'extraction".
Aucune initiative de ce type n'est donnée aux autorités administratives qui continuent à se référer à la loi du 19 décembre 1990 sur le maintien de l’ordre. Ce texte permettait à un gouverneur ou à un préfet d’ordonner la détention administrative, pour quinze jours renouvelables, de personnes dans le but de maintenir ou restaurer l’ordre public, et dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. "Le débat ne se situe plus au niveau du renouvellement de la garde à vue, car il me semble que l’article 746 (1) du nouveau code de procédure pénale a tout tranché en stipulant que sont abrogées toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi. L’article 2 précisant que ledit code est d'application générale sous réserve de certaines dispositions prévues par le Code de Justice Militaire ou des textes particuliers", conteste Sterling Minou.

Porter plainte

En violation totale de ces textes de 2007, 240 des 2 599 pensionnaires de la prison de New-Bell étaient des gardés à vue sur ordre des autorités administratives ou du commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire de Douala, à la date du 16 novembre. "Le droit administratif est par excellence un droit exorbitant et il arrive effectivement que l’autorité administrative par simple népotisme ou favoritisme ou pour un intérêt personnel abuse de cette prérogative dans l’exercice de ses pouvoirs", explique Maxime Bissay, coordinateur de l'Action catholique pour l'abolition de la torture (Acat Littoral).
Me sterling Minou conseille aux victimes de poursuivre les autorités administratives en justice. "Les jeunes convoyés en prison doivent engager une procédure pour séquestration et détention abusive. Cela ne va certes pas aboutir à la condamnation des responsables, mais pourrait servir de pédagogie à nos fonctionnaires", argumente-t-il. "L’Acat serait heureuse d’accompagner des victimes de telles injustices dans la mesure où elle reste convaincue que les cas de garde à vue administrative abusive sont légions dans la République", propose Maxime Bissay.
Christian Locka et Charles Nforgang (Jade)


Rackets des forces de l’ordre
Quand les suspects achètent leur liberté
Des officiers de police mettent en garde à vue des suspects qu’ils libèrent moyennant le versement de sommes d’argent. En totale violation de la loi.
Il a fallu des heures de négociations à ses proches pour que le garagiste, Ndomchima Richard, se décide à parler de sa mésaventure survenue au mois d’août dernier. "Un ami et sa copine sont venus me rendre visite au garage, un mercredi soir. Avec un collègue, nous avons décidé de leur offrir un pot dans une buvette des environs de l’aéroport international de Douala. Pendant qu’on buvait, il s’est mis à pleuvoir abondamment. La copine de mon ami nous a dit qu’elle ne pouvait pas regagner sa maison parce qu’elle redoutait les agressions. Nous nous sommes arrangés pour payer une nuitée d’hôtel au couple. Arrivée à l’hôtel, la fille s’est mise à alerter le voisinage et à nous accuser d’être des agresseurs en possession d’armes", raconte d’une voix tremblotante le jeune mécanicien.

Arrêtés sans mandat

Le week-end suivant, Ndomchima Richard, Kuisseu William Joel et Komongou Aaron, qui croyaient le mauvais vent passé, ont été arrêtés sans aucun mandat par des policiers des équipes spéciales d’intervention rapide (Esir) pour "viol" et "détention d’armes blanches" et conduits à la Direction régionale de la police judiciaire du Littoral. "À la Police judiciaire, nous avons passé deux semaines, entassés parfois jusqu’à quatorze dans une cellule infecte. Les policiers nous ont demandé 550.000 F CFA pour nous libérer. Malgré le versement de cet argent par nos trois familles, ils nous ont envoyés au tribunal où nous avons encore donné 750.000 F CFA pour être enfin libres ", précise Ndomchima Richard.
Au cours de ce même mois d’août, et à quelques encablures du lieu de détention des trois jeunes hommes, Ouadjiri Abdoulaye, un gérant d’un parking de motos au quartier Bonaloka, accusé de recel, a été contraint de verser 360.000 Fcfa aux gendarmes de la brigade des pistes de l’aéroport de Douala pour retrouver la liberté. "Il fallait le faire pour sortir de ces cellules exigües (Ndlr : un peu plus d’un mètre carré) mais propres. Certains gendarmes nous refusaient le droit de nous servir des toilettes et, en plus, rançonnaient nos visiteurs. Argent, papiers hygiéniques, savons, leur étaient réclamés non sans les insulter à chaque fois", se souvient-il.

"Des brebis galeuses"

À Douala, gendarmes et policiers interpellent de plus en plus sans mandat, à des heures et jours proscrits, des suspects qu’ils libèrent par la suite contre des sommes d’argent. Sous anonymat, un officier de police ne nie pas l’existence de ce phénomène rampant dans les forces du maintien de l’ordre. Il indique cependant "qu’il s’agit d’actes isolés de certaines brebis galeuses comme il en existe dans tous les corps de métier. Lorsque ces fonctionnaires sont reconnus coupables de telles dérives, ils sont blâmés, suspendus ou radiés".
Pour maître Antoine Pangue, avocat au barreau du Cameroun, ces sanctions administratives sont insuffisantes. "Un policier qui libère un suspect moyennant une somme d’argent commet l’infraction de corruption. L’acte qu’il pose, cause un préjudice à la société, à la victime de l’infraction et même à l’auteur de l’infraction", explique l’avocat. En effet, en son article 134, le code pénal camerounais stipule : "Est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 200 000 à 2 millions de Fcfa, tout fonctionnaire ou agent public, qui, par lui-même ou par un tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction".

Principes foulés au pied

Ce n’est pas la première fois que des fonctionnaires des forces l’ordre sont soupçonnés de corruption. Depuis quelques années, l’Ong "Transparency international", dans ses rapports sur le Cameroun, classe la police parmi les corps de métier les plus gangrenés par la corruption. Ce qui est loin de décourager certains agents qui continuent à racketter et à garder à vue des suspects aux jours et heures proscrits par la loi. "On était en train de travailler au garage, un samedi, lorsque les éléments des Esirs nous ont embarqués.", se souvient Ndomchima Richard. Or, l’article 118 du code de procédure pénale dispose que "sauf cas de crime ou de délit flagrant, la mesure de garde à vue ne peut être menée les samedi et dimanche ou jours fériés. Si elle a été menée avant, cette garde à vue peut se poursuivre ces jours-là".
"Bien que les conditions du code de procédure pénale soient drastiques, ses principes sont malheureusement foulés au pied par ceux qui doivent le mettre en application notamment cet article 118", regrette Me Sterling Minou, avocat au barreau du Cameroun
En dépit des dénonciations régulières des défenseurs des droits de l’Homme, les dispositions du code de procédure pénale peinent à être respectées…six ans après son introduction.
Christian Locka (Jade)


Pour arrondir des fins de mois difficiles
Des gardiens de prison participent à des trafics
Mal rémunérés et parfois sans perspectives d'avancement, des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire font rentrer des produits illicites dans les prisons. Les trafiquants leur graissent la patte.
Au Cameroun, le personnel de l'administration pénitentiaire et surtout les gardiens de prison comptent parmi les hommes en tenue les plus mal lotis, côté salaire. Postés devant, à l'intérieur ou dans les bureaux de chaque prison du pays, ils n'hésitent pas à rançonner visiteurs et détenus, ou à nouer des complicités avec certains d’entre eux pour introduire des produits illicites. Une activité des plus lucratives.
Une source pénitentiaire concernée par la situation soutient ainsi qu'au moins 80 % des gardiens de la prison centrale de Douala coopèrent avec des détenus impliqués dans la vente de cocaïne, de chanvre indien, de comprimés, de whisky en sachet, de cigarettes.... "Un matin, j’ai vu un prétendu visiteur entrer avec quatre sachets contenant du whisky blanc frelaté, appelé "fôfo". A vue d’œil, ça ressemblait à de l’eau ensachée, ce qui était faux ",témoigne un gardien de prison qui avoue avoir fermé les yeux, sachant que ses collègues étaient sûrement dans le secret.

Des affaires bien protégées

Il n'est pourtant pas aisé de pénétrer dans une prison. Multiples sont les barrières de fouille corporelle et de test de tous les produits. Pour y introduire des produits prohibés, le trafiquant incarcéré doit donc obtenir au préalable la caution d’un ou de plusieurs gardiens contre des espèces sonnantes et trébuchantes. "Des portiers laissent entrer des stupéfiants contre 300 000 Fcfa par exemple. Ce qui peut rapporter au trafiquant 1 million de Fcfa. Certains détenus allant jusqu’à donner 200 000 Fcfa et même plus au chef", confie sous anonymat un gardien. Selon l’un de ses collègues, des ex-détenus continuent à trafiquer avec des personnes encore incarcérées.
Connaissant très bien la prison et ses différents circuits d’affaires, ces ex-détenus organisent le ravitaillement en toute impunité. "Ils glissent des colis à l'intérieur de la prison, à travers la barrière. Un gardien, posté au mirador et au parfum de l’opération, facilite la réception du colis qui disparaît aussitôt", explique-t-il. Des détenus réalisent de telles bonnes affaires qu'ils ne souhaitent même plus être libérés.
Les gardiens gagnent aussi de l'argent en escortant des personnalités interpellées dans le cadre de la campagne de lutte contre la corruption, initiée par les pouvoirs publics et baptisée Opération Epervier. Une fois, en dehors de la prison, le gardien joue les garçons de course auprès du détenu VIP, lui donne l'opportunité de se mouvoir à sa guise et de profiter de la vie. Il reçoit en contrepartie jusqu'à 200 000 Fcfa en fonction des circonstances et du service rendu. "Le chef qui désigne un gardien de prison pour escorter un détenu Vip, attend en retour sa part du gâteau. Si le chargé d’escorte a reçu de l’argent du pensionnaire, il peut glisser jusqu'à la moitié du montant à son chef", confie un gardien.

Des salaires minables

Le personnel pénitentiaire justifie son comportement véreux par ses difficultés à joindre les deux bouts. "Vous louez un appartement avec deux chambres, un salon, une douche et une cuisine. Vous payez mensuellement 35 000 F Cfa. L’électricité vous revient à 5 000 F/mois et l’eau à 2 000 F. Vous habitez à Japoma et travaillez à New-Bell, le taxi vous coûte 1000 F/jour, soit 30 000 F/mois. Ration et maladie étant exclues. Ça fait 100 000 F/mois et ça ne résout pas votre problème", énumère un gardien.
Les salaires du personnel de l'administration pénitentiaire et surtout des gardiens de prison sont des plus modiques. Au sortir de l’école, le gardien élève stagiaire touche 45 000 Fcfa par mois. Un à deux ans plus tard, titularisé comme gardien de prison, il reçoit 75 000 Fcfa par mois. "Certains majors de la police sortis de l’école la même année que nous, un mois avant, sont aujourd’hui des principaux, c’est-à-dire 3V en or ou majors, alors que nous sommes au même grade. Je suis sorti de l’école avec 2V blancs", fulmine un gardien, ayant sept ans d’ancienneté et qui touche 90 000 Fcfa par mois. Les gardiens reçoivent en plus 20% de leur salaire en guise d'indemnité de non logement, zéro prime d’escorte, zéro indemnité de risque ou d'heures supplémentaires.
"Nos responsables font tout pour bloquer le concours interne, parce qu’ils savent que s’ils le lancent, des intellectuels pourront se retrouver à leur niveau et les rivaliser. Ils préfèrent les concours directs parce qu’ils savent que nous, les intellectuels déjà dans le corps (nous avons présenté le concours avec le niveau Cep), nous ne pouvons plus les passer. Et parce qu’ils négocient les places pour leurs enfants. Ils en achètent même. Nous avons essayé de constituer des dossiers pour le concours direct mais nos dossiers ont été rejetés. Le dernier concours interne a été lancé en 1986". Il y a vingt cinq ans !
Quant au statut spécial du corps des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire signé le 29 novembre 2010, il n'est toujours pas en vigueur. Il prévoit pourtant des dispositions qui amélioreraient les conditions de travail et de vie des agents de l’administration pénitentiaire. Mais en attendant… Il faut bien vivre !
Théodore Tchopa (Jade)


Une bavure à Bafoussam
Un commerçant armé, abattu par la police
Appelés pour désarmer Hugues Nzokou, un commerçant de 31 ans qui menaçait avec un pistolet les clients d’une auberge à Bafoussam, les policiers de l'Equipe spéciale d'intervention rapide (ESIR) l'ont abattu. Une bavure, estime la famille du défunt.
Midi vient de sonner, ce dimanche 23 octobre 2011. La chaleur se fait de plus en plus lourde. La dépouille d’Hugues Nzokou, abattu dans la nuit du 15 au 16 octobre 2011 dans une auberge de la septième rue Nylon à Bafoussam, va être inhumée dans quelques heures. Une foule se dirige vers "Grand Raphia" au quartier Kouogou où  auront lieu les obsèques.
L’atmosphère est lourde. Michael Francis Mbé, le père du défunt, effectue des va et vient autour de la maison qui abrite le cercueil de son fils. "Hugues Nzokou prendra d’ici quelques heures un vol vers une destination inconnue. Les policiers ont tué mon fils ! Ils l’ont abattu comme un oiseau en plein vol ! ", se lamente-t-il.

Le policier a tiré

Dans la soirée du samedi 15 octobre autour de 21h30, Hugues Nzokou débarque dans l’auberge où il a retenu une chambre. "Le gérant lui tend la clé. Peu de temps après, il laisse sa compagne dans la chambre et vient s’installer au bar", rapportent des témoins. Une discussion, entre lui et quelques clients, tourne au vinaigre. Hugues Nzokou sort alors son arme, un pistolet calibre 12 de marque Beretta. Pris de panique, les clients et les employés de l’auberge s’enfuient et se cachent. Alertés, les policiers bien entraînés de l’Equipe spéciale d’intervention rapide (Esir) débarquent. Le forcené bat en retraite dans sa chambre. De sources officielles, Hugues Nzokou aurait été le premier à pointer son arme sur le policier en tête de la patrouille d’intervention. "Celui-ci a tiré. Ses balles ont atteint Hugues Nzokou à l’omoplate et aux jambes. Il est mort pendant son transfert à l’hôpital", soutient un témoin.
Une version qui ne convient pas à la famille du défunt."Le procureur doit se saisir de cette affaire. Nous interpelons les autorités afin que les responsabilités des uns et des autres soient établies. Les éléments des équipes spéciales de la police sont formés dans l’optique de pouvoir neutraliser des pirates de l’air. Je ne comprends pas comment ils ont pu abattre mon fils, sans raison valable. Pourquoi l’a-t-on confondu ? Il faut s’interroger sur le réel niveau de certains éléments de notre police. Il faut se poser des questions quant à leur moralité", s’indigne notamment le père de la victime, qui ajoute : "Mon fils a reçu une bonne éducation. Après l’avoir formé en menuiserie, je l’ai orienté vers le commerce lorsque j’ai vu qu’il ne s’en sortait pas. Il n’était pas violent. Il était un modérateur. Il a d’ailleurs été élu président de son clan d’âge dans le village. Et dans ce milieu, il faisait tout pour tempérer les uns et les autres", affirme-t-il.

Neutraliser sans tuer

A la 1ere rue du marché "B" à Bafoussam, les voisins d’Hugues Nzokou partagent cet avis. Walter Nembot, le frère cadet du défunt se veut plus offensif : "Mon frère a été assassiné pour rien", lâche-t-il. Interrogé, Me Fabien Che, avocat au barreau du Cameroun, conclut à la "bavure policière". "Les membres d’Esir, équipe d’élite de la police camerounaise, ont reçu une formation pointue pour contrer des criminels de grands chemins sans avoir besoin de commettre des exactions. Même s’il est avéré que ce jeune homme avait sur lui une arme à feu, les policiers ont été formés pour pouvoir le neutraliser sans porter atteinte à sa vie", explique l’homme de droit.

Cette affaire en rappelle une autre : celle de David Kaleng, ce jeune homme de 24 ans abattu à bout portant par les policiers du Groupement mobile d’intervention (Gmi) n°3 en aout 2006 à Bafoussam. La hiérarchie locale de la police s’était alors mobilisée, non pas pour sanctionner l’excès de zèle de ses subordonnés, mais pour contrer les manifestations populaires de contestation de la bavure policière.

Guy Modeste Dzudié (Jade)


Cellules sans toilettes à Douala : des nids à maladies pour les gardés à vue.

La plupart des brigades de gendarmerie à Douala ont des cellules sans toilettes. Autant de nids à maladies pour les gardés à vue, qui ne bénéficient pas des règles minima de détention des Nations Unies. Pour la première fois, Michel Fotsing, réputé être un homme courageux dans son quartier, vient de baisser la garde devant une épreuve. Poursuivi pour  escroquerie en septembre dernier, ce quinquagénaire a été incarcéré à la brigade territoriale de Ndogbong à Douala où il a passé "les quatre jours les plus longs de sa vie".

"Je voyais déjà ma mort proche, raconte t-il. C’était vraiment pénible avec une cellule de 15 mètres carrés pour vingt personnes. La nuit, on se couchait sur le sol dénudé dans le sens de la largeur à cause de l’étroitesse de la cellule ; il y avait des bouteilles en plastique où chacun urinait une fois par jour pour éviter qu’elles ne se remplissent trop vite", raconte le quinquagénaire, le visage sombre. 
Chaque matin, un gardé à vue choisi par le groupe était conduit sous forte escorte pour aller vider les bouteilles dans les toilettes situées à l’extérieur de la brigade. "Puisque la vidange se faisait une fois par jour, il fallait être fort psychologiquement pour retenir longtemps les besoins naturels de son corps",explique Michel Fotsing.

"Une odeur insupportable "

Sévère Mbenoun a vu pire à la brigade de gendarmerie de l’aéroport. Accusé d’abus de confiance par son bailleur qui lui réclamait quatre mois de loyer impayés, il a été interpellé et immédiatement jeté dans une cellule sombre, sans être entendu. "La cellule était éclairée de jour comme de nuit par un petit orifice. Il n’y avait pas de fenêtre. La chaleur y était étouffante. Certains déféquaient dans des sacs plastiques qu’ils allaient vider avec la permission des gardiens. L’odeur était vraiment insupportable", explique t-il.
La plupart des brigades de gendarmerie de la capitale économique disposent de cellules sans toilettes. Les gardés à vue sont contraints de faire leurs besoins dans des seaux, des bouteilles ou des papiers plastique, devant leurs compagnons d’infortune. Dans certains cas, ils se mettent à l’aise au sol ou sur les murs avant d’être soumis de force au nettoyage de la cellule. Selon un officier de gendarmerie qui a requis l’anonymat, "hormis la nouvelle brigade de gendarmerie de Deido, la plupart des unités ne disposent pas, à l’heure actuelle, d’installations sanitaires pour les gardés à vue. Elles louent généralement des locaux qui ont été construits sur le modèle des maisons d’habitation", indique-t-il.
En juillet 2011, Mathieu Kengne Talla, maréchal des logis en service à la brigade de gendarmerie de Nkoulouloun, a comparu devant le tribunal militaire de Douala pour complicité d’évasion.  On lui reprochait d’avoir laissé partir un gardé à vue. Un matin, alors qu’il l’escortait à la corvée "caca", cet homme a lancé dans la direction du gendarme le seau d’excréments qu’il venait de vider dans un bac à ordures. Il a profité du moment d’hésitation du fonctionnaire pour prendre la fuite. Dans sa déposition, celui-ci s’est défendu en indiquant que si la brigade avait eu des toilettes réservées aux gardés à vue, cette évasion n’aurait peut-être pas eu lieu.

Droits humains bafoués

Dans ses règles minima de traitement des détenus, les Nations unies exigent que les locaux de détention doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et la ventilation. Les installations sanitaires doivent aussi permettre au détenu de satisfaire ses besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.
C’est loin d’être le cas dans beaucoup d’unités de gendarmerie à Douala. Les gardés à vue en ressortent souvent malades. "Après quatre jours de détention, j’avais  atrocement mal aux poumons parce que certains fumaient et me balançaient la fumée au visage", se souvient Michel Fotsing. "Un jeune qui ne pouvait supporter  cette maltraitance est tombé malade. On a refusé que sa famille le sorte pour le faire soigner. C’est finalement un gendarme qui lui a acheté du paracétamol".
Comme les familles, les défenseurs des droits humains ne sont parfois pas les bienvenus dans les gendarmeries. "Nous avons à maintes reprises écrit aux autorités pour visiter les commissariats et gendarmeries dans le cadre de notre travail; elles refusent systématiquement. C’est pourquoi nous visitons ces unités clandestinement afin de produire des rapports pour dénoncer les traitements inhumains en vigueur dans ces endroits", explique Jean Tchouaffi, président de l’Association Camerounaise des droits des jeunes.
Christian Locka (Jade)


Plus de trois ans en prison sans jugement
Détenu depuis trois ans à la prison de New Bell, Joshua Mbah n'a jamais été jugé. Sa requête de libération en Habeas corpus a été rejetée, au motif qu'il a toujours décliné les convocations des juges. En cause, l'absence de conseils et le mauvais système de notification aux prisonniers.
Accusé de vol aggravé, Joshua Mbah est incarcéré depuis le 16 novembre 2007 à la prison de New-Bell à Douala. Il souffre depuis quelques temps d'une hernie à un stade très avancé qui aurait nécessité une opération, mais attend toujours la décision des autorités. La mine toujours triste, il est moins stressé par cette maladie que par le sort qui lui est réservé depuis son incarcération. "Je suis dans cette prison depuis plus de  trois ans, alors que je ne suis même pas condamné. Durant tout ce temps, je n'ai jamais été convié à me défendre auprès d'un juge", se plaint-il, les yeux larmoyants.
"Une situation inacceptable, affirme l’avocat Éric Nachou Tchoumi. A l'expiration de la durée de la détention provisoire, qui est de six mois et peut être prorogée au plus deux fois, le suspect doit être relâché comme l’exige la loi".Selon lui, aucun motif légal ne saurait être invoqué pour maintenir en détention le prévenu, après le délai prévu dans le mandat de détention provisoire.

Refus de se présenter

Les autorités pénitentiaires et les juges réfutent les allégations de Joshua Mbah. "Il a été convoqué plusieurs fois devant le juge d'instruction. Il ne s'est jamais présenté", soutient Henri Atangana Mbazoa, juge d'instruction auprès du Tribunal de grande instance du Wouri. Selon un registre de ce tribunal, son mandat de détention provisoire a été prorogé une fois de six mois, le 13 mars 2008, et est expiré depuis le mois de septembre de la même année. "Ce sont les multiples absences de Josua Mbah au Tribunal qui ont motivé cette prorogation, dans le but de lui permettre d'être jugé comme le veut la loi", justifie le magistrat. Sans l'avoir rencontré, le tribunal a poursuivi l'enquête préliminaire. Le registre du Tribunal de grande instance du Wouri indique que la phase d'instruction a finalement été close en mars 2011. L'affaire de l'inculpé a alors été renvoyée devant la juridiction de jugement.
Une fois derrière les barreaux, la plupart des détenus pauvres des prisons camerounaises, à l'instar de Joshua Mbah, ne sont pas au courant de la suite accordée à leurs affaires : ils n'ont pas d'avocats et sont pénalisés par le système de notification des détenus invités à se présenter devant les juridictions, en vigueur dans les prisons. En effet, une fois l'avis d'extraction reçu des différents tribunaux, les autorités des prisons se chargent certes d'informer les concernés, mais par des voies souvent peu efficaces. "A l'intérieur de la prison, nous affichons les noms des détenus concernés par les mandats d'extraction pour les tribunaux, et, le matin, nous procédons à l'appel de leurs noms", explique Dieudonné Engonga Mintsang, le régisseur de la prison de New Bell à Douala. Il soutient que cette technique est efficiente. "Après plus d'une convocation des magistrats, la probabilité qu'un inculpé ne connaisse pas la notification de son mandat d'extraction est inexistante, sauf en cas de maladie". Selon le régisseur, outre les malades, deux catégories de détenus ne répondent souvent pas aux convocations des instances judiciaires : les prévenus fatigués des nombreux renvois et ceux suspectés de crime. Ces derniers, qui encourent des peines d'emprisonnement d'au moins 10 ans, préfèrent feindre d'ignorer qu'ils ont été invités à comparaître devant les juges, afin d'introduire une requête en habeas corpus pour être libéré à l'expiration du délai légal de leur détention provisoire, explique le responsable du pénitencier. "La loi ne nous autorise pas à extraire un prisonnier sans son consentement", justifie-t-il.

Habeas Corpus

Ne sachant pas qu'il avait déjà été convoqué plusieurs fois par des juges, Josua Mbah a introduit une requête en habeas corpus le 25 avril dernier, pour être libéré immédiatement, faute d'une décision de justice qui le condamne à une peine d'emprisonnement. Pauvre, incapable de se payer les services d'un avocat, sa requête a été rédigée par l’un de ses compagnons de prison et adressée à la présidente du Tribunal de grande instance du Wouri. Dans cette demande, il explique l’illégalité de sa détention provisoire. Sa requête a été rejetée par les magistrats. Selon Thomas Roger Ntomb, le juge de l'affaire en Habeas corpus, cette demande était infondée. "Après vérification, nous avons constaté que le prévenu avait déjà été convoqué deux fois aux audiences publiques. S'il s'était présenté devant les magistrats, il aurait déjà été jugé", explique t-il. Des allégations que conteste l'avocat Éric Nachou Tchoumi qui soutient la libération inconditionnelle de Joshua Mbah. Pour lui, renvoyer ce suspect devant les tribunaux, après plus de trois ans de prison sans jugement, est un abus. "Le renvoi devant la juridiction de jugement en ce moment, ne peut en aucun cas couvrir le vice lié à l'illégalité de la détention de Joshua Mbah", précise t-il. Suite au constat des multiples absences de Joshua Mbah aux convocations du juge d'instruction, conclut l'avocat, il aurait dû être jugé par défaut avant l'expiration de son mandat de détention provisoire. Le malade continue de croupir en prison en attendant une prochaine convocation devant les juges.
Anne Matho (Jade)


Ils distribuaient des tracts politiques : Dix sept jeunes arrêtés et torturés à Douala
Dix sept jeunes ont été arrêtés et jetés dans les cellules infectes de la légion de gendarmerie et de la brigade de Deido-Bonateki à Douala, pour avoir distribué des tracts. Battus, ils n’ont été présentés au procureur qu’après plus d'une semaine d’incarcération, et remis en liberté pour attendre leur jugement
Il est 18 h environ, ce 12 octobre, la nuit commence à tomber. Dix sept jeunes sont sortis des cellules du tribunal de Première Instance de Douala. A ceux qui sont venus les chercher, un agent de police délivre un message péremptoire: "Nous ne voulons pas d'attroupement aux abords du palais. Ils seront libérés un à un et si cela n'est pas respecté, nous les renverrons en cellule. N'oubliez pas qu'il ne s'agit que d'une libération provisoire."
Arrêtés le 04 octobre, ces dix sept jeunes, dont deux mineurs, présentent les marques d’une détention éprouvante : amaigris, les cheveux ébouriffés, les dents jaunies, le regard pâle et terne, ils sont vêtus de haillons sales, et certains ont les pieds nus."Pendant huit jours d'incarcération dans des mouroirs qualifiés de cellules, nous n'avons pas pu nous laver, ni nous brosser les dents, ni manger à notre faim. Nous revenons de loin", résume Tagne, le plus grand du groupe, âgé d'une trentaine d'années.

Séquestration et tortures

Alors qu'ils distribuaient des tracts signés de Mboua Massock, homme politique et activiste appelant à un meeting de la Nodyna pour boycotter l'élection présidentielle du 09 octobre, ils ont été pris en chasse par des gendarmes. "Nous étions sur une route secondaire, loin de la chaussée, distribuant notre message qui invitait les Camerounais à un important meeting du combattant Mboua quand nous avons été interpellés", précise Tagne. Au moment des faits, il a encouragé ses amis, dont quelques uns prenaient la fuite, à se rendre. Les gendarmes les ont roués de coups et conduits à la compagnie de gendarmerie de Bonabéri. Sur ordre, le chef de cette unité les a fait transférer à la légion de gendarmerie du littoral à Bonanjo, où ils ont été interrogés par des officiers de police. Leurs tracts et leurs tee-shirts à l'effigie de Mboua Massock ont été retenus. Puis ils ont été jetés dans une cellule de 5 mètres carrés avec pour chef d'accusation : "troubles à l'ordre public".
"Les uns couchés sur les autres, nous étouffions, le sol était inondé de notre sueur. A 2 h du matin l'un d'entre nous a commencé à suffoquer. N’arrivant plus à respirer, il était sur le point de mourir. Nous avons crié fort, créant un vacarme assourdissant", explique un membre du groupe.
Les dix sept ont alors été sortis de leur cellule et, après un coup de téléphone du gendarme de service à sa hiérarchie, treize ont été conduits dans deux cellules de la brigade de Deido-Bonateki sur les berges du Wouri. Là aussi, les conditions de détention sont lamentables. Les cellules ont certes des toilettes, mais pas d'eau. Les détenus n'en reçoivent que quelques seaux par jour, en fonction de l'humeur des gendarmes, pour chasser leurs excréments. Les gendarmes en faction les insultent et par moment les aspergent d'eau.
Leurs téléphones ayant été confisqués, ils ne peuvent pas informer leurs familles. Ils n'auront droit à leur premier repas qu'au deuxième jour de leur incarcération grâce à un gendarme. "Nous avons supplié ce gendarme et lui avons payé 700 Fcfa de frais de commission pour qu'il aille nous acheter de quoi manger ", explique Tagne.
Au huitième jour de détention, les dix sept suspects ont été présentés au procureur. Un retard que le commandant de la brigade de Deido-Bonateki justifie par le déroulement de l'élection présidentielle qui, selon lui, avait mobilisé toutes les énergies. Au moment de ce transfert, la brigade de Sodiko, qui n’a pas participé à leur arrestation, est "entrée dans la danse". Le chef d'accusation a alors changé : ce n’est plus "troubles à l’ordre public", mais "organisation de réunion sur la place publique, obstruction de la voie publique et refus d'obtempérer aux injonctions des forces de l'ordre". Le groupe a rejeté tout en bloc. Le procureur a décidé de relaxer les deux mineurs et d'inculper les 15 adultes qui comparaîtront libres.

Violation des droits des suspects

Cette nouvelle affaire constitue une preuve supplémentaire de non respect, par les forces de l’ordre, du code de procédure pénale camerounais. Celui-ci proscrit toute atteinte à l'intégrité physique ou morale de la personne appréhendée. Il stipule bien plus en son article 37 : "Toute personne arrêtée bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d'entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil, de rechercher les moyens pour assurer sa défense, de consulter un médecin et recevoir des soins médicaux, et de prendre les dispositions nécessaires à l'effet d'obtenir une caution ou sa mise en liberté". Une opportunité qui n'a pas été permise aux dix sept appréhendés qui ont par ailleurs été gardés à vue pendant huit jours avant d'être présentés au procureur. Très loin des 24 heures, renouvelables une seule fois, prévues par la loi.
"Les violations des droits des citoyens sont devenues la norme au Cameroun et cela n'émeut plus personne", regrette Me Ruben Moualal, avocat à Douala et conseil des jeunes. "Je suis content qu'un procès ait été ouvert contre eux, car ce sera pour nous une tribune qui va nous permettre de dénoncer les travers du régime de Yaoundé et montrer à la face du monde le vrai visage de la justice camerounaise", promet l'avocat, qui reste confiant. Il espère bien que toutes les charges retenues contre ces jeunes gens seront abandonnées, car infondées.
Théodore Tchopa et Charles Nforgang (Jade)


Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal
François Alexandre Bekom Essomba est accusé d’avoir maltraité une femme gardée à vue dans une cellule de la Division régionale de la police judicaire de Bafoussam. Une vingtaine d’audiences ont déjà été programmées au tribunal de cette ville. Sans résultat.
Catherine Sylvie Leukoué garde les séquelles des sévices qu’elle a subis, en 2004, dans les locaux de la Division régionale de la police judicaire à Bafoussam. Selon un de ses parents, cette ex-employée de maison chez un cadre d’une entreprise d’électricité de la ville présente quelquefois des signes de trouble mental. Notamment quand on évoque devant elle le nom de son présumé bourreau, le commissaire de police Alexandre François Békom Essomba, actuellement en service à la délégation générale de la Sûreté nationale à Yaoundé.

Arrêtée, torturée, innocentée

Les faits remontent au 11 novembre 2004, date à laquelle un vol a été perpétré chez le couple Zoa, où Sylvie Leukoué était employée de maison. Considérée comme suspecte, elle est arrêtée par la police. "Après le départ des voleurs, les policiers, dirigés par le commissaire de police BEKOM Essomba Alexandre François, arrivent sur les lieux. Sans fondement juridique, le commissaire conduit ma petite sœur Leukoué au siège de la Division régionale de la police judicaire à Bafoussam, l’enferme pendant quatre jours et exerce, en personne, sur elle de multiples tortures et bastonnades à l’aide de câbles électriques. Ces exactions ont plongé la petite Leukoué dans le coma, au sein même du commissariat, comme l’atteste le certificat médico-légal établi à cet effet", soutient un parent de la victime ayant requis l’anonymat. Malgré les menaces et les tortures, Sylvie Leukoué, 19 ans au moment des faits, ne passera jamais aux aveux.
Elle est innocentée lorsqu'un présumé chef de gang, nommé Anicet, passe aux aveux complets, après deux semaines de garde à vue (du 21 décembre 2004 au 05 janvier 2005) dans les locaux de la compagnie de gendarmerie de Bafoussam II. Torturé, ce dernier aurait rendu 80% des effets volés à M. Zoa. Mais les policiers ne se sont jamais donné la peine de reconnaître le tort causé à Sylvie Leukoué.

Lenteurs et tracasseries judiciaires

Et pourtant… Lors d’une audience du 17 août dernier, le juge a rejeté les exceptions introduites par le commissaire Alexandre François Békom Essomba qui sollicitait, avec l’appui du représentant du ministère public, Désiré Mbénoun, de ne pas être jugé sur place. Depuis 2006, une vingtaine d’audiences ont déjà été programmées au tribunal de Bafoussam. Sans résultat. La prochaine se tiendra le 21 octobre.
La partie civile dénonce les nombreux blocages entourant cette affaire. Depuis son enrôlement au tribunal, en aout 2006, plus d’une vingtaine d’audiences ont été renvoyées pour "non signification du mandement au prévenu". L’affectation du commissaire Bekom Essomba de la police judicaire de Bafoussam au commissariat de sécurité publique de Mbalmayo, en octobre 2006, complique encore la procédure. "Au cours de l’audience du 15 octobre 2010, la cause est une fois de plus renvoyée pour le même motif qu’en février 2009 alors qu’il existait dans le dossier une preuve de signification du mandement au prévenu par voie d’huissier", raconte un proche de la victime.

Pour celui-ci, les faits de torture accablant le commissaire Bekom Essomba sont avérés. Cet homme en tenue avait déjà défrayé la chronique, en 2004, pour avoir ouvert le feu sur quatre journalistes de Bafoussam. La délégation générale à la sûreté nationale pourrait, par ailleurs, être désignée civilement responsable et être appelée à payer pour les nombreux abus de pouvoir reprochés à ce commissaire.

Guy Modeste Dzudie (Jade)


Accusé de tortures : un commissaire de police devant le tribunal

François Alexandre Bekom Essomba est accusé d’avoir maltraité une femme gardée à vue dans une cellule de la Division régionale de la police judicaire de Bafoussam.

Une vingtaine d’audiences ont déjà été programmées au tribunal de cette ville. Sans résultat.

Catherine Sylvie Leukoué garde les séquelles des sévices qu’elle a subis, en 2004, dans les locaux de la Division régionale de la police judicaire à Bafoussam. Selon un de ses parents, cette ex-employée de maison chez un cadre d’une entreprise d’électricité de la ville présente quelquefois des signes de trouble mental. Notamment quand on évoque devant elle le nom de son présumé bourreau, le commissaire de police Alexandre François Békom Essomba, actuellement en service à la délégation générale de la Sûreté nationale à Yaoundé.

Arrêtée, torturée, innocentée

Les faits remontent au 11 novembre 2004, date à laquelle un vol a été perpétré chez le couple Zoa, où Sylvie Leukoué était employée de maison. Considérée comme suspecte, elle est arrêtée par la police. "Après le départ des voleurs, les policiers, dirigés par le commissaire de police Bekom Essomba Alexandre François, arrivent sur les lieux. Sans fondement juridique, le commissaire conduit ma petite sœur Leukoué au siège de la Division régionale de la police judicaire à Bafoussam, l’enferme pendant quatre jours et exerce, en personne, sur elle de multiples tortures et bastonnades à l’aide de câbles électriques. Ces exactions ont plongé la petite Leukoué dans le coma, au sein même du commissariat, comme l’atteste le certificat médico-légal établi à cet effet", soutient un parent de la victime ayant requis l’anonymat. Malgré les menaces et les tortures, Sylvie Leukoué, 19 ans au moment des faits, ne passera jamais aux aveux.
Elle est innocentée lorsqu'un présumé chef de gang, nommé Anicet, passe aux aveux complets, après deux semaines de garde à vue (du 21 décembre 2004 au 05 janvier 2005) dans les locaux de la compagnie de gendarmerie de Bafoussam II. Torturé, ce dernier aurait rendu 80% des effets volés à M. Zoa. Mais les policiers ne se sont jamais donné la peine de reconnaître le tort causé à Sylvie Leukoué.

Lenteurs et tracasseries judiciaires

Et pourtant… Lors d’une audience du 17 août dernier, le juge a rejeté les exceptions introduites par le commissaire Alexandre François Békom Essomba qui sollicitait, avec l’appui du représentant du ministère public, Désiré Mbénoun, de ne pas être jugé sur place. Depuis 2006, une vingtaine d’audiences ont déjà été programmées au tribunal de Bafoussam. Sans résultat. La prochaine se tiendra le 21 octobre.
La partie civile dénonce les nombreux blocages entourant cette affaire. Depuis son enrôlement au tribunal, en aout 2006, plus d’une vingtaine d’audiences ont été renvoyées pour "non signification du mandement au prévenu". L’affectation du commissaire Bekom Essomba de la police judicaire de Bafoussam au commissariat de sécurité publique de Mbalmayo, en octobre 2006, complique encore la procédure. "Au cours de l’audience du 15 octobre 2010, la cause est une fois de plus renvoyée pour le même motif qu’en février 2009 alors qu’il existait dans le dossier une preuve de signification du mandement au prévenu par voie d’huissier", raconte un proche de la victime.
Pour celui-ci, les faits de torture accablant le commissaire Bekom Essomba sont avérés. Cet homme en tenue avait déjà défrayé la chronique, en 2004, pour avoir ouvert le feu sur quatre journalistes de Bafoussam. La délégation générale à la sûreté nationale pourrait, par ailleurs, être désignée civilement responsable et être appelée à payer pour les nombreux abus de pouvoir reprochés à ce commissaire.
Guy Modeste Dzudie (Jade)

Détention provisoire abusive: Il passe 21 mois en prison sans être jugé
Georges Fountong incarcéré à la prison principale de Yabassi depuis bientôt deux ans n’a toujours pas comparu devant un tribunal. Son dossier est retenu à la cour d’appel du Littoral.
Chaque fois qu’il échange avec d’autres détenus, il se montre serein. Mais le sourire permanent qu’arbore Georges Fountong dissimule un chagrin. "C’est vrai que c’est une bonne prison, mais mon problème est très compliqué. Avez-vous du temps pour m’écouter ?", demande-t-il d’un air soucieux.

Ce problème qui fait de Georges un détenu exceptionnel à la prison principale de Yabassi remonte à courant 2009 : "Je travaillais dans une coopérative de crédit. Mon Directeur et le conseil d’administration faisaient des retraits fictifs de l’argent des épargnants. Je n’avais que quelques mois d’expérience dans l’entreprise. Ils ont profité de ma naïveté pour me faire déposer les signatures des bons et ils demandaient de l’argent de temps en temps. Lorsque la coopérative n’a pas pu répondre aux attentes des clients, il ya eu un contrôle inopiné et tout a été démasqué ", raconte t-il.
Incarcéré à la prison principale de Yabassi depuis le 18 novembre 2009 pour "faux en écriture privée", Georges n’a jamais comparu devant une juridiction de jugement après plus de vingt et un mois de détention provisoire. Pourtant, dans son article 221, le code de procédure pénale stipule que la durée de la détention provisoire ne peut excéder six mois. Toutefois, elle peut être prorogée par ordonnance motivée au plus pour douze mois en cas de crime et six mois en cas de délit.

Les autorités embarrassées

La situation dans laquelle se trouve ce jeune détenu de 22 ans provoque stupeur et indignation. Elle embarrasse même les autorités judiciaires de la localité. "Nous avons récemment reçu le substitut du procureur de la République près les tribunaux de Yabassi qui s’est montré préoccupé du cas de ce détenu. Nous lui avons dit que nous attendons tous que son dossier qui se trouve actuellement à la cour d’appel du Littoral arrive à Yabassi pour qu’il soit jugé", explique Romuald Ngalani, régisseur de la prison principale de Yabassi.
En attendant, l’administration de la prison a fait de Georges le nouveau "chef de camp". Depuis lors, il gère les problèmes entre détenus adultes et transmet leurs doléances auprès de l’administration. Mais, sa nouvelle fonction a peu d’effet sur le moral de ce détenu. Les membres de sa famille tout comme certains codétenus s'apitoient sur son sort. "J’étais poursuivi en même temps que le Directeur de la coopérative pour la même affaire. Mais je ne comprends pas comment il a pu s’échapper", s’interroge-t-il.
Avocat au barreau du Cameroun, Maitre Antoine Pangue a la réponse. "Dans le cadre de l’information judiciaire, quand le juge d’instruction rend une ordonnance de non lieu à l’encontre d’un ou de tous les coaccusés, le Procureur de la République ou le plaignant peut attaquer cette décision du juge d’instruction devant la chambre de contrôle et de l’instruction de la cour d’appel", explique-t-il. Il ajoute par ailleurs que si le non lieu concerne un seul des accusés, comme ce fut le cas dans cette affaire, "cet appel peut retarder l’issue de la procédure des co-accusés. La chambre pourra renvoyer le dossier devant une juridiction de jugement". Ne disposant pas de moyens pour s'attacher les services d'un avocat qui aurait pu favoriser le transfert de son dossier de la cour d'appel du Littoral à Douala au tribunal de Yabassi, Georges attend toujours d'être jugé depuis bientôt deux ans. En attendant la justice des hommes, il se remet au quotidien à la justice divine.
Christian Locka (Jade)


Droit de vote: des détenus "préventifs" exclus du jeu électoral
Présumés innocents, ils veulent avoir leur mot à dire dans les affaires publiques. Les autorités pénitentiaires et judicaires estiment impossible de faire voter les détenus en détention préventive et les gardés à vue.
Lors de l’élection présidentielle de 2004, Yves Michel Fotso, avait été un acteur majeur de l’équipe de campagne du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dans le département du Koung-Khi. Inscrit sur une liste électorale dans cette circonscription, il était allé voter, tout naturellement.
Mis sous mandat de dépôt en décembre 2010 à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé dans le cadre de l’opération Epervier contre les présumés détourneurs de deniers publics, il ne devrait pas participer à l’élection présidentielle du 9 octobre prochain. Alors que ses droits civiques doivent être respectés tant qu’il n’a pas été condamné définitivement par une juridiction.

"Je veux voter"

Le cas d’Yves Michel Fotso est loin d’être isolé. "Je veux voter", clame Robert Totio, placé sous mandat de dépôt depuis le 18 septembre 2008 à la prison centrale de Bafoussam. Son long séjour en milieu carcéral n’a pas entamé son goût du débat pour les questions politiques et sociales. Ayant voté en juillet 2007, il froisse son visage lorsqu’on évoque la prochaine élection présidentielle. "Je veux voter, mais que faire ? Je pense que tant que je n’ai pas été condamné par un tribunal, mon droit de vote reste intact. La difficulté est là : privé de liberté, je ne saurai me mouvoir vers une antenne d’Election’s Cameroun (Elecam)", se plaint-il, en levant les yeux au ciel.
Dans l’attente de son procès devant le tribunal de grande instance (Tgi) de la Mifi à Bafoussam, où il est poursuivi pour "vol aggravé, tentative de meurtre et profanation de cadavre", il tient à exprimer son point de vue sur la manière dont la cité est gérée. "Avant mon arrestation, je menais mes activités du côté de Douala. Je reste persuadé que, sorti d’ici, je dois reprendre la vie comme avant. Je suis gêné de ne pas pouvoir me prononcer sur le choix du futur dirigeant du Cameroun", soutient-il.
Sous mandat de dépôt depuis le 27 septembre 2009, Eric Junior Tagué, lui, ne sait comment procéder pour s’inscrire sur une liste électorale. Même interrogation chez Yannick Tchonang, en détention préventive depuis le 17 janvier 2011.
Les exemples abondent. Selon les statistiques disponibles le 12 septembre 2011, 656 personnes en détention préventive à la prison centrale de Bafoussam se trouvent dans cette situation. Dans chacune des centrales de Douala et Yaoundé, ils seraient plus de 1500 détenus dans ce cas. Me René Tagne, délégué régional d’Elecam à l’Ouest, plaide pour le respect du droit de vote de ces prévenus qui n’ont pas encore été définitivement condamnés.

Un droit difficile à appliquer

Le régisseur de la prison centrale de Bafoussam, Soné Ngolé Bomé, reconnaît le principe  du droit de vote attaché à celui de la présomption d’innocence. Il estime cependant que la décision de convoyer des prévenus de la prison vers un autre lieu revient au procureur de la République. Une source proche du Procureur général près la Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam pense que la mise en œuvre du droit de vote des détenus est difficile pour des raisons liées au maintien de l’ordre public en période électorale ou à la disponibilité des ressources humaines et financières nécessaires. "Admettant qu’une permission d’aller voter soit accordée aux 656 prévenus de la prison centrale de Bafoussam, a-t-on les moyens d’affecter un gardien à la surveillance de chacun d’entre eux ? Puisque ce déplacement se fait dans leur intérêt personnel, ont-ils les moyens de supporter les frais de mission des gardiens mobilisés ?", s’interroge-t-on dans cette instance.
On fait remarquer, en outre, l’incompatibilité entre l’exigence de garantie du secret du vote et la présence d’un geôlier derrière un prévenu qui aurait bénéficié d’une permission pour l’accomplir. Enfin, l’installation des urnes par Elecam à l’intérieur des prisons paraît, pour certains, ne pas être une solution appropriée, car l’expression du droit de vote est attachée au domicile de chaque citoyen. Ngounou, alors chef des opérations électorales et référendaires d’Elecam à l’Ouest, partage cet avis et conclut que le législateur a tranché cette question dans la loi de décembre 1991 fixant les conditions d’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ce texte précise : "Ne doivent pas être inscrits sur une liste électorale et ne peuvent voter  les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt"

Une stratégie ?

Le directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés, Charlie Tchikanda, affirme sans hésitation que "cette exclusion des personnes en détention préventive du processus électoral est purement arbitraire". "Ces prisonniers font partie du lot des mécontents de la République. Il n’est pas exclu que ce refus de leur permettre d’exercer leur droit de vote, tant qu’ils n’ont pas été condamnés, participe d’une stratégie du gouvernement. Ils sont considérés comme des opposants", analyse le militant des droits de l’Homme.
Président d’une section de l’organisation des jeunes du parti au pouvoir dans le département de la Mifi, Hyppolite Tchoutezo, contredit cette thèse. Pour lui, de nombreux militants de ce parti se trouvant derrière les barreaux restent attachés aux idéaux de leur chapelle politique. D’autres, au contraire, pensent que les pontes du régime incarcérés dans le cadre de l’opération Epervier seraient prêts, si l’occasion leur était offerte, à sortir de leur cellule pour sanctionner le Président Paul Biya, le 9 octobre.
Guy Modeste Dzudie (Jade)

Me André Marie Tassa
Détention préventive et garde à vue n’empêchent pas de voter
Avocat au barreau du Cameroun, il plaide pour l’application du droit de vote des personnes provisoirement privées de liberté et jouissant de la présomption d’innocence.

Comment analysez-vous la situation des détenus préventifs exclus du droit de vote au Cameroun ?
La détention préventive et la garde à vue ne constituent pas des incapacités électorales. Lorsque des citoyens ne peuvent jouir du droit de vote du seul fait de leur situation de prisonniers en détention préventive ou de gardés à vue, les autorités foulent aux pieds le principe de la présomption d’innocence. Je suggère donc l’étude de la mise en œuvre des possibilités de faire voter les détenus notamment en les recensant et en transmettant leur vote aux bureaux dans lesquels ils sont inscrits

Quels sont les obstacles à l’exercice de ce droit pour les prisonniers concernés ?

Le législateur colle la jouissance du droit de vote à l’observation de certaines conditions notamment la nationalité, l’âge et la capacité. Pour les détenus, cette jouissance est d’une application délicate compte tenu non seulement de leur absence de liberté, mais aussi de l’obligation pour l’électeur d’être inscrit sur une liste électorale. Toutefois les dispositions de l’article 12 de la loi n°91/20 du 16 décembre 1991 régissant les conditions d’inscription sur les listes électorales ne discriminent pas les détenus. La question essentielle est de savoir comment les autorités peuvent organiser le déplacement de ces prisonniers vers les bureaux de vote.

Les restrictions au droit de vote des suspects gardés à vue sont-elles conformes à la Constitution du Cameroun ?

Notre Constitution précise que le Cameroun est un état démocratique, que les autorités chargées de diriger l’Etat tiennent leur pouvoir du peuple par voie d’élection au suffrage universel direct ou indirect et surtout que le vote est égal et secret et qu’y participent tous les citoyens âgés d’au moins 20 ans. Il est donc clair que les restrictions du droit de vote de ces détenus ou autres ne sauraient être conformes à notre constitution. J’insiste comme plus haut pour dire qu’il y a un problème de mise en pratique du droit de vote pour ceux qui sont privés de liberté.

Quels recours ont ces détenus pour exercer leur droit ?

Je dois avouer qu’ils sont quelque peu désarmés. Imaginez ce citoyen inscrit à Bamendjou ou à Batié et détenu à la prison centrale de Bafoussam au moment des élections, va-t-on lui remettre sa carte d’identité et sa carte d’électeur et le conduire à son bureau de vote le jour J ? Ne parlons pas du cas de ceux qui se trouvent à Kondengui avec résidence à Douala ou dans le Cameroun profond.
Propos recueillis par Guy Modeste Dzudie (Jade)

Prison de New-Bell : des détenus victimes des pratiques sexuelles non consenties
Des détenus démunis se livrent, souvent malgré eux, aux autres pensionnaires plus nantis, en échange de gratification. D’autres sont drogués et sodomisés contre leur volonté.
De nombreux détenus de la prison centrale de Douala vivent dans l’indigence. Certains n’ont pas de proche parent dans la ville de Douala où ils ont commis l’infraction les ayant conduit en prison, ou ont été abandonnés par leurs familles suite à leur incarcération. Parmi eux, des anciens enfants de la rue, condamnés ou en attente de condamnation, ainsi que des déficients mentaux. Ces démunis, condamnés au quotidien à la débrouillardise, sont communément appelés des "pingouins", dans le jargon pénitentiaire. Faute de moyens, ils ne peuvent manger à leur faim et doivent multiplier des astuces au quotidien pour subvenir à leurs besoins essentiels.

Survivre à tous les prix
Cette recherche de la survie pousse certains à se livrer, souvent malgré eux, à des pratiques d’homosexualité, prohibées par le règlement intérieur de la prison. "Très souvent, ça commence par des petits gestes de générosité. Un détenu attire un Pingouin et lui donne aujourd’hui 100 FCfa, demain 200 ou 500 Fcfa, et ainsi de suite. Après quoi il lui demande de le retrouver dans son ‘Kito’ (cellule personnelle). Ça se passe généralement dans la nuit", explique un gardien de prison.
A la prison de New-Bell, des dizaines de pensionnaires de même sexe partagent une cellule commune. En violation des règles minima pour le traitement des détenus, qui stipulent que "les cellules ou chambres destinées à l’isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu", et qu’en cas de dérogation à cette règle, "on devra éviter de loger deux détenus par cellule ou chambre individuelle". Pour préserver leur intimité, certains détenus aménagent au sein de la cellule commune un local privé, en se servant de planches comme cloisons. C’est ce local intime qu’ils appellent "kito"
L'article 347 bis de la constitution du Cameroun puni "d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 F toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe". Les détenus, influencés par le caractère tabou de l’homosexualité au Cameroun, sont homophobes dans leur grande majorité. Des pensionnaires ainsi surpris en flagrant délit de pratique homosexuelle, sont lynchés par les autres personnes privées de liberté et peuvent être tués si les gardiens de prison n’interviennent pas promptement. "Très souvent nous arrivons quand les détenus ont bien tabassé le suspect", témoigne un gardien de prison.

Drogue et sodomie

Ces dix dernières années, se souvient le Dr Germain Amougou Ello, médecin de la prison de New-Bell, deux détenus, dont l’âge était compris entre 25 et 30 ans, ont été sodomisés de nuit par d’autres détenus, qui n’ont pas été identifiés. Ils ont par la suite été jetés dans la grande cour intérieure de la prison où ils ont été retrouvés au lever du jour par d’autres détenus, dans un état d’inconscience. "Une fois on a amené à l’infirmerie un détenu qui s’était évanoui. Il avait des déchirures au niveau du sphincter et le sperme dégoulinait de son anus. On l’a transporté à l’hôpital mais on n’a pas pu le réanimer. Le second cas était similaire mais grâce à la prompte réaction des parents de la victime et aux moyens qu’ils ont déployés, on a réussi à le sauver", atteste le médecin. Selon les résultats des tests médicaux effectués, les deux victimes avaient préalablement été droguées, puis sodomisées par leurs "bourreaux", inconnus jusqu’à ce jour. "Pour le premier cas par exemple, on ne pouvait pas mesurer la quantité de drogue qu’il avait ingurgitée, mais la certitude est que la dose était importante. D’où son décès", diagnostique Dr Amougou.
De nombreux cas, fondés sur des rumeurs ou la suspicion et difficiles à prouver sont ainsi régulièrement signalés aux autorités de la prison. "Le suspect est immédiatement mis en cellule disciplinaire pendant quinze jours et sa peine est renouvelable", martèle un gardien de prison. Une façon pour les autorités pénitentiaires de sensibiliser les autres détenus, et de les mettre en garde contre une éventuelle reproduction de la pratique de l'homosexualité.
Théodore Tchopa (Jade)
Pr Same Kolle: "Personne n’est à l’abri de l’homosexualité"
Chef du département de psychologie à l’université de Douala, l'enseignant explique les contours de l’homosexualité en milieu carcéral.
Comment expliquez-vous que des détenus entretiennent des rapports sexuels avec d’autres détenus de même sexe ?
La prison est un cadre fermé et ses relations avec l’extérieur sont très réduites. Il peut donc s’y développer certains types de comportement qui peuvent prédisposer à cette pratique. Mais ce n’est pas seulement dans les prisons qu’on peut rencontrer ces pratiques d’homosexualité consentie, on peut les retrouver dans tous les milieux fermés : les casernes militaires, les couvents, les monastères, bref tout ce qui peut constituer un milieu fermé, et où des personnes de même sexe se retrouvent. La question que vous posez est relative à l’élément d’explication de la pratique homosexuelle.
Il y a des arguments d’ordre historique et archéologique, qui consistent à observer la pratique homosexuelle dans toutes les sociétés du monde. Ces pratiques ont toujours existé. Il y a ensuite un argument biologique, qui tient à ce qu’on appelle la théorie de la bisexualité de l’homme, élaborée au début du 20ème siècle. Et d’après celle-ci, tout être humain ou animal sécrète les deux types d’hormone : d’un côté les hormones mâles, qu’on appelle androgènes, et de l’autre les hormones femelles ou œstrogènes. La différence entre l’homme et la femme est que l’homme sécrète beaucoup plus d’androgènes et la femme plus d’œstrogènes. Si on injecte à un homme des hormones femelles, son comportement va tendre progressivement vers la féminité, et inversement.
Le 3ème argument scientifique peut être l’argument psychanalytique, lié à la nature de la pulsion sexuelle ou libido. Pour Freud, la pulsion sexuelle n’a pas d’objet et ce point est capital. Cela veut dire que la satisfaction de la libido sexuelle n’est pas liée à un objet spécifique, la pulsion sexuelle peut être satisfaite par tout type d’objet. Cela signifie que je peux avoir un orgasme uniquement par masturbation et être sexuellement satisfait. Je peux avoir un orgasme par fétichisme sexuel, c’est-à-dire le fait d’obtenir un orgasme en relation avec un objet non humain. Il y a ce qu’on appelle la zoophilie. Tout cela rend compte du caractère non spécifié de la sexualité. Evidemment, on va dire qu’une poule ne peut pas aller avec une poule mais dans un contexte de conditionnement (c’est-à-dire la création d’une relation artificielle mais observable), on peut obtenir ce type de comportement même chez les animaux.

Faut-il donc y voir une pratique normale ?

Il faut aussi donner une explication par le fait de la puissance de la libido humaine. Une pulsion cherche toujours à se satisfaire. En dehors d’un cadre comme la prison qui est un cadre de privation de la liberté, il y a des conditions de satisfaction de la pulsion. Quand on se retrouve dans un cadre comme la prison, la satisfaction des pulsions va prendre des formes liées au contexte, parce qu’évidemment dans une prison, les hommes vont se retrouver entre eux et les femmes entre elles. Etant donné la nécessité de la satisfaction de la pulsion, beaucoup d’individus vont chercher différentes formes de cette satisfaction. Dans la prison beaucoup de personnes, pour épancher leurs pulsions sexuelles, vont se masturber. Des perversions vont se développer pour obtenir la satisfaction sexuelle. La pratique de l’homosexualité va ainsi s’observer et, étant donné ces paramètres biologiques et psychanalytiques dont nous avons parlé, il va se développer une sorte de penchant de l’homme vers l’homme, ne serait-ce qu’à cause de la proximité qu’ils vivent entre eux. Parce que l’un est proche de l’autre, il y a une pulsion qui va se développer dans la tête et la pulsion sexuelle n’ayant pas d’objet, le détenu estime qu’il peut se satisfaire de cet individu qui est à ses côtés.
Propos recueillis par:
Théodore Tchopa (Jade)


A la prison de New Bell : Des parloirs pour riches et des "gueuloirs" pour pauvres
Selon que vous serez puissants ou misérables…A la prison de New Bell, les VIP bénéficient de parloirs aménagés, les détenus ordinaires de "gueuloirs" crasseux.
Dans la cour de la prison de New Bell à Douala, de nombreuses personnes attendent debout. D’autres sont assises sur des bancs. C’est dimanche, l’un des trois jours de visite avec le mardi et le jeudi. Pascal, un détenu, se balance d’une jambe sur l’autre pour se jouer de la fatigue et tuer le temps en attendant l’arrivée des membres de sa famille. "C’est très difficile de communiquer ici avec nos visiteurs. Pour avoir une place assise, ils doivent arriver tôt. Sinon, on reste debout", se plaint-il.
Au fur et à mesure de l’arrivée des familles, la cour de la prison a l’air de rétrécir. Le "bureau intérieur" réservé pour la communication entre détenus et visiteurs s’avère trop étroit pour accueillir tout le monde. Cet espace aux murs crasseux jouxte la Cellule disciplinaire dans laquelle sont enfermés les détenus récalcitrants. Des gardiens de prisons y sont assis près d’une table. Serrés sur des bancs, visiteurs et détenus se parlent comme ils peuvent au milieu des cris des détenus de la cellule disciplinaire qui sollicitent un peu d’argent.

Différence de traitement

Changement de décor chez les détenus Vip, incarcérés dans le cadre de l’Opération Epervier et placés en détention dans la cellule spéciale 18. La salle où ils reçoivent leurs visiteurs se trouve près du "bureau intérieur". Dans ce parloir, assez étroit également, des box sont aménagés et séparés en compartiments avec tables et bancs disposés de chaque côté des tables. La salle est éclairée, climatisée et calme. Un couloir sépare les deux rangées et chaque box dispose d’un rideau d’isolation.
Cette différence de traitement est reconnue par les autorités de la prison centrale de Douala. Elles nous expliquent avoir prévu le parloir, la cour de la prison et le "bureau intérieur" comme espaces de communication pour les détenus et leurs visiteurs. " Mais, les détenus Vip ont installé, à leur frais, un espace dans lequel ils reçoivent leurs visiteurs tout comme ils l’ont fait pour leur cellule. Leurs conditions de vie correspondent à leur classe sociale. Ce n’est pas une discrimination de la part de l’administration pénitentiaire ", précise le Chef du service discipline et des activités socioculturelles et éducatives (Csdascé) de la prison. Ces prisonniers privilégiés sont, pour la plupart, des directeurs généraux d’entreprises de l’Etat et des hautes personnalités de la République.

Manque de moyens

Selon Me René Manfo, avocat au barreau du Cameroun, cette disparité dans les conditions de détention n’est pas conforme aux dispositions du Nouveau code de procédure pénal (Ncpp) et aux principes de "Island". "Après la détention de Nelson Mandela dans des conditions inhumaines, la Communauté internationale a mis sur pied les principes humains à respecter en milieu carcéral. C’est d’ailleurs ce que veut le Ncpp qui a amélioré les conditions dans lesquelles les détenus doivent être traités", explique l’avocat. Pourtant, la réalité dans les prisons et cellules du Cameroun est toute autre. Les cellules sont étroites, lugubres, surpeuplées et pas suffisamment aérées. C’est pour éviter d’être détenus dans ces conditions déplorables que les accusés de l’Opération Epervier ont payé l’arrangement de leur cellule spéciale 18 et de leur parloir.
Un confort minimum qui devrait normalement être assuré par l’Etat. "Nous souhaitons la construction de prisons modernes et bien équipées, afin que ce problème de disparité ne nous préoccupe plus ", affirme le Chef du service discipline, qui déplore le manque de moyens financiers mis à la disposition de l’Administration pénitentiaire pour améliorer les conditions de détention des prisonniers. De tous les prisonniers…
Blaise Djouokep (Jade)


A la prison de Yabassi: adultes et mineurs logés à la même enseigne
Adolescents et adultes endurcis vivent dans les mêmes cellules à la prison de Yabassi. Cette non séparation des catégories est contraire aux recommandations des Nations Unies sur le traitement des détenus.
Assis sur un tabouret de fortune à l’entrée de la cellule 7 qui donne sur la cour bruyante de la prison de Yabassi, Gilles Thomas Motassi, 17 ans, caresse ses cheveux roux. Incarcéré depuis trois mois pour complicité de vol, ce mineur a été contraint de changer de cellule quelques jours après son arrivée pour fuir les actes de violence de certains codétenus adultes. "Il y avait des gars qui fumaient dans la cellule 3 où j’étais", se souvient-il d’une voix grave. "Cela me dérangeait beaucoup. Quand je me plaignais, ils menaçaient de me frapper. C’est pourquoi j’ai payé ma mutation pour la cellule 7 où je me trouve avec des grands frères qui me donnent de temps en temps de bons conseils".
Nathalie ne peut se permettre le luxe de partir de l’unique cellule des femmes où elle vit avec les humeurs des pensionnaires plus âgées. "Quand elles font parfois des commentaires sur le sexe, je reste tranquille parce que je suis gênée. Mais, récemment, une femme m’a injurié pour cette attitude; elle a dit que je veux me comporter comme une sainte alors que je connais déjà les hommes. On est obligé de supporter tout ça", raconte cette mineure.

Quelques mesures…

Comme Thomas et Nathalie, les mineurs de la prison principale de Yabassi vivent dans les quartiers des adultes de même sexe, les garçons chez les hommes et les filles dans l’unique cellule du quartier des femmes. Construite dans les années 1933 pour accueillir 150 détenus, cette prison compte actuellement moins de 110 pensionnaires parmi lesquels une dizaine de mineurs. Pour empêcher les affrontements entre mineurs, l’administration a pris certaines mesures. "En l’absence d’un quartier pour mineurs, nous avons décidé d’envoyer les garçons qui affichent de bons comportements dans les cellules des personnes âgées. Quant aux indisciplinés, ils sont mélangés avec les hommes", explique Ngalani Romuald, régisseur de la prison principale de Yabassi. Mais, cette opération ne garantit rien puisque tous les détenus mineurs se partagent toujours la cour, la cuisine et les toilettes avec les adultes. "Quelques jours après mon arrivée, un jeune a attrapé une toux sèche parce qu’il dormait tout près d’un homme malade. C’est l’infirmier qui l’a soigné. Certains mineurs ne sont pas contents quand on les change de cellule. En journée, ils retrouvent leurs amis mineurs et adultes dans d’autres cellules pour jouer aux cartes et fumer parfois", explique le prévenu Gilles Thomas Motassi.

Encore insuffisantes

Dans ses règles minima de traitement des prisonniers, les Nations Unies recommandent que tout lieu de détention comporte un quartier pour chaque catégorie : les hommes, les femmes et les mineurs. Une recommandation peu suivie notamment dans les zones rurales. Ce qui révolte les défenseurs des droits humains. "Il n’est pas normal de mélanger les mineurs avec des adultes dans le même quartier. Outre les menaces, bagarres et intimidations, ce mélange est plus dangereux parce qu’il développe l’homosexualité dans la société", indique Jean Tchouaffi, président de l’association camerounaise des droits des jeunes.
A sa création, la prison principale de Yabassi ne disposait que d’un seul quartier où hommes, femmes et enfants utilisaient les mêmes commodités. Le respect de la séparation des catégories des détenus a commencé à prendre corps dans cette prison il ya seulement deux ans à la faveur d’un geste de l’Etat. "En 2009, un financement du budget d’investissement public nous a permis de faire construire un mur de séparation entre les hommes et les femmes ainsi que des toilettes dans les deux quartiers. Il faut dire qu’avant cette séparation, on n’a pas enregistré de cas de violence sur une femme par un homme parce que les gardiens étaient vigilants", se réjouit Ngalani Romuald. Des efforts qui doivent à présent se faire désormais en direction des mineurs.
Christian Locka (Jade)


Prison de Kondengui : "Se libérer" par le sport et la lecture
La pratique d’un sport et la lecture permettent à certains des détenus de la prison de Kondengui d’oublier parfois leur triste sort. Mais pour cela, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade.
Des hommes et des femmes ont envahi les terrains cabossés de football et de hand-ball. Cris et rires accompagnent la formation des équipes. Une scène banale à Yaoundé, où les citoyens amoureux du sport sont souvent prêts à disputer une partie, quand l’occasion s’en présente en dehors des heures de travail.
Mais ici, nous ne sommes pas dans la vie ordinaire. Nous sommes à la prison de Kondengui, où le sport prend une autre dimension.
"Contre la déprime"
"Le sport permet de décompresser dans ce milieu de la déprime où l’on pense sans cesse à se suicider", explique un détenu. Jouer une partie de foot, de hand ou de tennis rompt la monotonie de la vie en prison, où les jours se suivent et se ressemblent : ouverture des cellules à 7h, fermeture à 18h. Entre temps, chacun se débrouille comme il peut pour meubler sa journée, avec, pour les plus pauvres, le souci majeur de tenter de se nourrir convenablement. Les plus nantis s’offrent à leurs frais un petit déjeuner, les autres attendront la mi-journée pour recevoir le sempiternel bol de "Cornchaf", un mélange de riz, maïs et haricot, fourni par l’administration pénitentiaire, qui, au demeurant, ne respecte pas les recommandations de l’Onu stipulant que "tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisante au maintien de sa santé et de ses forces" (lire aussi ci-dessous les précisions de Me Eteme Eteme)
Comment, dans ces conditions, s’adonner à un sport ou à une activité intellectuelle? Et pourtant les aires de sport de la prison sont envahies chaque jour parce que les détenus y puisent quelques moments de détente, de gaîté et même, de rencontres auxquelles on ne s’attendrait pas. Il est fréquent par exemple de retrouver sur le court de tennis, Yves Michel Fotso, ancien directeur général de la défunte Camair et Otélé Essomba, ancien directeur général adjoint de Apm, pourtant frontalement opposés dans l’affaire de l’avion présidentiel.
Autre endroit fréquenté de la prison, la bibliothèque attire particulièrement les anciens hauts commis de l’Etat, pour la plupart incarcérés pour détournement de deniers publics. Là, ils s’adonnent à la lecture d’ouvrages de toutes sortes. "L’accès à la bibliothèque est conditionné par le paiement d’un abonnement annuel de 5 000 F", précise un pensionnaire. Une somme qui n’est pas à la portée des nombreux détenus pauvres.
Ce mardi là, comme tous les jours de la semaine, Urbain Olanguena Awono, l’ancien ministre de la Santé publique, ou encore Jean-Marie Atangana Mebara, ancien ministre et secrétaire général à la présidence de la République, et bien d’autres hauts fonctionnaires, sont plongés dans leur lecture.

Pas pour tous

Marie Robert Eloundou, l’ancien coordonnateur du Programme international d’encadrement (Pid) ne semble pas pouvoir bénéficier de cet avantage. Il souffre, à l’en croire, de douleurs aux yeux. Il affirme avoir demandé plusieurs fois aux autorités une prise en charge dans une section sanitaire appropriée. En vain ! Comme lui, l’ancien directeur des Enseignements secondaires, Nicodème Akoa Akoa, accusé de malversations financières, s’est vu refuser des soins en dehors de la prison pour soigner ses lombalgies.
Une situation que fustige Me Pierre Eteme, avocat à Yaoundé (lire son interview ci-dessous). Que dire alors de la situation des détenus les plus pauvres dans les quartiers 08 et 09, qualifiés de mouroirs. Bien que dotée d’une infirmerie, la prison de Kondengui a un budget qui ne permet pas de prendre en charge convenablement tous les malades. "Lorsque que le traitement hospitalier est organisé dans l’établissement, celui-ci doit être pourvu d’un matériel, d’un outillage et de produits pharmaceutiques permettant de donner les soins aux détenus malades. Le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante ", prévoient pourtant les règles édictées par les Nations Unies.
Ces tristes réalités, dénoncées régulièrement par de nombreuses associations des droits de l’Homme, ne permettent pas à la grande majorité des détenus d’accéder au plaisir que procurent le sport et la lecture. Des activités qui donnent aux prisonniers l’illusion bienfaitrice d’effacer, l’espace d’un instant, les murs de la prison. De s’évader.
Léger Ntiga (Jade)
Encadré
Me Simon Pierre Etémé Etemé
"Soigner les prisonniers est un devoir de l’Etat"
L’avocat et spécialiste des droits de l’Homme, soutient que les pouvoirs publics doivent soigner et bien nourrir les détenus.
Qui doit s'occuper de la santé des prévenus en milieu carcéral?
La personne détenue étant aux mains de l’Etat, il est du devoir de celui-ci de pourvoir à son entretien (santé, alimentation, éducation s’il y a lieu). S’agissant particulièrement du droit à la santé du détenu (car il s’agit bien d’un droit pour lui), sa mise en oeuvre est réglementairement déployée à travers l’aménagement obligatoire au sein de chaque prison d’une infirmerie chargée d’accueillir et de soigner les pensionnaires de la prison. Mais ce postulat réglementaire reste plus théorique que réel en raison, soit de l’inexistence des structures sanitaires, soit de leurs faibles capacités structurelles ou même personnelles, d’où le souci récurrent d’avoir très souvent recours aux compétences médicales externes au pénitencier.
Dans quelles conditions il peut être refusé au détenu l'autorisation de voir un médecin approprié en cas de maladie?
Sous aucune condition, il ne doit être refusé au détenu l’accès à un médecin approprié s’il en a prouvé la nécessité, au risque d’engager, si le refus est fautif et surtout dommageable, non seulement la responsabilité personnelle du patron de l’établissement de détention ou de son préposé, mais également, celle de l’Etat.
La gestion du milieu carcéral par des détenus désignés par la direction des établissements participe-t-elle de la promotion des droits de l'Homme?
Je n’y vois aucun lien, même lointain, avec la promotion ni la protection des droits de l’Homme en milieu carcéral. J’y vois, à la limite, une assistance bénévole que ces derniers apportent aux administrateurs officiels de la prison et qui fait d’eux des "collaborateurs occasionnels et bénévoles de la puissance publique".
A qui incombe l'alimentation des prévenus en milieu carcéral?
Aux termes de l’article 29 du décret camerounais sur le régime pénitentiaire, "les prisonniers ont droit à une ration journalière qui doit être équilibrée et suffisante pour éviter aux détenus toute carence alimentaire et leur donner l’énergie indispensable à leur santé". Mais, comme vous le constaterez vous-même, nous sommes bien loin de cela dans la réalité: Les prisonniers sont peu, mal, ou pas nourris, ce en contradiction flagrante du droit pénitentiaire.
Pourquoi l'Etat du Cameroun ne sacrifie-t-il pas à cette exigence?

Il revient à l’Etat de s’expliquer sur cette carence blâmable. De loin, on peut tenter une explication par le motif économique, car doter les milliers de prisonniers du Cameroun d’une ration journalière de qualité a forcément une importante incidence financière qui appelle de gros moyens pour un Etat qui a peut-être le curseur de ses priorités ailleurs. Il reste que l’insuffisance des moyens n’excuse pas un Etat face au non respect de ses engagements. Le Comité des droits de l’Homme de l’Onu a déjà eu à le rappeler à l’Etat du Cameroun au sujet des conditions inhumaines de garde à vue.
Propos recueillis par Léger Ntiga (Jade)

Interpellation abusive: Il paye 360 000 Fcfa pour être libéré
Des gendarmes interpellent à des heures et jours prohibés des suspects qu’ils gardent à vue sans aucun mandat. Ils justifient leurs abus par le flagrant délit et n’hésitent pas à se faire payer des "frais de justice" avant toute libération. Ouadjiri Abdoulaye en a fait l’amère expérience à Douala.

Même s’il continue de clamer son innocence, Ouadjiri Abdoulaye a versé 360 000 Fcfa aux gendarmes de la brigade des pistes de l’aéroport de Douala pour retrouver sa liberté. "Il fallait le faire pour sortir de là. Bien que les cellules exigües (Ndlr : un peu plus d’un mètre carré) soient propres, certains des gendarmes nous refusaient le droit de nous servir des toilettes et, en plus, rançonnaient chacun de nos visiteurs. Argent, papiers hygiéniques, savons, leur étaient réclamés non sans les insulter à chaque fois", se souvient-il.
Gérant d’un parking de motos au quartier Bonanloka à Douala, il est interpellé sans aucun mandat le jeudi 18 août après 19 heures dans son parking par un gendarme qui va immédiatement retenir sa carte nationale d’identité. En violation flagrante du code de procédure pénale qui proscrit toute interpellation après 18 heures et exige le rappel du motif de l’arrestation au suspect, son droit de garder le silence et de se faire assister par un avocat.

Le prétexte du flagrant délit

Il est alors ramené à dix mètres plus loin près d’un véhicule de marque Toyota dans lequel se trouvent un autre gendarme et un jeune homme qui, à sa vue, précisera aux gendarmes qu’il est bien le concerné. Tous sont alors conduits dans des cellules de la brigade des pistes de l’aéroport de Douala. "Une fois là-bas, j’ai appris que l’homme qui venait de m’identifier était le veilleur de nuit du garage de Finex Voyages. Il soutenait m’avoir vendu au prix de 7000 Fcfa, trois roues de bus usagés volés dans ce garage", explique Ouadjiri Abdoulaye, qui est alors jeté en cellule pour ces faits dont il ne reconnaît pas. Des échanges entre des membres de sa famille venus à son secours avec le commandant de brigade des lieux, il apprend que le plaignant réclame 600 000 Fcfa, soit la moitié au présumé voleur et l’autre à lui-même, le présumé receleur.
Le commandant de la brigade des pistes de l’aéroport de Douala justifie cette arrestation opérée après 18 heures par les circonstances de flagrant délit. "Il n’en est pas un, car aucun des faits reprochés ne justifie le qualificatif de flagrant délit tel que défini par la loi", dénonce maître Ashu Agbor, avocat à Douala. En effet, l’article 103 du code de procédure pénale qualifie de crime ou délit flagrant, " le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsqu’après la commission de l'infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique dans un temps très voisin de la commission de l'infraction, le suspect est trouvé en possession d'un objet ou présente une trace ou indice laissant penser qu'il a participé au crime ou au délit". Or il s’agit ici d’une infraction commise des jours avant l’arrestation du présumé coupable et dont le corps du délit reste introuvable.

De nombreux abus

Au cinquième jour de sa garde à vue abusive (la loi n’en autorisant qu’au plus deux jours renouvelables), la famille de Ouadjiri réussit à trouver la somme de 300 000 Fcfa. Son co-accusé n’ayant toujours pas réagi. Il ne sera pas libéré, car les gendarmes exigent, en plus, 100 000 F de "frais de justice". La somme reçue préalablement étant destinée au plaignant. Après négociation, Ouadjiri va débourser pour cette autre cause 60 000 Fcfa avant d’être enfin libéré. "Il s’agit là d’un cas de violations flagrantes des droits d’un citoyen de la part de ce commandant et de son équipe qui se sont rendus coupables des faits d’abus d’autorité, d’arrestation arbitraire, de séquestration et de concussion. La victime, dans ce cas doit adresser une plainte au ministère de la Défense ou au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Douala", martèle maître Ashu Agbor. L’homme de droit conseille par ailleurs à la victime de ne pas saisir le procureur de la République qui, dans ce cas, pourrait s’appuyer sur le privilège de juridiction pour épargner des poursuites judiciaires à ce commandant de brigade.
Ces abus de certains éléments des Forces de l’ordre sont régulièrement dénoncés par les organisations de défense des droits de l’Homme au Cameroun. Sans trop de succès. De plus en plus conscientisées, les victimes n’hésitent plus à porter plainte et obtiennent parfois gain de cause.
Charles Nforgang (Jade)


Des militaires abattent un jeune homme à Nkongsamba
Une patrouille du régiment d'artillerie sol-sol de Nkongsamba a tiré et tué Stéphane Ewane, un élève de 22 ans, le 29 juillet dernier.
En violation flagrante de la présomption d'innocence. Élève au Lycée bilingue de Nkongsamba, Stéphane Ewane n’est plus de ce monde. Il a été abattu le vendredi 29 juillet par des militaires. En face de la porte d'entrée du domicile familial au quartier 10, un grand portrait de la victime a été retourné en signe de deuil, comme pour le détourner du regard des visiteurs.
Assis sur un banc, Gabriel Ebenga Essondjo, le grand frère de la victime, est très en colère contre les militaires, qu'il accuse d'avoir tiré à bout portant sur un suspect sans défense. "Avec des amis, mon petit frère rentrait d'une soirée en moto vers 4h. Une voiture qui avait à son bord des militaires est venue leur barrer la route et les a renversés. Les autres gars ont fui. Étonné, le petit s'est arrêté et s'est agenouillé. Il les a supplié de ne pas tirer. Mais un militaire a placé l'arme au niveau de la clavicule et a tiré", explique-t-il avec amertume, se référant à une version des faits que lui ont rapporté les fuyards.
Témoin de la scène, Serges Nana, un jeune homme qui habite à moins de dix mètres du lieu du crime, n'a rien oublié: "Tout juste après leur forfait, les militaires ont tiré la dépouille de Stéphane vers le centre de la route, puis ils ont ameuté les populations pour leur dire qu'ils viennent de tuer un braqueur". Plus chanceux, ajoute-t-il, le conducteur de la moto, également arrêté, a seulement été bastonné. Ensuite, il a été conduit à la Brigade territoriale de Nkongsamba. "Dans la même journée, Bertrand Nana, un autre fuyard, a été appréhendé et placé en garde à vue", confie l'un de ses proches.

Maîtriser et non tuer

Les yeux rougis et la main posée sur la joue, Louise Ebong, la mère du défunt est inconsolable. La vieille dame clame l'innocence de son fils. "Mon fils n'était pas un braqueur. Il était élève en classe de Terminale D au Lycée Bilingue de Nkongsamba", affirme-t-elle. Ariel Njiki, un camarade de classe de la victime, garde le souvenir d'un garçon studieux: "Nous avons préparé ensemble les examens de fin d'année. On a travaillé ensemble en Mathématiques et en Physique-Chimie".
Contactés, les responsables du régiment d'artillerie sol-sol (Rass) de Nkongsamba ont refusé de donner leur version des faits. "Les enquêtes se poursuivent", s’est contenté de répondre un officier. En attendant les résultats des investigations, la famille de Stéphane n'a pas encore fait son deuil. "Le corps est retenu à la morgue par les militaires pour les enquêtes", explique Gabriel Ebenga Essondjo. Quant aux autres suspects, ils sont toujours en garde à vue, plus d'une dizaine de jours après leur arrestation. Le délai de garde à vue qui, d'après le code de procédure pénale, est de 48h pouvant être renouvelé une fois, a été largement dépassé. Chargé de programmes à l’Action chrétienne contre l'abolition de la torture (Acat Cameroun), Armand Matna condamne les patrouilles de militaires armés à Nkongsamba. Une prérogative qui revient de droit à la gendarmerie et à la police. "L'armée ne doit intervenir qu'en dernier recours, lorsque la police et la gendarmerie sont débordées. Ce qui n'est pas le cas dans cette ville", explique Armand Matna. Il dénonce une violation de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée par le Cameroun le 19 décembre 1986. "La loi camerounaise et les traités internationaux n'autorisent pas l'élimination d'un être humain. Le suspect aurait dû être appréhendé et mis à la disposition de la justice", relève-t-il. A l’en croire, même en cas de légitime défense, les militaires auraient dû tirer non pas dans l'intention de tuer, mais pour maîtriser les fuyards. "Il fallait viser les zones moins sensibles comme les jambes ou les bras pour freiner la course des suspects",ajoute t-il.

En finir avec l’impunité des militaires

Cette position est également partagée par Me Ashu Agbor, un avocat. "Avant toutes choses, explique-t-il, les militaires auraient dû effectuer des tirs de sommation. Si les présumés braqueurs continuaient de fuir, il fallait tirer pour les paralyser". L'homme de droit dénonce une violation de la présomption d'innocence. "Une vie humaine a été ôtée sans l'autorisation de la justice", appuie-t-il. Par conséquent, pour l'avocat, il s'agit clairement d'un assassinat qui doit être puni par la justice. "Les soldats responsables de la mort de Stéphane Ewane doivent répondre de leur acte devant un tribunal militaire", recommande-t-il.

Par le passé, dans le cadre de la lutte contre l'impunité, des poursuites judicaires ont déjà été engagées contre des éléments des forces de défense et sécurité camerounaises. Depuis 2005, plus d'une centaine de ces agents de la répression impliqués dans des affaires relatives aux meurtres, coups mortels, blessures, tortures, arrestations et séquestrations, ont été condamnés à des peines d'emprisonnement par des instances judiciaires ou à des sanctions administratives, relève un rapport national présenté par l'État du Cameroun au Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies à Genève, en février 2009.

Anne Matho (Jade)


Le trafic d’armes dans les prisons camerounaises
Des armes blanches et des armes à feu circulent dans les prisons camerounaises, notamment à la prison de New Bell à Douala. Parfois avec la complicité des gardiens. Les détenus s’en servent pour organiser évasions ou vols.Condamné pour meurtre et détenu à la prison de New-Bell à Douala, Gaspard (un prénom d’emprunt) connaît par cœur les différents moyens de faire entrer des armes dans la prison de Douala. "Le fait n’est pas courant tous les jours, mais j’ai déjà vu des armes circuler dans la grande cour pendant les heures de récréation. Un jour, un détenu a caché une arme à feu dans son vêtement, en ma présence. Puis il a traversé la cour pour la remettre à un autre détenu. Ce jour-là, les prisonniers faisaient des signes (de connivence) que je ne comprenais pas", se souvient-il. Le trafic d’armes est courant dans les prisons camerounaises. Tous les moyens sont bons pour se procurer un pistolet, un couteau ou une simple lame. "Quand j’étais en service à la prison de Kondengui à Yaoundé, j’ai attrapé, lors de la fouille, un pasteur qui tentait d’entrer en prison avec une arme à feu cachée dans sa bible. Les détenus ont bien des méthodes pour introduire des armes dans les prisons", confirme un gardien de prison aujourd’hui en service à la prison de New-Bell à Douala.

Dans le riz, le savon…

L’avocat Jean Paul Ntieche connaît, lui aussi, les astuces utilisées pour introduire des armes dans les prisons. Selon lui, les visiteurs des prisonniers les font souvent entrer en pièces détachées. Elles sont ensuite remontées, dans la prison, par leurs destinataires. "Pendant les contrôles, les gardiens se contentent de la surface de l’assiette et du goût, or il y a certaines nourritures comme le riz et le couscous dans lesquels on peut dissimuler une arme en pièces détachées. Les bandits à qui elles sont destinées peuvent alors les récupérer et remonter l’arme", précise-t-il. Il ajoute : "Les femmes dissimulent souvent des pièces détachées dans leurs serviettes hygiéniques. Le gardien qui les passe au contrôle ne s’aperçoit de rien. "
Quant aux plus futés des prisonniers, ils trompent la vigilance des gardiens lors de leur retour de corvée. Selon Gaspard, ils se recrutent souvent parmi les détenus qui entretiennent de bonnes relations avec des gardiens de prison ou qui purgent les derniers mois de leur peine. "Ils ont la possibilité d’aller et venir et profitent de cette facilité pour faire passer des objets interdits. Les prisonniers les plus dangereux se servent alors d’eux pour faire entrer les armes dans la prison", explique-t-il. Il se souvient par ailleurs, tout en minimisant le fait, de l’un de ses amis qui avait réussi à faire rentrer facilement une lame dans le pénitencier. "Il l’avait dissimulée dans un morceau de savon et, une fois à l’intérieur, l’avait extraite. C’est comme cela que les couteaux et autres objets tranchants sont introduits en prison", témoigne Gaspard.
Régisseur de la prison de New-Bell à Douala, Dieudonné Engonga Mintsang est conscient du danger de ce trafic. "Que ce soit le personnel ou les détenus, nous courons tous un grand risque d’être agressés par un prisonnier en possession d’une arme", regrette-t-il.

Parfois, la complicité de gardiens

Maxime Bissay, coordinateur pour le Littoral de l’Action des Chrétiens pour l'Abolition de la torture (Acat), accuse de front. "A la prison de New-Bell, où je vais souvent, tout détenu, personne ou bagage est minutieusement fouillé. Pour moi, il est évident que les armes qui circulent au sein de nos pénitenciers, y sont introduites avec la complicité des gardiens de prison".
Des accusations que ne récuse pas le régisseur de la prison de New-Bell qui reconnaît qu’outre des visiteurs, le personnel pénitentiaire participe souvent au trafic des armes dans les prisons, au mépris de la loi. Ce trafic sert notamment à planifier et exécuter des évasions à l’aide d’armes blanches qui permettent de percer les murs, couper les fils de barbelés, ou à l’aide d’armes à feu pour contraindre les gardiens. Ceux-ci ne peuvent, en effet, utiliser leurs armes qu’au niveau des miradors et pendant les escortes des détenus vers les juridictions, mais jamais à l’intérieur de la prison par crainte de se les voir arracher.
Autres conséquences désastreuses : des bagarres à main armée sont souvent signalées dans les prisons locales.

Malgré les fouilles et les sanctions

L’article 17 du décret de 1992 portant régime pénitentiaire au Cameroun recommande pourtant une fouille minutieuse des détenus avant leur incarcération. "Il ne leur est laissé ni bijou, ni argent, ni valeur quelconque, ni instrument dangereux…", précise la loi. Une recommandation appliquée, semble-t-il, à la lettre par les établissements pénitentiaires du pays, sans pour autant empêcher la présence des armes blanches ou des fusils dans les prisons.
Tout détenu pris avec une arme dans la prison est immédiatement isolé des autres. "Nous appliquons, par la suite, à son encontre les textes en vigueur qui prévoient une batterie de sanctions pouvant aller jusqu’au prolongement de sa peine", prévient Dieudonné Engonga Mintsang.
La sanction est encore plus sévère pour le personnel de l’administration pénitentiaire complice de l’introduction d’armes dans une prison. "C’est une faute très lourde qui donne lieu à une procédure judiciaire", insiste le régisseur. La possession par un gardien de prison d’une munition dont il ne peut justifier la provenance l’expose à une procédure judiciaire.

Des fouilles périodiques ou spontanées sont souvent opérées dans les postes des gardiens et les cellules. "C’est une pratique réglementaire qui permet de dissuader ceux qui nourrissent des velléités d’infiltrer des objets prohibés. Nous fouillons non seulement les cellules, le matériel de travail, les mandats des prisonniers, les sacs, tout ce que la prison peut contenir comme secteur caché". Hugo Tatchuam et Charles Nforgang (Jade)
Douala: Hommes, femmes, enfants, entassés dans les mêmes cellules
Dans la plupart des commissariats et brigades de gendarmerie de la capitale économique, hommes, femmes, enfants sont entassés dans les mêmes cellules. En totale contradiction avec les règles internationales de la garde à vue. "Un certain Ateba, tueur de taximen, a été appréhendé et gardé à vue à la Base Navale. Enfermée avec lui dans la même cellule, sa maîtresse est tombée enceinte. Elle a été ensuite transférée à New Bell, où elle a accouché".
Le visage fermé, Jean Tchouaffi évoque ce fait divers désolant survenu il y a trois ans. Le président de l’Association camerounaise des droits des jeunes (Acdj) avait réussi, à l’époque, à mobiliser des fonds pour voler au secours de la jeune maman détenue. "Le journal "Cameroun Magazine" avait notamment titré : "Un bébé prisonnier involontaire à New Bell", se souvient Jean Tchouaffi. Cette situation scandaleuse aurait pu être évitée, si les géniteurs de cet enfant ne s’étaient pas retrouvés dans la même cellule.

Cellules communes et vétustes

Partager sa cellule avec des personnes d’âge et de sexe différents, cela ne surprend plus Bernard. Pour y avoir été gardé à vue à plusieurs reprises, ce boutiquier de 40 ans connaît par cœur les cellules du commissariat du 9e arrondissement de Douala. "Il y a bien une cellule pour femmes et une pour hommes, mais sans portes. Il n’y a pas de cellule pour mineurs. Une fois, dans ma salle, il y avait des enfants de moins de 15 ans. Dans la nuit, des viols peuvent avoir lieu ", explique l’ex-détenu.
À Douala, plus de 80 % des brigades de gendarmeries et commissariats disposent de deux cellules au mieux : une pour hommes et une pour femmes ; une seule réservée aux hommes, dans le pire des cas. Les femmes sont alors laissées à la main courante. Les mineurs, eux, sont mélangés avec des adultes de même sexe. Selon un officier de police qui a requis l’anonymat, un grand nombre de ces cellules ont été construites dans les années 1980. "À cette époque, l’accent était moins mis sur les droits de l’homme qu’il ne l’est aujourd’hui. Depuis lors, elles n’ont pas été modifiées parce que l’État ne dispose pas de ressources financières suffisantes", précise-t-il.

Dangers pour les femmes et les enfants

Cette promiscuité n’est pas sans conséquences. "Est-ce normal qu’une fille de 12 ans se retrouve dans une cellule avec une mère de 90 ans ? De même, on n’a jamais tenu compte des mineurs hommes et des adultes. Un garçon de 16 ou 17 ans qui se retrouve dans une cellule avec un homme de 45 ans, ce n’est pas normal. Ça développe l’homosexualité dans notre société", constate le président de l’Acdj.
Un jour, dans la pénombre encombrante de sa cellule, Bernard a assisté, impuissant, à une scène de violence contre une femme. La victime, dans un dernier effort, est parvenue à s’échapper. "Dans ma cellule, j’avais un gars qui était arrêté pour braquage. Il y avait une femme dans une autre cellule. Le braqueur a tenté de la violer. Elle a crié. Une chance pour elle : cette nuit-là, une femme policière était de garde et a mis la victime à l’abri derrière le comptoir. On voulait intervenir… Mais, bon ! Le gars était plus fort que nous, et nous a tabassés".

Ong tenues à distance

Selon les règles minima de traitement des détenus adoptées par les Nations Unies, tout lieu de détention doit comporter une séparation claire entre hommes, femmes et mineurs. Conscientes de ce manquement, certaines autorités administratives et policières redoublent de zèle pour tenir les défenseurs des droits de l’homme à distance. Mais, Jean Tchouaffi a trouvé une voie de contournement. "Nous visitons les commissariats, gendarmeries et autres, clandestinement. Une fois, nous avons initié la visite des cellules dans les commissariats. À l’époque, nous avions demandé au sous-préfet de Douala 1er à visiter les cellules du commissariat. Il nous a répondu que c’était contraire à nos intérêts. C’est pourquoi, j’ai organisé une réunion et j’ai dit à chacun d’aller clandestinement visiter les cellules parce qu’il nous fallait des éléments d’enquête sur les systèmes de garde à vue ", se souvient-il.

Des efforts à confirmer

En 1999, au terme d’une visite de travail au Cameroun, le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies sur la torture, avait recommandé au gouvernement de consacrer d’importantes ressources à l'amélioration des lieux de détention de manière à assurer un minimum de respect pour l'humanité et la dignité de tous ceux que l'État prive de liberté. Ce message a eu quelques échos auprès de l’État qui s’efforce depuis 2000 de construire des cellules séparées pour femmes, enfants et hommes gardés à vue. C’est le cas au nouveau commissariat central numéro un de la ville de Douala. "Je m’y suis rendu pour rendre visite à un détenu. J’ai constaté qu’il y a bien des cellules séparées. Dans l’ensemble, c’est correct et propre. Cela prouve qu’au Cameroun, il peut y avoir une amélioration dans ce domaine", se réjouit Albert Vicky Ekallé. Des efforts qui demandent à être confirmés.
Christian Locka (Jade)
Conditions d’hygiène désastreuses La mort rôde dans les prisons camerounaises
Exposés aux maladies de toutes sortes, du fait des mauvaises conditions de détention, de nombreux détenus pauvres des prisons camerounaises meurent faute de soins. Des ONG contribuent à limiter les dégâts, parfois avec succès.
E
mmanuel Ngong a failli passer de vie à trépas dans sa cellule de la prison de Mbanga, à soixante kilomètres de Douala. Il n’a été transporté dans un centre de santé que quelques heures avant sa mort. "Il était malade depuis longtemps et abandonné par sa famille. On s’est débrouillé avec nos modestes moyens pour l’aider. Hélas…", se désole Jean jacques Kwedi, chef du bureau de la discipline à la prison de Mbanga.
Ici, les malades reçoivent les premiers soins dans une cellule sans lit où ils dorment sur le sol nu. Ils ne sont transportés à l’hôpital qu’à l’initiative de leurs parents ou à l’article de la mort, faute de moyens. Sans infirmerie, le pénitencier n’emploie qu’un infirmier.
La promiscuité qui y règne (300 personnes pour 150 places) favorise le développement de diverses maladies. Environ 80 personnes s’entassent dans de minuscules cellules que ventilent deux trous d’aération. La fosse de l’unique WC à leur disposition déborde dans la minuscule cour de la prison et charrie des odeurs nauséabondes. "Nous nous servons régulièrement de ce bâton pour pousser les excréments en dehors de la prison. Tant pis pour les riverains", nous indique un prisonnier. "Ce sont ces pires conditions qui rendent les gens malades ici", ajoute-t-il.
"Il faut être chanceux pour rentrer en prison et en ressortir en bonne santé même quand vous avez le soutien de vos parents", constate Jean-Jacques Kwedi.

Phénomène généralisé

Les détenus de la prison de Douala, l’un des pénitenciers les moins mal lotis du pays ne sont pas épargnés. À Mbanga comme ici où existe une infirmerie, on ne dispose que des médicaments de première nécessité qui sont, en outre, insuffisants face à la forte demande, les conditions de détention favorisant toutes sortes de maladies (tuberculose, paludisme, diphtérie, choléra, maladies de peau, fièvres intermittentes). Chaque prison reçoit une dotation financière pour les soins des détenus. Celle de Douala encaisse 4 000 000 FCfa pour près de 3000 pensionnaires (un peu plus de 1 300 par prisonnier) contre 600 000 FCfa pour la prison de Mbanga (2 000 par prisonnier). Trop insuffisant.
Les règles minima pour le traitement des détenus adoptées par les Nations Unies à Genève en 1955 recommandent des installations sanitaires pouvant permettre au détenu de satisfaire ses besoins naturels au moment voulu, d'une manière propre et décente. "Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse être mis à même et tenu de les utiliser…" Selon le même document, chaque établissement pénitentiaire doit disposer d'un médecin qualifié. "Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils".

Le coup de pouce des Ong

La mortalité est cependant en baisse dans quelques prisons locales et notamment à Douala, grâce à l’appui de la Gtz, un organisme allemand de coopération internationale. De 99 cas de décès en 2005, la prison de Douala n’en a enregistré que 29 en 2010. "De plus en plus souvent, il se passe un mois voire deux, sans que l’on enregistre un mort ", se félicite le Dr Amougou Ello, médecin de la prison de Douala. "Jusqu’en 2004, il y avait beaucoup de désordre, et tellement de décès dus au Sida et à la tuberculose. Le taux de prévalence de la tuberculose dans cette prison était de trente-cinq fois supérieur à celui de la population globale", ajoute-t-il. À Douala comme dans plusieurs autres prisons du pays, l’appui de la Gtz permet de plus en plus d’examiner tout nouveau détenu. "Nous avons institué une visite systématique pour tous les prévenus dès leur incarcération. Le nouveau détenu a au plus tard 48h pour être examiné par le corps médical. Ce qui nous permet de dépister, dès leur entrée, les malades porteurs de tuberculose et ceux porteurs du VIH. L’autre but est de dépister chez ces nouveaux détenus des antécédents de pathologie chronique telle l’hypertension, le diabète, le cancer, etc. ", explique le Dr Amougou Ello. Une pratique qui rejoint les recommandations des règles minima pour le traitement des détenus.
Théodore Tchopa et Charles Nforgang ( Jade)


Un prisonnier enchaîné se pend dans sa cellule
Un prisonnier s’est pendu dans sa cellule de la gendarmerie de Bazou, près de Bangangté. Il était enchaîné.
>Ce qui est contraire aux normes internationales, mais trop souvent courant dans les prisons camerounaises.Frédéric Kouengoua a été retrouvé mort, le 21 juin dernier suspendu à une chaîne, les deux mains serrées par des menottes, la tête penchée vers l’arrière, dans une cellule de la brigade de gendarmerie de Bazou, près de Bangangté. Sur le mur de la cellule, il avait écrit : "Kouengoua Daly est mort. Le lion est mort. Marie-Louise, vous avez tué le lion, vous regretterez". La gendarmerie a tout de suite validé la thèse d’un suicide. La quarantaine passée et célibataire, Fréderic Kouengoua a été arrêté le dimanche 19 juin 2011 à Bafoussam au moment où Il s’apprêtait à quitter cette ville. Deux jours auparavant, à Bakong, il avait tenté de tuer à coups de fusil de chasse Marie Claire Tatmi, 43 ans et sœur jumelle de sa concubine. La victime se trouve toujours sous soins intensifs à l’hôpital protestant de Bangoua. Transféré dans une cellule de la brigade de gendarmerie de Bazou en attente d’être présenté au procureur, le suspect a été menotté des deux mains et enchaîné avant d’être jeté en cellule. Un traitement que ses geôliers justifient par sa qualité de détenu dangereux eu égard aux faits qui lui sont reprochés. Seul dans sa cellule, Frédéric Kouengoua aurait réussi à délier ses chaînes et à s’en servir pour se pendre. "La chaîne qui avait bien serré son cou était accrochée à la partie supérieure du cadre de la porte des toilettes de la cellule",raconte un témoin arrivé tôt sur le lieu du drame.

Une question de droit se pose concernant les conditions de détention du prisonnier. L’usage des instruments de contrainte tels que menottes, chaînes, fers, camisoles de force pour sanctionner les détenus est interdit par un texte adopté par les Nations unies en 1955. "Les chaînes et les fers ne doivent pas être utilisés en tant que moyens de contrainte", recommande entre autres ce texte.

Fait courant dans les prisons

Les instruments de contrainte ne sont par ailleurs autorisés qu’en cas de prévention d’une évasion pendant le transfèrement et ceux-ci doivent être immédiatement enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative. Le détenu peut aussi subir ce châtiment pour des raisons médicales sur indication du médecin ou encore "Sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtrise d’un détenu ont échoué, afin de l'empêcher de porter préjudice à lui-même ou à autrui ou de causer des dégâts; dans ce cas le directeur doit consulter d'urgence le médecin et faire rapport à l'autorité administrative supérieure".
Autant de dispositions qui n’ont pas été respectées à Bazou comme d’ailleurs dans de nombreux centres de détention du Cameroun, où les détenus sont menottés, enchaînés, psychologiquement torturés. Le 10 juin, Luc Macaire Ebe, détenu à la prison de Douala, a profité d’une permission des autorités de son pénitencier pour aller se pendre dans un chantier abandonné.
Evoquant le cas de Frédéric Kouengoua, Charlie Tchikanda, le président de la ligue des Droits de l’Homme met en cause les conditions de garde à vue."Ce qui vient de se passer à la brigade de gendarmerie de Bazou n’est que la conséquence des mauvaises conditions de détention observée dans la majorité des cellules des prisons, commissariats et gendarmerie de la région de l’Ouest. Les gardés à vue ou les détenus sont souvent l’objet d’injures et de menaces proférées par des gendarmes et policiers pour qui la présomption d’innocence n’a aucun sens", dénonce-t-il. " Le fait que M. Kouengoua ait été enchaîné constitue une grave atteinte aux conventions de Genève sur les conditions de détention. En plus, le manque de vigilance des gendarmes de Bazou quant à la sécurité et au droit à la vie des gardés à vue, même s’ils sont suspectés d’avoir commis un crime, est criant", enchaîne-t-il.
Une accusation qui est immédiatement rejeté : "M. Kouenga était détenu dans de bonnes conditions. Au moment de sa pendaison, nous étions encore dans les délais légaux de garde à vue. On lui donnait tout ce dont il avait besoin. Il prenait ses repas normalement. Lui seul sait ce qu’il a fait", oppose l’adjoint au commandant de brigade de Bazou.
Guy Modeste Dzudie et Charles Nforgang ( Jade)


Mort suspecte du chef de Batcham en 2007
Son épouse et deux salariés maintenus en prison

Accusés, sans preuves formelles, de complicité d’assassinat du chef supérieur de Batcham en décembre 2007, son épouse et deux hommes de sa Cour sont maintenus en prison depuis trois ans et demi, en détention provisoire.
De la prison centrale de Mbouda où elle est détenue, Aimée Kagho crie sa détresse. Elle est soupçonnée de complicité de meurtre après la mort suspecte de son mari, Francis Hervé Tatang. "C’est pénible de vivre ici depuis 42 mois, sans être fixée sur son sort. Je suis fatiguée de rester dans cette prison sans jugement. Pourquoi les autorités judiciaires prolongent-elles cette détention au-delà du délai légal de 18 mois ? "
Aimée Kagho a été arrêtée en janvier 2008, peu après la mort du chef supérieur du groupement de Batcham survenue en décembre 2007. En même temps que ses deux co-accusés Etienne Métino, serviteur à la Cour de la chefferie de Batcham et Simon Gnonem, secrétaire du défunt chef. Ils font alors partie des six suspects arrêtés par le commandant de la brigade de gendarmerie de Batcham, Pmoumié Mamouda. Fin 2008, une ordonnance de renvoi les accuse, tous les trois, de coaction d’assassinat et de dissimulation de preuves. Ils croupissent, depuis, en prison malgré les procédures d’appel.
Aujourd’hui âgée de 28 ans, Aimée Khago ne sait plus à quel saint se vouer pour sortir de cette impasse. Elle se fait du souci pour ses enfants, notamment pour sa fille, âgée de 9 mois au moment de son arrestation. "Que vont devenir mes enfants sans moi ? ", se demande-t-elle, en larmes.

…En attendant la vérité

Le lundi 6 juin dernier, la déception des trois co-accusés est encore montée d’un cran. Patrice Ekambi, la magistrate chargée de les entendre à la chambre de contrôle de l’information judiciaire de la Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam, était absente. Conséquence : ils n’ont pas pu être confrontés à Me Pierre Tchinda, huissier de justice à Bamenda, maire de la commune de Batcham, et surtout l'un des plus fidèles notables du défunt. Un point clé de la procédure exigé par Me René Manfo, avocat de la famille de Francis Hervé Tatang. "En tant que membre de la cour royale, Me Tchinda doit être entendu car il a entretenu des relations étroites avec le défunt. Faisant partie des notables présents à ses côtés, il peut nous expliquer certaines choses utiles à la manifestation de la vérité ", soutient l’avocat.
Il demande le maintien en détention d’Aimée Kagho et de ses deux co-accusés "tant qu’ils ne dévoileront pas les véritables commanditaires de l’assassinat du chef de Batcham". Une option que récusent les accusés qui ont introduit une demande de mise en liberté provisoire, rejetée par la chambre de contrôle de l’information judiciaire à la Cour d’appel de Bafoussam.

Samira joue sans se douter

À quelques mètres de la case familiale aux portes branlantes, Samira Mamefouet Sonkwé, 4 ans joue avec des enfants de son âge. Elle n’a aucune idée du drame que vit sa mère, Aimée Kagho, détenue à la prison centrale de Mbouda, à une dizaine de km de là… Elle ne voit pas non plus le handicap de sa grand-mère, Colette Nguenfouo, 60 ans, qui tire la jambe droite, ni celui de son grand-père, François Mbogning, 80 ans, paralysé du côté gauche.
Colette est seule pour subvenir aux besoins d’une famille de 14 enfants mineurs. "Je n’ai plus la force pour cultiver mon champ comme avant. Je travaille la terre en bordure de ma case. Ce qui donne une petite récolte qui ne permet pas de nourrir ma famille. Depuis qu’Aimée est en prison, je n’ai plus mangé de riz. Aimée était pour nous un soutien inégalable", se lamente la vieille femme.

Parias

Elle n’en exprime pas moins sa détermination à combattre pour survivre dans ce contexte difficile. "L’affaire du Fo’o Francis Hervé Tatang continue de faire des vagues à Batcham, explique Jean-Jules Yemeli , animateur à radio Ngiembon. Personne ne souhaite en parler publiquement", dit-il.
Quant aux familles dont des membres sont soupçonnés d’une implication quelconque dans le décès du chef Francis Hervé Batang, "elles sont souvent traitées en parias", précise, pour sa part, Hermann Dzoyem, conducteur de moto-taxi. La famille d’Aimée Kagho n’échappe pas à cette sanction populaire. Avant le jugement.
Guy Modeste Dzudié (Jade)


Me Antoine Pangue
"À l’expiration du mandat de détention provisoire, la personne détenue devrait être mise en liberté"
Qu’est ce que la détention provisoire ?
Me Pangue Antoine : La détention provisoire est l’incarcération dans une maison d’arrêt d’un individu inculpé de crime ou de délit et ce avant le prononcé du jugement. Elle est différente de la garde à vue qui est une mesure de police prise par les officiers de police judiciaire dans le cadre d’une enquête ou d’une commission rogatoire. La détention provisoire doit également être distinguée de la rétention passagère qui suit une arrestation et précède un mandat de détention provisoire ou qui apparaît dans le cadre d’une vérification d’identité.

Qui est habileté à décerner un mandat de détention provisoire ?

Me A.P. : En droit camerounais, le mandat de détention provisoire peut être décerné par le procureur de la République en cas de crime ou délit flagrant, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement. Sa durée doit être précisée dans le mandat. La loi dit que cette durée ne peut excéder six mois. Toutefois, elle peut être prorogée au plus pour douze mois en cas de crime et six mois en cas de délit.

Que peut faire le détenu qui, à l’expiration du délai de validité de son mandat de détention provisoire n’est pas libéré ?

Me A.P. : À l’expiration du délai de validité du mandat de détention provisoire, la personne détenue devrait être mise en liberté. Si elle ne l’est pas, sa détention devient illégale. La personne concernée a la latitude d’user de la procédure de l’habeas corpus. Concrètement, elle devra saisir le président du tribunal de grande instance du lieu de sa détention ou tout autre magistrat dudit tribunal désigné par lui d’une requête en libération immédiate.

Quelle est la situation du détenu dont le délai de validité du mandat de détention provisoire est expiré alors que son jugement n’a pas encore eu lieu ? Me A.P. : Ce détenu doit être mis en liberté et comparaître libre à l’audience de jugement. La détention provisoire a pour but de préserver l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens, d’assurer la conservation des preuves, ainsi que la représentation en justice du détenu. Il est à préciser que toute personne justifiant d’un domicile connu ne peut faire l’objet d’une détention provisoire qu’en cas de crime. Cette mesure restrictive de liberté avant jugement paraît en contradiction avec la présomption d’innocence dont jouit tout individu poursuivi.

Une personne ayant été détenue abusivement peut-elle obtenir réparation de ce préjudice?

Me A.P. : Toute personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire abusive peut, lorsque sa procédure aboutit à une décision de non-lieu ou d’acquittement devenu irrévocable, obtenir une indemnité. Elle devra à cet effet, prouver qu’elle a subi du fait de sa détention un préjudice actuel d’une gravité particulière.

Propos recueillis par Christian Locka (Jade)


Les droits des suspects souvent bafoués Corruptions, mensonges, violations de procédures: les droits des suspects souvent bafoués
Des policiers interpellent, torturent et gardent à vue des citoyens au mépris de la loi. Ils n’hésitent pas à tronquer les procès verbaux sur lesquels s’appuie le procureur ou le juge pour envoyer le suspect tout droit en prison …
Léon D. n’oubliera pas de sitôt les péripéties qui l’ont conduit pendant trois mois à la prison de New-Bell à Douala. Alors qu’il prend un pot avec ses amis un jour de novembre 2010, il est approché à 21 heures par deux gendarmes qui lui ordonnent de les suivre. « Déshabillez vous et entrez en cellule. Votre enquêteur et le commandant de brigade ne seront là que demain matin pour vous expliquer ce qui vous est reproché », lui commandent-ils, une fois à la brigade de gendarmerie de Bépanda-Ndoungué. En violation flagrante du nouveau code de procédure pénale qui proscrit toute interpellation après 18 heures et préconise le rappel du motif de l’arrestation au suspect, son droit de garder le silence et de se faire assister par un avocat Le lendemain, Léon D. est présenté au commandant qui s’étonne de sa présence et, après un échange, prescrit sa relaxe… Avant de revenir sur sa décision et d’exiger la présence d’un membre de sa famille.

Refus de corruption

Au troisième jour de cette garde à vue sans motif, un vendredi, il est extrait de la cellule et invité à signer des papiers. « J’ai refusé de le faire car n’ayant pas pu prendre connaissance du contenu. Que tu les signes ou pas, cela ne change rien à ton sort » m’a déclaré l’enquêteur en me renvoyant dans ma cellule », se souvient-il.
De nouveau sorti de sa cellule, il est conduit au tribunal de première instance de Ndokotti avec un procès verbal qui l’accuse de complicité de vol aggravé. Le tribunal se déclare incompétent. Léon D. est finalement transféré à la cellule de la Police judiciaire et présenté, le mardi suivant, au tribunal de grande instance de Bonanjo. Renvoyé pour confrontation avec son co-accusé, il ne le rencontrera jamais Ses enquêteurs ne le lui ayant pas permis, mais noteront dans son procès verbal que ladite confrontation eût lieu. Sa véritable faute, croit-il savoir, est d’avoir refusé de verser aux enquêteurs un bakchich de 400 000 F Cfa. Il est envoyé en prison après près d’un mois de garde à vue et ne sera libéré que trois mois plus tard pour faits non établis.
Plus chanceux, Stephen A ne restera que dix jours dans la même prison avant d’être libéré au bénéfice du doute. Interpellé par une patrouille de police à la suite d’une bagarre, son adversaire est relaxé après avoir versé 5 000 FCfa aux policiers. Stephen, lui, est placé en garde à vue dans une cellule du commissariat du port. «Mes enquêteurs me demandaient de l’argent pour me libérer. Comme je n’obtempérais pas, ils m’ont collé le motif de vol aggravé avant de me présenter au juge qui m’a envoyé en prison», explique-t-il. Dix jours après son incarcération, il passe au tribunal et est libéré grâce à la pugnacité de son avocat.

Des rapports accablants

« Les arrestations et séquestrations arbitraires restent et demeurent au Cameroun les violations des droits de l’homme les plus fréquentes », dénonce le rapport sur l’Etat des droits de l’Homme au Cameroun en 2009, publié par la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (Cndhl). Selon celui-ci, bon nombre d’officiers de police judiciaire violent allègrement les prescriptions en matière de garde à vue et continuent, comme par le passé, à interpeller et garder à vue des individus sans motifs. « Et à la fin de ces gardes à vues illégales ou abusives, l’on oblige les personnes concernées à négocier leur remise en liberté par le paiement d’une somme d’argent », souligne le rapport.
Une enquête de Transparency–international Cameroon, rendue publique en 2007, présentait déjà la police et la gendarmerie comme les secteurs de l’administration les plus touchés par la corruption avec 81% des suffrages exprimés par les personnes consultées. Le système judiciaire occupait lui aussi une position honorable avec 61%. Il n’est pas étonnant que les rapports dressés par les officiers de police judiciaires et transmis aux juges ou aux procureurs pour décision soient parfois truffés d’incongruités. Faute de contre expertise, parfois fatigué ou corrompu, le magistrat se contente de ces faux rapports et envoie le prévenu attendre, en prison, son passage devant les tribunaux.
« Le juge d’instruction ou le procureur visite les suspects convoyés par les officiers de police et retenus dans les cellules du parquet. Il leur pose une ou deux questions en se référant au procès verbal des officiers de police judicaire à eux transmis et leur signe un mandat de détention qui les envoie droit en prison. Seuls de rares chanceux sont épargnés et libérés », dénonce anonymement un militant des droits de l’homme qui affirme avoir déjà assisté à ces auditions.

Des victimes se plaignent

« Les victimes d'abus policiers peuvent aller se plaindre à la police des polices créée à cet effet à la direction de la police judiciaire, saisir la hiérarchie concernée de l’agent ou le procureur de la République », conseille un commissaire de police qui préfère aussi taire son nom.
Il précise par ailleurs qu’en dehors des rafles qui se déroulent sur la voie publique, les flagrants délits et les crimes, toute interpellation nécessite un mandat de justice du procureur. « Parfois même, les policiers doivent appeler le procureur par téléphone pour avoir son autorisation », ajoute-t-il.
Avec l’aide des associations de défense des droits de l’homme, des victimes n’hésitent plus à ester en justice contre des officiers de police judiciaire et même des magistrats pour abus d’autorité. Le gouvernement publie généralement dans ses rapports les noms, grades, sanctions des fonctionnaires de police, de la gendarmerie, de l’administration pénitentiaire ou de la justice punis. Quelques-uns sont révoqués de leurs fonctions non sans être condamnés.
Charles Nforgang, Jade
Encadré : La présomption d’innocence au service de l’accusé
Principe par lequel toute personne poursuivie pour une infraction est à priori supposée ne pas l'avoir commise tant que sa culpabilité n'est pas établie par une décision de justice irrévocable, la présomption d’innocence protège l’individu en procès. La présomption d'innocence consacre l’obligation pour la partie poursuivante de prouver la culpabilité du suspect ou du mis en cause. La preuve incombe donc au demandeur qui peut être le procureur de la République ou éventuellement la victime de l'infraction. Si ceux-ci ne réussissent pas à l’établir, l’individu poursuivi est purement relaxé ou acquitté. « De la présomption d'innocence, il découle aussi que tout individu soit qu'il est délinquant primaire ou récidiviste, quelles que soient les charges qui pèsent sur lui, doit être considéré comme innocent et traité comme tel », explique Maître Antoine Pangue, avocat au barreau du Cameroun. Consacré par le code de procédure pénale du Cameroun en son article 8, la présomption d’innocence s’applique au suspect, à l’inculpé, au prévenu et à l’accusé. La mise en œuvre de certaines institutions telles que la garde à vue, la surveillance judiciaire, la détention provisoire suppose une présomption de culpabilité et empiètent sur la notion de présomption d’innocence. Seulement, il s’agit là aussi des mesures prévues par la loi au cours de la phase préparatoire de certains procès. La garde à vue demeure malgré tout l’exception et la liberté la règle.
C.N, jade


Ces prisons où la cellule est un privilège
Dans les prisons de Douala et Mbanga, surpeuplées, de nombreux détenus dorment dehors, à la merci des intempéries et des moustiques. Ceux qui réussissent à trouver une place en cellule se contentent d’un matelas ou du sol nu. Parfois au prix d’énormes sacrifices.
La nuit tombée, la grande cour de la prison centrale de Douala se transforme en un refuge. Collés les uns aux autres sur un matelas, sous un drap ou sur le sol nu, des détenus y passent la nuit, en s’efforçant d’être insensibles aux piqûres de moustiques. « Certains choisissent de dormir à la belle étoile, pour fuir la chaleur des cellules ou le manque d’espace qui oblige à dormir assis, explique Jean-Pierre qui appartient à cette catégorie. D’autres dorment dans le froid simplement parce qu’ils n’ont pas pu avoir une place à l’intérieur. » Construite pour 600 personnes, cette prison compte plus de 2500 détenus pour 27 cellules. Dans les « cellules spéciales », les nantis ne sont pas plus d’une trentaine. Ceux qui s’entassent dans les cellules ordinaires partagent moins de douze mètres carrés pour une centaine de personnes. Les cellules sont heureusement aérées par une fenêtre. Les mineurs et les femmes sont enfermés dans des quartiers séparés.

« La nuit, pour nous, est semblable à un cauchemar, confie un détenu. Notre plus grand souhait est de voir le jour se lever », Un autre explique : «Quand arrive la pluie, chacun joue des coudes pour trouver un abri dans une cellule ou devant les bureaux. Les moins chanceux restent dehors. »

Une véritable arnaque

La prison de Mbanga, à soixante kilomètres de Douala, est, elle aussi, surpeuplée. Construit pour 150 personnes, ce pénitencier en accueille le double. On y dort sur le sol nu ou sur de matelas sales. Les cellules contiennent jusqu’à 80 personnes. De 17h à 7h du matin, les détenus, certains mineurs, d’autres très âgés, doivent partager le peu d’air que laissent filtrer deux trous d’aération.

Injustice supplémentaire, les détenus sont victimes de véritables arnaques. « Lorsqu’un nouveau arrive, on lui octroie une cellule en fonction du montant qu’il paie aux autorités de la prison. Les prix des cellules varient entre 25.000 et 205.000 Fcfa », explique anonymement un chef de cellule de New-bell. Autant dire que les pauvres n’y ont pas accès. « Cela est peut-être imposé par l’administration des cellules, mais pas par celle de la prison », conteste François Cheota, chef de service des activités culturelles, sociales et éducatives à la prison de New-bell.

À Mbanga, seuls les pensionnaires de la cellule spéciale paient une somme de 10 000 Fcfa à l’entrée. « Cet argent nous aide dans l’entretien des détenus, à l’achat des ampoules ou des cadenas, en cas de besoin », précise Eyong Simon, son régisseur.

Les règles internationales bafouées

Les conditions de détention dans les prisons camerounaises violent les règles adoptées par les Nations unies en 1955. Ce texte recommande la séparation entre les prévenus en attente d’un jugement et les personnes condamnées, entre les jeunes et les adultes. La nuit, les cellules ne devraient être occupées que par un seul détenu. L’éclairage, l’aération, la surface devraient obéir aux exigences élémentaires d’hygiène. « On voudrait bien respecter ces dispositions, mais les infrastructures d’accueil et les moyens font défaut dans toutes les prisons du pays », justifie un administrateur des prisons, sous anonymat. « Le problème ajoute François Cheota, vient aussi des lenteurs judiciaires, De nombreux détenus sont des prévenus ». Blaise Djouokep et Charles Nforgang (Jade)
Me Emmanuel Pensy « Me Emmanuel Pensy: Les prisons camerounaises sont des écoles de crime »Avocat au Barreau, il apprécie les conditions de détention dans les prisons camerounaises.

Que prévoit la loi en matière d’incarcération ?

Les dispositions légales prévoient qu’une personne détenue en prison doit être enfermée dans une cellule dans des conditions décentes. Ce qui n’est pas le cas dans les prisons camerounaises. L’article 551 du code de procédure pénal spécifie que toute personne détenue est incarcérée dans une prison. Or, au Cameroun, vous avez des personnes qui sont détenues en vertu d’un mandat de justice comme Alphonse Siyam Siéwé ou Titus Edzoa au Sed (gendarmerie). Ce qui n’est pas conforme aux dispositions précitées.

Des détenus dorment à même le sol ou à la belle étoile. Cela est-il recommandé ?

C’est une atteinte à la dignité de l’homme et une violation des droits de l’homme et des citoyens. Les prisons camerounaises sont surpeuplées (La prison de Douala était prévue pour 600 personnes. Il y en a près de 3000 aujourd’hui. Cette situation est intolérable. Tout cela parce qu’il n’y a pas de politique immobilière des prisons du fait des problèmes d’ordre budgétaire. Nous entendons depuis parler d’un projet de construction d’une grande prison près de Yassa qui serait le bienvenue. A cause de la surpopulation carcérale, les prisonniers sont obligés de dormir à la belle étoile et à même le sol dans l’aire de promenade de la prison. Lorsqu’il pleut, ils essaient de se protéger sous les auvents. Ce qui entraîne une multitude de maladies graves et plusieurs morts à défaut de soins et de moyens financiers.

Cette situation n’est-elle pas en contradiction avec les lois internationales sur les conditions d’incarcération?

La charte africaine des droits de l’homme et des peuples signée par le Cameroun et ratifié par le parlement condamne cet état de fait qui est déploré par la communauté internationale. Une aide qui doit compléter un financement de l’Etat est prévue pour remédier à cette situation qui transforme les prisonniers en sous hommes, même ceux qui sont présumés innocents et en détention préventive. Le code de procédure pénal a voulu éviter l’inflation galopante de la population carcérale en écartant l’emprisonnement pour les délits commis par une personne qui a les garanties de représentations (domicile, travail…) et qui peut verser une caution. Par ailleurs, au point de vue international, les conditions de détention prévoient les cellules de 14m2 maximum pour deux personnes. Or, à Douala, les gens sont si nombreux que les lits sont superposés. Les détenus cherchent l’air pur à travers les trous dans un environnement irrespirable et pollué.

La cohabitation entre des brigands et des condamnés pour des délits est-il un problème ? La nouvelle politique des prisons devrait être de placer les grands bandits dans des maisons d’arrêts où les évasions sont impossibles. Ils ne doivent pas être mélangés avec les prévenus parmi lesquels des mineurs. C’est en prison que les crimes, le faux et son usage sont enseignés et on y sort pire que lorsqu’on y entre. Au lieu d’être un lieu de réinsertion, les prisons camerounaises sont des écoles de crime. Le gouvernement est conscient de cet échec, mais n’arrive pas à lui trouver des solutions adéquates.
Propos recueillis par Blaise Djouokep (Jade)
Prison de Mbanga : Pauvre ration pour les pauvres

À la prison de Mbanga, les détenus ne reçoivent qu'un repas par jour, faute d'un budget suffisant. Seuls les plus nantis tirent leur épingle du jeu. Reportage Prison de Mbanga à 60 km au nord-ouest de Douala. Ce mercredi, comme tous les jours, quatre jeunes gens dont trois prisonniers s’activent autour des foyers disposés dans un hangar à l’entrée de la prison. Cinq portent de grandes marmites sous lesquelles jaillissent des flammes. Régulièrement, ces cordon-bleu sans uniformes ouvrent chaque marmite pour y ajouter de l’eau ou apprécier le niveau de la cuisson.
Plus loin, une cour aussi petite qu'un stade de hand-ball a du mal à contenir ses 274 détenus, sa capacité étant seulement de 150 personnes, pour un peu plus d’une dizaine de cellules. Au centre de la cour, d’autres prisonniers cuisinent à l’aide de petites marmites sales et noircis par le feu de bois, à proximité d’un tas d’ordures. Diverses sauces, des tubercules, des bananes, des plantains, et des mets traditionnels sont au rendez-vous. "Ceux-là cuisinent pour eux-mêmes ou pour revendre. Ce sont des denrées qu'ils ont achetées hors de la prison ou amenées par des parents. Ils y sont autorisés", explique Jean Jacques Kwedi, gardien chef de prison et chef du bureau de la discipline.
Il est quinze heures et la famine se lit sur le visage de la plupart des détenus. Surtout parmi les plus jeunes, qui attendent toujours leur premier repas du jour. A cet instant, six marmites arrivent. Cinq contiennent du riz bouilli. La dernière est remplie de sauce, une sorte de liquide coloré aux feuilles de manioc, sans viande, ni poisson. Une file de prisonniers se forme à l'instant, sous le cliquetis des plats, des cuillères et des fourchettes.

Selon que vous êtes riche ou pauvre
Comme pour toutes les autres activités de la prison, le moment du repas a ses règles. Un détenu tient en main une liste des pensionnaires qu'il lit par cellule. A la lecture d’un nom, l'intéressé se présente devant l’équipe chargée de la distribution, reçoit sa ration de riz dans un plat, et la sauce dans un autre. Certains reçoivent le tout dans un seul et même plat. Les quantités servies ne sont pas les mêmes pour tous "Les mineurs et les malades étant plus fragiles, nous avons expressément demandé que leurs quantités soient un peu plus importantes", justifie Jean Jacques Kwedi.

Cependant, il y a des cas où des détenus corrompent les serveurs pour être mieux servis. "Cela se fait de manière subtile, au point où il est difficile de s’en apercevoir, reconnaît Eyong Simon Enow, régisseur de la prison de Mbanga. Mais chaque fois que des prisonniers se plaignent, nous rappelons les auteurs à l’ordre". Faute de réfectoire, les détenus rentrent dans leurs cellules pour manger. Faute d'espace, ils s’entassent ainsi parfois jusqu’à 80 dans un espace de moins de 50 m2.
Les détenus absents parce que partis au tribunal ne sont pas oubliés. "Nous avons ici un détenu qui joue le rôle de premier ministre dans le gouvernement de la prison. C’est lui qui reçoit la nourriture des absents et la leur remet dès leur retour", précise l'homme occupé à faire l’appel. D’autres détenus, vendeurs de circonstance, assis non loin, proposent au même moment des sauces à des prix à la portée des prisonniers. L'un d'eux explique : "Plusieurs prisonniers refusent de manger cette eau colorée appelée sauce qu’on sert et viennent se ravitailler chez nous qui proposons de vraies sauces avec du poisson ou de la viande. Nous les servons alors en fonction de leur poche".
Les pensionnaires démunis n'ont que cette seule ration journalière. Ceux qui ont de l'argent pour le faire complètent leur repas auprès des vendeurs de nourriture. Cependant, logés dans des cellules spéciales, les détenus plus nantis cuisinent dans leurs chambres. Ils offrent leur part de ration alimentaire à des protégés contre de petits services. Pourquoi la ration alimentaire est-elle si maigre? "La dotation de six millions de Francs cfa que nous recevons tous les semestres pour la prise en charge des détenus est insuffisante pour bien les nourrir, répond le régisseur. Nous nous contentons du peu qui peut les maintenir en vie et en bonne santé". Conscient, le gouvernement leur accorde souvent des crédits supplémentaires. Mais depuis quelques années, cette rallonge tarde à leur parvenir.
Charles Nforgang (Jade)


Interpellation illégale : Une victime d'arrestation abusive raconte son cauchemar
Il y a quelques mois, Salomon Mbu avait été arrêté illégalement et torturé par la police. Une illustration des abus qui ont cours dans certains postes de police.
Salomon Mbu n’a pas oublié le moindre détail de son interpellation et des tortures que lui ont infligées des policiers une nuit de décembre dernier. Des cicatrices laissées par des coups de matraque et des coups de pieds sont encore visibles sur son corps. "Il y a des situations qui peuvent vous amener à douter de votre humanité et regretter votre appartenance à un pays comme le Cameroun ", lâche-t-il à l’entame de la narration des faits qu'il a vécus celle nuit-là.
"J’étais couché dans mon lit quand j’ai reçu la visite d’un cousin qui m’invitais à venir saluer sa belle-mère chez lui", raconte-t-il. Alors qu’il était sur le chemin du retour, à environ vingt mètres de son domicile situé au quartier dit Non Glacé à Douala, il trouve assis devant une boutique trois personnes en train de boire du vin rouge. L'un deux l'interpelle et lui propose un verre qu’il décline. A son arrivée, un débat sur le Cameroun animait le petit groupe. Le boutiquier soutenait que M. Biya est un bon président de la République. Salomon s'immisce dans la discussion. A l’en croire, le boutiquier, qui n’aurait pas apprécié son intrusion dans le débat, a aussitôt quitté son comptoir pour venir le sommer de se faire identifier. "Je suis Guinéen", avait-il répondu, blagueur, avant de demander à son interlocuteur de décliner son identité à son tour.

Tortures atroces
Prenant cette réplique pour un affront, le boutiquier, qui était en réalité un policier en service au Commissariat du 8è arrondissement de Douala, cravate son vis-à-vis et lui assène une paire de gifles. "Ne sachant pas qu’il était policier, j’ai aussi répliqué par une gifle qui l’a fait tomber et le public s’est interposé pour nous séparer", se souvient Salomon Mbu. Mais le boutiquier va alors s'armer de son couteau pour attaquer et blesser son adversaire. "Je me suis bandé la main avec mon sous-vêtement et rentré chez moi après avoir tenté, en vain, d’appeler le 117 (Ndlr numéro d'urgence de la police)", explique-t-il.

A deux heures du matin, un groupe de personnes tentent alors de forcer sa porte, lui intimant l’ordre de l’ouvrir. Il s'exécute, et une meute de policiers qu’accompagnait le boutiquier, leur collègue, se jettent sur lui. "Ils m'ont mis les menottes, tabassé à l’aide de matraques, piétiné avec leurs chaussures Rangers, donné des coups de poings et m'ont jeté dans une voiture pour m'amener à la police judiciaire". Au poste, on lui signifie qu’il est un braqueur. Sous la menace du fouet, il fait sa déposition qui ne satisfait pas ses bourreaux.
Aux environs de quatre heures et demie, toujours menottes aux poings, la victime est ramené Manu militari chez lui. Les policiers défoncent sa porte, marchent sur ses enfants qui dorment dans le salon, vont soulever son épouse dans la chambre et la sommer de leur remettre le couteau que cache son mari. Tremblante et pleurant à chaudes larmes, tout comme ses enfants, la femme leur présente ses deux couteaux de cuisine. Ils en choisissent un, récupèrent le vêtement trempé de sang de Salomon, et l’emballe avec des vêtements couverts de boue ramené par le boutiquier pour constituer les preuves du braquage.

De nombreux abus Une fois de plus ramené à la police judiciaire, il est fouetté jusqu'au petit matin avant d'être jeté dans la cellule. A sept heures, il est extrait de sa cellule et transporté au palais de justice pour présentation devant le procureur de la République. Pendant qu’il attendait de signer son mandat d’incarcération pour être conduit à la prison de Douala, il est appelé par un magistrat qui sans lui poser la moindre question, lui demande de quitter cette cellule et de retourner chez lui. "Je croyais rêver!". Salomon Mbu s’est rendu le lendemain à l’hôpital Laquintinie où un médecin lui a prescrit des médicaments et un certificat d’incapacité de 35 jours. Il pense qu’un de ses oncles, procureur de la République, informé, a certainement volé à son secours en contactant son collègue magistrat. Combien de camerounais ont cette chance ?

Ce cas n'est pas isolé. D'après le rapport sur l'état des Droits de l'homme au Cameroun en 2009 de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés, "Bon nombre d'officiers de police judiciaire violent allégrement les prescriptions en matière de garde à vue et continuent, comme par le passé, à interpeller et à garder à vue des individus sans motifs". Certaines victimes, au lieu de se résigner, portent plainte et finissent par avoir gain de cause. En octobre 2009, le gendarme Olinga Ondoua avait été condamné à 10 ans d’emprisonnement ferme par le tribunal militaire de Yaoundé pour "Abus de fonction, arrestation et séquestration arbitraires". Un message à ceux qui, comme les bourreaux de Salomon Mbu, comptent sur l'impunité.
Charles Nforgang (Jade)

Ce que prévoit la loi sur l'interpellation d'un suspect Le code de procédure pénale prévoit les conditions d’arrestation de toute personne suspectée dans le cadre d’une affaire. L'arrestation consiste à appréhender une personne en vue de la présenter sans délai devant l'autorité prévue par la loi ou par le titre en vertu duquel l'arrestation est effectuée.
L'officier, l'agent de police judicaire ou l'agent de la force de l'ordre qui procède à une arrestation enjoint à la personne à arrêter de la suivre et, en cas de refus, fait usage de tout moyen de coercition proportionnée à la résistance de l'intéressé. Aucune atteinte ne doit être portée à l'intégrité physique ou morale de la personne appréhendée. Sauf cas de crime ou de délit flagrant, celui qui procède à une arrestation doit décliner son identité, informer la personne du motif de l'arrestation et le cas échéant, permettre à un tiers d'accompagner la personne arrêtée afin de s'assurer du lieu où elle est conduite. Toute personne arrêtée bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d'entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil, de rechercher les moyens pour assurer sa défense, de consulter un médecin et recevoir des soins médicaux, et de prendre les dispositions nécessaires à l'effet d'obtenir une caution ou sa mise en liberté. CN ( Jade)
Prison de New Bell : Une visite qui peut coûter cher
Les visiteurs doivent parfois monnayer pour entrer en contact avec leurs proches emprisonnés.
I
l est 15h ce mardi à la prison centrale de Yaoundé à Kondengui. Devant le bâtiment, une cinquantaine d'hommes et de femmes avancent en file indienne. Un panier en main pour les uns, un sac plastique pour les autres, ils attendent le moment de pénétrer dans la prison. La fatigue se lit sur les visages. Certains changent, par intermittence de position pour tromper le temps et se jouer de la fatigue. Lentement, ils avancent vers le portail marron.
Quatre gardiens en uniforme, s'y tiennent, arme au poing. Avant de franchir le seuil, le visiteur remet à l’un d’entre eux, sa carte nationale d’identité. Il est ensuite fouillé par un autre gardien. Téléphones portables et tout autre objet jugé dangereux sont retenus. Un troisième contrôle les paniers et toute chose destinée au détenu.
Ambiance quasi identique à la prison centrale de Douala à New Bell, le dimanche suivant. Dès 9h, des gens arrivent, seuls, ou en petits groupes. Outre les paniers, certains tiennent à la main une bible, ou des recueils de cantiques religieux.
« Tous les dimanches, nous venons ici faire des cultes avec les détenus », indique Eric qui attend les autres membres de son groupe de prière. Au complet, la petite troupe d'une trentaine de personnes s’avance vers le grand portail, rongé par la rouille, qui donne accès à l’enceinte de la prison. Elle traverse la dizaine de mètres qui séparent ce portail d'un second donnant accès au cœur même de la prison.
Enfilade d'obstacles
Vers midi, la file des visiteurs s’allonge. Beaucoup de femmes mais aussi des jeunes gens. « Le rang avance lentement », se plaint Augustine, qui tient en main un panier de nourritures. « Nous devons vérifier l’identité de tous ceux qui sortent et recevoir en même temps ceux qui entrent. Et dans le même temps, il faut contrôler les repas qui entrent. C’est ce qui est à l’origine de cette perte de temps », justifie, sous anonymat, un gardien.

La salle de contrôle est dans une semi obscurité. L’air commence à être lourd et difficilement respirable. On entend les cris des détenus. Cette première étape franchie, un deuxième arrêt est obligatoire. « A chaque étape, on donne au moins, une pièce de 500 FCfa au gardien. Ce qui fait 1.000FCfa pour les deux passages. Ensuite, nous devons encore payer pour rencontrer le détenu », indique Alain, venu rendre visite à un ami.
Cet autre portail franchi, le visiteur se rend dans la « salle d’attente ». Un bâtiment aux murs délabrés dans lequel se trouve la cellule disciplinaire. Un gardien est assis sur une table. A ses cotés, quatre détenus. « Qui voulez vous rencontrer ? », demande l’un d'eux, en donnant un bout de papier au visiteur qui y écrit le nom du prisonnier qu'il vient voir. « Il faut les frais de déplacement pour aller le chercher », informe le détenu.
Cela coûte entre 300Fcfa et 500Fcfa. Le visiteur remet l’argent au détenu qui le donne immédiatement au gardien de prison. Puis, un autre des quatre détenus l'invite à s'asseoir pour attendre sur un vieux banc. Il lui en coûtera encore 500Fcfa. L’argent est de nouveau remis au gardien de prison qui veille au grain.

Les règles Le visiteur peut alors entrer en contact avec son proche. « Ces pratiques rendent les visites très difficiles car il faut dépenser beaucoup d’argent », déplore Alain.
De tels usages vont à l’encontre des règles de visite dans cet établissement pénitencier. François Cheota Ngoumkwa, chef service de la discipline, des activités socio culturelles et éducatives, est formel: « A New Bell, il faut payer un ticket de 100Fcfa à l’entrée de la prison. Ce ticket sert à l’hygiène dans la prison. Mais, lorsque vous venez au delà de 15 heures, vous payez 500Fcfa. Cet argent sert à l’entretien de la prison et des détenus. Un ticket est remis au visiteur. Le reste d’argent que le visiteur dépense n’est qu'une arnaque ». Une situation encouragée par les visiteurs eux-mêmes qui refusent de respecter ces règles établies et monnaient pour être vite servis. Blaise Djouokep, Jade
Univers carcéral : les prix flambent à la prison centrale de Yaoundé
Pour s’approvisionner en denrées alimentaires et en produits de première nécessité, les prisonniers connaissent une peine supplémentaire.
Il est 6 heures 50 minutes ce samedi à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Siméon, 25 ans, condamné pour vol simple, en franchit le seuil avec un sac de manioc de 40 kilogrammes sur la tête. Sur son visage ridé, se lit la fatigue. Après avoir franchi la trentaine de mètres au-delà de l’entrée principale du bâtiment, il se fraie un chemin dans une foule remuante et laisse glisser sa charge sur le sol, au milieu de la cour d’honneur cernée par les bureaux du régisseur et des responsables de la prison. Une dizaine de gardiens vigilants assurent la sécurité. «Monsieur ! Vous n’êtes pas autorisé à circuler n’importe comment. Observez ce qui se passe à partir d’un seul point», martèle l’un d’eux.

Marchandage

Les détenus autorisés à se retrouver dans cette cour multiplient des va et vient, et vont dans tous les sens. Un jeune homme, à l’allure frêle et qui transpire la misère, s’approche et me propose : «Monsieur, cirez vos chaussures ! Cirez vos chaussures ! ». C’est son gagne pain ! Apres un bonjour et tout en brossant mes chaussures pour 100 Fcfa, il dresse un tableau noir des conditions de détention à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé : « C’est difficile, ici de manger à sa faim. On nous propose de la farine de maïs et des tubercules de manioc mal préparé. Tout est cher. Pour 100 Fcfa, on a trois doigts de banane contre quatre à l’extérieur. Le prix des avocats est multiplié par deux (200 Fcfa au lieu de 100). Le kilogramme de tubercule de manioc, vendu 200 Fcfa sur les marchés de la ville, coûte 300 Fcfa à la prison de Kondengui», assure-t-il. Un gardien de prison confirme:«Dès qu’une marchandise franchit le seuil de la prison, son prix flambe. Ici, il n’est pas facile de nourrir les prisonniers. Le budget alloué pour leur alimentation est insignifiant.» « Il y a environ 4000 pensionnaires à Kondengui. Parmi lesquels, des gens qui ne peuvent pas supporter le menu déséquilibré de l’unique repas servi par jour », s’indigne un ancien détenu. « Il faut, en réalité, payer divers « péages » pour faire parvenir la marchandise à l’intérieur de la prison », accuse-t-il. Par contre, un gardien de prison précise: «Il faut juste fournir un dossier médical et présenter des garanties sécuritaires pour bénéficier d’un agrément à commercialiser à l’intérieur de la prison. Jonas Tiwa, actuel régisseur de la prison centrale de Yaoundé, est lui aussi favorable à la délivrance desdits agréments.»

Un marché pas comme les autres

Ainsi, loin de servir uniquement aux manifestations protocolaires ou officielles, la cour d’honneur de la prison est devenue un véritable marché pour ceux qui veulent manger à leur faim. Une centaine de personnes, surtout des commerçantes venues de l’extérieur et des prisonniers revendeurs se disputent cet espace clos. Ici, les transactions ne se passent pas comme dans d’autres espaces commerciaux. Marchandages, bavardages et plaisanteries s’enchaînent, dans une atmosphère de méfiance. Parfois un visage abîmé par des années de prisons, s’éclaire, se réjouissant de ce jeu de « ping-pong » des palabres. « Les marchandises sont souvent livrées à crédit aux prisonniers qui reversent le lendemain les recettes aux commerçants venus de l’extérieur contre un pourcentage de 10%. Ceux qui achètent directement réalisent une marge bénéficiaire de l’ordre de 20%. Mais souvent tout tourne au vinaigre lorsque les détenus commerçants sont dépouillés à l’intérieur de la prison », affirme une commerçante. Elle n’a, dans ce cas, que ses yeux pour pleurer… Guy Modeste Dzudie, Jade
Atteinte aux droits humains : Un réfugié gardé à vue pendant sept jours à Yaoundé
Bakayoko, réfugié ivoirien, a été arrêté et gardé à vue pendant sept jours suite à une manifestation de protestation dans les locaux de la Croix rouge camerounaise. La manifestation avait été dispersée par la police.
Bakayoko, réfugié de nationalité ivoirienne, a été présenté au procureur de la République mardi 17 mai après une garde à vue de sept jours au commissariat du 2ème arrondissement à Yaoundé. Il avait été interpellé par la police à Yaoundé le 10 mai dernier, au cours d’une manifestation de protestation contre de "mauvais traitements" dont seraient victimes des réfugiés dans leur suivi médical. Un suivi assuré par la représentation du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Cameroun et la Croix rouge camerounaise dans le cadre du projet d’assistance aux réfugiés urbains.

En interpellant cet homme marchant sur béquille, la police donnait ainsi une suite à une requête du président de la Croix rouge camerounaise demandant aux policiers de mettre " hors d’état de nuire " quatre réfugiés manifestants. Les trois autres, Ndalaye, Boinde et Massala, ont échappé au filet de la police avant de prendre la fuite. Ils feraient l’objet de recherche.
Daniel Moundzego, président de l’Association des réfugiés sans frontières (Arsf) dénonce ce qu’il considère comme une arrestation et une séquestration arbitraire : " Nous sommes étonnés que le président de la croix rouge camerounaise puisse demander à un commissaire de police de mettre hors d’état de nuire des réfugiés qui protestent contre les mauvais traitements qu’ils subissent". Le code de procédure pénale prévoit que " Toute personne ayant une résidence connue ne peut, sauf cas de crime ou de délit flagrant et s'il existe contre elle des indices graves et concordants, faire l'objet d'une mesure de garde à vue". Bakayoko est un réfugié régulièrement enregistré au Hcr et habitant à Yaoundé.

Violation des droits des réfugiés Depuis sept jours qu’il est en garde à vue dans la cellule d’un commissariat de police, le réfugié Bakayoko n’aurait pas reçu la visite et l’assistance des autorités du HCR-Cameroun. Le code de procédure pénale prévoit pourtant que " Le délai de la garde à vue ne peut excéder quarante huit (48) heures renouvelable une fois. Sur autorisation écrite du Procureur de la République, ce délai peut, à titre exceptionnel; être renouvelé deux fois. Chaque prorogation doit être motivée". Selon Mbuyi Makélélé, chef d’antenne de l’Association des réfugiés sans frontières à Yaoundé, Bakayoko ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat. Dans un communiqué de presse signé le 14 mai dernier à Douala, l’Association des réfugiés sans frontières lance un appel urgent " aux plus hautes autorités camerounaises et celles du Haut commissariat des réfugiés à Genève ", pour mettre fin à " la violation des droits des réfugiés ". Le président de l’Association des réfugiés sans frontières souligne que la convention de Genève relative au statut de réfugiés a été bafouée et affirme que le directeur du Protocole et des Affaires consulaires au ministère des Relations extérieures a été officiellement informé. " Nous avons envoyé au ministre des Relation extérieures des preuves de la violation de la convention de Genève relative au statut de réfugiés. "
Le président de la croix rouge camerounaise justifie quant à lui, dans un document auquel le Jour a eu accès, son recours à la force publique contre des réfugiés, le 10 mai dernier, par la nécessité de servir les autres réfugiés qui attendaient " impatiemment " de recevoir leur assistance ce jour-là. De source policière, une plainte a été formellement déposée contre Bakayoko. Il est accusé de destruction de biens et de trouble de service. Joint hier sur son téléphone portable, M. William Etéki Mboumoua a indiqué au reporter qu’il est en déplacement à l’étranger et a suggéré de se rapprocher du chef du projet d’assistance aux réfugiés urbains.

Claude Tadjon (Jade)
Détenu au Sed: Menaces sur la libération de Michel Thierry Atangana en 2012
Condamné à quinze ans d'emprisonnement en 1997, il devrait être libéré en 2012. Mais une nouvelle procédure pourrait maintenir l'ancien directeur du Copisupr en détention.
"
Sur le plan humain, c’est intenable. Je vis ici un processus de désocialisation", nous a confié Michel Thierry Atangana, le 13 avril dernier lors d’une brève rencontre au Secrétariat d’Etat à la Défense au quartier du Lac à Yaoundé. Il y est détenu depuis son arrestation et sa condamnation dans la foulée du procès qui a suivi peu après. "Je n’ai droit ni à la ration alimentaire, ni aux soins de santé, ni aux vêtements, ni à la corvée, ni au contrôle judiciaire", précise-t-il. Aujourd’hui, il souffre d’une décalcification dentaire et d’une perte progressive d’acuité visuelle. Son physique de jeune a cependant résisté aux affres de la réclusion. Et son sourire affable cache, plutôt bien, le martyre qu’il subit.
Depuis son interpellation le 12 mai 1997, Michel Thierry Atangana Abéga, ancien directeur du Copisupr (une joint-venture public-privé rattachée à la présidence de la République chargée de réaliser les gros projets structurants de l’Etat, entre autres, l’autoroute Douala-Yaoundé), et sa condamnation à 15 ans de prison fermes pour des faits de détournement de deniers publics, est toujours détenu à l’Etat-major de la gendarmerie nationale dans l’enceinte du Secrétariat d’Etat à la Défense situé au quartier du Lac à Yaoundé.
Michel Thierry Atangana a été condamné à 15 ans d’emprisonnement pour détournement de deniers publics dans l’affaire du comité de pilotage et de suivi des projets de construction des axes routiers Yaoundé-Kribi et Bertoua-Ayos. Quelques semaines après son arrestation, il a été jugé, avec Titus Edzoa, ancien Secrétaire général de la Présidence et ministre de la Santé qui voulait se porter candidat à l’élection présidentielle contre Paul Biya. Selon son avocat, Me Rémi Barousse du barreau de Paris, ce jugement avait été prononcé à l’issue d’une enquête expéditive et d’une procédure n’obéissant à aucun des critères d’un procès équitable : "Son arrestation, sa condamnation et son calvaire actuel sont directement liés à sa prétendue proximité avec Titus Edzoa".

20 000 heures d’isolement en 28 mois !

Enfermé dans une cellule de 8 m2 aérée par une minuscule prise d'air à la taille de d'une boîte de conserve, le détenu est gardé par cinq gendarmes, dont trois du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale, une unité d’élite, tous munis d’armes de guerre. Des rumeurs lui prêtent régulièrement un projet d’évasion, contribuant ainsi à mettre ses gardes "inutilement" sur les dents. Ce prisonnier particulier est aussi placé en isolement total treize heures par jour, six de plus que prévu par la réglementation en vigueur. Privé de télévision et de radio, Michel Thierry Atangana est alors coupé du monde extérieur. Mais c'est "moins pire" qu'avant. Durant les vingt huit premiers mois de son incarcération en effet, ce temps d’isolement total était de vingt-trois heures par jour, ses geôliers ne lui concédant qu’une petite heure de bain de soleil. Près de 20 000 heures cumulées sur deux ans et un gros trimestre!

Cri de détresse

De sa cellule, Michel Thierry Atangana dénonce "le mensonge" qui fait de lui un proche du co-détenu Titus Edzoa, ancien ministre aujourd'hui en prison officiellement pour détournement des fonds publics, mais pour l'opinion publique, pour avoir voulu défier l’actuel président de la République lors de la présidentielle de 1997. Le prisonnier se considère comme une victime collatérale de la bataille sourde entre Titus Edzoa et ses rivaux politiques. "Je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment et ceux qui voulaient ma peau en ont profité pour m’abattre", précise- t- il. Des drames familiaux sont venus alourdir sa peine. Son mariage a volé en éclats. Il a perdu la plupart de ses relations socioprofessionnelles. Sa mère est morte en 2002, sa sœur aînée en 2006. Il n’a pas été autorisé à assister à leurs obsèques. Sa sœur cadette, Catherine Joëlle, vient d'être victime d’un accident vasculaire cérébral. En cause, selon lui, la nouvelle procédure ouverte contre lui. Une action qui inscrit désormais en pointillés sa sortie de prison, malgré le non lieu rendu par le juge d’instruction le 23 octobre 2008. L’ordonnance rendue par Pascal Magnaguémabé, juge d’instruction au Tribunal de grande instance du Mfoundi chargé de leur affaire, avait totalement élargi Michel Thierry Atangana, et deux de ses trois coaccusés, Isaac Njiemoun et M. Mapouna. L’espoir d’une libération en 2012 s’éloigne. Mais Michel Thierry Atangana s’accroche. Il espère que le chef de l’Etat, Paul Biya saura mettre fin à sa détresse.

Frédéric Boungou (Jade)
Rapports sur le Cameroun: La vie des détenus menacée dans les prisons
Les prisons camerounaises ne respectent pas toujours les règles minimales de détention, d'après les récents rapports d'Amnesty international et du gouvernement des Etats-Unis. Les cas de torture persistent, malgré les efforts du gouvernement.
"Les prisons et autres lieux de détention au Cameroun étaient surpeuplés et les conditions étaient telles que la vie des détenus y était souvent menacée". Tel est le constat d’Amnesty International dans son rapport 2011 sur la situation des Droits humains dans le monde en 2010, publié le 13 mai dernier. Ce mouvement mondial regroupant plus de trois millions de sympathisants, membres et militants qui se mobilisent pour le respect et la protection des droits humains universellement reconnus, relève que "Dans bien des cas, les prisonniers ne recevaient ni soins médicaux, ni nourriture ou étaient mal soignés et sous-alimentés. Les incidents et les tentatives d’évasion étaient fréquents et plusieurs détenus ont été tués en essayant de s’évader".
L'Ong note que la prison de Nkondengui, construite pour 700 détenus en accueillait 3852 jusqu’en août dernier, et qu'il n'y avait pas assez de nourriture, de l’eau et des médicaments pour les détenus. "Dans une des ailes de l’établissement baptisée "le Kosovo", les prisonniers n’avaient pas assez de place pour dormir allongés, a constaté cette organisation lors de son passage dans cette prison. Une autre aile hébergeait des détenus souffrant de troubles mentaux; ils ne bénéficiaient d’aucun suivi psychiatrique". La prison de New-Bell à Douala, conçue pour 700 personnes, en comptait plus de 2 453. "Nombre d’entre eux, bien que dans l’attente de leur jugement, partageaient leur cellule avec des condamnés".
Le rapport constate le port des chaînes par certains détenus dans d’autres prisons du pays, et affirme que "Des détenus sont morts à la prison de Maroua en raison de la chaleur caniculaire qui y régnait; d’autres sont décédés du choléra à la prison de N’Gaoundéré". Amnesty International déplore le niveau de formation des surveillants pénitentiaires, leur nombre insuffisant compte tenu des effectifs carcéraux, et juge leurs équipements de travail médiocres et inadéquats.

Prisonniers fouettés ou enchaînés

Plus alarmant, le rapport des Etats-Unis sur les droits de l’homme au Cameroun publié en avril 2011 annonce que d'après de nombreuses organisations de défense des droits humains, la torture serait généralisée dans les prisons. Il cite le cas de la prison de prison de New Bell à Douala, où des gardiens de prison infligeraient des sévices corporels aux prisonniers qui sont parfois fouettés ou enchaînés dans leurs cellules. "En mai 2009, des officiels de certains pays étrangers en visite dans cette prison avaient trouvé des détenus accusés de violence et d’indiscipline enchaînés dans des minuscules cellules après avoir été battus et privés de nourriture par les gardiens de prison", indique le rapport. Le document américain pointe un doigt accusateur sur les forces de maintien de l’ordre qui rançonneraient les personnes gardées à vue, les enfermeraient dans des cellules où ils n’ont pas accès aux toilettes, et se livreraient à la torture pour obtenir des informations concernant des criminels présumés. "Dans le même registre, des Ongs locales ont signalé des cas de viols chez les détenus". Face à ce sombre tableau, le gouvernement avance divers arguments pour prouver sa bonne foi à faire évoluer la situation. Pour la première fois, les délégués d’Amnesty International arrivés au Cameroun en août ont été reçus par des responsables gouvernementaux. Le Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’homme (Pacdet), financé par l’Union européenne, vise à réduire les dysfonctionnements et les abus liés à la détention. Le code de procédure pénale entré en vigueur début 2007 cherche à promouvoir le droit à un procès équitable, le respect de la présomption d’innocence, etc. Le rapport du Cameroun présenté au conseil des Droits de l’homme à Genève en 2009 cite des fonctionnaires de police, de la gendarmerie, de l’administration pénitentiaire et des magistrats traduits devant les tribunaux ou révoqués pour violation des Droits de l’homme. L’Etat a également créé de nouvelles juridictions, augmenté le nombre de salles d’audience et le nombre de magistrats et greffiers. Une goutte d'eau dans un océan de besoins. Charles Nforgang (Jade)
Garde à vue: des prostituées victimes de rackets policiers Dans le centre ville de Yaoundé, la capitale du Cameroun, des jeunes filles vendent leur chair contre des espèces sonnantes et trébuchantes, et se font racketter par des policiers.
Un couloir sombre de l’arrière de la station services du lieu-dit Sho à Yaoundé : trois agents de police n'en finissent pas d'y recommencer leur commerce avec trois jeunes femmes.
Dans cet espace d’une vingtaine de m2, les protagonistes parlent à mi-voix. Subitement le ton monte : "Vous ne pouvez pas vous servir de moi à ce point. Notre marché était clair, je me livre, et vous me laissez partir pour poursuivre mon job. Maintenant que vous vous êtes nourri de mon corps, vous exigez de l’argent", tempête Bernadette, une jeune belle de nuit bien connue dans le milieu. La jeune femme qui exhibe et met en valeur sa féminité par des vêtements moulants, est hors d’elle. Ses yeux exorbités semblent lancer des flammes. "Je ne me laisserai pas faire. Vous ne me prendrez aucun sou", tranche-t-elle, catégorique.
Non loin de là, longiligne et provocatrice dans un pantalon noir moulant à taille basse, Adrienne se plaint aussi de "la voracité des agents des forces de l’ordre".
Elle explique au reporter que les policiers exigent d'elles de racheter leur liberté contre trois ou cinq mille Fcfa. La prostitution étant pénalement réprimée au Cameroun, des dizaines de filles de joie sont interpellées, chaque soir, aux abords du commissariat central n°1 de Yaoundé. Au cours de la seule soirée du 26 avril dernier, l’on a comptabilisé une quinzaine d'interpellations dans ce coin de la capitale camerounaise. Dix jeunes femmes ont été interpellées simultanément sur la place Repiquet à Yaoundé. Cependant que cinq autres étaient poussées dans une voiture de police, place de l’Hôtel de ville avant d'être placées en garde à vue.

"Pas la proie des hommes"

"Il n’est pas juste de nous placer en garde à vue. Ces policiers veulent à la fois aller avec nous, et nous extorquer de l’argent. Voilà qui complique tout. Nous ne nous retrouvons pas ici pour être la proie des hommes. Mais parce que la société nous réserve entre autre chose, cet espace. Il n’est pas question qu’on se laisse voler notre chair et notre argent", fulmine Michèle. "Les jeunes femmes interpellées depuis trois jours courent le risque d’être placées sous contrôle judiciaire", précise un officier de police, sous couvert d'anonymat. Le cadre de police refuse de donner des informations sur le sort de la quinzaine de jeunes femmes embarquées. Il se contente d’énoncer les articles de loi concernant la prostitution.

Un commissaire de police en service à Yaoundé précise : "Bien que la prostitution soit pénalement réprimée, aucune instruction de mes services n’autorise mes collaborateurs à interpeller les jeunes femmes qui aguichent les hommes au niveau de l’Hôtel de ville et de la place Repiquet".
Les policiers mis en cause par les filles se défendent, quant à eux, de toute arnaque. "La loi réprime la prostitution qui génère l’insécurité dans le centre ville de la capitale camerounaise. C'est pourquoi nous avons pris le parti de mettre en garde à vue ces jeunes dames surprises dans des tenues indécentes sur les trottoirs", nous a expliqué Jérôme Mbouss, l’un des policiers mis en cause.
Quand on lui demande s'il a pris de l’argent aux jeunes femmes, M. Mbouss le reconnaît, avec réticence. Le commissaire, lui, a "promis" la mise à la corvée des policiers mis en cause.
Léger Ntiga (Jade)

Me Joseph Désiré Ndjah : "Cette répression est inacceptable"
Comment la loi camerounaise réprime-t-elle la prostitution?
La prostitution est une infraction pénale prévue et réprimée par le code pénal en son article 343 qui prévoit "un emprisonnement de six mois à cinq ans et une amende de 20 000 à 500 000 pour toute personne de l'un ou l'autre sexe qui se livre habituellement, moyennant rémunération, à des actes sexuels avec autrui. Mêmes peines pour celui qui, en vue de la prostitution ou de la débauche, procède publiquement par des gestes, paroles, écrits ou par tous autres moyens, au racolage de personnes de l'un ou l'autre sexe". Il s'agit donc d'une infraction sévèrement réprimée par les lois de la République

Que dire des agents de police qui arnaquent les filles de joie à Yaoundé en consommant leur chair et en leur extorquant de l'argent?
Rien ne peut justifier ce comportement des policiers. Que ces filles soient interpellées parce qu'elles se livrent à une activité interdite par la loi est tout à fait normal. Encore faut-il prouver qu'elles le font habituellement, comme la loi l'exige. Mais procéder, comme vous l'indiquez, est totalement inacceptable et répréhensible et expose les policiers à des poursuites judiciaires.

Quels sont les droits reconnus aux prostituées?
Ecoutez, je ne crois pas qu'il y ait des droits particuliers réservés aux prostituées. Il en serait sans doute ainsi si leur profession était légalement encadrée. Or, en l'état actuel de notre législation, la prostitution est interdite. C'est un peu comme si vous me demandiez si les homosexuels avaient des droits particuliers. Donc une prostituée ne jouit que des droits qui sont reconnus à tout citoyen.

Le fait que leur métier ne soit pas légalisé au Cameroun, les met-il à la merci des clients? Bien sûr! La prostitution en elle-même les expose gravement à toutes les dérives observables dans nos sociétés: abus de tous genres, meurtres et que sais je encore! Propos recueillis par Léger Ntiga (Jade)
Réinsertion: Jean T., ancien détenu, reprend ses études
Après trois ans de réclusion à Kondengui, Jean T., 18 ans, a bénéficié de l'aide d'une association de soutien aux détenus pour poursuivre ses études dans un collège de Yaoundé. Le 8 décembre 2010, les portes de la prison centrale de Yaoundé à Kondengui se sont ouvertes pour laisser sortir Jean T., 18 ans, enfermé durant trente longs mois. Avant qu’il ne sorte, une gardienne de prison lui a lancé : "Va-t-en et ne reviens plus jamais ici". Une mise en garde contre une éventuelle récidive et un encouragement à vivre désormais honnêtement. Dehors, le jeune homme s’est retrouvé seul face à une famille dans laquelle il n'avait plus confiance. Avec des rêves pleins la tête et aucun moyen de les réaliser. Mais "pleurer, gémir, c’est pour les lâches", assène le jeune homme qui a appris à se battre depuis sa petite enfance. Il se souvient alors de la promesse de la présidente de l’association Relais parents enfants, Claire Mimboe Ndi-Samba. Au cours d'une rencontre en prison, elle lui a promis de l’aide pour poursuivre ses études à sa sortie de prison. Il la prend au mot et obtient une inscription gratuite en classe de 3e au collège Ndi-Samba. Et, depuis le 3 janvier 2011, Jean T. promène sa haute silhouette, légèrement voûtée, dans l’enceinte de l’établissement.

Une enfance ballottée
Enfoncé dans un fauteuil, ses longues jambes étalées devant lui et une paire de tennis élimés aux pieds, Jean T. hésite avant de nous raconter son histoire. "Je n'avais que quatre ans quand mes parents ont divorcé. J'ai été ballotté d’une famille à une autre. Chez ma mère, je me sentais rejeté par mon beau-père. Mon père, lui, collectionnait des concubines qui me mettaient à l'écart."
A six ans, Jean T. fait sa première fugue. Ce jour-là, son père le surprend en train de jouer au "bali bali". Il l’accuse alors de lui avoir volé de l’argent qu’il avait "simplement mal rangé". "Après cela, ma mère n’a plus voulu m’accueillir. J’ai dû continuer à vivre chez mon père et à subir d’autres humiliations", relate-t-il avec un tremblement dans la voix. En réaction, l'enfant multiplie les fugues. Ses parents finissent par s’en lasser.
En janvier 2008, Jean T. se lie d’amitié avec deux garçons de la rue, plus âgés. Ensemble, ils louent une chambre et vivent de rapines. Une nuit d’avril, ils cambriolent une mini-cité à Nsam Efoulan. Le partage du butin n’est pas équitable. Le complice lésé, qui se plaint d'avoir été floué, dénonce le vol à la brigade de recherche d’Efoulan.
"Trois jours plus tard, les gendarmes ont fait irruption dans notre chambre à 3h du matin et m’ont arrêté", raconte Jean T. Le troisième garçon est interpellé trois jours plus tard et les trois complices sont déférés au parquet.

"Juste un peu d'amour "
Le 28 mai 2008, Jean T. franchit le lourd portail de Kondengui. Presque sereinement. Il a déjà une petite idée de ce qui l’attend : "Pour me punir, mon père m’enfermait, seul, dans le magasin durant une semaine, avec un pot pour faire mes besoins". Le jeune détenu fréquente assidûment l’école et la bibliothèque de la prison. Son sérieux encourage le principal du quartier des mineurs à le nommer "central d’effectif" et "chargé de malades". Jean T. doit vérifier, matin et soir, que les 200 détenus sont présents. Il travaille aussi à l’infirmerie où il apprend à placer des perfusions et à faire des injections. Ce travail va devenir une passion. "Je voudrais faire médecine", lance-t-il, le regard animé. "Mais dans l’armée, parce que l’emploi y est sûr", précise-t-il. La peur du lendemain ne l’a pas quitté. Pendant notre conversation, son téléphone portable sonne. "C’est ma grand-mère qui me bipe. Je lui ai pourtant dit que je rentrerai tard ce soir", explique le jeune homme. Il est 16h30, une heure après la sortie des classes. Il ajoute, souriant : "Elle a peur que je récidive. Moi, je sais que pour atteindre mon objectif, je dois tourner le dos à la délinquance", assure Jean T., désormais pressé de rentrer. Il ne veut surtout pas inquiéter sa grand-mère, infirmière à la retraite, qui l'a accueilli à Mvog-Ada, pour être plus proche de son collège. Il souhaite aussi préserver la paix revenue dans sa famille après plusieurs réunions de réconciliation. "Mes parents m'acceptent mieux. Mais ils n'ont toujours pas compris pourquoi je fuguais. Je voulais juste un peu d’amour. Ne le trouvant pas à la maison, j'allais le chercher ailleurs". Stéphanie Dongmo (Jade)
Conditions de détention : Prisons surpeuplées et vétustes
Les prisons camerounaises croulent sous le nombre des détenus. Les dispositions généreuses de la loi visant à désengorger les lieux de détention tardent à produire les effets attendus.
Les conditions de détention dans les prisons camerounaises donnent froid dans le dos. En juillet dernier, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a exprimé "ses préoccupations au sujet de la persistance du problème de la surpopulation et des mauvaises conditions de vie dans les prisons". Selon les statistiques officielles, 70% de mineurs et 60% d'adultes incarcérés ne sont pas encore jugés. Bien que présumés innocents, ils gonflent les effectifs des 72 prisons du pays, qui renfermaient fin 2009 plus de 23 000 détenus pour seulement 15 000 places.

Cette situation est contraire au principe de la présomption d’innocence consacré par le préambule de la Constitution, et repris dans le Code de procédure pénale. Pour le ministère de la Justice, "la présomption d’innocence se manifeste également par l’affirmation du caractère exceptionnel de la détention, la liberté étant le principe". C'est dans cet esprit que le gouvernement prône le respect des textes, notamment "la mise en liberté avec ou sans caution depuis la phase de l’enquête policière jusqu’à celle du jugement et la limitation du délai de détention provisoire pendant l’instruction à six mois qui peut être prorogé une fois en cas de délit et deux fois en cas de crime".

Corruption Pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui s'en inquiète dans un rapport daté de février 2009, "le délai maximal de préventive qui est de 12 mois en cas de délit et de 18 mois en cas de crime n'est pas respecté dans la pratique". Le ministère de la Justice explique ces pratiques contraires à l'esprit de la loi par le sous-effectif des personnels (magistrats, greffiers, personnel d’appui, officiers de police judiciaire, personnels de l’Administration pénitentiaire), le besoin de leur formation, le manque de salles d’audiences et des établissements pénitentiaires, et la corruption qui "malgré les avancées que l’on note ces dernières années, demeure une gangrène que le gouvernement devrait éradiquer".

D'après le Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’homme (Pacdet) du ministère de la Justice, financé sur fond européen, "un manque de suivi des procédures en cours, une lenteur judiciaire, une tendance à la systématicité de la délivrance de mandats de dépôt, des durées anormalement longues de détention préventive et de garde à vue contribuent à l’engorgement des prisons". De nombreux autres problèmes se posent dans nos prisons, selon le Pacdet : la vétusté et le délabrement des structures, l’incapacité des prisons à garantir la sécurité, un taux d’occupation de plus de 400% dans certaines prisons, la malnutrition et la précarité des conditions d’hygiène, l’insuffisance des effectifs en personnels, le manque de professionnalisme, le vieillissement, l’absence de plans rationnels de gestion des ressources humaines et des carrières, la modicité des ressources financières, etc.

Huit ans sans jugement Pour les défenseurs des droits humains, dans la pratique, les dossiers des détenus sont suivis par leurs avocats. Mais pour les démunis en détention préventive qui n'ont ni relation, ni de l'argent pour se payer les services d'un conseil, "ils peuvent rester deux ans , quatre ans, voire huit ans sans jugement!". Autre problème qu'ils évoquent, "les résultats des audiences n’arrivent pas souvent en prison parce que les greffiers exigent de l’argent aux détenus pour les informer des décisions de leurs jugements". Du coup, des personnes libérées, non informées, restent en détention. Le ministère de la Justice avance également que "les rapports entre le procureur de la République et le juge d’Instruction demeurent difficiles notamment, en matière d’exécution des ordonnances et des mandats ainsi qu’au sujet des détentions provisoires et des mises en liberté". Un conflit de compétence qui nuit au droit à la liberté reconnu à la personne faisant l’objet d’un procès pénal puisque la liberté provisoire est la règle, la détention l’exception.

L'Onu recommande au Cameroun d'enquêter sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires, de traduire les coupables en justice et de permettre aux victimes d’avoir accès à des recours efficaces. Il exhorte le Cameroun à veiller à ce que "les victimes de torture aient facilement accès à des mécanismes leur permettant de signaler les violations", que "des enquêtes impartiales et indépendantes soient menées", et les auteurs sanctionnés. Il recommande également que "le Cameroun porte son attention sur les conditions dans les prisons en prenant des mesures pour améliorer qualitativement et quantitativement la situation en ce qui concerne la nourriture et l’accès aux soins de santé et pour assurer la séparation des détenus hommes et femmes, mineurs et adultes, en détention provisoire et condamnés".
Etienne Tasse (Jade)
Statistiques carcérales pour l’année 2009

Catégorie des détenus par âge et par sexe

Majeurs

Mineurs

Total

Hommes

Femmes

Garçons

Filles

Prévenus

13 255

347

655

8

14 265

Condamnés

8 481

160

290

0

8 931

Total

21 736

507

945

8

23 196

Sources : Ministère de la Justice


Me Jacques Mbuny témoigne: "J’ai vu mon client mourir en prison "
Avocat au barreau du Cameroun, Me Jacques Mbuny raconte son expérience de défenseur des droits de l’homme auprès des prisonniers.
Est-il exagéré de considérer que le milieu carcéral au Cameroun est un lieu de non droit pour les prisonniers?
Ce n’est pas parce qu’une personne est condamnée qu’elle n'a plus le droit à la santé, le droit d’être traitée dignement, le droit d’être nourrie, le droit d’avoir un lieu où se reposer d’une manière décente. Mais le problème le plus important dans les prisons c’est la surpopulation exponentielle. Le nombre des prisonniers a presque triplé en cinquante ans, depuis l’indépendance du Cameroun, alors qu'aucune nouvelle prison n'a été construite. Il y a aujourd’hui une telle promiscuité dans nos prisons qu’il est difficile d’y séjourner et d’en sortir sans séquelles sanitaires. Il faut donc mettre l’accent sur la santé, la construction de nouvelles prisons et l'amélioration de l’alimentation des prisonniers.

De mémoire d’avocat, quelle situation d’atteinte aux droits des prisonniers vous a marqué ?

La perte d’un client, Alhadji Oumarou Souleymanou. Je le défendais dans le cadre du procès de la Société immobilière du Cameroun (Sic). J’ai vu M. Souleymanou mourir. J’ai pourtant tout fait pour tenter de le sauver. J’ai notamment saisi les autorités pour leur signaler que ce monsieur était en train de mourir. Hélas, les personnes chargées de gérer la santé des prisonniers sont trop souvent absentes. La place du régisseur est en prison: il y travaille à temps plein. En revanche, vous avez des médecins nommés dans les prisons, mais qui sont installés ailleurs. Ces médecins ne touchent pas du doigt la réalité du quotidien carcéral. C’est malheureusement lorsqu’un prisonnier est à l’article de la mort qu’on autorise son transfert à l'hôpital. C’est ce qui est arrivé à M. Souleymanou. J’ai écrit pour demander qu’il soit transféré… L'autorisation est arrivée trop tard.

Que faut il faire pour remédier à des situations de ce genre ?

Il est urgent de revoir la gestion de la santé dans nos prisons. Dans la dernière cuvée de l’Ecole d’administration pénitentiaire, nous avons près d’une dizaine de médecins. J'espère que l’Administration pénitentiaire va en faire bon usage. Une structure médicale fonctionnelle doit notamment être créée dans la prison.

"Les magistrats continuent d’envoyer les gens en détention même pour des délits mineurs "

L’avocat reste-t-il un acteur efficace pour la sauvegarde des droits des prisonniers ?

L’avocat a sa place, évidemment ! Chaque fois que nous le pouvons, nous faisons des visites en prison. Le projet Dignité en détention va d’ailleurs essayer de mettre l’accent sur les visites constantes dans les prisons afin de rendre compte de la situation des détenus. Il y a l’œil de l’Administration certes. Mais le regard des défenseurs que nous sommes peut l’aider. Lorsque nous nous rendons compte que l’Administration ne réagit pas rapidement, nous écrivons pour attirer l’attention sur tel ou tel cas.

Que pensez-vous du nouveau code pénal?
Il prévoit que vous ne pouvez être détenu qu'à la condition de ne pas avoir de domicile fixe, s’agissant des délits et des contraventions. Une telle mesure aurait dû permettre de vider un peu les prisons. Or, nous constatons que les magistrats continuent d’envoyer les gens en détention même pour des délits mineurs. Où est donc l’avantage supposé de la gestion de la population carcérale, prévue dans ce nouveau code ?

Pourquoi ça coince ?

Avant 2004, l’Administration pénitentiaire dépendait de l’Administration territoriale. Aujourd’hui, elle est rattachée au ministère de la Justice. Il a été proposé la construction de plusieurs prisons: c’est une voie que ce ministère doit explorer dans les plus brefs délais. Que suggérez-vous, en priorité, pour redonner au prisonnier sa dignité ? Pour désengorger les prisons, il faut juger plus rapidement les prévenus, freiner l’élan qui consiste à envoyer trop facilement les gens en prison, éviter notamment d’enfermer les auteurs de délits mineurs. C’est l’une des causes de la saturation de nos prisons. Propos recueillis par Claude Tadjon (Jade)
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Prison de Kondengui : "Se libérer" par le sport et la lecture

La pratique d’un sport et la lecture permettent à certains des détenus de la prison de Kondengui d’oublier parfois leur triste sort. Mais pour cela, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade.

Des hommes et des femmes ont envahi les terrains cabossés de football et de hand-ball. Cris et rires accompagnent la formation des équipes. Une scène banale à Yaoundé, où les citoyens amoureux du sport sont souvent prêts à disputer une partie, quand l’occasion s’en présente en dehors des heures de travail.

Mais ici, nous ne sommes pas dans la vie ordinaire. Nous sommes à la prison de Kondengui, où le sport prend une autre dimension.

"Contre la déprime"

"Le sport permet de décompresser dans ce milieu de la déprime où l’on pense sans cesse à se suicider", explique un détenu. Jouer une partie de foot, de hand ou de tennis rompt la monotonie de la vie en prison, où les jours se suivent et se ressemblent : ouverture des cellules à 7h, fermeture à 18h. Entre temps, chacun se débrouille comme il peut pour meubler sa journée, avec, pour les plus pauvres, le souci majeur de tenter de se nourrir convenablement. Les plus nantis s’offrent à leurs frais un petit déjeuner, les autres attendront la mi-journée pour recevoir le sempiternel bol de "Cornchaf", un mélange de riz, maïs et haricot, fourni par l’administration pénitentiaire, qui, au demeurant, ne respecte pas les recommandations de l’ONU stipulant que "tout détenu doit recevoir de l’administration aux heures usuelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisante au maintien de sa santé et de ses forces" (lire aussi ci-dessous les précisions de Me Eteme Eteme)

Comment, dans ces conditions, s’adonner à un sport ou à une activité intellectuelle? Et pourtant les aires de sport de la prison sont envahies chaque jour parce que les détenus y puisent quelques moments de détente, de gaîté et même, de rencontres auxquelles on ne s’attendrait pas. Il est fréquent par exemple de retrouver sur le court de tennis, Yves Michel Fotso, ancien directeur général de la défunte Camair et Otélé Essomba, ancien directeur général adjoint de APM, pourtant frontalement opposés dans l’affaire de l’avion présidentiel.

Autre endroit fréquenté de la prison, la bibliothèque attire particulièrement les anciens hauts commis de l’Etat, pour la plupart incarcérés pour détournement de deniers publics. Là, ils s’adonnent à la lecture d’ouvrages de toutes sortes. "L’accès à la bibliothèque est conditionné par le paiement d’un abonnement annuel de 5 000 F", précise un pensionnaire. Une somme qui n’est pas à la portée des nombreux détenus pauvres.

Ce mardi là, comme tous les jours de la semaine, Urbain Olanguena Awono, l’ancien ministre de la Santé publique, ou encore Jean-Marie Atangana Mebara, ancien ministre et secrétaire général à la présidence de la République, et bien d’autres hauts fonctionnaires, sont plongés dans leur lecture.

Pas pour tous

Marie Robert Eloundou, l’ancien coordonnateur du Programme international d’encadrement (Pid) ne semble pas pouvoir bénéficier de cet avantage. Il souffre, à l’en croire, de douleurs aux yeux. Il affirme avoir demandé plusieurs fois aux autorités une prise en charge dans une section sanitaire appropriée. En vain ! Comme lui, l’ancien directeur des Enseignements secondaires, Nicodème Akoa Akoa, accusé de malversations financières, s’est vu refuser des soins en dehors de la prison pour soigner ses lombalgies.

Une situation que fustige Me Pierre Eteme, avocat à Yaoundé (lire son interview ci-dessous). Que dire alors de la situation des détenus les plus pauvres dans les quartiers 08 et 09, qualifiés de mouroirs. Bien que dotée d’une infirmerie, la prison de Kondengui a un budget qui ne permet pas de prendre en charge convenablement tous les malades. "Lorsque que le traitement hospitalier est organisé dans l’établissement, celui-ci doit être pourvu d’un matériel, d’un outillage et de produits pharmaceutiques permettant de donner les soins aux détenus malades. Le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante ", prévoient pourtant les règles édictées par les Nations Unies.

Ces tristes réalités, dénoncées régulièrement par de nombreuses associations des droits de l’Homme, ne permettent pas à la grande majorité des détenus d’accéder au plaisir que procurent le sport et la lecture. Des activités qui donnent aux prisonniers l’illusion bienfaitrice d’effacer, l’espace d’un instant, les murs de la prison. De s’évader.

Léger Ntiga (Jade)

ENCADRE

Me Simon Pierre Etémé Etemé

"Soigner les prisonniers est un devoir de l’Etat"

L’avocat et spécialiste des droits de l’Homme, soutient que les pouvoirs publics doivent soigner et bien nourrir les détenus.

Qui doit s'occuper de la santé des prévenus en milieu carcéral?

La personne détenue étant aux mains de l’Etat, il est du devoir de celui-ci de pourvoir à son entretien (santé, alimentation, éducation s’il y a lieu). S’agissant particulièrement du droit à la santé du détenu (car il s’agit bien d’un droit pour lui), sa mise en oeuvre est réglementairement déployée à travers l’aménagement obligatoire au sein de chaque prison d’une infirmerie chargée d’accueillir et de soigner les pensionnaires de la prison. Mais ce postulat réglementaire reste plus théorique que réel en raison, soit de l’inexistence des structures sanitaires, soit de leurs faibles capacités structurelles ou même personnelles, d’où le souci récurrent d’avoir très souvent recours aux compétences médicales externes au pénitencier.

Dans quelles conditions il peut être refusé au détenu l'autorisation de voir un médecin approprié en cas de maladie?

Sous aucune condition, il ne doit être refusé au détenu l’accès à un médecin approprié s’il en a prouvé la nécessité, au risque d’engager, si le refus est fautif et surtout dommageable, non seulement la responsabilité personnelle du patron de l’établissement de détention ou de son préposé, mais également, celle de l’Etat.

La gestion du milieu carcéral par des détenus désignés par la direction des établissements participe-t-elle de la promotion des droits de l'Homme?

Je n’y vois aucun lien, même lointain, avec la promotion ni la protection des droits de l’Homme en milieu carcéral. J’y vois, à la limite, une assistance bénévole que ces derniers apportent aux administrateurs officiels de la prison et qui fait d’eux des "collaborateurs occasionnels et bénévoles de la puissance publique".

A qui incombe l'alimentation des prévenus en milieu carcéral?

Aux termes de l’article 29 du décret camerounais sur le régime pénitentiaire, "les prisonniers ont droit à une ration journalière qui doit être équilibrée et suffisante pour éviter aux détenus toute carence alimentaire et leur donner l’énergie indispensable à leur santé". Mais, comme vous le constaterez vous-même, nous sommes bien loin de cela dans la réalité: Les prisonniers sont peu, mal, ou pas nourris, ce en contradiction flagrante du droit pénitentiaire.

Pourquoi l'Etat du Cameroun ne sacrifie-t-il pas à cette exigence?

Il revient à l’Etat de s’expliquer sur cette carence blâmable. De loin, on peut tenter une explication par le motif économique, car doter les milliers de prisonniers du Cameroun d’une ration journalière de qualité a forcément une importante incidence financière qui appelle de gros moyens pour un Etat qui a peut-être le curseur de ses priorités ailleurs. Il reste que l’insuffisance des moyens n’excuse pas un Etat face au non respect de ses engagements. Le Comité des droits de l’Homme de l’Onu a déjà eu à le rappeler à l’Etat du Cameroun au sujet des conditions inhumaines de garde à vue.

Propos recueillis par Léger Ntiga (Jade)