Des détenus travaillent pour améliorer leur maigre ration quotidienne de nourriture et se préparer un avenir en dehors de la prison. Une initiative qu’encouragent les Nations Unies.
Malgré la chaleur étouffante de cet après-midi-là, Ahmadou Issa, 25 ans, pousse sa voix à peine audible au milieu d’une foule de détenus amassés dans la cour ; les commentaires surfent sur le football. Aujourd’hui, le jeune homme ne pédale pas sur sa machine à coudre. Il est au chômage technique par manque de matériaux. "J’ai donné de l’argent à un corvéable libre pour qu’il m’achète le fil et les aiguilles qui me permettront de coudre l’habit d’un gardien. Dès que c’est là, je reprends le travail", explique Ahmadou, admiré pour son doigté en couture.
Il a appris le métier au lendemain de son incarcération pour vol, à la prison principale d’Edéa. "La machine appartient à la prison. La plupart du temps, ce sont les gardiens qui m’apportent leur pagne et me donnent un peu d’argent pour acheter le fil. Je raccommode gratuitement les habits des détenus parce qu’ils n’ont pas assez d’argent. Je gagne mieux quand le travail vient de l’extérieur ", ajoute-t-il.
2 000 FCFA par jour
Nyobe Billong Éric, lui, ne fait pas de cadeau : il fait payer tout et tout le monde. Condamné pour vol à main armée, il est devenu bijoutier. " Quand j’ai un peu de temps, je fabrique des chaînes, des gourmettes, des boucles et des bracelets en transformant des cuillères, fourchettes, tuyaux de robinets, tuyaux électriques et noix de coco. En prison, je vends un article au plus à 1000 F CFA. Dehors, le même objet coûte au minimum 1500 F CFA. Les bonnes affaires sont à l’extérieur", indique Éric qui a un sérieux besoin d’argent. Abandonné par sa famille, il doit bosser dur pour rassembler les 256.000 F CFA d’amendes qui le retiennent en prison.
Il ajoute : "En attendant, grâce à ce petit boulot, je trouve de quoi payer mon savon et la nourriture parce que la ration journalière en prison est minable. Auparavant, je pouvais avoir un bénéfice de 4000 F CFA par jour. Actuellement, je ne gagne que 2000 F CFA parce que les matériaux sont difficiles à trouver." Insuffisante pour Éric, cette somme représente une fortune pour Mehi Charly qui partage son bénéfice avec un revendeur. "Un ancien détenu me ravitaille en matériaux de fabrication. Je fais le travail et on se partage les fonds. Il est chargé de la vente dehors. Il me ramène ma quote-part, environ 500 F CFA par jour; ça m’aide à tenir", indique Charly qui confectionne des sacs et des paniers.
Organiser, réinsérer
Il ne suffit pas de fabriquer. Encore faut-il trouver des intermédiaires pour s’approvisionner en matériaux de base et écouler les produits finis. Les petits artisans de la prison sont obligés de négocier avec leurs codétenus qui font les corvées à l’extérieur. Cela engendre un trafic qui gêne l’administration pénitentiaire. "Nous allons mettre en place un programme pour ravitailler les détenus en matière première. Et nous commercialiserons les produits finis. Cela évitera que les corvéables continuent à jouer aux démarcheurs. Avec une ONG, nous réfléchissons au développement de ces petits métiers dans la prison", dévoile le gardien-chef Ngomba Francis Olivier, chargé des activités socio-éducatives et culturelles dans cette prison.
Les objets fabriqués par les prisonniers sont en effet très appréciés dans la population. "J’ai l’habitude d’acheter les habits et les sacs fabriqués par les détenus. Ils prennent du temps pour travailler et leurs objets sont plus solides et plus jolis que certains produits asiatiques", témoignent Sebastien Bikai, un riverain.
Mais ces petits métiers ne constituent pas seulement une activité pour améliorer l’ordinaire des détenus, "ils visent aussi à faciliter leur réinsertion sociale à leur sortie de prison", explique le gardien-chef Ngomba Francis Olivier. Ce qui entre tout à fait dans les règles minima de traitement des prisonniers, préconisées par les Nations Unies "Il faut donner une formation professionnelle utile aux détenus qui sont à même d'en profiter, et particulièrement aux jeunes. Leur travail doit être, dans la mesure du possible, de nature à maintenir ou à augmenter leur capacité de gagner honnêtement leur vie après la libération", précise l’organisation mondiale. La prison d’Edéa semble sur la bonne voie.
Christian Locka (Jade)