À Bafang et Bangangté, les régisseurs agissent
Des régisseurs de prisons, à l'instar de Bafang et Bangangté, tentent d’améliorer le sort des détenus : une école ici, un quartier spécial pour tuberculeux là, de meilleures conditions d’hygiène… Des initiatives louables, mais insuffisantes, faute de moyens. Le gouvernement est pointé du doigt.
"Le bâtiment que vous voyez là accueillera une école pour mineurs". Djile Kamga Michel, régisseur de la prison centrale de Bafang est fier de présenter ce projet en cours de réalisation. "Avec le concours de l’association Grain de Sable, nous avons l’ambition de permettre aux jeunes délinquants de poursuivre leur scolarité en prison. Nous aurons des élèves, ici, en début d’année prochaine", précise le régisseur qui se flatte aussi d’avoir amélioré les conditions de vie des 240 prisonniers de ce pénitencier créé en 1924, agrandi en 1986, et qui vient de bénéficier d’une réfection générale. Ce qui a permis, entre autres, d’assainir l’évacuation des eaux usées et des matières fécales.
"Désormais, on ne sent plus les mauvaises odeurs qui gênaient aussi bien l’entourage immédiat de la prison que l’entourage plus lointain", se réjouit Djile Kamga Michel. "Il y a un grand changement à l’intérieur de la prison. Auparavant il y avait des ordures un peu partout", confirme le détenu Kuayeu Gabriel, condamné à mort pour vol aggravé et assassinat. "Vous-même, vous voyez les gens toujours costauds. Cela veut dire que tout va bien depuis qu’on a fait des réparations à l’intérieur de la prison". Selon lui, ses cinq compagnons, condamnés à mort comme lui, sont du même avis. Comme d’autres prisonniers jugés "délicats", ils sont pourtant enfermés dans les vieux bâtiments datant de 1924. Le régisseur de la prison ayant décidé de les séparer des détenus provisoires.
Un quartier pour les tuberculeux
À Bangangté, le chef intérieur de la prison, Aléa Hyppolite, se réjouit, lui, de la création d’un quartier spécial réservé aux détenus tuberculeux. "Dès qu’un prisonnier est atteint, on l’amène à l’hôpital, et on l’isole jusqu’à sa guérison", affirme-t-il. Le régisseur, Medjo Freddy Armand renchérit : "Vous avez vu la dimension des cellules ! Les prisonniers y sont nombreux et il n’y a pas assez d’air… Les malades contaminent les autres. C’est pourquoi nous avons trouvé un endroit mieux aménagé où l’on s’assure aussi que les tuberculeux sont mieux nourris."
À propos d’alimentation justement, une nouvelle cuisine a été construite. Ce qui arrange bien le chef cuisinier, Wandji Roméo, détenu ici depuis 2007. "Je travaille à la cuisine depuis six mois, avec deux aides. Chaque vendredi on nous donne une ration pour la semaine."
Les menus sont un peu plus variés : davantage de condiments et de poisson dans les portions. "Ce n’est plus du riz tous les jours", constate le chef intérieur de la prison.
Les prisonniers peuvent encore améliorer leur ordinaire grâce à une plus grande libéralisation des corvées permise par le régisseur. "On observe chaque détenu lorsqu’il arrive. Si on pense qu’il ne s’évadera pas, on le laisse aller en corvée à l’extérieur", affirme Medjo Freddy qui s’appuie sur les textes en vigueur pour organiser ces sorties.
Ndjitap Bertrand est un corvéable satisfait. "On m’appelle Général de Gaulle. Je suis ici depuis longtemps. Quand nous sortons, nous ramenons des vivres et nous nous les partageons. Cela crée une bonne ambiance".
Le régisseur de Bangangté aborde enfin un sujet qui préoccupe particulièrement les défenseurs des droits humains : le suivi des dossiers des détenus en prison sans jugement. Il a mis sur pied une équipe qui "a déjà permis de réduire la peine d’un détenu. Et deux autres dossiers sont en bonne voie".
Manque de moyens
Les exemples de Bafang et de Bangangté plaideraient donc en faveur d’une certaine humanisation des prisons au Cameroun. N’allons pas trop vite ! Les quelques belles initiatives de quelques régisseurs ne corrigent pas le fait général que "les prisons du Cameroun sont des mouroirs et non des endroits de resocialisation", s’écrie Maître Agbor. "C’est au gouvernement de mettre en place une politique de modernisation de ces établissements", insiste-t-il.
Maxime Bissay, coordonnateur de l’association Action camerounaise pour l'abolition de la torture (ACAT) antenne du Littoral est moins virulent : "Il faut reconnaître que les choses changent depuis l’avènement des programmes d’amélioration de la condition des détenus (Pacdet) et du respect des droits de l’Homme dans les prisons. Vous avez cité le cas de Bafang et de Bangangté, je peux vous citer aussi Edéa, Mbanga, Yabassi, où les régisseurs font un travail exceptionnel." Le militant est aussi lucide : "Ces régisseurs feraient sans doute davantage, si le gouvernement leur en donnait les moyens."
Hugo Tatchuam (Jade)